Questions pour un champion en anesthésie 93
ANESTHESIE ET MALADIE DE PARKINSON
J. Fusciardi, F. Lebrun, Département dAnesthésie-Réanimation Chirurgicale. CHU de
Poitiers.
INTRODUCTION
La maladie de Parkinson est fréquemment rencontrée dans le cadre chirurgical, chez
les patients âgés. La Lévodopa a constitué une étape importante en améliorant les signes
fonctionnels et en diminuant le risque intrinsèque de mortalité. L’introduction ancienne
des décarboxylases périphériques a simplifié la prise en charge anesthésique.
Les évolutions récentes concernent certains traitements, avec de potentielles
interactions médicamenteuses, ainsi que des interrogations physiopathologiques, deux
problèmes qui peuvent impliquer l’anesthésie. Sa prise en charge anesthésique pose
cependant peu de problèmes techniques. Les priorités sont préopératoires et concernent
le dépistage des malades à risques respiratoire et/ou circulatoire potentiels, et la
planification d’une continuité thérapeutique.
1. MALADIE DE PARKINSON
La prévalence de la maladie dans une population générale était estimée entre 59 et
187 pour 100 000 personnes en 1985 (rapporté par AM Severn [1]). Chez les personnes
âgées les signes de la maladie, ou d’un syndrome parkinsonien, sont beaucoup plus
fréquents. Leur recherche systématique dans une population nord-américaine de 65 ans
ou plus, a récemment établi une prévalence de 14,9 % de 65 à 74 ans, de 29,5 % entre 75
et 84 ans, et de 52,4 % pour les grands vieillards. La maladie entraîne un risque de surmortalité
de 2 par rapport à une population appariée [2]. Dans une étude coopérative européenne
récente [3] une prévalence moindre, de 2,3 % et 1,6 % respectivement pour les signes de
la série et pour la maladie, est retrouvée à partir de 65 ans. La recherche systématique
dans une population âgée montre donc qu’il s’agit d’une pathologie fréquente, et le plus
souvent d’ailleurs méconnue.
1.1. ASPECTS CLINIQUES
Les signes cardinaux : hypokinésie, rigidité extrapyramidale, tremblement au repos
et lors de mouvements à basse fréquence, sont diversement associés. Lhypokinésie porte
sur l’initiation du mouvement des muscles striés (bégaiement de la marche), mais aussi
sur les muscles de la phonation et de la déglutition, ainsi que sur les mouvements
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respiratoires thoraciques. L’ensemble de ces localisations peut aussi être concerné par
l’hypertonie et le tremblement. L’atteinte axiale (tremblement de la tête ou hypokinésie
cervicale) doit faire suspecter une atteinte pharyngo-laryngée associée.
Aux signes cardinaux s’associent des perturbations du système nerveux automes, tels
l’hypersalivation, l’hypotension orthostatique, anomalies de commande ventilatoire ; ainsi
que des perturbations de l’humeur, avec des formes associées ou des formes frontières
avec des maladies dégénératives caractérisées par une détérioration intellectuelle. Des
signes de démence sont retrouvés dans 27,7 % des cas [4]
1.2. PHYSIOPATHOLOGIE ET ETIOLOGIE
Les certitudes physiopathologiques portent essentiellement sur les lésions anatomo-
fonctionnelles, mais beaucoup dincertitudes demeurent quant aux mécanismes
neurobiochimiques et aux récepteurs cellulaires impliqués.
La dopamine est un neurotransmetteur du cerveau humain, qui est localisé pour 80 %
dans les noyaux gris centraux, essentiellement le striatum. L’aspect le mieux établi est
quexiste une déficience relative en dopamine dans le noyau caudé et le putamem
(striatum), ce qui créé un séquilibre entre le contrôle inhibiteur dopaminergique et le
contrôle excitateur cholinergique, qu’exercent les noyaux gris centraux sur la motricité
volontaire (Figure 1).
Leur déplétion en dopamine peut être créée par l’ablation expérimentale de la substancia
nigra, et la maladie est caractérisée par une dépigmentation progressive de la substancia
nigra associée à une accumulation d’inclusions éosinophiles (corps de Lévy) dans le
cytoplasme des cellules qui conservent encore une pigmentation. Les neurones intègres
ont un contenu en dopamine augmenté et le nombre de récepteurs post-synaptiques est
augmenté.
Figure 1 : Structures impliquées dans la maladie de Parkinson (coupe frontale par le
thalamus)
Aire 8, 9
Aire 5 préfontale
Corps calleux
Trigone
Thalamus
Capsule interne
Noyau sous
thalamique
Noyau rouge
Substancia nigra
Putamen
Pallidum
Zona inserta
Tête noyau
caudé Vent. Latéraux
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Les signes cliniques de la maladie n’apparaîtraient qu’après une déplétion cellulaire
de 70 à 80 % [5]. Il existe également une raréfaction des neurones nigro-striés qui est
corrélée avec l’évolution des symptômes de la maladie. Ces dernières notions indiquent
une installation progressive de la maladie avec une longue phase de latence. Sa cause
demeure en revanche inconnue. Les recherches épidémiologiques axées sur des facteurs
génétiques et/ou environnementaux (exposition toxique, régime carencé en antioxydants,
origine infectieuse, origine traumatique...) n’ont à ce jour abouti à aucune conclusion [5].
Une cause inconnue aboutit donc à la déplétion progressive en dopamine des neurones
qui relient la substancia nigra au striatum, voie dopaminergique qui régule les mouvements
générés par les voies motrices pyramidales, par l’intermédiaire de faisceaux ascendants
vers les aires corticales motrices et préfrontales (voir Figure).
Il existe cependant un modèle expérimental toxique de la maladie, qui fait appel au
MPTP (N-méthyl-4phényl-tétrahydroxypyridine), un composé utilisé pour les synthèses
organiques. Son injection aux primates reproduit la maladie, tant au plan clinique que
biochimique, avec effet favorable de la L-dopa [6]. Ce modèle de neurotoxicité a été
dévelopà la suite d’observations cliniques faites chez des toxicomanes et chez un
«chimiste» en Californie, où un Parkinson irréversible avait suivi l’exposition au MPTP,
produit annexe d’une pparation illégale de méridine [7]. Ce modèle a permis
notamment de découvrir que la neurotoxicité du MPTP était dépendante de l’activité de
l’enzyme MAO type B ; une action prophylactique était donc possible par un IMAO
sélectif. Ce produit a été effectivement utilisé en thérapeutique à partir de 1985. De même
l’incidence plus faible de la maladie chez les fumeurs a pu être attribuée à une inhibition
de la MAO type B par la combustion du tabac [1].
1.3. TRAITEMENTS
1.3.1. LE TRAITEMENT MEDICAMENTEUX A POUR BUT ESSENTIEL DE RESTAURER
LACTIVITE DOPAMINERGIQUE DANS LE STRIATUM.
La L-dopa reste le médicament de férence. Il s’agit du précurseur immédiat de la
dopamine, obtenue après action d’une décarboxylase cérébrale. Depuis le début des années
70 elle est associée à des inhibiteurs des décarboxylases systémiques (benserazide,
carbidopa) ce qui a amélioré sa tolérance hémodynamique et a permis une réduction des
doses (Modopar Sinemet). Elle est la plus puissante sur les signes cardinaux de la maladie
(akinésie, hypertonie), et prolonge la durée de vie des patients. Elle agit aussi sur d’autres
symptômes : anomalies de posture, initiation du mouvement, expression du faciès, parole,
micrographie, hypersialorrhée, troubles respiratoires. Parallement à l’amélioration
clinique le contenu en dopamine du striatum augmente, ce qui montre que les neurones
nigro striés restants gardent une capacité de stockage et une activité enzymatique [6].
Son utilisation est limitée cependant par l’apparition à court terme d’effets indésirables.
ll peut s’agir de signes de stimulation excessive (dyskinésies, nausées, psychose,
cauchemars). Il peut s’agir aussi d’une résistance acquise obligeant à majorer les doses.
C’est dans ce contexte que l’on observe des variations nycthérales brutales et contrastées
de l’activité, du tonus, et du tremblement (syndrome «on-off»).
Les agonistes dopaminergiques s’utilisent essentiellement soit à ce stade, soit au
début de la maladie pour réduire les doses de L dopa. Il s’agit soit de stimuler la libération
neuronale de dopamine (amptamine, amantadine), soit de bloquer son recaptage
présynaptique (amantadine), soit de bloquer son métabolisme par un inhibiteur sélectif
de la MAO type B, principale enzyme impliquée dans son métabolisme cérébral (Sélégiline
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ou Deprenyl). La bromocriptine, agoniste de la libération présynaptique et agoniste des
récepteurs D2, peut être prescrite par cures discontinues dans les situation de dyskinésie
ou de syndrome «on-off», pour réduire les doses de L-dopa, ou encore en but de
traitement [8].
La Sélégiline a été un temps considérée comme un traitement de première intention,
car retardant la date d’introduction de la dopathérapie. De plus il a été suggéré qu’elle
préviendrait des lésions dues à des radicaux libres libérés par le métabolisme oxidatif de
la L-dopa qui est l’une des hypothèses pour expliquer le syndrome «on-off». En fait cette
neuroprotection n’est pas établie, et récemment la Sélégine a été suspectée d’augmenter
la mortalité précoce des patients parkinsoniens. Ce débat n’est par tranché et ce produit
récent et très actif reste prescrit, surtout en association avec la L-dopa, ou en monothérapie
d’initiation de traitement chez les malades jeunes : 35 000 patients traités en France en
1996 [9].
Les médicaments anticholinergiques sont surtout efficaces sur le tremblement et
l’hypersialorrhée. Leurs effets secondaires généraux de type antimuscarinique et
l’apparition de la L-dopa associée aux inhibiteurs des décarboxylases périphériques les
ont fait ranger au chapitre des drogues d’appoint. Il faut signaler cependant que parmi
eux, certaines spécialités ont une forme injectable potentiellement utile en cas d’arrêt
postopératoire du transit (Cogentin, Akineton, Artane, Lepticur).
1.3.2 - LES AUTRES THERAPEUTIQUES
Des homogreffes de tissu cérébral fœtal ou des autogreffes d’une glande surrénale ont
été proposées [1], mais ne paraissent pas évaluées.
La chirurgie stéréotaxique qui porte sur la pallidum ou sur des voies striatothalamiques
au niveau du thalamus fait régulièrement lobjet de recherche réitérées et d’espoirs. Son
recours est occasionnel ; elle a pu cependant donner des résultats spectaculaires sur des
tremblements incoercibles.
2. RAPPORTS PHYSIOPATHOLOGIQUES ENTRE ANESTHESIE ET MALADIE
DE PARKINSON
2.1. RAPPORTS ENTRE SYSTEME OPIOIDE ET SYSTEME DOPAMINERGIQUE
2.1.1. LA RIGIDITE MUSCULAIRE
Les morphiniques IV peuvent induire une rigidité musculaire. Ceci a fait poser le
problème d’un rapport possible avec la rigidité extrapyramidale [1], et a fait craindre une
majoration possible de cette dernière lors de l’induction ou du réveil. La rigidité musculaire
induite par les morphiniques, a surtout fait l’objet de descriptions de difficultés de
ventilation au masque lors de l’anesthésie- analgésique utilisant les hautes doses de
fentanyl. Cependant si la rigidité est à la fois dose et vitesse d’injection dépendante, elle
survient aussi pour des doses faibles [10]. Sa survenue avec l’association fentanyl-
dropéridol (Innovar) a fait s’interroger sur le rôle du dropéridol, qui est un antagoniste
dopaminergique. Celui-ci pourrait induire une rigidité extrapyramidale. En fait un cas
clinique a rapporté des mouvements anormaux après dropéridol seul [11].
La rigidité induite par les morphiniques est abolie par la succinylcholine 3 mg et par
la naloxone 40 mcg. Lorigine anatomique de cette rigidiparaît inclure à la fois une
composante musculaire pariétale et une composante musculaire glottique. En effet, après
Innovar, la compliance thoraco-pulmonaire statique et la CRF sont abaissées, et ceci est
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réversible par la succinylcholine [12]. Récemment l’observation fibroscopique des cordes
vocales a montré que celles-ci étaient constamment fermées lors de la rigidité au sufentanil
[13]. Le mécanisme exact n’en est pas connu ; la stimulation des récepteurs µ1 qui résulte
en une augmentation de l’activité motrice efférente avec contraction musculaire et rigidité,
est suspectée [13]. L’activation d’autres récepteurs opioïdes (K1 et 1) peut atténuer
expérimentalement cette réponse [14].
2.1.2. INTERACTIONS
D’autres données expérimentales suggèrent quexistent des interactions communes
entre système opioïde et système dopaminergique. Chez le rat, de fortes doses de morphine
induisent une catalepsie. Celle-ci est diminuée par la naloxone, mais aussi par la L-Dopa
[15]. L’injection d’agoniste opioïde dans le striatum de rat produit une rigidité musculaire,
ce qui impliquerait le récepteur mu [1]. Pour Wand et coll [15] l’opioïde agirait en inhibant
la libération psynaptique de dopamine.
Le fait que le modèle expérimental au MPTP ait pour base la mépéridine est également
un argument indirect. Enfin le syndrome «on-off» de certains patients est traitable par la
naloxone à haute dose, en particulier la rigidité et la dyskinésie [16]. Finalement l’ensemble
de ces éléments suggèrent que les récepteurs morphiniques présents dans les noyaux gris
centraux modulent l’activité des neurones dopaminergiques. Il est donc possible que la
rigidité induite par les morphiniques soit une forme de syndrome parkinsonien
pharmacologiquement induit.
2.1.3. AUTRES AGENTS DE LANESTHESIE
D’autres agents de l’anesthésie, comme le N2O et la kétamine, sont concernés par les
récepteurs opioïdes et potentiellement par le phénomène de rigidité musculaire induit par
l’anesthésie. Le N2O peut précipiter la rigidité morphinique et latamine augmente le
tonus musculaire [1]. Le N2O pourrait agir sur les récepteurs opioïdes car il peut déplacer
de ses sites de fixation cérébraux la dihydromorphine marquée [17]. De plus, l’analgésie
induite par le N2O est antagonisable par de hautes doses de naloxone chez l’homme [18].
Des notions assez proches existent aussi pour la kétamine. Son action analgésique paraît
médiée pour partie par les récepteurs opioïdes [19]. Cependant, la naloxone n’inhibe que
partiellement son action [20] ; ce qui pourrait correspondre au fait que la kétamine agit
sur plusieurs types de récepteurs.
2.1.4. CONSEQUENCES CLINIQUES
Lensemble de ces données physiopathologiques n’ont d’intérêt qu’essentiellement
théorique car leurs conséquences pathologiques ne sont que potentielles. Lutilisation de
morphiniques, agonistes mu prédominants, avec du N2O ne parait pas déclencher pour
autant d’exacerbation dangereuse des symptômes chez les patients parkinsoniens. Peut-
être la prémédication reconduisant le traitement habituel est-elle en cause ? De la même
façon, la tamine peut-être utilisée : un cas clinique a même rapporson utilisation
avec O2/N2O, en ventilation spontanée sans intubation, chez un patient ayant une akinésie
extrême. Les auteurs ont même obserune régression des signes de la maladie lors de
l’anesthésie ! [21].
2.2. AGONISTES DOPAMINERGIQUES ET ANESTHESIE
Depuis l’association d’inhibiteurs des décarboxylases périphériques à la L-Dopa, le
problème de la stimulation sympathique systémique induite par la dopamine est devenu
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