critique. Selon Gilligan [1982], la morale ne peut être construite de façon
abstraite à partir de dilemmes moraux hypothétiques ou sur la base de
principes moraux universels. La simple énumération de principes ne permet
pas de comprendre les normes morales concrètes qui caractérisent la
société ou la communauté.
Dans de nombreuses disciplines, comme la sociologie (Paperman [2013]),
la philosophie (Pulcini [2013]), les sciences politiques (Tronto [2013]), le
management (Lawrence et Maitlis [2012]), l’éthique des affaires (Simola
[2012]), l’économie (Adams et Nelson [2009]), la psychologie (Molinier
[2013]) ou encore la géographie (Lawson [2007]), de nombreux travaux ont
permis de donner du corps et du sens à la notion de care. Au sein des
organisations et des entreprises, par exemple, l’éthique du care s’incarne
dans les pratiques narratives qui permettent aux équipes de confronter leurs
expériences, leurs oppositions ou leurs perspectives futures (Lawrence et
Maitlis [2012]). Pour les géographes (Lawson [2007]), le care fournit des
éléments conceptuels sur la nature des relations d’interdépendance, d’iné-
galité ou de pouvoir, qui séparent ou unissent des territoires. En psycholo-
gie, le care renouvelle les enjeux psychiques du travail en soulignant à la
fois les tensions entre les pourvoyeurs de care et les mécanismes d’empa-
thie chez les professionnels de la santé (Molinier [2013]).
Le care est devenu une éthique à part entière dont la sphère d’influence
s’étend aujourd’hui au-delà du champ académique. A la suite de la perspec-
tive donnée par Carol Gilligan [1982], la philosophe Joan Tronto prolonge,
dans les années quatre-vingt-dix, le concept de care dans le champ du
politique. Dans « Moral Boundaries. A Political Argument for an Ethic of
Care », Tronto [1993] dénonce les « frontières morales » qui conduisent à la
relégation du care au rang d’activités secondaires, tant au niveau politique
qu’éthique. Ces frontières morales désignent notamment (1) le cloisonne-
ment existant entre la sphère du politique et celle de la morale, (2) l’étroi-
tesse du « point de vue moral » donné par la philosophie rationaliste
contemporaine, symbolisée par l’exigence d’impartialité et de distance vis-
à-vis du sujet moral, et, enfin, (3) la séparation entre la sphère privée et la
sphère publique, qui conduit notamment à cantonner la morale des femmes
au domaine privé.
Quelles sont les principales caractéristiques de l’éthique du care au regard
de la théorie morale rationnelle ? La théorie du care introduit dans la théorie
morale (i) le domaine du sensible et des affects, (ii) elle met au centre de la
vie morale la relation entre des individus « ordinaires », (iii) elle renonce à
l’idéal d’autonomie et décrit la vulnérabilité constitutive de la personne, (iv)
elle constitue, davantage que les théories essentialistes, une théorie de la
pratique ou de l’action morale.
— (i) L’un des apports central de la théorie du care est de renouer avec la
philosophie morale écossaise du siècle des Lumières (Hutcheson [1725],
Hume [1740], Smith [1759]) qui porte une attention au rôle des « senti-
ments » dans la construction de la morale (Biziou [2000], Prinz [2006]). Dans
cette optique, « la forme morale fondamentale n’est pas le raisonnement
mais la perception » Le Goff [2012, p. 47]. Les théories du care ne défendent
cependant pas l’émotion contre la raison, mais dénoncent davantage l’illu-
sion d’une raison pure et abstraite. Le sentiment fait partie intrinsèquement
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Ethique du care et comportement pro-environnemental
REP 124 (2) mars-avril 2014
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