d’être. Considérer la philosophie comme des idées, et donc l’histoire de la philosophie
comme une histoire des idées, a ce désavantage non négligeable qu’il rend contingente
l’existence même des textes qui nous permettent l’étude de – et l’accès à – la
philosophie. Si la philosophie n’est qu’une combinaison d’idées, alors un résumé, une
réduction d’un texte à ses idées essentielles, pourrait prendre lieu et place du texte lui-
même. Mais pourquoi le philosophe ne l’a-t-il pas exprimée ainsi dès le départ, sa
philosophie ? Et s’il le fait, s’il réduit au maximum le texte pour n’en garder que les
idées essentielles, ce qui reste est toujours du texte. L’écriture « more geometrico » de
Spinoza semble être une réduction à l’extrême des développements textuels et elle fait
pourtant partie des écritures les plus particulières. Réduire un texte à de simples idées
est une perte d’un quelque chose qui transparaît, justement, uniquement dans le texte.
Ces quelques remarques n’ont évidemment pas valeur de preuves, mais constituent des
arguments pertinents et de bons indices en faveur d’une conception textuelle de la
philosophie3.
Une telle approche textuelle pourrait se rapprocher de l’approche herméneutique, telle
qu’elle a été élaborée par Ricoeur4 et Gadamer5 entre autres mais certaines divergences
subsistent néanmoins. L’herméneutique met en place une interprétation du texte ainsi
que tous les éléments nécessaires pour une telle interprétation. Elle prend donc comme
appui pour son interprétation le texte lui-même et c’est en ceci que l’herméneutique est
une approche textuelle des textes. Mais davantage qu’une interprétation d’un texte écrit,
l’approche que nous élaborons tente d’appréhender le mode de fonctionnement du texte,
c’est-à-dire son développement textuel. C’est derrière ce développement textuel que
l’auteur transparaît, plus précisément, le geste philosophique de l’auteur. Au cours de
3 Nous considérons donc la philosophie comme texte et non comme discours, comme le font Frédéric
Cossuta et Dominique Maingueneau (voir notamment les articles COSSUTA, Frédéric, « Discours
philosophique, discours littéraire : le même et l’autre ? », Rue Descartes, n°50, 2005, pp. 6-20 ;
MAINGUENEAU, Dominique, « Code langagier et scène d’énonciation philosophique », Rue Descartes,
n°50, 2005, pp. 22-33 ; MAINGUENEAU, Dominique, « L’énonciation philosophique comme institution
discursive », Langages, n°119, 1995, pp. 40-62). La raison est que cette distinction texte-discours ne nous
semble pas nécessaire pour notre projet et que notre notion de texte inclut leur notion de discours. Nous
ne désirons pas non plus reprendre leur distinction terminologique entre « discours constituants » et
« discours fondateurs » car elle ne nous semble pas pertinente pour notre analyse.
4 Voir RICOEUR, Paul, Le conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, 2013. Ce recueil
d’articles de Paul Ricoeur met en lien l’herméneutique avec d’autres disciplines telles que le
structuralisme ou la psychanalyse. Le chapitre « Existence et Herméneutique » (pp. 23-50) est
particulièrement éclairant sur ce qu’est l’herméneutique pour Ricoeur.
5 Voir GADAMER, Hans Georg, Vérité et méthodes. Les grandes lignes d’une herméneutique
philosophique, 1996.