CHAPITRE
XIV
LA STRUCTURE
Il nous paraît maintenant naturel de penser que la lumière
peut avoir de l'influence sur la structure interne des végétaux
depuis que nous savons combien est profonde son action sur
leurs fonctions et leur forme. Ce n'est cependant que par les
efforts accumulés des chercheurs que cette notion a acquis
droit de cité dans la science.
L'étude de la
dorsiventralité
, faite en tenant compte de la
structure, va nous permettre de mettre nettement en évidence
cette conception nouvelle de la variabilité de l'organisation
anal
omiquc
.
Dorsiventralité
anatomique. — L'existence d'une différen-
ciation de structure en rapport avec la présence d'une face
supérieure et d'une face inférieure se retrouve partout dans
les végétaux ; elle caractérise, en particulier, on peut presque
dire toutes les feuilles ; on l'observe quelquefois dans les
branches, et le
Thuya
en est un des exemples les plus ty-
piques.
Cas des branches.
Le cas de cette dernière plante
mérite d'être étudié avec soin, d'abord parce que c'est le plus
anciennement connu, ensuite parce qu'il fournit une preuve
décisive de l'action de la lumière sur la
dorsiventralité
,
preuve qui a -été donnée par M. Franck.
Les pousses dressées du
Thuya occidentales
sont à
plu
-
-sieurs faces
semblābles
.
Les branches horizontales ou obliques
,
ont
, au contraire, une bilatéralité très accusée
:
elles ont un
côté d'ombre et un côté de lumière qui se distinguent même
à première vue par la couleur. En coupe, elles sont
ellip
-
156
LUMIi;nE
tiT
tiques,
et le grand axe de
l'ellipse est
horizontal. Les
feuilles
sont, les unes, larges, placées à la face supérieure et inférieure
de la branche ; les autres, plus étroites, situées latéralement,
ayant une moitié appliquée sur la région supérieure, une
Fin. 58, 59 et 6o. —
Thuya.
C, branche horizontale vue par-dessus,
elle montre les moitiés supérieures des feuilles latérales et
la feuille médiane supérieure. — A et
B,
feuilles couvertes de
stomates seulement sur la moitié de leur surface. — La moitié
terminale de est dépourvue de stomates, parce qu'elle a com-
mencé
d
se développer quand la branche était dans sa position
normale et tournée vers le haut; la partie basilaire présente
au contraire
îles
stomates, parce qu'elle s'est développée depuis
que la branche est tordue et que la feuille est devenue inférieure;
les petits ronds traversés d'un diamètre figurent schématique-
ment les stomates. —
B,
aspect de l'épiderme d'une feuille qui
(
_;3
a commencé
ù
se développer d'abord sur le côté
ù
l'ombre et qui
achève sa croissance sur le côté au soleil.
^^.
moitié appliquée sur la région inférieure (fig. Go, C). La
dorsi-
ventralité
s'accuse par l'étude de l'ensemble du système com-
posé de la branche et des feuilles, considéré comme formant
un seul et même tout. Dans cet ensemble, ce qui est tourné
vers le bas (feuille inférieure et moitié inférieure des deux
feuilles latérales) est couvert de stomates ; tout ce qui est
tourné vers le haut (feuille supérieure et moitié supérieure
des feuilles latérales) est dépourvu de ces appareils.
LA STRUCTURE
157
Selon que la bilatéralité est plus ou moins accusée, les
différences entre les deux faces sont plus ou moins nettes : sur 4
les tiges verticales, elles disparaissent complètement ; sur les
branches horizontales, elles existent au maximum ; sur les
branches obliques, on observe des transitions entre les deux
structures précédentes, et l'on remarque alors que ces tran-
sitions sont en relation avec l'obliquité ou bien encore avec
l'angle d'incidence de la branche et du rayon lumineux.
Pour vérifier l'action de la lumière, M. Franck a placé un
certain nombre de branches dans une position renversée par
rapport
à
la source lumineuse, en les tordant sans les séparer
de la tige mère. Il a vu alors que la région qui était alors
tournée vers le haut prenait tous les caractères d'une face
supérieure et n'avait plus de stomates (fig. 58 et 59, A et B) .
Sans retourner la branche, il protégeait la face supérieure
contre la radiation solaire à l'aide d'un écran noir de faon
que la tige ne fût plus éclairée que par le bas. La face infé-
rieure produisait alors peu de stomates, tandis que la région
supérieure à l'ombre en avait beaucoup.
La bilatéralité paraît donc bien due dans ce cas à l'action
de la lumière.
Cas des feuilles. —
L'espèce précédente est une plante
particulièrement sensible à l'action de la lumière, quant à
l'épiderme et à sa structure ; cette sensibilité ne se manifeste
que rarement avec une pareille netteté.
L'expérience précédente conduirait à donner une explica-
tion de la structure bien connue de la plupart des feuilles des
plantes qui ont, comme l'on sait, un
épiderne
supérieur sans
stomates (É) et un épiderme inférieur à stomates nombreux.
La même' intervention de la lumière ferait comprendre
pourquoi les feuilles verticales (Laitues, Graminées) ont à peu
près autant de stomates sur les deux faces (2) ; pourquoi les
feuilles des Graminées qui s'enroulent en cylindre creux ont
toujours les stomates sur la face interne
(
Festuca
glauca
,
(i) Ou pourvu d'un petit nombre de stomates.
(2)
DUVAL
JOUVE
a vérifié ceci pour le
Psamma
arenaria
,
le
Spartiva
rersicolor
.
Les feuilles horizontales
d'Eucalyptus
ont surtout des stomates
en dessous; les feuilles verticales
eB
ont autant sur les deux faces
(
LECLEBC
DU SABLON).
É58
LUMIÈRE
ftg
.
G-i
), que celle-ci soit en réalité une face supérieure ou une
face inférieure (i).
Cependant il ne faut pas se hâter de conclure, car M. Du-
four, dans des expériences comparées résultant de cultures
f
aites
à l'ombre et à la lumière, n'a pas trouvé de faits
-
con-
firmant l'explication précédente. L'étude très soignée qu'il a
faite de cette question ne lui a pas révélé de différence appré-
ciable dans le mode de répartition des stomates sur les feuillu
comparables développées à l'ombre et au soleil ; sur ces der-
nières feuilles, il y a seulement une aug-
mentation du nombre des stomates en va-
leur absolue.
A quoi peut tenir l'antinomie si singu-
lière que- nous constatons entre les résul-
tats des expériences faites sur les feuilles
de plantes diverses et celle
que
nous ve-
nons de mentionner sur le
Thuya,
qui se
rapporte, il est vrai, à une branche bila-
térale, mais qui paraît s'accorder si bien
avec l'ensemble des observations signalées
Fie. 61.—
Feuille de
plus haut?
Fesluca
glauca
enrou
-
Une explication peut venir à l'esprit
:
lee
n'ayant de
sto
-
mates que sur la face
les plantes qui ont servi dans les
expe-
interne
.
riences
de M. Dufour sont fixées
hérédi
-
tairement
, et elles ne réagissent plus ac-
tuellement sous l'influence de la lumière. Il faudrait trouver
des espèces sensibles à cette action, et peut-être que des
plantes comme les Graminées ou des
Eucalyptus à feuilles
s'enroulant ou à feuilles verticales se prêteraient peut-être
mieux à des expériences de cette nature
(2).
Cette intervention de causes internes ou des facteurs
héré-
(i) Ce
fait constaté d'abord par M.
PFITZNEO
a été vérifié par M.
Dumas
.
(2)
Une autre
explicatioB
pourrait être également justifiée. M.
VESQUE
a fait l'expérience suivante : un
Ranunculus
sceleratus
est placé dans
un air sec et
à
la lumière, il présente surtout des stomates à la face
inférieure ; dans un air humide et à l'ombre, les stomates deviennent
plus nombreux sur la face supérieure. L'état hygrométrique aurait un
rôle prépondérant sur la répartition de ces appareils. M.
TSCHIRCI
, qui
a étudié la flore des pays secs, a montré que la sécheresse amène une
diminution du
Bombre
des stomates. Nous
verroBs
ailleurs quelle est
l'influence du milieu aquatique sur les stomates.
ß
Fm. 62 et 63. —
A, Alliant
ursinum
(Ail
des Ours); on voit que la nervure
médiane (le la feuille, qui est très
saillante, est tournée vers le haut,
puisque la feuille est retournée.
B,
Alstrcemeria
psitlacina
,
l'examen de
la figure permet de voir nettement la
torsion de la feuille qui se produit ii
la base.
LA STRUCTURE
159.
ditaires
peut être d'ailleurs prouvée dans certains cas. Un
certain nombre de feuilles se tordent pendant leur dévelop-
pement par suite de phéno-
mènes internes, qui sont assez
analogues aux phénomènes de
nutation, qui découlent de ce
que la croissance des régions su-
perficielles celle des parties pro-
fondes ne s'effectue pas avec la
même vitesse. Il résulte de cette
torsion du pétiole que l'épider-
me qui était supérieur devient
inférieur et inversement. Un
pareil renversement s'observe
pour
l'
Allium
ursinum
,
pour
l'
A
lstrcemeria
psillacina
(fig. 62
et 63), pour certaines Gra-
minées (É). Ce changement de
position est accompagné d'un
renversement dans la struc-
ture : la face supérieure, qui
est maintenant tournée vers le
sol, est couverte de stomates,
tandis que la face opposée re-
gardant le ciel n'en présente
aucun. Ce changement a pu
avoir autrefois une cause ex-
terne, peut-être l'action de la
lumière, mais ce n'est plus ce
facteur qui agit actuellement,
car le renversement de struc-
ture apparaît dans le bour-
geon, alors que la feuille
n'est pas encore éclairée. Ce
fait, constaté par M. Musset
sur l'Ail des Ours a été
étendu par M. Dufour à
l'
Alstrœmeria
psillacina
.
Ainsi donc, voilà un renversement de structure tout à fait
(t)
IRansctt
et M.
DUFOUB
se sont occupés de cette question.
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