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E
CONOMIE VERTE
:
DE LA THEORIE ECONOMIQUE
AUX CONCLUSIONS POLITIQUES
Par
Esther Finidori
, experte énergie et climat,
Marine Girar
*
,
Clélia Marty
**
,
Florian Mayneris
, économiste,
Agnès Michel
, consultante financière,
et
Pierre Musseau
, expert en politiques énergie-environnement
Le 14 octobre 2013
L’économie s’intéresse à l’allocation optimale des ressources rares. Jusquà cemment, nous ne
considérions pas que l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons ou les combustibles que nous
utilisons pour produire notre énergie entraient dans cette cagorie. Mais aujourd’hui, on connt et
on quantifie de mieux en mieux les risques que font peser nos activis de production et de
consommation sur l’environnement : concentration de gaz à effet de serre, perte de biodiversité,
consommation d’eau et de sols, cycle de l’azote et du phosphore, pollution chimique, amincissement
de la couche d’ozone. Chacun de ces enjeux peut conduire à définir des limites environnementales
qu’il ne faudrait pas dépasser sous peine de menacer la viabilité des esces naturelles et de
l’homme. De nombreux rapports, dont ceux du GIEC, vont dans le me sens et pointent la
cessité de concevoir un nouveau modèle de veloppement l’accroissement du bien-être et de
la richesse des individus serait compatible avec une baisse de nos consommations en ressources
environnementales et de notre empreinte énergétique - ce que l’on appelle parfois le couplage*.
Des économistes de tous bords, qu’ils soient néoclassiques, néokeynésiens ou de mouvements plus
critiques, s’emploient à apporter des solutions dans ce contexte d’urgence environnementale, mais
aussi de profonds bouleversements économiques.
Plusieurs auteurs ont ainsi montré que la transition écologique pouvait être un levier pour sortir de la
crise à laquelle nous sommes confrons : investissements générateurs d’emplois non délocalisables
*
Marine Girardé est le pseudonyme d’une économiste
**
Clélia Marty est le pseudonyme d’une fonctionnaire aux affaires européennes
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et invention d’un sysme économique respectueux de l’environnement, générateur de bien-être
durable pour les personnes (san, lien social, etc.).
D’autres économistes vont plus loin et remettent en cause les fondamentaux du modèle actuel,
invitant à repenser en me temps que ce modèle le « thermomètre économique » (la croissance du
PIB) et les redes qui y sont liés, pour concilier progrès économique, justice sociale et préservation
de l’environnement.
Malg certaines divergences entre les différentes réponses apportées, le recensement des travaux
les plus récents permet de mettre en évidence des enseignements qui font consensus. L’analyse des
controverses est aussi nécessaire afin de cerner les différentes options politiques possibles pour
mettre en œuvre la transition écologique.
L’analyse réalisée dans le cadre de la présente note conduit ainsi à retenir les enseignements
suivants :
Enseignement n°1
: la raréfaction des ressources naturelles, dès lors qu’elle se traduit par une
hausse du prix de ces ressources, conduit à des effets de substitution et à des changements
technologiques en faveur des « technologies vertes ». Toutefois, l’impact de l’utilisation de ces
ressources sur la pollution de l’environnement et l’alration de la résilience des écosystèmes reste
insuffisamment pris en compte pour duire sensiblement l'empreinte écologique de l'économie et la
maintenir en deçà de frontières naturelles soutenables. Une valeur de la pollution doit donc être fixée,
qui ne peut relever que dune cision politique infore par les travaux d’experts et gitimée par un
vrai bat démocratique.
Enseignement n°2
: la ponse aux enjeux écologiques nécessite la mise en place effective du
principe pollueur payeur, à travers des mesures du type fiscali écologique et/ou de quotas
environnementaux. Le coût de telles mesures pourra être réduit par l'investissement dans les
technologies vertes. L’innovation dans les technologies vertes deviendra elle-même plus rentable si
l’on rétablit la « vérité des prix », en ingrant les coûts environnementaux aux prix des biens et
services que nous consommons. L’impact sur l’innovation verte de la fiscalité écologique ou, de
façon non exclusive, de la politique industrielle, est amplifié par les effets d’entrnement à l’œuvre
dans ce domaine entre les entreprises et au sein de ces dernres.
Enseignement 3
: la mise en place d’une fiscaliécologique conduit à s’interroger sur l’utilisation
des recettes qui en coulent. Lconomie standard consire comme optimale la mise en place
d’une fiscalité écologique compensée pour les entreprises par un allègement de la fiscalité sur le
travail. anmoins, d'autres compromis sont possibles pour que la fiscaliécologique participe à la
restauration d’une fiscalité progressive, à condition de l’inscrire dans une réforme plus globale de la
fiscalité et du financement de la protection sociale.
Enseignement 4
: la conversion de l'économie traditionnelle vers l'économie verte mobilise des
secteurs intensifs en travail, modifie les compétences attendues dans la plupart des secteurs, mais
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remet aussi en cause la viabili économique d’un certain nombre d’activités. Un accompagnement
massif par des politiques de formation professionnelle et de reconversion est indispensable pour
réussir la transition écologique.
Enseignement n°5
: l’acs à des ressources financières de long terme est une contrainte forte de la
transition écologique qui pourrait être levée par des solutions multiples, dont l’orientation de la
création monétaire. Dans un contexte de frilosité des investisseurs privés et de faible rentabilides
investissements verts, l’orientation de la création motaire, grâce à l’apport de garanties par la
puissance publique, apparaît particulièrement pertinente pour drainer les financements publics et
pris vers la transition écologique, y compris vers des projets rentables à ts long terme seulement.
Enseignement 6
: il est cessaire de comprendre les limites de la théorie économique dans la
prise en compte des enjeux de la transition écologique, telles que la difficul à valoriser les
externalités positives et gatives, le choix du taux d’actualisation dans les analyses coûts-bénéfices,
l’absence d’indicateurs macroéconomiques adaptés pour mesurer le bien-être durable et les biais
dans la prise en compte des gains d’utilidans les modèles macroéconomiques. En ponse à ces
limites, il appartient aux décideurs politiques de proposer une vision de long terme. En particulier,
dans un monde incertain, ils doivent arbitrer entre court et long terme en matière d’enjeux
environnementaux, économiques et sociaux, à la lumière des connaissances appores par
l’ensemble des disciplines s’inressant à la question de la transition écologique.
D’ores et jà, deux conclusions fortes pourront être tirées sur deux des grands sujets de la
conférence environnementale :
Afin de préparer au mieux le débat parlementaire sur la future loi de transition énergétique, les
pouvoirs publics devront non seulement prendre leurs cisions à partir d’une évaluation partagée,
mais ils devront également s’assurer que les outils économiques utilis représentent au mieux les
enjeux auxquels ils souhaitent faire face, et notamment, ne donnent pas la priorité à une vision court-
termiste en utilisant une motarisation à travers un taux d’actualisation et une valeur du temps
éles.
L’économie circulaire, thème émergent de la seconde conférence environnementale, ne peut être
réduite au traitement des déchets, et doit prendre en compte tout le cycle de conception des produits
mais aussi son interaction avec les modes de production et de consommation. En intégrant les
impacts environnementaux mais aussi sociaux, elle peut ainsi contribuer à un véritable découplage
permettant dans le même temps la croissance du bien-être et lacroissance de nos impacts
environnementaux.
Ces premières conclusions clinent les enjeux généraux de l’économie verte. Le groupe économie
verte de Terra Nova s’emploiera à les détailler dans les prochains mois à travers plusieurs notes : sur
les attendus de l’Europe pour l’économie verte, le rôle des pouvoirs locaux, ainsi que des travaux
sectoriels sur les grandes filières économiques affectées par l’économie verte.
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Mardi 20 août 2013, huit mois seulement après le but de l’ane, nous avons atteint les limites
plataires annuelles : le « Global Overshoot Day », calculé par l’ONG Global Footprint Network, est
le jour où nos consommations de ressources naturelles passent la capacité de production et de
régénération annuelle des écosystèmes. Chaque année, le jour où notre empreinte écologique
passe les limites planétaires avance dans le calendrier, traduisant l’augmentation de la pression
exere par les hommes sur les ressources et les services écologiques fournis par la nature.
Notre développement économique se heurte à de nombreuses limites environnementales, tant en
termes de contraintes sur la quanti et la qualité des ressources naturelles (énergie, eau, matières
premres, etc.) que de capacité des écosystèmes à absorber les impacts gatifs rés par notre
activité économique (fragmentation des écosysmes et perte de biodiversité, changement
climatique, pollution de l’air et des sols, etc.). D’après ckstrom, nous avons déjà passé trois
limites planétaires : la perte de biodiversité, le changement climatique et les cycles d’azote, et nous
sommes prêts de franchir la limite du cycle du phosphore (cf. figure ci-dessous). D’autres limites
identifiées (charge des rosols dans l’atmosphère et pollution chimique) ne sont pas quantifiées, par
manque de connaissance des impacts de l’activité humaine sur les écosystèmes. Ce constat remet
en question la capaci de nos sysmes économique et politique à ingrer la protection des
ressources naturelles dans leur fonctionnement.
Les limites planétaires: Identification des limites intrinsèques et non négociables (source : Rockstrom et al., 2011).
La zone en vert marque les capacités écologiques que l’homme pourrait utiliser sans détruire le capital naturel de la
planète. Si les pressions (en orange) dépassent ce seuil, les limites planétaires sont franchies. A noter que la charge
des aérosols dans l’atmosphère et la pollution chimique ne sont pas quantifiées.
Face à ces limites,
l’économie verte
1
vise à réconcilier les enjeux énergétiques et
environnementaux avec les objectifs, parfois présentés comme antagoniques, de
développement économique et d’équité sociale
. L’économie verte prône une évolution de nos
1
Les définitions des termes indiqués par un astérisque sont données en annexe.
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modes de production et de consommation vers des solutions économes en ressources naturelles et
qui favorisent la silience des équilibres environnementaux, pour générer un bientre durable. Le
concept d’économie verte a été développé depuis quelques années, notamment par les
organisations internationales (OCDE, PNUE, OIT, Banque Mondiale), et a émis en exergue lors de
la conrence « Rio+20 » en 2012, sans pour autant déboucher sur une finition consensuelle : du
veloppement des technologies vertes à une transformation sociale profonde, les visions divergent.
De plus, les théories économiques et les outils de modélisation peinent à rendre pleinement compte
des limites environnementales, et différentes approches pour corriger cet angle mort coexistent.
La che des gouvernements n’est donc pas aisée.
Sur le modèle de Roosevelt, qui conçut une
politique de « New Deal » avant que la théorie keynésienne ne devienne une théorie
économique dominante, il appartient aujourd’hui aux décideurs politiques de proposer une
vision de long terme qui intègre les enjeux de l’économie verte. Pour les y aider, cette note
souligne certaines conclusions convergentes des différents travaux économiques sur les
enjeux environnementaux, qui doivent servir de base à l’action politique (voir partie 2). Elle
met également en avant certaines controverses de l’économie environnementale, qui
nécessitent l’arbitrage d’une vision politique (voir partie 3).
1 - COMMENT LES ECONOMISTES SE SONT INTERESSES A L’ECOLOGIE
La question environnementale traverse de nombreux champs des sciences économiques, des
courants les plus classiques à ceux,cents, qui pnent une approche plus interdisciplinaire.
Malthus est reconnu comme étant le premier économiste à avoir ingré la disponibilité de ressources
naturelles (la terre agricole) dans un modèle économique. Si ses prévisions de limites de croissance
de la population ont été menties par l’augmentation des rendements agricoles, Malthus a
cependant ouvert la voie à la prise en compte de facteurs de production autres que le capital et le
travail dans les modèles économiques (voir partie 2. 1).
Il faut attendre le 20
e
siècle pour que la science économique moderne commence à intégrer
les enjeux liés à l’environnement dans ses modèles
: Pigou (1920), Samuelson (1954) et Coase
(1960) à travers la définition des concepts d’externalité*, de biens publics*, de droits à polluer*, ont
notamment propo différents instruments pour pallier les défaillances des marchés. L’ensemble de
ces concepts sont au cœur de « l’économie de l’environnement », devenue depuis quelques
cennies une discipline à part entière de l’économie « mainstream ».
Certains travaux économiques sur l’environnement se construisent en interaction avec des
recherches d’autres disciplines des sciences environnementales. Ainsi, à la suite des travaux du
biologiste Garett Hardin (The Tragedy of the Commons, 1968) qui montrait comment l’acs libre à
une ressources limitée et très demandée ne ivitablement à sa surexploitation et finalement à sa
disparition, Elinor Ostrom (prix Nobel 2009) s’est attachée à montrer comment les collectivités ont pu
s’organiser pour gérer des écosystèmes de manière économiquement optimale sans conduire à leur
effondrement.
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