Sur les mécanismes déclencheurs des événements d`Heinrich

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Séminaire du LGGE
Vendredi 8 février, 11h
salle L. Lliboutry
“Sur les mécanismes déclencheurs des événements d’Heinrich”
Jorge Alvarez-Solas
Dpto. Física de la Tierra II, Universidad Complutense de Madrid. Spain
Durant la dernière époque glaciaire, le système climatique a connu des variations très brusques,
durant lesquelles les enregistrements climatiques montrent des variations de température dont
l’amplitude peut être aussi importante qu’entre les périodes glaciaires et interglaciaires. Les
épisodes de réchauffement abrupt (quelques décennies; événements DO) ont été mis en évidence
par Dansgaard et al. (1993) grâce à l'étude des carottes de glace de la calotte groenlandaise. Par
ailleurs, les carottes marines de l'Atlantique Nord présentent des dépôts de débris détritiques
apportés par des armadas d'icebergs dans tout l'Atlantique Nord (Heinrich, 1988). Ce sont les
événements d’Heinrich (HE).
Les événements DO correspondent (d'une façon stricte) à des réchauffements abrupts observés dans
les carottes de glace. Néanmoins, la notion de DO s'est étendue à la totalité du cycle climatique
associé. Ainsi chaque cycle DO est entendu comme un réchauffement brutal, suivi d'une phase de
refroidissement progressif puis d'un retour abrupt à des conditions chaudes. La phase froide (i.e.
avant le réchauffement brutal) est connue sous le nom de stadiaire et la phase chaude est dénommée
interstadiaire. Ces cycles se traduisent par 24 variations quasi-périodiques (dont la période varie
entre ~1500 et ~4500 ans) du climat depuis l'Eemien. Même si l'on suspecte l'existence d'un cycle
climatique d'une périodicité d'environ 1500 ans durant l'Holocène, les changements climatiques
abrupts associés aux événements de DO ne sont plus présents durant les 10 derniers milliers
d'années. Le climat glaciaire est donc plus instable que le climat interglaciaire. Ces passages
brusques d'un climat froid (stadiaire) à une courte période chaude (interstadiaire) semblent avoir
touché le système climatique dans son ensemble. On les retrouve, atténuées et en opposition de
phase, dans les glaces antarctiques. Compte tenu des échelles de temps mises en jeu, il semble que
ces événements fassent intervenir la circulation océanique. Cette implication est confirmée par les
enregistrements du rapport Pa-Th dans les sédiments marins qui sont interprétés comme des
indicateurs de l'activité de la circulation thermohaline. Néanmoins, à l'heure actuelle, nous ne
savons toujours pas si cette instabilité océanique constitue le moteur des événements de DansgaardOeschger, ou si au contraire l'océan répond à un forçage externe. Ainsi, même si le rôle primordial
de la circulation océanique semble indiscutable, le mécanisme exact qui ferait basculer le système
entre les périodes stadiaires et interstadiaires demeure largement débattu.
Les épisodes de dépôts d'IRD (par l'anglais Ice Rafted Debris) qui ont marqué les enregistrements
sédimentaires de l'océan Nord-Atlantique glaciaire (connus comme les événements d’Heinrich) sont
toujours particulièrement durs à comprendre. Ces événements sont attribués à un relargage massif
d'icebergs originaires des calottes polaires de l'hémisphère Nord, mais le mécanisme permettant le
développement de ces immenses flottes d'icebergs fait encore l'objet d'une controverse
passionnante. Six événements majeurs ont été identifiés et datés : depuis le plus ancien, le H6,
jusqu'au dernier, le H1, juste après le dernier maximum glaciaire. Toutefois, une augmentation de la
présence de débris glaciaires dans l'Atlantique Nord apparaît tous les 2000 à 3000 ans. Les IRD sont
particulièrement importants dans la ceinture de Ruddiman située entre 45 º et 55 º Nord. Ces débris
transportés par les icebergs s'accompagnent de conditions froides des eaux de surface. L'analyse de
la composition minéralogique des débris glaciaires montre une origine calcaire principalement
provenant de l'Est du Canada.
Les tentatives pour expliquer l'origine des événements d’Heinrich opposent deux hypothèses: l'une
serait uniquement associée aux propriétés glacio-dynamiques de la Laurentide (faisant intervenir
une instabilité interne pilotée par les effets couplés entre la dynamique de la glace et la production
de chaleur par la déformation et le glissement de ces couches de glace; théorie "classique", aussi
appéllée théorie du "binge-purge"). La seconde serait liée à un forçage océanique via l'interaction
entre les platesformes flottantes de glace et lez zones d'écoulement rapide de la calotte posée.
Grâce à sa relative simplicité, la théorie "classique" a été considérée valide pour expliquer les
événements d’Heinrich pendant le deux dernières décennies. Néanmoins elle se confronte
aujourd’hui à des problèmes très importants qui peuvent être résumés sur deux volets :
D'une part la dernière génération de modèles tridimensionnels de glace incluant une meilleure
représentation de la physique nécessaire pour traiter les fleuves de glace ne reproduit plus le
comportement oscillatoire nécéssaire pour engendrer les purges d'icebergs. D'une autre part, grâce à
une meilleur résolution temporelle des nouvelles données océaniques, on a pu constater que
l'interprétation de la réponse océanique aux événements de Heinrich dans le cadre du binge-purge
doit être mis en cause. En effet, celle-ci entendait la phase froide et l'affaiblissement de la
circulation océanique comme une simple réponse aux débâcles d'icebergs lors des HEs. Or, les
derniers travaux indiquent que la circulation commence à affaiblir ainsi que le refroidissement en
surface commence de l'ordre de 2 kans avant l'arrivée des événements de Heinrich. Ceci rompt avec
la causalité classique selon laquelle les événements de Heinrich créent eux mêmes la phase froide
qui les accompagne, puisque ceux-ci n'arrivent qu’une fois que la période stadiaire est déjà bien
établie et la circulation thermohaline dans l'Atlantique Nord déjà fortement perturbée.
Ce contexte invite à penser à des mécanismes physiques qui pourraient relier le comportement des
calottes polaires à la circulation océanique. L'élément principal qui sert d'interface entre l'océan et
la calotte posée, ce sont les plateformes flottantes de glace (ice shelf en anglais).
L'instabilité des ice shelves a inspiré ainsi plus récemment une explication différente des
événements de Heinrich. Le point clé de cette hypothèse réside sur le fait que seule la partie
flottante de la Laurentide est concernée. Ce serait une grande plateforme de glace flottante occupant
la mer du Labrador qui pourrait subitement devenir instable suite à un réchauffement atmosphérique
et provoquerait un vêlage massif d'icebergs responsables des événements d’Heinrich. La principale
difficulté de cette dernière théorie réside sur le fait qu'il reste irréaliste de concevoir un
réchauffement atmosphérique suffisamment important pour déstabiliser les plates-formes flottantes
de glace lors d'une phase stadiaire. La clé semble résider dans le réchauffement de subsurface qui
accompagne le passage en mode stadiaire. La diminution de la convection profonde en mer
nordique et du Labrador isole les couches de subsurface (entre 500 et 1200 mètres) qui pourrait se
réchauffer jusqu'à 4 degrés. Ceci entraînerait une augmentation de la fonte basale de l'ice shelf qui a
pour effet de réduire son épaisseur et éventuellement de favoriser un effondrement de toute la partie
flottante. En absence de l'effet d'arc-boutant que l'ice shelf du Labrador exerçait sur la calotte posée,
les fleuves de glace peuvent accélérer et génèrent une forte décharge d'icebergs qui constitue les
événements d’Heinrich.
En conclusion, l'idée d'un processus déclencheur des événements de Heinrich associé à la
circulation océanique a été suggéré qualitativement, puis simulé à l'aide d'un modèle conceptuel et
ensuite à l'aide des modèles plus sophistiqués de différente complexité. Ainsi, selon cette nouvelle
interprétation, les processus physiques responsables du déclenchement de la variabilité rapide
glaciaire qui se manifestent dans des composantes climatiques différentes (la circulation océanique,
pour les DO; et la cryosphère pour les Heinrich) seraient, en réalité, intimement reliés.
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