Cahier 1
Pauvreté, précarité, exclusion.
Définitions et concepts
Christian LOISY
Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES)
Ministère de lemploi et de la solidarité
Chapitre 1
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Chapitre 1 Pauvreté, précarité, exclusion. Définitions et concepts
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Aucune définition de la pauvreté n’est universelle. Toutes
reposent sur des conventions que le simple dénombre-
ment des populations pauvres rend nécessaires. Par ailleurs,
la pauvreté de l’an 2000 n’est plus celle des années 70-80.
Que signifient aujourd’hui la pauvreté, la précarité, l’exclu-
sion ? Peut-on distinguer nettement ces trois concepts qui
ont de larges intersections ? Sur quels indicateurs se fonde-
t-on pour mesurer des notions aussi larges ? Qu’apportent-
ils en matière de connaissance de la pauvreté ?
Introduction
Selon le Conseil européen de décembre 1984, sont considérées comme
pauvres les personnes dont les ressources (matérielles, culturelles et
sociales) sont si faibles quelles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables
dans la société. Selon A. Sen1, « la pauvreté nest pas quune question de revenu. C'est
aussi être exclu des grandes décisions qui touchent à sa propre vie et ne plus être repré-
senté auprès des instances politiques locales ou nationales ». La pauvreté peut être per-
çue comme un manque de moyens empêchant les individus daccéder à un « standard
de niveau de vie minimum ». Il reste à préciser ce que lon entend par là.
Cette définition tente de prendre en compte le caractère multidimensionnel du
phénomène de pauvreté, caractère qui sest accentué avec l’émergence de ce quil est
convenu dappeler de nouvelles formes de pauvreté au cours des années 80 et 90. Ainsi
la pauvreté ne doit pas être exclusivement mesurée sous langle des ressources moné-
taires, mais aussi par lexistence ou laccumulation de handicaps qui reflètent aussi les
profondes évolutions du marché du travail. Un défaut de formation ou dadaptation
entraîne une faiblesse des ressources monétaires qui nest que la conséquence la plus
visible ou, en tout cas, la plus aisément mesurable par le statisticien. Les degrés de liber-
té laissés par cette définition sont très larges, tant sur la mesure du standard de niveau
de vie en question -quels sont les biens et services jugés nécessaires aujourdhui ? - que
sur le champ de sa mesure (région, pays). Derrière ces interrogations sur la référence on
voit poindre le débat sur les mesures de la pauvreté en absolu ou en relatif ainsi que les
questions que pose la fixation plus ou moins arbitraire des seuils de pauvreté.
La nature de la pauvreté a changé…
Définir les populations pauvres pour mieux les dénombrer nest pas la seule
difficulté. En effet, décrire la pauvreté à un instant donné ne suffit pas. Il convient
lorsque cela est possible den analyser les origines et les transformations.
Manifestement, au cours des vingt dernières années, la pauvreté a changé de visage,
ses causes sont multiples et ses symptômes variés. Elle touche des populations hété-
rogènes et changeantes au cours du temps. Même si ces phénomènes présentent une
grande inertie et des évolutions qui ne sont réellement visibles que sur longue pério-
de, les pauvres daujourdhui ne sont plus tout à fait identiques aux pauvres dil y a 20
ou 30 ans. A la pauvreté traditionnelle, rurale ou ouvrière, touchant plutôt les per-
sonnes âgées, sest substituée limage dune pauvreté urbaine ou périurbaine, tou-
chant de plus en plus les exclus du marché du travail, les jeunes ou les familles mono-
parentales. Ces modifications dans la nature de la pauvreté sont des conséquences
des évolutions démographiques et sociales : renouvellement des générations, aug-
1- Sen A, « Ethique et économie », PUF, 1987.
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mentation des divorces. Elles sont aussi dues aux évolutions économiques, celles en
particulier qui touchent au marché du travail : accroissement du chômage des jeunes
ou de longue durée, précarisation de lemploi, temps partiel subi avec lapparition des
travailleurs pauvres
... et les indicateurs pour la mesurer sont imparfaits
Cette complexité accrue de la pauvreté et la difficulté den dessiner nettement
les contours se retrouve naturellement dans la multiplicité des indicateurs que les statis-
ticiens produisent pour décrire le phénomène.
De fait, les indicateurs usuels, calculés à partir de données denquêtes pour la
plupart, ne se recoupent que très imparfaitement, reflétant la diversité de la pauvreté
mais contribuant aussi à en donner une vision floue. La définition des critères de pau-
vreté nest pas la seule difficulté, la description des populations concernées est égale-
ment rendue plus ardue pas l’émergence dune pauvreté à géométrie variable. Ainsi, lan-
crage dans la pauvreté peut être très différent dune situation à lautre : peut-on
confondre dans un même ensemble des situations dexclusion durables, des cas de
dépendance lourde vis à vis des minima sociaux et de quasi-impossibilité d’échapper à
cette situation et des phénomènes de précarité temporaire liés à des difficultés dinser-
tion sur le marché du travail en début de vie active et touchant des individus non dénués
datouts ? Il existe de toute évidence une hiérarchie de situations dont il nest pas tou-
jours aisé de rendre compte par un indicateur synthétique.
On présentera ici brièvement le débat sur la définition des notions de pauvreté,
de précarité et dexclusion. Le choix des indicateurs de pauvreté et ses enjeux essentiels
sont décrits ainsi que les principaux indicateurs retenus pour la France. En annexe figu-
rent les sources dinformation disponibles et leurs limites : les enquêtes généralistes ou
plus spécialisées réalisées par lINSEE, la Direction de la recherche, des études, de l’éva-
luation et des statistiques (DREES), la Direction de lanimation, de la recherche, des
études et des statistiques (DARES) et les données administratives des organismes ges-
tionnaires de certaines prestations sociales. Les données des associations daide aux
personnes en difficulté sociale nentrent pas dans ce champ. On se référera sur ce sujet
à la contribution de Pascal Noblet (voir chapitre 4 de ce cahier).
Chapitre 1 Pauvreté, précarité, exclusion. Définitions et concepts
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1. Les différents concepts de pauvreté
1.1 La pauvreté monétaire
Notion couramment utilisée, elle consiste à classer parmi les pauvres les
ménages ou les individus dont les ressources sont inférieures à un seuil
donné. La pauvreté y est abordée par linsuffisance de moyens financiers, comme cause
des mauvaises conditions de vie. La fixation du seuil et la définition des ressources repo-
sent sur des conventions quil est utile de préciser. Nous aborderons aussi le choix de la
période retenue ainsi que le choix des indicateurs statistiques.
La pauvreté absolue
Il existe deux façons de fixer le seuil qui renvoient à deux notions de pauvreté.
Dans une conception absolue, le seuil est un minimum de subsistance reflétant un bud-
get nécessaire à laccession à un standard de niveau de vie minimum obtenu par la
consommation dun ensemble de biens et services jugés indispensables. La mesure de la
pauvreté seffectue en deux étapes. La première consiste à calculer le seuil de pauvreté,
la seconde à mesurer les revenus des ménages. La fixation du seuil nécessite de définir
une liste de biens jugés indispensables (alimentation, logement, habillement) dont la
valeur constitue un budget minimum pour un type de famille donné. Dans la pratique, il
est difficile de recenser exhaustivement tous les biens nécessaires. Ainsi, une des
méthodes pour calculer le seuil de pauvreté repose sur lestimation des quantités alimen-
taires nécessaires à une famille type, elles-mêmes basées sur des considérations nutri-
tionnelles. On applique ensuite un coefficient multiplicateur à la valeur de ces biens, égal
à linverse du coefficient budgétaire moyen de lalimentation. Le seuil évolue ensuite
chaque année en fonction de lindice général du coût de la vie. Le seuil est donc absolu
en cela quil est fixé indépendamment de la distribution des ressources à un instant donné
dans la population. Il comporte toutefois une certaine dose de relativisme en raison de
deux facteurs. Dune part la détermination de la valeur des biens aux prix les plus bas fait
plus ou moins directement référence à une situation du marché identifiée dans le temps
et lespace. Dautre part, le coefficient multiplicateur appliqué au budget alimentaire est
calculé par rapport à la structure moyenne du budget des ménages mesuré par voie den-
quête. Il constitue en cela une caractéristique de la consommation à une époque donnée.
La seconde étape est la mesure des revenus. Indépendamment de la fixation
du seuil, la connaissance des ressources - dont disposent les ménages le plus souvent
par voie denquêtes - permet de dénombrer ceux qui se situent en dessous.
Cette approche nest pas dans la tradition française ni européenne de lanaly-
se de la pauvreté. Elle est en revanche utilisée depuis de nombreuses années aux Etats-
Unis par le Census Bureau, pour le calcul du taux officiel de pauvreté (cf. encadré n°1
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