Le divorce de la pensée entre philosophie et science

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Exposé 3
Le divorce de la pensée entre
philosophie et science
12 décembre 2011
Introduction : Le problème de l’arc-en-ciel
Pour qu’un arc-en-ciel puisse être observé, il faut que trois conditions soient respectées : le soleil
ne doit pas être masqué par un nuage, il doit y avoir de la vapeur d’eau dans l’air et un observateur
doit être présent au milieu.
Si tout le monde est d’avis qu’en l’absence de soleil ou de vapeur d’eau, il n’y a pas d’arc-en-ciel,
par contre la discussion est serrée quand il s’agit de savoir si l’arc-en-ciel existe ou non en l’absence
d’observateur...
Ceci pose le problème de l’existence ou non du monde perçu par nos sens en l’absence de toute
pensée humaine pour l’observer. Science et philosophie vont s’opposer sur ce thème.
De la même façon que la douleur n’est pas dans le feu que nous touchons, le parfum de la rose
n’est pas dans la rose que nous respirons. Douleur et parfum existent-ils si nous n’y sommes pas ?
Kant ou la contre révolution ptolémaïque
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Le philosophe Emmanuel Kant va être à l’origine d’un renversement de tendance par rapport à
la position scientifique élaborée par Galilée puis par Descartes, en préconisant de remettre le sujet au
centre du processus de la connaissance. (*1)
La pensée aux origines
Parménide 515 - 450 av JC
Il est à l’origine de la notion d’Etre, seule voie pour accéder à la vérité par opposition aux
opinions qui sont confusion.
Être et pensée sont donc le même.
Il est impossible de penser autre chose que ce qui est …
Rien ne peut se transformer, tout ce qui existe a toujours existé, contrairement à ce que nos sens
nous indiquent.
Héraclite 540 - 480 av JC
Nos sens sont fiables, rien n’est éternel, tout se transforme.
L’être est éternellement en devenir.
La logique de la pensée ne peut atteindre l’épicentre de la philosophie.
Il existe une raison universelle.
Le précurseur
Copernic (1473-1543) Chanoine, médecin et astronome polonais
En 1515 : écrit un traité sur l’héliocentrisme qui ne sera publié qu’au XIX siècle.
En1530 : écrit un traité sur la révolution des sphères célestes publié en 1543.
À la thèse aristotélicienne du géocentrisme (la terre au centre de l’univers), il propose une thèse du
soleil au centre (héliocentrisme).
Cette thèse ne sera reconnue qu’au XVII siècle après les travaux de Newton. (*2)
Le disciple
Galilée (1564 – 1642)
Il est Physicien, il fonde les sciences mécaniques, il détermine la loi du mouvement
uniformément accéléré après expérimentation sur la chute des corps.
Il est le premier à penser le mouvement même en dégageant son invariant
Les corps et les mouvements deviennent descriptibles indépendamment de leurs qualités sensibles
(saveur, odeur, chaleur …)
La Science peut alors déployer une procédure de connaissance de ce qui peut être tandis que nous
ne sommes pas. La connaissance de la chose sans moi est possible.
Le livre de la nature est écrit en langage mathématique
Il est aussi Astronome
Il perfectionne la lunette astronomique, observe une nouvelle étoile...
Ses écrits sur la théorie Copernicienne sont censurés par l’Inquisition en 1616.
Il est condamné à prison à vie et à abjuration en 1633. (*2)
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L’apport spécifique de Galilée
La révolution Copernicienne avait apporté :
* L’excentrement astronomique,
* La terre n’est pas au centre d’un univers dont l’homme serait l’aboutissement.
La révolution Galiléenne apporte :
* La mathématisation de la nature,
* Les objets ont des propriétés indépendantes de notre relation à eux.
Il y a donc excentrement de la pensée par rapport au monde.
Il y a aussi apparition d’une capacité de la pensée à penser ce qu’il peut y avoir quand il n’y a pas de
pensée.
L’essor de la science
C’est Descartes (1596 – 1650) qui va amplifier la démarche avec pour devise : « Bien conduire sa
raison et chercher la vérité dans les sciences »
Mathématicien et Physicien
Discours de la méthode 1637 : l’Univers dans son ensemble est susceptible d’une interprétation
mathématique.
Il applique les méthodes de l’algèbre à la géométrie, définit les lois de la dynamique et de l’optique.
Il théorise puissamment la capacité de la science mathématisée à déployer un monde séparable de
l’homme.
Philosophe
Ce furent la controverse ptoléméo-copernicienne et le procès de Galilée (1633) qui orientèrent sa
carrière vers la philosophie.
Méditation sur la philosophie première 1641 :
Nécessité d’un fondement métaphysique pour la connaissance. Il établit l’existence d’un Absolu
premier : Dieu est parfait, l’existence étant une perfection, Dieu ne peut qu’exister (Un Absolu
inexistant serait contradictoire). Il en dérive la portée absolue des mathématiques (Absolu dérivé),
un Absolu parfait ne saurait être trompeur.
Les principes de la philosophie 1644 :
Il défend un dualisme de substance, la pensée et l’étendue.
Les qualités premières, propriétés inséparables de l’objet sont de l’ordre de l’étendue.
Les qualités secondes elles sont liées au rapport sensible entre le sujet vivant et l’objet. (*2)
L’apogée de la métaphysique dogmatique
C’est Leibniz (1646 – 1716) qui va porter cette pensée au plus haut.
C’est un mathématicien et philosophe allemand.
Il adosse la Métaphysique dogmatique :
- au Principe de raison : toute chose a une raison d’être ainsi plutôt qu’autrement.
- Il faut une raison capable d’être raison de toute chose y compris d’elle-même.
- An moins un étant absolu est absolument nécessaire à l’origine de toute chose. (*1)
Le grain de sable
C’est Hume (1711 – 1776) Philosophe, Historien Ecossais qui va gripper le mécanisme
métaphysique.
C’est un Empiriste : pour lui l’expérience est la seule source de nos connaissances, les idées ne
font que reproduire les impressions sensibles.
La relation de causalité : pour lui nous ne pouvons rien en connaître car nous ne percevons que
des évènements successifs, jamais une connexion causale. Il s’agit seulement d’habitudes de notre
système nerveux.
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L’induction : la stabilité des lois de la nature ne peut pas être établie par le fait que le futur
« doit ressembler au passé » ou que cela a toujours fonctionné avant et que cela fonctionnera par la
suite (Problème de Hume).
Cette stabilité des lois n’est pas démontrable, donc pas nécessaire et par conséquent contingente.
(*2)
La bifurcation
C’est Kant (1724 – 1804) Philosophe et Professeur, qui a vécu toute sa vie en Prusse à Königsberg qui
va la provoquer.
Avant lui la métaphysique est déchirée entre scepticisme (Hume) et dogmatisme (Platon, Leibniz).
Il refonde la Métaphysique autour des réflexions suivantes :
- La raison doit apprendre qu’elle ne peut en réalité connaître que des objets sensibles, les phénomènes
et pas les objets transcendant l’expérience (les absolus), les noumènes, l’en soi.
- Le sujet connaissant constitue les objets (sous forme de connaissance, équations, expérimentations) le
vrai « centre » de la connaissance est le sujet et non une réalité par rapport à laquelle nous serions
passifs.
Ce n'est donc plus l'objet qui oblige le sujet à se conformer à ses règles, c'est le sujet qui donne les
siennes à l'objet pour le connaître.
Il définit ainsi le modèle juste de ce qui constitue la connaissance scientifique.
Il rejette les critiques des empiristes contre la science (Hume), mais concède l’inaccessibilité des
absolus :
- Il existe bien une chose en soi (elle est possible, mais inconnaissable)
- La chose en soi est non contradictoire (elle est pensable)
Le rapport sujet - objet selon Kant
Pour les sophistes
L’homme est la mesure de toute chose
La connaissance n’est qu’une affaire
d’opinion
La représentation crée l’objet
Pour les platoniciens
Dieu est la mesure de toute chose
La vérité s’oppose à l’erreur
L’objet crée la représentation
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Pour Kant
Le concept ne crée pas l’objet, mais il permet d’en faire l’expérience
L’objet se règle sur la connaissance
Nous ne connaissons des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes
Il concède à Hume que tout provient de l’expérience
Il conserve la nécessité des lois de la Nature et leur formulation mathématique
Il expose que cette nécessité qui ne peut provenir de notre réception sensible, a pour source l’activité
constituante d’un sujet universel appelé le « sujet transcendantal ». (*1)
L’espace du corrélat
En concédant l’inaccessibilité des absolus, Kant limite strictement notre connaissance à notre relation au
monde, c’est-à-dire au cas particulier de l’expérience où la pensée et l’être coexistent, où ils sont en
corrélation (*1)
Le rapport de la pensée à l’être
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Il n’y a pas de pensée sans être, aussi être est pensée sont la même chose, selon les philosophies
modernes, ou bien la pensée est de l’être, mais n’est pas tout l’être, selon la science.
La catastrophe kantienne
La position adoptée par Kant est cohérente d’un point de vue philosophique, mais pas du point de
vue scientifique car le renoncement à la possibilité de connaître tout absolu, condamne la portée
absolue des mathématiques. (*1)
Science et Philosophie s’opposent
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La science prétend accéder aux qualités premières des choses grâce aux mathématiques,
mais la philosophie répond en faisant remarquer que le seul fait de penser une propriété de « l’en soi »
la révèle à notre pensée et donc au « pour nous »
Postulat du corrélationnisme
Les êtres humains ne peuvent exister sans le monde, ni le monde sans les humains.
Le cercle corrélationnel
Il est illégitime de prétendre pouvoir connaître l’en soi, ce qui invalide le principe de raison.
La pensée ne peut sortir d’elle-même au point de s’assurer que ce qui est impensable pour nous est
impossible en soi. Prétendre pouvoir sortir de soi-même pour s’emparer de l’en soi, c’est entrer dans
un cercle vicieux où l’on se contredit aussitôt.
Nous n’avons accès qu’à la corrélation de la pensée et de l’être.
La pensée ne peut accéder à un absolu (c’est-à-dire un être séparé de la pensée). (*1)
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Le corrélationisme jusqu’où ?
Philosophies contemporaines
Au-delà de la position de Kant pour qui la chose en soi est pensable mais inconnaissable, se sont
développées des philosophies pour lesquelles la chose en soi est impensable ou inexistante, on parle
alors de corrélationisme fort
. Ce qui est vide de sens n’est pas impossible, car l’en soi est impensable puisque nous n’avons
accès qu’au rapport sujet - objet, ce qui invalide le principe de non-contradiction.
. Il y a facticité des invariants, impossibilité d’établir si le principe de causalité, les formes de la
perception, les lois logiques … sont contingentes ou nécessaires.
. Toute forme d’absolu est disqualifiée, la pensée s’est ôté le droit à la critique de l’irrationnel. (Fin
des idéologies, retour du religieux)
. Être et pensée : doivent être conçus comme pouvant être tout autres, notre univers est de nature
chaotique.
Idéalisme transcendantal, phénoménologie :
- réduisent l’espace du corrélat à une époque de l’être, une communauté linguistique, une zone, un
sol, un habitat toujours plus restreints.
- dévoilent les naïvetés métaphysiques par un rabattement rigoureux de la connaissance sur la
situation présente de l’homme. (*1)
Le problème de l’ancestralité
Pour un corrélationiste, la pensée ne peut pas accéder à quelque chose d’autre que la corrélation de
la pensée et de l’être.
Elle ne peut donc accéder à un être séparé de la pensée, capable d’exister que nous existions ou
non, donc un énoncé portant sur une donnée du monde antérieure à toute forme humaine de
rapport au monde est invalide.
Cette conclusion est contraire au travail de la Science depuis Galilée, qui déploie une procédure de
connaissance de ce qui peut être tandis que nous ne sommes pas. (*1)
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Le pensable est-il possible ?
Ce qui est mathématiquement pensable est absolument possible. Compte tenu du fait que l’être
suscite constamment du nouvel étant, le champ du possible va bien au-delà du champ de l’être et
donc du champ du pensable.
Rédigé par Serge Naud
Références :
(*1) Quentin Meillassoux - Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence - Le Seuil –
2006
(*2) Wikipédia biographies
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