La prophétie enlevée aux prophètes...
Les prophètes, valorisé par les uns, dévalorisés par les autres[1]
D'une part, chez les Juifs la Tora est complètement soustraite à toute dépendance de forces non naturelles :
prophétie inspirée par l'esprit de sainteté ou bat qol (voix céleste)... R. Isaac et Reish Laqish diront que tout
ce que prophétisent les prophètes, ils l'ont reçu du Sinaï. Et les prophètes ne sont venus qu'en raison du
péché, comme l'enseigne R. Ada b. R. Hanina :
« Si les israélites n'avaient pas péché, ils n'auraient reçu que les cinq livres de la Tora et le livre
de Josué qui décrit la distribution du pays d'Israël [entre les tribus]. »[2]
D'autres part, les auteurs des écrits apostoliques et les pères de l'Eglise fondèrent l'essentiel de leur
enseignement sur les passages des Prophètes, qu'ils considéraient comme leurs ancêtres spirituels.
A l'opposé, les Amoraïm [les sages juifs] élevèrent les sages et la Loi orale au niveau des Prophètes, et
même leur conférèrent la prééminence sur ces derniers. A la fin du III° siècle, R. Avdimi de Haifa déclare :
« Depuis la destruction du Temple, la prophétie fut enlevée aux prophètes et données aux
sages. » (Talmud de Babylone Bava Batra 12 a).
Le thème sous-jacent à cette opinion est transmis au début du IV° siècle au nom de R. Tanhum ben Hiyya :
« A quoi un prophète et un ancien sont-ils comparables ? A un roi qui envoie deux de ses
agents dans une province. Concernant le prophète, il écrit : « S'il ne vous montre par mon sceau
et mon cachet officiel, ne le croyez pas ! ». Concernant le sage, il écrit : « Bien qu'il ne puisse
produire mon sceau et mon cachet, croyez-le ! C'est pourquoi il est écrit du prophète : et te
propose un signe ou un prodige (Dt 13, 2) ; mais concernant l'autre ici : selon les instructions
qu'ils te donneront (Dt 17, 11)[3].
Pourtant, les prophètes et les hagiographes sont Torah[4]
[Cette façon juive de considérer les prophètes ne signifie pas qu'ils ne fassent pas partie des Ecrits révélés,
mais d'une manière fort différente que celle que les juifs devenus chrétiens considèreront:]
Elie lui-même n'offrit des sacrifices sur une hauteur qu'après avoir interprété un passage scripturaire et
non sous l'impulsion de l'inspiration divine[5].
C'est de cette façon que les Amoraïm considèrent que les prophètes et les hagiographes sont Tora.
[1]Ephraïm E. Urbach, Les sages d'Israël, Cerf, Paris 1996 (traduit de l'hébreu par Marie-José Jolivet.
Edition originale, Jérusalem 1979), p.318-319
[2]Talmud de Jérusalem Pe'a II, 6, la déclaration de R. Yohana et Talmud de Babylone Megilla 19b.
[3]Talmud de Jérusalem Avoda Zara II, 8, p. 41c. Talmud de Jérusalem Berakhot I, 7, p. 3b.
[4]Ephraïm E. Urbach, Les sages d'Israël, Cerf, Paris 1996 (traduit de l'hébreu par Marie-José Jolivet.
Edition originale, Jérusalem 1979), p. 319-320
[5]Midrash Agada Re'e § 9 ; voir Genèse Rabba LXXXII, 5, p. 981 et Tosafot Sanhedrin 89 b, au mot
Eliyahu.
Synthèse F. Breynaert
Chapitre : Le judaïsme après J-C, et après 70
La chute du Temple en 70, par Jacob Neusner (auteur juif)
La chute du Temple en l’an 70 (regard chrétien)
La prophétie enlevée aux prophètes...
L’opposition juive à la notion de péché originel
Hillel et l’école rabbinique de Yabné (Jamnia)
Ceux pour qui un Messie ne changerait rien
Le canon des écrits rabbiniques
1986 : le grand Rabbin de Rome Elia Toaff parle à Jean Paul II
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