1672 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
Exploiter une entreprise au Canada
Constantine A. Kyres*
ABSTRACT
Non-residents of Canada carry on a considerable volume of business
activities in Canada directly, through branch operations. Paragraph
2(3)(b) of the Income Tax Act provides that where a person who was not
resident in Canada for a taxation year “carried on a business in Canada”
at any time in the year or a previous year, income tax under part I of the
Act shall be paid upon his taxable income earned in Canada for the year.
Furthermore, a determination of carrying on business in Canada is in
most cases necessary in order that one may ascertain whether a
permanent establishment exists for the purposes of applying Canada’s
income tax conventions. The Act provides no indication, apart from a
deeming rule in section 253, of what constitutes “carrying on business in
Canada.” Consequently, one must seek guidance from the substantial
jurisprudence on this concept, both in Canada and in the United
Kingdom. The determination of “carrying on business in Canada” is a
question of fact. Its meaning therefore changes from one industry and
activity to another.
This articles analyzes the concept of “carrying on business in Canada”
as it has been defined in the Act and in the UK and Canadian
jurisprudence. The principles derived from this analysis are then applied
to various business activities. A detailed examination of the basic
components of the concept—namely, the definitions of “Canada,”
“business,” and “carrying on business”—is beyond the scope of this article.
PRÉCIS
Un nombre important de non-résidents du Canada exercent leurs activités
au Canada directement, par l’entremise de succursales. L’alinéa 2(3)b) de
la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit qu’une personne qui n’a pas résidé
au Canada durant une année d’imposition mais qui «a exploité une
entreprise au Canada» à tout moment durant cette même année ou
durant une année antérieure verra son revenu imposable, gagné au
Canada au cours de cette année, assujetti à l’impôt sur le revenu en vertu
de la Partie I de la Loi. Dans la plupart des cas, il est nécessaire d’établir
si une entreprise est exploitée au Canada pour déterminer s’il existe un
établissement stable aux fins des conventions fiscales conclues par le
1672 (1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
* De Byers Casgrain, à Montréal, et de McMillan Bull Casgrain, à l’échelle nationale
et internationale. L’auteur tient à remercier Me Jean M. Gagnon, membre de la même
étude, pour son aide lors de la rédaction de la version française de cet article.
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA 1673
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
Canada. Exception faite de la présomption figurant à l’article 253, la Loi
est silencieuse sur ce qui constitue «l’exploitation d’une entreprise au
Canada». Il est donc nécessaire de s’appuyer sur la jurisprudence
abondante ayant trait à cette notion, tant au Canada qu’au Royaume-Uni.
Le concept d’«exploitation d’une entreprise au Canada» demeure une
question de fait et son sens varie en fonction du type de secteur et
d’activité.
Cet article analyse la notion «d’exploitation d’une entreprise au
Canada», telle qu’elle est définie dans la Loi et la jurisprudence du
Canada et du Royaume-Uni. Les principes tirés de cette analyse sont
ensuite appliqués à différentes activités commerciales. En raison des
contraintes de longueur, l’article n’examine pas distinctement chacune
des composantes fondamentales de cette notion, à savoir, les définitions
des termes «Canada», «entreprise» et «exploitation d’une entreprise».
INTRODUCTION
Bien que, règle générale, les non-résidents du Canada1 oeuvrent dans
notre pays par l’intermédiaire de sociétés canadiennes, bon nombre
d’entre eux exercent leurs activités au Canada directement, par
l’entremise de succursales devenues très importantes dans l’économie
canadienne. À la fin de 1994, les investissements directs étrangers au
Canada s’élevaient à 148 milliards de dollars dont 7 pour cent, soit plus
de 10 milliards, se trouvait dans des succursales canadiennes2. Compte
tenu du fait que les entreprises contrôlées par des intérêts étrangers ont
réalisé 27,6 pour cent de tous les produits d’exploitation canadiens en
19923, il est raisonnable d’estimer que 7 pour cent des produits revenant
1Dans le présent ouvrage, «non-résident» désigne une personne, qu’il s’agisse d’une
personne physique ou morale, d’une fiducie ou d’une autre entité reconnue, qui ne
réside pas au Canada aux fins de l’impôt sur le revenu canadien.
2Statistique Canada, Canada’s International Investment Position, 1994, catalogue no
67-202. Dans cette publication, l’expression «investissements directs étrangers»
représenterait la valeur comptable, à un instant donné, des capitaux à long terme
possédés par les investisseurs directs étrangers de filiales, sociétés affiliées et
succursales au Canada, lesquelles sont désignées comme entreprises d’investissements
directs étrangers. L’importance et la nature de ces placements permettent à
l’investisseur, sur une période prolongée, d’influencer ou d’avoir une voix dans la
gestion de l’entreprise exploitée dans un pays autre que le sien. Ces investissements
sont normalement identifiés par la propriété d’au moins 10 pour cent de l’avoir des
entreprises d’investissements directs étrangers au Canada. Statistique Canada calcule
l’investissement direct étranger (ainsi que l’investissement direct étranger dans des
succursales canadiennes de sociétés étrangères) en ajoutant le montant net de
l’investissement direct étranger annuel au capital-actions émis et en circulation à la fin
de l’année précédente selon leur valeur comptable. La valeur au marché serait
considérablement plus élevée, étant donné que les investissements existent depuis
plusieurs années.
3Statistique Canada, Foreign Control in the Canadian Economy, 1989-92, catalogue
no 61-220.
1674 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
à des intérêts étrangers, soit environ 2 pour cent de tous les produits
d’exploitation canadiens, sont réalisés chaque année par des non-
résidents par l’entremise de succursales canadiennes.
L’alinéa 2(3)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu4 prévoit que toute
personne non résidante du Canada au cours d’une année d’imposition
qui «a exploité une entreprise au Canada» à tout moment au cours de
l’année en question ou d’une année antérieure verra son revenu
imposable gagné au Canada au cours de cette année assujetti à l’impôt
sur le revenu en vertu de la Partie I de la Loi5. Cette règle de base de
l’assujettissement à l’impôt sur le revenu canadien, qui s’est développée
au fil des interprétations judiciaires de la common law et des lois,
constitue un compromis, accepté dans le monde entier, entre deux
principes de fiscalité internationale reconnus : le droit d’un pays
d’imposer le revenu provenant des activités exercées à l’intérieur de ses
frontières et le droit d’un pays d’imposer le revenu total d’un
contribuable qui y réside, sans égard à la provenance du revenu.
Bien que les conventions fiscales conclues par le Canada stipulent
généralement que les profits d’une personne résidant dans un État sont
imposables dans un autre État seulement dans la mesure où ils sont
attribuables à un établissement stable situé dans cet autre État, la notion
d’«établissement stable» désigne habituellement à cette fin une
installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une société
exploite la totalité ou une partie de son entreprise6. En conséquence, la
question de savoir si une entreprise est exploitée au Canada ou non est
fondamentale pour déterminer s’il existe un établissement stable aux
fins des conventions fiscales.
La portée du présent ouvrage se limite à une analyse de la notion
d’«exploitation d’une entreprise au Canada», telle qu’elle est définie
dans la Loi et la jurisprudence du Canada et du Royaume-Uni.
Afin d’établir si un non-résident exploite une entreprise au Canada
de façon à ce qu’il soit assujetti à l’impôt sur le revenu canadien en
vertu de la Loi, il est nécessaire de déterminer si, d’une part, il
4LRC (1985), c. 1 (5esupp.), telle que subséquemment modifiée (ci-après la «Loi»
ou «LIR»). Sauf indication contraire, les renvois législatifs dans le présent ouvrage se
rapportent à la Loi.
5À cette fin, le sous-alinéa 115(1)a)(ii) et l’alinéa 115(1)c) prévoient que le «revenu
imposable» est calculé comme si le non-résident n’avait gagné aucun revenu ni subi
aucune perte, respectivement, autres que ceux provenant «d’une entreprise exploitée au
Canada». En raison de l’utilisation des termes «ou d’une année antérieure» à
l’alinéa 2(3)b), un non-résident est assujetti à l’impôt à l’égard de son revenu
d’entreprise de source canadienne, même si ce revenu n’est pas comptabilisé avant une
année au cours de laquelle il n’exploite plus d’entreprise au Canada ou est reporté à une
telle année.
6Voir, par exemple, Organisation de coopération et de développement économiques,
Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune (Paris : OCDE) (feuilles
mobiles), article 5(1), pour les dispositions relatives à l’évitement de la double
imposition. Le gouvernement canadien a négocié la plupart des conventions fiscales
conclues par le Canada en fonction de ce modèle.
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA 1675
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
«exploite une entreprise» et, d’autre part, s’il l’exploite «au Canada».
En d’autres termes, il doit y avoir une «entreprise» (par opposition à un
emploi ou à une activité passive donnant lieu à un revenu de biens ou à
des gains en capital)7, et l’entreprise doit être «exploitée» (de façon
habituelle ou systématique)8 et exploitée «au Canada» (à l’intérieur des
frontières du Canada et conformément à la législation et aux règles
jurisprudentielles qui y sont applicables)9. Ces deux conditions
7Selon la définition du paragraphe 248(1), le terme «entreprise» s’entend
généralement des professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque
genre que ce soit et, généralement, des projets comportant un risque ou des affaires de
caractère commercial, à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi. La portée de
la définition du terme «entreprise» fait distinction entre le revenu qui en provient et les
revenus d’autres sources traditionnelles, à savoir le revenu d’emploi, les gains en capital
et le revenu de biens. Pour des renseignements supplémentaires, voir John Durnford, «The
Distinction Between Income from Business and Income from Property, and the Concept of
Carrying On Business» (1991), vol. 39, no5 Revue fiscale canadienne 1131-1205.
8Avant de déterminer si un non-résident exploite une entreprise au Canada, il faut
d’abord établir s’il «exploite une entreprise». Bien que l’expression «exploiter une
entreprise» soit utilisée dans plusieurs des dispositions de la Loi, il est possible de
prétendre qu’elle constitue d’abord et avant tout un facteur de rattachement aux fins de
l’origine territoriale du revenu d’entreprise dans l’expression «exploiter une entreprise au
Canada». L’expression «revenu tiré d’une entreprise au Canada» est, au mieux, ambiguë
et la Loi parle plutôt d’une entreprise «exploitée» dans un endroit donné lorsqu’elle
cherche à préciser l’origine territoriale d’un revenu tiré d’une entreprise. Dans Tara
Exploration, infra, note 153, il a été décidé que les projets comportant un risque ou les
affaires à caractère commercial ne constituaient pas «l’exploitation d’une entreprise»,
parce qu’ils ne comportent pas de continuité temporelle ou d’activités. Cependant, cette
décision semble ne s’appliquer qu’à des opérations isolées qui ne font pas partie de
l’entreprise habituelle du contribuable. Dans les autres cas, il semble que les activités qui
constituent «une entreprise» soient considérées comme étant «exploitées» aux fins de la
Loi. Voir Durnford, supra, note 7, pour plus de renseignements.
9Pour qu’un non-résident soit présumé «exploiter une entreprise au Canada», il est
essentiel, à titre de condition préliminaire, que l’entreprise soit exploitée à l’intérieur
des limites territoriales du «Canada» aux fins de l’impôt sur le revenu canadien. Étant
donné que le bloc continental du Canada est précisément défini et ne fait l’objet d’aucun
différend, les questions relatives à la détermination des limites territoriales du «Canada»
à cette fin touchent surtout les entreprises qui exercent leurs activités le long du littoral
canadien. Ces questions sont partiellement résolues par l’extension de sens donnée à la
définition du terme «Canada» qui figure à l’article 255 selon laquelle, aux fins de la
Loi, le terme «Canada» vise et a toujours visé le fond et le sous-sol de la mer dans les
régions sous-marines contiguës au littoral du Canada (essentiellement le plateau
continental), relativement auxquels le gouvernement du Canada ou d’une province
accorde un droit, une licence ou un privilège portant sur l’exploration, le forage ou
l’extraction de minéraux, de pétrole, de gaz naturel ou de tout hydrocarbure connexe,
ainsi que les mers et l’espace aérien au-dessus des régions sous-marines précitées à
l’égard de toute activité poursuivie en rapport avec l’exploration ou l’exploitation de
gisements de minéraux, de pétrole, de gaz naturel ou d’hydrocarbures. Il peut
généralement être conclu que l’expression «au Canada», aux fins de l’impôt sur le
revenu canadien, signifie le bloc continental du Canada et les océans qui le bordent, y
compris l’espace aérien et le fond marin, jusqu’à douze milles marins du littoral du
Canada et jusqu’aux extrémités du plateau continental, mais seulement à l’égard des
activités dont il est question à l’article 255. Voir à ce sujet H. Heward Stikeman, éd. «In
Canada», Canada Tax Letter, no308 (Scarborough, Ont. : Carswell, 20 novembre 1979)
(page suivante s.v.p.)
1676 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
fondamentales ont été énoncées de la façon suivante dans la décision
britannique Werle v. Colquhoun : «Il s’agit d’une question de fait
comportant deux volets. Y a-t-il exploitation d’un commerce et, le cas
échéant, celui-ci est-il exploité en Angleterre 10 [TRADUCTION].
Exception faite de la règle déterminative figurant à l’article 253
(dont il est question ci-après), la Loi est silencieuse sur ce qui constitue
«l’exploitation d’une entreprise au Canada». Il est donc nécessaire de se
reporter aux principes qui se sont dégagés depuis plus d’un siècle de la
jurisprudence abondante ayant trait à cette notion, tant au Canada qu’au
Royaume-Uni.11
SENS DÉGAGÉ PAR LA COMMON LAW
Question de fait
L’emplacement territorial d’une entreprise est une question de fait qui
doit être résolue à l’étude de toutes les circonstances particulières à
chaque cas. Ce principe a été établi par la Cour d’appel de l’Angleterre
dans Erichsen v. Last :
[I]l serait d’une part pratiquement impossible et d’autre part tout à fait
imprudent d’essayer de formuler une définition exhaustive des critères
permettant d’établir qu’une entreprise est exploitée dans ce pays. La
seule chose que nous devons décider est la question de savoir si, compte
tenu des faits, il est possible de dire que cette société exploite une
entreprise qui réalise des profits dans ce pays12. [TRADUCTION]
Cette règle a été confirmée par la Chambre des Lords de l’Angleterre
dans Firestone Tyre & Rubber Co., Ltd. v. Lewellin (HM Inspector of
Taxes) :
et «In Canada—An Update», Canada Tax Letter, no314 (Scarborough, Ont. : Carswell,
10 mars 1989). Voir également la décision rendue dans Mersey Seafoods Limited c.
MRN, 85 DTC 731 (CCI).
10 (1888), 2 TC 402, à la p. 408 (CA), j. Esher. Les faits de la cause sont discutés
plus loin.
11 Il y a lieu de faire preuve de prudence dans l’utilisation de la jurisprudence du
Royaume-Uni sur cette notion. D’une part, l’article 253 LIR (expliqué ci-après), n’a pas
son pendant dans la législation du Royaume-Uni et s’éloigne sensiblement de la
jurisprudence dans ce domaine. D’autre part, les décisions anglaises rendues sur cette
question sont fondées sur des lois dont le libellé diffère quelque peu de celui utilisé dans
la Loi. Néanmoins, en raison de la similarité qui existe entre certains des termes utilisés
dans la Loi, à savoir, «entreprise» et «exploitation d’une entreprise au Canada», et ceux
de la U.K. Income Tax Act (ci-après la «Loi du R.-U.»), à savoir, «commerce» et
«exploiter un commerce au Royaume-Uni» respectivement, les décisions interprétant les
termes anglais peuvent aider à éclaircir la signification des termes canadiens
correspondants. Ainsi, dans Grainger and Son v. Gough (Surveyor of Taxes) (1896), 3 TC
462, à la p. 472 (CL), Lord Morris a déclaré que l’expression «exploiter un commerce»,
au sens de la Loi du R.-U., n’est ni plus ni moins qu’une autre façon d’exprimer
«exploiter une entreprise». Bien que cette analogie ne visait pas les dispositions fiscales
canadiennes, elle souligne la similarité des deux expressions et, partant, l’utilité, voire
l’autorité, des décisions britanniques dans le cadre de la présente analyse.
12 (1881), 4 TC 422, à la p. 425 (CA), j. Brett.
(… suite)
1 / 47 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !