peintres, ses décorateurs, ses stucateurs, ses modèles d'objets de luxe ; centre
d'étude très fameux, elle voyait venir les étudiants des pays les plus éloignés, et
même de la Grèce, fréquenter les écoles de médecine, d'astronomie et de
littérature que le gouvernement royal entretenait à Alexandrie. Son commerce
enfin était très étendu et très lucratif ; car elle n'exportait pas seulement partout
ses produits industriels en échange des métaux précieux qu'elle accumulait ; elle
détenait aussi la majeure partie du commerce avec l'Extrême-Orient, avec l'Inde,
et avec la terre fabuleuse des Sères. Mais si brillant, quand on considère l'Égypte
au point de vue de la richesse et de la culture, le tableau devient sombre quand
on étudie son état politique et social. La vieille et glorieuse monarchie des
Ptolémées agonisait. La division du travail, qui est un résultat véritable de la
civilisation, avait été poussée à un tel point en Égypte, qu'elle avait étouffé tout
esprit de solidarité sociale et nationale. Les métiers, les professions, les familles,
les individus, ne songeaient qu'à leurs intérêts et à leurs plaisirs. Un égoïsme
affreux, une indifférence invincible pour tout ce qui ne les touchait pas
immédiatement, isolait les groupements sociaux dans toutes les classes, depuis
les cultivateurs des grandes propriétés, des biens de mainmorte, des domaines
royaux, qui vivaient dans une sujétion voisine de la servitude ; depuis les
métayers libres, laborieux, mais qui s'appliquaient seulement à grossir leur
épargne ; depuis la plèbe ouvrière et cosmopolite, qui travaillait avec
intelligence, mais qui était remuante et sanguinaire, jusqu'à la classe opulente
des marchands qui s'étaient fixés en Égypte comme au meilleur carrefour des
grandes routes du monde ; jusqu'aux riches propriétaires qui déployaient un luxe
merveilleux, qui considéraient la cour comme le modèle suprême du faste et de
l'élégance, mais qui ne formaient pas une aristocratie politique et militaire, et
qui, par indolence et par orgueil, se laissaient éloigner des hauts emplois par des
eunuques, des affranchis, des aventuriers, des étrangers ; jusqu'à la caste
sacerdotale qui ne songeait qu'à augmenter ses richesses et sa puissance ;
jusqu'à la bureaucratie, nombreuse, bien disciplinée en théorie, mais corrompue,
avide d'argent et peu consciencieuse ; et enfin, jusqu'à la cour, pieuvre
insatiable, engloutissant l'argent et les métaux précieux, nageant dans les
intrigues, les crimes, les petites révolutions_ dynastiques, que des factions
minuscules ourdissaient dans l'indifférence universelle, avec infiniment
d'ingéniosité et de scélératesse. Ce royaume en décadence était ainsi à la fois
inerte et agité. Avec une administration grandiose, il laissait tout dans l'abandon,
et même les canaux du Nil ; avec une monarchie où les rois étaient divinisés
encore vivants, il était continuellement déchiré par des révolutions de palais, qui
ne faisaient durer ses rois que quelques années, et empêchaient de porter
remède à ses moindres misères politiques ; riche comme il l'était, il n'avait pas
d'armée, et, pour disposer de quelques troupes, il était obligé de recruter les
esclaves qui fuyaient des autres pays ; il était plein d'hommes de haute culture
et de grande intelligence, mais il ne savait lutter contre Rome qu'au moyen
d'intrigues bizarres et compliquées
1
. Peu à peu sa diplomatie en était à la fin
arrivée à offrir sa reine comme une prostituée à un proconsul romain. Le
gouvernement féminin de Cléopâtre avait de nombreux adversaires, surtout dans
les classes élevées, sans que nous en sachions la raison ; peut-être à cause de la
honte de ses intrigues avec César et avec Antoine, à cause de son avidité
insatiable, de sa cruauté capricieuse, du désordre de son gouvernement de
1
Voy. le beau travail de C. B
ATIBAGALLO
, Le Relazioni politiche di Roma con l'Egitto,
Roma, 1901.