Interview de Reto Cadotsch et sa bande Introduction La brume s'estompant par ce beau matin de prémisses automnales, s'ouvre à nous un paysage en tous points idyllique. La rosée matinale s'égoutte lentement dans la campagne de la cité de Calvin au rythme des croassements du corbeau et du bourdonnement mélancolique des abeilles. C'est dans ce calme paisible que nous rencontrâmes ce sympathique géant que l'on nomme de par ces contrées : Reto Cadotsch. L'agriculteur qui est un des fondateurs des Jardins de Cocagne et qui tendit maintes fois sa main à ses frères Africains pour les aider à faire naître des entrailles de la terre, la nourriture tant convoitée. Entre les tintements de verres et de vaisselle, il nous accorda cette interview. Mr Reto Sonderegger et Simone (merci pour le café) se sont également joints pour aider à répondre, eux aussi, à certaines de nos questions. 1) Pouvez-vous nous décrire en quelques mots vos projets régionaux, ainsi que ceux en Afrique? -''Nos activités régionales comportent 3 projets basés sur le principe d'agriculture contractuelle de proximité. Ainsi, on préconise des accords avec les clients qui payent une cotisation et bénéficient en contre partie de nos différents services. 1.Dans le cadre du programme ''Les Jardins de Cocagnes'' qui existe depuis plus de 32 ans maintenant, plus de 400 familles reçoivent un cabas de légumes chaque semaine, en contrepartie du travail fourni sur le terrain, ainsi que de leurs cotisations. Cotisations qui permettent en outre de couvrir tous les frais de production (engrais, planton, etc...) et de payer les jardiniers salariés de la coopérative. Ces cotisations ne sont pas annexées en fonction des aléas du marché mais en fonction du coût de production de l'aliment. On évite ainsi d'être sous le joug de l'économie de marché. 2.Ce projet nommé ''Cueillette de Lancy',' lancé il y a peu, consiste à la culture de légumes et de fruits. Il se différencie des ''Jardins de Cocagne'' par son approche beaucoup plus communautaire. Dans le cadre du projet, les clients ne sont pas amenés à venir cultiver eux-mêmes leur jardin, des jardiniers salariés de la coopérative s'en chargent. Par ailleurs, les clients ne reçoivent pas de cabas ici mais sont amenés à venir récolter eux-mêmes fruits et légumes. Ils payent leurs cotisations à la suite du contrat passé avec l'association et récoltent ainsi ce qu'ils souhaitent (avec une certaine limite selon l'état des récoltes). A long terme, on voudrait mettre en place ce système en ville autour d'immeubles pour bénéficier d’une approche communautaire et de proximité. On pourrait ainsi se faire son panier de légumes et de fruits en rentrant du travail dans les jardins au bas de notre immeuble. 3. ''Tourne-rêve'' est basé sur la ''grande culture'', c'est à dire la culture céréalière (dans les champs). C'est une association de 15 producteurs qui mettent à disposition deux fois par an, des produits de leurs cultures à 1500 familles. 4.Le projet en Afrique, solidarité Nord-Sud comme on le nomme et dû en premier lieu à une envie d’ouverture vers le monde, plus particulièrement le sud. Le projet est né lorsque l'on revendiquait de plus grands investissements dans le cadre du développement. Ainsi, nous avons voulu de notre côté aider les populations africaines à se développer. Il s'agissait tout d'abord pour nous de trouver des collaborateurs locaux. Rôle que nous avons confié à des migrants africains rencontrés à Paris. En effet, ceux-ci étant venus en France pour palier au manque de main d'œuvre à l'époque étaient en position d'être expulsés de France suite au changement de politique étrangère. Voulant retourner au pays, nous les avons accompagnés et apporté notre aide pour les aider à mettre sur pied les nombreux projets qu'ils voulaient créer pour lutter contre les problèmes auxquels était confronté leur pays (eau, éducation, culture...). 2)Quels avantages y a-t-il à privilégier la collaboration locale comme vous le préconisez? -''C'est avant tout dans un souci pour nous de voir les projets se poursuivre sur le long terme. Nous travaillons donc dans le but de les rendre autonomes. Ainsi, nous leur donnons l'argent fourni auprès des donateurs suisses qui soutiennent le projet en main propre, au contraire de la plupart des ONG qui privilégient l'apport d'intermédiaires à qui donner cet argent. On leur confiant cette manne monétaire, on les responsabilise et les oblige à travailler de manière plus autonome. Ils doivent faire eux-mêmes les démarches auprès des banques ou de l'état, ce qui leur a permis à long terme, de créer des liens avec les diverses administrations, de s'encrer dans un réseau. On est loin du schéma classique préconisé par les ONG, dans lequel le fermier est trop souvent cantonné à un simple rôle de cultivateur dépendant des intermédiaires à qui les ONG confient l'argent.'' 3) Il y a beaucoup d'ethnies différentes dans la région (''trois frontières''- Sénégal, Mauritanie et Mali) où sont mis en place vos différents projets. Cela engendre-t-il quelconques problèmes? - ''Il faut différencier ces pays au cas par cas. Au Sénégal, jusqu'ici nous n'avons jamais eu de problèmes. Cependant le pays traverse aujourd'hui, divers troubles politiques, liés à la présidence du pays qui pourraient amener des conflits. En Mauritanie, il y a eu de nombreux problèmes liés à des divergences ethniques. Les Maures blancs au pouvoir ayant cédé des terres aux Maures noirs, les privilégiant au détriment des autres ethnies peuplant le pays. Cette jalousie a conduit à plusieurs conflits. Au Mali par contre, la région est plutôt calme. Les ethnies sont ''capables'' de travailler ensemble. On pourrait comparer la situation avec le fait que Bernois et Jurassien travaillent ensemble malgré les dissensions qui les opposent.'' 4) Est-ce que vous avez privilégié un ou plusieurs aliment(s) spécifique(s) qui pousse(nt) particulièrement bien dans les régions où vous êtes actifs ? Ou vous êtes-vous accommodés aux cultures traditionnelles? -''Nous n'avons introduit aucun aliment venu d'Europe. Nous nous sommes contentés d'amener en milieu rural différents aliments que l'on ne trouvait alors qu'en ville. Nous nous sommes aussi pliés au rythme des saisons. De juin à octobre, c'est la saison des pluies qui rend la production de légumes difficiles, nous avons alors privilégié d'autres cultures. Tandis que d’Octobre à Mars, saison plus sèche, nous avons permis l'apport d'eau sur les champs pour pouvoir cultiver des légumes tels que choux, oignons ,carottes, aubergines et tomates.'' 5) Quelle est votre position quant aux OGM comme étant une possible solution à la crise alimentaire dans les pays du Sud? -''Les OGM sont tout sauf la solution, ils créeraient plus de problèmes qu'ils n'apporteraient de solutions. Les paysans deviendraient dépendants des firmes internationales et ne seraient plus maîtres de leurs productions. Ils seraient donc sous le joug de ces grandes firmes avides d'argent qui ne se préoccupent aucunement des problèmes, catastrophes qu'elles déclenchent dans leurs courses folles à l'argent, telles que famines, conflits et terres détruites par cette culture de masse. De plus, on ne peut considérer les OGM comme une possible solution du fait qu'on ne connaît presque rien de ceux-ci. Pour tout vous dire, on joue avec le feu, ne sachant trop quoi l'on manipule. Pour le moment les résultats donnent clairement tort aux grandes firmes. Créés dans le but de diminuer le taux de pesticides à utiliser lors de la culture des produits, les OGM n'ont fait que rendre les nouvelles plantes plus résistantes aux traitements, obligeant les agriculteurs à utiliser aujourd'hui le triple voir le quintuple des doses de pesticides pour traiter leurs cultures qu'auparavant. On peut ajouter à ce sombre tableau, le fait que l'agriculteur rentrant dans le jeu des grandes firmes se voit asservi aux lois de la spéculation et du marché. La bourse régule les prix des aliments, cette si importante relation entre le client et le paysan que nous préconisons est alors rompue. -(Reto Sonderegger):'' Je rajouterai encore que l'on peut voir les ravages provoqués par cette politique qui favorise les OGM comme solutions miracles du côté de l'Argentine où j'ai résidé quelques années. On voit là-bas, les affres provoqués par l'agroalimentaire à base d'OGM. Des milliers de paysans ont été chassés de leurs terres car ils ont été jugés trop peu productifs, au profit de grandes firmes industrielles. Cette population rurale s'est donc trouvée à s'exiler en milieu urbain pour trouver du travail. Ces familles ont pour la plupart atterri dans les bidonvilles. Complètement démunies, elles ont recours à des structures mafieuses et aux cartels de la drogue pour s'en sortir. -'' Cet exemple illustre très bien les risques liés à cette solution miracle que serait les OGM. Comme je l'ai dit avant, ils apporteraient plus de problèmes que de solutions. Ils ne pourraient et je dis bien pourraient devenir une possible solution que si de un, ils devenaient propriété de l'Etat et non de grandes firmes internationales. De deux, il faudrait que l'on sache clairement ce que l'on manipule et non que l'on continue d'avancer dans l'ombre comme on le fait aujourd'hui. Donc pour le moment, ils ne représentent en aucun cas pour nous une solution viable à ce problème. Il serait préférable au contraire de promouvoir l'essor de la paysannerie pour user à bon escient des terres cultivables, pour en retirer un maximum de produits. 6) Finalement, quel bilan tirez-vous de vos divers projets menés en Afrique dans le cadre de solidarité Sud? -''Je suis très satisfait de pouvoir mener de tels projets. En ayant accompagné ces peuples, nous leur avons permis d'accroitre leur autonomie, en découle l'engrangement d'une très grande expérience. Expérience qui est désormais acquise et grâce à laquelle nos anciens et collaborateurs actuels peuvent gérer toutes sortes de situation en réagissant de manière adéquate. Il y a ainsi une très grande durabilité. Malheureusement, nos projets en Afrique pourraient toucher à leurs fins d'ici 5 ans. Car on peine à trouver des jeunes pour nous succéder qui seraient prêts à tenter l'aventure en Afrique sur le long terme. Ils sont plus intéressés par des séjours de quelques mois. En plus de ça, l'argent devient de plus en plus difficile à trouver. Sur un plan plus personnel, je n'en retire que du positif. Cette confrontation avec d'autres civilisations, cultures m'a permis de m'interroger sur beaucoup de choses. En effet, cela m'a permis de confronter nos sociétés à celles-ci et à me questionner sur notre mode de vie. Cette diversité m'a permis d'apporter un autre regard sur beaucoup de choses. Ma plus grande fierté reste celle d'avoir pu transmettre une expérience là-bas, pour permettre à nos collaborateurs locaux de continuer l'aventure sans nous. Merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview. Merci aussi à Simone pour le repas et café... Pavel, Sébastien et Stanis