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font surtout sur commande“.6 La raison donnée par Floury pour ce fait est de nou-
veau d’ordre économique: le nombre limité de théâtres susceptibles de monter une
féerie fait que les auteurs ne veulent pas prendre le risque de travailler pour rien,
ce qu’ils peuvent faire pour quasiment tout autre genre scénique.7 L’écriture de la
pièce, ou plutôt du scénario (nous y reviendrons), relève apparemment dans la
plupart des cas d’un effort collectif. On procède par étapes, toujours prêt à modifier
le projet:
Les auteurs choisis, il faut trouver un sujet ralliant tous les suffrages et suivant lui aussi la
mode du moment; le scénario tracé, indiquant les grandes lignes, est lu au directeur, qui
donne ses indications, demande des remaniements. La pièce est écrite acte par acte; quel-
quefois au dernier moment, pour la mise en scène définitive, on a recours à l’expérience
d’un vieux routier du métier qui refond le tout et termine l’ouvrage [].8
Une féerie, autrement dit, n’est pas tant le fruit d’un travail créateur individuel –
même si l’on nomme généralement un auteur principal, parfois deux – que le pro-
duit de nombreuses discussions entre des spécialistes de l’écriture, la direction et
probablement des spécialistes de la machinerie théâtrale et de la mise en scène.
Une fois la trame de l’action établie, il faut, selon Floury, trouver ce qu’on ap-
pelle „les fins d’actes“, ou encore „en argot de coulisses, les clous à sensation
dont toute la presse vantera l’originalité, la nouveauté, la magnificence, etc.“9 Ces
moments forts du spectacle ont ainsi une position stratégique privilégiée dans la
dramaturgie de la pièce. Ils doivent non seulement émerveiller les spectateurs,
mais surtout impressionner les journalistes, car c’est à cause de leurs qualités qu’il
pourra y avoir un écho publicitaire fort dans la presse. Comme l’explique Floury,
en allant chercher de tels ‚clous‘, il faut compter avec des dépenses considérables:
Les directeurs n’hésiteront pas d’entreprendre des voyages à l’étranger et sans le secours
de bons génies, malheureusement, pour se rendre compte de visu, dans les théâtres de
leurs confrères de telle ou telle attraction recommandée par les correspondants, en Angle-
terre, par exemple, où l’art de la machinerie est poussé beaucoup plus loin que chez
nous.10
Pour de telles pièces à spectacle il y existe alors apparemment tout un réseau
international où circulent des informations sur les dernières innovations ainsi que
sur les artistes ou les numéros qui ont récemment fait sensation.
Du point de vue de la structure de la pièce, le nombre des clous est plus ou
moins fixe, car „une féerie qui se respecte doit avoir au moins trois clous: deux
moyens et un de première grandeur“, précise Floury.11 Les autres tableaux, ajoute-
t-il, que l’on appelle „tableaux d’attente“, permettent aux auteurs de laisser libre
cours à leur imagination. Au niveau de la structure de l’ensemble, ces tableaux
jouent tout de même un rôle important, car ils servent ainsi à rythmer le tout, à
préparer et à mettre en valeur les moments forts de la pièce, et de créer l’atmo-
sphère générale du monde fantastique et merveilleux dont ce type de spectacle a
besoin. Et, bien évidemment, pour la mise en scène il faut également mobiliser
tous les moyens techniques dont disposent les théâtres à l’époque, de la machine-