RDP n 315 CCNE

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ÉTHIQUE
Peut-on créer (et utiliser) du cuir à partir de la
peau d’Alexander McQueen ?
Le Monde du 20 juillet 2016 par Luc Vinogradoff
Pour son projet de fin d’études à l’école britannique de mode Central Saint Martins, Tina Gorjanc a
présenté des vêtements et des accessoires en cuir faits à partir de peau de cochon. Rien
d’extraordinaire, jusqu’à ce qu’on apprenne que ce n’était qu’une première étape. Elle voulait une
texture la plus ressemblante possible à la peau humaine (taches de rousseur, coups de soleil,
tatouages), car l’objectif final est de réaliser des sacs et des vestes à partir de la peau (recréée grâce
à l’ADN), du créateur de mode Alexander McQueen, mort en 2010.
Le projet est à l’état de théorie, mais il est techniquement possible et, apparemment, légal. En 1992,
McQueen lui-même avait incorporé ses propres cheveux dans sa première collection de fin
d’études. Tina Gorjanc veut récupérer ces mèches, en extraire le matériel génétique nécessaire et,
grâce à une culture cellulaire en laboratoire, en faire de la peau qui serait « tannée et transformée en
cuir humain, dans le but de l’utiliser pour des sacs, des vestes et des sacs à dos ». Elle a déposé une
demande de brevet pour les « échantillons d’information génétiques [de McQueen] comme base
pour une procédure qui aboutirait à créer du cuir fait de tissu humain dans un laboratoire ». Ce qui
veut dire qu’elle « deviendrait propriétaire de ce matériel, qui inclut l’information génétique
d’Alexander McQueen ».
Sauf que personne ne va s’habiller demain avec la peau d’un des plus grands créateurs de mode du
XXème siècle. Derrière la provocation (que McQueen aurait sûrement appréciée), les sacs humains
sont une façon « de pointer les manquements dans la protection de notre information biologique »,
dit Tina Gorjanc. « Une étudiante comme moi a pu déposer une demande de brevet pour du
matériel extrait de l’information biologique d’Alexander McQueen et il n’y avait aucune législation
pour m’en empêcher. Imaginons ce que de grandes entreprises, avec de grands budgets, vont
pouvoir faire dans le futur. »
« McQueen n’était pas, techniquement, propriétaire de ses propres cheveux »
En matière de bioéthique, la loi varie de pays en pays, mais semble, comme le suggère Tina
Gorjanc, un peu dépassée par la technologie. Par ailleurs, la déclaration universelle sur la bioéthique
et les droits de l’homme de l’Unesco de 2005 affirme que tout acte médical doit être fait « avec le
consentement préalable, libre et éclairé de la personne concernée ». Mais ne fait pas mention des
actes artistiques ou commerciaux.
 En France, le Comité consultatif national d’éthique a prononcé dès 1990 le principe de non
patrimonialité du corps humain, qui interdit tout commerce ou négoce du corps ou de ses produits.
Mais qu’en est-il des choses que l’on pourrait recréer avec vos organes ou vos cellules, comme avec
le cheveu de McQueen ?
En Grande-Bretagne, le Human Tissue Act de 2004 encadre l’utilisation du matériel génétique
humain dans la recherche médicale, mais ne dit rien de leur éventuelle utilisation commerciale.
Interrogé par Quartz, Jeff Skopek, spécialiste de loi et d’éthique médicale à l’université de
Cambridge, ajoute ceci, pour rendre la situation un peu plus anxiogène :

1
« La règle de base en Grande-Bretagne est qu’il n’y a aucun droit de possession en ce qui concerne
le tissu humain. Donc, McQueen n’était pas, techniquement, propriétaire de ses propres cheveux. »

Même chose aux Etats-Unis. Les cheveux que vous laissez derrière vous chez le coiffeur ne vous
appartiennent plus, même si, légalement, personne ne peut les ramasser et déposer un brevet pour
les posséder. Une histoire illustre d’ailleurs le flou de la loi. Dans les années 1970, un certain John
Moore subit une ablation de la rate après une leucémie. Il ignore que les docteurs garderont des
cellules de sa rate pour les étudier. Ils créent une lignée cellulaire, efficace dans le traitement contre
les cancers, qui leur rapportera beaucoup d’argent après avoir été breveté. Lorsqu’il apprend, une
décennie plus tard, que ces médecins se sont fait de l’argent sur ses cellules, Moore intente un
procès. La justice américaine le déboute : il n’a aucun droit sur un brevet qu’il n’a pas inventé,
même si ce qui a été breveté contient des parties de son ADN.
Les sacs en peau de McQueen, s’ils existent un jour, ne seront pas commercialisés, assure leur
créatrice. Ils auront leur place dans un musée ou une galerie, peut-être dans une exposition sur le
thème « La mode déborde les frontières de la science-fiction ». Elle peut être critiquée ou
ridiculisée, mais, pour Tina Gorjanc, cette approche « Frankenstein » de la mode est utile pour
comprendre un milieu qui a besoin d’aller toujours plus loin pour se réinventer : « La demande de
produits personnalisés, uniques et raréfiés ne cesse de grandir. Tout comme l’obsession de la
célébrité, sans même parler des avances biotechnologiques, qui pourraient changer la façon dont
on fabrique les vêtements et leurs tissus. »
La révolution Crispr-Cas9 testée en Chine
pour soigner le cancer du poumon
Huffington Post du 22 juillet 2016 par Grégory Rozières
Si les tests de nouvelles techniques dans la recherche contre le cancer sont réguliers, celui-ci
va être scruté de près. La revue Nature révèle ce jeudi 21 juillet que des chercheurs chinois
vont utiliser Crispr-Cas9, une technique révolutionnaire de modification génétique, sur des
patients atteints d'un cancer du poumon.
C'est la première fois que Crispr sera utilisé sur des humains adultes. Mais au fait, de quoi parle-ton ? D'une méthode, désignée découverte capitale de l'année 2015 par le magazine Science, qui
permet de réaliser des modifications de l'ADN de tout être vivant plus facilement que jamais. En
gros, c'est une enzyme programmée pour cibler un gène précis et le couper de l'ADN. Elle intéresse
de nombreux pans de la médecine et de la génétique (un chercheur veut même cloner des
mammouths grâce à elle). Ce que Lu You, oncologiste de l'université chinoise de Sichuan, va tester
avec son équipe, c'est de modifier les lymphocytes T des patients avec Crispr-Cas9. Ces cellules
sont les soldats de notre système immunitaire et sont censées attaquer les virus et les tumeurs.
Libérer notre défense de ses propres freins
Le problème, c'est que souvent, dans le cas de cancer, ces fameuses cellules T n'attaquent pas les
tumeurs, car elles n'arrivent pas à reconnaître en ces cellules malades des ennemis étrangers au
corps humain. Une grande partie des recherches actuelles contre le cancer cherchent donc à trouver
un moyen de forcer les lymphocytes T à attaquer les tumeurs. Ce que les chercheurs chinois vont
tenter de faire, c'est d'extraire du patient ces cellules de défense, puis d'utiliser Crispr-Cas9 pour
"couper" un gène bien particulier, appelé PD-1.
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Ce gène, normalement, va dire au lymphocyte T s'il a le feu vert pour attaquer une cellule. En le
mettant hors circuit, les scientifiques espèrent ainsi que le lymphocyte va pouvoir s'attaquer à la
tumeur. La cellule génétiquement modifiée sera ensuite multipliée in vitro, puis elles seront toutes
réinjectées dans le corps du patient.
Un test très encadré
Avant de réinjecter les cellules modifiées, celles-ci seront vérifiées par une société de
biotechnologie pour être certain que d'autres modifications impromptues n'ont pas eu lieu. Car si
Crispr-Cas9 est incroyablement plus précis que les précédentes méthodes de modification
génétique, il y a toujours un risque d'effets secondaires. De plus, précise Nature, seuls des patients
atteints d'un cancer du poumon avancé et pour lesquels les méthodes de traitements actuels ont
échoué pourront participer à ce test. Reste également la question des effets secondaires. En enlevant
leur inhibiteur aux lymphocytes T, n'y a-t-il pas un risque que celles-ci attaquent des cellules saines
? Interrogé à ce propos, Lei Deng, un des chercheurs de l'équipe, est plutôt confiant, car d'autres
méthodes (plus aléatoires et moins efficaces) ont été testées pour bloquer ces gènes. Or, le taux de
réponse auto-immune (les lymphocytes T attaquant les cellules saines) ne s'est pas révélé
significatifs. Les premiers essais, qui auront lieu en août, seront effectués sur une dizaine de
personnes, progressivement, afin de vérifier qu'il n'y a pas d'effets secondaires indésirables.
La Chine en avance (parfois trop)
L'hôpital où aura lieu cet essai clinique a approuvé éthiquement l'opération le 6 juillet. La Chine
n'est pas la seule à vouloir tester Crispr-Cas9 pour soigner les maladies, mais sera clairement la
première à le faire. Aux Etats-Unis, précise Nature, un essai similaire est en attente d'une
autorisation de la FDA, le gendarme américain de ce qui touche à la santé. L'autorisation pourrait
arriver d'ici la fin de l'année. Une start-up américaine spécialisée sur Crispr et financée par Bill
Gates souhaite également réaliser ses premiers essais sur un être humain pour venir à bout d'une
maladie rare touchant les yeux. Si cette fois, la Chine devance d'un cheveu les Etats-Unis, elle a
également été accusée d'utiliser trop facilement Crispr-Cas9. L'annonce d'embryons génétiquement
modifiés par des scientifiques chinois, en avril 2015, avait provoqué un tollé, même si les embryons
testés n'étaient, de base, pas viables. Mais mine de rien, moins d'un an après, la Grande-Bretagne
donnait l'autorisation à une équipe d'utiliser Crispr-Cas9 sur des embryons humains (à condition de
les détruire au bout de 14 jours).
Nous saurons sûrement dans quelques mois si cette technique est concluante pour lutter contre le
cancer. Une chose est sûre : dans ce domaine ou ailleurs, vous n'avez pas fini d'entendre parler de
Crispr-Cas9.
Après l’attentat, homélie « diabolique » ?
Mediapart du 29 juillet 2016 par Jean-Noël Cuénod
Pour une fois que votre Plouc parpaillot – d’ordinaire méfiant envers toutes les institutions
ecclésiastiques – avait dit du bien de l’Eglise romaine, le voilà puni…
Après l’assassinat du père Jacques Hamel à l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, les dirigeants du
catholicisme français avaient fait preuve de sang-froid, de hauteur de vue et de fermeté d’âme en
appelant à cette unité que, justement, les djihadistes veulent briser. Ils offraient ainsi un réconfortant
contraste à l’indécent spectacle des politiciens qui, obnubilés par la présidentielle de 2017, se sont
déchirés en de lamentables polémiques pour soirées Pastis.
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Mais voilà, l’homélie du cardinal André Vingt-Trois – prononcée mercredi lors de la messe à NotreDame de Paris en l’honneur du père Hamel –, nous a fait brusquement retomber sur terre. Opposant
au mariage homosexuel, l’archevêque de Paris n’a pas pu se retenir de fustiger : « Le silence des
élites devant les déviances des mœurs et la législation des déviances ». Même si elle est formulée
de chafouine manière, la pique visait clairement la loi qui a légalisé le mariage homosexuel.
Devant les protestations que ce bout d’homélie a suscitées, le diocèse de Paris a effectué un
rétropédalage très politicien : « En aucun cas, il (le cardinal) ne voulait cibler une mesure en
particulier, surtout pas le mariage pour les couples homosexuels. Il ciblait plutôt l’ensemble des
évolutions sur la bioéthique, la fin de vie, la gestation » (Le Huffington Post). Le cardinal VingtTrois ayant participé très activement aux « Manifs pour tous » qui combattaient le projet de loi sur
le mariage gay, on peut légitimement mettre en doute la bonne foi de cette explication.
Et quand bien même le cardinal aurait sincèrement voulu ne s’attaquer, comme le soutient son
diocèse, qu’à « l’ensemble des évolutions sur la bioéthique, la fin de vie, la gestation », ce n’était
vraiment pas le lieu ni le moment pour mettre sur l’autel les sujets qui séparent les citoyens. A
Notre-Dame, ces citoyens avaient besoin de se retrouver unis en mémoire du père Jacques Hamel,
de faire la paix avec les autres et eux-mêmes. Ils n’avaient nul besoin d’ouïr un prélat leur débiter la
doctrine de l’Eglise sur la bioéthique, doctrine qui n’est qu’un point de vue humain parmi d’autres.
Certes, comme n’importe quel citoyen, l’archevêque de Paris a le droit d’exprimer ses opinions
contre le mariage homosexuel et de promouvoir ce qu’il pense être juste en matière de bioéthique et
de fin de vie. Mais pas n’importe où, pas n’importe quand. Monseigneur Vingt-Trois a prononcé
des paroles de division au moment où il fallait faire l’unité. Dans la mesure où l’étymologie du mot
diable en grec – « diabolein » – signifie « qui divise, qui sépare », ce bout d’homélie ne serait-il pas
quelque peu « diabolique » ? Un diable dont on sait qu’il niche dans les détails. En tout cas, avant
de prononcer ses paroles, le cardinal aurait dû se rappeler deux versets de Qohelet (Ecclésiaste), III1 et III-7 : Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux (…); un temps pour
déchirer, et un temps pour coudre, un temps pour se taire et un temps pour parler.
GPA : Décision controversée au Québec
autorisant l'adoption de jumelles par un
couple homosexuel
La Presse.ca du 28 juillet 2016 par Isabelle Mathieu
Un couple homosexuel québécois, Jacques et Louis, s'est rendu en Inde pour passer un contrat avec
une mère porteuse, en dépit du Code Civil canadien qui condamne tout contrat où une femme
s'engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d'autrui en échange de rétribution. Un tel
contrat est considéré comme « nul de nullité absolue ». Deux jumelles sont nées après insémination
avec le don de sperme de Jacques, le père biologique. Après la naissance, la mère porteuse signe
« une déclaration assermentée, dans laquelle elle mentionne qu’elle remet les deux petites filles à
leur père biologique, et qu'elle n'a pas d'objection à ce qu'il quitte l'Inde avec les enfants (...) Plus
tard, elle affirmera être aussi en accord avec le fait que Louis adopte légalement les fillettes ».
En 2013, le couple entame les démarches pour que Louis puisse adopter légalement les deux petites
filles. Mais la procureure générale du Québec s'oppose à l'adoption, déclarant que Jacques et Louis
avaient délibérément contourné la loi québécoise, jugeant que « plusieurs clauses du contrat de
gestation sont abusives et contraires à nos principes juridiques et à l'ordre public».
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Elle ajoute que Jacques et Louis ont « porté atteinte à la dignité humaine, à l'instrumentalisation du
corps de la femme et à la marchandisation de l'enfant ».
Après trois ans de procédure, le juge Viviane Primeau, de la Cour du Québec, chambre de la
jeunesse*, en a jugé autrement. Elle convient qu'on peut « s'interroger sur l'aspect moral et éthique
du commerce entourant les contrats de gestation en Inde », mais qu'il ne lui appartient pas de
sanctionner la conduite des parties. Dans l’intérêt des fillettes, elle accorde leur placement auprès du
couple en vue d’une adoption légale. Elle estime que « le débat entourant la question des mères
porteuses ne doit pas se faire aux dépens des enfants ici concernées ». Le juge Primeau souligne
également « qu'il serait souhaitable que le législateur clarifie les règles en matière de filiation des
enfants nés d'une procréation assistée ».
*La Cour du Québec, chambre de la jeunesse, est un tribunal de première instance dont la
décision est susceptible d'appel si le procureur général du Québec en décide ainsi.
Soupçon de GPA à l’étranger : le Quai
d’Orsay condamné
Libération du 4 août 2016
Depuis début juillet, Valérie*, une quadragénaire française, attendait de pouvoir quitter l’Arménie
avec son fils d’à peine plus d’un mois. Mais le consulat français refusait de délivrer un laissezpasser pour l’enfant. Les diplomates soupçonnaient qu’il soit né d’une gestation pour autrui (GPA),
interdite en France. Le Conseil d’Etat a tranché mercredi et appelé le ministère des Affaires
étrangères à délivrer à titre provisoire tout document de voyage permettant à l’enfant de rejoindre la
France avec sa mère, dans un délai de sept jours à compter de cette décision. Le Quai d’Orsay devra
également verser 3 000 euros à Valérie au titre des frais de justice.
« Lorsqu’elle s’est rendue au consulat d’Erevan début juillet, Valérie a présenté l’acte de naissance
de son fils, établi dans les règles par les autorités arméniennes, et sur lequel est inscrit son nom en
tant que mère, raconte maître Caroline Mecary, l’une de ses avocates. Mais les fonctionnaires du
consulat ont alors fait des histoires, et posé tout un tas de questions sur sa vie privée ou sur son
accouchement. » Le 19 juillet, le consulat fait savoir qu’il ne peut délivrer de laissez-passer.
« Valérie ne peut rester plus de 180 jours sur le sol arménien. […] Si elle ne repart pas avec son
fils, personne d’autre sur place ne pourra s’occuper de lui et elle devra le confier à un orphelinat »,
expliquait alors son avocate. Le 26 juillet, le tribunal administratif de Paris condamne une première
fois le ministère des Affaires étrangères. Celui-ci contre-attaque et porte l’affaire devant le Conseil
d’Etat.
Pour Alexandre Urwicz, le président de l’Association des familles homoparentales (AFDH),
habituée des obstacles administratifs de ce type, le cas de Valérie illustre parfaitement « l’impasse
juridique » dans laquelle la France se trouve : condamnée à deux reprises par la Cour européenne
des droits de l’homme pour son refus de transcrire à l’état civil les actes de naissance des enfants
nés par GPA à l’étranger, mais refusant de bouger, préférant « bafouer le droit par manque de
courage et absence de volonté politique ».
*Le prénom a été changé.
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Enfant né à l’étranger et autorisation d’entrer
sur le territoire
Décision contentieuse du Conseil d’Etat du 3 août 2016
Le Conseil d’État ordonne au ministre des affaires étrangères de laisser rentrer sur le
territoire un enfant né en Arménie, quand bien même sa naissance résulterait d’une
convention de gestation pour autrui.
Mme A., ressortissante française, a demandé à l’ambassade de France en Arménie un laissez-passer
consulaire pour lui permettre de regagner le territoire français en compagnie d’un enfant, né en
Arménie le 24 juin 2016, et dont l’acte de naissance, établi par le service d’état-civil arménien,
indiquait qu’elle était sa mère. L’ambassade a refusé de délivrer le laissez-passer consulaire après
avoir estimé que cette naissance résultait d’une convention de gestation pour autrui et que, dès lors,
Mme A. ne pouvait être regardée comme mère de l’enfant. Mme A. a alors saisi le juge des référés
du tribunal administratif de Paris, par la procédure d’urgence dite du référé-liberté, pour qu’il
ordonne la délivrance d’un document de voyage permettant l’entrée de l’enfant sur le territoire
français. Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a ordonné la délivrance d’un laissezpasser consulaire par une ordonnance du 26 juillet 2016. Le ministre a fait appel de cette
ordonnance devant le Conseil d’État.
La procédure du référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative,
permet au juge d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes les mesures nécessaires à
la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté une atteinte
grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation
d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures. Le juge des référés du
Conseil d’État a d’abord constaté l’existence d’une telle situation d’urgence, dès lors que la
requérante doit pouvoir revenir en France dans les plus brefs délais pour y exercer sa profession
libérale et que son départ d’Arménie y laisserait l’enfant, âgé de six semaines, sans personne pour
en assumer la charge.
Les parties s’opposent sur la nationalité française de l’enfant. Or, en principe, un laissez-passer
consulaire est délivré à une personne démunie de titre de voyage après vérification de sa nationalité
française. Dans ces conditions, le juge des référés du Conseil d’État a estimé que le litige soulevait
une question sérieuse de nationalité qu’il n’appartient pas au juge administratif de trancher. Il a
donc infirmé, sur ce point, l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris et a
statué sans se prononcer sur la nationalité de l’enfant. Pour ce faire, il a rappelé que l’administration
a toujours l’obligation, en vertu de l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant,
d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les
concernant. La circonstance que la conception de cet enfant aurait pour origine un contrat de
gestation pour autrui entaché de nullité au regard de l’ordre public français est, à la supposer établie,
sans incidence sur cette obligation. En l’espèce, le juge des référés du Conseil d’État a relevé qu’il
résulte de l’acte de naissance arménien, dont l’administration ne conteste pas l’authenticité, que la
requérante exerce l’autorité parentale sur l’enfant né le 24 juin dernier dont elle assume seule la
charge. Il a réglé le litige au vu de cet élément de fait, sans se prononcer sur la question de la
nationalité de l’enfant, qui relève de la seule autorité judiciaire. Estimant que l’intérêt supérieur de
l’enfant impliquait, dans les circonstances particulières de l’espèce, de ne pas séparer l’enfant de la
requérante, le juge des référés du Conseil d’État a enjoint au ministre des affaires étrangères et du
développement international de délivrer, à titre provisoire, à l’enfant un document de voyage lui
permettant d’entrer sur le territoire national en compagnie de Mme A. La solution retenue réserve
donc entièrement la question de la filiation juridique entre la requérante et l’enfant ainsi que celle de
la nationalité de ce dernier.
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L’espèce humaine en pleine évolution ?
Libération du 8 août 2016 par Emmanuel Guillemain
d’Echon
L’homme sait aujourd’hui modifier ses propres gènes. Une évolution potentiellement
irréversible et qui pose d’importants problèmes éthiques.
L’homme serait-il sur le point de se rendre maître de sa propre évolution ? Le premier séquençage
du génome humain, en 2003, a pris treize ans et coûté 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, il suffit
de trois jours et de 1 000 dollars. Du coup, tout va très vite. En 2012, deux jeunes scientifiques, la
Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna, ont mis au point une
technique baptisée Crispr/Cas9 qui permet très simplement et très précisément de modifier - ou de
supprimer - un gène en manipulant directement l’ADN. Ce « scalpel à l’échelle moléculaire », à la
portée de « n’importe quelle personne avec des connaissances basiques en biologie », selon
Jennifer Doudna, coûte moins de 2 000 dollars. En d’autres termes, cette technique, à l’origine
envisagée à des fins thérapeutiques, pourrait servir à certains apprentis sorciers pour développer une
nouvelle espèce humaine, plus forte, plus résistante, avec des dents plus blanches. Car, en
manipulant les embryons, comme l’a fait une équipe chinoise en 2015, il devient possible de
transmettre à la descendance les changements génétiques.
« C’est un changement absolument radical de la condition humaine qui s’annonce », craint Hélène
Tordjman. Cette économiste, secrétaire de l’association Technologos, un groupement de citoyens et
de scientifiques technosceptiques, reproche aux transhumanistes de justifier, au nom d’une « vision
hygiéniste de la vie », des évolutions potentiellement irréversibles et qui posent de nombreux
risques moraux. Mais la nature n’a pas pour autant perdu tous ses droits. Les généticiens savent
bien que le physique comme le caractère d’un être humain dépendent autant de son environnement
et de son éducation que de son code génétique. Les évolutions de ce dernier étant particulièrement
complexes, on ne sait pas non plus dans quelle mesure ces changements seraient transmis à la
descendance. Enfin, s’il paraît dès aujourd’hui possible de modifier un gène responsable à lui seul
d’une pathologie, comme la maladie de Huntington ou la mucoviscidose, il sera beaucoup plus
compliqué d’influer sur la taille d’un individu, qui dépend de plus de 700 variations génétiques.
Mais le résultat est là : des techniques relevant de la science-fiction il y a encore vingt ans sont
désormais applicables, quelques années seulement après leur découverte. Et le rythme ne va pas
ralentir.
Zika : la Floride pourrait recourir aux
moustiques transgéniques
Pourquoi Docteur du 8 août 2016 par Anne-Laure Lebrun
Les autorités sanitaires fédérales américaines estiment que les moustiques OGM n'ont pas
d'impact sur l'environnement. La Floride pourrait donc bientôt organiser un lâcher.
Les moustiques génétiquement modifiés se présentent comme l’arme ultime contre le virus Zika ou son
cousin la dengue. Une arme qui n’aurait aucun impact environnemental si elle était utilisée en Floride,
selon un avis de l’agence américaine du médicament (FDA) rendu public ce vendredi. Cette décision
donne le feu vert à cet état du Sud-Est des Etats-Unis pour relâcher ces insectes dans la nature afin de
combattre l’avancée du virus Zika.
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Les experts de la FDA planchent sur le moustique OGM appelé OX513A développé par la société
Oxitec depuis des mois. L’objectif : « déterminer s’il est capable d’éradiquer la population de
moustiques Aedes aegypti implantée sur l’île Key Haven en Floride », explique la FDA. En mars
dernier, l’agence sanitaire avait déjà donné son accord de principe car elle considérait qu’il n’y avait pas
de risque d’allergie pour l’homme et les animaux. L’absence d’effet sur l’environnement restait encore à
examiner.
Réduire la population de moustiques sauvages
La fin de l’évaluation tombe à pic pour la Floride. En moins d’une semaine, 16 personnes ont été
infectées par le virus Zika à Miami. Ce sont les premiers cas autochtones signalés aux Etats-Unis. Un
foyer épidémique qui traduit l’échec des mesures de lutte anti-vectorielle, selon les autorités sanitaires
américaines. Les lâchers expérimentaux de moustiques Aedes aegytpi OX513A s’affichent comme une
alternative beaucoup plus efficace. Ces moustiques transgéniques sont des moustiques mâles
génétiquement modifiés pour donner naissance à une progéniture qui n’atteindra jamais l’âge de se
reproduire. Seuls les mâles – ceux qui ne piquent pas l’homme pour se nourrir d’un repas de sang – sont
relâchés afin qu’ils s’accouplent avec les femelles moustiques sauvages. Selon les expériences menées
dans les Iles Caïmans, au Panama, Brésil et Malaisie, cette technique permet de réduire de 90 % la
population de moustique sauvage capable de transmettre les virus en seulement 6 mois.
Risque de perturber un écosystème
Mais pour certains entomologistes, comme Anna-Bella Failloux, responsable de l’unité Arbovirus et
Insectes Vecteurs à l’Institut Pasteur, cette technique peut s’avérer dangereuse car elle bouleverserait un
écosystème. « Elle mène à une éradication du moustique ce qui signifie qu’une niche écologique sera
vacante, avait-elle expliqué à Pourquoi Docteur en janvier dernier. Elle pourrait être remplie par
d’autres moustiques, comme Aedes albopictus, le fameux moustique tigre. Ainsi, cette stratégie pourrait
être efficace si elle s’applique à plusieurs espèces, mais je ne suis pas sûre qu’elle le soit à long terme
». Une crainte partagée par de nombreux habitants de Key Haven, où les tests devraient se dérouler.
C’est d’ailleurs la population locale qui devrait avoir le dernier mot. En novembre prochain, un
référendum sera organisé. Les habitants pourront dire s’ils sont d’accord ou non que les moustiques
OGM soient relâchés dans leur quartier. Si les opposants gagnent, une autre île de l’archipel des Keys
devrait être désignée.
La société Oxitec a déjà reçu l’autorisation d’importer et tester ses moustiques OGM au Brésil, aux îles
Caïmans, Etats-Unis, France, Inde, Malaisie, Singapour et Vietnam.
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SOCIÉTÉ
Etat civil d’enfants nés par GPA : la France de
nouveau condamnée
Le Monde du 21 juillet 2016 par Gaëlle Dupont
La France a de nouveau été condamnée, jeudi 21 juillet, par la Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH), pour avoir refusé de transcrire à l’état civil les actes de naissance d’enfants nés à
l’étranger par gestation pour autrui. Elle se prononçait dans les dossiers Foulon et Bouvet, où des
hommes ont eu recours à des mères porteuses en Inde. La Cour estime que le refus de transcription
constitue une violation du droit au respect de la vie privée des enfants, garanti par l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme. Elle condamne l’Etat à verser 5 000 euros à chacun
des enfants concernés pour « dommage moral », et 15 000 euros à chaque famille au titre des frais
de procédure.
Les deux affaires étaient arrivées jusqu’à la Cour de cassation, qui avait estimé le 13 septembre
2013 que la naissance étant l’aboutissement d’une fraude à la loi, la GPA étant interdite en France,
le refus de transcrire l’état civil étranger était justifié. En novembre 2015, le gouvernement français
avait proposé des indemnisations de plus de 30 000 euros aux familles pour solder le contentieux,
que ces dernières avaient refusé. Les nouveaux arrêts de la CEDH, symboliquement importants, ne
sont pas surprenants. La Cour confirme la condamnation de juin 2014 dans les dossiers Mennesson
et Labassée, où les enfants sont nés par mère porteuse aux Etats-Unis. Tout en reconnaissant à la
France le droit d’interdire la GPA sur le territoire national, la CEDH avait affirmé que le refus de
transcription « porte atteinte à l’identité [des enfants] au sein de la société française » et avait
condamné la France au nom de leur intérêt supérieur. Les enfants concernés vivent en France avec
des papiers étrangers, ce qui pose des difficultés dans leur vie quotidienne. Leurs parents dénoncent
le fait qu’ils soient pénalisés du seul fait de leur mode de conception.
Au cas par cas
Cependant le gouvernement n’a donné aucune instruction après la condamnation de 2014 pour
faciliter les transcriptions, de peur de prêter le flanc aux opposants à la GPA. Ces derniers redoutent
que la reconnaissance par l’état civil n’ouvre une brèche dans l’interdiction française. Les élus
laissent donc les tribunaux trancher au cas par cas. « Les actes de naissance des jumelles
Mennesson ne sont toujours pas définitivement transcrits, relate Laurence Roques, l’avocate du
couple. Le tribunal refuse de reconnaître la mère d’intention. » Dans une GPA hétérosexuelle, la
mère d’intention est la femme qui a un projet d’enfant mais ne peut pas le porter pour des raisons de
santé (absence d’utérus par exemple). Il arrive qu’elle fournisse un ovocyte pour la conception, ou
que le couple fasse appel à une tierce personne, une donneuse d’ovocyte. Or en droit français, la
seule mère possible est la femme qui accouche… donc la mère porteuse.
34 transcriptions d’actes de naissance étrangers
Selon les données transmises par le gouvernement au Conseil de l’Europe, 34 transcriptions d’actes
de naissance étrangers ont eu lieu entre la condamnation de juin 2014 et le 1er janvier 2016. « Seules
certaines configurations fonctionnent, décrypte Alexandre Urwicz, président de l’Association des
familles homoparentales.
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Quand le père est seul sur l’acte de naissance, quand l’acte mentionne un père et une mère
porteuse ou quand il mentionne un couple d’hommes, dès lors que le père d’intention a adopté
l’enfant après sa naissance. » Il y a en revanche blocage quand un parent non biologique est
mentionné (mère d’intention ou père d’intention dans un couple homosexuel), ce qui est le cas par
exemple quand une GPA à lieu aux Etats-Unis.
« La filiation n’est pas une question biologique, affirme maître Caroline Mécary, conseil de
MM. Foulon et Bouvet. La transcription partielle [du seul parent biologique] n’est pas tenable au
regard du respect au droit à la vie privée et familiale. C’est une interprétation restrictive. »
Laurence Roques plaide également pour la prise en compte de la « réalité juridique » des actes de
naissance étrangers. Les arrêts du 21 juillet ne permettront pas de trancher ce débat, puisque les
actes de naissance en question mentionnent le père biologique et la mère porteuse.
Un tour de France pour la fin de vie
La Dépêche du 18 juillet 2016
Évoquer la fin de vie et les questions liées au sujet tabou de l'euthanasie, tel est le pari lancé par les
jeunes adhérents de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (Admd) dont le « bus de la
liberté » a stationné, hier après-midi, au square Charles-de-Gaulle à Toulouse. Un tour de France
pour faire écho à « la nouvelle loi sur la fin de vie qui a été promulguée en début d'année sans tenir
compte des souhaits des Français, qui sont très largement favorables à la légalisation de l'euthanasie
selon "l'avis citoyen" rendu public en décembre 2013 à la demande du Comité consultatif national
d'éthique », assure l'association.
« Le but de cette tournée, c'est de parler de la fin de vie sans aucun tabou, ajoute Christophe
Michel, secrétaire général de l'Admd. C'est pour cela qu'on a voulu faire une tournée nationale,
pour dire qu'on peut parler de ça même durant l'été. Mais aussi pour informer sur le droit des
citoyens en fin de vie, notamment sur les directives anticipées qui permettent de dire ses dernières
volontés. C'est un document qui existe depuis 2002, mais l'État n'a jamais fait de communication
grand public ».
La France vote l'interdiction des insecticides
tueurs d'abeilles
Le Figaro du 21 juillet 2016 par Pauline Château
L'Assemblée nationale a définitivement adopté le projet de loi sur la biodiversité. Parmi les
mesures phares de ce texte figure l'interdiction des pesticides néonicotinoïdes. Un sérieux
revers pour les géants de l'agrochimie.
Après plus de deux ans d'un parcours législatif difficile, le projet de loi de « reconquête de la
biodiversité », porté par la secrétaire d'État Barbara Pompili, a été définitivement adopté à l'issue
d'un vote des députés à l'Assemblée, mercredi soir. Lors de cette quatrième et dernière lecture, toute
la gauche a voté pour, tandis que la droite a voté contre. Pour la secrétaire d'État à la biodiversité,
cette loi devrait « favoriser une nouvelle harmonie entre l'homme et la nature ».
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Mais dans les faits, que contient ce fameux texte ? La création d'une Agence française de la
biodiversité (AFB) constitue l'une des mesures phares. Objectif affiché : permettre une meilleure
préservation de la faune et de la flore en France. Pour ce faire, l'établissement public regroupera
1200 agents de quatre organismes distincts : l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques
(Onema), l'Atelier technique des espaces naturels, l'Agence des aires marines protégées et les Parcs
nationaux. Cette agence devrait être mise en place au 1er janvier 2017.
Les insecticides néonicotinoïdes interdits dès 2018
La loi sur la « reconquête de la biodiversité » inscrit également la notion de préjudice écologique
dans le Code civil, selon le principe du « pollueur-payeur ». Autrement dit, l'individu jugé
responsable de la dégradation d'un milieu naturel sera chargé de sa remise en état. Si une telle
réparation est impossible, des dommages et intérêts pourront être versés dans certains cas. D'autres
principes, comme celui de « solidarité écologique », figurent désormais dans le Code de
l'environnement. En revanche, les députés ont renoncé à la surtaxation des importations d'huile de
palme pour lutter contre la déforestation. Le dernier débat a porté autour de l'interdiction des
insecticides de la famille des néonicotinoïdes. Une question qui a suscité de vives discussions entre
les parlementaires. Les députés sont finalement parvenus à maintenir une date d'interdiction,
pourtant abandonnée lors du deuxième passage de la loi au Sénat. Ces produits, considérés comme
tueurs d'abeilles, seront bannis à compter du 1er janvier 2018. Des dérogations pourront toutefois
être accordées aux agriculteurs, jusqu'au 1er juillet 2020.
Pour Bayer et Syngenta, l'interdiction des néonicotinoïdes est une impasse
Création de la cinquième plus grande réserve marine du monde, dispositif pour éviter les collisions
de navires avec les cétacés, lutte contre le trafic d'espèces animales et végétales menacées... Au
total, le texte de loi comporte plus de soixante-dix articles. « Malgré les pressions, malgré les
tentatives de raboter le texte, les objectifs ont été maintenus », s'est félicitée la secrétaire d'État à la
Biodiversité, Barbara Pompili. Le fameux texte demeure toutefois très contesté. À l'Assemblée, le
groupe Les Républicains a annoncé son intention de saisir le Conseil constitutionnel, dénonçant
« une écologie punitive ». Il n'est pas certain non plus que l‘adoption de cette loi réjouisse les
industriels de l'agrobusiness, et en particulier les géants de l'agrochimie. De fait, Bayer et Syngenta,
entre autres, sont les producteurs des fameux insecticides néonicotinoïdes, bientôt interdits.
Contacté par Le Figaro, Bayer estime qu'une telle interdiction « conduira à une impasse
agronomique et économique pour l'agriculture française et n'apportera pas de réponse efficace aux
causes de mortalité des abeilles ». « Cette décision malheureuse ne permettra pas de proposer des
alternatives crédibles aux agriculteurs français qui pourront être confrontés à des impasses
agronomiques et à une exacerbation des résistances », indique de son côté Syngenta, dans un
communiqué. Une telle mesure risque de ne pas être sans incidences sur les chiffres de ces deux
groupes. À titre indicatif, la division française de Bayer a réalisé 1,5 milliard de chiffre d'affaires,
dont 626 millions d'euros pour la Division Crop Science.
« Au-delà de nos produits, il s'agit une fois encore d'une véritable atteinte à la compétitivité des
agriculteurs français à qui nous supprimons petit à petit leurs outils de production alors que leurs
voisins européens continuent très largement à les utiliser » explique Frank Garnier, président de
Bayer en France, dans un communiqué. Un diagnostic avec lequel semble s'accorder le principal
syndicat agricole FNSEA. Selon Christiane Lambert, vice-présidente du syndicat, la production de
betteraves risque d'être particulièrement affectée. « Si en 2018, il s'avère qu'il n'y a pas de mesure
alternative pour certaines productions, (...) le gouvernement en place à ce moment-là devra
prendre des décisions qui éviteront de tuer certaines productions », a-t-elle insisté au micro de
France Inter, ce jeudi.
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L’accès à la contraception menacé par une
« clause de conscience » des pharmaciens
Libération du 21 juillet 2016 par Nolwenn Mousset
L’ordre professionnel fait voter ses adhérents sur une modification de son code de déontologie.
Une mesure normalement destinée à la fin de vie, mais qui suscite l’inquiétude.
Votre pharmacien pourra-t-il, en son âme et conscience, refuser de vous dispenser la pilule du
lendemain ? En pleine refonte de son code de déontologie, l’ordre des pharmaciens soumet aux
professionnels un article proposant une « clause de conscience » qui stipule que « le pharmacien
peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine ». Cette
consultation, ouverte jusqu’au 31 août, fait monter la polémique sur les réseaux sociaux et dans les
ministères.
« Vague ». En cause, la formulation floue de l’article dont les ambiguïtés réveillent des tensions
dans la profession sur l’accès à la contraception. « Avoir une clause de conscience est un signe
d’encouragement à des pratiques aujourd’hui encore illégales, comme ne pas délivrer la pilule du
lendemain », alerte, sur Twitter, l’un des pharmaciens membres du collectif à l’origine de la pétition
contre cet article. « La contraception sera forcément touchée et c’est la première chose à laquelle
on pense, mais cette clause est tellement vague que d’autres produits pourront être concernés
comme les seringues jetables, la méthadone pour les dépendants aux drogues, mais aussi des
antidouleurs… » explique ce professionnel à Libération.
Pourtant, l’ordre des pharmaciens réfute toute volonté d’attaquer le droit des femmes à disposer de
leur corps. « L’institution est très attachée au droit des femmes. Aujourd’hui, ce n’est pas le
ministère qui porte plainte contre nos confrères qui refusent de délivrer la pilule, mais bien l’ordre
», rappelle Isabelle Adenot, sa présidente, qui précise que l’article en question concerne la fin de vie
et non la contraception. « Les pharmaciens voient passer les ordonnances rédigées par les médecins
et lorsqu’ils dispensent les produits, ils ne sont pas dupes, ils savent très bien l’effet qu’ils vont
avoir sur les patients. Oui, c’est illégal. Mais la fin de vie, c’est une situation difficile pour tous :
les corps soignants, les familles, le patient… Certaines décisions sont parfois prises et on ne peut
pas obliger les pharmaciens à les cautionner », affirme la présidente de l’ordre, oubliant cette
évidence qu’en matière de prescription, ce sont les médecins qui sont responsables des traitements
et des posologies. Si Isabelle Adenot se veut rassurante, le collectif ne plie pas : « Dans les faits,
c’est un vide juridique, et on ne peut pas savoir ce que cela va donner. Si aujourd’hui, on nous
garantit que ça ne concernera que le cas de la fin de vie, on en sera ravi. Mais pour le moment, la
clause laisse libre cours aux interprétations. Pour preuve, les associations de pharmaciens contre
l’IVG s’en réjouissent. »
Et le flou est tel que la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, s’est elle-même
insurgée de cette consultation, affirmant que si elle était « suivie d’effets, elle ouvrirait clairement
la possibilité pour des pharmaciens de refuser de délivrer la contraception d’urgence [pilule du
lendemain, ndlr], la pilule, le stérilet ou même le préservatif ». Sur le risque d’une interprétation
plus large de cet article, la présidente de l’ordre botte en touche : « Nous devons attendre tout
d’abord de voir les résultats du vote, le 31 août. Je ne peux pas m’avancer car il s’agit de la
décision collégiale de 31 personnes. »
Veto. Dans les faits, le conseil national de l’ordre se réunira le 5 septembre pour prendre sa
décision. Sans attendre, Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, est
intervenue mercredi dans un communiqué pour calmer le jeu : « Je ne crois pas que l’ordre ait
jamais eu l’intention de porter une proposition qui remette en cause ces droits fondamentaux des
femmes. En tout état de cause, cela supposerait un changement du code de déontologie, ce qui doit
être validé par la ministre des Affaires sociales et de la Santé.
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Celle-ci ne laisserait jamais place à une telle disposition. » Sans validation du ministère, la « clause
de conscience » des pharmaciens ne pourra donc pas entrer dans le code de déontologie.
En 2004, lors de l’arrivée de l’IVG médicamenteuse dans les pharmacies, la Direction générale de
la santé avait déjà refusé ce droit à l’ordre. « Droit de conscience » qui autorise les médecins, les
sages-femmes, les infirmiers et les auxiliaires médicaux à ne pas pratiquer l’IVG. Isabelle Adenot
l’avait d’ailleurs regretté, défendant un alignement des pharmaciens sur les autres professionnels de
santé et la possibilité pour les pharmaciens récalcitrants « d’indiquer quel autre pharmacien
pourrait dispenser le produit ». Douze ans après, le débat ressurgit. Et si le ministère se porte garant
et dispose d’un droit de veto, cette nouvelle tentative semble symptomatique de menaces qui pèsent
sur le droit des femmes à disposer de leur corps.
Sida : la « Prep » à portée de monde
Libération du 22 juillet 2016 par Eric Favereau
La conférence de Durban a consacré l’efficacité de la « Prep » contre la propagation du VIH.
L’enjeu désormais : la diffusion de la molécule Truvada (à la base du traitement) auprès des
populations à haut risque.
La Prep pour casser la contamination ? Un rêve qui commence à apparaître. C’est en tout cas la star
de la Conférence internationale sur le sida, qui se termine ce vendredi à Durban, en Afrique du Sud.
La Prep - pour prophylaxie pré-exposition - est la nouvelle stratégie de prévention du VIH, aussi
efficace que le préservatif. Son principe ? Apparemment aussi simple qu’une pilule : il s’agit de
proposer, pour une personne qui a un risque élevé d’être infectée par le virus du sida, de prendre
une molécule anti-VIH quelques heures avant un rapport non protégé puis pendant deux jours, ou
alors de prendre ce traitement en continu.
Les résultats sont impressionnants, comme l’ont encore révélé les études finales qui ont été
présentées mercredi à Durban. Ainsi l’étude Ipergay sur la Prep à la demande montre une efficacité
de près de 100 % si la personne suit bien le schéma de prise. « C’est un changement essentiel. Pour
la première fois depuis trente ans, nous avons, en termes de prévention, un nouvel outil au moins
aussi utile que le préservatif », note le professeur Jean-Michel Molina, qui a coordonné l’essai
Ipergay. Et cette avancée est d’autant plus importante qu’elle intervient à un moment très particulier
de l’épidémie mondiale : aujourd’hui, c’est le volet prévention qui est en panne. Avec ce chiffre
stable, voire en légère augmentation depuis quelques années : 2,3 millions de personnes
supplémentaires infectées chaque année par le virus, d’après Onu-sida*. « Sans faire baisser ce
chiffre, on n’arrivera jamais à stopper l’épidémie », explique Michel Sidibé, le directeur exécutif
de l’ONU-sida, chargé de coordonner les actions des Nations unies pour lutter contre le VIH.
Sur le terrain, les choses commencent à se mettre en place. Dans une consultation Prep à Paris, au
service des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon, Olivier, 45 ans, enseignant de métier, vient en
urgence. Depuis quelques semaines, il prend du Truvada, la molécule antisida la plus utilisée pour
la Prep. Olivier dit qu’il lui arrive de prendre des risques, comme des relations anales sans
préservatif. Avec les migrants, les hommes homosexuels sont la population la plus à risque. A Paris,
9 nouvelles contaminations sur 10 concernent l’un des deux profils. « Parfois, je prends des
substances psychoactives, et je n’ai pas toute ma vigilance », raconte Olivier. Le voilà donc, depuis
quatre mois, à prendre la pilule. Il a opté pour la méthode par intermittence : deux heures au moins
avant la prise de risque, puis un comprimé pendant deux jours. « Cela me rassure, je n’ai presque
pas d’effets secondaires, et je le dis à mes partenaires. » Il se montre satisfait. Il est toujours
séronégatif.
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« Mais ce n’est pas rien, ajoute-t-il. Prendre un comprimé, c’est quand même bizarre, ce n’est pas
qu’une prise de médicament, cela change dans la tête la notion de risque », avoue-t-il. Et le fait de
prévoir la prise de risque deux heures avant ? « Au début, je croyais que cela allait être difficile,
mais en fait non. On le sait. En tout cas, lâche-t-il, c’est tellement moins de contraintes. » Pour
Olivier, c’est une petite révolution. S’il est repassé ce jour-là en urgence dans le service, c’est qu’il
a pris un autre risque, une injection par voie intraveineuse. Il ne sait pas si le Truvada le protégeait
ou non. « Je me sens rassuré », insiste-t-il. Et il y a de quoi.
Résultats spectaculaires
Mercredi, à Durban, le professeur Molina a rendu public les résultats globaux de l’essai Ipergay, un
essai réalisé par l’Agence nationale de recherche sur le sida décisif pour valider l’efficacité de la
Prep. Les résultats se révèlent encore plus spectaculaires que ceux de la première phase : sur les
362 volontaires qui y ont participé, une seule personne a été infectée, mais elle avait interrompu le
traitement préventif. On n’est donc pas loin des 100 % d’efficacité quand le traitement est bien pris.
« La question n’est plus de savoir si la Prep est efficace et doit être utilisée, mais comment la
mettre rapidement à disposition des personnes les plus à risque. » Et Jean-Michel Molina
d’expliciter les enjeux à venir : « Nous avons montré l’intérêt individuel, il n’y a plus d’incertitudes
sur ce point. Le défi est désormais le basculement vers le collectif. »
En France, depuis que la ministre de la Santé a autorisé en janvier le remboursement du Truvada, la
demande est là, en hausse constante. La quasi-totalité des services de maladies infectieuses ont ainsi
ouvert des consultations Prep, et les centres de dépistage anonyme et gratuit peuvent maintenant la
proposer. Près d’un millier de personnes sont actuellement sous Prep. « Ce sont des gens qui
veulent renforcer leur prévention », explique Marc, de l’association Aides, qui participe aux
consultations Prep de l’hôpital Tenon. « On est là, on écoute, on ne porte pas de jugement, on tente
de créer un espace de parole centrée sur les pratiques de la personne. »
De fait, la Prep ne s’adresse pas au tout-venant, mais à une population exposée, voire très exposée.
A présent, ce sont les gays qui ont plébiscité ce nouvel outil. « A l’évidence, il va falloir ouvrir aux
travailleurs du sexe, aux migrants », lâche Marc. Mais comment passer à une utilisation de masse
de la Prep ? Ce basculement est aujourd’hui dans toutes les stratégies internationales. Michel Sidibé
a expliqué à Libération lors de l’ouverture de la conférence de Durban qu’aujourd’hui, « si on
estime qu’il y a autour de 60 000 personnes sous Prep, en grande majorité dans les pays du Nord,
l’objectif est d’arriver à 3 millions en 2020 ». Et noté : « Dans les pays en voie de développement,
en Afrique du Sud, et pour les jeunes filles en particulier, la Prep peut aider beaucoup. » Mais estce possible ? « C’est vrai, note un activiste, que c’est un outil magnifique pour les femmes, elles ne
dépendent plus du bon vouloir de l’homme comme avec le préservatif. » « La question, insiste JeanMichel Molina, ce sont les populations clés. Aujourd’hui, l’épidémie est très centrée sur des
groupes particuliers. Des groupes qui sont particulièrement exposés. C’est vers eux que la Prep
peut être un outil efficace de prévention. Surtout, insiste-t-il, les choses bougent beaucoup.
Aujourd’hui, nous avons une pilule, mais bientôt seront disponibles des patchs qui pourraient vous
protéger un ou deux mois. Voire des injections qui seraient efficaces plusieurs semaines. La Prep
ne fait que commencer. »
A Durban, nul ne veut manquer ce rendez-vous. « En 2000, la Conférence internationale avait
marqué le début d’un mouvement mondial pour apporter un traitement contre le VIH dans le monde
en développement, souligne Linda-Gail Bekker, présidente de la Société internationale sur le sida.
Là, je suis convaincue que nous allons regarder cette conférence de 2016 comme l’aube de l’ère de
la mondialisation Prep. » Et elle en veut pour preuve la présentation d’une série d’études qui
montre que la montée en puissance de la Prep est possible. Aux Etats-Unis, son développement est
assez bluffant : 3 746 personnes l’utilisaient en 2013, 14 756 en 2014 et 30 967 en 2015. La Prep se
révélant un des outils qui permet de casser l’épidémie dans la ville de San Francisco. L’autre outil
est la mise sous traitement immédiate des personnes séropositives, car cela permet de les rendre non
contaminantes.
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Diffusion massive
Un autre travail, présenté à Durban, a montré que chez les adolescents « à risque » en Afrique du
Sud, « l’utilisation de la Prep était possible ». L’auteur, Katherine Gill de la fondation Desmond
Tutu HIV, a ainsi noté que « l’adhésion à la Prep précoce était raisonnable parmi une population
d’adolescents à haut risque ». Une autre étude sur les couples discordants (l’un est séropositif,
l’autre non), réalisée au Kenya et en Ouganda, a montré que la combinaison de la Prep et du
traitement a conduit à la quasi-élimination de la transmission du VIH chez ces couples
sérodiscordants. Bref, les études commencent à s’accumuler. La diffusion massive de la Prep est
désormais « possible », souligne Michel Sidibé. « C’est à portée de main, et le signe le plus
encourageant, c’est qu’un grand nombre de donateurs sont prêts à financer ces programmes
aujourd’hui. »
*La revue scientifique The Lancet rend public, à l’occasion de la Conférence internationale
sur le sida, un travail de l’Institut de métrologie sanitaire et d’évaluation de Seattle évoquant
un chiffre supérieur à celui d’ONU-sida : 2,5 millions de nouvelles contaminations chaque
année.
Greffe des deux mains : une première au
Royaume-Uni
BBC du 22 juillet 2016
Agé de 57 ans, Chris King a perdu ses deux mains, il y a trois ans, dans un accident de travail causé
par une presse à métaux. Au UK’s centre for hand transplants, le Professeur Simon Kay, consultant
en chirurgie plastique au Leeds General Infirmary, a entrepris une opération inédite : celle de
greffer deux nouvelles mains (provenant d’un don) à son patient.
Chris King est la deuxième personne à bénéficier de cette opération, et la première à qui, non pas
une, mais deux mains ont été greffées. Le professeur Kay a révélé qu’il s’agissait d’une procédure
unique, car les poignets de Chris King ont été conservés, ce qui a complexifié l’opération. Selon lui,
la greffe de mains, pour des questions d’immunologie et d’esthétique, est bien plus difficile que la
greffe d’un organe interne : « Elles doivent paraître similaires, car elles sont en continu aux yeux
de tous ». Le professeur n’écarte pas les éventuels impacts psychologiques sur les patients greffés,
mais aussi sur leur famille. Cette greffe a d’ailleurs permis au patient de retrouver des mains, mais
aussi la mémoire. Depuis l’accident en effet, il n’arrivait pas à se souvenir de l’état de ses mains. Il
s’en rappelle de nouveau parfaitement.
L’équipe du Leeds General Infirmary, spécialisée dans la greffe de mains, espère procéder entre 2 à
4 opérations par an. Quatre personnes sont actuellement sur liste d’attente.
Première naissance d’un bébé atteint d’une
microcéphalie liée au virus Zika en Europe
Le Monde avec AFP du 25 juillet 2016
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C’est le premier cas recensé en Europe : lundi 25 juillet, les responsables de l’hôpital de
Barcelone ont annoncé la naissance d’un bébé atteint d’une microcéphalie (développement
insuffisant du crâne et du cerveau) due au virus Zika.
La mère avait été diagnostiquée porteuse du virus en mai, mais elle avait choisi de continuer sa
grossesse, selon les autorités de santé de Catalogne. Elle a contracté le virus lors d’un voyage dans
un pays d’Amérique latine. « Le bébé va bien d’un point de vue clinique, ses fonctions vitales sont
normales et stables », a déclaré Félix Castillo, directeur du service de néonatologie de l’hôpital Vall
d’Hebron de Barcelone. Ses parents sont « très heureux », a ajouté Elena Carreras, la directrice du
service d’obstétrique.
Un autre cas avait été détecté cette année en Slovénie, mais les parents de l’enfant avaient décidé
d’avorter. A New York, un premier cas d’enfant présentant une microcéphalie liée au virus a aussi
été enregistré la semaine dernière. La mère de l’enfant avait voyagé dans l’une des zones
d’implantation du virus, selon le département de la santé de New York. L’épidémie de Zika – un
virus transmis par le moustique Aedes aegypti, mais également par voie sexuelle, et de la mère à
l’enfant qu’elle porte – est apparue en 2015 et s’est rapidement étendue à tous les pays d’Amérique
latine, particulièrement au Brésil, où environ 1,5 million de personnes sont infectées.
1,65 million de femmes enceintes menacées
Selon une étude parue lundi dans la revue Nature Microbiology, elle pourrait causer des
malformations comme la microcéphalie, ou d’autres affections, chez des « dizaines de milliers » de
bébés. Parmi les autres risques liés au virus figurent divers troubles neurologiques, des retards de
croissance ou même la mort du fœtus. Au total, 93,4 millions de personnes pourraient être infectées
au cours de cette épidémie, dont 1,65 million de femmes enceintes. Des prévisions qui comportent
une « énorme » part d’incertitude, admet Alex Perkins (université Notre Dame, Indiana, EtatsUnis), principal auteur de l’étude. Dans 80 % des cas, cette infection, contre laquelle il n’existe ni
vaccin, ni traitement spécifique, reste bénigne ou passe même inaperçue, rappellent les auteurs.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déjà prévenu depuis plusieurs mois qu’elle
s’attendait à une propagation « explosive » dans les Amériques, avec 3 à 4 millions de cas cette
année. Par comparaison, 53 millions d’infections par le virus de la dengue ont eu lieu en 2010 dans
cette région du monde, d’après une étude parue en 2013.
L’épidémie actuelle de Zika devrait s’éteindre d’elle-même dans les deux à trois ans en Amérique
latine, ont estimé à la mi-juillet des chercheurs britanniques dans la revue Science. Une autre
épidémie de grande ampleur ne devrait pas survenir avant au moins dix ans, le temps nécessaire
pour qu’apparaisse une nouvelle génération de personnes qui n’ont pas été exposées au virus et ne
sont donc pas immunisées.
Grippe aviaire : un deuxième foyer signalé en
Dordogne
Pourquoi Docteur du 26 juillet 2016 par Anne-Laure Lebrun
Un deuxième foyer de grippe aviaire a été recensé en Dordogne dans un élevage de canards
malgré le vide sanitaire imposé en avril dernier. Tous les animaux vont être abattus.
Un nouveau foyer de grippe aviaire a été découvert en Dordogne, a annoncé lundi la Préfecture. Il
s’agit d’un élevage de canard situé sur la commune de La Dornac, non loin du premier foyer signalé
le 19 juillet.
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Ce nouveau cas a été détecté lors de contrôles sanitaires mis en place dans un rayon de 10 km
autour de l’exploitation élevant plus de 4 000 poulets. « L’abattage des animaux de ce foyer
incident est en cours », a indiqué la Préfecture sans préciser le nombre de palmipèdes concernés.
Pour l’heure, rien ne permet de dire quel élevage a contaminé l’autre. Une enquête a donc été lancée
pour déterminer la nature précise du lien épidémiologique entre ces deux foyers. Elle permettra
également de savoir si le virus était encore présent dans l'exploitation, s'il a été transmis aux
animaux par un oiseau migrateur ou apporté par le lot de canetons.
Des contrôles vétérinaires systématiques
Outre l’abattage de l’élevage, la détection de ce nouveau foyer sporadique entraîne la mise en place
d’un périmètre réglementé : une zone de protection de 3 km autour de l’exploitation incriminée
ainsi qu’une zone de surveillance de 10 km. En outre, tous les détenteurs (particuliers et
professionnels) de palmipèdes feront l’objet d’une surveillance vétérinaire systématique. C’est le
3ème élevage contaminé par l’influenza aviaire – deux en Dordogne et un en Aveyron - deux mois
après le vide sanitaire mis en place pour assainir les élevages de 18 départements du Sud-Ouest.
Durant un mois, un millier d’élevages sont restés vides avant d’être désinfectés de fond en comble.
Les exploitations ont ensuite été repeuplées petit à petit à partir de mi-mai dans des conditions
biosanitaires drastiques. Mais le virus H5N1 persiste. L’éradication de la grippe aviaire s’annonce
plus difficile qu’on ne le pensait.
Depuis novembre dernier, 80 cas d'influenza aviaire ont été rapportés dans 8 départements du SudOuest. Une épidémie sans précèdent en France.
PMA : les médecins restent dans l’incertitude
Le Monde du 27 juillet 2016 par Gaëlle Dupont
Une lettre de 2012 rappelant l’interdiction d’orienter des patientes à l’étranger a été retirée.
La loi, elle, n’a pas changé
Un « coup d’épée dans l’eau », de « l’esbroufe »… Les commentaires sont sévères après le retrait
par le gouvernement d’un courrier de décembre 2012 qui rappelait aux médecins les peines prévues
s’ils aidaient des patientes à avoir recours à des pratiques d’aide médicale à la procréation interdites
en France en les orientant vers l’étranger. L’annonce a été faite jeudi 30 juin par François Hollande
au cours d’une réunion avec les associations LGBT (« lesbienne, gay, bi et trans ») avant la Gay
Pride parisienne, et confirmée par la ministre de la santé, Marisol Touraine, dans un courrier adressé
le 7 juillet au président du conseil de l’ordre des médecins.
Certains commentaires ont pu laisser penser que les sanctions (cinq ans de prison et 75 000 euros
d’amende) étaient supprimées. Dans un communiqué du 4 juillet, la Manif pour tous dénonçait
même un pas vers la « PMA sans père » et l’autorisation de contourner la loi. En fait, la mesure, qui
était demandée par les associations LGBT, relève de l’affichage. « Le retrait de la lettre, qui
n’apportait rien de nouveau mais invitait l’ordre des médecins à “mettre en garde” les
gynécologues, constitue un non-événement, puisque le code pénal n’est pas modifié », commente
Isabelle Lucas-Baloup, avocate spécialisée en droit de la santé. Les termes employés ajoutent à la
confusion. Le document n’était pas une circulaire mais un courrier sans valeur juridique ne pouvant
donc pas être « abrogé ».
Frilosité ou prétexte
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Le document, émis en plein débat sur le mariage pour tous, rappelait que les médecins ne peuvent
mettre en relation des patientes avec des cliniques ou organismes dont les pratiques en matière de
procréation médicalement assistée ne sont pas conformes à la loi française. En France, le don de
gamètes est anonyme et gratuit, et la PMA réservée aux couples hétérosexuels infertiles. Les
sanctions restent théoriques, aucun praticien n’ayant jamais été poursuivi pour ces faits.
L’initiative avait provoqué un tollé parmi les médecins, confrontés à une demande croissante de
pratiques autorisées à l’étranger : PMA avec don de sperme pour les couples de femmes ou les
femmes seules, congélation de ses propres ovules, accès plus rapide au don d’ovocytes pour les
couples hétérosexuels (en France l’attente peut durer cinq ans en raison de la pénurie de donneuses).
Il avait également été interprété comme un gage donné à la Manif pour tous, qui menait le combat
contre l’ouverture de la PMA aux couples de femmes.
Le gouvernement a eu beau minimiser son impact, la missive a entraîné une certaine frilosité, ou
servi de prétexte. « Nous avons eu à l’époque des témoignages de femmes ayant fait une PMA que
leur gynécologue refusait de suivre, avant et après leur grossesse », affirme Virginie Combe, viceprésidente de SOS Homophobie. C’est sur cette interprétation que souhaite revenir le
gouvernement, en rappelant à nouveau la loi. « Si les médecins doivent naturellement se conformer
à leurs obligations légales et déontologiques lorsqu’ils accompagnent les femmes dans leur désir de
grossesse, écrit la ministre de la santé, l’article 511-9 du code pénal ne saurait faire obstacle au
suivi des femmes ayant eu recours à une PMA dans un pays étranger. » En clair, la loi n’interdit pas
le suivi de femmes en France après le début de leur grossesse. En revanche, les médecins ne
peuvent pas les orienter ni les assister en vue de la conception. Rien de nouveau donc.
« Incohérences criantes »
« Tout cela est de la gesticulation », s’énerve le gynécologue Israël Nisand. Pour de nombreux
médecins, aider les patientes à mettre en œuvre leur projet de grossesse est une obligation
déontologique. « La dernière femme que j’ai aidée a 32 ans, une mère et une sœur en ménopause
précoce, poursuit-il. Elle demandait une auto-conservation de ses ovules. C’est une demande
légitime et médicalement souhaitable. Vaut-il mieux la prendre en charge dans cinq ans pour
infertilité, à grands frais ? Peut-on laisser les patientes s’orienter seules sur ce qui est devenu un
marché ? L’Ukraine, la Tchéco-Slovaquie et la Grèce cassent les prix ! » « Récemment, une femme
seule est allée en Grèce où on lui a implanté trois embryons, renchérit François Olivennes,
gynécologue à Paris. Elle a été enceinte de triplés et a fait une fausse couche. Aider les patientes,
c’est de la simple assistance à personne en danger. » Cet accompagnement peut comprendre des
prescriptions (hormones, échographies) et des échanges de courriers.
« En abrogeant une circulaire qui n’était pas appliquée, on ne touche pas au fond du problème »,
regrette le gynécologue René Frydman, père du premier « bébé-éprouvette ». Il est l’initiateur d’une
pétition, signée par 130 médecins et publiée dans Le Monde le 17 mars, qui dénonçait les
« incohérences criantes » de la législation française. Les signataires reconnaissaient avoir aidé des
couples ou des femmes, « quel que soit leur mode de vie », dont le projet d’enfant n’était pas
réalisable en France. Les pétitionnaires ont été convoqués par le conseil de l’ordre des médecins.
« Nous avons demandé aux conseils départementaux d’entrer en contact avec eux afin qu’ils
puissent s’exprimer », nuance Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie.
Aucune sanction n’est envisagée à ce stade. Selon M. Faroudja, « la situation actuelle ne peut plus
durer ». Et d’affirmer : « Il est urgent que le législateur s’empare à nouveau de ces sujets. »
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De Durban à Durban : vaincre le sida, avec
quelles ressources financières ?
Le Monde du 27 juillet 2016 par Paul Benkimoun
La comparaison était inévitable car elle permet de mesurer le chemin parcouru en seize ans. Durban
2000 : la 13ème Conférence internationale sur le sida était marquée par la caricature. Caricature avec
le déni par le président sud-africain de l’époque, Thabo Mbeki, de la responsabilité du VIH dans le
sida et son refus de procurer aux plus de 3 millions de séropositifs de son pays les antirétroviraux
qu’il jugeait toxiques. Caricature, au-delà de l’Afrique du Sud, avec des traitements disponibles
pour les malades du Nord mais à un prix inaccessible aux plus nombreux, ceux du Sud.
Durban 2016 : la 21ème Conférence internationale sur le sida (18 au 22 juillet) se voulait celle d’un
optimisme tempéré par rapport à la quasi-euphorie qui avait marqué la 19ème édition à Washington,
où l’on proclamait la fin programmée du sida, certains évoquant même une éradication du VIH.
Depuis – et Durban 2016 l’a confirmé –, tout le monde est revenu sur terre et la perspective à
moyen terme est de faire en sorte que l’infection par le VIH régresse au point de ne plus être un
problème de santé publique. Un réalisme modeste qu’on aurait tort de prendre comme un fait
acquis.
13 millions de personnes non traitées
Il y a toutes les raisons de célébrer les spectaculaires progrès accomplis, que ce soit sur le plan
médico-scientifique ou dans l’accès aux traitements qui, à défaut de guérir, permettent de maintenir
l’infection par le VIH sous contrôle et de prolonger ainsi la vie de patients autrefois condamnés.
Mais comment ne pas mesurer le chemin qui reste encore à parcourir pour atteindre les objectifs
fixés pour 2020 par les Nations unies ? En 2020, les Nations unies ciblent un total de 30 millions de
personnes sous traitement antirétroviral. Dix-sept millions de personnes dans le monde bénéficient
en 2016 des médicaments antirétroviraux quand ils étaient moins de un million en 2000, selon les
chiffres officiels de l’Onusida. Magnifique succès. Cependant, 30 millions de personnes sont
actuellement éligibles à un traitement anti-VIH, selon les recommandations de traitement de
l’Organisation mondiale de la santé, soit un fossé de 13 millions de personnes non traitées.
Objectifs déraisonnables ?
Le problème est que le nombre de nouvelles infections – donc celui des personnes à traiter, puisque
les bénéfices d’un traitement le plus précoce possible sont à présent établis – décroît plus lentement
qu’espéré. Après une décennie de chute rapide du nombre de personnes nouvellement infectées de
1995 à 2005, la tendance est à la stagnation ou à une faible diminution sur les dix dernières années,
quand ce n’est pas une hausse dans 74 pays. Plus de 2 millions de personnes deviennent chaque
année séropositives. Comment espérer à ce rythme voir l’incidence du VIH tomber à moins de
500 000 nouvelles infections par an et le nombre de personnes sous traitement bondir en 2020 ? Les
objectifs sont-ils déraisonnables ou les efforts pour y parvenir sont-ils déraisonnablement
insuffisants ? Le nombre de nouvelles infections soulève la question centrale de la prévention et de
ses échecs. Une panoplie d’outils existe, allant du préservatif à l’utilisation des antirétroviraux, que
ce soit chez les personnes séropositives pour éviter qu’elles ne transmettent le virus ou en
prophylaxie préexposition (PrEP, selon l’acronyme anglais) chez des personnes séronégatives.
Certains, comme l’ancien directeur exécutif d’Onusida, Peter Piot, évoquent un « échec massif de la
prévention » et invitent à un « rééquilibrage d’une stratégie fondée uniquement sur les
antirétroviraux, car le traitement comme prévention ne marche pas comme nous l’espérions à
l’échelle d’une population ».
Une baisse de 13 % en un an
19
Mais le risque d’échouer à atteindre les objectifs tient aussi au ralentissement de la mobilisation
financière. En 2003, à l’époque où quelques centaines de milliers de malades étaient traités dans les
pays du Sud, l’Onusida avait lancé l’initiative « 3 by 5 », pour atteindre 3 millions de bénéficiaires
des traitements à la fin 2005.
Grâce à une mobilisation de financements inédite – création du Fonds mondial de lutte contre le
sida, la tuberculose et le paludisme, plan présidentiel américain Pepfar –, un total de 1,3 million de
personnes séropositives avaient enfin accès aux traitements. En 2012, nouvelle initiative : « 15 by
15 ». Cette fois, l’objectif de traitement disponible pour 15 millions de personnes vivant avec le
VIH en 2015 était atteint en temps et en heure grâce à une mobilisation soutenue.
Depuis, la mobilisation financière s’affaiblit : le bilan conjoint de la Kaiser Family Foundation et
d’Onusida (« Financer la riposte au VIH dans les pays à revenu faible ou intermédiaire »), publié en
juillet, dresse un constat inquiétant : dans ces pays, les dépenses des gouvernements donateurs « ont
diminué de plus de un milliard de dollars (7,53 milliards en 2015, comparés à 8,62 milliards
en 2014), une diminution de 13 %. » Les dépenses ont baissé pour treize des quatorze plus gros
Etats donateurs, même en tenant compte de l’inflation. La conférence de reconstitution du Fonds
mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme se tiendra le 16 septembre à Montréal,
au Canada. La France a décidé de maintenir son niveau de contribution actuel, malgré les
sollicitations des organisations non gouvernementales qui souhaitaient la voir augmenter.
La maxime est souvent attribuée à François Mitterrand ou à Jacques Chirac, voire au général de
Gaulle, mais elle est présente dans les dialogues du court-métrage The Music Box (1932) mettant en
scène Laurel et Hardy : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ! » Une phrase que devraient
méditer les dirigeants politiques dans la lutte contre le sida. Depuis le début de la pandémie,
Onusida a dénombré 30 millions de morts. Jusqu’à quand ?
CRISPR/Cas9 à l’épreuve de la démocratie
Sciences et Avenir du 27 juillet 2016 par Afsané Sabouhi
L’ampleur des applications envisagées grâce ce nouvel outil de manipulation du génome
suscite autant d’enthousiasme que d’inquiétude au sein de la communauté scientifique réunie
à l’ESOF.
L’intervention de la biologiste française Emmanuelle Charpentier était l’un des temps forts de la
cérémonie d’ouverture de l’Euroscience Open Forum (ESOF), dimanche 24 juillet 2016 à
Manchester. La co-découvreuse de la technique CRISPR/Cas9 a présenté le fonctionnement de cette
"paire de ciseaux programmable", capable de découper très précisément un segment d’ADN
problématique, un gène codant pour une maladie par exemple, et de le remplacer par une copie non
défectueuse. La thérapie génique est l’un des domaines dans lequel cette nouvelle technologie
suscite les plus grands espoirs. « Mais nous devons rester modestes, a nuancé Sheila Jasanoff,
sociologue des sciences à Harvard. Pour éditer l’ADN, encore faut-il en connaître le texte ».
Autrement dit, la route sera encore longue avant d’identifier les gènes responsables de chaque
maladie génétique pour pouvoir les remplacer. Alors que les pronostics d’attribution du Prix Nobel
aux découvreurs de CRISPR/Cas9 vont déjà bon train, cette technique n’est pas sans soulever
d’importantes questions éthiques. Parce qu’il s’agit de manipulation d’ADN mais surtout parce que
CRISPR/Cas9 permet d’intervenir sur le génome des cellules germinales (spermatozoïdes et ovules)
et donc de modifier le patrimoine génétique d’un individu et de ses descendants.
Jusqu’ici, la convention d’Oviedo, ratifiée par la France en 2011, bannit dans son article 13 toute
intervention sur cette lignée de cellules sexuelles pour éviter d’ouvrir la voie à l’eugénisme. Mais la
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simplicité d’utilisation et le faible coût de la technique CRISPR/Cas9 rebattent aujourd’hui toutes
les cartes. Le besoin de régulation est donc urgent et planétaire « si nous voulons que cette
technique qui bouleverse les lois de la biologie ne bouleverse pas l’éthique, la solidarité et les
valeurs auxquels nous sommes attachés », a affirmé Sheila Jasanoff.
Lors d’une autre présentation à l’ESOF ce lundi 25 juillet, cette spécialiste américaine des enjeux
éthiques des sciences et techniques a appelé les chercheurs à partager leurs connaissances et leurs
interrogations sur CRISPR/Cas9 avec le grand public. Pour plusieurs raisons, notamment éviter la
situation des nanotechnologies où le discours industriel et commercial a devancé l’explication
scientifique, justifiant les craintes exprimées aujourd’hui dans la société. Mais surtout parce que les
applications potentielles de CRISPR/Cas9 exigent une véritable réflexion citoyenne, les
scientifiques n’ayant pas la légitimité démocratique pour décider seuls de l’encadrement de cette
technique de manipulation génétique.
En France, le nombre d’IVG stable depuis
dix ans
Libération du 28 juillet 2016 par Eric Favereau
C’était un des souhaits du ministère de la Santé : avoir des données claires, fiables, et régulières sur
l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France. D’où la création l’année dernière d’une
commission sur les données et la connaissance de l’IVG, dont le premier rapport annuel a été publié
mercredi.
Premier enseignement, le nombre d’IVG en France est stable, et ce depuis une dizaine d’années.
218 100 IVG ont été réalisées en 2015 (dont 203 500 en métropole), soit un taux de recours de
14,9 IVG pour 1 000 femmes de 15 à 49 ans.
Autre constat, le nombre d’IVG chez les mineures est en baisse, avec 7,6 recours pour 1 000
femmes parmi les 15-17 ans, et 19,5 parmi les 18-19 ans. Les plus concernées sont les 20-24 ans.
Qui a recours à l’interruption volontaire de grossesse ? Il n’y a pas de profil sociodémographique
type. La part de femmes vivant seules ou en couple est quasiment égale (52 % contre 48 %). La part
de femmes de nationalité étrangère est stable, comme la répartition selon l’activité professionnelle,
qui a peu évolué. A noter que les IVG médicamenteuses, qui depuis 2005 peuvent être pratiquées en
cabinet de ville, représentent 19,5 % du total des IVG.
L’accès à l’IVG diffère selon les régions. « Si près d’une IVG sur quatre s’effectue hors du secteur
hospitalier [en Ile-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur], cette pratique concerne encore
moins de 10 % des IVG réalisées dans les régions Grand-Est, Bretagne, Pays-de-La-Loire et
Hauts-de-France », détaille le rapport. Soit une variation de un à trois, ce qui est beaucoup.
Dans ses recommandations, la commission insiste sur la question du respect de la confidentialité
lors de la prise en charge dans les établissements de santé, « particulièrement chez les mineures ou
jeunes majeures mais aussi pour toute femme souhaitant garder le secret vis-à-vis de son entourage
».
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Cholestérol : les dangereuses conséquences des
polémiques antistatines
Le Figaro du 29 juillet 2016 par Damien Mascret
Les arrêts de traitement ont augmenté après la sortie d'un best-seller contestant l'efficacité
des médicaments.
Il y a trois ans paraissait le livre polémique de Philippe Even La Vérité sur le cholestérol (le
Cherche Midi, février 2013), qui contestait l'intérêt pourtant démontré des statines en prévention des
accidents cardio-vasculaires. Des chercheurs parisiens avaient alors entrepris, avec l'étude Evans, de
mesurer l'impact sanitaire de ce best-seller controversé.
Ils y indiquaient qu'un nombre substantiel des patients vus en consultation de cardiologie avait
l'intention d'arrêter de prendre ces médicaments utilisés pour faire baisser le cholestérol : 24,3 % de
ceux à qui ils étaient prescrits en prévention primaire (pour éviter un premier accident) et 8,6 % en
prévention secondaire (récidive). Mais il s'agissait d'intention avant consultation médicale,
soulignaient les équipes de l'Hôpital européen Georges-Pompidou et de l'hôpital Necker à l'origine
de ce travail. De plus, l'étude ne concernait que 142 patients.
Cette fois, des chercheurs du CHU et de l'université de Bordeaux, sous la houlette du Pr Nicholas
Moore, ont calculé la proportion de personnes ayant réellement interrompu leur traitement. Ils se
sont pour cela basé sur l'« échantillon généraliste des bénéficiaires » (EGB), une base de données de
l'Assurance-maladie qui constitue un échantillon représentatif de 650 000 personnes. L'idée des
chercheurs était de vérifier l'arrêt effectif des statines, dans les neuf mois qui ont suivi la publication
du livre de Philippe Even, et de comparer le taux observé avec ceux des deux années précédentes,
car certains patients arrêtent leur traitement, indépendamment des polémiques existantes.
« Difficile d'établir un lien direct »
Ce taux d'arrêt était de 8,5 % en 2011 comme en 2012, mais grimpait à 11,9 % en 2013, soit une
hausse de 40 %. « Cette augmentation est inversement proportionnelle au risque cardio-vasculaire
des patients », précise Julien Bezin, chercheur Inserm en pharmaco-épidémiologie du médicament
et premier signataire de l'article publié dans les Archives of Cardiovascular Diseases. La hausse du
taux d'arrêt des statines était en effet de +53 % chez les patients à bas risque, +40 % chez ceux à
risque moyen et +25 % pour le groupe à risque élevé. « Il est difficile d'établir un lien direct entre
communication médiatique et arrêt de traitement, nuance Julien Bezin, on peut juste observer qu'à
partir du moment où le livre est sorti, il y a eu plus d'arrêts de traitement par statines, alors que sur
le plan scientifique, il n'y a pas eu de nouveautés majeures pendant la période étudiée pouvant
l'expliquer.»
Dans le même temps, une hausse de la mortalité a été observée, mais, là encore, impossible
statistiquement d'affirmer un lien de causalité avec les arrêts de traitement. Ces résultats n'en sont
pas moins troublants. « Nous aurions besoin de réaliser une étude sur la base nationale de
l'Assurance-maladie pour conclure, explique le chercheur bordelais. Nous avons d'ailleurs déposé
une demande de financement en ce sens. » L'enjeu est de taille : si l'on extrapole ces résultats au
niveau national, ce que l'équipe bordelaise se refuse pour l'instant à faire, on atteindrait au moins
9000 morts supplémentaires !
Des comportements variables selon le niveau de risque
« Les patients à plus haut risque cardio-vasculaire ont moins arrêté que les autres (7,4 %
d'arrêt, contre 6 % environ les deux années précédentes), souligne Julien Bezin. Ceux qui ont le
plus arrêté sont les patients en prévention primaire (19,4 %, contre 11,6 % en 2011 et 12,7 % en
2012), mais c'est une population plus petite (14 % de l'échantillon analysé). » Aucune
augmentation de la mortalité n'a été observée dans ce dernier groupe, mais il n'y a pas suffisamment
22
de décès pour que cela soit statistiquement significatif. En revanche, les résultats du groupe à risque
intermédiaire, qui représente les deux tiers des dossiers examinés par les chercheurs, sont plus
inquiétants. Chez ces patients diabétiques ou sous traitements anticoagulants ou antihypertenseurs,
les arrêts de traitement sont passés de 8,3 % à 11,6 % et se sont accompagnés d'une surmortalité
de 13 %, soit 54 décès supplémentaires pour ce groupe de 20 000 personnes. Dans le groupe à haut
risque, moins important en nombre (18 % de l'échantillon), 36 décès de plus (+26 %) ont été
comptabilisés.
Hépatites virales : l’importance des tests
rapides
Le Monde du 29 juillet 2016 par Paul Benkimoun
Quatre cents millions de personnes dans le monde sont touchées par cette maladie, le plus
souvent sans le savoir
Les hépatites virales constituent un fléau mondial : 400 millions de personnes sont infectées par les
virus B et C – VHB et VHC, les plus répandus parmi les cinq responsables d’une maladie humaine
–, rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à l’occasion de la journée mondiale
consacrée, le 28 juillet, à cette infection. Une évaluation parue le 6 juillet sur le site de la revue The
Lancet chiffrait à 1,45 million le nombre de morts dues aux hépatites, un chiffre en augmentation et
supérieur au 1,1 million de décès liés au VIH. Certains chercheurs le pensent encore en dessous de
la réalité. L’OMS estime que seule une personne sur vingt sait qu’elle a une hépatite et seulement
une sur cent est traitée.
Le plus souvent asymptomatique et passant donc inaperçue, l’hépatite virale peut prendre des
formes aiguës, comme dans le cas de l’hépatite fulminante liée au VHB, mortelle en l’absence de
greffe du foie. Dans 50 % à 90 % des cas avec le VHC et dans 5 % à 10 % de ceux dus au VHB,
l’infection peut devenir chronique, avec le risque d’évoluer vers une cirrhose, voire un cancer du
foie. Il existe un vaccin efficace contre l’hépatite B mais pas contre l’hépatite C. Quant aux
traitements, ils sont partiellement efficaces dans les deux cas, celui contre l’hépatite C ayant
récemment connu un bouleversement, avec l’arrivée des antiviraux d’action directe très efficaces,
mais dont le prix reste encore élevé, notamment pour les pays à revenu intermédiaire. Même si elle
est classée comme une zone de faible endémicité, la France n’est pas épargnée, avec plus de
500 000 personnes infectées : environ 280 000 par le VHB et 230 000 par le VHC, selon l’ANRS
(France recherche Nord & Sud sida-VIH et hépatites). Cependant, seulement 45 % des personnes
infectées par le VHB et 59 % de celles vivant avec le VHC en France connaissent leur statut.
« Outil complémentaire »
Contrairement aux hépatites A et E, transmises par voie alimentaire, celles liées aux VHB et VHC
sont acquises par voie sanguine, l’hépatite B pouvant également l’être par voie sexuelle. Le
dépistage des hépatites B et C cible les personnes présentant un risque particulier d’être infectées :
individus originaires des zones de forte prévalence, usagers de drogues injectables, détenus,
personnes vivant dans l’entourage d’un porteur du virus et, pour le VHB, personnes ayant des
comportements sexuels à risque. Il s’effectue avec un test sanguin recherchant trois marqueurs de
l’infection. En cas de positivité, il permet d’orienter vers une prise en charge rapide, et dans le cas
contraire, de proposer la vaccination.
Des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) sont déjà déployés pour le VHC, après ceux
pour le VIH, qui nécessitent d’être confirmés par un test classique. Ils offrent l’intérêt d’être plus
facilement pratiqués, car ne nécessitant qu’une goutte de sang prélevée par une microponction au
bout du doigt. Ils sont mieux acceptés qu’un test avec prélèvement veineux dont il faut revenir
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chercher les résultats et sont réalisables en dehors de structures médicales. Plusieurs TROD VHB
ont été développés, mais un seul est commercialisé en France pour l’instant. Il ne détecte qu’un seul
marqueur de l’infection par le VHB, l’antigène HBs.
Néanmoins, le ministère de la santé a sollicité l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) afin
qu’elle évalue l’intérêt du TROD VHB. L’instance a rendu son avis lundi 25 juillet et estime qu’il
s’agit d’un « test d’utilisation simple qui permet d’atteindre des populations particulièrement
exposées, insuffisamment dépistées ou éloignées des structures de soins ». Elle juge que le TROD
VHB est « un outil complémentaire au test sanguin classique ».
Un résultat positif devra être confirmé par le test sanguin de référence et, si tel est le cas, une prise
en charge doit être proposée ainsi qu’une vaccination de l’entourage familial. Si le TROD VHB est
négatif, « une confirmation par le test sanguin classique devra être encouragée afin de savoir si la
personne peut bénéficier d’une vaccination. » Enfin, la HAS recommande de développer une
stratégie de dépistage combiné du VIH et des hépatites B et C appuyée sur les TROD et ciblant les
populations à risque.
La voix des sans-dents a été entendue
L’Humanité du 29 juillet 2016 par Louis Belin
Le ministère de la Santé a débloqué, mercredi, une aide financière pour les patients victimes
de soins bâclés par les cabinets dentaires à bas coûts Dentexia, liquidés en mars dernier.
Des mois de combat, et une issue heureuse. Mercredi, l’Inspection générale des affaires sociales
(IGAS), saisie en avril par le ministère de la Santé après de nombreuses plaintes de patients contre
l’association Dentexia, a remis son rapport à Marisol Touraine. Et dans la foulée, celle-ci a annoncé
une série de mesures d’aide aux victimes, qui devront être mises en œuvre « avant la rentrée ».
dans un communiqué, la ministre annonce ainsi le déblocage d’un fonds, doté de 3 à 10 millions
d’euros, destiné aux « patients connaissant, en raison de l’importance des soins à réaliser et de
leurs ressources, des difficultés à assumer ces frais ». Pour le financer, le ministère fait appel au
fonds d’action sociale de l’assurance maladie. Les agences régionales de santé devront également
« adapter les modalités d’accueil des patients concernés dans les centres hospitaliers et les facultés
dentaires », afin de permettre une reprise rapide des soins.
Le professeur Robert Garcia, doyen de l’unité de formation et de recherche (UFR) d’odontologie à
l’université Paris-Diderot, nommé « conseiller en charge de la reprise des soins », devra favoriser
le « dialogue » entre les professionnels et le Collectif contre Dentexia, qui regroupe aujourd’hui
2 390 victimes du cabinet low cost. Pour leur porte-parole, Abdel Aouacheria, cette réponse
institutionnelle est « une grande victoire ». Son objectif est désormais de s’assurer « que le niveau
de couverture corresponde aux besoins des patients », et que les mesures annoncées se concrétisent.
Coordinatrice du collectif de Chalon-sur-Saône, Christine Teilhol est plus sceptique : « Je ne vais
pas dire que je suis surprise parce que, quand on a un but, on y tient. Mais alors que le rapport de
l’Igas est très complet, les décisions du ministère manquent de précision. Des recommandations
vont certainement suivre, mais personne ne pourra contraindre un praticien à poursuivre des soins
qu’il n’a pas commencés ». Avec d’autres patients, la retraitée a porté plainte contre Dentexia et son
fondateur, Pascal Steichen. « Steichen en prison, cela ne me remet pas les dents. Mais le temps du
pénal viendra ».
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Vers des tarifs variables chez le médecin
La Croix du 29 juillet 2016 par Emmanuelle Lucas
Un dernier projet de convention a été soumis mercredi 27 juillet par l’assurance-maladie aux
syndicats de médecins libéraux qui doivent donner leur accord d’ici au 26 août. Au terme de
ce texte, la consultation des médecins généralistes passerait de 23 à 25 € le 1er mai 2017
Les médecins et l’assurance-maladie sont-ils en passe de trouver un accord ? Une étape importante a
été franchie dans ce sens mercredi 27 juillet. Deux syndicats de médecins, MG France qui
représente les généralistes, et le Bloc qui regroupe des chirurgiens, gynécologues-obstétriciens et
anesthésistes, ont en effet signé le projet de convention présenté par l’assurance-maladie. Ce texte
fixe notamment les rémunérations des médecins. Si un troisième syndicat le signe d’ici au 26 août,
il pourrait alors entrer en vigueur.
Les discussions engagées depuis plusieurs mois n’ont pas toujours été simples. Elles ont achoppé
notamment sur la revalorisation de la consultation de base à 25 €. Sur ce point, les syndicats ont
finalement obtenu gain de cause. La consultation de base passera bel et bien à 25 € en une seule fois
au 1er mai 2017, comme le réclamaient les médecins. Centrale lors des discussions, cette question
du tarif de base de la consultation n’est pourtant pas la principale innovation de ce texte, estime
l’économiste de la santé Claude Le Pen. En effet, pour la première fois, ce sont les modalités de la
tarification qui sont profondément remaniées. La convention prévoit que les patients ne paieront
plus forcément un prix unique quand ils iront chez le médecin. Une hiérarchie des consultations
serait mise en place avec des tarifs variables en fonction des actes.
Concrètement, jusqu’à présent, les patients de médecine générale, pédiatrie et psychiatrie payaient
un prix unique chez le médecin. Désormais il n’en ira plus de même. Par exemple, une consultation
simple de médecine générale pour une angine coûtera 25 € tandis qu’une consultation plus longue et
complexe, de dépistage du mélanome par exemple, chez le même médecin généraliste, passera à
46 €. « Depuis longtemps, était évoquée l’idée d’appliquer aux consultations purement cliniques,
c’est-à-dire sans geste technique, une sorte de nomenclature à l’image de celle qui existe déjà pour
les actes techniques des spécialistes, reprend Claude Le Pen. Cette fois c’est chose faite. Cette
évolution permet de mieux faire coller la rémunération du médecin avec le contenu exact de la
consultation. »
Cette avancée était défendue notamment par le syndicat de généralistes MG France qui affiche donc
sa satisfaction. En revanche, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) réserve sa
réponse. Le docteur Jean-Paul Ortiz, son président, estime en effet que, bien qu’ayant obtenu des
avancées significatives, la liste des consultations à 46 € reste incomplète. « De plus, certains
médecins restent exclus de la revalorisation. Les actes de fibroscopies gastriques ou d’épreuves
fonctionnelles à l’effort n’ont pas été revalorisés depuis dix ans et ne le seront encore pas cette foisci », détaille-t-il. Autre grief, la CSMF souhaite enfin que la convention soit « évolutive, afin de ne
pas attendre cinq ans pour rouvrir des négociations ».
Pourtant, chacun s’accorde à dire que l’enveloppe débloquée par l’assurance-maladie est généreuse :
1,3 milliard d’euros sur cinq ans. « Cette somme n’est d’ailleurs pas scandaleuse, reprend Claude
Le Pen. En vingt ans, les médecins français ont dégringolé en bas du classement des rémunérations
des médecins européens, selon l’OCDE. Entre l’impératif de maîtrise des dépenses de santé et de
blocage des honoraires, les marges de manœuvres ont été très faibles. » Au chapitre des incitations
financières toujours, une prime de 50 000 € sera accordée aux jeunes médecins qui s’installeront
dans les déserts médicaux, à condition qu’ils acceptent d’y exercer pendant trois ans et en groupe.
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Reste à trouver un troisième signataire d’ici au 26 août, sous peine d’enclencher une procédure
d’arbitrage confiée à Bertrand Fragonard. Il reviendra alors au président délégué du haut Conseil de
la famille de faire les derniers choix qui s’imposeront aux parties. Dans ce cas, le texte définitif ne
devrait toutefois pas s’éloigner de celui qui a déjà été accepté par les deux syndicats déjà
signataires. « Cela affaiblirait néanmoins la procédure conventionnelle, estime Claude Le Pen.
Cela serait très regrettable, car elle seule garantit un équilibre entre une médecine complètement
déréglementée ou étatisée. »
Les principaux points du texte
De nouveaux tarifs de consultations
– 25€ : consultation de base (1er mai 2017).
– 30 € : consultation des enfants jusqu’à 6 ans.
– 46 € : actes complexes comme le dépistage de mélanome (novembre 2017).
– 50 € : consultation chez le spécialiste demandée par le généraliste (48 € en octobre 2017, 50 € en
juin 2018).
– 60 € : actes très complexes, par exemple lors d’une prise en charge d’un cancer (novembre 2017).
Lutte contre les déserts médicaux : 50 000 € pour les installations en zones en tension (avec
engagement d’y exercer trois ans et en groupe).
Forfaits annexes : un « forfait patientèle » unique (jusqu’à 15 000 € par an) pour la prise en charge
de certains patients (affections longue durée, etc.) ; un « forfait structure » qui comprend une aide à
l’équipement informatique et des objectifs à atteindre en matière de service aux patients, dont la
prescription d’arrêts de travail en ligne, mesure qui avait fait polémique en avril.
Accès aux origines : forte croissance de
l’activité du CNAOP
Localtis.info du 28 juillet 2016 par Jean-Noël Escudié
Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) publie son rapport d'activité
2015. Cette publication intervient dans un climat plus apaisé qu'il y a quelques années, lorsque
l'organisme était déchiré entre partisans du maintien du secret dans le cadre de la loi (les parents
adoptifs) et partisans de l'accès à tout prix aux origines (les enfants adoptés devenus majeurs). Si le
climat est ainsi plus propice au travail sur des dossiers par nature très sensibles, la charge de travail
a connu en revanche une forte progression en 2015.
Près de 800 nouvelles demandes en 2015
La mission du Cnaop est - en liaison avec les départements (principalement les services de l'aide
sociale à l'enfance et de la protection maternelle et infantile) – de faciliter l'accès aux origines
personnelles pour les personnes qui en font la demande. Avec 798 nouvelles demandes l'an dernier,
l'activité progresse de 9 %. La hausse est plus forte encore si on s'en tient aux seules nouvelles
demandes jugées recevables : 585 en 2015, soit une augmentation de 38 % par rapport à 2014. Au
total - en tenant compte des nouvelles demandes et de celles qui étaient déjà en instruction -, le
Cnaop a traité 910 demandes écrites en 2015, soit + 24 % par rapport à 2014. Le nombre de dossiers
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clôturés en 2015 est resté, en revanche, identique à celui de 2014, mais à un niveau élevé (605
dossiers). Après une instruction, souvent complexe, l'identité d'un ou des parents de naissance a été
communiquée à 200 demandeurs en 2015. Cela est possible soit lorsque les parents de naissance
sont décédés sans avoir exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès aux
origines, soit lorsque ces parents de naissance ont consenti à lever le secret de leur identité, soit
lorsque l'examen du dossier a permis de constater qu'ils n'avaient pas demandé le secret.
600 accouchements dans le secret en 2015
Sur ce point, le rapport constate une augmentation sensible du pourcentage de parents de naissance
contactés par le Cnaop acceptant de lever le secret de leur identité : 52,75 % des parents de
naissance contactés en 2015 (soit 67 sur 127) ont accepté de lever le secret de leur identité, contre
41,5 % en 2014.
En revanche, les demandes spontanées de levées du secret de la part des parents de naissance restent
peu nombreuses : 58 levées de secret des parents de naissance en 2015, contre 60 en 2014, ainsi que
17 déclarations d'identité émanant d'ascendants, de descendants ou de collatéraux privilégiés des
parents de naissance, contre 11 en 2014. Enfin, près de 600 accouchements dans le secret –
anciennement appelés accouchements sous X - ont été signalés au Cnaop en 2015.
Directives anticipées, sédation profonde
Fin de vie : la loi Claeys-Leonetti entre en
vigueur
Pourquoi Docteur du 5 août 2016 par Anne-Laure Lebrun
Les conditions d'arrêt des traitements et de la mise en œuvre de la sédation profonde ont été
publiées au Journal Officiel, ainsi que les modalités des directives anticipées.
Le droit à la « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour les patients en fin de vie entre en
vigueur ce vendredi. Marisol Touraine, ministre des Affaires Sociales et de la Santé, a signé deux
décrets et un arrêté publiés au Journal Officiel permettant l’application de la loi seconde loi ClaeysLeonetti adoptée le 2 février 2016. « Souhaitées par le Président de la République, longuement et
largement concertées, les mesures qui entrent aujourd’hui en vigueur représentent une avancée
fondamentale pour les droits du malade et de l’individu. Elles constituent, sur un sujet aussi intime,
le point d’équilibre qui rassemble le plus largement dans la société française », a déclaré Marisol
Touraine.
Deux modèles de déclarations anticipées
Ces textes précisent les conditions dans lesquelles peuvent être décidés l’arrêt des traitements et la
mise en œuvre de la sédation profonde et continue. Ils établissent également deux modèles type de
directives anticipées, l’un pour les patients atteints d’une maladie grave ou pensant être proches de
la fin de vie, et l’autre pour les personnes bien portantes. Ces déclarations écrites permettent à
chaque individu d’indiquer à l’avance s’il souhaite limiter, ou arrêter, les traitements qu’il pourrait
recevoir en fin de vie, au cas où il deviendrait alors incapable d’exprimer sa volonté. Le refus
d’entreprendre ou de poursuivre une réanimation cardiaque et respiratoire, une assistance
respiratoire ou une alimentation et hydratation artificielles, pourra être indiqué « dans le cas où les
patients auraient définitivement perdu conscience et où ils ne pourraient plus communiquer avec
leurs proches », peut-on lire dans les formulaires. Une partie est également consacrée à la sédation
profonde et continue associée à un traitement de la douleur. Les rédacteurs devront spécifier s’ils
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acceptent ou non « ce traitement qui endort et qui a pour objectif la perte de conscience jusqu’au
décès ».
Valables toute la vie et modifiables
Consultatives jusqu’à aujourd’hui, ces directives s’imposent désormais aux médecins. Dans le cas
où le patient ne peut pas les écrire lui-même, une personne tierce en présence de deux témoins peut
le faire. Une fois signées, elles peuvent être remises à n’importe quel médecin, ou une personne de
confiance. Elles n’ont pas de limite dans le temps et peuvent être révisées à tout moment. Par
ailleurs, l’un de ces textes prévoit qu’un médecin peut ne pas tenir compte de ces directives
anticipées s’il les juge « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ». Il
devra alors recueillir l’avis de l’équipe de soins et d’un autre médecin « avec lequel il n'existe aucun
lien de nature hiérarchique ». La personne de confiance et les proches devront également être
consultés avant d’inscrire ces motifs de refus dans le dossier du patient.
« Pour promouvoir ce modèle des directives anticipées et permettre à chacun de s’approprier ces
nouveaux droits, la ministre lancera à la fin de l’année une campagne d’information auprès des
professionnels de santé, puis du grand public, sous l’égide du Centre national des soins palliatifs et
de la fin de vie », explique le ministère des Affaires sociales et de la santé.
Elle donne naissance à son premier enfant… à
63 ans !
MinuteNews du 5 août 2016
A 63 ans, une femme a donné naissance à son premier enfant par césarienne, une petite fille
née à l'hôpital privé de Parkville à Melbourne, lundi 1er août 2016. Une grossesse rendue
possible grâce à la fécondation in vitro. De nombreux médecins se sont insurgés contre une
telle pratique.
Si la venue du bébé a fait le bonheur de la maman, elle a fait grincer les dents de Gab Kovacs,
professeur à l’Université Monash, la plus grande université d’Australie. Ce dernier est révolté et ne
comprend pas que le corps médical ait permis à cette femme de procréer à un âge si avancé. Et il
explique sa position : Permettre à une femme de cet âge de tomber enceinte est irresponsable. Cet
enfant aura besoin de soins pendant 20 ans et la mère ne sera peut-être pas en mesure de lui
apporter. Nos corps ne sont pas conçus pour faire des enfants à 60 ans et plus. 53 ans est l’âge
limite pour donner la vie et au-delà il ajoute : « Ce n’est pas un standard de la médecine que je
pourrais tolérer ».
Le docteur Lynn Brumeister, spécialiste de la reproduction, rejoint l’avis de son confrère tout en
précisant que la procédure est cependant légale : « …Mais juridiquement, rien dans ce pays
n’empêche une femme âgée de subir un traitement de FIV. 53 ans est l’âge de la ménopause
naturelle. Nous arrêtons à ce moment-là. Mais il n’y a rien d’illégal. Les patientes peuvent aller à
l’étranger pour suivre des traitements de fertilité ». La maman de 63 ans a mis au monde par
césarienne. Elle a pu compter sur le soutien de son compagnon de 78 ans.
Michael Gannon, le président de Medical Association, a fait part de son mécontentement et taxe
cette mère d’égoïste.
Cette naissance plus que tardive relance le débat sur les limites de la PMA. Cette mère de 63 ans ne
verra pas grandir son enfant. Pensez-vous qu’il y ait un âge limite pour procréer et si oui, a-t-on le
pouvoir d’interdire le droit à la procréation… pour toutes ?
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L’homme bionique, perfection à la chaîne
Libération du 8 août 2016 par Emmanuel Guillemain d'Echon
Les progrès de la science laissent entrevoir la possibilité de créer un être augmenté, réparable
et modulable à volonté.
Il faudra un peu plus de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) pour y parvenir. Mais il est à
portée de main bionique, le rêve - cauchemar pour certains - d’un être mi-homme mi-machine qui
vivrait plus longtemps, en possession de toutes ses capacités, et même peut-être indéfiniment, avec
de nouveaux pouvoirs. Une nouvelle série d’Homo sapiens 2.0, transhumain ou posthumain. Bref,
une nouvelle espèce.
La question, en fait, n’est plus de savoir si cela se produira, mais quand et de quelle manière
exactement. La poussée des thèses transhumanistes, un courant de pensée originaire des Etats-Unis
qui vise à reléguer toujours plus loin les frontières de la mort, va grandissant, grâce à « la boulimie
de recherches, dont l’accélération, exponentielle, n’a jamais été aussi rapide », affirme Béatrice
Jousset-Couturier, auteure du livre le Transhumanisme. C’est ce qu’on appelle, depuis une
quinzaine d’années, la « convergence NBIC », un domaine scientifique au carrefour des
nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), de l’intelligence artificielle (I) et des sciences
cognitives ou neurosciences (C).
Première étape : la construction d’un humain en kit, réparable et modulable à volonté. On connaît
déjà, depuis quelques décennies, les greffes d’organes, les pacemakers ; les cœurs artificiels Carmat
ou Syncardia, pas encore tout à fait au point, équipent plusieurs centaines de patients. Ce n’est
qu’un début. Le premier rein bio-artificiel sera testé dès l’an prochain. Et les imprimantes 3D
annoncent l’ère du mécano-humain. Elles permettent à la fois de réduire les coûts, d’atteindre une
précision inégalée et d’individualiser le traitement : d’ici quelques années, il devrait être possible de
remplacer les organes abîmés d’un patient par des sains, produits à partir de ses propres cellules. On
sait déjà imprimer des morceaux microscopiques de foie ou de peau, mais aussi des veines, des os
ou du cartilage à taille humaine, parfaitement vascularisés quelques mois après leur greffe sur des
souris.
Sur les traces de Robocop
Les prothèses s’apprêtent elles aussi à faire des bonds de géant. Si des mains bioniques, qui
permettent un contrôle assez fin des doigts grâce à des capteurs installés sur les muscles des
moignons, équipent désormais des milliers de handicapés, des scientifiques de l’université de
Pittsburgh ont démontré qu’il était possible de les contrôler par la pensée, via des électrodes
implantées dans le cortex. D’autres chercheurs américains ont réussi à reproduire le sens du toucher
via la prothèse, en câblant celle-ci au système nerveux. La Deep Brain Stimulation (DBS,
« stimulation cérébrale profonde ») permet de faire l’interface entre l’homme et la machine en
agissant directement sur le cerveau, grâce à des impulsions électriques envoyées par des implants.
C’est ainsi que l’on arrive à réduire drastiquement, depuis dix ans déjà, les spasmes et les
tremblements des malades de Parkinson. L’an prochain, des chercheurs de l’université de
Melbourne testeront l’installation de ce genre d’implants sans avoir à ouvrir la boîte crânienne, par
une simple injection dans une artère du cou. Comme beaucoup d’autres à l’heure actuelle - et
comme souvent dans l’histoire des techniques médicales -, ces recherches sont financées par
l’armée, et en l’occurrence par l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Darpa),
le laboratoire du Pentagone, à l’origine en son temps de l’invention d’Internet.
Au départ, il s’agit de soigner les blessés de guerre, mais l’éventail des possibilités laisse ressurgir
le fantasme d’un super-soldat sur les traces de Robocop, qui n’aurait plus besoin de dormir, n’aurait
plus peur au combat et pourrait cicatriser à vitesse grand V. Demain, les implants cérébraux
pourraient permettre un dialogue entre les machines et les hommes, et fournir ces derniers en
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informations que nos sens sont incapables de détecter (vision de nuit, élaboration de stratégies
avancées, etc.). Des recherches financées par le Darpa s’attellent également à deviner et
« supprimer » la peur au moment où elle se manifeste par une hyperactivité de l’amygdale
cérébrale, ou encore à recréer ou modifier des souvenirs. Ce qui laisse craindre des dérives
évidentes. Qui empêchera les armées de se servir de ces techniques pour les soldats en action ? Sans
parler d’une utilisation à des fins totalitaires.
Puce dans le pouce
Le plus difficile à anticiper, peut-être, c’est que toutes ces nouvelles technologies ne visent plus
simplement un retour à la « normale » pour handicapés ou malades.
Il s’agit de la création d’une nouvelle norme, d’un homme « augmenté », qui concernera tout le
monde, soldats comme civils. Il s’est déjà produit la même chose avec la chirurgie esthétique, née
du besoin de réparer les « gueules cassées » par les canons de la Première Guerre mondiale.
Aujourd’hui, elle sert plus largement à remodeler seins, fesses et minois au gré des canons de
beauté en vogue. Après tout, les prothèses de demain, encore malhabiles, seront plus puissantes et
permettront des exploits au-delà des capacités de nos pauvres membres. Les lames de carbone qui
remplaçaient les pieds d’Oscar Pistorius lui ont permis de tutoyer les chronos des athlètes valides.
Alors, pourquoi ne pas un jour s’en servir pour remplacer ou recouvrir des jambes en parfait état ?
On ne compte plus les « biohackers » en parfaite santé, cyborgs autoproclamés qui expérimentent
ces nouvelles technologies sur eux-mêmes, hors de tout contrôle médical. Depuis quelques années,
il suffit d’aller chez un tatoueur pour se faire injecter dans le gras du pouce une puce capable
de déverrouiller un smartphone, d’ouvrir une porte sécurisée ou encore de payer ses achats sans
contact (coût : à partir de 39 dollars, soit 35 euros) ; ou bien un aimant dans l’annulaire, pour
ressentir les champs électriques à portée ; ou encore des objets connectés, sous la peau, permettant
de surveiller en permanence le pouls ou la pression artérielle… Plus besoin d’Apple Watch ! On
envisage aussi de faire appel à des nanorobots pour réparer et entretenir le corps de l’intérieur, à la
place des anticorps, ou empêcher le vieillissement des cellules.
Quant aux progrès de l’intelligence artificielle et de la connaissance du cerveau, ils laissent présager
des évolutions plus folles encore. Ray Kurzweil, pape de l’intelligence artificielle et chercheur star
de Google, prophétise que d’ici la moitié du XXIème siècle, il sera possible de télécharger sa
conscience sur un support numérique et de vivre ainsi éternellement, en dehors de toute enveloppe
charnelle, dans une réalité mi-virtuelle. Imaginez un peu un homme qui ne serait plus une série de
cellules, mais de 0 et de 1…
La loi sur la fin de vie va pouvoir entrer en
application
La Croix du 8 août 2016 par Pierre Bienvault
Le ministère de la santé a publié trois textes réglementaires précisant les conditions de mise en
œuvre de deux dispositions de la loi, sur la sédation profonde et les directives anticipées.
Les nouveaux droits des personnes en fin de vie ont été publiés vendredi 5 juin au Journal officiel.
Trois textes réglementaires précisent les conditions de mise en œuvre de deux grandes dispositions
de la nouvelle loi. La première concerne le droit pour les malades incurables de pouvoir bénéficier,
jusqu’au décès, d’une sédation profonde et continue pour dormir et ne plus souffrir. La seconde
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porte sur la possibilité de rédiger des directives anticipées pour exprimer sa position sur les
traitements délivrés en situation de fin de vie.
Un des décrets précise d’abord qu’en « toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager
les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état » et l’assister moralement. « Il doit
s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des
traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul
maintien artificiel de la vie », indique le texte.
À la demande du patient, le médecin peut délivrer une sédation profonde et continue provoquant
« une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de
l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Cette décision doit être collégiale et inscrite dans le
dossier du patient.
Si celui-ci n’est plus en état d’exprimer sa volonté et qu’un arrêt de traitements a été décidé pour
refuser l’obstination déraisonnable, le médecin peut aussi, après une procédure collégiale, délivrer
une sédation. Sauf si le patient s’y était opposé dans ses directives anticipées.
Un autre décret et un arrêté présentent les modalités de rédaction des directives anticipées. Pour
aider la personne à exprimer clairement ses volontés, deux modèles seront proposés : le premier
pour une personne en fin de vie ou ayant une maladie grave, le second pour une personne en bonne
santé. Dans ces formulaires, chacun pourra indiquer sa position sur le maintien artificiel en vie en
cas de perte définitive de conscience, sur la délivrance de traitements apparaissant « inutiles et
disproportionnés » ou sur une sédation profonde et continue. Alors qu’elles étaient jusqu’alors
seulement « consultables », ces directives s’imposeront désormais au médecin. Avec toutefois une
exception : s’il les juge « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale »,
le praticien pourra ne pas les appliquer, mais après une décision prise à la suite d’une procédure
collégiale.
Concrètement, le médecin devra alors recueillir l’avis de membres de l’équipe de soins ou d’un
autre médecin, « appelé en qualité de consultant », sans lien hiérarchique avec lui. En cas de refus
d’application des directives anticipées, la décision devra être motivée. Pour faire connaître ce
nouveau droit sur les directives anticipées, Marisol Touraine va lancer à la fin de l’année une
campagne d’information.
GPA : le gouvernement français semble
désormais ne plus avoir d’« idéologie » sur
le sujet
Le Blog de Jean-Yves Nau du 6 août 2016
C’est un nouveau rebondissement dans le long feuilleton français de la GPA – celui de son
interdiction contestée. Nous en étions restés à la porte entrouverte (de manière mi-jésuite mihypocrite) par le Conseil d’Etat.
L’affaire : « Mme A., ressortissante française, a demandé à l’ambassade de France en Arménie un
laissez-passer consulaire pour lui permettre de regagner le territoire français en compagnie d’un
enfant, né en Arménie le 24 juin 2016, et dont l’acte de naissance, établi par le service d’état-civil
arménien, indiquait qu’elle était sa mère. L’ambassade a refusé de délivrer le laissez-passer
31
consulaire après avoir estimé que cette naissance résultait d’une convention de gestation pour autrui
et que, dès lors, Mme A. ne pouvait être regardée comme mère de l’enfant. »
Rappel : la gestation pour autrui (GPA) est une pratique interdite en France. Mme A. fait valoir son
statut de mère sur l’acte de naissance apostillé par les autorités arméniennes – et ce afin d’être
conforme au droit français. Elle a aussi plaidé l’urgence de l’obtention d’un laissez-passer pour le
bébé, puisqu’elle devait rentrer en France « pour des raisons professionnelles ». Autant d’éléments
dont elle savait pertinemment qu’ils ne lui permettraient pas un retour simple, en France, de l’enfant
qu’elle s’était procuré en Arménie.
Il fallait toutefois compter avec les méandres de la justice administrative. Après avoir été condamné
devant le tribunal administratif de Paris le 26 juillet, le ministère des Affaires étrangères avait fait
appel de la décision. Et le Conseil d’Etat lui a ordonné mercredi 3 août, de délivrer un laissez-passer
à l’enfant et (mieux encore) de dédommager la plaignante de 3 000 euros de frais d’avocat.
On apprend aujourd’hui que le ministère des Affaires étrangères (et donc le gouvernement) se
conformera à la décision du Conseil d’Etat qui permet de solidifier la jurisprudence en matière de
droit de la filiation. « C’est une situation inédite que l’acte de filiation ne comporte pas de père.
Nous avions besoin d’une décision du Conseil d’Etat qui puisse faire jurisprudence. Nos services
n’ont pas de position idéologique (sic) concernant le retour en France des enfants nés par GPA,
mais nous avons besoin d’instructions juridiques, une ligne de conduite », explique aujourd’hui une
« source ministérielle proche du dossier » citée par Le Monde (Nicolas Scheffer). Cette source
rappelle que la décision du Conseil d’Etat n’est pas une reconnaissance de la nationalité française
de l’enfant et que cette décision « permet de solidifier la jurisprudence en matière de droit de la
filiation ». Le style du Quai d’Orsay est inimitable.
Me Caroline Mécary, l’avocate (bien connue des médias) de Mme A., ne l’entend pas de cette oreille.
Selon elle le débat ne se situe pas sur le recours à la GPA. Et Le Monde de rappeler que le Conseil
d’Etat écrit dans son ordonnance de décision que « la circonstance de conception de cet enfant (…)
serait, à la supposer établie, sans incidence sur l’obligation (…) d’accorder une attention
primordiale à l’intérêt supérieur des enfants ». Un acte de naissance étranger, s’il est apostillé, est
reconnu par la France. L’avocate se fonde ici sur la célèbre circulaire Taubira du 25 janvier 2015,
selon laquelle « le seul soupçon du recours à une telle convention [le contrat passé avec une mère
porteuse] conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de certificat de
nationalité française ». Pour Me Mécary, « il n’y a pas de vide juridique, le ministère des Affaires
étrangères est au mieux incompétent, au pire dogmatique ». Cette avocate en est persuadée : une
fois la filiation maternelle de l’enfant reconnue par les autorités françaises, les démarches pourront
être effectuées pour lui obtenir la nationalité française. La porte est entrouverte et le tour sera joué.
Un ministère sans position « idéologique »… Un ministère accusé d’incompétence et/ou de
dogmatisme…
En harmonie avec Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Premier ministre, déclarait publiquement (dans
La Croix) le 3 octobre 2014, que la GPA est « une pratique intolérable de commercialisation des
êtres humains et de marchandisation du corps des femmes ». Il ajoutait : « la France entend
promouvoir une initiative internationale qui pourrait aboutir, par exemple, à ce que les pays qui
autorisent la GPA n’accordent pas le bénéfice de ce mode de procréation aux ressortissants des
pays qui l’interdisent (…) À la demande du président de la République, Laurent Fabius, le ministre
des Affaires étrangères, prendra dans les semaines qui viennent des initiatives pour trouver le
cadre approprié ».
Nous sommes en août 2016. Laurent Fabius préside le Conseil constitutionnel. Jean-Marc Ayrault,
ancien Premier ministre, lui a succédé au Quai d’Orsay. Manuel Valls est toujours Premier ministre.
Les semaines qui viennent sont bien loin désormais et le cadre approprié voulu par le président de
la République n’a jamais vu le jour. Quant au gouvernement, il n’a plus de position idéologique sur
ce qui, hier, relevait de l’esclavagisme et de la marchandisation du corps des femmes. C’est là, tout
simplement, une position illogique, intenable autant qu’intolérable.
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RECHERCHE
Sida : vers une trithérapie allégée
Le Figaro du 21 juillet 2016 par Pauline Fréour
Un nouvel essai présenté à Durban confirme la possibilité de réduire les prises
médicamenteuses à 4 par semaine.
Si les antibiotiques ne sont pas automatiques, les antirétroviraux, eux, sont quotidiens pour les
personnes séropositives sous peine de voir le virus repartir à la charge. Quoique. Depuis quelques
années, une poignée de médecins, au premier rang desquels le Pr Jacques Leibowitch (hôpital
Raymond-Poincaré de Garches), explore avec des patients volontaires une réduction de la
trithérapie à quelques jours par semaine, le virus pouvant rester inerte pendant sept à vingt jours
chez un patient traité intensivement les premiers mois.
La 21ème conférence internationale sur le sida qui se tient actuellement à Durban, en Afrique du Sud,
a permis de présenter les derniers résultats en la matière, avec l'essai français 4D conduit par
l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS). Une centaine de patients suivis
dans 17 hôpitaux français ont restreint leur traitement à 4 prises hebdomadaires au lieu des
7 habituelles. Ils devaient nécessairement être sous trithérapie depuis au moins un an, présenter une
charge virale indétectable et n'avoir pas d'antécédents de résistance. Les résultats sont excellents :
96 d'entre eux n'ont pas vu leur charge virale augmenter pendant les onze mois qu'a duré
l'expérience. « Parmi les 4 patients en échec, l'un a abandonné rapidement par peur, et deux n'ont
vraisemblablement pas bien suivi leur traitement », explique Pierre de Truchis (hôpital RaymondPoincaré), qui a conduit l'étude. Ce qui ne laisse plus qu'un patient chez qui la stratégie a échoué à
maintenir la charge virale indétectable.
Test clinique de grande ampleur
Quels sont les bénéfices pour les patients ? « Nous n'avons pas réussi à montrer une modification
significative de la qualité de vie, peut-être parce que nous n'avions retenu que des volontaires
tolérant déjà bien leur traitement au quotidien », reconnaît le Dr de Truchis. « Mais ce qu'on voit,
c'est leur satisfaction de pouvoir se passer de la trithérapie le week-end. » Les gains potentiels sont
aussi financiers. « Sachant qu'une trithérapie coûte 1000 euros par mois en France, et que la
stratégie du 4D réduit le coût de 40 %, à raison de 50 000 personnes éligibles sur les
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100 000 traitées en France, les retombées seraient non négligeables », résume le Dr de Truchis.
Malgré ces bons résultats, une nouvelle étape s'impose avant que l'allégement thérapeutique puisse
être recommandé : la conduite d'un nouvel essai de plus grande ampleur. L'ANRS devrait lancer le
test clinique avec 640 volontaires d'ici à la fin de l'année.
Inspirateur de cette stratégie, le Pr Jacques Leibowitch juge cet essai encore trop timide par rapport
aux résultats qu'il a lui-même observés dans le cadre du programme Iccarre depuis une dizaine
d'années. Sur 114 patients, 98 sont passés à 3 jours, puis 81 à 2 jours, décrit-il. Un petit nombre a vu
sa charge virale repartir à la hausse, mais le retour à un traitement quotidien a permis d'inverser la
dynamique et de retenter l'aventure. Pour l'infectiologue, alléger la trithérapie autant que possible
relève de la déontologie médicale : « Nous devons adapter la posologie à ce qui est nécessaire et
suffisant. Ce n'est pas faire de l'humanitaire, c'est de la science. »
Un vaccin testé à large échelle
L’espoir d’un vaccin contre le sida perdure malgré les difficultés rencontrées depuis des années par
les chercheurs. A l’occasion de la conférence internationale de Durban, une équipe a présenté les
résultats encourageants de l’essai HVTN100 mené en 2015 sur 252 personnes. Dans une version
précédente testée en Thaïlande, le vaccin avait montré une faible efficacité préventive à 31 %.
Depuis, les chercheurs l’ont modifié dans l’espoir d’augmenter son effet à 60 %. Le recul manque
encore pour savoir si le but est atteint mais le système immunitaire des volontaires a bien répondu.
Un plus vaste essai portant sur 5 400 volontaires va suivre pour mesurer son efficacité dans la
population sud-africaine, l’une des plus touchées au monde.
À Bordeaux, de la peau humaine fabriquée par
imprimante
Le Figaro du 21 juillet 2016 par Pauline Fréour
Issue de la recherche Inserm, la start-up Poietis mène des études sur des échantillons
d'épiderme créés à partir de cellules vivantes traitées par imprimante 3D.
Dans le bioparc de Pessac, il y a des lapins qui mâchonnent et des promeneurs à vélo. Le soleil
réchauffe la pinède douchée par une récente ondée et l'on imagine mal que dans l'un des bâtiments
bas bardés de bois qui émaillent le domaine de 17 hectares, des scientifiques en blouses bleues
fabriquent… de la peau humaine. À la machine.
L'instrument en question, une bioimprimante 3D unique au monde, trône au cœur des locaux de la
start-up Poietis, dans un laboratoire vitré protégé par un sas pressurisé. Blouse obligatoire à l'entrée,
mais rock à fond à l'intérieur - on a beau travailler ici de la matière « vivante », il ne s'agit jamais
que de cellules. Peu de risques qu'elles soient perturbées par la programmation musicale. Grand
comme deux hommes, le prototype n'occupe, au final, qu'une petite partie de l'espace, le reste étant
dédié à d'autres équipements classiques des laboratoires de biologistes : incubateurs, paillasses… Le
cofondateur de l'entreprise, Fabien Guillemot, détenteur d'un doctorat en sciences des matériaux, a
passé plusieurs années à mettre cette technologie au point lorsqu'il était chercheur au sein du
laboratoire bordelais BioTis de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale),
avant de se lancer dans l'entreprenariat il y a deux ans. La réalisation de tissus vivants complexes
par impression 3D est maîtrisée par plusieurs équipes scientifiques dans le monde, mais la
technologie « made in Bordeaux » est la seule à utiliser un laser pour déposer la matière, là où les
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autres bioimprimantes 3D emploient des seringues ou des jets d'encre. À la clé, une meilleure
précision et une plus grande concentration de matière, vante son concepteur.
« Il faut 10 minutes pour imprimer 1 cm² de peau », estime Fabien Guillemot devant la machine
protégée par une hotte. Le laser est d'abord réfléchi par un miroir orienté par ordinateur puis
focalisé par une lentille. À chaque fois que le laser touche la surface du liquide où baignent les
cellules, un jet se forme et tombe sur le support avec une précision de l'ordre de 20 microns, soit la
taille d'une cellule. Avantage corollaire très pratique : le liquide ne passant par aucun contenant de
type piston, aucun risque que ça ne se bouche ! Mais pour obtenir une « peau » exploitable, le
processus ne s'arrête pas à l'accumulation de couches de cellules. « Après l'impression, il faut
encore un temps de maturation très important, de l'ordre de 3 semaines pour une peau composée de
derme et d'épiderme », explique Fabien Guillemot.
Une fois les kératinocytes et fibroblastes disposés mécaniquement sur une structure en collagène, il
est nécessaire que ces cellules humaines caractéristiques de la peau établissent des liens entre elles
pour assurer la survie et la fonction du tissu. Cette maturation est favorisée par des bains contenant
des agents actifs. Caroline Artiges, ingénieure, sort quelques échantillons d'un incubateur. Surprise :
cela ne ressemble pas… à de la peau. Au fond d'un récipient en plastique transparent, des petits
monticules blanchâtres trempent dans un liquide rose vif. La question de leur consistance la laisse
perplexe. « Comme une panacotta où l'on aurait versé trop de gélatine », hasarde-t-elle. « Mais
c'est exactement ce qu'il faut. »
Sensibilité, pilosité, sudation : « La peau est un organe très complexe dont l'architecture interne et
la composition varient avec l'âge », rappelle Fabien Guillemot. « Mais l'on peut avoir des
applications utiles avec des structures simples. » Pour l'instant, Poietis se finance en vendant des
études conduites sur ces échantillons à des firmes de cosmétiques ou pharmaceutiques. « Nous
sommes en mesure de créer un échantillon répondant à leurs demandes spécifiques, des peaux
pathologiques par exemple. » Pourquoi la peau, alors que le procédé pourrait être, et a déjà été,
appliqué à d'autres types de tissus, comme les vaisseaux ? « Nous ne pouvions pas être partout et la
peau nous est apparue comme un marché intéressant dans la mesure où la France est le plus gros
pays en termes de R&D en cosmétique », indique Fabien Guillemot. Lui et son associé Bruno
Brisson semblent bien ne pas être les seuls à y croire : la dernière levée de fonds de la start-up a
atteint 2,5 millions d'euros, dont la moitié en provenance d'investisseurs privés. « Cela nous donne
2 ans de visibilité financière utiles pour lancer nos développements. »
L'entrepreneur, qui a fait le pari d'un changement de carrière (son statut de chercheur à l'Inserm lui
permet une mise en disponibilité de 10 ans), se montre assez critique sur le financement de la
recherche publique en France. « Je trouve dommage que la prise de risque scientifique ou
technologique ne soit pas plus encouragée. Aujourd'hui, les processus d'évaluation des chercheurs
et de sélection des projets pour leur financement conduisent à l'effet inverse : le soutien va en
majorité à des projets qui ne sortent pas des sentiers battus. Après le démarrage du projet en 2006,
il nous a fallu attendre 4 ans avant de publier les premiers résultats sur la bioimpression par laser.
Les projets ambitieux nécessitent des moyens mais aussi du temps. Il faut l'accepter et la recherche
française, par le statut des chercheurs et leur qualité, présente un avantage compétitif qui est
aujourd'hui insuffisamment exploité. »
« Bioimpression in situ »
Bien qu'ils poursuivent désormais des objectifs différents, le chef d'entreprise entretient des rapports
synergiques avec le laboratoire Inserm BioTis dont il est issu, dirigé par Jean-Christophe Fricain.
« Nous prêtons à Poietis le second prototype de l'imprimante laser qu'il a développé », explique le
Pr Fricain, qui dispose pour sa part de la première génération de la technologie dans ses locaux
bordelais. Avec Raphaël Devillard, chercheur dans ce même laboratoire, il parle avec enthousiasme
de la prochaine frontière de médecine régénératrice : « la bioimpression in situ », autrement dit
l'impression 3D de tissus vivants directement dans l'organisme du receveur, qui sert alors
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d'incubateur à son greffon. L'équipe s'apprête à publier des résultats sur la souris. « Les rongeurs
avaient un trou dans la calotte crânienne. Nous avons montré que la façon dont on déposait les
cellules osseuses sur la blessure, en cercle ou en disque, donnait une cicatrisation différente »,
explique Jean-Christophe Fricain.
Prochaine étape : les gros animaux… et l'homme ? « Nous avons déposé une demande de
financement auprès de l'Agence nationale pour la recherche pour créer une imprimante adaptée. »
Le rêve ultime, encore très éloigné, pose de nouveaux défis techniques. « Même endormi, un patient
n'est jamais totalement immobile car il respire. Il nous faut donc concevoir un laser capable de
compenser ces micro-mouvements, et de tourner autour des membres ou organes ronds », explique
Raphaël Devillard.
À terme, l'objectif de Poietis est de pouvoir créer de la peau « à la demande pour servir de greffons
aux grands brûlés », poursuit Fabien Guillemot, qui pense cet objectif réalisable d'ici 5 à 10 ans.
Les cellules servant de matière première sont actuellement achetées auprès de sociétés agréées pour
le retraitement des déchets biologiques des hôpitaux, mais en cas de greffon personnalisé, « on
pourrait utiliser celles du patient pour éviter les problèmes de rejet », prédit-il. Alors que l'on fête
cette année les 200 ans de la publication de Frankenstein, où s'arrêtera le rêve de la fabrication de
l'homme ? « D'une certaine façon, nous fabriquons du vivant », analyse-t-il. « Des lois et des règles
doivent sans doute entourer le travail des technologues que nous sommes. La balle est dans le camp
des comités de bioéthique. »
Des questions éthiques et sociologiques inédites
Quel statut faut-il accorder à ces nouveaux « bio-objets » que sont les tissus bioimprimés ? La
sociologue Céline Lafontaine, professeure à l'université de Montréal et auteure du livre Le corpsmarché (Seuil), est l'un des premiers intellectuels à se pencher sur le sujet. « Dans le processus de la
bioimpression, proche de l'ingénierie, la cellule vivante tend parfois à être appréhendée comme de
la simple matière », remarque-t-elle. Or l'usage du vivant pose des questions « éthiques,
sociologiques et économiques », poursuit la sociologue, invitant au débat sur cette transformation
du rapport au corps. « La situation est différente d'une greffe, où l'organe, intact, est donné et
transféré d'un corps à l'autre. Il s'agit ici de cellules d'origines diverses et inconnues, mises à
proliférer à l'insu de la personne dont elles sont issues et potentiellement commercialisées par la
suite. » Céline Lafontaine s'intéresse également au discours qui se crée pour évoquer la
bioimpression. « On est dans l'univers de la promesse. Pour se maintenir économiquement parlant,
les acteurs du secteur prédisent déjà des organes alors qu'on en est loin. »
Homme/robot. Le trouble au rendez-vous
L’Humanité Dimanche du 21 juillet 2016 par Marine Cygler
Aujourd’hui, les robots sont cantonnés à une ou deux tâches ménagères. Demain, ils seront
capables d’interagir avec l’homme. Avec un peu de science, les relations deviendront de plus
en plus fines. Encore faut-il que nous acceptions ces automates.
Vous déménagez. Besoin d’un coup de main ? Un jour, un robot pourrait vous aider à porter une
commode imposante. Mais soulever un meuble lourd à deux n’est pas une tâche si simple. Elle
exige de comprendre l’intention de l’autre et d’adapter sa force. Si les humains l’exécutent de façon
tout à fait naturelle, notamment grâce au regard, c’est une tâche très difficile pour un robot. Voici
un des nombreux défis que doivent relever les chercheurs pour que les robots entrent vraiment dans
36
notre quotidien. Aujourd’hui, la robotique industrielle est le fer de lance de la recherche dans le
domaine. Les robots font des mouvements répétitifs avec un haut degré de précision mais ne sont
pas capables de contrôler leurs efforts et, surtout, personne ne peut les toucher. S’ils sont capables
de détecter la présence des mains, c’est avant tout pour éviter le contact. Du côté de la maison, ces
engins font plus office de gadgets, même s’ils sont bien utiles : on trouve, par exemple, des robots
aspirateurs et des tondeuses robots. Loin du compagnon idéal.
Cela dit, certains pays ont déjà franchi l’étape supérieure avec des recrues automatisées pour des
tâches nécessitant des contacts avec les humains. En Belgique, une première en Europe : deux
humanoïdes Pepper, 1,20 m de plastique blanc, avec de grands yeux qu’on pourrait qualifier
d’expressifs, ont intégré des équipes médicales en juin. Leur rôle : accueillir et orienter les patients
de deux hôpitaux, le CHR Citadelle de Liège et l’AZ Damiaan d’Ostende. Celui-ci utilise déjà,
depuis 2013, le robot Nao, de la société Aldebaran, en pédiatrie et en gériatrie.
Doué de facultés émotionnelles, Nao rassure les enfants, qui doivent se faire opérer et leur fait
passer le temps, tandis qu’il dirige les exercices de gymnastique et propose des entraînements
cognitifs aux plus âgés. Nao est la représentation même de l’humanoïde. Il faut dire que, depuis
2006, date de sa « naissance », il ne cesse de parcourir le monde pour faire des démonstrations de
ses prouesses : il parle, danse, fait du football… Au cours de l’année 2015, il a fait office de
démonstrateur lors d’une expérience pilote dans différents magasins Darty de l’Hexagone.
Japon, labo d’innovations
Au Japon, pays pionnier dont la population a soif de nouveauté et de futurisme, Nao et ses
congénères ont conquis l’espace public. Aucune surprise à les voir officier en tant qu’hôte d’accueil
et de serveurs dans les hôtels, les supermarchés ou encore les restaurants. Dans le Henn-na Hotel,
« l’hôtel bizarre », hormis le changement de drpas et le système de surveillance, la gestion de
l’établissement est entièrement l’affaire de robots : la conciergerie est tenue par une humanoïde
troublante d’humanité jusqu’au clignement de cils, l’enregistrement se fait auprès d’un dinosaure
qui monte aussi les bagages dans les chambres. Toujours au pays du Soleil-Levant, les particuliers
vont commencer à s’équiper également car, au-delà de l’aspect ludique, les besoins d’aide pour une
population vieillissante sont de plus en plus difficiles à satisfaire. Encore un peu de science dans ces
machines et nous les verrons comme de précieux alliés.
Le point de vue de Serena IVALDI, chercheuse dans l’équipe
LARSEN de l’INRIA
Pourquoi étudier l’interaction homme-robot côté humains ?
Dans cette relation, il y a deux acteurs. Il faut, d’une part, que le robot puisse comprendre ce que la
personne veut. Il faut, d’autre part, que nous comprenions ce que le robot est en train de faire. De
plus en plus d’études sont menées pour documenter comment les gens interagissent avec les robots
afin de construire des machines compréhensibles y compris par les non-experts. Ce sont des travaux
à la frontière entre robotique et psychologie. La plateforme de recherches humanoïdes iCub, bardée
de capteurs (microphone, caméra, capteur de force…), a pour but de discriminer les signaux
critiques pour que la communication puisse se faire.
Peut-on prédire la réaction d’une personne face à un robot ?
Dans nos expériences avec des volontaires non experts, on observe une palette large de réactions,
même si les gens sont surtout curieux. Certains s’inquiètent que la machine puisse prendre le
dessus ; d’autres développent des interactions fluides. On se rend compte que cette réaction dépend
de notre personnalité. Les gens plutôt extravertis dans la vie le sont aussi face aux robots. Ils leur
parlent plus que les personnes moins sociables. Ceux qui ont une attitude négative vis-à-vis du
robot ont tendance à éviter son regard. C’est amusant de voir qu’on attribue aux robots
l’intelligence d’un homme.
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Est-il préférable que le robot ressemble à un homme ?
Cela dépend. Les personnes ont tendance à anthropomorphiser les machines. Dans les années 1970,
le chercheur japonais Masahiro Mori a formulé le modèle de la Vallée dérangeante (Uncanny
Valley), qui permet de prédire la réaction émotionnelle face à un robot. Plus il s’approche de la
forme humanoïde, plus le robot est accepté. Mais quand la ressemblance devient très importante, la
réaction est perturbée : le robot nous ressemble tellement qu’il nous dérange et qu’on le rejette.
Une carte inédite du cerveau humain
Courrier International du 22 juillet 2016
La nouvelle cartographie ultradétaillée du cortex cérébral révèle près de 100 zones jusque-là
non identifiées.
Rien de tel qu’une bonne carte bien précise pour se repérer, comprendre où l’on est et savoir où l’on
va. En partant de ce principe, une équipe de scientifiques a établi une cartographie détaillée du
cortex, la couche la plus extérieure du cerveau – plus connue sous le nom de matière grise. Cette
nouvelle carte, publiée mercredi 20 juillet dans la revue à comité de lecture Nature, divise le
cerveau en 180 régions distinctes. « 97 d’entre elles n’ont encore jamais été décrites, bien qu’elles
présentent de nettes différences par rapport à leurs voisines en termes de structure, de fonction et
de connectivité », indique Nature dans un article destiné à un public de non-spécialistes.
Bruce Cuthbert, directeur de l’Institut américain de la santé mentale, qui a cofinancé les recherches,
a commenté auprès du site ABC : « Ces nouvelles connaissances et ces nouveaux outils devraient
permettre d’expliquer comment notre cortex a évolué, ainsi que le rôle de certaines zones
spécialisées dans la santé et les maladies. »
Ce n’est pas la première fois que les chercheurs s’appliquent à représenter le cerveau en le divisant
en petites zones, façon puzzle, pour tenter de mieux appréhender son fonctionnement dans son
ensemble. Mais, jusqu’à présent, chacune de ces cartes n’était fondée que sur un seul type de
mesure. « Ce qui peut conduire à une vision incomplète ou même trompeuse du fonctionnement
interne du cerveau », explique à Nature Thomas Yeo, neurologue spécialisé en informatique à
l’Université nationale de Singapour, qui n’a pas participé à l’étude.
Cette toute nouvelle carte combine plusieurs types de mesures par imagerie par résonance
magnétique (IRM) récoltées auprès de 210 jeunes adultes en bonne santé participant au
projet Human Connectome Project. Elle est donc bien plus précise – mais présente tout de même
des limites. « Elle révèle peu de choses sur les fondements biochimiques du cerveau ou sur le
fonctionnement des neurones individuels ou en petits groupes », écrit Nature. Pour Mathew Glasser,
qui a dirigé l’étude, cette carte n’est qu’une version 1.0.
Tourisme des cellules
complication redoutable
souches
:
une
Sciences et Avenir du 21 juillet 2016 par Marc Gozlan
L’offre de traitements à base de cellules souches ne cesse de progresser dans plusieurs pays. Une
récente étude américaine, publiée le 30 juin 2016 dans la revue Cell Stem Cell, a recensé 351
38
sociétés proposant, via un marketing direct aux consommateurs, ce type de traitement à 570
cliniques aux Etats-Unis. Ces traitements, non homologués par les autorités sanitaires, sont
disponibles dans 113 établissements en Californie, 104 en Floride, 71 au Texas, 37 dans le
Colorado, 36 en Arizona et 21 dans l'Etat de New York.
Rares sont les domaines de la recherche biomédicale qui sont aussi prometteurs que celui des
cellules souches. Si les promesses sont immenses, on est cependant encore loin de transposer les
résultats de recherche fondamentale en traitements sûrs et efficaces. Qu’importe pour des sociétés
basées aux Etats-Unis, en Chine, au Kazakhstan, au Mexique, en Argentine, qui voient là un marché
très lucratif. On parle à ce sujet de « tourisme des cellules souches ». Ces entreprises exploitent
délibérément la vulnérabilité de personnes gravement malades ou handicapées en leur faisant
miroiter l’efficacité de tels traitements, hors de prix, sur la base d'informations trompeuses ou
insuffisantes et en omettant de mentionner les risques potentiels qui y sont associés.
La survenue d’une complication neurologique gravissime liée à ce type de tourisme médical vient
d’être rapportée par des médecins américains dans le numéro du New England Journal of Medicine
(NEJM) daté du 14 juillet 2016.
Le cas clinique rapporté dans le NEJM concerne un patient de 66 ans de San Diego (Californie),
ancien directeur juridique d’une grosse entreprise, qui voulait à tout prix récupérer d’un handicap
moteur lié à un accident vasculaire cérébral survenu en mai 2009. Après son AVC ischémique, lié à
l'obstruction d'une artère cérébrale par un caillot, ce patient a présenté une faiblesse musculaire du
bras et de la jambe gauche et marchait avec une attelle jambière et une canne. Aujourd'hui, après un
traitement par cellules souches, il se retrouve paraplégique, souffre de douleurs dans le bas du dos et
d’incontinence urinaire. Surtout, les clichés en imagerie à résonance magnétique (IRM) montrent la
présence dans le thorax d’une tumeur d’allure cancéreuse au niveau de la colonne vertébrale. Tout
commence lorsque ce patient contacte la société Stemedica et qu’il apprend qu’un traitement par
cellules souches est proposé à Astana, capitale du Kazakhstan. Rechignant à se rendre si loin, il
apprend qu’il peut bénéficier de ce même traitement au Mexique, moyennant 40 000 dollars
l’injection (plus de 36 000 euros). Son tourisme médical le conduit en Chine, en Argentine, puis au
Mexique, pour un coût total, transports inclus, de près de 300 000 dollars (plus de 270 000 euros).
Sa dernière destination sera une clinique à Tijuana (Mexique) où on lui injecte des cellules fœtales
provenant de Russie. Six mois plus tard, sa marche s’améliore, mais pas pour longtemps. On lui fait
une seconde injection en septembre 2014. C’est alors que son état se détériore.
Trois variétés de cellules souches ont été administrées au patient dont le cas vient d'être rapporté
dans le New England Journal of Medicine : des cellules souches mésenchymateuses, des cellules
souches embryonnaires et des cellules souches neurales.
Les cellules souches mésenchymateuses sont particulièrement faciles à prélever dans le tissu
adipeux ou la moelle osseuse, mais aussi dans les tissus de soutien des organes, des os, des
cartilages, des muscles. Elles peuvent notamment donner naissance à des fibres musculaires, à des
cellules cartilagineuses, osseuses. Ce patient a également reçu des cellules souches embryonnaires.
Celles-ci peuvent se répliquer à l’infini du fait de leur capacité d’autorenouvellement, proliférer
après leur mise en culture au laboratoire, et se différencier dans tous les types de cellules de
l’organisme. Les spécialistes parlent de cellules « pluripotentes ». Enfin, des cellules souches
neurales lui ont été injectées. Ces cellules, dites « multipotentes », ont un potentiel de
différenciation limité dans la mesure où elles ne sont capables que de donner naissance aux
principaux types cellulaires présents dans le cerveau : neurones, astrocytes et oligodendrocytes.
Elles sont aussi capables de s’autorenouveler. Ces injections de cellules souches d’origine variée
n’ont pas été accompagnées d’un traitement immunosuppresseur, habituellement administré lorsque
l’on greffe à un receveur des cellules de donneur non apparenté.
Lorsque son état de santé s’aggrave, Jim Gass, c’est le nom de ce patient, va consulter dans le
service de neurologie d’un grand centre médical universitaire de Boston. Le Dr Aaron Berkowitz et
ses collègues du Brigham and Women’s Hospital décèlent alors à l’IRM une tumeur cancéreuse,
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très dense en cellules, hautement proliférative. Les cellules tumorales ressemblent aux cellules
gliales, indispensables à la survie et à la maturation des neurones. L’analyse génétique montre que
la lésion est principalement composée de cellules qui ne sont pas celles du patient. L’examen
cellulaire et moléculaire du tissu tumoral révèle en effet que la tumeur provient de cellules
étrangères injectées dans l'espace sous-arachnoïdien qui contient le liquide céphalorachidien. La
lésion présente certaines caractéristiques des gliomes malins (tumeurs cancéreuses du système
nerveux central), à savoir un taux élevé de prolifération cellulaire et une forte vascularisation, mais
ne montre curieusement aucun autre signe typique de cancer. Les chercheurs n’ont en effet décelé
au séquençage de la tumeur aucune signature génétique parmi 309 gènes associés au cancer. Ainsi,
cette lésion tumorale est bien associée à une croissance anormale mais ne peut être classée dans
aucune catégorie de cancer humain au vu des données recueillies.
Le patient est paralysé des deux membres inférieurs et de la partie basse du tronc. Il a besoin d’un
élévateur pour aller du lit au fauteuil roulant. Il peut cependant bouger le bras droit. Il est traité par
radiothérapie. Ce traitement permet de diminuer l’intensité des douleurs lombaires, d’améliorer la
mobilité de la jambe gauche, et a entraîné une réduction de la masse tumorale à l’imagerie. Depuis,
Jim Gass a eu une nouvelle IRM à San Diego et les médecins lui auraient dit que la tumeur a de
nouveau grossi, selon le New York Times.
A vrai dire, il n’y a rien d’étonnant à ce que des cellules souches embryonnaires et d’origine fœtale
aient pu entraîner le développement d’un tissu cancéreux. En effet, le concept de cellules souches
cancéreuses a été établi il y a dix ans pour tenter d'expliquer qu’une tumeur tumorale se repeuple à
partir d’une petite population de cellules localisées dans des régions particulières, appelées niches,
au sein des tumeurs. Il se trouve que de telles niches ont été décrites dans les glioblastomes, une
variété de gliomes malins. Les auteurs rappellent également que l’injection à des souris des cellules
souches issues d’embryon provoque des tératomes, des tumeurs d’origine embryonnaire. De même,
des cellules souches neurales de souris ont la capacité de se transformer en gliomes malins, sans
qu’elles aient besoin d’acquérir un grand nombre de changements génétiques. Enfin, des mutations
sont susceptibles de se produire dans n’importe quelle variété de cellules souches, qui présentent
pour caractéristique fondamentale de se diviser rapidement, et donc de favoriser l’apparition d’un
processus cancéreux. C’est justement pour limiter ce risque potentiel que les chercheurs limitent la
quantité de cellules souches pluripotentes injectées dans le cadre d’essais cliniques strictement
encadrés et réglementés ou qu’ils ont recours à des cellules souches déjà engagées, après mise en
culture in vitro, dans la différentiation vers un type cellulaire donné.
Jim Gass a déclaré avoir été poussé à recevoir un traitement par cellules souches car il avait été
impressionné par ce qu’il avait lu dans les journaux sur John Brodie, un ancien joueur professionnel
de football et de golf. Après un AVC, ce champion avait reçu un traitement par cellules souches en
Russie et avait repris le golf. Désirant plus que tout récupérer de son AVC, Jim Gass a
malheureusement agi de la même façon que bon nombre de patients désespérés influencés, via la
presse grand public, par le parcours d’autres vedettes sportives, à l’instar de Gordie Howe. Cet
ancien hockeyeur avait été traité dans la même clinique à Tijuana, la clinique Santa Clarita, affiliée
à la société mexicaine Novastem, spécialisée en cellules souches et basée à 15 km de San Diego.
L’ancienne vedette des Red Wings de Detroit avait qualifié son amélioration de « miraculeuse ». Il
pouvait de nouveau marcher et il avait plus de facilité à parler. Les frais de traitement de celui qui a
été surnommé Mr Hockey avait été intégralement payés par Stemedica, une société de
biotechnologie qui développe et conditionne des cellules souches humaines, s’assurant ainsi une
immense publicité. L’ex-champion de hockey avait eu un AVC hémorragique dont on sait que les
malades qui dépassent la phase aiguë ont habituellement une récupération spontanée de leur déficit.
Cette récupération, qui varie d'un patient à l'autre dans des proportions importantes, est impossible à
prévoir. Rien n’indique donc que l’amélioration fonctionnelle observée ait le moindre rapport avec
les deux greffes de cellules souches qu’il a reçues. L’ancien joueur de hockey sur glace est décédé à
l’âge de 88 ans en juin 2016. Auparavant, d’autres célébrités, prêtes à tout et n’importe quoi pour
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rester compétitifs dans leur sport ou récupérer d’un handicap, avaient fait savoir qu’elles avaient eu
recours à des injections de cellules souches, comme Bartolo Colon, le lanceur des Yankees de New
York, Peyton Manning, un des meilleurs joueurs de football américain, et même le gouverneur du
Texas Rick Perry.
Ce n’est pas la première fois que la survenue d’une complication gravissime après injection de
cellules souches est rapportée dans la littérature médicale. En 2009, des médecins israéliens ont
décrit le cas d’un garçon de 13 ans atteint d’ataxie télangiectasie, affection rare d’origine génétique
qui associe un déficit immunitaire, des signes neurologiques et des dilatations de petits vaisseaux
sanguins de l’œil et de la peau. Traité à l’âge de 9, 10 et 12 ans, à Moscou, par des injections de
cellules souches neurales d’origine fœtale, cet enfant a développé un an après la dernière injection
une tumeur cérébrale disséminée. L’analyse moléculaire a montré que la tumeur était dérivée de
cellules provenant d’au moins deux donneurs.
Pour conclure, revenons à Jim Gass. Regrette-t-il d’avoir eu recours aux cellules souches dans
l’espoir de voir disparaître les séquelles motrices de son AVC ? A-t-il appris quelque chose de sa
terrible mésaventure ? La question lui a été posée par Gina Kolata, ma consœur du New York
Times. Il a lui répondu qu’il fallait se méfier des infos basées sur des anecdotes de patients. Une
façon de dire que celles-ci remplacent trop souvent les données médicales objectives manquantes.
Mais aussi que si cela semble trop beau pour être vrai, c’est que cela est probablement faux ! Une
manière aussi de reconnaître que tout traitement peut entraîner des effets secondaires, parfois très
graves, a fortiori s’il n’est pas autorisé par les autorités sanitaires.
Avoir les gènes de trois parents permettrait de
mieux vieillir
Slate du 23 juillet 2016 par Peggy Sastre
Les « bébés à trois parents » en font hurler plus d'un sur un plan bioéthique, mais une étude
tend à prouver que le transfert mitochondrial est plutôt une très bonne nouvelle sur un plan
médical
L'ADN mitochondrial (ou ADNmt) intervient dans bon nombre de processus vitaux, notamment la
respiration cellulaire, pour laquelle il collabore avec l'ADN « classique », présent dans le noyau des
cellules. Une étude publiée dans Nature le 6 juillet laisse entendre que la santé et la longévité d'un
organisme pourraient être liées au mélange entre gènes des mitochondries et des chromosomes – et
plus les premiers sont différents des seconds, mieux c'est.
Une configuration rendue aujourd'hui possible chez les bébés dits à « trois parents ». Des enfants
ayant hérité, comme tout le monde, de l'ADN nucléaire d'une mère et d'un père, mais chez qui
l'ADN mitochondrial est issu, par transfert d'ooplasme, d'une deuxième « mère », celle qui a fait
don de son ovocyte. Cette procédure permet aux femmes porteuses de mutations délétères pour leur
descendance de se reproduire malgré tout, sans risquer la vie et la santé de leurs enfants. Les
mitochondries sont souvent qualifiées de « centrales énergétiques » des cellules, car elles se servent
de l'oxygène pour produire de l'ATP, le carburant de tous les processus cellulaires. Issues, voici à
peu près 2 milliards d'années, de la symbiose d'une bactérie et d'un autre organisme, elles gardent la
trace de cet héritage dans un ADN bien à elle.
L'étude de Nature porte sur des souris génétiquement modifiées pour renfermer des ADN
mitochondrial et chromosomique ayant 34 bases de différence – soit pas grand-chose puisque,
précisent les chercheurs, c'est à peu près le même degré de variabilité que l'on observe entre un
41
Africain et un Eurasien moyens. Les souris ont été soumises à tout un tas de tests visant notamment
à examiner leur métabolisme et diverses fonctions physiologiques et biochimiques. Les souris
porteuses d'un ADNmt « étranger » avaient une durée de vie médiane plus longue (sans que cela
améliore significativement leur durée de vie maximale) et étaient bien moins sujettes au cancer. De
même, les cellules de ces souris réagissaient bien mieux au stress oxydatif – un phénomène en
corrélation directe avec le vieillissement – et les animaux avaient moins de cholestérol. Selon les
scientifiques, il est probable qu'une adjonction d'ADNmt « promeuve un vieillissement plus sain ».
En attendant d'être validée sur des humains, dont la complexité génétique est éminemment plus
élevée que celle des souris de laboratoire, cette étude montre que différentes variantes d'ADNmt
peuvent affecter les fonctions et le métabolisme des cellules et, dès lors, jouer un rôle très important
sur la santé de l'organisme concerné tout au long de sa vie. Un rôle jusqu'ici insoupçonné.
Des ciseaux dans le yaourt
Le Monde du 27 juillet 2016 par Nathaniel Herzberg
Si votre yogourt est si onctueux, c’est parce que les bactéries qui servent de ferment ont
inventé une arme fatale contre les virus. Une découverte qui va révolutionner la biologie
Un gros bourg agricole de 3 500 habitants, comme la France en compte tant. Sur l’atlas mondial de
Crispr-Cas9, ce système révolutionnaire d’édition des génomes, Dangé-Saint-Romain (Vienne) tient
une tout autre place. Une position éminente, même, entre San Francisco, Boston, Vienne et Paris.
C’est en effet d’ici qu’entre 2005 et 2007 a été coordonné le programme de recherche qui a apporté
la preuve expérimentale de l’existence d’un système immunitaire adaptatif chez les bactéries,
prélude à la révolution Crispr-Cas9, cet outil qui bouleverse aujourd’hui la biologie mondiale.
Pourquoi ici ? « Parce qu’il y avait une laiterie, sourit Philippe Horvath, chercheur au centre de
recherche de la multinationale de l’agroalimentaire et de la chimie DuPont. En 1964, un ingénieur y
a créé une petite entreprise de ferments qui a grossi, a été rachetée par Rhône-Poulenc, puis par
Danisco, avant qu’en 2011 DuPont rachète Danisco. Aujourd’hui, nous exportons partout. Un
yaourt sur deux et un fromage sur trois produits dans le monde contiennent des ferments qui
viennent de chez nous. » Le rapport avec le système immunitaire des bactéries ? Pédagogue,
Philippe Horvath revient aux bases : « Les ferments, ce sont des bactéries. Sans elles, pas de
fromage, le lait reste du lait. Or, les bactéries ont un ennemi mortel : les virus, plus précisément les
bactériophages. Ça fait douze mille ans qu’on utilise l’acidification pour conserver les produits
laitiers. La technique s’est améliorée : chaque ferment contient plusieurs bactéries et produit sa
propre texture, son acidité, son goût… Mais tout ça reste une course de vitesse entre bactéries et
phages, à qui s’adaptera plus vite à l’autre. Mon rôle, c’est d’aider les bactéries. »
En 2000, le jeune docteur de l’université de Strasbourg débarque ainsi à Dangé-Saint-Romain avec
pour mission d’utiliser les outils de la biologie moléculaire pour classer les quelque 13 000 souches
bactériennes maison. La tâche est vaste, il tâtonne. Deux ans plus tard, il présente un « poster » lors
d’un congrès sur les bactéries lactiques aux Pays-Bas. A côté de lui, un ingénieur de recherche de
l’Institut national de recherche agronomique (INRA), Alexander Bolotin, affiche lui aussi son
travail : le premier séquençage du génome de la bactérie du yaourt Streptococcus thermophilus.
En 2005, il signera un des trois articles suggérant l’existence d’un système immunitaire adaptatif
chez les bactéries. « Ils avaient déjà mis en évidence dans l’ADN les séquences répétées du Crispr
et, entre elles, les espaceurs, tous différents », se souvient Philippe Horvath.
Le brouillard se lève
Après le rachat par le géant danois des biotechnologies Danisco, le centre de recherche hérite, à
l’hiver 2004, d’un séquenceur d’ADN. Philippe Horvath commence donc à établir la carte d’identité
génétique des souches bactériennes et des phages conservés au laboratoire. Il sait quelle bactérie
résiste à quel phage. Aussi l’évidence s’impose-t-elle : les bactéries résistantes portent dans leur
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Crispr des séquences correspondant précisément aux phages auxquels elles échappent. Publier
immédiatement ? En Espagne et en France, le même constat a déjà été réalisé « in silico »,
autrement dit à partir de l’ADN conservé dans les bases de données informatiques. « Surtout, nous
sommes des industriels, rappelle Philippe Horvath. La priorité, c’était le brevet. » En août 2005,
Danisco dépose donc devant l’Office américain des brevets (US Patent and Trademark Office, ou
USPTO) une demande d’homologation d’un système d’« utilisation » de Crispr pour offrir aux
bactéries une résistance aux phages.
La procédure donne un an à l’entreprise pour étoffer et nourrir d’exemples son invention. La tâche
est lourde. Philippe Horvath dispose de l’équipe de Dangé mais aussi d’un jeune scientifique
français tout juste embauché par Danisco dans son centre de recherche américain, à Madison
(Wisconsin) : Rodolphe Barrangou.
Aujourd’hui professeur à l’université de Caroline du Nord, il se souvient : « On a altéré le contenu
Crispr de certaines souches bactériennes. Quand on ajoutait l’ADN phagique, on vaccinait la
cellule. A l’inverse, quand on le retirait, la bactérie perdait sa protection. Et quand on échangeait
les espaceurs entre deux bactéries, on échangeait aussi leur résistance. »
Autant de manipulations qu’il convient de réaliser sur plusieurs souches. L’équipe française
comprend qu’elle ne tiendra pas les délais imposés par l’administration américaine. Elle fait donc
appel à Sylvain Moineau, professeur de biologie à l’université Laval, à Montréal, spécialiste des
phages et collaborateur régulier de Danisco. Le brevet définitif est déposé en août. Puis ils
s’attellent ensemble à la rédaction d’un article scientifique, transmis en octobre 2006, à la revue
Science. « Je n’y croyais pas vraiment, se souvient Rodolphe Barrangou. Un papier sur la bactérie
du yaourt, écrit par une boîte privée… Ce que je ne savais pas, c’est que Jill Banfield, une
formidable scientifique de Berkeley, unanimement reconnue, avait envoyé un papier sur le même
sujet deux semaines avant. Le sien était moins complet. Grâce à elle, le nôtre a été pris… » Et
encore… Deux des trois scientifiques indépendants chargés d’évaluer le texte s’opposent à sa
publication. L’éditeur offre une seconde chance aux auteurs, qui étoffent leur copie. Un des
reviewers bascule. L’article paraît le 23 mars 2007.
Cité, depuis, dans plus de mille publications scientifiques, il marque la « première révolution
Crispr », comme le milieu aime à la nommer. Pour les biologistes, c’est la démonstration, deux ans
après la formulation de l’hypothèse, de l’existence d’une immunité adaptative des organismes
unicellulaires. Pour les généticiens et biochimistes, le coup d’envoi d’une nouvelle épopée :
comprendre Crispr. Car si l’acquisition de portions de génome d’un virus a déjà été largement
décrite chez nombre d’organismes vivants – de la bactérie à l’homme –, le fonctionnement du
nouveau vaccin génétique reste un mystère. Comment la bactérie reconnaît-elle son ennemi ?
Comment le combat-elle ? A travers le monde, une nouvelle communauté voit le jour. Avec ses
têtes d’affiche et sa messe annuelle : la réunion Crispr. En 2008, ils sont une trentaine à répondre à
l’invitation de Jill Banfield et Rodolphe Barrangou à Berkeley. « C’était le Noël des chercheurs, se
souvient Sylvain Moineau. On était comme des enfants devant l’arbre. On découvrait les cadeaux
apportés par les autres. » « Etre invité en Californie pour parler de mon petit sujet qui intéressait
des gens aussi éminents, c’était incroyable », renchérit l’Espagnol Francis Mojica, auteur, en 2005,
du premier article envisageant une immunité acquise des bactéries.
Peu à peu, le brouillard se lève. En 2008, le Néerlandais John van der Oost fait un premier pas. Il
montre comment l’ARN messager (qui transporte l’information contenue dans l’ADN) de la
bactérie est coupé en petits morceaux (crRNA), qui s’associent à des protéines pour aller chasser les
virus ennemis. Il parvient également à programmer une bactérie afin de lui apporter la résistance à
un phage donné. Quelques mois plus tard, deux chercheurs de Chicago, l’Argentin Luciano
Marraffini et son directeur de laboratoire, l’Américain Erik Sontheimer, montrent que Crispr répond
aux virus mais aussi aux plasmides, ces bouts d’ADN porteurs de traits particuliers, comme la
résistance aux antibiotiques. Ils apportent également une preuve indirecte que c’est l’ADN des virus
qui est visé par le système, et non l’ARN, comme la plupart des chercheurs le pensaient jusque-là.
Dans la conclusion de l’article qu’ils publient dans Science, ils affirment enfin, prophétiques, que
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Crispr « pourrait avoir une utilité considérable, surtout si le système devait fonctionner hors de son
contexte bactérien ».
Le sprint final
Le Canadien Sylvain Moineau a poursuivi sa quête. Dans un premier article, en 2008, il établit
l’importance de minuscules morceaux d’ADN qu’il baptise PAM (protospacer adjacent motif). La
bactérie en est démunie. Le virus, au contraire, en contient toujours, de part et d’autre de la
séquence visée. Moineau essaie de les retirer, la défense cesse d’opérer. Leur raison d’être, conclutil ? Eviter que Crispr, dans une poussée suicidaire, ne s’attaque à l’ADN de la bactérie elle-même.
Car c’est bien l’ADN qui est directement visé par le système. Moineau et ses collègues en apportent
la preuve, en 2010, par une observation directe, cette fois.
Il manque encore une dernière pièce. Française installée à Vienne, Emmanuelle Charpentier
l’apporte lors de la réunion Crispr d’octobre 2010, à Wageningen (Pays-Bas). Elle y annonce qu’un
autre type de petit ARN (baptisé tracrRNA) est indispensable aux bactéries pour couper leur ARN
et lancer la chasse aux virus décrite par van der Oost deux ans auparavant. Ses résultats seront publiés dans Nature en 2011.
Le puzzle est désormais prêt, il reste à l’assembler. Sortir le système de la bactérie pour réaliser ce
que tout le monde commence à entrevoir : un outil d’édition du génome, dont personne ne mesure
toutefois la portée. C’est le sprint final. Sauf qu’à ce petit jeu, tous ne partent pas à égalité. D’abord
parce que chaque bactérie a son Crispr, plus ou moins sophistiqué. Escherichia coli, chère à John
van der Oost, utilise un complexe de cinq protéines. Staphylococcus epidermidis, qu’étudient
Marraffini et Sontheimer, pas moins de neuf. A l’inverse, Charpentier, avec Streptococcus
pyogenes, et Moineau, avec son S. thermophilus, ont hérité d’un Crispr dit de type 2, avec une seule
et unique protéine : Cas9. « Là, c’est sûr, on a eu un peu de chance », admet la chercheuse
française.
Enfin il y a les hasards des intérêts, des carrières et des financements. Moineau le dit sans détour :
« Je n’ai pas mesuré le potentiel. » « J’étais un peu trop occupé à monter mon propre labo », dit
Luciano Marraffini, aujourd’hui à l’université Rockefeller, à New York. A Chicago, Erik
Sontheimer veut basculer sur le type 2. Mais en cette période de « vaches maigres », il peine à
embaucher des postdocs et à disposer du matériel nécessaire. Dès janvier 2009, il a fait une
demande de bourse aux National Institutes of Health sur le créneau « haut risque, haut potentiel ». Il
essuie un refus. Ses demandes en mars et novembre 2010 auprès de la Fondation Bill Gates
resteront aussi infructueuses : « J’en ai décroché beaucoup d’autres dans ma carrière, mais c’était
les trois meilleurs dossiers et ils ont été rejetés… »
En juin 2012, le coup de tonnerre finit par retentir. Science publie le fruit d’une collaboration entre
les laboratoires d’Emmanuelle Charpentier et de la biologiste de l’université de Californie à
Berkeley Jennifer Doudna. Elles y décrivent la première reconstitution de Crispr-Cas9 in vitro. Une
protéine unique, deux ARN programmables – et même un seul, grâce à une astucieuse manipulation
afin de choisir sa cible : la possibilité d’intervenir sur le génome de différents types de cellules avec
une facilité et une précision jusqu’ici inégalée, assurent-elles. Deux étoiles viennent de naître, prêtes
à partir à l’assaut du firmament.
Sida : une rémission du virus est-elle possible ?
Le Monde du 27 juillet 2016 par Paul Benkimoun
Lors de la 21ème conférence de Durban, qui s’est tenue du 17 au 22 juillet, les pistes d’un
contrôle durable du virus ont été présentées. En particulier celles de traquer les lymphocytes
T dans lesquelles le VIH est en sommeil
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La 21ème conférence internationale sur le sida, qui s’est achevée à Durban (Afrique du Sud)
vendredi 22 juillet, a été l’occasion, pour l’International AIDS Society (IAS) qui l’organisait, de
développer sa stratégie actualisée « Vers un traitement du VIH » lors d’un symposium de deux
jours. Le groupe de travail de 59 membres de l’IAS qui l’a élaborée fournit une feuille de route pour
la recherche, s’appuyant sur les avancées obtenues pour fixer des directions de travail. Ce plan de
marche vise également à inciter les financeurs à accroître leurs efforts – quelque 200 millions de
dollars (182 millions d’euros) en 2015 – afin de faire reculer la pandémie jusqu’à ce que le sida ne
soit plus un problème de santé publique.
« Un premier document avait été élaboré en 2012 avec le double objectif d’informer les financeurs,
mais aussi de créer un collectif mondial de scientifiques, allant de la base vers le haut. Nous avons
actualisé notre stratégie en tenant compte de ce que nous avons appris au cours des quatre
dernières années », témoigne la professeure Sharon Lewin (Doherty Institute, université de
Melbourne, Australie), qui copréside le groupe de travail de l’IAS avec la professeure Françoise
Barré-Sinoussi (Institut Pasteur, Paris).
Réservoirs pour le virus
Avec réalisme, l’IAS explique qu’il s’agit d’obtenir une rémission durable, comme dans le cancer.
Car l’un des problèmes cruciaux posés par le VIH est celui de l’existence de « réservoirs ». Les
scientifiques désignent ainsi les compartiments de l’organisme (ganglions lymphatiques, cerveau,
intestin…) dans lesquels le VIH demeure à l’état latent dans des lymphocytes T porteurs du
marqueur CD4 après que le traitement antirétroviral a rendu le virus indétectable dans le sang.
A ce jour, les chercheurs ont la certitude de ne pas avoir recensé de manière exhaustive les
réservoirs de l’organisme où le VIH reste tapi et inactif, parfois pendant des années, avant de se
réactiver et de se multiplier à nouveau, créant ce qu’on appelle le rebond viral. C’est une direction
de recherche dans laquelle l’imagerie médicale, inspirée de celle qui s’est développée dans le
domaine du cancer, devrait permettre de progresser. Il s’agirait de traquer les lymphocytes T dans
lesquels le VIH est en sommeil, comme on recherche les cellules cancéreuses persistant après un
traitement antitumoral. Scientifique de premier plan dans la lutte contre le VIH, Anthony Fauci,
directeur de l’Institut national de l’allergie et des maladies infectieuses, NIH, Bethesda, Maryland),
pense que le défi pour les chercheurs est double : « Développer un vaccin préventif sûr et efficace,
et résoudre la persistance durable du VIH dans l’organisme. » Les connaissances en matière de
vaccin n’ont pas encore permis de percée spectaculaire mais la piste des anticorps neutralisants à
large spectre demeure celle en laquelle les chercheurs mettent le plus d’espoir.
Contrôler le rebond viral
Pour empêcher la persistance durable du VIH dans l’organisme, Anthony Fauci évoque deux
approches : « Celle de l’éradication et celle du contrôle du rebond viral. Pour la première, nous
n’avons pas réussi à chasser le virus de l’organisme en mobilisant l’ensemble du système
immunitaire des patients. En revanche, à l’échelle individuelle, le cas du “patient de Berlin”
montre qu’il est possible d’éditer le génome par une greffe de cellules souches. » Timothy Brown,
le « patient de Berlin », était atteint d’une leucémie, qui a nécessité une greffe de moelle osseuse.
Comme il vivait avec le VIH, les médecins de Berlin qui le suivaient ont choisi un donneur de
moelle porteur d’une mutation génétique conférant un effet protecteur vis-à-vis de l’infection par le
VIH. La greffe a abouti à une éradication du VIH de l’organisme de Timothy Brown. Preuve du
concept mais certainement pas une stratégie crédible à l’échelle de masse. Le VIH s’intègre dans le
génome des cellules qu’il infecte. Avec au moins 37 millions de personnes vivant avec le VIH dans
le monde, il est impossible d’envisager une thérapie génique individuelle, même avec un outil
performant comme les « ciseaux génétiques » Crispr-Cas9. La possibilité chez certains individus de
maintenir durablement une charge virale indétectable après l’arrêt complet des médicaments
antirétroviraux, dans la moitié des cas depuis plus de dix ans, est avérée par la quinzaine de patients
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de la « cohorte Visconti », traités très précocement et suivis en France par l’Agence nationale de
recherche sur le sida.
Réactiver le VIH pour le tuer
« Obtenir une rémission est plus facile chez des gens jeunes, avec une charge virale faible et un
traitement précoce, a expliqué le professeur Steven Deeks (université de Californie à San
Francisco). Par des interventions, il serait possible de mieux faire fonctionner le système
immunitaire, et dans ce futur, nous pourrons faire beaucoup de progrès en travaillant avec nos
collègues qui développent l’immunothérapie contre le cancer. »
La stratégie développée notamment par l’équipe de Steven Deeks fait partie de la démarche « shock
and kill » : réactiver le VIH dormant dans les lymphocytes par un agent de « choc » et mieux
préparer le système immunitaire à le détruire, afin de diminuer la taille du réservoir. Des études
chez le primate se sont révélées encourageantes.
Une molécule contre le paludisme
La Croix du 27 juillet 2016 par Denis Sergent
Des chimistes ont isolé des molécules volatiles émises par les poulets et ayant un fort pouvoir
répulsif envers les moustiques porteurs du paludisme.
Aurait-on trouvé un bon moyen de repousser les moustiques transmetteurs de maladies infectieuses
comme le paludisme (malaria) qui, en Éthiopie, menacent 60 % de la population ? Des
entomologistes et chimistes de l’université d’Addis-Abeba (Éthiopie) et de l’université des sciences
agricoles d’Uppsala (Suède) viennent de conclure à un résultat prometteur*.
Tout est parti d’une observation d’Habte Tekie, professeur à l’université d’Addis-Abeba, et de son
équipe : en Éthiopie, le moustique Anophele arabiensis, vecteur de la malaria dans ce pays, pique
volontiers hommes, bovins, chèvres et moutons. Mais pas les volailles dont il se tient à l’écart.
Pourquoi ? Il est probable que l’explication ne tient pas à une cause visible à l’œil nu, mais soit
plutôt en rapport avec l’odeur. Des travaux épars d’écologie animale avaient déjà mis en évidence
l’existence d’attraction ou au contraire de répulsion entre espèces dues à des molécules chimiques
volatiles, comme les phéromones sexuelles par exemple. Ici, « tout se passe comme si l’odeur du
poulet repoussait le moustique de la malaria », avance Habte Tekie.
Les travaux menés dans certains foyers de trois villages de la région Oromo ont consisté à
suspendre une cage avec un poulet à côté de la moustiquaire où dormaient les habitants. Au matin,
les pièges à moustiques étaient vides, contrairement à ceux placés dans les habitations où n’avaient
pas été placés de poulets. Les scientifiques ont renouvelé l’expérience avec des fioles contenant des
extraits d’odeur de poulet : une demi-douzaine de molécules comme le butyrate (odeur de beurre
rance), de naphtalène (analogue aux boules antimites que l’on range dans les placards à vêtements)
ou de limonène (une molécule que l’on trouve dans les agrumes et utilisée en parfumerie). Le
résultat étant identique, la technique est qualifiée de « très encourageante ».
Pour l’heure, les chercheurs travaillent à développer et tester la meilleure essence possible. « Ce
répulsif sera sans danger pour l’usage humain et sans résidus susceptibles de contaminer le sol,
l’eau ou d’empoisonner les gens. Il peut être facilement intégré dans la prévention de la malaria,
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assure Habte Tekie. Il est entièrement naturel ; le risque que le moustique développe une résistance
est minimal. »
*Publié dans la revue médicale Malaria Journal.
Les clones de Dolly vieillissent mieux qu’elle
Sciences et Avenir du 26 juillet 2016 par Afsané Sabouhi
Premier mammifère cloné en 1996, la brebis Dolly avait souffert de vieillissement accéléré. Un
effet secondaire aujourd’hui évité, affirme une étude publiée dans Nature Communications.
« Elles ne sont pas exactement des jumelles de Dolly, elles sont ses copies génétiques, ses clones »,
précise Kevin Sinclair, chercheur en biologie du développement à l’Université de Nottingham.
Elles, ce sont les 13 brebis clonées par son équipe, dont 4 à partir de la lignée de cellules de glande
mammaire ayant permis la naissance de Dolly il y a tout juste 20 ans. Elles partagent donc le même
ADN nucléaire, puisque c’est le noyau de ces cellules de glande mammaire qui est transféré dans un
ovocyte non fécondé et privé de son noyau, mais pas l’ADN mitochondrial qui demeure celui de
l’ovocyte. D’où la nuance faite par ce spécialiste entre jumeaux et clones, à l’occasion de la
présentation à la presse des résultats des travaux de son équipe publiés mardi 26 juillet 2016 dans la
revue Nature Communications. En marge de l’Euroscience Open Forum (ESOF) qui se tient jusqu’à
mercredi 27 juillet 2016 à Manchester, les chercheurs ont dressé le bilan de santé de Debbie,
Denise, Diana, Daisy et leurs clones. Contrairement à Dolly, premier mammifère cloné, ces 13
brebis ne montrent pas de signes de vieillissement accéléré.
Le clonage, « soufflé retombé », ou technique d'avenir ?
Elles ont aujourd’hui entre 7 et 9 ans, ce qui correspond à des sexagénaires « en âge de brebis ».
Elles se sont prêtées, anesthésie générale aidant, à une batterie de tests (prises de sang, mesures de
tension artérielle, radios et IRM). Résultats ? Seule une brebis présente des signes modérés
d’arthrose des genoux et aucune ne souffre de diabète, d’hypertension ou de troubles métaboliques
généralement retrouvés avec l’âge. Ce qui permet à ces chercheurs britanniques d’affirmer que les
animaux clonés vivent aujourd’hui en bonne santé, comme des animaux non clonés du même âge.
Ces résultats sur la sécurité à long terme du clonage animal sont publiés alors que l’anniversaire des
20 ans de la naissance de Dolly au début du mois a plutôt mis en évidence un soufflé retombé et une
technique n’ayant pas fait naître toutes les applications, espérées ou redoutées, qu’elle promettait en
1996. Mais pour Kevin Sinclair, le clonage n’a pas dit son dernier mot. Il pourrait notamment se
révéler utile pour la fabrication de cellules souches à des fins thérapeutiques chez l’Homme.
« La naissance de Dolly a démontré la faisabilité de la technique de transfert de noyau dans des
cellules sexuelles. La longue vie saine de ses clones atteste que l’on peut reprogrammer
entièrement ces cellules sans nuire à leur stabilité », souligne le biologiste. Les résultats obtenus
par l’équipe de Nottingham montrent également que la technique en elle-même a beaucoup
progressé. Alors que moins de 3 % des embryons clonés parvenaient à naître en bonne santé en
1996, cette proportion a dépassé 20 % pour la cohorte de brebis aujourd’hui évoquée dans Nature
Communications. Il n’en reste pas moins que la période périnatale demeure plus délicate pour un
clone que pour un bébé conçu naturellement ou par FIV, éloignant la perspective d’un clonage
humain pour des raisons techniques autant qu’éthiques.
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Des cellules souches adultes pour régénérer des
tissus cardiaques
The Guardian du 24 juillet 2016 par Kate Lyons
Une nouvelle étude, publiée dans le Journal of Cardiovascular Translational Research, a montré
que l’injection de cellules souches adultes mésenchymateuses sur des patients atteints de maladies
cardio-vasculaires, permettrait la régénération du tissu cicatriciel à l’origine d’une insuffisance
cardiaque. L’essai clinique a été mené sur 11 patients, par le professeur Stephen Westaby de
l’hôpital John Radcliffe à Oxford. L'un des résultats les plus spectaculaires constaté par le
Minnesota Living With Heart Failure (MLHF), a été la réduction de 40 % de la taille du tissu
cicatriciel, dont l’état était pourtant jugé irréversible. Les médecins ont également observé une
amélioration des fonctions cardiaques et de la qualité de vie allant respectivement jusqu'à 30 et 70
%.
36 mois après le traitement, les 11 patients sont tous encore en vie : aucun n’a été victime d’attaque
cardiaque, ni hospitalisé suite à des complications. Leur pronostic vital, avant traitement, était
pourtant très faible (moins de 2 ans à vivre). La British Heart Foundation précise bien qu’il existe
plusieurs traitements pour les personnes atteintes de maladie cardio-vasculaire, aucun n’est curatif,
et dans certains cas, la greffe de cœur semble être la seule solution. « C’est une étude préliminaire
et il est difficile d’émettre un large éventail de prévisions sur la base d’une étude restreinte »,
déclare Ajan Reginal, le fondateur de CELIXIR, l’entreprise commercialisant le traitement. Jeremy
Pearson, directeur médical associé, ajoute qu’ « un essai avec beaucoup plus de patients est
nécessaire pour déterminer si l'injection de ce types de cellules se révèle plus efficace que les
tentatives précédentes pour améliorer les fonctions cardiaques, qui ont jusqu'à présent largement
échoué ».
Le professeur Stephen Westaby commencera cette année une étude plus approfondie à l’hôpital
Royal Brompton à Londres.
Maladie de Charcot
Le Ice bucket challenge a permis de découvrir
un nouveau gène
Pourquoi Docteur du 28 juillet 2016 par Anne-Laure Lebrun
La recherche sur la maladie de Charcot avance grâce à ce défi lancé sur les réseaux sociaux.
Des chercheurs ont découvert un gène impliqué dans le développement de la maladie.
A l’été 2014, l’Ice Bucket Challenge était incontournable. Les vidéos de célébrités comme
Leonardo DiCaprio, Bill Gates ou Rihanna, ou de particuliers se renversant des sceaux d’eau sur la
tête ont inondé les réseaux sociaux. Quelque 17 millions de personnes ont participé à ce
gigantesque défi pour lever des fonds pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique, aussi
appelée maladie de Charcot ou Lou Gherig. Pour ses détracteurs, ce défi n'était qu’un effet de mode
qui n’aboutirait à rien. Mais deux ans plus tard, des chercheurs publient un article dans la revue
Nature genetics sur un nouveau gène impliqué dans le développement de cette maladie, et ces
travaux ont été rendus possibles par les fonds récoltés lors de l’Ice Bucket Challenge.
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Cette étude a été réalisée dans le cadre du Projet MinE, un programme international qui vise à
identifier l’origine génétique de la maladie en analysant le génome d’au moins 15 000 patients.
« Cette étude a uniquement été possible grâce à la collaboration de tous les scientifiques impliqués,
a souligné le Pr John Landers, professeur de neurologie à l’école de médecine de l’université du
Massassuchets, et co-responsable de cette étude. C’est un très bel exemple d’un succès apporté par
les efforts déployés par tant de personnes dédiées à la recherche des causes de la sclérose latérale
amyotrophique ». 80 chercheurs de 11 pays différents ont analysé le génome de plus de 1 000
familles américaines et européennes touchées par la maladie de Charcot. Une analyse qui a mis en
évidence une mutation dans le gène NEK1. Celui-ci est impliqué dans la formation des neurones, la
transmission de l’information dans le cerveau ainsi que la production d’énergie indispensable aux
mécanismes de réparation de l’ADN. La perturbation de l’une de ces fonctions peut aboutir au
développement de la maladie de Charcot.
L’analyse génétique de 13 000 malades supplémentaires révèle que cette variation génétique est
commune à de nombreux patients. Environ 3 % porteraient cette mutation. Elle serait l’une des
causes génétiques les plus répandues, selon les chercheurs.
« Cette découverte met en lumière l’importance d’avoir une quantité de données importantes pour
la recherche sur la maladie de Lou Ghering, relève Lucie Bruijn, membre de l’Association de
soutien aux personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique.
L’équipe de recherche internationale espère maintenant conduire des travaux pour mieux
comprendre le rôle de NEK1 dans la maladie. Ce gène est aujourd’hui considéré comme une
importante cible thérapeutique. Des modèles de souris porteuses de ces mutations vont être
développés pour évaluer leurs conséquences et leurs rôles dans la progression de la maladie. Des
travaux qui bénéficieront là encore des fonds soulevés par l’Ice Bucket Challenge. D’ailleurs pour
les plus courageux, l’Association pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique et autres
maladies du motoneurone (ARSLA) organise une nouvelle édition de cette campagne. Le lancement
officiel se fera le 28 juillet sur la place de la République à Paris.
Fertilité : des chercheurs sont parvenus à
restaurer le cycle menstruel de femmes
ménopausées
Doctissimo du 27 juillet 2016 par Elodie-Elsy Moreau
Avoir des enfants après la ménopause : bientôt possible ? Des chercheurs grecs sont parvenus
à inverser ce processus biologique chez des femmes en rajeunissant leurs ovaires.
Explications.
C’est une première. Des chercheurs grecs de la clinique de fertilité d’Athènes sont parvenus à
inverser le processus de la ménopause, permettant à des femmes, de produire à nouveau des ovules,
rapporte la revue New Scientist. Un nouvel espoir pour les patientes prématurément ménopausées
ou celles désirant avoir un enfant tardivement. En effet, cette technique entraîne une réapparition
des menstruations.
Une grossesse après une ménopause grâce à "son matériel génétique"
Les femmes naissent avec un "capital d’ovules". Entre la puberté et la ménopause, ce chiffre va
diminuer fermement. Alors qu’aux alentours de 20 ans, la fertilité atteint son niveau maximal,
autour de 50 ans, les ovaires arrêtent de fabriquer des ovules. Néanmoins, avant cet âge, la plupart
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des femmes sont déjà en grande partie infertiles. La ménopause arrive bien trop tôt pour beaucoup
de femmes, explique le professeur Sfakianoudis, gynécologue et auteur principal de l’étude.
D’après la revue New Scientist, la ménopause survient avant l’âge de 40 ans chez environ 1 % des
femmes. Mais, la technique mise au point par les chercheurs grecs pourrait permettre aux femmes
ménopausées de tomber enceinte en utilisant leur propre matériel génétique, indique Konstantinos
Sfakianoudis.
Du plasma riche en plaquettes dans les ovaires
Afin de rétablir le cycle menstruel des participantes, les chercheurs ont injecté dans leurs ovaires du
plasma riche en plaquettes (PRP), stimulant la régénération des tissus. Cette technique est déjà
utilisée pour accélérer la réparation des os et des muscles fragilisés notamment grâce à des
injections dans le genou. Au total, les scientifiques ont centrifugé le sang d’environ 30 femmes
ménopausées, âgées entre 46 et 49 ans, désirant un enfant. Les chercheurs précisent que la
technique semble avoir fonctionné dans les deux tiers des cas. "Nous observons des changements de
modèles biochimiques, une restauration de menstrues, la formation d'ovule et la fertilisation".
Cependant, l'équipe de Sfakianoudis reste prudente. "De plus vastes études sont nécessaires avant
que nous ne puissions confirmer l’efficacité de ce traitement", explique l’auteur principal de l’étude.
Konstantinos Sfakianoudis ajoute toutefois qu’une de ses patientes, âgée de 40 ans, et ménopausée
depuis cinq ans, a eu, à nouveau ses règles. "J'avais une patiente de 40 ans ménopausée depuis cinq
ans", explique-t-il. "Six mois après l'injection de PRP dans ses ovaires, elle avait ses premières
règles depuis sa ménopause." Les experts ont pu récupérer trois ovules et deux d’entre eux ont été
fertilisés avec succès in vitro avec le sperme de son compagnon. Les œufs fécondés sont conservés
dans l’espoir que le troisième soit également fécondé. Les trois œufs seront ensuite implantés dans
l'utérus de la patiente.
Les experts britanniques sceptiques
Certains spécialistes remettent en cause le manque de sécurité et l'efficacité de la procédure. Pour
eux, les auteurs de l’étude auraient dû commencer leur recherche sur les animaux. "On n'aurait
jamais permis ce genre d’expérience au Royaume-Uni," indique le professeur Sturmey. "Les
chercheurs doivent travailler davantage pour s'assurer que les ovules obtenus sont viables," ajoute
de son côté le docteur Adam Balen de la Société de fertilité britannique. "Il est dangereux de
s’extasier de la réussite de quelque chose avant même d’être sûr que ça marche", souligne de son
côté Virginia Bolton, une embryologiste de l'hôpital Saint Thomas à Londres. Outre la question de
l’efficacité, certains experts pointent du doigt le manque d’éthique de cette pratique.
Repousser les limites de la nature : la question éthique
Si les femmes participantes à l’étude avaient toutes des problèmes médicaux entravant leur fertilité,
repousser biologiquement l’âge de la maternité pose de nombreuses questions. En effet, outre le
traitement de femmes souffrant de ménopause précoce, cette pratique pourrait entraîner des abus.
Jusqu’à quel âge une femme peut-elle devenir mère ou porter un enfant ? Autant d’interrogations et
de débats qui seront soulevés si le rajeunissement des ovaires s’avère opérant.
Anagenesis combat la dystrophie musculaire
de Duchenne
La Tribune du 28 juillet 2016 par Olivier Mirguet
A Strasbourg, cette startup, issue du transfert de technologies d'un laboratoire strasbourgeois
de recherche en génétique, a parié sur une thérapie dérivée des cellules de l'embryon.
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C'est un des poulains de l'association AFM-Téléthon : la startup strasbourgeoise Anagenesis,
spécialisée dans la recherche sur les cellules souches et leurs applications dans le traitement des
atrophies musculaires, a multiplié les partenariats pour parvenir au plus vite à la mise sur le marché
d'un traitement de la maladie de Duchenne. Cette maladie génétique mortelle, qui affecte environ un
garçon sur 3 500 dans le monde, est pour l'instant réputée incurable. « Nous cherchons à valoriser
une technologie de rupture, qui consiste à produire un type de cellule et des organes à partir des
cellules souches de l'embryon », explique Jean-Yves Bonnefoy, président d'Anagenesis.
Créée en 2011 par Olivier Pourquié, ex-directeur général de l'Institut de génétique et de biologie
moléculaire et cellulaire (IGBMC) et désormais professeur de génétique à la Harvard Medical
School, Anagenesis a été prise en charge par l'incubateur régional Semia. Elle a été l'une des
premières startups alsaciennes investies par le fonds d'amorçage Cap Innov'Est, déclinaison
régionale du Fonds national d'amorçage alimentée par les collectivités, la BNP, les Caisses
d'épargne, Capital Investissement Franche-Comté et Safidi, filiale d'EDF.
L'association AFM-Téléthon, qui accompagnait les recherches d'Olivier Pourquié à l'IGBMC entre
2005 et 2010, est également entrée au capital.
Grands espoirs et pas seulement pour la dystrophie musculaire
« Nos candidats médicaments, par la thérapie cellulaire et par les petites molécules, présenteraient
un avantage concurrentiel unique sur les autres médicaments proposés pour la dystrophie
musculaire de Duchenne. Ils ont le potentiel de restaurer la fonction musculaire chez les patients à
un stade avancé de la pathologie, et pas seulement de ralentir l'évolution de la maladie », souligne
Jean-Yves Bonnefoy. Les recherches engagées par Anagenesis (10 salariés) trouveront à terme
d'autres débouchés dans les maladies métaboliques comme l'obésité ou le diabète, les maladies liées
à l'arthrite rhumatoïde, les maladies cutanées, les ulcères et la cicatrisation ou la chirurgie plastique.
« Sur la dystrophie musculaire de Duchenne, nous serons capables d'arriver sur le marché dans six
à sept ans si nous parvenons à repositionner un médicament existant. Si nous devions nous orienter
vers des molécules nouvelles, nous serions sur le marché dans dix ans », promet Jean-Yves
Bonnefoy.
Création de partenariats et ouverture à l'international
Début 2016, Anagenesis a signé un partenariat avec Ksilink, une plate-forme de recherche en
partenariat public-privé qui inclut notamment Sanofi et l'Université de Strasbourg, afin d'identifier
par criblage des composés capables d'agir sur les cellules responsables de la maladie de Duchenne.
Elle vient de conclure un accord de licence et de collaboration avec l'entreprise suisse Crispr
Therapeutics, portant sur le développement d'une thérapie cellulaire à destination des maladies
musculaires. La création d'une filiale nord-américaine à Boston, en mars 2016, ouvre à Anagenesis
d'autres opportunités de financement. « Il sera plus facile de trouver un investisseur aux Etats-Unis
pour poursuivre nos recherches dans la thérapie cellulaire », prévoit Jean-Yves Bonnefoy. La
société, en recherche de fonds, prévoit de consommer 40 millions d'euros de capitaux au cours des
cinq prochaines années.
Une pilule controversée contre le cancer testée
sur des humains
AFP du 25 juillet 2016
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L'Institut du cancer de Sao Paulo a commencé lundi à tester sur des humains une pilule
controversée contre le cancer, un premier pas pour prouver l'efficacité d'une substance déjà
utilisée par des patients, bien que non autorisée.
La dénommée « pilule du cancer », composée de la substance phosphoéthanolamine synthétique
qui, théoriquement, est en mesure d'aider le système immunitaire à identifier les cellules tumorales
et peut les éliminer, sera testée en phase initiale sur dix patients de cet institut qui ne reçoivent pas
d'autres traitements, a indiqué le secrétariat de la Santé de l'État régional de Sao Paulo. Si le
médicament ne présente pas d'effets secondaires graves, l'étude sera élargie progressivement à un
millier de personnes.
Les premiers tests sur des rongeurs, à la demande du ministère des Sciences et Technologie, n'ont
toutefois pas été très prometteurs. La « pilule du cancer » a été créée par Gilberto Orivaldo
Chierice, chimiste et professeur de l'Université Sao Paulo, qui a développé dans les années 90 une
méthode pour synthétiser la phosphoéthanolamine efficace pour empêcher le développement du
cancer.
Aujourd'hui à la retraite, M. Chierice a effectué des tests sur des animaux et a mis la pilule à la
disposition des patients d'un hôpital de la province de l'État de Sao Paulo qui l'ont prise sous sa
responsabilité. L'initiative a connu un « effet boule de neige » et selon les mots du chercheur luimême dans une interview au site G1 de Globo, l'institut de chimie de l'Université a produit plus de
50 000 capsules par mois sans aucun règlement, répondant à la demande des patients qui avaient
entendu parler de son pouvoir de réduire les tumeurs.
En 2014, le laboratoire a cessé de produire la pilule alors qu'une partie de la communauté
scientifique alertait sur les risques du médicament, qui n'avait pas été soumis à tous les tests
nécessaires. L'Agence nationale de santé (Anvisa) et la Société brésilienne d'oncologie se sont
opposées à sa distribution mais de nombreux patients ont eu recours à la justice pour obtenir le
médicament. Face à la pression populaire, la présidente Dilma Rousseff a promulgué en avril,
quelques semaines avant d'être écartée du pouvoir par le Sénat, une loi qui autorisait l'utilisation de
la substance, sa fabrication et distribution.
La médecine bioélectronique, le pari de Google
et GSK
Les Echos du 1er août 2016 par Catherine Ducret
Les deux géants créent une filiale commune pour développer des dispositifs de la taille d’un
grain de riz implantables dans le corps.
Après Sanofi dans le diabète et Novartis dans le diagnostic, c'est au tour de GSK de travailler avec
Google pour explorer un nouveau champ de la médecine appelé « médecine bioélectronique ». Le
groupe britannique va créer avec Verily Life Sciences (ex-Google Life Sciences) une société
commune détenue à 55 % par GSK, dénommée Galvani Bioelectronics, dont le siège sera au
Royaume-Uni.
Elle bénéficiera de la part de ses actionnaires d'un investissement de 540 millions de livres (640
millions d'euros) sur sept ans pour faire travailler sur un mode collaboratif une trentaine de
personnes, sur le développement et à la commercialisation de produits bioélectroniques. De
nombreux mécanismes biologiques sont en effet contrôlés par des signaux électriques qui font le
lien entre le système nerveux et les organes, processus qui peut se dérégler. Jusqu'à présent, les
dispositifs utilisés pour envoyer des impulsions électriques pour traiter par exemple le rythme
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cardiaque (pacemakers), la maladie de Parkinson ou la douleur (électrodes) étaient relativement
grands, même si des progrès étaient intervenus dans le sens d'une miniaturisation. Mais la médecine
bioélectronique telle que l'entend GSK est à une échelle beaucoup plus petite puisqu'il s'agira de
dispositifs de la taille d'un grain de riz susceptible d'être implantés sur les nerfs périphériques d'où
ils enverront des signaux électriques à un organe.
Dans une interview à une publication spécialisée, Moncef Slaoui, qui a encouragé la recherche dans
ce domaine alors qu'il dirigeait la R&D de GSK, explique que l'idée est de pouvoir implanter le
produit, non pas à l'hôpital, mais dans le cabinet du médecin, en recourant à un robot chirurgical
peu invasif qui mettra le dispositif à l'intérieur du corps du patient. Cette simplicité d'emploi est
d'autant plus nécessaire que les maladies ciblées concernent des populations importantes. Le
laboratoire britannique précise qu'il « cherchera d'abord à établir la preuve d'efficacité de cette
approche dans les domaines de l'inflammation et des désordres métaboliques et endocrinaux tels
notamment le diabète où des résultats ont déjà été obtenus chez l'animal. »
GSK s'intéresse à ce domaine depuis 2012 déjà, si bien que les essais chez l'homme pourraient
débuter dès l'année prochaine, selon Moncef Slaoui. A charge pour les chercheurs de Verily Life
Sciences de réaliser la miniaturisation et la mise au point des logiciels. GSK et Google ont-ils des
chances réelles de succès ? Le mois dernier, la revue scientifique PNAS, publiait une étude menée
par le Feinstein Institute of Medical Research, une référence en la matière, où 17 patients souffrant
de polyarthrite rhumatoïde ont été implantés avec des stimulateurs sous la peau du cou. La situation
de 12 d'entre eux s'était améliorée. De quoi offrir des perspectives à Google et GSK.
Les nouvelles icônes de la biologie
Le Monde du 3 août 2016 par Nathaniel Herzberg
Le 28 juin 2012, les biologistes française et américaine, Emmanuelle Charpentier et Jennifer
Doudna publient les résultats de leurs travaux sur la technique Crispr dans la revue
américaine Science. Depuis, le duo féminin accumule les prix. Difficile pourtant d’imaginer
deux personnes plus dissemblables
Amateurs de sciences, vous ne pouvez les avoir ratées. Les nouvelles icônes de la biologie, ses
Thelma et Louise. Depuis trois ans, elles accumulent les prix comme un écureuil les noisettes.
« Trente-cinq, avec les titres honorifiques, à croire qu’ils manquent de candidats », sourit
Emmanuelle Charpentier. « Je ne compte plus, ce n’est pas ça l’important », ajoute Jennifer
Doudna. Cantonnées quelque temps aux rubriques scientifiques, elles ont conquis les pages
économiques ou « portrait » des grands (et moins grands) journaux, et jusqu’au palmarès des 100
femmes les plus influentes du monde du magazine Time. Beaucoup les admirent ; autant les
jalousent. Parce qu’elles symbolisent une pipolisation de la société qui n’épargne plus le monde de
la recherche, regrettent les seconds ; qu’elles laissent dans l’ombre d’autres collègues aussi
méritants mais moins « vendables » ; que Crispr-Cas9, leur étendard, passera de mode. Au
contraire, répliquent les premiers, elles offrent un modèle de réussite aux jeunes filles avides de
sciences, encore trop peu nombreuses à oser faire carrière. Surtout, elles ont changé la donne de la
biologie. Plus que des braqueuses, des révolutionnaires.
Une protéine exceptionnelle
Leur fait d’armes : avoir inventé les ciseaux moléculaires. Ou plus précisément avoir utilisé le
système immunitaire adaptatif des bactéries, découvert cinq ans auparavant, pour élaborer un outil
de manipulation génétique hors du commun. Le paysage n’était, il est vrai, pas tout à fait vierge. Au
milieu des années 1960, des scientifiques avaient découvert que certains enzymes (dits « de
restriction ») pouvaient couper l’ADN de certaines cellules à… certains endroits. Un catalogue s’est
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peu à peu construit, largement utilisé dans les laboratoires de biologie. Encore fallait-il avoir la
chance de trouver chaussure (enzyme) à son pied (gène étudié). Au tournant du XXIème siècle, trois
techniques marquaient un nouveau progrès. Les « méganucléases », les « nucléases à doigts de
zinc » et les « TALENs » permettaient de couper le génome à peu près là où on le souhaitait. Mais
le sur-mesure a ses défauts : son coût et sa lenteur d’exécution. En l’occurrence, chaque gène visé
imposait la construction d’une protéine spécifique adaptée à la coupe.
Crispr-Cas9 offre la précision du sur-mesure et la simplicité, la rapidité et le coût du prêt-à-porter.
La clé ? Une protéine exceptionnelle, Cas9, capable de couper presque n’importe quoi n’importe
où, à condition d’être bien guidée. Pour cela, il suffit de lui adjoindre la portion d’ARN
correspondant à la séquence d’ADN visée sur la cible, autrement dit une succession de paires de
bases (souvenez-vous de vos cours au lycée, A, T, C, G…). D’une construction d’un volume en 3D,
on passe à la confection bien plus simple d’une structure à… une dimension. Ce qui prenait un an à
être réalisé prend désormais une semaine. Beaucoup moins cher, donc.
Et encore plus fiable. Si l’on ajoute que le dispositif fonctionne chez les bactéries comme chez les
plantes, chez les souris comme chez les hommes, on en mesure le potentiel. Nous l’avons vu, de
nombreuses mains ont contribué à la recette, rassemblé les ingrédients, préparé le biscuit et la
garniture. Mais deux pâtissières – et leurs commis – ont, les premières, sorti le gâteau du four, ce
28 juin 2012, et publié leur exploit dans un magazine de cuisine d’un genre particulier : l’éminente
revue Science.
Un article explosif
Difficile pourtant d’imaginer deux personnes plus dissemblables. La blonde aux yeux bleus, grandie
à Hawaï dans une famille d’universitaires ; et la brune aux yeux sombres, élevée en banlieue
parisienne dans un milieu « ouvrier, catholique, engagé syndicalement et politiquement ». L’une a
mené une carrière rectiligne, entourée de Prix Nobel (son directeur de thèse, son responsable de
postdoc…), et n’a pas lâché son bureau avec vue sur le Golden Gate Bridge depuis qu’elle a créé
son laboratoire, en 2004, à l’université de Berkeley ; l’autre a quitté la France après sa thèse à
l’Institut Pasteur et n’a cessé depuis de bouger, Etats-Unis, Autriche, Suède, Allemagne…
Jennifer Doudna achève son déjeuner (avec son mari, chercheur lui aussi, et son jeune fils) dans un
grand hôtel parisien, où elle est venue recevoir un prix, avant de vous accorder une heure quinze
d’entretien, comme prévu. Emmanuelle Charpentier vous fait dire qu’elle n’aura qu’une heure à
vous consacrer et vous garde trois heures dans son bureau berlinois du Max Planck Institute, entre
ordinateurs flambant neufs et archives encore emballées dans des cartons, six mois après
l’installation. « Chez moi, c’est pire, je n’ai toujours pas de cuisine, juste une plaque électrique,
soupire-t-elle. Je vis seule, je n’ai pas d’enfants, je peux me le permettre. »
Leur rencontre ? Au cours d’un congrès en mars 2011, à Porto Rico. Figure de la biologie
américaine, connue pour avoir décrit la structure 3D de plusieurs composants essentiels, Jennifer
Doudna a déjà rédigé plusieurs articles sur Crispr. Franc-tireur de la discipline, tombée dans la
croustillante marmite à la faveur d’une étude sur la bactérie Streptococcus pyogenes (ou
streptocoque A) – responsable de banales angines mais aussi d’infections mortelles faisant 500 000
morts par an –, Emmanuelle Charpentier y a fait une entrée retentissante en publiant, quelques
semaines plus tôt dans Nature, un article explosif : la description de la pièce manquante du puzzle,
un petit ARN baptisé tracrRNA, indispensable à la bactérie pour affronter les virus ennemis. Les
deux femmes se sont lues, jamais rencontrées.
C’est le Néerlandais John van der Oost, l’un des pionniers de la communauté, qui assure les
présentations. Un premier café, puis un dîner. « Ensuite, nous avons marché dans les ruelles pavées
de San Juan et parlé de nos travaux, se souvient Jennifer Doudna. Son intensité, sa passion étaient
impressionnantes. Très vite, nous avons pris conscience qu’une collaboration pouvait être
fructueuse. Son labo avait une véritable expertise dans les bactéries, moins en biochimie des
protéines ; le mien, c’était l’inverse. » La version d’Emmanuelle Charpentier est plus clinique :
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« J’avais besoin d’un spécialiste des structures. Mon collaborateur habituel n’avait pas d’argent
pour ce projet. Je l’ai proposé à Jennifer. »
Le hasard fait bien les choses
L’objectif est clair : reconstituer le système in vitro. Sortir chaque élément de la bactérie – le
« purifier », comme on dit –, puis les rassembler sous les conditions optimales dans un tube à essai
et montrer qu’ils attaquent alors l’ADN cible. Une manière de s’assurer qu’aucune pièce du puzzle
ne manque. Mais aussi, et surtout, de proposer le fameux outil d’édition du génome. Pas question
pour les deux biologistes de s’installer à la paillasse. Dans les laboratoires, les manipulations sont
réalisées par des étudiants ou de jeunes chercheurs. Chacune choisit donc son champion. « On
regarde qui est intéressé, mais surtout qui est libre », explique Jennifer Doudna. Et comme souvent,
le hasard fait bien les choses. En Californie, il désigne Martin Jinek, un jeune Tchèque diplômé en
Allemagne qui vient de boucler un premier postdoc dans le laboratoire américain.
Chez la Française, c’est Krzysztof Chylinski, arrivé de Pologne en 2008, devenu un des piliers des
travaux sur Crispr, qui hérite de la charge. « J’ai grandi à quelques kilomètres de la frontière, je
parle polonais, raconte Jinek. Même si pour les sciences on utilisait l’anglais, il y avait tout le
reste. » « Une question de mentalité, renchérit Chylinski. On a grandi avec les mêmes dessins
animés, on a une culture commune. Ça a tout de suite accroché. » Commencent d’intenses
échanges « par Skype », raconte Chylinski. Entre les deux équipes, bien sûr, mais aussi entre le
jeune Polonais et sa responsable. Emmanuelle Charpentier a en effet quitté Vienne pour Umea, dans
le nord de la Suède, où elle a accepté un nouveau poste. L’étudiant est resté dans la capitale
autrichienne, hébergé dans un labo voisin. « Skype et FedEx », corrige Jinek. Chacun purifie en
effet ses éléments – protéines pour les uns, ARN pour les autres – puis les envoie à l’autre, protégés
dans de la glace carbonique. Avec quelques aléas. « Un colis est resté bloqué deux jours à
Paris… », se souvient Jinek.
« D’autres étaient forcément dans la course »
Collaboration parfaite ? Presque… Emmanuelle Charpentier admet ne pas avoir tout de suite révélé
que son cher tracrRNA servait non seulement à lancer la reconnaissance des cibles mais aussi à
porter l’estocade. « Cris [Krzysztof Chylinski] l’avait trouvé dès 2011, sourit-elle, mais je lui avais
interdit de le dire. Nous n’avions pas la puissance de feu des labos américains, nous risquions
d’être doublés. » Pendant plusieurs semaines, Martin Jinek se demandera pourquoi sa protéine Cas9
ne coupe pas l’ADN ennemi. Le labo européen finira par vendre la mèche. C’est qu’il y a urgence.
« D’autres étaient forcément dans la course », rappellent-ils. Ils ignorent alors qu’une équipe
européenne les a même doublés. Virginijus Siksnys, brillant biologiste lituanien, collabore depuis
2007 avec les Français Philippe Horvath et Rodolphe Barrangou, ceux-là mêmes qui ont démontré
le rôle de Crispr dans l’immunité des bactéries. Le 6 avril 2012, ils transmettent un article à la revue
Cell. La reconstitution du système in vitro qu’ils y présentent « ouvre la voie à un dispositif
universel » d’ingénierie du génome, écrivent-ils. Cell rejette l’article pour « manque d’originalité ».
Comme le fera son petit frère, Cell Report, le mois suivant.
Quatre ans plus tard, la rédaction de Cell admet un manque de discernement et indique au Monde
que l’article s’est « révélé très important ». La revue PNAS sera plus clairvoyante. Mais pas bien
pressée. Le manuscrit qu’elle reçoit le 21 mai tombe dans un trou noir de plusieurs semaines.
Accepté le 1er août, l’article paraît en ligne le 4 septembre. Entre-temps, le duo féminin a envoyé
son manuscrit, le 8 juin, à Science. La revue américaine en mesure immédiatement l’importance,
traite le texte en urgence. Accepté le 20 juin, il est publié en ligne le 28 juin, avec les conséquences
que l’on connaît. « Je ne saurai jamais ce qui s’est passé, commente sobrement Virginijus Siksnys.
Je suis humain : j’ai été surpris et déçu. Pour l’essentiel, les articles disaient la même chose. »
Pour l’essentiel… Mais le diable, s’il n’a pas ralenti l’article du Lituanien, lui a caché quelques
détails. L’équipe de Siksnys n’a, en réalité, pas mesuré l’importance de tracrRNA dans la phase de
coupe de l’ADN. En outre, Martin Jinek est parvenu à fusionner les deux ARN en un, simplifiant du
même coup l’outil. « C’est leur coup de génie », admet, bon perdant, Philippe Horvath. La
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publication dans Science signe la deuxième révolution Crispr, celle de l’édition des génomes.
Modifier les bactéries, les plantes, les animaux, les cellules humaines… Cette fois, c’est une course
de masse qui démarre. Un marathon scientifique viral, où le nombre d’articles publiés double
chaque année (129 en 2012, près de 1 000 en 2015). Rêves de Nobel, rêves de richesse aussi, avec
une bataille sans merci autour de la propriété intellectuelle des futures applications. La « folie
Crispr » a commencé.
Zika : la course aux vaccins s’accélère
Le Figaro du 5 août 2016 par Cécile Thibert
Une équipe a annoncé le succès de ses tests sur les macaques, d'autres lancent déjà des essais
chez l'homme.
Alors qu'au Brésil, pays le plus touché par l'épidémie due au virus Zika, avec près d'un million et
demi de personnes infectées depuis 2015, que des cas sont signalés dans la plupart des pays
d'Amérique latine, que les États-Unis viennent de recenser 14 cas de contamination locale - les
précédents étant importés de pays où le virus est en circulation -, de bonnes nouvelles commencent
à filtrer du côté des laboratoires.
Jeudi, la revue Science annonçait ainsi le succès d'une collaboration entre l'Institut de recherche
biomédicale de l'armée américaine (le Walter Reed Army Institute of Research), l'hôpital newyorkais Beth Israel et la faculté de médecine de Harvard. Ces instituts ont toutes les techniques de
biologie moléculaire et de virologie pour mettre au point trois vaccins candidats. Et les essais
précliniques, menés sur des souris et des macaques, ont obtenu des résultats encourageants. « Les
singes vaccinés sont protégés contre les souches brésilienne et portoricaine du virus Zika, comme
en témoigne l'absence de virus dans le sang, les urines et les sécrétions après une infection »,
annoncent ainsi les chercheurs. Compte tenu du succès de l'expérience et de l'absence d'effet
secondaire, des essais cliniques chez des volontaires devraient être menés d'ici la fin de l'année.
« Ces recherches ont probablement débuté à la fin de l'année dernière. La rapidité avec laquelle ils
ont obtenu leurs résultats est incroyable », souligne Étienne Simon-Lorière, virologue à l'Institut
Pasteur à Paris. Depuis quelques mois, les recherches sur Zika bénéficient d'un engouement
mondial. « De nombreuses équipes se sont mises à travailler sur ce virus, en raison de l'urgence de
santé publique mondiale et des importants financements qui lui sont destinés », raconte-t-il, avant
de préciser que le nombre de publications sur le virus s'est multiplié de façon exponentielle ces
derniers mois.
Gagner un temps précieux
Autre phénomène apparu avec l'épidémie : l'open science (l'ouverture des données scientifiques).
« Comme cela a été le cas avec les recherches sur le virus Ebola, certains scientifiques qui
travaillent sur Zika ont partagé publiquement leurs résultats, au lieu de passer par le circuit
classique de publication, qui peut s'avérer long et fastidieux », poursuit le spécialiste. Ainsi, au
début de l'année, l'équipe du Pr David O'Connor (Université du Wisconsin-Madison) a mis en ligne
ses résultats dès qu'ils étaient obtenus, avant de les publier dans la prestigieuse revue Nature
Communications. Leur découverte - le fait que le macaque est un modèle animal pertinent et proche
de l'homme pour l'étude de Zika - a permis à d'autres équipes de gagner un temps précieux. Cette
semaine, la course aux vaccins a pris une autre dimension avec l'annonce, mercredi, par l'Institut
américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) du lancement d'un essai clinique chez
80 volontaires sains âgés de 18 à 35 ans. C'est le second vaccin expérimenté chez l'homme. Une
équipe américano-canadienne s'est aussi lancée en juillet.
Le vaccin du NIAID, dont la première dose a été donnée mardi, ne contient pas de virus vivant,
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mais un brin d'ADN servant de support à la fabrication de l'enveloppe du virus (comme l'un des
trois vaccins développé par l'armée américaine). « Cette piste est encourageante mais il n'existe à
l'heure actuelle aucun vaccin fonctionnant de cette manière, note toutefois Étienne Simon-Lorière.
Sans compter que plusieurs études ont montré que ce type de vaccin peut réagir avec d'autres virus,
comme celui de la dengue, en l'aidant à infecter les cellules. » Selon l'OMS, une dizaine de
laboratoires pharmaceutiques dans le monde travaillent actuellement au développement d'un vaccin.
Quelle que soit l'issue de ces expériences, le vaccin choisi sera préventif et ne pourra donc pas être
administré aux femmes enceintes qui sont les plus à risque.
Comme redouté, le virus s'installe aux États-Unis
L'arrivée du Zika sur le sol des États-Unis était malheureusement attendue.
Cette semaine, les autorités sanitaires de Floride ont confirmé les premiers cas « autochtones »,
signifiant qu'un moustique a contaminé le malade sur son lieu de vie et non pas lors d'un
déplacement à l'étranger. Selon le dernier décompte, 15 personnes ont été infectées dans cet État
du sud des États-Unis, dont 12 dans le périmètre très restreint du quartier de Wynwood, à Miami. Le
Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) a émis pour la première fois de son
histoire une restriction de voyage pour raison sanitaire sur le sol américain, en déconseillant aux
femmes enceintes de se rendre dans cette partie de la ville. Les mesures pour contrôler la population
de moustiques ont échoué, a reconnu le directeur des CDC, Tom Frieden. « C'est peut-être parce
qu'ils sont résistants aux pesticides ou parce qu'ils ont des lieux de ponte difficiles à trouver. » Les
espèces de moustiques capables de transmettre Zika (Aedes albopictus et aegypti) sont
présentes dans tout le sud des États-Unis et sur une large partie de la moitié est. Arguant de leurs
expériences passées avec la dengue et le chikungunya, les autorités ne craignent pourtant pas que
les foyers épidémiques ne dépassent l'échelle locale.
Des chimères bientôt créées en laboratoire ?
Le Journal de Montréal avec AFP du 6 août 2016
Le gouvernement américain songe à lever le moratoire
Le gouvernement américain pourrait bientôt débloquer des fonds pour financer la recherche
associant des cellules souches humaines à des embryons animaux, une perspective qui soulève une
multitude de questions éthiques et scientifiques. Le nom lui-même rappelle les plus grandes
histoires de la mythologie, aux accents de science-fiction : c’est par le mot « chimère » que l’on
désigne ces embryons animaux hybrides, comportant des cellules souches humaines. Ils ouvrent
d’immenses perspectives médicales, depuis le traitement de maladies dégénératives jusqu’à la
création d’organes destinés à des greffes... mais suscitent aussi des questions si profondes que les
Instituts américains de santé (NIH), qui dépendent du ministère de la Santé, avaient placé il y a un
an un moratoire sur ce type de travaux. Après avoir consulté chercheurs, biologistes et spécialistes
du bien-être des animaux, le NIH se propose de lever ce moratoire, ouvrant la porte au financement
public de ce type de recherches. Seraient alors autorisées les expériences « où des cellules humaines
pourraient apporter soit une contribution substantielle soit une modification fonctionnelle
substantielle au cerveau de l’animal », selon un communiqué. Le NIH a ouvert une période de 30
jours pour que spécialistes et grand public soumettent leurs commentaires en ligne. Après cette
période, l’organisme décidera de lever ou non le moratoire.
Les rencontres conduites depuis un an « ont démontré que, bien que créer des modèles chimériques
comporte des défis importants, il existe un intérêt et un potentiel évidents derrière l’idée de produire
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des modèles animaux avec des tissus humains ou des organes permettant d’étudier le
développement humain, les pathologies et les greffes d’organe », explique le NIH. La recherche
mêlant cellules humaines et animales n’est pas nouvelle. Depuis des décennies, les scientifiques
greffent ainsi des tumeurs humaines sur des souris, et des valves cardiaques provenant de porcs sont
fréquemment utilisées chez des patients. Mais ce nouveau projet ne laisse personne indifférent.
« Imaginons que nous ayons des cochons dotés de cerveaux humains et qu’ils se demandent
pourquoi on conduit des expériences sur eux. Ou que nous ayons des corps humains dotés de
cerveaux animaux et que nous nous disions alors : “Eh bien, ils ne sont pas vraiment humains, nous
pouvons les soumettre à des expériences et y cultiver des organes” », avance Stuart Newman,
chercheur au New York Medical College. Même si la proposition du NIH n’implique pas pour
l’instant de travailler à la création d’animaux dotés de cerveaux humains complets, « nous n’avons
pas de lois dans ce pays permettant de l’empêcher », proclame-t-il.
PERSONNALITÉS, FILMS ET OUVRAGES
Procréation : quelles limites à la technique ?
Le Blog de Jacques Testart du 26 juillet 2016
Les médias ont remarqué que le « Manifeste des 130 médecins » se présente comme un écho au
« Manifeste des 343 salopes ». Notons cependant que les femmes demandaient en 1973 un droit
fondamental pour toutes tandis que les médecins revendiquent le droit à un exercice corporatiste, et
remarquons aussi que la perte de leur dignité, et parfois de leur peau, des premières n'équivaut pas
au manque à gagner des seconds... La compassion affichée ne doit pas faire illusion : les signataires
sont-ils tellement altruistes qu'ils prendraient le risque d'aller en prison (je dis ça pour rigoler) afin
d'améliorer le sort de gens ordinaires ? Parmi eux, seuls quelques biologistes, directeurs salariés de
laboratoires publics, ne peuvent pas être suspectés de bénéficier financièrement d'un accroissement
de clientèle, ni par leurs revenus officiels ni par des versements plus discrets... Le conflit d'intérêts
ne s'applique pas aux conquêtes sociales (comme c'était le cas pour le manifeste de 1973) mais il
peut toujours être suspecté quand les plaideurs ne sont pas en souffrance et qu'ils exigent une
amélioration de leurs avantages personnels.
Sur RTL (18 mars), le gynécologue instigateur de la pétition expliquait que « les médecins qui ont
signé sont devenus des plaques tournantes, qui renflouent un certain nombre d'équipes qui sont
certes médicales, mais aussi en accès sur le marché ». Marre de recruter pour alimenter les autres !
Ouvrons le marché à la libre compétition !
Le risque de poursuites judiciaires pris par nos héros est faible puisqu'un sondage en ligne Harris/La
Chaîne Parlementaire du 5 février indique que 57 % des français sont pour « la PMA » (mais
seulement 39 % pour la GPA, un sujet évité par les signataires pour cause d'absence actuelle de
consensus). Faut-il rappeler que je suis également pour « la PMA » si le sigle désigne, comme
depuis 35 ans, l'assistance médicale à la procréation plutôt que de cibler comme aujourd'hui une de
ses dérives qui est l'insémination artificielle des femmes seules ou lesbiennes... Merveille des
sondages sur des sujets vidés de leur sens ! Comme le rappelle la presse quasi unanimement, la
« colère » des professionnels serait justifiée par le fait que la « PMA pour tous » était une des
promesses de campagne du candidat Hollande en 2012. Le projet a pourtant été écarté de la loi sur
le mariage pour tous. Pourquoi notre Président aurait-il respecté cet engagement quand il bafoue
presque tous les autres ?... La ministre de la famille avoue clairement l'opportunisme du
gouvernement qui craint des mouvements de masse comme il est arrivé avec le mariage pour tous.
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Alors, comme pour repasser la patate chaude, le projet a été confié au Comité national d'éthique, qui
n'a toujours pas statué depuis janvier 2013. Reprenons de façon critique les quatre revendications
que proclament ces médecins « au nom des femmes ».
1. Donner ses ovocytes
Contrairement à ce qui est colporté un peu partout, le don d'ovocytes est autorisé en France, mais sa
pratique est restreinte par le manque de volontaires, même si une disposition récente (octobre 2015)
l'élargit aux femmes sans enfants pourvu qu'elles conservent, pour leur éventuel usage propre, une
partie des ovocytes prélevés. Comment peut-on, comme font les signataires du manifeste, assimiler
le don d'ovocytes au don du sperme ? Il faut comprendre que donner ses ovocytes comporte les
mêmes épreuves que celles des patientes en FIV : bilans hormonal, gynécologique, sanitaire ;
stimulation de l'ovulation avec injections hormonales, contrôles échographiques et sanguins ;
prélèvement des gamètes...
Un circuit que les patientes ont nommé « parcours du combattant », au cours duquel on prend 2 ou
3 kilos plus quelques risques (hyperstimulation, hémorragie, infection...) et où on perd beaucoup de
liberté. Rien à voir avec la masturbation assistée par magasines ou vidéos pornos, petit plaisir sans
péril et vite fait ! Donc, « il n'y a pas assez de donneuses » ! et cela durera tant qu'elles ne seront pas
rétribuées car, contrairement à ce que dit le Manifeste, l'absence d'enthousiasme des donneuses
potentielles n'est pas principalement un problème d'information. Ne pas croire qu'on s'en tirera avec
un sandwich et un ticket de métro comme pour le don du sang ou du sperme ! Il faut le dire : l'enjeu
est d'acheter des gamètes avec des centaines ou des milliers d'euros. Alors, le débat n'est pas de
s'indigner quand la sécurité sociale accorde un dédommagement de 1 500 euros aux femmes qui
vont à l'étranger pour obtenir des ovocytes (et y subir la FIV dans la foulée). Car la SS s'en tire bien,
les coûts largement supérieurs des actes médicaux et des « services » étant dans ce cas à la charge
de ces patientes. Le vrai débat est de savoir si on peut acheter des gamètes humains, ici ou ailleurs
(l'euphémisme de l' « indemnisation » ne fait pas illusion), et s'il faut encourager ces épreuves liées
au don rémunéré chez des femmes dans le besoin (la période économique semble favorable à
l'esclavage), en prétendant éviter les « aspects mercantiles » qui font pourtant l'attrait des équipes
étrangères enviées par le Manifeste... Quand un signataire du manifeste (M Grynberg de Bondy en
Seine-Saint-Denis) évoque sur RTL l'« inégalité reproductive » entre hommes et femmes et se
propose de l'annuler, il confond inégalité avec différence. La possibilité de porter un enfant est une
autre différence (une « inégalité » au profit des femmes cette fois) que nos signataires pourraient
vouloir abolir pas le même souci de symétrie dès qu'une solution technique sera disponible (utérus
artificiel ou utérus greffé chez l'homme).
2. Conserver ses ovocytes
Cette proposition du Collège national des gynécologues est ancienne (décembre 2014) et singulière
puisqu'elle provient directement des professionnels plutôt que des femmes elles-mêmes, des
demandeuses s'étant vite manifestées cependant. Affirmons que la plupart des femmes concernées
n'auront nul besoin de recourir à leurs gamètes conservés, parce qu'elles enfanteront naturellement
ou parce qu'elles ne voudront jamais d'enfant. Il s'agit donc d'une surmédicalisation par précaution...
qui impose les mêmes servitudes et risques que le don d'ovocytes mais en multipliant les cycles de
prélèvement pour maximiser les chances de succès différé. Car chaque ovocyte recueilli n'a que 3 %
de chances, en moyenne, de devenir un enfant ce qui signifie qu'avec 3 cycles de prélèvementcongélation d'ovocytes (environ 25 ovocytes apparemment viables stockés) la probabilité ultérieure
d'enfanter n'est pas acquise, et d'ailleurs elle ne le sera jamais quel que soit l'effectif de gamètes
conservés ! La comparaison avec la conservation du sperme (qui se ferait n'importe où en France, ce
que l'Agence de biomédecine devrait bien vérifier...) est très exagérée : outre les conditions
différentes du recueil des gamètes évoquées plus haut, un seul éjaculat fournit assez de
spermatozoïdes (des dizaines de millions) pour féconder potentiellement des dizaines de milliers
d'ovules si on recourt à l'ICSI (injection d'un spermatozoïde directement dans l'ovule) après
congélation des gamètes en lots indépendants de quelques spermatozoïdes. L'argument d'une baisse
de fertilité féminine avec l'âge est exact mais il pourrait se retourner si les femmes, se croyant
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garanties par le stockage de leurs gamètes, se mettaient à n'envisager la procréation qu'après 40
ans... En revanche, n'est pas évoquée la perspective de commercialiser ces gamètes congelés (qui
peuvent voyager) ou d'éventuels embryons en résultant, hors de la déclaration obligatoire en cas de
FIV immédiate.
3. Se faire inséminer
Le Manifeste demande le droit à l'insémination artificielle pour toutes les femmes, en particulier les
femmes seules, hétéros ou lesbiennes. L'argument avancé du droit à l'adoption par ces mêmes
personnes cache la technologie qui permettrait ici de créer une famille, vœu parfaitement légitime
tant qu'il n'implique que les géniteurs. Deux réalités s'opposent pourtant à cette technologie.
D'abord, elle ne devrait pas relever de l'assistance médicale puisque le dépôt de sperme dans le
vagin (si le donneur est normalement fertile, l'insémination intra utérine n'est pas nécessaire) est un
acte d'une simplicité élémentaire.
Plus compliquée est la recherche d'un donneur mais il est clair que l'institution médicale n'est plus
dans son rôle en agissant comme agence matrimoniale. C'est pourquoi il faudrait se suffire de l'aide
conviviale à la procréation, à l'image de ce que réalisent depuis un demi-siècle les lesbiennes
américaines, la communauté venant assister la demandeuse si elle ne peut pas assurer seule les
actions nécessaires. Dans cette configuration, l'anonymat du futur père n'est plus qu'une option, ce
qui n'est pas le cas dans le circuit institutionnel. Et c'est la seconde raison de s'opposer à la
proposition du Manifeste qui ratifie, sans même l'évoquer, la pratique vétérinaire des banques de
sperme françaises qui recourent à « l'appariement de couples reproducteurs », selon leur propre
expression. Ainsi, les donneurs volontaires sont d'abord sélectionnés selon des critères qui
demeurent obscurs et chacun des élus au don du sperme est secrètement apparié avec une femme
demandeuse dans le but d'éviter le cumul de facteurs de risques identiques, ces facteurs demeurant
également obscurs. L'ensemble du protocole bancaire, financièrement assuré par la sécurité sociale,
est assorti d'une impossibilité pour l'enfant né de ces œuvres eugéniques de connaître l'identité de
son père génétique, une obligation qui nourrit les divans des psychanalystes. Faut-il élargir le
champ de telles pratiques ou les réformer ?
4. Trier ses embryons
Le Manifeste demande que le DPI (diagnostic préimplantatoire) d'une caractéristique de l'ADN (en
général un gène muté) soit complémenté par le caryotype (nombre et aspect des chromosomes) de
la cellule analysée. Dans un souci d'encadrer les dérives du DPI, j'avais moi-même proposé, dès
1999, que puisse être pratiqué le caryotype de l'embryon déjà soumis à la recherche d'une mutation,
mais cette ouverture était conditionnée par la limitation définitive du diagnostic ADN à une seule
mutation pour tous les embryons d'un même couple « à risque ». Pour les signataires du Manifeste,
il s'agit plutôt d'un pas supplémentaire vers l'élimination de toutes les déviations par rapport à
l'humain « normal ». Ce qui freine actuellement ce projet c'est le nombre trop faible d'embryons
obtenus et les épreuves subies par les femmes pour obtenir ces embryons. Il faut bien comprendre
l'engagement eugénique avec la montée des exigences de « normalité » si on admet cette évidence
que ce qui vient de s'avérer possible pour la souris le deviendra pour l'espèce humaine : la
fabrication de quantités énormes d'embryons à partir de cellules banales, et ainsi la possibilité d'un
« screening » intégral (analyse du génome entier) tout en débarrassant les géniteurs inquiets du
parcours du combattant de la FIV actuelle puisque les femmes ne seront plus soumises aux
contraintes gynécologiques (injections hormonales, examens sanguins, échographies, prélèvements
ovariens,...). Fantasmes ! rétorquent les gynécologues qui ne lisent pas les revues scientifiques...
Mais il existe aussi des raisons déjà objectives de douter de la fiabilité du caryotype embryonnaire.
Si toutes les cellules d'un embryon sont supposées posséder les mêmes gènes (ce qui justifie que
l'analyse d'une seule cellule par le DPI permet de porter un diagnostic d'anomalie génique), il
semble que le caryotype des mêmes cellules soit hétérogène. Dans une étude récente (Nature, mars
2016), il est montré chez la souris que les cellules au caryotype anormal sont le plus souvent
éliminées au cours du développement embryonnaire, soutenant ainsi nos observations anciennes
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portant sur les anomalies morphologiques de l'embryon humain, lesquelles sont largement en
évolution au cours des 2 ou 3 jours de culture in vitro. Si une bonne moitié des embryons humains
sont chromosomiquement anormaux, il ne s'ensuit pas qu'ils conduisent à des enfants anormaux
pourvu que des cellules normales soient présentes pour assurer une auto régulation, hypothèse qui
relativise la pertinence du diagnostic chromosomique chez tous les embryons. Par ailleurs,
l'argument avancé d'une incohérence législative actuelle « puisqu’une femme enceinte peut
bénéficier d’un dépistage anténatal » est donc à réexaminer d'un point de vue scientifique
(contrairement au jeune embryon le fœtus semble composé de cellules génétiquement identiques)
mais il est aussi malhonnête. En effet, l'issue du DPI est incomparablement moins dramatique pour
la patiente que l'issue d'un DPN (diagnostic prénatal) si ce dernier doit conduire à une interruption
médicale de grossesse (IMG) au prix d'épreuves physiques et psychologiques, et pour laisser un
ventre vide d'espoir pour une longue durée.
Au contraire, le DPI, qui est bien autre chose qu'un DPN précoce, autorise presque toujours le
transfert immédiat dans l'utérus d'un embryon indemne de la pathologie recherchée, il ne retarde pas
la procréation et n'engage aucune épreuve supplémentaire à la FIV pour les patientes. Pourquoi
alors faudrait-il s'en priver ? Cette escalade, à la recherche impossible de « bébés parfaits », devrait
nous conduire à ce qu'aucun enfant ne soit conçu hors des laboratoires, une procréation savante et
indolore grâce à la FIV-DPI pour tous (voir Faire des enfants demain, Seuil, 2014).
Je remarque que les médecins qui prétendaient en 1986 que l'analyse génétique des embryons de
FIV était définitivement impossible, et donc que mes craintes de l'eugénisme (L'œuf transparent,
Flammarion, 1986) étaient « absurdes » revendiquent depuis 15 ans l'élargissement progressif de
ces analyses rendues effectives avec le DPI ? C'est qu'ils ne redoutent aucunement la sélection
humaine dès lors qu'elle est supposée empêcher des handicaps et qu'elle est pratiquée à la demande
des parents. Reste à savoir ce qu'est un handicap (relire Canguilhem) et ce que la demande parentale
doit aux pressions normalisatrices de la société productiviste (relire Illich, Ellul, Gorz...). Reste à
vérifier ce que serait une société d'intolérance, édifiée sur le libéralisme eugénique, où les êtres
différents seraient encore plus ostracisés qu'aujourd'hui puisque l'évitement de leur naissance était
supposé possible.
En conclusion
Ce manifeste néglige les charges financières qui incomberaient à la société pour les exigences
avancées. En passant d'une logique de soins à une logique d'intervention « sociétale », on impose en
effet à la Sécurité Sociale de rembourser de nouveaux frais (congélation/conservation d'ovules,
AMP pour de nouvelles catégories de patientes, multiplication des contrôles sur les embryons...).
Mais là n'est pas l'essentiel et il est navrant que le Manifeste soit présenté par les journalistes qui
l'ont fait connaître comme une « initiative éthique et médicale inédite, un geste civique et politique
majeur »... (Le Monde, 18 mars 2016). On peut y voir plutôt, sous le poids de frustrations
compréhensibles, la revendication de professionnels pour obtenir le droit de faire ce qui se réalise
ailleurs. Cette litanie pour un alignement sur l'offre la plus libérale nous éloigne des limites que
devrait toujours poser la bioéthique. Le « plan contre l'infertilité » proposé est le marronnier dans le
jardin de la technologie triomphante. Bien sûr, la prévention, la lutte contre les addictions et les
pollutions seraient des mesures bienvenues mais qu'attendent ces médecins pour exiger
l'interdiction des pesticides, des perturbateurs endocriniens dont les effets dramatiques ne font que
commencer ?
Restent les deux « principes éthiques » qui justifieraient le Manifeste. La non commercialisation du
corps humain comme l'interdiction d'aliéner « une autre personne adulte ou enfant » sont pourtant
mises à mal par l'incitation à délivrer des ovocytes pour le marché procréatif comme par la
fabrication d'enfants au profil calibré et privés de racines génétiques ... Encore une fois, je suis
amené à tenir le rôle du vilain petit canard. Quasiment seul à côté d'une troupe d'intégristes
catholiques, je critique les exigences des bons docteurs qui prennent les femmes et les homos en
otages pour accroître leurs pouvoirs. Deux choses me peinent en cette affaire : la confusion
fréquente entre mes positions et celles de certains réactionnaires d'une part, et l'hébétude de ceux
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dont je suis le plus proche dans la vraie vie d'autre part. Gauchiste athée depuis le début, je suis
attristé de la perte de repères humanistes qui fait prendre aux gens de gauche, ou aux écolos, les
vessies de l'aliénation à la biomédecine pour les lanternes résistantes des Lumières.
Vers la « neuroligion »
Le Monde du 3 août 2016 par Lionel Naccache*
Pourquoi le XXIème siècle est-il religieux ? Les neurosciences en révolution vont-elles nous
fournir la clé des phénomènes religieux ? Peut-être, à condition de ne pas réduire la foi aux
systèmes cérébraux
L’une des spécificités de notre temps tient aux résurgences du fait religieux et des aspirations
spirituelles. Ce regain puise aussi bien dans les religions occidentales traditionnelles que dans les
spiritualités extrême-orientales et il prend également des formes inédites telles que les mouvements
New Age, le néopaganisme, ou les « spiritualités laïques » qui n’en finissent plus de faire la « une »
des magazines. Les revendications portées par tous ces courants permettent d’éprouver le
« sentiment océanique » qui, selon Romain Rolland, est à la source de toute expérience religieuse.
Ce phénomène polymorphe soulève une question essentielle : le retour du religieux correspond-il à
une déferlante d’irrationalité, ou est-il possible de l’envisager comme l’expression renouvelée d’une
dimension de la condition humaine qui n’interdit pas l’usage de la raison ?
Afin d’aborder cette énigme, nous pouvons convoquer un champ de connaissance récent : celui des
neurosciences de la cognition et nous demander comment l’étude du fonctionnement cérébral
permet de produire un discours explicatif du fait religieux. Tel est le projet de ce que l’on pourrait
baptiser à l’aide du mot-valise « neuroligion ». Aussitôt nommée, la neuroligion appelle des
commentaires. Tout d’abord, son exercice adéquat doit naviguer à bonne distance des écueils
idéologiques. La neuroligion fait pourtant déjà l’objet d’instrumentalisations religieuses pseudoscientifiques, conduites à visée prosélyte, qui ciblent les individus victimes d’une « crise de foi ». A
l’autre extrémité, il faut mentionner le risque opposé qui consiste à utiliser la neuroligion comme
une arme de combat scientiste contre la dimension spirituelle ou religieuse.
Il me semble utile de rappeler que les résultats de la neuroligion influenceront certainement les
contenus des croyances religieuses, sans pour autant probablement les disqualifier. L’histoire des
relations entre science et religion est à ce titre éclairant : les travaux de Galilée, Harvey, Darwin,
Claude Bernard, Einstein ou la découverte de l’ADN ont évidemment bouleversé de nombreux
contenus de croyances religieuses. Mais ils n’ont pas annulé la posture d’adhésion à une tradition
spirituelle. Les sciences religieuses n’échappent pas à ce constat. On compte parmi les experts
contemporains de l’histoire très humaine de la rédaction des manuscrits religieux « révélés »
(Torah, Evangiles, Coran, etc.) des érudits dont les propres travaux n’entrent pas en contradiction
avec leurs croyances spirituelles. Ici comme partout ailleurs, l’expérience de la connaissance
permet, non pas de s’affranchir illusoirement de notre condition d’hominidés croyants, quelles que
soient les croyances en question, religieuses ou non, mais plutôt d’apprendre à les modifier et à ne
pas les prendre pour ce qu’elles ne sont pas.
Lien avec les sciences humaines
D’autre part, la neuroligion impose une interdisciplinarité entre sciences du cerveau et sciences
humaines. L’interdisciplinarité est un exercice périlleux, mais elle est ici inévitable pour une raison
fort simple : l’expérience religieuse n’est pas un phénomène qui se joue dans l’intimité d’un
cerveau isolé dans un bocal, mais plutôt une dynamique interindividuelle qui implique certes le
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fonctionnement cérébral de ses acteurs, mais s’inscrit également dans une histoire et un corps
social. Ainsi, vers la fin du XIXème siècle, le neurologue britannique Hughlings Jackson découvre
l’existence de crises d’épilepsie qui affectent une région spécifique du cerveau, le lobe temporal. Or
les manifestations de ce dernier correspondent à des hallucinations psychiques, des expériences de
« déjà vécu », et parfois des expériences mystiques avec un sentiment d’extase religieuse. Vers le
milieu du XXème siècle, le neurochirurgien canadien Wilder Penfield démontre que la stimulation
électrique de cette région cérébrale peut causer ces expériences subjectives singulières.
Au cours des années 1970, le neurologue américain Norman Geschwind définit chez des patients
souffrant d’une épilepsie temporale un syndrome clinique caractérisé par une hypergraphie [envie
irrésistible d’écrire], des perturbations sexuelles et surtout une tendance accrue à la religiosité,
même lorsqu’ils ne sont pas en train de faire l’expérience d’une crise d’épilepsie.
La conjugaison de ces observations décisives a aussitôt conduit à formuler une ébauche théorique
générale de la religion. Les grands mystiques étaient atteints d’une épilepsie temporale, et leurs
expériences ont forgé les grandes traditions spirituelles. La messe était dite. La conclusion semble
toutefois un peu hâtive, car la théorie n’explique guère le passage entre une expérience individuelle
dont le contenu est d’ailleurs lui-même contraint par le vécu culturel prémorbide du patient, et
l’élaboration puis le développement de spiritualités qui engagent des millions d’individus à travers
plusieurs millénaires.
L’insuffisance explicative du seul chaînon cérébral peut se vérifier quotidiennement en suivant un
neurologue ou un psychiatre et en notant que l’immense majorité des patients épileptiques en proie
à des crises mystiques ou des malades psychotiques qui vivent des délires à thématique religieuse
n’ont pas d’influence évidente sur les traditions religieuses. Autrement dit, l’identification d’un
facteur cérébral individuel, potentiellement impliqué dans certains phénomènes religieux, impose de
le conjuguer à tous les autres niveaux d’organisation supra-individuels étudiés par les sciences
humaines, comme la psychologie, la sociologie, la philosophie, etc.
Territoires du chaînon cérébral
La neuroligion pourra investir trois territoires aux frontières floues : celui des contenus explicites
des traditions religieuses (croyances, conduites, éthique, valeurs) ; celui des états mentaux
spirituels ; et celui des pratiques et des rites religieux. Jusqu’à présent, l’essentiel des travaux de
neuroligion vise le niveau des « états mentaux religieux » en explorant les bases cérébrales de la
méditation, de la prière, ou des états de transe. Les travaux sur les expériences mystiques observées
dans l’épilepsie temporale, évoqués plus haut, appartiennent à ce registre, tout comme ceux qui sont
consacrés aux phénomènes de sortie de corps, de psycho-pharmacologie (traditions chamaniques) et
d’expériences de mort imminente.
La neuroligion des contenus explicites des traditions religieuses est plus difficile à conduire car
l’objet d’étude est ici moins délimité dans le temps et l’espace que ne le sont les expériences
spirituelles individuelles. L’exercice requiert une prise en compte rigoureuse et attentive de ces
contenus. Ainsi, la notion centrale de croyance en Dieu est en réalité fort variable d’une tradition à
l’autre, voire d’un courant spirituel à un autre au sein d’une même religion. A titre d’exemple – qui
m’est familier –, le judaïsme semble conduire un exercice de déconstruction des risques propres aux
croyances subjectives. Les interdits d’idolâtrie et de représentation du divin formulés dans la Torah,
ainsi que leurs prolongements talmudiques, n’ont de cesse de souligner les dévoiements projectifs et
asservissants propres au concept de croyance, lui substituant celui de confiance. Le juif talmudique
s’applique ainsi patiemment à respecter une loi, et à croire en quelque chose qu’il ne nomme pas
(Dieu est appelé « Le Nom »), et au sujet duquel il s’interdit, dans le même temps, de croire tout ce
qu’il pourrait être amené à croire à son sujet. Au-delà de cet exemple isolé et contre-intuitif, il
importe de ne pas réduire la variété et la complexité des différentes traditions spirituelles humaines
à un concept appauvri et indifférencié qui reflète en général l’ignorance du phénomène étudié.
Enfin, les pratiques et les rites religieux me semblent un formidable terreau d’étude pour la
neuroligion du fait qu’ils ont été forgés, sélectionnés et transformés au fil du temps, et qu’ils
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correspondent aux traductions tangibles de l’engagement religieux dans la vie quotidienne et
incarnée des individus. La neuroligion des rites conduit à identifier le risque d’authentique
aliénation mentale auxquels ils exposent, mais permet également d’en extraire une propriété qui
explique peut-être leur longévité. L’ancrage d’idées ou de valeurs dans des actions ritualisées met
en résonance plusieurs systèmes cérébraux spécialisés et plusieurs types de mémoires distinctes,
mémoire consciente épisodique et mémoire sémantique, mais également mémoires gestuelles
procédurales, mémoires sensorielles diverses, mémoires conditionnées. Cette polyphonie médiée
par le rite assure sans doute des fonctions d’assise identitaire, et facilite la transmission sociale de
cette identité.
La neuroligion des rites sera d’autant plus profitable que ces derniers jouent un rôle central bien audelà de la sphère religieuse, dans la structuration de communautés humaines telles que l’école ou
l’univers de l’entreprise. Bref, la neuroligion se devra d’être interdisciplinaire et rigoureuse, ou ne
sera pas !
*Lionel Naccache est neurologue, professeur à Paris-VI, directeur d’une équipe de recherche
à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Pitié-Salpêtrière, Paris), et membre du Comité
consultatif national d’éthique. Il est notamment l’auteur de Quatre exercices de pensée juive
pour cerveaux réfléchis : Le Judaïsme à la lumière des neurosciences (In Press, 2003), d’Un
sujet en soi (Odile Jacob, 2013) de L’Homme réseau-nable (Odile Jacob, 2015). Cet article a
été écrit avant l’attentat de Nice.
Une clause de conscience pour les pharmaciens
Causeur du 1er août 2016 par Claire de la Hougue*
Comme les médecins, les pharmaciens devraient disposer de la liberté de conscience,
notamment lorsqu'ils refusent de porter atteinte à la vie humaine.
Alors que le Conseil de l’ordre des pharmaciens étudie un projet de refonte du code de déontologie
de la profession, une polémique inattendue a surgi au sujet de la possible introduction d’une clause
de conscience pour les pharmaciens. En effet, contrairement aux autres professionnels de santé, les
pharmaciens ne bénéficient actuellement d’aucun droit à l’objection de conscience.
En principe, l’objection de conscience ne devrait pas avoir de raison d’être revendiquée dans le
domaine médical ou pharmaceutique : le but des professions de santé est de soigner et nul médecin
ni pharmacien ne peut, en conscience, refuser de soigner un malade. Cependant, le champ de
l’activité des professions de santé s’est modifié ces dernières décennies, couvrant désormais des
activités non thérapeutiques, comme la chirurgie esthétique, la contraception, la stérilisation,
l’avortement et peut-être bientôt l’euthanasie. Le pharmacien, comme le médecin, peut donc
maintenant être appelé à participer à un acte qui n’a pas pour but de soigner le patient, voire à un
acte qui a pour but de mettre fin à une vie humaine, qu’elle soit commençante ou finissante.
Comme les médecins ou les sages-femmes, les pharmaciens font serment d’exercer leur profession
avec conscience et indépendance, dans le respect de la vie humaine. Le pharmacien, dans le serment
de Galien, « jure (…) d’exercer, dans l’intérêt de la santé publique, [sa] profession avec
conscience ». Le code de déontologie des pharmaciens souligne : « Le pharmacien exerce sa
mission dans le respect de la vie et de la personne humaine. Le pharmacien doit veiller à préserver
la liberté de son jugement professionnel dans l’exercice de ses fonctions. Il ne peut aliéner son
indépendance sous quelque forme que ce soit ». Le pharmacien engage sa responsabilité lorsqu’il
délivre des médicaments. Il doit par exemple vérifier les risques de surdosage ou d’interaction entre
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différents produits, même si ceux-ci ont été prescrits par un médecin. Une telle exigence implique
nécessairement la possibilité de refuser de délivrer un médicament. Il est donc assez paradoxal,
voire incohérent, de prétendre obliger le pharmacien à délivrer un produit qu’il juge inapproprié ou
nocif pour le patient.
Une situation identique à celle des médecins ou sages-femmes
Lorsque l’avortement a été légalisé, seule la méthode chirurgicale existait, de sorte que les
pharmaciens n’ont pas été expressément inclus dans le cadre de la protection. Celle-ci vise les
professions médicales et les auxiliaires médicaux, or les pharmaciens n’appartiennent à aucune de
ces deux catégories.
Maintenant que l’avortement médicamenteux est fréquent (environ la moitié des cas), les
pharmaciens sont directement impliqués dans l’acte qui met fin à une vie humaine. Ils peuvent donc
se trouver confrontés à de véritables problèmes de conscience. Puisqu’ils doivent exercer leur
profession en conscience et respecter la vie, la protection contre la participation forcée à un
avortement devrait s’étendre à eux. Placés, comme les médecins ou les sages-femmes, dans une
situation où ils peuvent être amenés à participer directement à un acte qui met fin à une vie
humaine, ils ne bénéficient pas de la même protection. Ils sont donc victimes d’une discrimination.
Dans les pays voisins, s’agissant d’actes qui portent atteinte à la vie humaine, la protection de la
conscience de toute personne impliquée, y compris les pharmaciens, est assurée. L’avortement et
l’euthanasie, lorsqu’ils sont admis, ne sont légaux que dans des conditions limitativement
énumérées, et le droit à l’objection de conscience est toujours garanti. En effet, ces actes sont
contraires au but de la médecine, ils constituent une exception à l’interdit de tuer. Ces actes étant
étrangers aux buts des professions de santé, il n’est pas légitime de forcer les membres de ces
professions à y concourir.
Enfin, il faut souligner qu’alors que la liberté de conscience est reconnue, tant à l’échelle nationale
qu’internationale, comme l’un des droits de l’homme les plus fondamentaux, il n’existe pas sur le
plan juridique de droit à l’avortement ou à l’euthanasie, que ce soit au plan national ou
international. En France, l’euthanasie reste illégale, tandis que l’avortement est une exception, pas
un droit, la loi Veil était parfaitement explicite sur ce point. Aujourd’hui encore, le code de la santé
publique commence par rappeler le principe du « respect de l’être humain dès le commencement de
sa vie », puis admet l’avortement comme une exception, uniquement dans les conditions prévues
par la loi. Au plan international, aucun traité ne reconnaît l’avortement, ni encore moins
l’euthanasie, comme des droits. La Cour européenne des droits de l’homme a toujours dit que la
Convention européenne ne pouvait s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement, et que le
droit à la vie ne pouvait inclure un droit de mourir.
Il serait donc infondé de faire prévaloir une faculté qui peut être légale à titre d’exception sur un des
droits les plus fondamentaux de l’homme, la liberté de conscience qui, selon la Cour européenne
des droits de l’homme, constitue une des assises d’une société démocratique.
*Docteur en droit et avocate au barreau de Strasbourg.
Insémination post-mortem: les prémices d'une
législation ?
JuriTravail.com du 8 août 2016 par Delphine Huglo, avocate au
Barreau de Paris
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Dans le cadre de la procréation médicalement assistée, l'insémination post-mortem est
interdite en France. Une décision du Conseil d'Etat remet en cause l'application des règles
éthiques en France liées à cette interdiction.
Insémination post-mortem : les prémices d’une législation ?
L’insémination artificielle, effectuée pour la première fois avec succès sur l’homme en 1884, est un
procédé médical utilisé dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA) et est accordée
à un couple dont l’homme et la femme qui le composent sont "vivants, en âge de procréer
et [consentent] préalablement [] à l’insémination" (1).
L’insémination post-mortem, quant à elle, se produit postérieurement au décès du mari. Illégale en
France, elle est autorisée dans d’autres pays européens tels que l’Espagne. En l’espèce, le Conseil
d’État français en date du 31 mai 2016 a autorisé une femme à se voir transférer le sperme de son
mari défunt en Espagne pour se faire inséminer. Quelles conséquences éthiques pouvons-nous
craindre, considérant que le code de santé publique énonce que le décès d’un des membres du
couple fait "obstacle" à l’insémination ?
Qu’est-ce que la PMA ?
La Procréation Médicalement Assistée (PMA) ou Assistance Médicale à la Procréation (AMP) est
une technique médicale proposée aux personnes ayant des difficultés à procréer régie par la loi n°
2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique et modifiée en 2011. Elle permet de palier
certaines difficultés à concevoir, sans nécessairement traiter la cause de l’infertilité. En 2014,
25208 enfants sont nés grâce à cette méthode qui peut prendre diverses formes comme
l’insémination artificielle, la fécondation in vitro, le don de sperme ou encore la micro-injection. Si
les premières inséminations artificielles remontent au XIXème siècle, en France, le premier enfant
conçu par fécondation in vitro est né en 1982. Depuis, les techniques de PMA ne cessent de
s’améliorer avec une augmentation des taux de succès.
En effet, nous n’avons pas la même perception de la conception qu’il y a 50 ans. Aujourd’hui, la
femme décide d’avoir un enfant en arrêtant sa méthode contraceptive et si elle rencontre des
difficultés à concevoir, elle va se tourner très rapidement vers des spécialistes. Indépendamment du
changement des mentalités, il y a un réel problème de fertilité. L’âge d’une première grossesse chez
la femme française est passé de 24 à 29 ans pour des raisons de carrière professionnelles
notamment. Sachant que la fertilité commence à décroître à partir de 35 ans, le taux de fécondité se
voit considérablement réduit. De plus, la stérilité masculine est également en cause avec 1 couple
sur 2 venant consulter où le problème vient directement de l’homme. En effet, des études ont révélé
une baisse de la qualité du sperme ainsi que de la qualité des spermatozoïdes (mobilité et
morphologie) liées au facteur environnemental de notre mode de vie moderne. Cette répercussion
sur la fertilité masculine est observable depuis l’utilisation de produits comme les pesticides, les
solvants ménagers, certains médicaments ou les matières plastiques. Or l’homme est constamment
exposé par l’air qu’il respire, l’eau qu’il boit ou la nourriture qu’il ingurgite et ce dès la grossesse
dans les 3 premiers mois. Les couples font cependant toujours autant d’enfants qu’avant grâce à
l’aide de la médecine mais ils sont plus difficiles à concevoir car les techniques utilisées n’agissent
pas à la source de l’infertilité.
Comment y accéder ?
Pour accéder à la procréation médicalement assistée, il faut être un couple consentant vivant,
hétérosexuel et en âge de procréer (2). Seuls les couples hétérosexuels chez lesquels une infertilité a
été reconnue par un professionnel de santé peuvent avoir recours à la PMA en France. La femme
quant à elle, doit être en âge de procréer. Pour accorder la PMA à un couple, le médecin peut avoir
décelé une cause d’infertilité ou avoir simplement constaté l’absence de conception malgré des
tentatives répétées sans contraception. Ne peuvent accéder à la PMA ni les célibataires ni un seul
membre du couple. Ce refus d'étendre la PMA aux célibataires peut paraître surprenant car depuis la
loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personne de même sexe, il est
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possible pour une femme d'adopter l'enfant de son conjoint. Or, cette enfant a forcément été conçue
par PMA et de surcroît à l’étranger car non autorisé légalement en France. Le législateur cautionne
donc la pratique de la PMA à l'étranger par un célibataire, qu'il refuse de consacrer en droit interne,
ce qui favorise le tourisme procréatif (3). Par ailleurs, lors de la loi 2013, on s'est demandé s'il ne
fallait pas supprimer l'exigence de l'hétérosexualité. Encore aujourd'hui, la PMA est présentée
comme un remède à une pathologie médicalement constatée.
Si on l’accepte pour les couples de même sexe, on ne pourra plus subordonner la PMA à une
pathologique médicalement constatée car ils ne sont pas malades mais uniquement pas
sexuellement compatibles. Il aurait alors fallu modifier en profondeur le droit de la filiation qui est
pour l'heure fondé sur l'altérité des sexes. Enfin, le couple doit être vivant, ainsi le décès d'un des
membres du couple fait obstacle à l'insémination. Pris dans son sens large, celle-ci comprend
l’insémination post-mortem de gamète mais aussi le transfert d'embryon post-mortem. La question a
été très débattue lors de l'adoption de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique,
plus pour le transfert d'embryon post-mortem que pour l'insémination post-mortem car l'embryon
existe déjà, les conséquences étant réelles et concrètes. Le législateur a maintenu cette condition car
l'enfant a été totalement dissocié de l'embryon qui en est la source. L'intérêt de l'enfant prime sur
celui des parents, il faut donc lui garantir une filiation crédible.
La pratique de l’insémination post-mortem illégale en France
Le législateur français s'est prononcé contre l'admission de l'insémination post mortem et du
transfert d'embryons post mortem après un certain nombre de discussions autour de l'intérêt de
l'enfant et de la mère, comme le rapporte les travaux du Comité consultatif national d'éthique (4).
Du point de vue de l'enfant, celui-ci naîtrait privé de père de façon délibérément programmée.
Situation bien différente de celles auxquelles l'enfant doit faire face a posteriori en cas de décès, de
départ ou d'absence du père. Ces enfants risquent d'être confrontés à un manque et au sentiment
d'être différent des autres. À cela s'ajoute le fait que sur l'enfant va peser le poids du deuil qui risque
d'être source de difficultés psychologiques à l'égard des relations avec sa mère. Cela étant, sur ce
point le Comité consultatif national d'éthique avait souhaité faire la différence entre
l'insémination post-mortem et le transfert post-mortem d'embryon. En effet, s'agissant de
l'insémination post-mortem, la fécondation n'a pas encore eu lieu, le projet d'enfant ne fait
qu'émerger alors que pour le transfert d'embryon post mortem, la fécondation a bien eu lieu, a
réussi, le projet parental est pleinement en marche. Pour le Comité consultatif national d'éthique la
privation du père doit être mise en balance avec le respect de la volonté du couple de mener à bien
son projet parental. C'est pourquoi, le Comité consultatif national d'éthique s'était prononcé pour
l'autorisation du transfert post mortem en ce que celui-ci pouvait être poursuivi par la femme seule
si l'homme avait formellement donné, avant son décès, son consentement à une telle éventualité (5).
La position du CCNE n'a pas été suivie par le législateur.
Mais autorisée exceptionnellement si l’insémination a lieu à l’étranger
Exceptionnellement, le Conseil d'État a autorisé le 30 mai 2016, le transfert en Espagne, du sperme
du mari défunt d'une femme en vue d'une insémination post-mortem. Ceci pouvant être perçu
comme la suprématie des désirs individuels au détriment de l'intérêt de l'enfant. En l’espèce, Mme A.
soutenait que le refus d’exportation des gamètes était contraire à l’article 8 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (convention EDH)
qui garantit que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». En effet, en
Espagne, l’insémination post-mortem au profit d’une veuve est autorisée dans les douze mois
suivant le décès de son mari si celui-ci y a préalablement consenti. Alors qu’en France cela est tout
bonnement interdit dès lors que le conjoint est décédé. Ce n'est pas la première fois qu’au sein de
l’Union européenne une telle décision a vu le jour. En effet, une solution similaire avait déjà été
envisagée dans une affaire Diane Blood /Chambres des Lords, février 1997. En l’espèce, une
femme veuve souhaitait que les gamètes de son mari plongé dans le coma à la suite d’une
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méningite, considéré comme décédé, soient transférés en Belgique afin de pouvoir y bénéficier
d’une insémination post-mortem qui était à l’époque interdite en Grande-Bretagne. La juridiction
britannique a autorisé ce transfert au nom du principe de droit communautaire, de libre prestation de
service. De telles décisions exceptionnelles ne font pas tomber l'interdiction de l'insémination postmortem en vigueur dans les pays concernés mais relance vivement le débat. Rappelons enfin, qu’au
sein de l’Union européenne, il n'existe pas de consensus en la matière. Il s'agit d'une question
d'opinion publique où chaque État-membre est libre dans sa législation d'interdire ou d'autoriser
l'insémination post-mortem.
(1) art. L. 2141-2 du C. santé publique
(2) Article L.2141-2 du code de la santé publique
(3) Avis Cour Cass n° 15010 du 22 septembre 2014 (Demande n° 1470007)
(4) et (5) CCNE, Avis no 113, La demande d'assistance médicale à la procréation après le
décès de l'homme faisant partie du couple, 10 févr. 2011
Olivier Rey : « Le discours sur les droits de
l'homme est devenu fou »
Le Figaro du 5 août 2016 par Alexis Feertchak et Vincent
Tremolet de VillersLe philosophe et mathématicien Olivier Rey* a accordé au
FigaroVox un entretien fleuve. Nous surchargeons l'édifice social de tourelles sociétales et
postmodernes au point qu'il risque de s'écrouler, explique-t-il.
Quand Élisabeth Guigou défendait le PACS, elle jurait que celui-ci n'ouvrirait pas la voie au
mariage et à l'adoption des couples homosexuels. Or, récemment, la ministre de la Famille a
décidé d'abroger une circulaire qui interdisait aux gynécologues de conseiller à leurs patientes
une insémination à l'étranger. Pensez-vous que le mariage pour tous engendrera
mécaniquement la PMA et la GPA ?
Concernant Élisabeth Guigou, il est difficile de savoir à quoi s'en tenir : elle a dit qu'elle était
sincère au moment du PACS, avant d'évoluer en faveur du mariage. D'autres déclarations de sa part
laissent cependant entendre que sa position en 1999 était essentiellement tactique. Les mêmes
incertitudes se retrouvent aujourd'hui envers ceux qui ont affirmé que la loi Taubira n'impliquait
rien concernant la PMA « pour toutes » ou la GPA. Ce qui est certain, c'est que les plus ardents
promoteurs de cette loi visaient, à travers elle, un changement du droit de la famille et de la
filiation. De ce point de vue, la Manif pour tous a eu un effet : par son ampleur elle a empêché, au
moins provisoirement, la mise à feu du deuxième étage de la fusée.
Pour l'heure, la démarche pour contourner les obstacles consiste à pratiquer le law shopping, c'est-àdire à se rendre dans certains pays qui permettent ce qui est interdit ici, puis à réclamer de retour en
France une régularisation de la situation. Si le phénomène prend de l'importance, on accusera le
droit français d'hypocrisie, et on le sommera d'autoriser ce que de toute façon il entérine après coup.
On pourra même invoquer le principe d'égalité, en dénonçant un « droit à l'enfant » à deux vitesses,
entre ceux qui ont les moyens de recourir au « tourisme procréatif » et les autres.
La plupart des acteurs politiques qui souhaitaient revenir sur le mariage pour tous ont fait
machine arrière. Diriez-vous que les lois sociétales sont irréversibles ?
Cela dépend de l'échelle de temps à laquelle on se place. À court terme, le mouvement semble
irréversible. À plus long terme, il est difficile de se prononcer. Depuis plusieurs décennies, nous
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surchargeons l'édifice social et juridique de tourelles postmodernes par-ci, d'encorbellements
rococos par-là, sans nous préoccuper des murs porteurs qui n'ont pas été prévus pour ce genre de
superstructures, et qui donnent d'inquiétant signes de faiblesse. Si les murs finissent par s'ébouler,
toutes ces « avancées » dont on s'enchante aujourd'hui s'écrouleront.
Nous sommes entrés dans une période de grandes turbulences, dont nous ne vivons pour l'instant
que les prodromes. Nous aurons à faire face au cours de ce siècle à de gigantesques difficultés écologiques, économiques, migratoires. Le « jour du dépassement », c'est-à-dire le jour où les
ressources renouvelables de la terre pour l'année en cours ont été consommées, arrive toujours plus
tôt - en 2016, dans la première quinzaine d'août. Autrement dit, notre richesse actuelle est fictive,
elle est celle d'un surendetté avant la banqueroute. Lorsque les diversions ne seront plus possibles,
nous nous rappellerons avec incrédulité que dans les années 2010, la grande urgence était le
mariage pour tous. Cela paraîtra emblématique de l'irresponsabilité de ce temps. En fait, la
polarisation sur les questions « sociétales » est une façon de fuir la réalité : se battre pour la PMA
pour toutes ou la GPA, c'est aussi éviter de penser à ce à quoi nous avons à faire face.
N'est-on pas aujourd'hui dans une extension infinie des « droits à » comme le « droit à
l'enfant »? Cela ne risque-t-il pas d'enfreindre des libertés fondamentales comme les « droits
de l'enfant »?
Le discours des droits est devenu fou. Historiquement, l'élaboration de la notion de droits de
l'homme est liée au développement des doctrines de contrat social, selon lesquelles, dans un « état
de nature », les humains vivaient isolés, avant que les uns et les autres ne passent contrat pour
former une société. Dans l'opération, les individus ont beaucoup à gagner : tout ce que l'union des
forces et des talents permet. Ils ont aussi à perdre : ils doivent abdiquer une partie de leur liberté
pour se plier aux règles communes. Qu'est-ce que les droits de l'homme ? Les garanties que
prennent les individus vis-à-vis de la société pour être assurés de ne pas trop perdre de cette liberté.
Garanties d'autant plus nécessaires que les pouvoirs anciens, aussi impérieux fussent-ils, étaient
plus ou moins tenus de respecter les principes religieux ou traditionnels dont ils tiraient leur
légitimité. À partir du moment où l'ordre social se trouve délié de tels principes, il n'y a
potentiellement plus de limites à l'exercice du pouvoir : à moins, précisément, qu'un certain nombre
de droits fondamentaux soient réputés inaliénables. Comme l'a dit Bergson, chaque phrase de la
Déclaration des droits de l'homme est là pour prévenir un abus de pouvoir.
Depuis, la situation a connu un retournement spectaculaire. Les droits de l'homme, de cadre
institutionnel et de sauvegarde des libertés individuelles face à d'éventuels empiètements de l'État,
sont devenus sources d'une multitude de revendications adressées par les citoyens à la puissance
publique, mise en demeure de les satisfaire. La Déclaration d'indépendance américaine cite trois
droits fondamentaux : le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à poursuivre le bonheur. Mais
aujourd'hui, ce dernier droit est compris par certains comme droit au bonheur. Dès lors, si
quelqu'un, par exemple, estime indispensable à son bonheur d'avoir un enfant, alors avoir un enfant
devient à son tour un droit, et tout doit être mis en œuvre pour y répondre. Au point où nous en
sommes, la seule limite à laquelle se heurte l'inflation des droits tient aux conflits que leur
multiplication entraîne. Par exemple : l'antagonisme entre le droit à l'enfant et les droits de l'enfant.
C'est ainsi qu'au Royaume-Uni, il n'y a plus d'anonymat du donneur masculin pour les PMA, parce
que les moyens mis en œuvre pour l'exercice du droit à l'enfant doivent respecter le droit de l'enfant
à connaître ses origines. C'est la bataille des droits.
Comment définir la limite entre le droit de poursuivre le bonheur et celui de l'avoir, entre les
actions individuelles et l'intervention de la société et de l'État ?
Prenons l'exemple du droit qu'il y aurait, pour une femme seule ou pour deux femmes, d'aller à
l'hôpital pour concevoir par PMA. Il ne s'agit pas d'obtenir de l'État la levée d'un interdit (la loi
n'interdit à personne d'avoir un enfant), mais d'exiger de lui qu'il fournisse gratuitement à toute
femme qui en fera la demande une semence masculine, qu'il se sera préalablement chargé de
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collecter en vérifiant sa qualité, et dont il aura effacé la provenance. Pourquoi fournirait-il un tel
service ? Pourquoi se substituerait-il à l'homme manquant ? Pour des raisons médicales - comme le
M de PMA le laisse entendre ? Mais où est l'infirmité à pallier, la maladie à soigner ?
Ce mésusage du mot « médical » va de pair avec les emballements qu'on observe dans le discours
des droits. Dans le préambule à sa Constitution, adoptée en 1946, l'Organisation mondiale de la
santé définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne
consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Comme de plus « la possession
du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout
être humain », on voit qu'une infinité de droits peuvent se réclamer d'un droit à la santé ainsi
compris. En particulier, un droit à tout type d'« augmentation » et de procréation, dès lors que
quiconque estime cette augmentation ou ce type de procréation, nécessaires à son bien-être.
À propos de la procréation techniquement assistée, il faut aussi tenir compte d'un fait : cette
intervention technique autorise les diagnostics préimplantatoires et rend envisageable la sélection
d'un nombre croissant de caractères, qu'on voit mal certaines cliniques privées, dans des États
accueillants, se priver de proposer. Dès lors, ceux qui conçoivent des enfants à l'ancienne pourront
se sentir désavantagés par rapport à ceux qui recourent à ces procédés, et seront tentés eux-mêmes
de les adopter. On voit le paradoxe : la modernité était habitée par un idéal de liberté de la personne.
Mais la liberté devient un leurre quand chaque fonction vitale suppose, pour être remplie,
l'allégeance à un système économico-technique hégémonique. C'est au tour de la procréation,
demeurée scandaleusement sexuelle et artisanale jusqu'à aujourd'hui, d'être prise dans le
mouvement.
Il est possible d'acheter des enfants sur catalogue dans certains États en choisissant leurs
prédispositions génétiques, comme la couleur de leurs yeux. En matière de progrès technique
et sociétal, diriez-vous comme Einstein qu'il y a « profusion des moyens et confusion des fins
»?
Je pense à une chanson des Sex Pistols, ce groupe de punk anglais des années 1970. Dans Anarchy
in the UK, le chanteur Johnny Rotten hurlait: « I don't know what I want, but I know how to get it »
(« Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir »). Ça me semble emblématique de
notre époque. Nous ne cessons de multiplier et de perfectionner les moyens mais, en cours de route,
nous perdons de vue les fins qui mériteraient d'être poursuivies. Comme le dit le pape dans sa
dernière encyclique, « nous possédons trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques ». Cette
absorption des fins dans le déploiement des moyens des fins est favorisée par l'esprit technicien, qui
cherche à perfectionner les dispositifs pour eux-mêmes, quels que soient leurs usages, une division
du travail poussée à l'extrême, qui permet d'augmenter la productivité, et le règne de l'argent, qui
fournit un équivalent universel et permet de tout échanger. Plus le travail est divisé, plus le lien
entre ce travail et la satisfaction des besoins de la personne qui l'accomplit se distend. On ne
travaille plus tant pour se nourrir, se loger, élever ses enfants etc. que pour gagner de l'argent. Cet
argent permet certes ensuite d'obtenir nourriture, logement etc., mais, en lui-même, il est sans
finalité spécifiée. C'est pourquoi, au fur et à mesure que la place de l'argent s'accroît, on désapprend
à réfléchir sur les fins : « Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir » - par de
l'argent. Il ne s'agit pas de critiquer la technique, la division du travail ou l'argent en tant que tels,
mais de se rendre compte qu'il existe des seuils, au-delà desquels les moyens qui servaient
l'épanouissement et la fructification des êtres humains se mettent à leur nuire, en rétrécissant
l'horizon qu'ils étaient censés agrandir.
Le langage commun dit « on n'arrête pas le progrès ». Est-ce vrai ?
Ce que désigne ici le mot progrès est le développement technique. Dans un régime capitaliste et
libéral, orienté vers le profit, l'appât du gain ne cesse de stimuler ce développement, qu'on appelle
désormais « innovation ». Réciproquement, toute technique susceptible de rapporter de l'argent sera
mise en œuvre. On pourrait penser que les comités d'éthique contrecarrent le mouvement. Tel n'est
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pas le cas. Jacques Testart (biologiste ayant permis la naissance du premier « bébé éprouvette » en
France, en 1982, et devenu depuis « critique de science », ndlr) considère que « la fonction de
l'éthique institutionnelle est d'habituer les gens aux développements technologiques pour les
amener à désirer bientôt ce dont ils ont peur aujourd'hui ».
Ces comités sont là pour persuader l'opinion que les « responsables » se soucient d'éthique, et ainsi
désarmer ses préventions. Quand une nouvelle technique transgressive se présente, le comité s'y
oppose mais, en contrepartie, avalise d'autres techniques un tout petit peu moins nouvelles ou un
tout petit peu moins transgressives. Finalement, les comités d'éthique n'arrêtent pratiquement rien,
ils se contentent de mettre un peu de viscosité dans les rouages. Ils ont un rôle de temporisation et
d'acclimatation.
Dans le domaine environnemental, il y a aujourd'hui une certaine prise de conscience.
Pourquoi cette prise de conscience dans le domaine écologique n'est-elle pas étendue au
domaine sociétal ?
Le lien entre la destruction des milieux naturels et certaines actions humaines est flagrant, ou à tout
le moins facile à établir. En ce qui concerne la vie sociale, beaucoup s'accorderont à penser que la
situation se dégrade, mais les causes de cette dégradation sont multiples et les démêler les unes des
autres est une entreprise ardue. Les initiatives « sociétales » jouent certainement un rôle, mais
compliqué à évaluer, d'autant plus que leurs conséquences peuvent s'amplifier au fil des générations
et, de ce fait, demander du temps pour se manifester pleinement. Dans ces conditions, il est difficile
de prouver les effets néfastes d'une loi et, y parviendrait-on, difficile également de faire machine
arrière alors que les mœurs ont changé.
En matière d'environnement, la France a inscrit dans sa constitution un principe de précaution :
lorsqu'un dommage, quoiqu’incertain dans l'état des connaissances, pourrait affecter de manière
grave et irréversible l'environnement, les autorités doivent évaluer les risques et prendre des
mesures pour prévenir ce dommage. Ce principe, sitôt adopté, a été détourné de son sens : on
l'invoque à tort et à travers pour de simples mesures de prudence - ce qui permet de ne pas
l'appliquer là où il devrait l'être. (On parle du principe de précaution pour recommander
l'installation d'une alarme sur les piscines privées, mais on oublie son existence au moment de
légiférer sur les pesticides ou les perturbateurs endocriniens qui dérèglent et stérilisent la nature.)
L'expression « principe de précaution » mériterait de voir son usage restreint aux cas qui le méritent
vraiment. En même temps, cet usage devrait être étendu aux mesures « sociétales », dont les effets
sur le milieu humain peuvent être graves et irréversibles. La charge de la preuve doit incomber à
ceux qui veulent le changement, non à ceux qui s'en inquiètent.
On parle de plus en plus souvent du clivage entre le « peuple » et les « élites ». Qui est à
l'origine des lois sociétales ? Est-ce la société dans son ensemble, le droit ne faisant que
s'adapter, ou sont-ce au contraire les « élites » qui tentent de changer celle-ci par le
truchement du droit ?
Je suis réservé à l'égard des partages binaires de l'humanité. Par ailleurs, il me semble que le
problème central aujourd'hui tient moins à l'existence d'élites qu'au fait que les prétendues élites
n'en sont pas. Je veux dire que certaines personnes occupent des places en vue ou privilégiées. Mais
il suffit de les écouter parler ou d'observer leur comportement pour comprendre qu'elles constituent
peut-être une caste, mais certainement pas une élite ! Le risque aussi, à opposer frontalement
« peuple » et « élites », est d'exonérer trop vite le peuple de maux auquel il collabore. Par exemple,
les électeurs s'indignent à juste titre que ceux qu'ils élisent trahissent leurs promesses. Mais
quelqu'un qui serait à la fois sensé et sincère serait-il élu ? La vérité est que nous sommes tous
engagés dans un gigantesque processus de planétarisation (je préfère ce terme à celui de
mondialisation, car ce vers quoi nous allons n'a aucune des qualités d'ordre et d'harmonie que les
Romains reconnaissaient au mundus, traduction latine du grec cosmos). S'il y avait un partage
pertinent de la population à opérer, ce serait peut-être celui-ci : d'un côté les ravis de la
planétarisation - en partie pour le bénéfice qu'ils en tirent à court terme, en partie par aveuglement ;
71
de l'autre les détracteurs de la planétarisation - en partie parce qu'ils en font les frais, en partie parce
qu'ils voudraient que la possibilité de mener une vie authentiquement humaine sur cette terre soit
sauvegardée.
Il est indéniable que ce qu'on appelle aujourd'hui l'élite compte presque exclusivement des ravis de
la planétarisation. Cela étant, ces soi-disant dirigeants dirigent très peu : leur rôle est d'accompagner
le mouvement, de le favoriser, d'y adapter la société. C'est le sens, par exemple, du « En Marche ! »
d'Emmanuel Macron. En marche vers quoi ? Peu importe, l'important est d'« aller de l'avant »,
même si cela suppose d'accentuer encore les ravages. Les lois sociétales participent de ce
« marchisme ». Par exemple, la famille à l'ancienne est un des derniers lieux de résistance au
mouvement de contractualisation généralisée. Tout ce qui peut la démantibuler est donc bon à
prendre, « va dans le bon sens ».
D'où est venu ce processus ? Pourrait-il s'arrêter un jour ?
On décrit souvent la modernité comme un passage de l'hétéronomie - les hommes se placent sous
l'autorité de la religion et de la tradition -, à l'autonomie - les hommes se reconnaissent au présent
comme les seuls maîtres à bord. Un espace infini semble alors s'ouvrir aux initiatives humaines, tant
collectives qu'individuelles. Mais libérer l'individu de ses anciennes tutelles, cela signifie libérer
tous les individus, et l'amalgame de cette multitude de libertés compose un monde dont personne ne
contrôle l'évolution, et qui s'impose à chacun. Comme le dit l'homme du souterrain de Dostoïevski,
dans une formule géniale : « Moi, je suis seul, et eux, ils sont tous ». L'individu est libre mais, à son
échelle, complètement démuni face au devenir du monde. Le tragique est que c'est précisément la
liberté de tous qui contribue, dans une certaine mesure, à l'impuissance de chacun. La politique se
dissout dans un processus économique sans sujet. Comme l'a écrit Heidegger, nous vivons à une
époque où la puissance est seule à être puissante. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde soit logé
à la même enseigne : il y a ceux qui se débrouillent pour surfer sur la vague, beaucoup d'autres qui
sont roulés dessous.
Ce processus est-il maîtrisable par une restauration politique ?
Politique vient de polis qui, en grec, désignait la cité. Pour les Grecs, les Perses étaient des barbares
non parce qu'ils auraient été ethniquement inférieurs, mais parce qu'ils vivaient dans un empire. La
politique ne s'épanouit qu'à des échelles limitées, au-delà desquelles elle dépérit. C'est pourquoi le
grand argument qui a été seriné aux Européens, que leurs nations étaient trop petites pour exister
encore politiquement et devaient transférer leur souveraineté à une entité continentale, où la
politique retrouverait ses droits, a été une pure escroquerie. La politique n'a pas été transférée des
nations à l'Union européenne, elle s'est simplement évaporée - à vrai dire tel était, sous les
« éléments de langage » destinés à le masquer, le but recherché. La nation mérite d'être défendue
parce que c'est la seule échelle où une vie politique existe encore un peu. En même temps, des
nations comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni sont déjà trop grandes pour que la
politique y joue pleinement son rôle. Dans les années 1850, Auguste Comte déplorait l'unification
italienne comme un mouvement rétrograde, et pensait qu'à l'inverse, c'était la France qui aurait dû
se diviser en dix-sept petites républiques (soixante-dix en Europe). Selon lui, c'était seulement après
s'être ancrées dans une vie à cette dimension que les petites patries auraient été à même de se réunir
de façon féconde, afin de traiter ensemble les questions qui outrepassent leur échelle.
Aujourd'hui la Suisse, avec ses huit millions d'habitants et sa vie cantonale, est l'État européen où la
démocratie est la plus vivace. Et historiquement, les cités de la Grèce classique, entre le VIème et le
IVème siècle avant notre ère, ainsi que les cités-États italiennes de la Renaissance (Florence comptait
moins de 100 000 habitants du temps de sa splendeur) constituent des réussites inégalées, qui
montrent qu'en étant ouvertes sur le monde, des patries de petite taille sont capables de resplendir
dans tous les domaines. Le problème est que même si beaucoup de petits États sont préférable à
quelques gros, un gros État dispose d'un avantage : il est en mesure d'écraser un voisin plus petit.
De là la tendance à la croissance en taille, quand bien même tout le monde, au bout du compte,
devrait y perdre.
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Le processus inverse est-il possible ? Peut-on imaginer que la petitesse devienne la norme?
L'Autrichien Leopold Kohr (lauréat du prix Nobel alternatif en 1983) demeure malheureusement
très méconnu. En 1957, dans son livre The Breakdown of Nations, il écrivait : « Il n'y a pas de
détresse sur terre qui puisse être soulagée, sauf à petite échelle. […] C'est pourquoi par l'union ou
par l'unification, qui augmente la taille, la masse et la puissance, rien ne peut être résolu. Au
contraire, la possibilité de trouver des solutions diminue au fur et à mesure que le processus
d'union avance. Pourtant, tous nos efforts collectivisés et collectivisants semblent précisément
dirigés vers ce but fantastique - l'unification. Qui, bien sûr, est aussi une solution. La solution de
l'effondrement spontané ».
Les choses étant ce qu'elles sont, je crains qu'il ne faille en passer par de tels effondrements. Quand
je dis cela, je me fais traiter de Cassandre. Je rappellerai toutefois que dans la mythologie grecque,
les mises en garde de Cassandre étaient toujours fondées, le problème étant que personne ne la
croyait. Ainsi, malgré ses avertissements, les Troyens firent-ils entrer le cheval de bois dans leur
ville. On ne peut pas dire que cela leur ait réussi. Par ailleurs, si les effondrements qui se préparent
ont de quoi faire peur, car ils engendreront de nombreuses souffrances, la perspective n'est pas
seulement négative : ils peuvent aussi être l'occasion pour les peuples d'échapper aux fatalités
présentes, et de revenir à la vie.
*Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de
formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis
2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie
des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié
Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil,
2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une
question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014.
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