Voir et éprouver la peinture de Pierre Blanchette dans le « désor-
dre»! Un peu comme on dit du tirage de la loto. Non pas que les no-
tions d’ordre et de désordre soient les thèmes de cette peinture;
analyser cependant cette peinture en fragments, comme le propose
cette exposition, n’est en fait qu’un moyen de renforcer sa cohé-
rence afin de mieux comprendre son évolution.
L’exposition tente de montrer comment les signes ou les figures qui
constituent cette peinture naissent, réapparaissent pour se distri-
buer en un mode inédit. Puisés par l’artiste, certains de ces signes
«tombent» d'un tableau à l'autre, selon les besoins de la construc-
tion de la toile et les injonctions de l'imaginaire.
Ces figures qui se recoupent, on peut les voir surgir et revenir. On
reconnaît en elles quelque chose vue ailleurs qui
se transforme, s’amalgamant à de nouveaux en-
sembles. Comme le ferait un lexique, l’exposition
cerne ce vocabulaire. Elle dresse une forme d’in-
ventaire de cette réserve. On peut ainsi mieux
identifier les signes à la base de cette peinture.
Ceux-ci en constituent, pour ainsi dire, l’ossature.
La présentation se veut le « guide » de ce qui, à
un moment ou un autre, a traversé la tête ou les
yeux de l’artiste alors que ces signes passent et re-
passent sur la toile. Constituant un lieu ouvert à
l’observation et au partage, l’exercice est dressé
afin de mieux comprendre une écriture, un phrasé
mais surtout afin de mieux évaluer comment s’ar-
ticulent les principes actifs de la peinture de Pierre
Blanchette.
Chevrons. Rayures. Faisceaux… Ces signes se lient
ou se délient, se montent et se démontent. On
pense à autant de matrices, aux thèmes d’une musique. Empruntant
au bris de discours, la méthode à la base de l'exposition ne veut en
aucun cas couper la mélodie de ces éléments constitutifs et de son
rythme en isolant ses composantes. Au contraire, elle vise à faire
tourner et se retourner les figures qui se redistribuent hors de leur
contexte habituel en s’agitant, se heurtant, s’apaisant. On pressent
le peintre au travail faisant évoluer ces figures, les brassant à nou-
veau, les réinventant sans cesse.
L'exposition le démontre. Carré. Cercle. Triangle. Séquence. Ces
« signes premiers », déjà présents dans l'art pariétal comme nous
l'ont appris les archéologues, se font le socle de la peinture de
Pierre Blanchette.
SIGNES
PIERRE BLANCHETTE
RENÉ VIAU
2002
Peinture Nº 552
Acrylique sur toile
200 x 200 cm
Avec notamment les peintures du Cycle Ispahan, (ill. 1980) Blan-
chette décide au départ d’explorer le carré. Le long des bandes, des
chevrons se succèdent sur un fond all-over. Un hiatus est introduit.
En rupture avec les dogmes alors en vigueur, le peintre crée avec
ces alignements de nouvelles icônes contrastantes. Grilles, quadril-
lés, tracés en peigne, structuration des aplats découpant la surface
en découlent. Idem pour le cercle qui amène les sphères, la spirale,
une profusion de mouvements giratoires. Le triangle rejoint l’an-
gulaire, les trouées en escalier, les chevrons, la diagonale. Alors que
les divisions et partitions, mais aussi l’alternance rythmée d’aplats
ou de traitement au lavis introduisent une forme de déroulement
cinématique, la séquence devient partie intégrante du quatuor
d’éléments perpétuellement transgressés, défaits, refaits et refor-
més sur lesquels se fonde la peinture de Blanchette.
Recyclantces mêmes caractéristiques, Blanchette se défend d’agir
de façon systématique ou de toujours s’appuyer sur des procédures
identiques. Ce qui est en cause serait davantage la distanciation
face aux méthodes de l’abstraction gestuelle à laquelle on l’a quel-
quefois, et à tort, associé. Mais en ne laissant rien au hasard, ces
opérations à partir d’éléments pré-établis ne cherchent pas non
plus à faire la démonstration par trop évidente d’un processus de
construction qui seul déterminerait le résultat final. Évitant de se
recroqueviller sur tout formalisme, et loin de toute répétition, le re-
cours à cet inventaire se double pour le peintre
d’une vigilance autocritique.
Ce dernier à chaque fois « casse » les écueils
de l’habitude. Jamais, ces formes qui revien-
nent ne se rechargent à nouveau des connota-
tions dont elles avaient été auparavant
débarrassées. Par ailleurs, si la succession des
cycles qu’elles induisent témoigne d’une grande
diversité formelle, elle n’est en rien la marque
d’une dispersion.
Cette approche indique que les tableaux de
Pierre Blanchette se construisent et s’affichent
en fonction d’une histoire de la peinture à la-
quelle le peintre appartient et sur laquelle il se
rattache tout en tentant à sa manière d’en in-
fluer le cours. Pas étonnant que l’on retrouve
chez lui, alliées à de multiples sources délibé-
rément extrapicturales, des références à des
peintres aussi différents que Ribera 1pour le baroque (ill. 1992) ou
Ucello 2.
Avec ces Signes, Pierre Blanchette nous rappelle que les formes
ne sont jamais peintes à partir de rien. Reprises sans cesse, elles
se teintent chez lui de désimprégnation pour ensuite devenir l'en-
jeu d'une réappropriation. On ne peut rendre un meilleur hommage
à la peinture, croit Pierre Blanchette, qu’en lui restituant, pour
mieux les subvertir, les éléments qu’elle a donnés.
1José Di Rebera, peintre espagnol, 1591 - 1652
2Paolo Ucello, peintre italien, 1397 - 1475
La Cueva de las Manos
(Grotte des mains), Argentine
Paléolithique supérieur,
13 000 ans