ÉTHIQUE Peut-on créer (et utiliser) du cuir à partir de la peau d’Alexander McQueen ? Le Monde du 20 juillet 2016 par Luc Vinogradoff Pour son projet de fin d’études à l’école britannique de mode Central Saint Martins, Tina Gorjanc a présenté des vêtements et des accessoires en cuir faits à partir de peau de cochon. Rien d’extraordinaire, jusqu’à ce qu’on apprenne que ce n’était qu’une première étape. Elle voulait une texture la plus ressemblante possible à la peau humaine (taches de rousseur, coups de soleil, tatouages), car l’objectif final est de réaliser des sacs et des vestes à partir de la peau (recréée grâce à l’ADN), du créateur de mode Alexander McQueen, mort en 2010. Le projet est à l’état de théorie, mais il est techniquement possible et, apparemment, légal. En 1992, McQueen lui-même avait incorporé ses propres cheveux dans sa première collection de fin d’études. Tina Gorjanc veut récupérer ces mèches, en extraire le matériel génétique nécessaire et, grâce à une culture cellulaire en laboratoire, en faire de la peau qui serait « tannée et transformée en cuir humain, dans le but de l’utiliser pour des sacs, des vestes et des sacs à dos ». Elle a déposé une demande de brevet pour les « échantillons d’information génétiques [de McQueen] comme base pour une procédure qui aboutirait à créer du cuir fait de tissu humain dans un laboratoire ». Ce qui veut dire qu’elle « deviendrait propriétaire de ce matériel, qui inclut l’information génétique d’Alexander McQueen ». Sauf que personne ne va s’habiller demain avec la peau d’un des plus grands créateurs de mode du XXème siècle. Derrière la provocation (que McQueen aurait sûrement appréciée), les sacs humains sont une façon « de pointer les manquements dans la protection de notre information biologique », dit Tina Gorjanc. « Une étudiante comme moi a pu déposer une demande de brevet pour du matériel extrait de l’information biologique d’Alexander McQueen et il n’y avait aucune législation pour m’en empêcher. Imaginons ce que de grandes entreprises, avec de grands budgets, vont pouvoir faire dans le futur. » « McQueen n’était pas, techniquement, propriétaire de ses propres cheveux » En matière de bioéthique, la loi varie de pays en pays, mais semble, comme le suggère Tina Gorjanc, un peu dépassée par la technologie. Par ailleurs, la déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’Unesco de 2005 affirme que tout acte médical doit être fait « avec le consentement préalable, libre et éclairé de la personne concernée ». Mais ne fait pas mention des actes artistiques ou commerciaux. En France, le Comité consultatif national d’éthique a prononcé dès 1990 le principe de non patrimonialité du corps humain, qui interdit tout commerce ou négoce du corps ou de ses produits. Mais qu’en est-il des choses que l’on pourrait recréer avec vos organes ou vos cellules, comme avec le cheveu de McQueen ? En Grande-Bretagne, le Human Tissue Act de 2004 encadre l’utilisation du matériel génétique humain dans la recherche médicale, mais ne dit rien de leur éventuelle utilisation commerciale. Interrogé par Quartz, Jeff Skopek, spécialiste de loi et d’éthique médicale à l’université de Cambridge, ajoute ceci, pour rendre la situation un peu plus anxiogène : 1 « La règle de base en Grande-Bretagne est qu’il n’y a aucun droit de possession en ce qui concerne le tissu humain. Donc, McQueen n’était pas, techniquement, propriétaire de ses propres cheveux. » Même chose aux Etats-Unis. Les cheveux que vous laissez derrière vous chez le coiffeur ne vous appartiennent plus, même si, légalement, personne ne peut les ramasser et déposer un brevet pour les posséder. Une histoire illustre d’ailleurs le flou de la loi. Dans les années 1970, un certain John Moore subit une ablation de la rate après une leucémie. Il ignore que les docteurs garderont des cellules de sa rate pour les étudier. Ils créent une lignée cellulaire, efficace dans le traitement contre les cancers, qui leur rapportera beaucoup d’argent après avoir été breveté. Lorsqu’il apprend, une décennie plus tard, que ces médecins se sont fait de l’argent sur ses cellules, Moore intente un procès. La justice américaine le déboute : il n’a aucun droit sur un brevet qu’il n’a pas inventé, même si ce qui a été breveté contient des parties de son ADN. Les sacs en peau de McQueen, s’ils existent un jour, ne seront pas commercialisés, assure leur créatrice. Ils auront leur place dans un musée ou une galerie, peut-être dans une exposition sur le thème « La mode déborde les frontières de la science-fiction ». Elle peut être critiquée ou ridiculisée, mais, pour Tina Gorjanc, cette approche « Frankenstein » de la mode est utile pour comprendre un milieu qui a besoin d’aller toujours plus loin pour se réinventer : « La demande de produits personnalisés, uniques et raréfiés ne cesse de grandir. Tout comme l’obsession de la célébrité, sans même parler des avances biotechnologiques, qui pourraient changer la façon dont on fabrique les vêtements et leurs tissus. » La révolution Crispr-Cas9 testée en Chine pour soigner le cancer du poumon Huffington Post du 22 juillet 2016 par Grégory Rozières Si les tests de nouvelles techniques dans la recherche contre le cancer sont réguliers, celui-ci va être scruté de près. La revue Nature révèle ce jeudi 21 juillet que des chercheurs chinois vont utiliser Crispr-Cas9, une technique révolutionnaire de modification génétique, sur des patients atteints d'un cancer du poumon. C'est la première fois que Crispr sera utilisé sur des humains adultes. Mais au fait, de quoi parle-ton ? D'une méthode, désignée découverte capitale de l'année 2015 par le magazine Science, qui permet de réaliser des modifications de l'ADN de tout être vivant plus facilement que jamais. En gros, c'est une enzyme programmée pour cibler un gène précis et le couper de l'ADN. Elle intéresse de nombreux pans de la médecine et de la génétique (un chercheur veut même cloner des mammouths grâce à elle). Ce que Lu You, oncologiste de l'université chinoise de Sichuan, va tester avec son équipe, c'est de modifier les lymphocytes T des patients avec Crispr-Cas9. Ces cellules sont les soldats de notre système immunitaire et sont censées attaquer les virus et les tumeurs. Libérer notre défense de ses propres freins Le problème, c'est que souvent, dans le cas de cancer, ces fameuses cellules T n'attaquent pas les tumeurs, car elles n'arrivent pas à reconnaître en ces cellules malades des ennemis étrangers au corps humain. Une grande partie des recherches actuelles contre le cancer cherchent donc à trouver un moyen de forcer les lymphocytes T à attaquer les tumeurs. Ce que les chercheurs chinois vont tenter de faire, c'est d'extraire du patient ces cellules de défense, puis d'utiliser Crispr-Cas9 pour "couper" un gène bien particulier, appelé PD-1. 2 Ce gène, normalement, va dire au lymphocyte T s'il a le feu vert pour attaquer une cellule. En le mettant hors circuit, les scientifiques espèrent ainsi que le lymphocyte va pouvoir s'attaquer à la tumeur. La cellule génétiquement modifiée sera ensuite multipliée in vitro, puis elles seront toutes réinjectées dans le corps du patient. Un test très encadré Avant de réinjecter les cellules modifiées, celles-ci seront vérifiées par une société de biotechnologie pour être certain que d'autres modifications impromptues n'ont pas eu lieu. Car si Crispr-Cas9 est incroyablement plus précis que les précédentes méthodes de modification génétique, il y a toujours un risque d'effets secondaires. De plus, précise Nature, seuls des patients atteints d'un cancer du poumon avancé et pour lesquels les méthodes de traitements actuels ont échoué pourront participer à ce test. Reste également la question des effets secondaires. En enlevant leur inhibiteur aux lymphocytes T, n'y a-t-il pas un risque que celles-ci attaquent des cellules saines ? Interrogé à ce propos, Lei Deng, un des chercheurs de l'équipe, est plutôt confiant, car d'autres méthodes (plus aléatoires et moins efficaces) ont été testées pour bloquer ces gènes. Or, le taux de réponse auto-immune (les lymphocytes T attaquant les cellules saines) ne s'est pas révélé significatifs. Les premiers essais, qui auront lieu en août, seront effectués sur une dizaine de personnes, progressivement, afin de vérifier qu'il n'y a pas d'effets secondaires indésirables. La Chine en avance (parfois trop) L'hôpital où aura lieu cet essai clinique a approuvé éthiquement l'opération le 6 juillet. La Chine n'est pas la seule à vouloir tester Crispr-Cas9 pour soigner les maladies, mais sera clairement la première à le faire. Aux Etats-Unis, précise Nature, un essai similaire est en attente d'une autorisation de la FDA, le gendarme américain de ce qui touche à la santé. L'autorisation pourrait arriver d'ici la fin de l'année. Une start-up américaine spécialisée sur Crispr et financée par Bill Gates souhaite également réaliser ses premiers essais sur un être humain pour venir à bout d'une maladie rare touchant les yeux. Si cette fois, la Chine devance d'un cheveu les Etats-Unis, elle a également été accusée d'utiliser trop facilement Crispr-Cas9. L'annonce d'embryons génétiquement modifiés par des scientifiques chinois, en avril 2015, avait provoqué un tollé, même si les embryons testés n'étaient, de base, pas viables. Mais mine de rien, moins d'un an après, la Grande-Bretagne donnait l'autorisation à une équipe d'utiliser Crispr-Cas9 sur des embryons humains (à condition de les détruire au bout de 14 jours). Nous saurons sûrement dans quelques mois si cette technique est concluante pour lutter contre le cancer. Une chose est sûre : dans ce domaine ou ailleurs, vous n'avez pas fini d'entendre parler de Crispr-Cas9. Après l’attentat, homélie « diabolique » ? Mediapart du 29 juillet 2016 par Jean-Noël Cuénod Pour une fois que votre Plouc parpaillot – d’ordinaire méfiant envers toutes les institutions ecclésiastiques – avait dit du bien de l’Eglise romaine, le voilà puni… Après l’assassinat du père Jacques Hamel à l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, les dirigeants du catholicisme français avaient fait preuve de sang-froid, de hauteur de vue et de fermeté d’âme en appelant à cette unité que, justement, les djihadistes veulent briser. Ils offraient ainsi un réconfortant contraste à l’indécent spectacle des politiciens qui, obnubilés par la présidentielle de 2017, se sont déchirés en de lamentables polémiques pour soirées Pastis. 3 Mais voilà, l’homélie du cardinal André Vingt-Trois – prononcée mercredi lors de la messe à NotreDame de Paris en l’honneur du père Hamel –, nous a fait brusquement retomber sur terre. Opposant au mariage homosexuel, l’archevêque de Paris n’a pas pu se retenir de fustiger : « Le silence des élites devant les déviances des mœurs et la législation des déviances ». Même si elle est formulée de chafouine manière, la pique visait clairement la loi qui a légalisé le mariage homosexuel. Devant les protestations que ce bout d’homélie a suscitées, le diocèse de Paris a effectué un rétropédalage très politicien : « En aucun cas, il (le cardinal) ne voulait cibler une mesure en particulier, surtout pas le mariage pour les couples homosexuels. Il ciblait plutôt l’ensemble des évolutions sur la bioéthique, la fin de vie, la gestation » (Le Huffington Post). Le cardinal VingtTrois ayant participé très activement aux « Manifs pour tous » qui combattaient le projet de loi sur le mariage gay, on peut légitimement mettre en doute la bonne foi de cette explication. Et quand bien même le cardinal aurait sincèrement voulu ne s’attaquer, comme le soutient son diocèse, qu’à « l’ensemble des évolutions sur la bioéthique, la fin de vie, la gestation », ce n’était vraiment pas le lieu ni le moment pour mettre sur l’autel les sujets qui séparent les citoyens. A Notre-Dame, ces citoyens avaient besoin de se retrouver unis en mémoire du père Jacques Hamel, de faire la paix avec les autres et eux-mêmes. Ils n’avaient nul besoin d’ouïr un prélat leur débiter la doctrine de l’Eglise sur la bioéthique, doctrine qui n’est qu’un point de vue humain parmi d’autres. Certes, comme n’importe quel citoyen, l’archevêque de Paris a le droit d’exprimer ses opinions contre le mariage homosexuel et de promouvoir ce qu’il pense être juste en matière de bioéthique et de fin de vie. Mais pas n’importe où, pas n’importe quand. Monseigneur Vingt-Trois a prononcé des paroles de division au moment où il fallait faire l’unité. Dans la mesure où l’étymologie du mot diable en grec – « diabolein » – signifie « qui divise, qui sépare », ce bout d’homélie ne serait-il pas quelque peu « diabolique » ? Un diable dont on sait qu’il niche dans les détails. En tout cas, avant de prononcer ses paroles, le cardinal aurait dû se rappeler deux versets de Qohelet (Ecclésiaste), III1 et III-7 : Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux (…); un temps pour déchirer, et un temps pour coudre, un temps pour se taire et un temps pour parler. GPA : Décision controversée au Québec autorisant l'adoption de jumelles par un couple homosexuel La Presse.ca du 28 juillet 2016 par Isabelle Mathieu Un couple homosexuel québécois, Jacques et Louis, s'est rendu en Inde pour passer un contrat avec une mère porteuse, en dépit du Code Civil canadien qui condamne tout contrat où une femme s'engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d'autrui en échange de rétribution. Un tel contrat est considéré comme « nul de nullité absolue ». Deux jumelles sont nées après insémination avec le don de sperme de Jacques, le père biologique. Après la naissance, la mère porteuse signe « une déclaration assermentée, dans laquelle elle mentionne qu’elle remet les deux petites filles à leur père biologique, et qu'elle n'a pas d'objection à ce qu'il quitte l'Inde avec les enfants (...) Plus tard, elle affirmera être aussi en accord avec le fait que Louis adopte légalement les fillettes ». En 2013, le couple entame les démarches pour que Louis puisse adopter légalement les deux petites filles. Mais la procureure générale du Québec s'oppose à l'adoption, déclarant que Jacques et Louis avaient délibérément contourné la loi québécoise, jugeant que « plusieurs clauses du contrat de gestation sont abusives et contraires à nos principes juridiques et à l'ordre public». 4 Elle ajoute que Jacques et Louis ont « porté atteinte à la dignité humaine, à l'instrumentalisation du corps de la femme et à la marchandisation de l'enfant ». Après trois ans de procédure, le juge Viviane Primeau, de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse*, en a jugé autrement. Elle convient qu'on peut « s'interroger sur l'aspect moral et éthique du commerce entourant les contrats de gestation en Inde », mais qu'il ne lui appartient pas de sanctionner la conduite des parties. Dans l’intérêt des fillettes, elle accorde leur placement auprès du couple en vue d’une adoption légale. Elle estime que « le débat entourant la question des mères porteuses ne doit pas se faire aux dépens des enfants ici concernées ». Le juge Primeau souligne également « qu'il serait souhaitable que le législateur clarifie les règles en matière de filiation des enfants nés d'une procréation assistée ». *La Cour du Québec, chambre de la jeunesse, est un tribunal de première instance dont la décision est susceptible d'appel si le procureur général du Québec en décide ainsi. Soupçon de GPA à l’étranger : le Quai d’Orsay condamné Libération du 4 août 2016 Depuis début juillet, Valérie*, une quadragénaire française, attendait de pouvoir quitter l’Arménie avec son fils d’à peine plus d’un mois. Mais le consulat français refusait de délivrer un laissezpasser pour l’enfant. Les diplomates soupçonnaient qu’il soit né d’une gestation pour autrui (GPA), interdite en France. Le Conseil d’Etat a tranché mercredi et appelé le ministère des Affaires étrangères à délivrer à titre provisoire tout document de voyage permettant à l’enfant de rejoindre la France avec sa mère, dans un délai de sept jours à compter de cette décision. Le Quai d’Orsay devra également verser 3 000 euros à Valérie au titre des frais de justice. « Lorsqu’elle s’est rendue au consulat d’Erevan début juillet, Valérie a présenté l’acte de naissance de son fils, établi dans les règles par les autorités arméniennes, et sur lequel est inscrit son nom en tant que mère, raconte maître Caroline Mecary, l’une de ses avocates. Mais les fonctionnaires du consulat ont alors fait des histoires, et posé tout un tas de questions sur sa vie privée ou sur son accouchement. » Le 19 juillet, le consulat fait savoir qu’il ne peut délivrer de laissez-passer. « Valérie ne peut rester plus de 180 jours sur le sol arménien. […] Si elle ne repart pas avec son fils, personne d’autre sur place ne pourra s’occuper de lui et elle devra le confier à un orphelinat », expliquait alors son avocate. Le 26 juillet, le tribunal administratif de Paris condamne une première fois le ministère des Affaires étrangères. Celui-ci contre-attaque et porte l’affaire devant le Conseil d’Etat. Pour Alexandre Urwicz, le président de l’Association des familles homoparentales (AFDH), habituée des obstacles administratifs de ce type, le cas de Valérie illustre parfaitement « l’impasse juridique » dans laquelle la France se trouve : condamnée à deux reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour son refus de transcrire à l’état civil les actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger, mais refusant de bouger, préférant « bafouer le droit par manque de courage et absence de volonté politique ». *Le prénom a été changé. 5 Enfant né à l’étranger et autorisation d’entrer sur le territoire Décision contentieuse du Conseil d’Etat du 3 août 2016 Le Conseil d’État ordonne au ministre des affaires étrangères de laisser rentrer sur le territoire un enfant né en Arménie, quand bien même sa naissance résulterait d’une convention de gestation pour autrui. Mme A., ressortissante française, a demandé à l’ambassade de France en Arménie un laissez-passer consulaire pour lui permettre de regagner le territoire français en compagnie d’un enfant, né en Arménie le 24 juin 2016, et dont l’acte de naissance, établi par le service d’état-civil arménien, indiquait qu’elle était sa mère. L’ambassade a refusé de délivrer le laissez-passer consulaire après avoir estimé que cette naissance résultait d’une convention de gestation pour autrui et que, dès lors, Mme A. ne pouvait être regardée comme mère de l’enfant. Mme A. a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, par la procédure d’urgence dite du référé-liberté, pour qu’il ordonne la délivrance d’un document de voyage permettant l’entrée de l’enfant sur le territoire français. Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a ordonné la délivrance d’un laissezpasser consulaire par une ordonnance du 26 juillet 2016. Le ministre a fait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État. La procédure du référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures. Le juge des référés du Conseil d’État a d’abord constaté l’existence d’une telle situation d’urgence, dès lors que la requérante doit pouvoir revenir en France dans les plus brefs délais pour y exercer sa profession libérale et que son départ d’Arménie y laisserait l’enfant, âgé de six semaines, sans personne pour en assumer la charge. Les parties s’opposent sur la nationalité française de l’enfant. Or, en principe, un laissez-passer consulaire est délivré à une personne démunie de titre de voyage après vérification de sa nationalité française. Dans ces conditions, le juge des référés du Conseil d’État a estimé que le litige soulevait une question sérieuse de nationalité qu’il n’appartient pas au juge administratif de trancher. Il a donc infirmé, sur ce point, l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris et a statué sans se prononcer sur la nationalité de l’enfant. Pour ce faire, il a rappelé que l’administration a toujours l’obligation, en vertu de l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant, d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. La circonstance que la conception de cet enfant aurait pour origine un contrat de gestation pour autrui entaché de nullité au regard de l’ordre public français est, à la supposer établie, sans incidence sur cette obligation. En l’espèce, le juge des référés du Conseil d’État a relevé qu’il résulte de l’acte de naissance arménien, dont l’administration ne conteste pas l’authenticité, que la requérante exerce l’autorité parentale sur l’enfant né le 24 juin dernier dont elle assume seule la charge. Il a réglé le litige au vu de cet élément de fait, sans se prononcer sur la question de la nationalité de l’enfant, qui relève de la seule autorité judiciaire. Estimant que l’intérêt supérieur de l’enfant impliquait, dans les circonstances particulières de l’espèce, de ne pas séparer l’enfant de la requérante, le juge des référés du Conseil d’État a enjoint au ministre des affaires étrangères et du développement international de délivrer, à titre provisoire, à l’enfant un document de voyage lui permettant d’entrer sur le territoire national en compagnie de Mme A. La solution retenue réserve donc entièrement la question de la filiation juridique entre la requérante et l’enfant ainsi que celle de la nationalité de ce dernier. 6 L’espèce humaine en pleine évolution ? Libération du 8 août 2016 par Emmanuel Guillemain d’Echon L’homme sait aujourd’hui modifier ses propres gènes. Une évolution potentiellement irréversible et qui pose d’importants problèmes éthiques. L’homme serait-il sur le point de se rendre maître de sa propre évolution ? Le premier séquençage du génome humain, en 2003, a pris treize ans et coûté 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, il suffit de trois jours et de 1 000 dollars. Du coup, tout va très vite. En 2012, deux jeunes scientifiques, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna, ont mis au point une technique baptisée Crispr/Cas9 qui permet très simplement et très précisément de modifier - ou de supprimer - un gène en manipulant directement l’ADN. Ce « scalpel à l’échelle moléculaire », à la portée de « n’importe quelle personne avec des connaissances basiques en biologie », selon Jennifer Doudna, coûte moins de 2 000 dollars. En d’autres termes, cette technique, à l’origine envisagée à des fins thérapeutiques, pourrait servir à certains apprentis sorciers pour développer une nouvelle espèce humaine, plus forte, plus résistante, avec des dents plus blanches. Car, en manipulant les embryons, comme l’a fait une équipe chinoise en 2015, il devient possible de transmettre à la descendance les changements génétiques. « C’est un changement absolument radical de la condition humaine qui s’annonce », craint Hélène Tordjman. Cette économiste, secrétaire de l’association Technologos, un groupement de citoyens et de scientifiques technosceptiques, reproche aux transhumanistes de justifier, au nom d’une « vision hygiéniste de la vie », des évolutions potentiellement irréversibles et qui posent de nombreux risques moraux. Mais la nature n’a pas pour autant perdu tous ses droits. Les généticiens savent bien que le physique comme le caractère d’un être humain dépendent autant de son environnement et de son éducation que de son code génétique. Les évolutions de ce dernier étant particulièrement complexes, on ne sait pas non plus dans quelle mesure ces changements seraient transmis à la descendance. Enfin, s’il paraît dès aujourd’hui possible de modifier un gène responsable à lui seul d’une pathologie, comme la maladie de Huntington ou la mucoviscidose, il sera beaucoup plus compliqué d’influer sur la taille d’un individu, qui dépend de plus de 700 variations génétiques. Mais le résultat est là : des techniques relevant de la science-fiction il y a encore vingt ans sont désormais applicables, quelques années seulement après leur découverte. Et le rythme ne va pas ralentir. Zika : la Floride pourrait recourir aux moustiques transgéniques Pourquoi Docteur du 8 août 2016 par Anne-Laure Lebrun Les autorités sanitaires fédérales américaines estiment que les moustiques OGM n'ont pas d'impact sur l'environnement. La Floride pourrait donc bientôt organiser un lâcher. Les moustiques génétiquement modifiés se présentent comme l’arme ultime contre le virus Zika ou son cousin la dengue. Une arme qui n’aurait aucun impact environnemental si elle était utilisée en Floride, selon un avis de l’agence américaine du médicament (FDA) rendu public ce vendredi. Cette décision donne le feu vert à cet état du Sud-Est des Etats-Unis pour relâcher ces insectes dans la nature afin de combattre l’avancée du virus Zika. 7 Les experts de la FDA planchent sur le moustique OGM appelé OX513A développé par la société Oxitec depuis des mois. L’objectif : « déterminer s’il est capable d’éradiquer la population de moustiques Aedes aegypti implantée sur l’île Key Haven en Floride », explique la FDA. En mars dernier, l’agence sanitaire avait déjà donné son accord de principe car elle considérait qu’il n’y avait pas de risque d’allergie pour l’homme et les animaux. L’absence d’effet sur l’environnement restait encore à examiner. Réduire la population de moustiques sauvages La fin de l’évaluation tombe à pic pour la Floride. En moins d’une semaine, 16 personnes ont été infectées par le virus Zika à Miami. Ce sont les premiers cas autochtones signalés aux Etats-Unis. Un foyer épidémique qui traduit l’échec des mesures de lutte anti-vectorielle, selon les autorités sanitaires américaines. Les lâchers expérimentaux de moustiques Aedes aegytpi OX513A s’affichent comme une alternative beaucoup plus efficace. Ces moustiques transgéniques sont des moustiques mâles génétiquement modifiés pour donner naissance à une progéniture qui n’atteindra jamais l’âge de se reproduire. Seuls les mâles – ceux qui ne piquent pas l’homme pour se nourrir d’un repas de sang – sont relâchés afin qu’ils s’accouplent avec les femelles moustiques sauvages. Selon les expériences menées dans les Iles Caïmans, au Panama, Brésil et Malaisie, cette technique permet de réduire de 90 % la population de moustique sauvage capable de transmettre les virus en seulement 6 mois. Risque de perturber un écosystème Mais pour certains entomologistes, comme Anna-Bella Failloux, responsable de l’unité Arbovirus et Insectes Vecteurs à l’Institut Pasteur, cette technique peut s’avérer dangereuse car elle bouleverserait un écosystème. « Elle mène à une éradication du moustique ce qui signifie qu’une niche écologique sera vacante, avait-elle expliqué à Pourquoi Docteur en janvier dernier. Elle pourrait être remplie par d’autres moustiques, comme Aedes albopictus, le fameux moustique tigre. Ainsi, cette stratégie pourrait être efficace si elle s’applique à plusieurs espèces, mais je ne suis pas sûre qu’elle le soit à long terme ». Une crainte partagée par de nombreux habitants de Key Haven, où les tests devraient se dérouler. C’est d’ailleurs la population locale qui devrait avoir le dernier mot. En novembre prochain, un référendum sera organisé. Les habitants pourront dire s’ils sont d’accord ou non que les moustiques OGM soient relâchés dans leur quartier. Si les opposants gagnent, une autre île de l’archipel des Keys devrait être désignée. La société Oxitec a déjà reçu l’autorisation d’importer et tester ses moustiques OGM au Brésil, aux îles Caïmans, Etats-Unis, France, Inde, Malaisie, Singapour et Vietnam. 8 SOCIÉTÉ Etat civil d’enfants nés par GPA : la France de nouveau condamnée Le Monde du 21 juillet 2016 par Gaëlle Dupont La France a de nouveau été condamnée, jeudi 21 juillet, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), pour avoir refusé de transcrire à l’état civil les actes de naissance d’enfants nés à l’étranger par gestation pour autrui. Elle se prononçait dans les dossiers Foulon et Bouvet, où des hommes ont eu recours à des mères porteuses en Inde. La Cour estime que le refus de transcription constitue une violation du droit au respect de la vie privée des enfants, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle condamne l’Etat à verser 5 000 euros à chacun des enfants concernés pour « dommage moral », et 15 000 euros à chaque famille au titre des frais de procédure. Les deux affaires étaient arrivées jusqu’à la Cour de cassation, qui avait estimé le 13 septembre 2013 que la naissance étant l’aboutissement d’une fraude à la loi, la GPA étant interdite en France, le refus de transcrire l’état civil étranger était justifié. En novembre 2015, le gouvernement français avait proposé des indemnisations de plus de 30 000 euros aux familles pour solder le contentieux, que ces dernières avaient refusé. Les nouveaux arrêts de la CEDH, symboliquement importants, ne sont pas surprenants. La Cour confirme la condamnation de juin 2014 dans les dossiers Mennesson et Labassée, où les enfants sont nés par mère porteuse aux Etats-Unis. Tout en reconnaissant à la France le droit d’interdire la GPA sur le territoire national, la CEDH avait affirmé que le refus de transcription « porte atteinte à l’identité [des enfants] au sein de la société française » et avait condamné la France au nom de leur intérêt supérieur. Les enfants concernés vivent en France avec des papiers étrangers, ce qui pose des difficultés dans leur vie quotidienne. Leurs parents dénoncent le fait qu’ils soient pénalisés du seul fait de leur mode de conception. Au cas par cas Cependant le gouvernement n’a donné aucune instruction après la condamnation de 2014 pour faciliter les transcriptions, de peur de prêter le flanc aux opposants à la GPA. Ces derniers redoutent que la reconnaissance par l’état civil n’ouvre une brèche dans l’interdiction française. Les élus laissent donc les tribunaux trancher au cas par cas. « Les actes de naissance des jumelles Mennesson ne sont toujours pas définitivement transcrits, relate Laurence Roques, l’avocate du couple. Le tribunal refuse de reconnaître la mère d’intention. » Dans une GPA hétérosexuelle, la mère d’intention est la femme qui a un projet d’enfant mais ne peut pas le porter pour des raisons de santé (absence d’utérus par exemple). Il arrive qu’elle fournisse un ovocyte pour la conception, ou que le couple fasse appel à une tierce personne, une donneuse d’ovocyte. Or en droit français, la seule mère possible est la femme qui accouche… donc la mère porteuse. 34 transcriptions d’actes de naissance étrangers Selon les données transmises par le gouvernement au Conseil de l’Europe, 34 transcriptions d’actes de naissance étrangers ont eu lieu entre la condamnation de juin 2014 et le 1er janvier 2016. « Seules certaines configurations fonctionnent, décrypte Alexandre Urwicz, président de l’Association des familles homoparentales. 9 Quand le père est seul sur l’acte de naissance, quand l’acte mentionne un père et une mère porteuse ou quand il mentionne un couple d’hommes, dès lors que le père d’intention a adopté l’enfant après sa naissance. » Il y a en revanche blocage quand un parent non biologique est mentionné (mère d’intention ou père d’intention dans un couple homosexuel), ce qui est le cas par exemple quand une GPA à lieu aux Etats-Unis. « La filiation n’est pas une question biologique, affirme maître Caroline Mécary, conseil de MM. Foulon et Bouvet. La transcription partielle [du seul parent biologique] n’est pas tenable au regard du respect au droit à la vie privée et familiale. C’est une interprétation restrictive. » Laurence Roques plaide également pour la prise en compte de la « réalité juridique » des actes de naissance étrangers. Les arrêts du 21 juillet ne permettront pas de trancher ce débat, puisque les actes de naissance en question mentionnent le père biologique et la mère porteuse. Un tour de France pour la fin de vie La Dépêche du 18 juillet 2016 Évoquer la fin de vie et les questions liées au sujet tabou de l'euthanasie, tel est le pari lancé par les jeunes adhérents de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (Admd) dont le « bus de la liberté » a stationné, hier après-midi, au square Charles-de-Gaulle à Toulouse. Un tour de France pour faire écho à « la nouvelle loi sur la fin de vie qui a été promulguée en début d'année sans tenir compte des souhaits des Français, qui sont très largement favorables à la légalisation de l'euthanasie selon "l'avis citoyen" rendu public en décembre 2013 à la demande du Comité consultatif national d'éthique », assure l'association. « Le but de cette tournée, c'est de parler de la fin de vie sans aucun tabou, ajoute Christophe Michel, secrétaire général de l'Admd. C'est pour cela qu'on a voulu faire une tournée nationale, pour dire qu'on peut parler de ça même durant l'été. Mais aussi pour informer sur le droit des citoyens en fin de vie, notamment sur les directives anticipées qui permettent de dire ses dernières volontés. C'est un document qui existe depuis 2002, mais l'État n'a jamais fait de communication grand public ». La France vote l'interdiction des insecticides tueurs d'abeilles Le Figaro du 21 juillet 2016 par Pauline Château L'Assemblée nationale a définitivement adopté le projet de loi sur la biodiversité. Parmi les mesures phares de ce texte figure l'interdiction des pesticides néonicotinoïdes. Un sérieux revers pour les géants de l'agrochimie. Après plus de deux ans d'un parcours législatif difficile, le projet de loi de « reconquête de la biodiversité », porté par la secrétaire d'État Barbara Pompili, a été définitivement adopté à l'issue d'un vote des députés à l'Assemblée, mercredi soir. Lors de cette quatrième et dernière lecture, toute la gauche a voté pour, tandis que la droite a voté contre. Pour la secrétaire d'État à la biodiversité, cette loi devrait « favoriser une nouvelle harmonie entre l'homme et la nature ». 10 Mais dans les faits, que contient ce fameux texte ? La création d'une Agence française de la biodiversité (AFB) constitue l'une des mesures phares. Objectif affiché : permettre une meilleure préservation de la faune et de la flore en France. Pour ce faire, l'établissement public regroupera 1200 agents de quatre organismes distincts : l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), l'Atelier technique des espaces naturels, l'Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux. Cette agence devrait être mise en place au 1er janvier 2017. Les insecticides néonicotinoïdes interdits dès 2018 La loi sur la « reconquête de la biodiversité » inscrit également la notion de préjudice écologique dans le Code civil, selon le principe du « pollueur-payeur ». Autrement dit, l'individu jugé responsable de la dégradation d'un milieu naturel sera chargé de sa remise en état. Si une telle réparation est impossible, des dommages et intérêts pourront être versés dans certains cas. D'autres principes, comme celui de « solidarité écologique », figurent désormais dans le Code de l'environnement. En revanche, les députés ont renoncé à la surtaxation des importations d'huile de palme pour lutter contre la déforestation. Le dernier débat a porté autour de l'interdiction des insecticides de la famille des néonicotinoïdes. Une question qui a suscité de vives discussions entre les parlementaires. Les députés sont finalement parvenus à maintenir une date d'interdiction, pourtant abandonnée lors du deuxième passage de la loi au Sénat. Ces produits, considérés comme tueurs d'abeilles, seront bannis à compter du 1er janvier 2018. Des dérogations pourront toutefois être accordées aux agriculteurs, jusqu'au 1er juillet 2020. Pour Bayer et Syngenta, l'interdiction des néonicotinoïdes est une impasse Création de la cinquième plus grande réserve marine du monde, dispositif pour éviter les collisions de navires avec les cétacés, lutte contre le trafic d'espèces animales et végétales menacées... Au total, le texte de loi comporte plus de soixante-dix articles. « Malgré les pressions, malgré les tentatives de raboter le texte, les objectifs ont été maintenus », s'est félicitée la secrétaire d'État à la Biodiversité, Barbara Pompili. Le fameux texte demeure toutefois très contesté. À l'Assemblée, le groupe Les Républicains a annoncé son intention de saisir le Conseil constitutionnel, dénonçant « une écologie punitive ». Il n'est pas certain non plus que l‘adoption de cette loi réjouisse les industriels de l'agrobusiness, et en particulier les géants de l'agrochimie. De fait, Bayer et Syngenta, entre autres, sont les producteurs des fameux insecticides néonicotinoïdes, bientôt interdits. Contacté par Le Figaro, Bayer estime qu'une telle interdiction « conduira à une impasse agronomique et économique pour l'agriculture française et n'apportera pas de réponse efficace aux causes de mortalité des abeilles ». « Cette décision malheureuse ne permettra pas de proposer des alternatives crédibles aux agriculteurs français qui pourront être confrontés à des impasses agronomiques et à une exacerbation des résistances », indique de son côté Syngenta, dans un communiqué. Une telle mesure risque de ne pas être sans incidences sur les chiffres de ces deux groupes. À titre indicatif, la division française de Bayer a réalisé 1,5 milliard de chiffre d'affaires, dont 626 millions d'euros pour la Division Crop Science. « Au-delà de nos produits, il s'agit une fois encore d'une véritable atteinte à la compétitivité des agriculteurs français à qui nous supprimons petit à petit leurs outils de production alors que leurs voisins européens continuent très largement à les utiliser » explique Frank Garnier, président de Bayer en France, dans un communiqué. Un diagnostic avec lequel semble s'accorder le principal syndicat agricole FNSEA. Selon Christiane Lambert, vice-présidente du syndicat, la production de betteraves risque d'être particulièrement affectée. « Si en 2018, il s'avère qu'il n'y a pas de mesure alternative pour certaines productions, (...) le gouvernement en place à ce moment-là devra prendre des décisions qui éviteront de tuer certaines productions », a-t-elle insisté au micro de France Inter, ce jeudi. 11 L’accès à la contraception menacé par une « clause de conscience » des pharmaciens Libération du 21 juillet 2016 par Nolwenn Mousset L’ordre professionnel fait voter ses adhérents sur une modification de son code de déontologie. Une mesure normalement destinée à la fin de vie, mais qui suscite l’inquiétude. Votre pharmacien pourra-t-il, en son âme et conscience, refuser de vous dispenser la pilule du lendemain ? En pleine refonte de son code de déontologie, l’ordre des pharmaciens soumet aux professionnels un article proposant une « clause de conscience » qui stipule que « le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine ». Cette consultation, ouverte jusqu’au 31 août, fait monter la polémique sur les réseaux sociaux et dans les ministères. « Vague ». En cause, la formulation floue de l’article dont les ambiguïtés réveillent des tensions dans la profession sur l’accès à la contraception. « Avoir une clause de conscience est un signe d’encouragement à des pratiques aujourd’hui encore illégales, comme ne pas délivrer la pilule du lendemain », alerte, sur Twitter, l’un des pharmaciens membres du collectif à l’origine de la pétition contre cet article. « La contraception sera forcément touchée et c’est la première chose à laquelle on pense, mais cette clause est tellement vague que d’autres produits pourront être concernés comme les seringues jetables, la méthadone pour les dépendants aux drogues, mais aussi des antidouleurs… » explique ce professionnel à Libération. Pourtant, l’ordre des pharmaciens réfute toute volonté d’attaquer le droit des femmes à disposer de leur corps. « L’institution est très attachée au droit des femmes. Aujourd’hui, ce n’est pas le ministère qui porte plainte contre nos confrères qui refusent de délivrer la pilule, mais bien l’ordre », rappelle Isabelle Adenot, sa présidente, qui précise que l’article en question concerne la fin de vie et non la contraception. « Les pharmaciens voient passer les ordonnances rédigées par les médecins et lorsqu’ils dispensent les produits, ils ne sont pas dupes, ils savent très bien l’effet qu’ils vont avoir sur les patients. Oui, c’est illégal. Mais la fin de vie, c’est une situation difficile pour tous : les corps soignants, les familles, le patient… Certaines décisions sont parfois prises et on ne peut pas obliger les pharmaciens à les cautionner », affirme la présidente de l’ordre, oubliant cette évidence qu’en matière de prescription, ce sont les médecins qui sont responsables des traitements et des posologies. Si Isabelle Adenot se veut rassurante, le collectif ne plie pas : « Dans les faits, c’est un vide juridique, et on ne peut pas savoir ce que cela va donner. Si aujourd’hui, on nous garantit que ça ne concernera que le cas de la fin de vie, on en sera ravi. Mais pour le moment, la clause laisse libre cours aux interprétations. Pour preuve, les associations de pharmaciens contre l’IVG s’en réjouissent. » Et le flou est tel que la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, s’est elle-même insurgée de cette consultation, affirmant que si elle était « suivie d’effets, elle ouvrirait clairement la possibilité pour des pharmaciens de refuser de délivrer la contraception d’urgence [pilule du lendemain, ndlr], la pilule, le stérilet ou même le préservatif ». Sur le risque d’une interprétation plus large de cet article, la présidente de l’ordre botte en touche : « Nous devons attendre tout d’abord de voir les résultats du vote, le 31 août. Je ne peux pas m’avancer car il s’agit de la décision collégiale de 31 personnes. » Veto. Dans les faits, le conseil national de l’ordre se réunira le 5 septembre pour prendre sa décision. Sans attendre, Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, est intervenue mercredi dans un communiqué pour calmer le jeu : « Je ne crois pas que l’ordre ait jamais eu l’intention de porter une proposition qui remette en cause ces droits fondamentaux des femmes. En tout état de cause, cela supposerait un changement du code de déontologie, ce qui doit être validé par la ministre des Affaires sociales et de la Santé. 12 Celle-ci ne laisserait jamais place à une telle disposition. » Sans validation du ministère, la « clause de conscience » des pharmaciens ne pourra donc pas entrer dans le code de déontologie. En 2004, lors de l’arrivée de l’IVG médicamenteuse dans les pharmacies, la Direction générale de la santé avait déjà refusé ce droit à l’ordre. « Droit de conscience » qui autorise les médecins, les sages-femmes, les infirmiers et les auxiliaires médicaux à ne pas pratiquer l’IVG. Isabelle Adenot l’avait d’ailleurs regretté, défendant un alignement des pharmaciens sur les autres professionnels de santé et la possibilité pour les pharmaciens récalcitrants « d’indiquer quel autre pharmacien pourrait dispenser le produit ». Douze ans après, le débat ressurgit. Et si le ministère se porte garant et dispose d’un droit de veto, cette nouvelle tentative semble symptomatique de menaces qui pèsent sur le droit des femmes à disposer de leur corps. Sida : la « Prep » à portée de monde Libération du 22 juillet 2016 par Eric Favereau La conférence de Durban a consacré l’efficacité de la « Prep » contre la propagation du VIH. L’enjeu désormais : la diffusion de la molécule Truvada (à la base du traitement) auprès des populations à haut risque. La Prep pour casser la contamination ? Un rêve qui commence à apparaître. C’est en tout cas la star de la Conférence internationale sur le sida, qui se termine ce vendredi à Durban, en Afrique du Sud. La Prep - pour prophylaxie pré-exposition - est la nouvelle stratégie de prévention du VIH, aussi efficace que le préservatif. Son principe ? Apparemment aussi simple qu’une pilule : il s’agit de proposer, pour une personne qui a un risque élevé d’être infectée par le virus du sida, de prendre une molécule anti-VIH quelques heures avant un rapport non protégé puis pendant deux jours, ou alors de prendre ce traitement en continu. Les résultats sont impressionnants, comme l’ont encore révélé les études finales qui ont été présentées mercredi à Durban. Ainsi l’étude Ipergay sur la Prep à la demande montre une efficacité de près de 100 % si la personne suit bien le schéma de prise. « C’est un changement essentiel. Pour la première fois depuis trente ans, nous avons, en termes de prévention, un nouvel outil au moins aussi utile que le préservatif », note le professeur Jean-Michel Molina, qui a coordonné l’essai Ipergay. Et cette avancée est d’autant plus importante qu’elle intervient à un moment très particulier de l’épidémie mondiale : aujourd’hui, c’est le volet prévention qui est en panne. Avec ce chiffre stable, voire en légère augmentation depuis quelques années : 2,3 millions de personnes supplémentaires infectées chaque année par le virus, d’après Onu-sida*. « Sans faire baisser ce chiffre, on n’arrivera jamais à stopper l’épidémie », explique Michel Sidibé, le directeur exécutif de l’ONU-sida, chargé de coordonner les actions des Nations unies pour lutter contre le VIH. Sur le terrain, les choses commencent à se mettre en place. Dans une consultation Prep à Paris, au service des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon, Olivier, 45 ans, enseignant de métier, vient en urgence. Depuis quelques semaines, il prend du Truvada, la molécule antisida la plus utilisée pour la Prep. Olivier dit qu’il lui arrive de prendre des risques, comme des relations anales sans préservatif. Avec les migrants, les hommes homosexuels sont la population la plus à risque. A Paris, 9 nouvelles contaminations sur 10 concernent l’un des deux profils. « Parfois, je prends des substances psychoactives, et je n’ai pas toute ma vigilance », raconte Olivier. Le voilà donc, depuis quatre mois, à prendre la pilule. Il a opté pour la méthode par intermittence : deux heures au moins avant la prise de risque, puis un comprimé pendant deux jours. « Cela me rassure, je n’ai presque pas d’effets secondaires, et je le dis à mes partenaires. » Il se montre satisfait. Il est toujours séronégatif. 13 « Mais ce n’est pas rien, ajoute-t-il. Prendre un comprimé, c’est quand même bizarre, ce n’est pas qu’une prise de médicament, cela change dans la tête la notion de risque », avoue-t-il. Et le fait de prévoir la prise de risque deux heures avant ? « Au début, je croyais que cela allait être difficile, mais en fait non. On le sait. En tout cas, lâche-t-il, c’est tellement moins de contraintes. » Pour Olivier, c’est une petite révolution. S’il est repassé ce jour-là en urgence dans le service, c’est qu’il a pris un autre risque, une injection par voie intraveineuse. Il ne sait pas si le Truvada le protégeait ou non. « Je me sens rassuré », insiste-t-il. Et il y a de quoi. Résultats spectaculaires Mercredi, à Durban, le professeur Molina a rendu public les résultats globaux de l’essai Ipergay, un essai réalisé par l’Agence nationale de recherche sur le sida décisif pour valider l’efficacité de la Prep. Les résultats se révèlent encore plus spectaculaires que ceux de la première phase : sur les 362 volontaires qui y ont participé, une seule personne a été infectée, mais elle avait interrompu le traitement préventif. On n’est donc pas loin des 100 % d’efficacité quand le traitement est bien pris. « La question n’est plus de savoir si la Prep est efficace et doit être utilisée, mais comment la mettre rapidement à disposition des personnes les plus à risque. » Et Jean-Michel Molina d’expliciter les enjeux à venir : « Nous avons montré l’intérêt individuel, il n’y a plus d’incertitudes sur ce point. Le défi est désormais le basculement vers le collectif. » En France, depuis que la ministre de la Santé a autorisé en janvier le remboursement du Truvada, la demande est là, en hausse constante. La quasi-totalité des services de maladies infectieuses ont ainsi ouvert des consultations Prep, et les centres de dépistage anonyme et gratuit peuvent maintenant la proposer. Près d’un millier de personnes sont actuellement sous Prep. « Ce sont des gens qui veulent renforcer leur prévention », explique Marc, de l’association Aides, qui participe aux consultations Prep de l’hôpital Tenon. « On est là, on écoute, on ne porte pas de jugement, on tente de créer un espace de parole centrée sur les pratiques de la personne. » De fait, la Prep ne s’adresse pas au tout-venant, mais à une population exposée, voire très exposée. A présent, ce sont les gays qui ont plébiscité ce nouvel outil. « A l’évidence, il va falloir ouvrir aux travailleurs du sexe, aux migrants », lâche Marc. Mais comment passer à une utilisation de masse de la Prep ? Ce basculement est aujourd’hui dans toutes les stratégies internationales. Michel Sidibé a expliqué à Libération lors de l’ouverture de la conférence de Durban qu’aujourd’hui, « si on estime qu’il y a autour de 60 000 personnes sous Prep, en grande majorité dans les pays du Nord, l’objectif est d’arriver à 3 millions en 2020 ». Et noté : « Dans les pays en voie de développement, en Afrique du Sud, et pour les jeunes filles en particulier, la Prep peut aider beaucoup. » Mais estce possible ? « C’est vrai, note un activiste, que c’est un outil magnifique pour les femmes, elles ne dépendent plus du bon vouloir de l’homme comme avec le préservatif. » « La question, insiste JeanMichel Molina, ce sont les populations clés. Aujourd’hui, l’épidémie est très centrée sur des groupes particuliers. Des groupes qui sont particulièrement exposés. C’est vers eux que la Prep peut être un outil efficace de prévention. Surtout, insiste-t-il, les choses bougent beaucoup. Aujourd’hui, nous avons une pilule, mais bientôt seront disponibles des patchs qui pourraient vous protéger un ou deux mois. Voire des injections qui seraient efficaces plusieurs semaines. La Prep ne fait que commencer. » A Durban, nul ne veut manquer ce rendez-vous. « En 2000, la Conférence internationale avait marqué le début d’un mouvement mondial pour apporter un traitement contre le VIH dans le monde en développement, souligne Linda-Gail Bekker, présidente de la Société internationale sur le sida. Là, je suis convaincue que nous allons regarder cette conférence de 2016 comme l’aube de l’ère de la mondialisation Prep. » Et elle en veut pour preuve la présentation d’une série d’études qui montre que la montée en puissance de la Prep est possible. Aux Etats-Unis, son développement est assez bluffant : 3 746 personnes l’utilisaient en 2013, 14 756 en 2014 et 30 967 en 2015. La Prep se révélant un des outils qui permet de casser l’épidémie dans la ville de San Francisco. L’autre outil est la mise sous traitement immédiate des personnes séropositives, car cela permet de les rendre non contaminantes. 14 Diffusion massive Un autre travail, présenté à Durban, a montré que chez les adolescents « à risque » en Afrique du Sud, « l’utilisation de la Prep était possible ». L’auteur, Katherine Gill de la fondation Desmond Tutu HIV, a ainsi noté que « l’adhésion à la Prep précoce était raisonnable parmi une population d’adolescents à haut risque ». Une autre étude sur les couples discordants (l’un est séropositif, l’autre non), réalisée au Kenya et en Ouganda, a montré que la combinaison de la Prep et du traitement a conduit à la quasi-élimination de la transmission du VIH chez ces couples sérodiscordants. Bref, les études commencent à s’accumuler. La diffusion massive de la Prep est désormais « possible », souligne Michel Sidibé. « C’est à portée de main, et le signe le plus encourageant, c’est qu’un grand nombre de donateurs sont prêts à financer ces programmes aujourd’hui. » *La revue scientifique The Lancet rend public, à l’occasion de la Conférence internationale sur le sida, un travail de l’Institut de métrologie sanitaire et d’évaluation de Seattle évoquant un chiffre supérieur à celui d’ONU-sida : 2,5 millions de nouvelles contaminations chaque année. Greffe des deux mains : une première au Royaume-Uni BBC du 22 juillet 2016 Agé de 57 ans, Chris King a perdu ses deux mains, il y a trois ans, dans un accident de travail causé par une presse à métaux. Au UK’s centre for hand transplants, le Professeur Simon Kay, consultant en chirurgie plastique au Leeds General Infirmary, a entrepris une opération inédite : celle de greffer deux nouvelles mains (provenant d’un don) à son patient. Chris King est la deuxième personne à bénéficier de cette opération, et la première à qui, non pas une, mais deux mains ont été greffées. Le professeur Kay a révélé qu’il s’agissait d’une procédure unique, car les poignets de Chris King ont été conservés, ce qui a complexifié l’opération. Selon lui, la greffe de mains, pour des questions d’immunologie et d’esthétique, est bien plus difficile que la greffe d’un organe interne : « Elles doivent paraître similaires, car elles sont en continu aux yeux de tous ». Le professeur n’écarte pas les éventuels impacts psychologiques sur les patients greffés, mais aussi sur leur famille. Cette greffe a d’ailleurs permis au patient de retrouver des mains, mais aussi la mémoire. Depuis l’accident en effet, il n’arrivait pas à se souvenir de l’état de ses mains. Il s’en rappelle de nouveau parfaitement. L’équipe du Leeds General Infirmary, spécialisée dans la greffe de mains, espère procéder entre 2 à 4 opérations par an. Quatre personnes sont actuellement sur liste d’attente. Première naissance d’un bébé atteint d’une microcéphalie liée au virus Zika en Europe Le Monde avec AFP du 25 juillet 2016 15 C’est le premier cas recensé en Europe : lundi 25 juillet, les responsables de l’hôpital de Barcelone ont annoncé la naissance d’un bébé atteint d’une microcéphalie (développement insuffisant du crâne et du cerveau) due au virus Zika. La mère avait été diagnostiquée porteuse du virus en mai, mais elle avait choisi de continuer sa grossesse, selon les autorités de santé de Catalogne. Elle a contracté le virus lors d’un voyage dans un pays d’Amérique latine. « Le bébé va bien d’un point de vue clinique, ses fonctions vitales sont normales et stables », a déclaré Félix Castillo, directeur du service de néonatologie de l’hôpital Vall d’Hebron de Barcelone. Ses parents sont « très heureux », a ajouté Elena Carreras, la directrice du service d’obstétrique. Un autre cas avait été détecté cette année en Slovénie, mais les parents de l’enfant avaient décidé d’avorter. A New York, un premier cas d’enfant présentant une microcéphalie liée au virus a aussi été enregistré la semaine dernière. La mère de l’enfant avait voyagé dans l’une des zones d’implantation du virus, selon le département de la santé de New York. L’épidémie de Zika – un virus transmis par le moustique Aedes aegypti, mais également par voie sexuelle, et de la mère à l’enfant qu’elle porte – est apparue en 2015 et s’est rapidement étendue à tous les pays d’Amérique latine, particulièrement au Brésil, où environ 1,5 million de personnes sont infectées. 1,65 million de femmes enceintes menacées Selon une étude parue lundi dans la revue Nature Microbiology, elle pourrait causer des malformations comme la microcéphalie, ou d’autres affections, chez des « dizaines de milliers » de bébés. Parmi les autres risques liés au virus figurent divers troubles neurologiques, des retards de croissance ou même la mort du fœtus. Au total, 93,4 millions de personnes pourraient être infectées au cours de cette épidémie, dont 1,65 million de femmes enceintes. Des prévisions qui comportent une « énorme » part d’incertitude, admet Alex Perkins (université Notre Dame, Indiana, EtatsUnis), principal auteur de l’étude. Dans 80 % des cas, cette infection, contre laquelle il n’existe ni vaccin, ni traitement spécifique, reste bénigne ou passe même inaperçue, rappellent les auteurs. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déjà prévenu depuis plusieurs mois qu’elle s’attendait à une propagation « explosive » dans les Amériques, avec 3 à 4 millions de cas cette année. Par comparaison, 53 millions d’infections par le virus de la dengue ont eu lieu en 2010 dans cette région du monde, d’après une étude parue en 2013. L’épidémie actuelle de Zika devrait s’éteindre d’elle-même dans les deux à trois ans en Amérique latine, ont estimé à la mi-juillet des chercheurs britanniques dans la revue Science. Une autre épidémie de grande ampleur ne devrait pas survenir avant au moins dix ans, le temps nécessaire pour qu’apparaisse une nouvelle génération de personnes qui n’ont pas été exposées au virus et ne sont donc pas immunisées. Grippe aviaire : un deuxième foyer signalé en Dordogne Pourquoi Docteur du 26 juillet 2016 par Anne-Laure Lebrun Un deuxième foyer de grippe aviaire a été recensé en Dordogne dans un élevage de canards malgré le vide sanitaire imposé en avril dernier. Tous les animaux vont être abattus. Un nouveau foyer de grippe aviaire a été découvert en Dordogne, a annoncé lundi la Préfecture. Il s’agit d’un élevage de canard situé sur la commune de La Dornac, non loin du premier foyer signalé le 19 juillet. 16 Ce nouveau cas a été détecté lors de contrôles sanitaires mis en place dans un rayon de 10 km autour de l’exploitation élevant plus de 4 000 poulets. « L’abattage des animaux de ce foyer incident est en cours », a indiqué la Préfecture sans préciser le nombre de palmipèdes concernés. Pour l’heure, rien ne permet de dire quel élevage a contaminé l’autre. Une enquête a donc été lancée pour déterminer la nature précise du lien épidémiologique entre ces deux foyers. Elle permettra également de savoir si le virus était encore présent dans l'exploitation, s'il a été transmis aux animaux par un oiseau migrateur ou apporté par le lot de canetons. Des contrôles vétérinaires systématiques Outre l’abattage de l’élevage, la détection de ce nouveau foyer sporadique entraîne la mise en place d’un périmètre réglementé : une zone de protection de 3 km autour de l’exploitation incriminée ainsi qu’une zone de surveillance de 10 km. En outre, tous les détenteurs (particuliers et professionnels) de palmipèdes feront l’objet d’une surveillance vétérinaire systématique. C’est le 3ème élevage contaminé par l’influenza aviaire – deux en Dordogne et un en Aveyron - deux mois après le vide sanitaire mis en place pour assainir les élevages de 18 départements du Sud-Ouest. Durant un mois, un millier d’élevages sont restés vides avant d’être désinfectés de fond en comble. Les exploitations ont ensuite été repeuplées petit à petit à partir de mi-mai dans des conditions biosanitaires drastiques. Mais le virus H5N1 persiste. L’éradication de la grippe aviaire s’annonce plus difficile qu’on ne le pensait. Depuis novembre dernier, 80 cas d'influenza aviaire ont été rapportés dans 8 départements du SudOuest. Une épidémie sans précèdent en France. PMA : les médecins restent dans l’incertitude Le Monde du 27 juillet 2016 par Gaëlle Dupont Une lettre de 2012 rappelant l’interdiction d’orienter des patientes à l’étranger a été retirée. La loi, elle, n’a pas changé Un « coup d’épée dans l’eau », de « l’esbroufe »… Les commentaires sont sévères après le retrait par le gouvernement d’un courrier de décembre 2012 qui rappelait aux médecins les peines prévues s’ils aidaient des patientes à avoir recours à des pratiques d’aide médicale à la procréation interdites en France en les orientant vers l’étranger. L’annonce a été faite jeudi 30 juin par François Hollande au cours d’une réunion avec les associations LGBT (« lesbienne, gay, bi et trans ») avant la Gay Pride parisienne, et confirmée par la ministre de la santé, Marisol Touraine, dans un courrier adressé le 7 juillet au président du conseil de l’ordre des médecins. Certains commentaires ont pu laisser penser que les sanctions (cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende) étaient supprimées. Dans un communiqué du 4 juillet, la Manif pour tous dénonçait même un pas vers la « PMA sans père » et l’autorisation de contourner la loi. En fait, la mesure, qui était demandée par les associations LGBT, relève de l’affichage. « Le retrait de la lettre, qui n’apportait rien de nouveau mais invitait l’ordre des médecins à “mettre en garde” les gynécologues, constitue un non-événement, puisque le code pénal n’est pas modifié », commente Isabelle Lucas-Baloup, avocate spécialisée en droit de la santé. Les termes employés ajoutent à la confusion. Le document n’était pas une circulaire mais un courrier sans valeur juridique ne pouvant donc pas être « abrogé ». Frilosité ou prétexte 17 Le document, émis en plein débat sur le mariage pour tous, rappelait que les médecins ne peuvent mettre en relation des patientes avec des cliniques ou organismes dont les pratiques en matière de procréation médicalement assistée ne sont pas conformes à la loi française. En France, le don de gamètes est anonyme et gratuit, et la PMA réservée aux couples hétérosexuels infertiles. Les sanctions restent théoriques, aucun praticien n’ayant jamais été poursuivi pour ces faits. L’initiative avait provoqué un tollé parmi les médecins, confrontés à une demande croissante de pratiques autorisées à l’étranger : PMA avec don de sperme pour les couples de femmes ou les femmes seules, congélation de ses propres ovules, accès plus rapide au don d’ovocytes pour les couples hétérosexuels (en France l’attente peut durer cinq ans en raison de la pénurie de donneuses). Il avait également été interprété comme un gage donné à la Manif pour tous, qui menait le combat contre l’ouverture de la PMA aux couples de femmes. Le gouvernement a eu beau minimiser son impact, la missive a entraîné une certaine frilosité, ou servi de prétexte. « Nous avons eu à l’époque des témoignages de femmes ayant fait une PMA que leur gynécologue refusait de suivre, avant et après leur grossesse », affirme Virginie Combe, viceprésidente de SOS Homophobie. C’est sur cette interprétation que souhaite revenir le gouvernement, en rappelant à nouveau la loi. « Si les médecins doivent naturellement se conformer à leurs obligations légales et déontologiques lorsqu’ils accompagnent les femmes dans leur désir de grossesse, écrit la ministre de la santé, l’article 511-9 du code pénal ne saurait faire obstacle au suivi des femmes ayant eu recours à une PMA dans un pays étranger. » En clair, la loi n’interdit pas le suivi de femmes en France après le début de leur grossesse. En revanche, les médecins ne peuvent pas les orienter ni les assister en vue de la conception. Rien de nouveau donc. « Incohérences criantes » « Tout cela est de la gesticulation », s’énerve le gynécologue Israël Nisand. Pour de nombreux médecins, aider les patientes à mettre en œuvre leur projet de grossesse est une obligation déontologique. « La dernière femme que j’ai aidée a 32 ans, une mère et une sœur en ménopause précoce, poursuit-il. Elle demandait une auto-conservation de ses ovules. C’est une demande légitime et médicalement souhaitable. Vaut-il mieux la prendre en charge dans cinq ans pour infertilité, à grands frais ? Peut-on laisser les patientes s’orienter seules sur ce qui est devenu un marché ? L’Ukraine, la Tchéco-Slovaquie et la Grèce cassent les prix ! » « Récemment, une femme seule est allée en Grèce où on lui a implanté trois embryons, renchérit François Olivennes, gynécologue à Paris. Elle a été enceinte de triplés et a fait une fausse couche. Aider les patientes, c’est de la simple assistance à personne en danger. » Cet accompagnement peut comprendre des prescriptions (hormones, échographies) et des échanges de courriers. « En abrogeant une circulaire qui n’était pas appliquée, on ne touche pas au fond du problème », regrette le gynécologue René Frydman, père du premier « bébé-éprouvette ». Il est l’initiateur d’une pétition, signée par 130 médecins et publiée dans Le Monde le 17 mars, qui dénonçait les « incohérences criantes » de la législation française. Les signataires reconnaissaient avoir aidé des couples ou des femmes, « quel que soit leur mode de vie », dont le projet d’enfant n’était pas réalisable en France. Les pétitionnaires ont été convoqués par le conseil de l’ordre des médecins. « Nous avons demandé aux conseils départementaux d’entrer en contact avec eux afin qu’ils puissent s’exprimer », nuance Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie. Aucune sanction n’est envisagée à ce stade. Selon M. Faroudja, « la situation actuelle ne peut plus durer ». Et d’affirmer : « Il est urgent que le législateur s’empare à nouveau de ces sujets. » 18 De Durban à Durban : vaincre le sida, avec quelles ressources financières ? Le Monde du 27 juillet 2016 par Paul Benkimoun La comparaison était inévitable car elle permet de mesurer le chemin parcouru en seize ans. Durban 2000 : la 13ème Conférence internationale sur le sida était marquée par la caricature. Caricature avec le déni par le président sud-africain de l’époque, Thabo Mbeki, de la responsabilité du VIH dans le sida et son refus de procurer aux plus de 3 millions de séropositifs de son pays les antirétroviraux qu’il jugeait toxiques. Caricature, au-delà de l’Afrique du Sud, avec des traitements disponibles pour les malades du Nord mais à un prix inaccessible aux plus nombreux, ceux du Sud. Durban 2016 : la 21ème Conférence internationale sur le sida (18 au 22 juillet) se voulait celle d’un optimisme tempéré par rapport à la quasi-euphorie qui avait marqué la 19ème édition à Washington, où l’on proclamait la fin programmée du sida, certains évoquant même une éradication du VIH. Depuis – et Durban 2016 l’a confirmé –, tout le monde est revenu sur terre et la perspective à moyen terme est de faire en sorte que l’infection par le VIH régresse au point de ne plus être un problème de santé publique. Un réalisme modeste qu’on aurait tort de prendre comme un fait acquis. 13 millions de personnes non traitées Il y a toutes les raisons de célébrer les spectaculaires progrès accomplis, que ce soit sur le plan médico-scientifique ou dans l’accès aux traitements qui, à défaut de guérir, permettent de maintenir l’infection par le VIH sous contrôle et de prolonger ainsi la vie de patients autrefois condamnés. Mais comment ne pas mesurer le chemin qui reste encore à parcourir pour atteindre les objectifs fixés pour 2020 par les Nations unies ? En 2020, les Nations unies ciblent un total de 30 millions de personnes sous traitement antirétroviral. Dix-sept millions de personnes dans le monde bénéficient en 2016 des médicaments antirétroviraux quand ils étaient moins de un million en 2000, selon les chiffres officiels de l’Onusida. Magnifique succès. Cependant, 30 millions de personnes sont actuellement éligibles à un traitement anti-VIH, selon les recommandations de traitement de l’Organisation mondiale de la santé, soit un fossé de 13 millions de personnes non traitées. Objectifs déraisonnables ? Le problème est que le nombre de nouvelles infections – donc celui des personnes à traiter, puisque les bénéfices d’un traitement le plus précoce possible sont à présent établis – décroît plus lentement qu’espéré. Après une décennie de chute rapide du nombre de personnes nouvellement infectées de 1995 à 2005, la tendance est à la stagnation ou à une faible diminution sur les dix dernières années, quand ce n’est pas une hausse dans 74 pays. Plus de 2 millions de personnes deviennent chaque année séropositives. Comment espérer à ce rythme voir l’incidence du VIH tomber à moins de 500 000 nouvelles infections par an et le nombre de personnes sous traitement bondir en 2020 ? Les objectifs sont-ils déraisonnables ou les efforts pour y parvenir sont-ils déraisonnablement insuffisants ? Le nombre de nouvelles infections soulève la question centrale de la prévention et de ses échecs. Une panoplie d’outils existe, allant du préservatif à l’utilisation des antirétroviraux, que ce soit chez les personnes séropositives pour éviter qu’elles ne transmettent le virus ou en prophylaxie préexposition (PrEP, selon l’acronyme anglais) chez des personnes séronégatives. Certains, comme l’ancien directeur exécutif d’Onusida, Peter Piot, évoquent un « échec massif de la prévention » et invitent à un « rééquilibrage d’une stratégie fondée uniquement sur les antirétroviraux, car le traitement comme prévention ne marche pas comme nous l’espérions à l’échelle d’une population ». Une baisse de 13 % en un an 19 Mais le risque d’échouer à atteindre les objectifs tient aussi au ralentissement de la mobilisation financière. En 2003, à l’époque où quelques centaines de milliers de malades étaient traités dans les pays du Sud, l’Onusida avait lancé l’initiative « 3 by 5 », pour atteindre 3 millions de bénéficiaires des traitements à la fin 2005. Grâce à une mobilisation de financements inédite – création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, plan présidentiel américain Pepfar –, un total de 1,3 million de personnes séropositives avaient enfin accès aux traitements. En 2012, nouvelle initiative : « 15 by 15 ». Cette fois, l’objectif de traitement disponible pour 15 millions de personnes vivant avec le VIH en 2015 était atteint en temps et en heure grâce à une mobilisation soutenue. Depuis, la mobilisation financière s’affaiblit : le bilan conjoint de la Kaiser Family Foundation et d’Onusida (« Financer la riposte au VIH dans les pays à revenu faible ou intermédiaire »), publié en juillet, dresse un constat inquiétant : dans ces pays, les dépenses des gouvernements donateurs « ont diminué de plus de un milliard de dollars (7,53 milliards en 2015, comparés à 8,62 milliards en 2014), une diminution de 13 %. » Les dépenses ont baissé pour treize des quatorze plus gros Etats donateurs, même en tenant compte de l’inflation. La conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme se tiendra le 16 septembre à Montréal, au Canada. La France a décidé de maintenir son niveau de contribution actuel, malgré les sollicitations des organisations non gouvernementales qui souhaitaient la voir augmenter. La maxime est souvent attribuée à François Mitterrand ou à Jacques Chirac, voire au général de Gaulle, mais elle est présente dans les dialogues du court-métrage The Music Box (1932) mettant en scène Laurel et Hardy : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ! » Une phrase que devraient méditer les dirigeants politiques dans la lutte contre le sida. Depuis le début de la pandémie, Onusida a dénombré 30 millions de morts. Jusqu’à quand ? CRISPR/Cas9 à l’épreuve de la démocratie Sciences et Avenir du 27 juillet 2016 par Afsané Sabouhi L’ampleur des applications envisagées grâce ce nouvel outil de manipulation du génome suscite autant d’enthousiasme que d’inquiétude au sein de la communauté scientifique réunie à l’ESOF. L’intervention de la biologiste française Emmanuelle Charpentier était l’un des temps forts de la cérémonie d’ouverture de l’Euroscience Open Forum (ESOF), dimanche 24 juillet 2016 à Manchester. La co-découvreuse de la technique CRISPR/Cas9 a présenté le fonctionnement de cette "paire de ciseaux programmable", capable de découper très précisément un segment d’ADN problématique, un gène codant pour une maladie par exemple, et de le remplacer par une copie non défectueuse. La thérapie génique est l’un des domaines dans lequel cette nouvelle technologie suscite les plus grands espoirs. « Mais nous devons rester modestes, a nuancé Sheila Jasanoff, sociologue des sciences à Harvard. Pour éditer l’ADN, encore faut-il en connaître le texte ». Autrement dit, la route sera encore longue avant d’identifier les gènes responsables de chaque maladie génétique pour pouvoir les remplacer. Alors que les pronostics d’attribution du Prix Nobel aux découvreurs de CRISPR/Cas9 vont déjà bon train, cette technique n’est pas sans soulever d’importantes questions éthiques. Parce qu’il s’agit de manipulation d’ADN mais surtout parce que CRISPR/Cas9 permet d’intervenir sur le génome des cellules germinales (spermatozoïdes et ovules) et donc de modifier le patrimoine génétique d’un individu et de ses descendants. Jusqu’ici, la convention d’Oviedo, ratifiée par la France en 2011, bannit dans son article 13 toute intervention sur cette lignée de cellules sexuelles pour éviter d’ouvrir la voie à l’eugénisme. Mais la 20 simplicité d’utilisation et le faible coût de la technique CRISPR/Cas9 rebattent aujourd’hui toutes les cartes. Le besoin de régulation est donc urgent et planétaire « si nous voulons que cette technique qui bouleverse les lois de la biologie ne bouleverse pas l’éthique, la solidarité et les valeurs auxquels nous sommes attachés », a affirmé Sheila Jasanoff. Lors d’une autre présentation à l’ESOF ce lundi 25 juillet, cette spécialiste américaine des enjeux éthiques des sciences et techniques a appelé les chercheurs à partager leurs connaissances et leurs interrogations sur CRISPR/Cas9 avec le grand public. Pour plusieurs raisons, notamment éviter la situation des nanotechnologies où le discours industriel et commercial a devancé l’explication scientifique, justifiant les craintes exprimées aujourd’hui dans la société. Mais surtout parce que les applications potentielles de CRISPR/Cas9 exigent une véritable réflexion citoyenne, les scientifiques n’ayant pas la légitimité démocratique pour décider seuls de l’encadrement de cette technique de manipulation génétique. En France, le nombre d’IVG stable depuis dix ans Libération du 28 juillet 2016 par Eric Favereau C’était un des souhaits du ministère de la Santé : avoir des données claires, fiables, et régulières sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France. D’où la création l’année dernière d’une commission sur les données et la connaissance de l’IVG, dont le premier rapport annuel a été publié mercredi. Premier enseignement, le nombre d’IVG en France est stable, et ce depuis une dizaine d’années. 218 100 IVG ont été réalisées en 2015 (dont 203 500 en métropole), soit un taux de recours de 14,9 IVG pour 1 000 femmes de 15 à 49 ans. Autre constat, le nombre d’IVG chez les mineures est en baisse, avec 7,6 recours pour 1 000 femmes parmi les 15-17 ans, et 19,5 parmi les 18-19 ans. Les plus concernées sont les 20-24 ans. Qui a recours à l’interruption volontaire de grossesse ? Il n’y a pas de profil sociodémographique type. La part de femmes vivant seules ou en couple est quasiment égale (52 % contre 48 %). La part de femmes de nationalité étrangère est stable, comme la répartition selon l’activité professionnelle, qui a peu évolué. A noter que les IVG médicamenteuses, qui depuis 2005 peuvent être pratiquées en cabinet de ville, représentent 19,5 % du total des IVG. L’accès à l’IVG diffère selon les régions. « Si près d’une IVG sur quatre s’effectue hors du secteur hospitalier [en Ile-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur], cette pratique concerne encore moins de 10 % des IVG réalisées dans les régions Grand-Est, Bretagne, Pays-de-La-Loire et Hauts-de-France », détaille le rapport. Soit une variation de un à trois, ce qui est beaucoup. Dans ses recommandations, la commission insiste sur la question du respect de la confidentialité lors de la prise en charge dans les établissements de santé, « particulièrement chez les mineures ou jeunes majeures mais aussi pour toute femme souhaitant garder le secret vis-à-vis de son entourage ». 21 Cholestérol : les dangereuses conséquences des polémiques antistatines Le Figaro du 29 juillet 2016 par Damien Mascret Les arrêts de traitement ont augmenté après la sortie d'un best-seller contestant l'efficacité des médicaments. Il y a trois ans paraissait le livre polémique de Philippe Even La Vérité sur le cholestérol (le Cherche Midi, février 2013), qui contestait l'intérêt pourtant démontré des statines en prévention des accidents cardio-vasculaires. Des chercheurs parisiens avaient alors entrepris, avec l'étude Evans, de mesurer l'impact sanitaire de ce best-seller controversé. Ils y indiquaient qu'un nombre substantiel des patients vus en consultation de cardiologie avait l'intention d'arrêter de prendre ces médicaments utilisés pour faire baisser le cholestérol : 24,3 % de ceux à qui ils étaient prescrits en prévention primaire (pour éviter un premier accident) et 8,6 % en prévention secondaire (récidive). Mais il s'agissait d'intention avant consultation médicale, soulignaient les équipes de l'Hôpital européen Georges-Pompidou et de l'hôpital Necker à l'origine de ce travail. De plus, l'étude ne concernait que 142 patients. Cette fois, des chercheurs du CHU et de l'université de Bordeaux, sous la houlette du Pr Nicholas Moore, ont calculé la proportion de personnes ayant réellement interrompu leur traitement. Ils se sont pour cela basé sur l'« échantillon généraliste des bénéficiaires » (EGB), une base de données de l'Assurance-maladie qui constitue un échantillon représentatif de 650 000 personnes. L'idée des chercheurs était de vérifier l'arrêt effectif des statines, dans les neuf mois qui ont suivi la publication du livre de Philippe Even, et de comparer le taux observé avec ceux des deux années précédentes, car certains patients arrêtent leur traitement, indépendamment des polémiques existantes. « Difficile d'établir un lien direct » Ce taux d'arrêt était de 8,5 % en 2011 comme en 2012, mais grimpait à 11,9 % en 2013, soit une hausse de 40 %. « Cette augmentation est inversement proportionnelle au risque cardio-vasculaire des patients », précise Julien Bezin, chercheur Inserm en pharmaco-épidémiologie du médicament et premier signataire de l'article publié dans les Archives of Cardiovascular Diseases. La hausse du taux d'arrêt des statines était en effet de +53 % chez les patients à bas risque, +40 % chez ceux à risque moyen et +25 % pour le groupe à risque élevé. « Il est difficile d'établir un lien direct entre communication médiatique et arrêt de traitement, nuance Julien Bezin, on peut juste observer qu'à partir du moment où le livre est sorti, il y a eu plus d'arrêts de traitement par statines, alors que sur le plan scientifique, il n'y a pas eu de nouveautés majeures pendant la période étudiée pouvant l'expliquer.» Dans le même temps, une hausse de la mortalité a été observée, mais, là encore, impossible statistiquement d'affirmer un lien de causalité avec les arrêts de traitement. Ces résultats n'en sont pas moins troublants. « Nous aurions besoin de réaliser une étude sur la base nationale de l'Assurance-maladie pour conclure, explique le chercheur bordelais. Nous avons d'ailleurs déposé une demande de financement en ce sens. » L'enjeu est de taille : si l'on extrapole ces résultats au niveau national, ce que l'équipe bordelaise se refuse pour l'instant à faire, on atteindrait au moins 9000 morts supplémentaires ! Des comportements variables selon le niveau de risque « Les patients à plus haut risque cardio-vasculaire ont moins arrêté que les autres (7,4 % d'arrêt, contre 6 % environ les deux années précédentes), souligne Julien Bezin. Ceux qui ont le plus arrêté sont les patients en prévention primaire (19,4 %, contre 11,6 % en 2011 et 12,7 % en 2012), mais c'est une population plus petite (14 % de l'échantillon analysé). » Aucune augmentation de la mortalité n'a été observée dans ce dernier groupe, mais il n'y a pas suffisamment 22 de décès pour que cela soit statistiquement significatif. En revanche, les résultats du groupe à risque intermédiaire, qui représente les deux tiers des dossiers examinés par les chercheurs, sont plus inquiétants. Chez ces patients diabétiques ou sous traitements anticoagulants ou antihypertenseurs, les arrêts de traitement sont passés de 8,3 % à 11,6 % et se sont accompagnés d'une surmortalité de 13 %, soit 54 décès supplémentaires pour ce groupe de 20 000 personnes. Dans le groupe à haut risque, moins important en nombre (18 % de l'échantillon), 36 décès de plus (+26 %) ont été comptabilisés. Hépatites virales : l’importance des tests rapides Le Monde du 29 juillet 2016 par Paul Benkimoun Quatre cents millions de personnes dans le monde sont touchées par cette maladie, le plus souvent sans le savoir Les hépatites virales constituent un fléau mondial : 400 millions de personnes sont infectées par les virus B et C – VHB et VHC, les plus répandus parmi les cinq responsables d’une maladie humaine –, rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à l’occasion de la journée mondiale consacrée, le 28 juillet, à cette infection. Une évaluation parue le 6 juillet sur le site de la revue The Lancet chiffrait à 1,45 million le nombre de morts dues aux hépatites, un chiffre en augmentation et supérieur au 1,1 million de décès liés au VIH. Certains chercheurs le pensent encore en dessous de la réalité. L’OMS estime que seule une personne sur vingt sait qu’elle a une hépatite et seulement une sur cent est traitée. Le plus souvent asymptomatique et passant donc inaperçue, l’hépatite virale peut prendre des formes aiguës, comme dans le cas de l’hépatite fulminante liée au VHB, mortelle en l’absence de greffe du foie. Dans 50 % à 90 % des cas avec le VHC et dans 5 % à 10 % de ceux dus au VHB, l’infection peut devenir chronique, avec le risque d’évoluer vers une cirrhose, voire un cancer du foie. Il existe un vaccin efficace contre l’hépatite B mais pas contre l’hépatite C. Quant aux traitements, ils sont partiellement efficaces dans les deux cas, celui contre l’hépatite C ayant récemment connu un bouleversement, avec l’arrivée des antiviraux d’action directe très efficaces, mais dont le prix reste encore élevé, notamment pour les pays à revenu intermédiaire. Même si elle est classée comme une zone de faible endémicité, la France n’est pas épargnée, avec plus de 500 000 personnes infectées : environ 280 000 par le VHB et 230 000 par le VHC, selon l’ANRS (France recherche Nord & Sud sida-VIH et hépatites). Cependant, seulement 45 % des personnes infectées par le VHB et 59 % de celles vivant avec le VHC en France connaissent leur statut. « Outil complémentaire » Contrairement aux hépatites A et E, transmises par voie alimentaire, celles liées aux VHB et VHC sont acquises par voie sanguine, l’hépatite B pouvant également l’être par voie sexuelle. Le dépistage des hépatites B et C cible les personnes présentant un risque particulier d’être infectées : individus originaires des zones de forte prévalence, usagers de drogues injectables, détenus, personnes vivant dans l’entourage d’un porteur du virus et, pour le VHB, personnes ayant des comportements sexuels à risque. Il s’effectue avec un test sanguin recherchant trois marqueurs de l’infection. En cas de positivité, il permet d’orienter vers une prise en charge rapide, et dans le cas contraire, de proposer la vaccination. Des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) sont déjà déployés pour le VHC, après ceux pour le VIH, qui nécessitent d’être confirmés par un test classique. Ils offrent l’intérêt d’être plus facilement pratiqués, car ne nécessitant qu’une goutte de sang prélevée par une microponction au bout du doigt. Ils sont mieux acceptés qu’un test avec prélèvement veineux dont il faut revenir 23 chercher les résultats et sont réalisables en dehors de structures médicales. Plusieurs TROD VHB ont été développés, mais un seul est commercialisé en France pour l’instant. Il ne détecte qu’un seul marqueur de l’infection par le VHB, l’antigène HBs. Néanmoins, le ministère de la santé a sollicité l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) afin qu’elle évalue l’intérêt du TROD VHB. L’instance a rendu son avis lundi 25 juillet et estime qu’il s’agit d’un « test d’utilisation simple qui permet d’atteindre des populations particulièrement exposées, insuffisamment dépistées ou éloignées des structures de soins ». Elle juge que le TROD VHB est « un outil complémentaire au test sanguin classique ». Un résultat positif devra être confirmé par le test sanguin de référence et, si tel est le cas, une prise en charge doit être proposée ainsi qu’une vaccination de l’entourage familial. Si le TROD VHB est négatif, « une confirmation par le test sanguin classique devra être encouragée afin de savoir si la personne peut bénéficier d’une vaccination. » Enfin, la HAS recommande de développer une stratégie de dépistage combiné du VIH et des hépatites B et C appuyée sur les TROD et ciblant les populations à risque. La voix des sans-dents a été entendue L’Humanité du 29 juillet 2016 par Louis Belin Le ministère de la Santé a débloqué, mercredi, une aide financière pour les patients victimes de soins bâclés par les cabinets dentaires à bas coûts Dentexia, liquidés en mars dernier. Des mois de combat, et une issue heureuse. Mercredi, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), saisie en avril par le ministère de la Santé après de nombreuses plaintes de patients contre l’association Dentexia, a remis son rapport à Marisol Touraine. Et dans la foulée, celle-ci a annoncé une série de mesures d’aide aux victimes, qui devront être mises en œuvre « avant la rentrée ». dans un communiqué, la ministre annonce ainsi le déblocage d’un fonds, doté de 3 à 10 millions d’euros, destiné aux « patients connaissant, en raison de l’importance des soins à réaliser et de leurs ressources, des difficultés à assumer ces frais ». Pour le financer, le ministère fait appel au fonds d’action sociale de l’assurance maladie. Les agences régionales de santé devront également « adapter les modalités d’accueil des patients concernés dans les centres hospitaliers et les facultés dentaires », afin de permettre une reprise rapide des soins. Le professeur Robert Garcia, doyen de l’unité de formation et de recherche (UFR) d’odontologie à l’université Paris-Diderot, nommé « conseiller en charge de la reprise des soins », devra favoriser le « dialogue » entre les professionnels et le Collectif contre Dentexia, qui regroupe aujourd’hui 2 390 victimes du cabinet low cost. Pour leur porte-parole, Abdel Aouacheria, cette réponse institutionnelle est « une grande victoire ». Son objectif est désormais de s’assurer « que le niveau de couverture corresponde aux besoins des patients », et que les mesures annoncées se concrétisent. Coordinatrice du collectif de Chalon-sur-Saône, Christine Teilhol est plus sceptique : « Je ne vais pas dire que je suis surprise parce que, quand on a un but, on y tient. Mais alors que le rapport de l’Igas est très complet, les décisions du ministère manquent de précision. Des recommandations vont certainement suivre, mais personne ne pourra contraindre un praticien à poursuivre des soins qu’il n’a pas commencés ». Avec d’autres patients, la retraitée a porté plainte contre Dentexia et son fondateur, Pascal Steichen. « Steichen en prison, cela ne me remet pas les dents. Mais le temps du pénal viendra ». 24 Vers des tarifs variables chez le médecin La Croix du 29 juillet 2016 par Emmanuelle Lucas Un dernier projet de convention a été soumis mercredi 27 juillet par l’assurance-maladie aux syndicats de médecins libéraux qui doivent donner leur accord d’ici au 26 août. Au terme de ce texte, la consultation des médecins généralistes passerait de 23 à 25 € le 1er mai 2017 Les médecins et l’assurance-maladie sont-ils en passe de trouver un accord ? Une étape importante a été franchie dans ce sens mercredi 27 juillet. Deux syndicats de médecins, MG France qui représente les généralistes, et le Bloc qui regroupe des chirurgiens, gynécologues-obstétriciens et anesthésistes, ont en effet signé le projet de convention présenté par l’assurance-maladie. Ce texte fixe notamment les rémunérations des médecins. Si un troisième syndicat le signe d’ici au 26 août, il pourrait alors entrer en vigueur. Les discussions engagées depuis plusieurs mois n’ont pas toujours été simples. Elles ont achoppé notamment sur la revalorisation de la consultation de base à 25 €. Sur ce point, les syndicats ont finalement obtenu gain de cause. La consultation de base passera bel et bien à 25 € en une seule fois au 1er mai 2017, comme le réclamaient les médecins. Centrale lors des discussions, cette question du tarif de base de la consultation n’est pourtant pas la principale innovation de ce texte, estime l’économiste de la santé Claude Le Pen. En effet, pour la première fois, ce sont les modalités de la tarification qui sont profondément remaniées. La convention prévoit que les patients ne paieront plus forcément un prix unique quand ils iront chez le médecin. Une hiérarchie des consultations serait mise en place avec des tarifs variables en fonction des actes. Concrètement, jusqu’à présent, les patients de médecine générale, pédiatrie et psychiatrie payaient un prix unique chez le médecin. Désormais il n’en ira plus de même. Par exemple, une consultation simple de médecine générale pour une angine coûtera 25 € tandis qu’une consultation plus longue et complexe, de dépistage du mélanome par exemple, chez le même médecin généraliste, passera à 46 €. « Depuis longtemps, était évoquée l’idée d’appliquer aux consultations purement cliniques, c’est-à-dire sans geste technique, une sorte de nomenclature à l’image de celle qui existe déjà pour les actes techniques des spécialistes, reprend Claude Le Pen. Cette fois c’est chose faite. Cette évolution permet de mieux faire coller la rémunération du médecin avec le contenu exact de la consultation. » Cette avancée était défendue notamment par le syndicat de généralistes MG France qui affiche donc sa satisfaction. En revanche, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) réserve sa réponse. Le docteur Jean-Paul Ortiz, son président, estime en effet que, bien qu’ayant obtenu des avancées significatives, la liste des consultations à 46 € reste incomplète. « De plus, certains médecins restent exclus de la revalorisation. Les actes de fibroscopies gastriques ou d’épreuves fonctionnelles à l’effort n’ont pas été revalorisés depuis dix ans et ne le seront encore pas cette foisci », détaille-t-il. Autre grief, la CSMF souhaite enfin que la convention soit « évolutive, afin de ne pas attendre cinq ans pour rouvrir des négociations ». Pourtant, chacun s’accorde à dire que l’enveloppe débloquée par l’assurance-maladie est généreuse : 1,3 milliard d’euros sur cinq ans. « Cette somme n’est d’ailleurs pas scandaleuse, reprend Claude Le Pen. En vingt ans, les médecins français ont dégringolé en bas du classement des rémunérations des médecins européens, selon l’OCDE. Entre l’impératif de maîtrise des dépenses de santé et de blocage des honoraires, les marges de manœuvres ont été très faibles. » Au chapitre des incitations financières toujours, une prime de 50 000 € sera accordée aux jeunes médecins qui s’installeront dans les déserts médicaux, à condition qu’ils acceptent d’y exercer pendant trois ans et en groupe. 25 Reste à trouver un troisième signataire d’ici au 26 août, sous peine d’enclencher une procédure d’arbitrage confiée à Bertrand Fragonard. Il reviendra alors au président délégué du haut Conseil de la famille de faire les derniers choix qui s’imposeront aux parties. Dans ce cas, le texte définitif ne devrait toutefois pas s’éloigner de celui qui a déjà été accepté par les deux syndicats déjà signataires. « Cela affaiblirait néanmoins la procédure conventionnelle, estime Claude Le Pen. Cela serait très regrettable, car elle seule garantit un équilibre entre une médecine complètement déréglementée ou étatisée. » Les principaux points du texte De nouveaux tarifs de consultations – 25€ : consultation de base (1er mai 2017). – 30 € : consultation des enfants jusqu’à 6 ans. – 46 € : actes complexes comme le dépistage de mélanome (novembre 2017). – 50 € : consultation chez le spécialiste demandée par le généraliste (48 € en octobre 2017, 50 € en juin 2018). – 60 € : actes très complexes, par exemple lors d’une prise en charge d’un cancer (novembre 2017). Lutte contre les déserts médicaux : 50 000 € pour les installations en zones en tension (avec engagement d’y exercer trois ans et en groupe). Forfaits annexes : un « forfait patientèle » unique (jusqu’à 15 000 € par an) pour la prise en charge de certains patients (affections longue durée, etc.) ; un « forfait structure » qui comprend une aide à l’équipement informatique et des objectifs à atteindre en matière de service aux patients, dont la prescription d’arrêts de travail en ligne, mesure qui avait fait polémique en avril. Accès aux origines : forte croissance de l’activité du CNAOP Localtis.info du 28 juillet 2016 par Jean-Noël Escudié Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) publie son rapport d'activité 2015. Cette publication intervient dans un climat plus apaisé qu'il y a quelques années, lorsque l'organisme était déchiré entre partisans du maintien du secret dans le cadre de la loi (les parents adoptifs) et partisans de l'accès à tout prix aux origines (les enfants adoptés devenus majeurs). Si le climat est ainsi plus propice au travail sur des dossiers par nature très sensibles, la charge de travail a connu en revanche une forte progression en 2015. Près de 800 nouvelles demandes en 2015 La mission du Cnaop est - en liaison avec les départements (principalement les services de l'aide sociale à l'enfance et de la protection maternelle et infantile) – de faciliter l'accès aux origines personnelles pour les personnes qui en font la demande. Avec 798 nouvelles demandes l'an dernier, l'activité progresse de 9 %. La hausse est plus forte encore si on s'en tient aux seules nouvelles demandes jugées recevables : 585 en 2015, soit une augmentation de 38 % par rapport à 2014. Au total - en tenant compte des nouvelles demandes et de celles qui étaient déjà en instruction -, le Cnaop a traité 910 demandes écrites en 2015, soit + 24 % par rapport à 2014. Le nombre de dossiers 26 clôturés en 2015 est resté, en revanche, identique à celui de 2014, mais à un niveau élevé (605 dossiers). Après une instruction, souvent complexe, l'identité d'un ou des parents de naissance a été communiquée à 200 demandeurs en 2015. Cela est possible soit lorsque les parents de naissance sont décédés sans avoir exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès aux origines, soit lorsque ces parents de naissance ont consenti à lever le secret de leur identité, soit lorsque l'examen du dossier a permis de constater qu'ils n'avaient pas demandé le secret. 600 accouchements dans le secret en 2015 Sur ce point, le rapport constate une augmentation sensible du pourcentage de parents de naissance contactés par le Cnaop acceptant de lever le secret de leur identité : 52,75 % des parents de naissance contactés en 2015 (soit 67 sur 127) ont accepté de lever le secret de leur identité, contre 41,5 % en 2014. En revanche, les demandes spontanées de levées du secret de la part des parents de naissance restent peu nombreuses : 58 levées de secret des parents de naissance en 2015, contre 60 en 2014, ainsi que 17 déclarations d'identité émanant d'ascendants, de descendants ou de collatéraux privilégiés des parents de naissance, contre 11 en 2014. Enfin, près de 600 accouchements dans le secret – anciennement appelés accouchements sous X - ont été signalés au Cnaop en 2015. Directives anticipées, sédation profonde Fin de vie : la loi Claeys-Leonetti entre en vigueur Pourquoi Docteur du 5 août 2016 par Anne-Laure Lebrun Les conditions d'arrêt des traitements et de la mise en œuvre de la sédation profonde ont été publiées au Journal Officiel, ainsi que les modalités des directives anticipées. Le droit à la « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour les patients en fin de vie entre en vigueur ce vendredi. Marisol Touraine, ministre des Affaires Sociales et de la Santé, a signé deux décrets et un arrêté publiés au Journal Officiel permettant l’application de la loi seconde loi ClaeysLeonetti adoptée le 2 février 2016. « Souhaitées par le Président de la République, longuement et largement concertées, les mesures qui entrent aujourd’hui en vigueur représentent une avancée fondamentale pour les droits du malade et de l’individu. Elles constituent, sur un sujet aussi intime, le point d’équilibre qui rassemble le plus largement dans la société française », a déclaré Marisol Touraine. Deux modèles de déclarations anticipées Ces textes précisent les conditions dans lesquelles peuvent être décidés l’arrêt des traitements et la mise en œuvre de la sédation profonde et continue. Ils établissent également deux modèles type de directives anticipées, l’un pour les patients atteints d’une maladie grave ou pensant être proches de la fin de vie, et l’autre pour les personnes bien portantes. Ces déclarations écrites permettent à chaque individu d’indiquer à l’avance s’il souhaite limiter, ou arrêter, les traitements qu’il pourrait recevoir en fin de vie, au cas où il deviendrait alors incapable d’exprimer sa volonté. Le refus d’entreprendre ou de poursuivre une réanimation cardiaque et respiratoire, une assistance respiratoire ou une alimentation et hydratation artificielles, pourra être indiqué « dans le cas où les patients auraient définitivement perdu conscience et où ils ne pourraient plus communiquer avec leurs proches », peut-on lire dans les formulaires. Une partie est également consacrée à la sédation profonde et continue associée à un traitement de la douleur. Les rédacteurs devront spécifier s’ils 27 acceptent ou non « ce traitement qui endort et qui a pour objectif la perte de conscience jusqu’au décès ». Valables toute la vie et modifiables Consultatives jusqu’à aujourd’hui, ces directives s’imposent désormais aux médecins. Dans le cas où le patient ne peut pas les écrire lui-même, une personne tierce en présence de deux témoins peut le faire. Une fois signées, elles peuvent être remises à n’importe quel médecin, ou une personne de confiance. Elles n’ont pas de limite dans le temps et peuvent être révisées à tout moment. Par ailleurs, l’un de ces textes prévoit qu’un médecin peut ne pas tenir compte de ces directives anticipées s’il les juge « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ». Il devra alors recueillir l’avis de l’équipe de soins et d’un autre médecin « avec lequel il n'existe aucun lien de nature hiérarchique ». La personne de confiance et les proches devront également être consultés avant d’inscrire ces motifs de refus dans le dossier du patient. « Pour promouvoir ce modèle des directives anticipées et permettre à chacun de s’approprier ces nouveaux droits, la ministre lancera à la fin de l’année une campagne d’information auprès des professionnels de santé, puis du grand public, sous l’égide du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie », explique le ministère des Affaires sociales et de la santé. Elle donne naissance à son premier enfant… à 63 ans ! MinuteNews du 5 août 2016 A 63 ans, une femme a donné naissance à son premier enfant par césarienne, une petite fille née à l'hôpital privé de Parkville à Melbourne, lundi 1er août 2016. Une grossesse rendue possible grâce à la fécondation in vitro. De nombreux médecins se sont insurgés contre une telle pratique. Si la venue du bébé a fait le bonheur de la maman, elle a fait grincer les dents de Gab Kovacs, professeur à l’Université Monash, la plus grande université d’Australie. Ce dernier est révolté et ne comprend pas que le corps médical ait permis à cette femme de procréer à un âge si avancé. Et il explique sa position : Permettre à une femme de cet âge de tomber enceinte est irresponsable. Cet enfant aura besoin de soins pendant 20 ans et la mère ne sera peut-être pas en mesure de lui apporter. Nos corps ne sont pas conçus pour faire des enfants à 60 ans et plus. 53 ans est l’âge limite pour donner la vie et au-delà il ajoute : « Ce n’est pas un standard de la médecine que je pourrais tolérer ». Le docteur Lynn Brumeister, spécialiste de la reproduction, rejoint l’avis de son confrère tout en précisant que la procédure est cependant légale : « …Mais juridiquement, rien dans ce pays n’empêche une femme âgée de subir un traitement de FIV. 53 ans est l’âge de la ménopause naturelle. Nous arrêtons à ce moment-là. Mais il n’y a rien d’illégal. Les patientes peuvent aller à l’étranger pour suivre des traitements de fertilité ». La maman de 63 ans a mis au monde par césarienne. Elle a pu compter sur le soutien de son compagnon de 78 ans. Michael Gannon, le président de Medical Association, a fait part de son mécontentement et taxe cette mère d’égoïste. Cette naissance plus que tardive relance le débat sur les limites de la PMA. Cette mère de 63 ans ne verra pas grandir son enfant. Pensez-vous qu’il y ait un âge limite pour procréer et si oui, a-t-on le pouvoir d’interdire le droit à la procréation… pour toutes ? 28 L’homme bionique, perfection à la chaîne Libération du 8 août 2016 par Emmanuel Guillemain d'Echon Les progrès de la science laissent entrevoir la possibilité de créer un être augmenté, réparable et modulable à volonté. Il faudra un peu plus de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) pour y parvenir. Mais il est à portée de main bionique, le rêve - cauchemar pour certains - d’un être mi-homme mi-machine qui vivrait plus longtemps, en possession de toutes ses capacités, et même peut-être indéfiniment, avec de nouveaux pouvoirs. Une nouvelle série d’Homo sapiens 2.0, transhumain ou posthumain. Bref, une nouvelle espèce. La question, en fait, n’est plus de savoir si cela se produira, mais quand et de quelle manière exactement. La poussée des thèses transhumanistes, un courant de pensée originaire des Etats-Unis qui vise à reléguer toujours plus loin les frontières de la mort, va grandissant, grâce à « la boulimie de recherches, dont l’accélération, exponentielle, n’a jamais été aussi rapide », affirme Béatrice Jousset-Couturier, auteure du livre le Transhumanisme. C’est ce qu’on appelle, depuis une quinzaine d’années, la « convergence NBIC », un domaine scientifique au carrefour des nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), de l’intelligence artificielle (I) et des sciences cognitives ou neurosciences (C). Première étape : la construction d’un humain en kit, réparable et modulable à volonté. On connaît déjà, depuis quelques décennies, les greffes d’organes, les pacemakers ; les cœurs artificiels Carmat ou Syncardia, pas encore tout à fait au point, équipent plusieurs centaines de patients. Ce n’est qu’un début. Le premier rein bio-artificiel sera testé dès l’an prochain. Et les imprimantes 3D annoncent l’ère du mécano-humain. Elles permettent à la fois de réduire les coûts, d’atteindre une précision inégalée et d’individualiser le traitement : d’ici quelques années, il devrait être possible de remplacer les organes abîmés d’un patient par des sains, produits à partir de ses propres cellules. On sait déjà imprimer des morceaux microscopiques de foie ou de peau, mais aussi des veines, des os ou du cartilage à taille humaine, parfaitement vascularisés quelques mois après leur greffe sur des souris. Sur les traces de Robocop Les prothèses s’apprêtent elles aussi à faire des bonds de géant. Si des mains bioniques, qui permettent un contrôle assez fin des doigts grâce à des capteurs installés sur les muscles des moignons, équipent désormais des milliers de handicapés, des scientifiques de l’université de Pittsburgh ont démontré qu’il était possible de les contrôler par la pensée, via des électrodes implantées dans le cortex. D’autres chercheurs américains ont réussi à reproduire le sens du toucher via la prothèse, en câblant celle-ci au système nerveux. La Deep Brain Stimulation (DBS, « stimulation cérébrale profonde ») permet de faire l’interface entre l’homme et la machine en agissant directement sur le cerveau, grâce à des impulsions électriques envoyées par des implants. C’est ainsi que l’on arrive à réduire drastiquement, depuis dix ans déjà, les spasmes et les tremblements des malades de Parkinson. L’an prochain, des chercheurs de l’université de Melbourne testeront l’installation de ce genre d’implants sans avoir à ouvrir la boîte crânienne, par une simple injection dans une artère du cou. Comme beaucoup d’autres à l’heure actuelle - et comme souvent dans l’histoire des techniques médicales -, ces recherches sont financées par l’armée, et en l’occurrence par l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Darpa), le laboratoire du Pentagone, à l’origine en son temps de l’invention d’Internet. Au départ, il s’agit de soigner les blessés de guerre, mais l’éventail des possibilités laisse ressurgir le fantasme d’un super-soldat sur les traces de Robocop, qui n’aurait plus besoin de dormir, n’aurait plus peur au combat et pourrait cicatriser à vitesse grand V. Demain, les implants cérébraux pourraient permettre un dialogue entre les machines et les hommes, et fournir ces derniers en 29 informations que nos sens sont incapables de détecter (vision de nuit, élaboration de stratégies avancées, etc.). Des recherches financées par le Darpa s’attellent également à deviner et « supprimer » la peur au moment où elle se manifeste par une hyperactivité de l’amygdale cérébrale, ou encore à recréer ou modifier des souvenirs. Ce qui laisse craindre des dérives évidentes. Qui empêchera les armées de se servir de ces techniques pour les soldats en action ? Sans parler d’une utilisation à des fins totalitaires. Puce dans le pouce Le plus difficile à anticiper, peut-être, c’est que toutes ces nouvelles technologies ne visent plus simplement un retour à la « normale » pour handicapés ou malades. Il s’agit de la création d’une nouvelle norme, d’un homme « augmenté », qui concernera tout le monde, soldats comme civils. Il s’est déjà produit la même chose avec la chirurgie esthétique, née du besoin de réparer les « gueules cassées » par les canons de la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, elle sert plus largement à remodeler seins, fesses et minois au gré des canons de beauté en vogue. Après tout, les prothèses de demain, encore malhabiles, seront plus puissantes et permettront des exploits au-delà des capacités de nos pauvres membres. Les lames de carbone qui remplaçaient les pieds d’Oscar Pistorius lui ont permis de tutoyer les chronos des athlètes valides. Alors, pourquoi ne pas un jour s’en servir pour remplacer ou recouvrir des jambes en parfait état ? On ne compte plus les « biohackers » en parfaite santé, cyborgs autoproclamés qui expérimentent ces nouvelles technologies sur eux-mêmes, hors de tout contrôle médical. Depuis quelques années, il suffit d’aller chez un tatoueur pour se faire injecter dans le gras du pouce une puce capable de déverrouiller un smartphone, d’ouvrir une porte sécurisée ou encore de payer ses achats sans contact (coût : à partir de 39 dollars, soit 35 euros) ; ou bien un aimant dans l’annulaire, pour ressentir les champs électriques à portée ; ou encore des objets connectés, sous la peau, permettant de surveiller en permanence le pouls ou la pression artérielle… Plus besoin d’Apple Watch ! On envisage aussi de faire appel à des nanorobots pour réparer et entretenir le corps de l’intérieur, à la place des anticorps, ou empêcher le vieillissement des cellules. Quant aux progrès de l’intelligence artificielle et de la connaissance du cerveau, ils laissent présager des évolutions plus folles encore. Ray Kurzweil, pape de l’intelligence artificielle et chercheur star de Google, prophétise que d’ici la moitié du XXIème siècle, il sera possible de télécharger sa conscience sur un support numérique et de vivre ainsi éternellement, en dehors de toute enveloppe charnelle, dans une réalité mi-virtuelle. Imaginez un peu un homme qui ne serait plus une série de cellules, mais de 0 et de 1… La loi sur la fin de vie va pouvoir entrer en application La Croix du 8 août 2016 par Pierre Bienvault Le ministère de la santé a publié trois textes réglementaires précisant les conditions de mise en œuvre de deux dispositions de la loi, sur la sédation profonde et les directives anticipées. Les nouveaux droits des personnes en fin de vie ont été publiés vendredi 5 juin au Journal officiel. Trois textes réglementaires précisent les conditions de mise en œuvre de deux grandes dispositions de la nouvelle loi. La première concerne le droit pour les malades incurables de pouvoir bénéficier, jusqu’au décès, d’une sédation profonde et continue pour dormir et ne plus souffrir. La seconde 30 porte sur la possibilité de rédiger des directives anticipées pour exprimer sa position sur les traitements délivrés en situation de fin de vie. Un des décrets précise d’abord qu’en « toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état » et l’assister moralement. « Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie », indique le texte. À la demande du patient, le médecin peut délivrer une sédation profonde et continue provoquant « une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Cette décision doit être collégiale et inscrite dans le dossier du patient. Si celui-ci n’est plus en état d’exprimer sa volonté et qu’un arrêt de traitements a été décidé pour refuser l’obstination déraisonnable, le médecin peut aussi, après une procédure collégiale, délivrer une sédation. Sauf si le patient s’y était opposé dans ses directives anticipées. Un autre décret et un arrêté présentent les modalités de rédaction des directives anticipées. Pour aider la personne à exprimer clairement ses volontés, deux modèles seront proposés : le premier pour une personne en fin de vie ou ayant une maladie grave, le second pour une personne en bonne santé. Dans ces formulaires, chacun pourra indiquer sa position sur le maintien artificiel en vie en cas de perte définitive de conscience, sur la délivrance de traitements apparaissant « inutiles et disproportionnés » ou sur une sédation profonde et continue. Alors qu’elles étaient jusqu’alors seulement « consultables », ces directives s’imposeront désormais au médecin. Avec toutefois une exception : s’il les juge « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale », le praticien pourra ne pas les appliquer, mais après une décision prise à la suite d’une procédure collégiale. Concrètement, le médecin devra alors recueillir l’avis de membres de l’équipe de soins ou d’un autre médecin, « appelé en qualité de consultant », sans lien hiérarchique avec lui. En cas de refus d’application des directives anticipées, la décision devra être motivée. Pour faire connaître ce nouveau droit sur les directives anticipées, Marisol Touraine va lancer à la fin de l’année une campagne d’information. GPA : le gouvernement français semble désormais ne plus avoir d’« idéologie » sur le sujet Le Blog de Jean-Yves Nau du 6 août 2016 C’est un nouveau rebondissement dans le long feuilleton français de la GPA – celui de son interdiction contestée. Nous en étions restés à la porte entrouverte (de manière mi-jésuite mihypocrite) par le Conseil d’Etat. L’affaire : « Mme A., ressortissante française, a demandé à l’ambassade de France en Arménie un laissez-passer consulaire pour lui permettre de regagner le territoire français en compagnie d’un enfant, né en Arménie le 24 juin 2016, et dont l’acte de naissance, établi par le service d’état-civil arménien, indiquait qu’elle était sa mère. L’ambassade a refusé de délivrer le laissez-passer 31 consulaire après avoir estimé que cette naissance résultait d’une convention de gestation pour autrui et que, dès lors, Mme A. ne pouvait être regardée comme mère de l’enfant. » Rappel : la gestation pour autrui (GPA) est une pratique interdite en France. Mme A. fait valoir son statut de mère sur l’acte de naissance apostillé par les autorités arméniennes – et ce afin d’être conforme au droit français. Elle a aussi plaidé l’urgence de l’obtention d’un laissez-passer pour le bébé, puisqu’elle devait rentrer en France « pour des raisons professionnelles ». Autant d’éléments dont elle savait pertinemment qu’ils ne lui permettraient pas un retour simple, en France, de l’enfant qu’elle s’était procuré en Arménie. Il fallait toutefois compter avec les méandres de la justice administrative. Après avoir été condamné devant le tribunal administratif de Paris le 26 juillet, le ministère des Affaires étrangères avait fait appel de la décision. Et le Conseil d’Etat lui a ordonné mercredi 3 août, de délivrer un laissez-passer à l’enfant et (mieux encore) de dédommager la plaignante de 3 000 euros de frais d’avocat. On apprend aujourd’hui que le ministère des Affaires étrangères (et donc le gouvernement) se conformera à la décision du Conseil d’Etat qui permet de solidifier la jurisprudence en matière de droit de la filiation. « C’est une situation inédite que l’acte de filiation ne comporte pas de père. Nous avions besoin d’une décision du Conseil d’Etat qui puisse faire jurisprudence. Nos services n’ont pas de position idéologique (sic) concernant le retour en France des enfants nés par GPA, mais nous avons besoin d’instructions juridiques, une ligne de conduite », explique aujourd’hui une « source ministérielle proche du dossier » citée par Le Monde (Nicolas Scheffer). Cette source rappelle que la décision du Conseil d’Etat n’est pas une reconnaissance de la nationalité française de l’enfant et que cette décision « permet de solidifier la jurisprudence en matière de droit de la filiation ». Le style du Quai d’Orsay est inimitable. Me Caroline Mécary, l’avocate (bien connue des médias) de Mme A., ne l’entend pas de cette oreille. Selon elle le débat ne se situe pas sur le recours à la GPA. Et Le Monde de rappeler que le Conseil d’Etat écrit dans son ordonnance de décision que « la circonstance de conception de cet enfant (…) serait, à la supposer établie, sans incidence sur l’obligation (…) d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants ». Un acte de naissance étranger, s’il est apostillé, est reconnu par la France. L’avocate se fonde ici sur la célèbre circulaire Taubira du 25 janvier 2015, selon laquelle « le seul soupçon du recours à une telle convention [le contrat passé avec une mère porteuse] conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de certificat de nationalité française ». Pour Me Mécary, « il n’y a pas de vide juridique, le ministère des Affaires étrangères est au mieux incompétent, au pire dogmatique ». Cette avocate en est persuadée : une fois la filiation maternelle de l’enfant reconnue par les autorités françaises, les démarches pourront être effectuées pour lui obtenir la nationalité française. La porte est entrouverte et le tour sera joué. Un ministère sans position « idéologique »… Un ministère accusé d’incompétence et/ou de dogmatisme… En harmonie avec Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Premier ministre, déclarait publiquement (dans La Croix) le 3 octobre 2014, que la GPA est « une pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps des femmes ». Il ajoutait : « la France entend promouvoir une initiative internationale qui pourrait aboutir, par exemple, à ce que les pays qui autorisent la GPA n’accordent pas le bénéfice de ce mode de procréation aux ressortissants des pays qui l’interdisent (…) À la demande du président de la République, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, prendra dans les semaines qui viennent des initiatives pour trouver le cadre approprié ». Nous sommes en août 2016. Laurent Fabius préside le Conseil constitutionnel. Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, lui a succédé au Quai d’Orsay. Manuel Valls est toujours Premier ministre. Les semaines qui viennent sont bien loin désormais et le cadre approprié voulu par le président de la République n’a jamais vu le jour. Quant au gouvernement, il n’a plus de position idéologique sur ce qui, hier, relevait de l’esclavagisme et de la marchandisation du corps des femmes. C’est là, tout simplement, une position illogique, intenable autant qu’intolérable. 32 RECHERCHE Sida : vers une trithérapie allégée Le Figaro du 21 juillet 2016 par Pauline Fréour Un nouvel essai présenté à Durban confirme la possibilité de réduire les prises médicamenteuses à 4 par semaine. Si les antibiotiques ne sont pas automatiques, les antirétroviraux, eux, sont quotidiens pour les personnes séropositives sous peine de voir le virus repartir à la charge. Quoique. Depuis quelques années, une poignée de médecins, au premier rang desquels le Pr Jacques Leibowitch (hôpital Raymond-Poincaré de Garches), explore avec des patients volontaires une réduction de la trithérapie à quelques jours par semaine, le virus pouvant rester inerte pendant sept à vingt jours chez un patient traité intensivement les premiers mois. La 21ème conférence internationale sur le sida qui se tient actuellement à Durban, en Afrique du Sud, a permis de présenter les derniers résultats en la matière, avec l'essai français 4D conduit par l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS). Une centaine de patients suivis dans 17 hôpitaux français ont restreint leur traitement à 4 prises hebdomadaires au lieu des 7 habituelles. Ils devaient nécessairement être sous trithérapie depuis au moins un an, présenter une charge virale indétectable et n'avoir pas d'antécédents de résistance. Les résultats sont excellents : 96 d'entre eux n'ont pas vu leur charge virale augmenter pendant les onze mois qu'a duré l'expérience. « Parmi les 4 patients en échec, l'un a abandonné rapidement par peur, et deux n'ont vraisemblablement pas bien suivi leur traitement », explique Pierre de Truchis (hôpital RaymondPoincaré), qui a conduit l'étude. Ce qui ne laisse plus qu'un patient chez qui la stratégie a échoué à maintenir la charge virale indétectable. Test clinique de grande ampleur Quels sont les bénéfices pour les patients ? « Nous n'avons pas réussi à montrer une modification significative de la qualité de vie, peut-être parce que nous n'avions retenu que des volontaires tolérant déjà bien leur traitement au quotidien », reconnaît le Dr de Truchis. « Mais ce qu'on voit, c'est leur satisfaction de pouvoir se passer de la trithérapie le week-end. » Les gains potentiels sont aussi financiers. « Sachant qu'une trithérapie coûte 1000 euros par mois en France, et que la stratégie du 4D réduit le coût de 40 %, à raison de 50 000 personnes éligibles sur les 33 100 000 traitées en France, les retombées seraient non négligeables », résume le Dr de Truchis. Malgré ces bons résultats, une nouvelle étape s'impose avant que l'allégement thérapeutique puisse être recommandé : la conduite d'un nouvel essai de plus grande ampleur. L'ANRS devrait lancer le test clinique avec 640 volontaires d'ici à la fin de l'année. Inspirateur de cette stratégie, le Pr Jacques Leibowitch juge cet essai encore trop timide par rapport aux résultats qu'il a lui-même observés dans le cadre du programme Iccarre depuis une dizaine d'années. Sur 114 patients, 98 sont passés à 3 jours, puis 81 à 2 jours, décrit-il. Un petit nombre a vu sa charge virale repartir à la hausse, mais le retour à un traitement quotidien a permis d'inverser la dynamique et de retenter l'aventure. Pour l'infectiologue, alléger la trithérapie autant que possible relève de la déontologie médicale : « Nous devons adapter la posologie à ce qui est nécessaire et suffisant. Ce n'est pas faire de l'humanitaire, c'est de la science. » Un vaccin testé à large échelle L’espoir d’un vaccin contre le sida perdure malgré les difficultés rencontrées depuis des années par les chercheurs. A l’occasion de la conférence internationale de Durban, une équipe a présenté les résultats encourageants de l’essai HVTN100 mené en 2015 sur 252 personnes. Dans une version précédente testée en Thaïlande, le vaccin avait montré une faible efficacité préventive à 31 %. Depuis, les chercheurs l’ont modifié dans l’espoir d’augmenter son effet à 60 %. Le recul manque encore pour savoir si le but est atteint mais le système immunitaire des volontaires a bien répondu. Un plus vaste essai portant sur 5 400 volontaires va suivre pour mesurer son efficacité dans la population sud-africaine, l’une des plus touchées au monde. À Bordeaux, de la peau humaine fabriquée par imprimante Le Figaro du 21 juillet 2016 par Pauline Fréour Issue de la recherche Inserm, la start-up Poietis mène des études sur des échantillons d'épiderme créés à partir de cellules vivantes traitées par imprimante 3D. Dans le bioparc de Pessac, il y a des lapins qui mâchonnent et des promeneurs à vélo. Le soleil réchauffe la pinède douchée par une récente ondée et l'on imagine mal que dans l'un des bâtiments bas bardés de bois qui émaillent le domaine de 17 hectares, des scientifiques en blouses bleues fabriquent… de la peau humaine. À la machine. L'instrument en question, une bioimprimante 3D unique au monde, trône au cœur des locaux de la start-up Poietis, dans un laboratoire vitré protégé par un sas pressurisé. Blouse obligatoire à l'entrée, mais rock à fond à l'intérieur - on a beau travailler ici de la matière « vivante », il ne s'agit jamais que de cellules. Peu de risques qu'elles soient perturbées par la programmation musicale. Grand comme deux hommes, le prototype n'occupe, au final, qu'une petite partie de l'espace, le reste étant dédié à d'autres équipements classiques des laboratoires de biologistes : incubateurs, paillasses… Le cofondateur de l'entreprise, Fabien Guillemot, détenteur d'un doctorat en sciences des matériaux, a passé plusieurs années à mettre cette technologie au point lorsqu'il était chercheur au sein du laboratoire bordelais BioTis de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), avant de se lancer dans l'entreprenariat il y a deux ans. La réalisation de tissus vivants complexes par impression 3D est maîtrisée par plusieurs équipes scientifiques dans le monde, mais la technologie « made in Bordeaux » est la seule à utiliser un laser pour déposer la matière, là où les 34 autres bioimprimantes 3D emploient des seringues ou des jets d'encre. À la clé, une meilleure précision et une plus grande concentration de matière, vante son concepteur. « Il faut 10 minutes pour imprimer 1 cm² de peau », estime Fabien Guillemot devant la machine protégée par une hotte. Le laser est d'abord réfléchi par un miroir orienté par ordinateur puis focalisé par une lentille. À chaque fois que le laser touche la surface du liquide où baignent les cellules, un jet se forme et tombe sur le support avec une précision de l'ordre de 20 microns, soit la taille d'une cellule. Avantage corollaire très pratique : le liquide ne passant par aucun contenant de type piston, aucun risque que ça ne se bouche ! Mais pour obtenir une « peau » exploitable, le processus ne s'arrête pas à l'accumulation de couches de cellules. « Après l'impression, il faut encore un temps de maturation très important, de l'ordre de 3 semaines pour une peau composée de derme et d'épiderme », explique Fabien Guillemot. Une fois les kératinocytes et fibroblastes disposés mécaniquement sur une structure en collagène, il est nécessaire que ces cellules humaines caractéristiques de la peau établissent des liens entre elles pour assurer la survie et la fonction du tissu. Cette maturation est favorisée par des bains contenant des agents actifs. Caroline Artiges, ingénieure, sort quelques échantillons d'un incubateur. Surprise : cela ne ressemble pas… à de la peau. Au fond d'un récipient en plastique transparent, des petits monticules blanchâtres trempent dans un liquide rose vif. La question de leur consistance la laisse perplexe. « Comme une panacotta où l'on aurait versé trop de gélatine », hasarde-t-elle. « Mais c'est exactement ce qu'il faut. » Sensibilité, pilosité, sudation : « La peau est un organe très complexe dont l'architecture interne et la composition varient avec l'âge », rappelle Fabien Guillemot. « Mais l'on peut avoir des applications utiles avec des structures simples. » Pour l'instant, Poietis se finance en vendant des études conduites sur ces échantillons à des firmes de cosmétiques ou pharmaceutiques. « Nous sommes en mesure de créer un échantillon répondant à leurs demandes spécifiques, des peaux pathologiques par exemple. » Pourquoi la peau, alors que le procédé pourrait être, et a déjà été, appliqué à d'autres types de tissus, comme les vaisseaux ? « Nous ne pouvions pas être partout et la peau nous est apparue comme un marché intéressant dans la mesure où la France est le plus gros pays en termes de R&D en cosmétique », indique Fabien Guillemot. Lui et son associé Bruno Brisson semblent bien ne pas être les seuls à y croire : la dernière levée de fonds de la start-up a atteint 2,5 millions d'euros, dont la moitié en provenance d'investisseurs privés. « Cela nous donne 2 ans de visibilité financière utiles pour lancer nos développements. » L'entrepreneur, qui a fait le pari d'un changement de carrière (son statut de chercheur à l'Inserm lui permet une mise en disponibilité de 10 ans), se montre assez critique sur le financement de la recherche publique en France. « Je trouve dommage que la prise de risque scientifique ou technologique ne soit pas plus encouragée. Aujourd'hui, les processus d'évaluation des chercheurs et de sélection des projets pour leur financement conduisent à l'effet inverse : le soutien va en majorité à des projets qui ne sortent pas des sentiers battus. Après le démarrage du projet en 2006, il nous a fallu attendre 4 ans avant de publier les premiers résultats sur la bioimpression par laser. Les projets ambitieux nécessitent des moyens mais aussi du temps. Il faut l'accepter et la recherche française, par le statut des chercheurs et leur qualité, présente un avantage compétitif qui est aujourd'hui insuffisamment exploité. » « Bioimpression in situ » Bien qu'ils poursuivent désormais des objectifs différents, le chef d'entreprise entretient des rapports synergiques avec le laboratoire Inserm BioTis dont il est issu, dirigé par Jean-Christophe Fricain. « Nous prêtons à Poietis le second prototype de l'imprimante laser qu'il a développé », explique le Pr Fricain, qui dispose pour sa part de la première génération de la technologie dans ses locaux bordelais. Avec Raphaël Devillard, chercheur dans ce même laboratoire, il parle avec enthousiasme de la prochaine frontière de médecine régénératrice : « la bioimpression in situ », autrement dit l'impression 3D de tissus vivants directement dans l'organisme du receveur, qui sert alors 35 d'incubateur à son greffon. L'équipe s'apprête à publier des résultats sur la souris. « Les rongeurs avaient un trou dans la calotte crânienne. Nous avons montré que la façon dont on déposait les cellules osseuses sur la blessure, en cercle ou en disque, donnait une cicatrisation différente », explique Jean-Christophe Fricain. Prochaine étape : les gros animaux… et l'homme ? « Nous avons déposé une demande de financement auprès de l'Agence nationale pour la recherche pour créer une imprimante adaptée. » Le rêve ultime, encore très éloigné, pose de nouveaux défis techniques. « Même endormi, un patient n'est jamais totalement immobile car il respire. Il nous faut donc concevoir un laser capable de compenser ces micro-mouvements, et de tourner autour des membres ou organes ronds », explique Raphaël Devillard. À terme, l'objectif de Poietis est de pouvoir créer de la peau « à la demande pour servir de greffons aux grands brûlés », poursuit Fabien Guillemot, qui pense cet objectif réalisable d'ici 5 à 10 ans. Les cellules servant de matière première sont actuellement achetées auprès de sociétés agréées pour le retraitement des déchets biologiques des hôpitaux, mais en cas de greffon personnalisé, « on pourrait utiliser celles du patient pour éviter les problèmes de rejet », prédit-il. Alors que l'on fête cette année les 200 ans de la publication de Frankenstein, où s'arrêtera le rêve de la fabrication de l'homme ? « D'une certaine façon, nous fabriquons du vivant », analyse-t-il. « Des lois et des règles doivent sans doute entourer le travail des technologues que nous sommes. La balle est dans le camp des comités de bioéthique. » Des questions éthiques et sociologiques inédites Quel statut faut-il accorder à ces nouveaux « bio-objets » que sont les tissus bioimprimés ? La sociologue Céline Lafontaine, professeure à l'université de Montréal et auteure du livre Le corpsmarché (Seuil), est l'un des premiers intellectuels à se pencher sur le sujet. « Dans le processus de la bioimpression, proche de l'ingénierie, la cellule vivante tend parfois à être appréhendée comme de la simple matière », remarque-t-elle. Or l'usage du vivant pose des questions « éthiques, sociologiques et économiques », poursuit la sociologue, invitant au débat sur cette transformation du rapport au corps. « La situation est différente d'une greffe, où l'organe, intact, est donné et transféré d'un corps à l'autre. Il s'agit ici de cellules d'origines diverses et inconnues, mises à proliférer à l'insu de la personne dont elles sont issues et potentiellement commercialisées par la suite. » Céline Lafontaine s'intéresse également au discours qui se crée pour évoquer la bioimpression. « On est dans l'univers de la promesse. Pour se maintenir économiquement parlant, les acteurs du secteur prédisent déjà des organes alors qu'on en est loin. » Homme/robot. Le trouble au rendez-vous L’Humanité Dimanche du 21 juillet 2016 par Marine Cygler Aujourd’hui, les robots sont cantonnés à une ou deux tâches ménagères. Demain, ils seront capables d’interagir avec l’homme. Avec un peu de science, les relations deviendront de plus en plus fines. Encore faut-il que nous acceptions ces automates. Vous déménagez. Besoin d’un coup de main ? Un jour, un robot pourrait vous aider à porter une commode imposante. Mais soulever un meuble lourd à deux n’est pas une tâche si simple. Elle exige de comprendre l’intention de l’autre et d’adapter sa force. Si les humains l’exécutent de façon tout à fait naturelle, notamment grâce au regard, c’est une tâche très difficile pour un robot. Voici un des nombreux défis que doivent relever les chercheurs pour que les robots entrent vraiment dans 36 notre quotidien. Aujourd’hui, la robotique industrielle est le fer de lance de la recherche dans le domaine. Les robots font des mouvements répétitifs avec un haut degré de précision mais ne sont pas capables de contrôler leurs efforts et, surtout, personne ne peut les toucher. S’ils sont capables de détecter la présence des mains, c’est avant tout pour éviter le contact. Du côté de la maison, ces engins font plus office de gadgets, même s’ils sont bien utiles : on trouve, par exemple, des robots aspirateurs et des tondeuses robots. Loin du compagnon idéal. Cela dit, certains pays ont déjà franchi l’étape supérieure avec des recrues automatisées pour des tâches nécessitant des contacts avec les humains. En Belgique, une première en Europe : deux humanoïdes Pepper, 1,20 m de plastique blanc, avec de grands yeux qu’on pourrait qualifier d’expressifs, ont intégré des équipes médicales en juin. Leur rôle : accueillir et orienter les patients de deux hôpitaux, le CHR Citadelle de Liège et l’AZ Damiaan d’Ostende. Celui-ci utilise déjà, depuis 2013, le robot Nao, de la société Aldebaran, en pédiatrie et en gériatrie. Doué de facultés émotionnelles, Nao rassure les enfants, qui doivent se faire opérer et leur fait passer le temps, tandis qu’il dirige les exercices de gymnastique et propose des entraînements cognitifs aux plus âgés. Nao est la représentation même de l’humanoïde. Il faut dire que, depuis 2006, date de sa « naissance », il ne cesse de parcourir le monde pour faire des démonstrations de ses prouesses : il parle, danse, fait du football… Au cours de l’année 2015, il a fait office de démonstrateur lors d’une expérience pilote dans différents magasins Darty de l’Hexagone. Japon, labo d’innovations Au Japon, pays pionnier dont la population a soif de nouveauté et de futurisme, Nao et ses congénères ont conquis l’espace public. Aucune surprise à les voir officier en tant qu’hôte d’accueil et de serveurs dans les hôtels, les supermarchés ou encore les restaurants. Dans le Henn-na Hotel, « l’hôtel bizarre », hormis le changement de drpas et le système de surveillance, la gestion de l’établissement est entièrement l’affaire de robots : la conciergerie est tenue par une humanoïde troublante d’humanité jusqu’au clignement de cils, l’enregistrement se fait auprès d’un dinosaure qui monte aussi les bagages dans les chambres. Toujours au pays du Soleil-Levant, les particuliers vont commencer à s’équiper également car, au-delà de l’aspect ludique, les besoins d’aide pour une population vieillissante sont de plus en plus difficiles à satisfaire. Encore un peu de science dans ces machines et nous les verrons comme de précieux alliés. Le point de vue de Serena IVALDI, chercheuse dans l’équipe LARSEN de l’INRIA Pourquoi étudier l’interaction homme-robot côté humains ? Dans cette relation, il y a deux acteurs. Il faut, d’une part, que le robot puisse comprendre ce que la personne veut. Il faut, d’autre part, que nous comprenions ce que le robot est en train de faire. De plus en plus d’études sont menées pour documenter comment les gens interagissent avec les robots afin de construire des machines compréhensibles y compris par les non-experts. Ce sont des travaux à la frontière entre robotique et psychologie. La plateforme de recherches humanoïdes iCub, bardée de capteurs (microphone, caméra, capteur de force…), a pour but de discriminer les signaux critiques pour que la communication puisse se faire. Peut-on prédire la réaction d’une personne face à un robot ? Dans nos expériences avec des volontaires non experts, on observe une palette large de réactions, même si les gens sont surtout curieux. Certains s’inquiètent que la machine puisse prendre le dessus ; d’autres développent des interactions fluides. On se rend compte que cette réaction dépend de notre personnalité. Les gens plutôt extravertis dans la vie le sont aussi face aux robots. Ils leur parlent plus que les personnes moins sociables. Ceux qui ont une attitude négative vis-à-vis du robot ont tendance à éviter son regard. C’est amusant de voir qu’on attribue aux robots l’intelligence d’un homme. 37 Est-il préférable que le robot ressemble à un homme ? Cela dépend. Les personnes ont tendance à anthropomorphiser les machines. Dans les années 1970, le chercheur japonais Masahiro Mori a formulé le modèle de la Vallée dérangeante (Uncanny Valley), qui permet de prédire la réaction émotionnelle face à un robot. Plus il s’approche de la forme humanoïde, plus le robot est accepté. Mais quand la ressemblance devient très importante, la réaction est perturbée : le robot nous ressemble tellement qu’il nous dérange et qu’on le rejette. Une carte inédite du cerveau humain Courrier International du 22 juillet 2016 La nouvelle cartographie ultradétaillée du cortex cérébral révèle près de 100 zones jusque-là non identifiées. Rien de tel qu’une bonne carte bien précise pour se repérer, comprendre où l’on est et savoir où l’on va. En partant de ce principe, une équipe de scientifiques a établi une cartographie détaillée du cortex, la couche la plus extérieure du cerveau – plus connue sous le nom de matière grise. Cette nouvelle carte, publiée mercredi 20 juillet dans la revue à comité de lecture Nature, divise le cerveau en 180 régions distinctes. « 97 d’entre elles n’ont encore jamais été décrites, bien qu’elles présentent de nettes différences par rapport à leurs voisines en termes de structure, de fonction et de connectivité », indique Nature dans un article destiné à un public de non-spécialistes. Bruce Cuthbert, directeur de l’Institut américain de la santé mentale, qui a cofinancé les recherches, a commenté auprès du site ABC : « Ces nouvelles connaissances et ces nouveaux outils devraient permettre d’expliquer comment notre cortex a évolué, ainsi que le rôle de certaines zones spécialisées dans la santé et les maladies. » Ce n’est pas la première fois que les chercheurs s’appliquent à représenter le cerveau en le divisant en petites zones, façon puzzle, pour tenter de mieux appréhender son fonctionnement dans son ensemble. Mais, jusqu’à présent, chacune de ces cartes n’était fondée que sur un seul type de mesure. « Ce qui peut conduire à une vision incomplète ou même trompeuse du fonctionnement interne du cerveau », explique à Nature Thomas Yeo, neurologue spécialisé en informatique à l’Université nationale de Singapour, qui n’a pas participé à l’étude. Cette toute nouvelle carte combine plusieurs types de mesures par imagerie par résonance magnétique (IRM) récoltées auprès de 210 jeunes adultes en bonne santé participant au projet Human Connectome Project. Elle est donc bien plus précise – mais présente tout de même des limites. « Elle révèle peu de choses sur les fondements biochimiques du cerveau ou sur le fonctionnement des neurones individuels ou en petits groupes », écrit Nature. Pour Mathew Glasser, qui a dirigé l’étude, cette carte n’est qu’une version 1.0. Tourisme des cellules complication redoutable souches : une Sciences et Avenir du 21 juillet 2016 par Marc Gozlan L’offre de traitements à base de cellules souches ne cesse de progresser dans plusieurs pays. Une récente étude américaine, publiée le 30 juin 2016 dans la revue Cell Stem Cell, a recensé 351 38 sociétés proposant, via un marketing direct aux consommateurs, ce type de traitement à 570 cliniques aux Etats-Unis. Ces traitements, non homologués par les autorités sanitaires, sont disponibles dans 113 établissements en Californie, 104 en Floride, 71 au Texas, 37 dans le Colorado, 36 en Arizona et 21 dans l'Etat de New York. Rares sont les domaines de la recherche biomédicale qui sont aussi prometteurs que celui des cellules souches. Si les promesses sont immenses, on est cependant encore loin de transposer les résultats de recherche fondamentale en traitements sûrs et efficaces. Qu’importe pour des sociétés basées aux Etats-Unis, en Chine, au Kazakhstan, au Mexique, en Argentine, qui voient là un marché très lucratif. On parle à ce sujet de « tourisme des cellules souches ». Ces entreprises exploitent délibérément la vulnérabilité de personnes gravement malades ou handicapées en leur faisant miroiter l’efficacité de tels traitements, hors de prix, sur la base d'informations trompeuses ou insuffisantes et en omettant de mentionner les risques potentiels qui y sont associés. La survenue d’une complication neurologique gravissime liée à ce type de tourisme médical vient d’être rapportée par des médecins américains dans le numéro du New England Journal of Medicine (NEJM) daté du 14 juillet 2016. Le cas clinique rapporté dans le NEJM concerne un patient de 66 ans de San Diego (Californie), ancien directeur juridique d’une grosse entreprise, qui voulait à tout prix récupérer d’un handicap moteur lié à un accident vasculaire cérébral survenu en mai 2009. Après son AVC ischémique, lié à l'obstruction d'une artère cérébrale par un caillot, ce patient a présenté une faiblesse musculaire du bras et de la jambe gauche et marchait avec une attelle jambière et une canne. Aujourd'hui, après un traitement par cellules souches, il se retrouve paraplégique, souffre de douleurs dans le bas du dos et d’incontinence urinaire. Surtout, les clichés en imagerie à résonance magnétique (IRM) montrent la présence dans le thorax d’une tumeur d’allure cancéreuse au niveau de la colonne vertébrale. Tout commence lorsque ce patient contacte la société Stemedica et qu’il apprend qu’un traitement par cellules souches est proposé à Astana, capitale du Kazakhstan. Rechignant à se rendre si loin, il apprend qu’il peut bénéficier de ce même traitement au Mexique, moyennant 40 000 dollars l’injection (plus de 36 000 euros). Son tourisme médical le conduit en Chine, en Argentine, puis au Mexique, pour un coût total, transports inclus, de près de 300 000 dollars (plus de 270 000 euros). Sa dernière destination sera une clinique à Tijuana (Mexique) où on lui injecte des cellules fœtales provenant de Russie. Six mois plus tard, sa marche s’améliore, mais pas pour longtemps. On lui fait une seconde injection en septembre 2014. C’est alors que son état se détériore. Trois variétés de cellules souches ont été administrées au patient dont le cas vient d'être rapporté dans le New England Journal of Medicine : des cellules souches mésenchymateuses, des cellules souches embryonnaires et des cellules souches neurales. Les cellules souches mésenchymateuses sont particulièrement faciles à prélever dans le tissu adipeux ou la moelle osseuse, mais aussi dans les tissus de soutien des organes, des os, des cartilages, des muscles. Elles peuvent notamment donner naissance à des fibres musculaires, à des cellules cartilagineuses, osseuses. Ce patient a également reçu des cellules souches embryonnaires. Celles-ci peuvent se répliquer à l’infini du fait de leur capacité d’autorenouvellement, proliférer après leur mise en culture au laboratoire, et se différencier dans tous les types de cellules de l’organisme. Les spécialistes parlent de cellules « pluripotentes ». Enfin, des cellules souches neurales lui ont été injectées. Ces cellules, dites « multipotentes », ont un potentiel de différenciation limité dans la mesure où elles ne sont capables que de donner naissance aux principaux types cellulaires présents dans le cerveau : neurones, astrocytes et oligodendrocytes. Elles sont aussi capables de s’autorenouveler. Ces injections de cellules souches d’origine variée n’ont pas été accompagnées d’un traitement immunosuppresseur, habituellement administré lorsque l’on greffe à un receveur des cellules de donneur non apparenté. Lorsque son état de santé s’aggrave, Jim Gass, c’est le nom de ce patient, va consulter dans le service de neurologie d’un grand centre médical universitaire de Boston. Le Dr Aaron Berkowitz et ses collègues du Brigham and Women’s Hospital décèlent alors à l’IRM une tumeur cancéreuse, 39 très dense en cellules, hautement proliférative. Les cellules tumorales ressemblent aux cellules gliales, indispensables à la survie et à la maturation des neurones. L’analyse génétique montre que la lésion est principalement composée de cellules qui ne sont pas celles du patient. L’examen cellulaire et moléculaire du tissu tumoral révèle en effet que la tumeur provient de cellules étrangères injectées dans l'espace sous-arachnoïdien qui contient le liquide céphalorachidien. La lésion présente certaines caractéristiques des gliomes malins (tumeurs cancéreuses du système nerveux central), à savoir un taux élevé de prolifération cellulaire et une forte vascularisation, mais ne montre curieusement aucun autre signe typique de cancer. Les chercheurs n’ont en effet décelé au séquençage de la tumeur aucune signature génétique parmi 309 gènes associés au cancer. Ainsi, cette lésion tumorale est bien associée à une croissance anormale mais ne peut être classée dans aucune catégorie de cancer humain au vu des données recueillies. Le patient est paralysé des deux membres inférieurs et de la partie basse du tronc. Il a besoin d’un élévateur pour aller du lit au fauteuil roulant. Il peut cependant bouger le bras droit. Il est traité par radiothérapie. Ce traitement permet de diminuer l’intensité des douleurs lombaires, d’améliorer la mobilité de la jambe gauche, et a entraîné une réduction de la masse tumorale à l’imagerie. Depuis, Jim Gass a eu une nouvelle IRM à San Diego et les médecins lui auraient dit que la tumeur a de nouveau grossi, selon le New York Times. A vrai dire, il n’y a rien d’étonnant à ce que des cellules souches embryonnaires et d’origine fœtale aient pu entraîner le développement d’un tissu cancéreux. En effet, le concept de cellules souches cancéreuses a été établi il y a dix ans pour tenter d'expliquer qu’une tumeur tumorale se repeuple à partir d’une petite population de cellules localisées dans des régions particulières, appelées niches, au sein des tumeurs. Il se trouve que de telles niches ont été décrites dans les glioblastomes, une variété de gliomes malins. Les auteurs rappellent également que l’injection à des souris des cellules souches issues d’embryon provoque des tératomes, des tumeurs d’origine embryonnaire. De même, des cellules souches neurales de souris ont la capacité de se transformer en gliomes malins, sans qu’elles aient besoin d’acquérir un grand nombre de changements génétiques. Enfin, des mutations sont susceptibles de se produire dans n’importe quelle variété de cellules souches, qui présentent pour caractéristique fondamentale de se diviser rapidement, et donc de favoriser l’apparition d’un processus cancéreux. C’est justement pour limiter ce risque potentiel que les chercheurs limitent la quantité de cellules souches pluripotentes injectées dans le cadre d’essais cliniques strictement encadrés et réglementés ou qu’ils ont recours à des cellules souches déjà engagées, après mise en culture in vitro, dans la différentiation vers un type cellulaire donné. Jim Gass a déclaré avoir été poussé à recevoir un traitement par cellules souches car il avait été impressionné par ce qu’il avait lu dans les journaux sur John Brodie, un ancien joueur professionnel de football et de golf. Après un AVC, ce champion avait reçu un traitement par cellules souches en Russie et avait repris le golf. Désirant plus que tout récupérer de son AVC, Jim Gass a malheureusement agi de la même façon que bon nombre de patients désespérés influencés, via la presse grand public, par le parcours d’autres vedettes sportives, à l’instar de Gordie Howe. Cet ancien hockeyeur avait été traité dans la même clinique à Tijuana, la clinique Santa Clarita, affiliée à la société mexicaine Novastem, spécialisée en cellules souches et basée à 15 km de San Diego. L’ancienne vedette des Red Wings de Detroit avait qualifié son amélioration de « miraculeuse ». Il pouvait de nouveau marcher et il avait plus de facilité à parler. Les frais de traitement de celui qui a été surnommé Mr Hockey avait été intégralement payés par Stemedica, une société de biotechnologie qui développe et conditionne des cellules souches humaines, s’assurant ainsi une immense publicité. L’ex-champion de hockey avait eu un AVC hémorragique dont on sait que les malades qui dépassent la phase aiguë ont habituellement une récupération spontanée de leur déficit. Cette récupération, qui varie d'un patient à l'autre dans des proportions importantes, est impossible à prévoir. Rien n’indique donc que l’amélioration fonctionnelle observée ait le moindre rapport avec les deux greffes de cellules souches qu’il a reçues. L’ancien joueur de hockey sur glace est décédé à l’âge de 88 ans en juin 2016. Auparavant, d’autres célébrités, prêtes à tout et n’importe quoi pour 40 rester compétitifs dans leur sport ou récupérer d’un handicap, avaient fait savoir qu’elles avaient eu recours à des injections de cellules souches, comme Bartolo Colon, le lanceur des Yankees de New York, Peyton Manning, un des meilleurs joueurs de football américain, et même le gouverneur du Texas Rick Perry. Ce n’est pas la première fois que la survenue d’une complication gravissime après injection de cellules souches est rapportée dans la littérature médicale. En 2009, des médecins israéliens ont décrit le cas d’un garçon de 13 ans atteint d’ataxie télangiectasie, affection rare d’origine génétique qui associe un déficit immunitaire, des signes neurologiques et des dilatations de petits vaisseaux sanguins de l’œil et de la peau. Traité à l’âge de 9, 10 et 12 ans, à Moscou, par des injections de cellules souches neurales d’origine fœtale, cet enfant a développé un an après la dernière injection une tumeur cérébrale disséminée. L’analyse moléculaire a montré que la tumeur était dérivée de cellules provenant d’au moins deux donneurs. Pour conclure, revenons à Jim Gass. Regrette-t-il d’avoir eu recours aux cellules souches dans l’espoir de voir disparaître les séquelles motrices de son AVC ? A-t-il appris quelque chose de sa terrible mésaventure ? La question lui a été posée par Gina Kolata, ma consœur du New York Times. Il a lui répondu qu’il fallait se méfier des infos basées sur des anecdotes de patients. Une façon de dire que celles-ci remplacent trop souvent les données médicales objectives manquantes. Mais aussi que si cela semble trop beau pour être vrai, c’est que cela est probablement faux ! Une manière aussi de reconnaître que tout traitement peut entraîner des effets secondaires, parfois très graves, a fortiori s’il n’est pas autorisé par les autorités sanitaires. Avoir les gènes de trois parents permettrait de mieux vieillir Slate du 23 juillet 2016 par Peggy Sastre Les « bébés à trois parents » en font hurler plus d'un sur un plan bioéthique, mais une étude tend à prouver que le transfert mitochondrial est plutôt une très bonne nouvelle sur un plan médical L'ADN mitochondrial (ou ADNmt) intervient dans bon nombre de processus vitaux, notamment la respiration cellulaire, pour laquelle il collabore avec l'ADN « classique », présent dans le noyau des cellules. Une étude publiée dans Nature le 6 juillet laisse entendre que la santé et la longévité d'un organisme pourraient être liées au mélange entre gènes des mitochondries et des chromosomes – et plus les premiers sont différents des seconds, mieux c'est. Une configuration rendue aujourd'hui possible chez les bébés dits à « trois parents ». Des enfants ayant hérité, comme tout le monde, de l'ADN nucléaire d'une mère et d'un père, mais chez qui l'ADN mitochondrial est issu, par transfert d'ooplasme, d'une deuxième « mère », celle qui a fait don de son ovocyte. Cette procédure permet aux femmes porteuses de mutations délétères pour leur descendance de se reproduire malgré tout, sans risquer la vie et la santé de leurs enfants. Les mitochondries sont souvent qualifiées de « centrales énergétiques » des cellules, car elles se servent de l'oxygène pour produire de l'ATP, le carburant de tous les processus cellulaires. Issues, voici à peu près 2 milliards d'années, de la symbiose d'une bactérie et d'un autre organisme, elles gardent la trace de cet héritage dans un ADN bien à elle. L'étude de Nature porte sur des souris génétiquement modifiées pour renfermer des ADN mitochondrial et chromosomique ayant 34 bases de différence – soit pas grand-chose puisque, précisent les chercheurs, c'est à peu près le même degré de variabilité que l'on observe entre un 41 Africain et un Eurasien moyens. Les souris ont été soumises à tout un tas de tests visant notamment à examiner leur métabolisme et diverses fonctions physiologiques et biochimiques. Les souris porteuses d'un ADNmt « étranger » avaient une durée de vie médiane plus longue (sans que cela améliore significativement leur durée de vie maximale) et étaient bien moins sujettes au cancer. De même, les cellules de ces souris réagissaient bien mieux au stress oxydatif – un phénomène en corrélation directe avec le vieillissement – et les animaux avaient moins de cholestérol. Selon les scientifiques, il est probable qu'une adjonction d'ADNmt « promeuve un vieillissement plus sain ». En attendant d'être validée sur des humains, dont la complexité génétique est éminemment plus élevée que celle des souris de laboratoire, cette étude montre que différentes variantes d'ADNmt peuvent affecter les fonctions et le métabolisme des cellules et, dès lors, jouer un rôle très important sur la santé de l'organisme concerné tout au long de sa vie. Un rôle jusqu'ici insoupçonné. Des ciseaux dans le yaourt Le Monde du 27 juillet 2016 par Nathaniel Herzberg Si votre yogourt est si onctueux, c’est parce que les bactéries qui servent de ferment ont inventé une arme fatale contre les virus. Une découverte qui va révolutionner la biologie Un gros bourg agricole de 3 500 habitants, comme la France en compte tant. Sur l’atlas mondial de Crispr-Cas9, ce système révolutionnaire d’édition des génomes, Dangé-Saint-Romain (Vienne) tient une tout autre place. Une position éminente, même, entre San Francisco, Boston, Vienne et Paris. C’est en effet d’ici qu’entre 2005 et 2007 a été coordonné le programme de recherche qui a apporté la preuve expérimentale de l’existence d’un système immunitaire adaptatif chez les bactéries, prélude à la révolution Crispr-Cas9, cet outil qui bouleverse aujourd’hui la biologie mondiale. Pourquoi ici ? « Parce qu’il y avait une laiterie, sourit Philippe Horvath, chercheur au centre de recherche de la multinationale de l’agroalimentaire et de la chimie DuPont. En 1964, un ingénieur y a créé une petite entreprise de ferments qui a grossi, a été rachetée par Rhône-Poulenc, puis par Danisco, avant qu’en 2011 DuPont rachète Danisco. Aujourd’hui, nous exportons partout. Un yaourt sur deux et un fromage sur trois produits dans le monde contiennent des ferments qui viennent de chez nous. » Le rapport avec le système immunitaire des bactéries ? Pédagogue, Philippe Horvath revient aux bases : « Les ferments, ce sont des bactéries. Sans elles, pas de fromage, le lait reste du lait. Or, les bactéries ont un ennemi mortel : les virus, plus précisément les bactériophages. Ça fait douze mille ans qu’on utilise l’acidification pour conserver les produits laitiers. La technique s’est améliorée : chaque ferment contient plusieurs bactéries et produit sa propre texture, son acidité, son goût… Mais tout ça reste une course de vitesse entre bactéries et phages, à qui s’adaptera plus vite à l’autre. Mon rôle, c’est d’aider les bactéries. » En 2000, le jeune docteur de l’université de Strasbourg débarque ainsi à Dangé-Saint-Romain avec pour mission d’utiliser les outils de la biologie moléculaire pour classer les quelque 13 000 souches bactériennes maison. La tâche est vaste, il tâtonne. Deux ans plus tard, il présente un « poster » lors d’un congrès sur les bactéries lactiques aux Pays-Bas. A côté de lui, un ingénieur de recherche de l’Institut national de recherche agronomique (INRA), Alexander Bolotin, affiche lui aussi son travail : le premier séquençage du génome de la bactérie du yaourt Streptococcus thermophilus. En 2005, il signera un des trois articles suggérant l’existence d’un système immunitaire adaptatif chez les bactéries. « Ils avaient déjà mis en évidence dans l’ADN les séquences répétées du Crispr et, entre elles, les espaceurs, tous différents », se souvient Philippe Horvath. Le brouillard se lève Après le rachat par le géant danois des biotechnologies Danisco, le centre de recherche hérite, à l’hiver 2004, d’un séquenceur d’ADN. Philippe Horvath commence donc à établir la carte d’identité génétique des souches bactériennes et des phages conservés au laboratoire. Il sait quelle bactérie résiste à quel phage. Aussi l’évidence s’impose-t-elle : les bactéries résistantes portent dans leur 42 Crispr des séquences correspondant précisément aux phages auxquels elles échappent. Publier immédiatement ? En Espagne et en France, le même constat a déjà été réalisé « in silico », autrement dit à partir de l’ADN conservé dans les bases de données informatiques. « Surtout, nous sommes des industriels, rappelle Philippe Horvath. La priorité, c’était le brevet. » En août 2005, Danisco dépose donc devant l’Office américain des brevets (US Patent and Trademark Office, ou USPTO) une demande d’homologation d’un système d’« utilisation » de Crispr pour offrir aux bactéries une résistance aux phages. La procédure donne un an à l’entreprise pour étoffer et nourrir d’exemples son invention. La tâche est lourde. Philippe Horvath dispose de l’équipe de Dangé mais aussi d’un jeune scientifique français tout juste embauché par Danisco dans son centre de recherche américain, à Madison (Wisconsin) : Rodolphe Barrangou. Aujourd’hui professeur à l’université de Caroline du Nord, il se souvient : « On a altéré le contenu Crispr de certaines souches bactériennes. Quand on ajoutait l’ADN phagique, on vaccinait la cellule. A l’inverse, quand on le retirait, la bactérie perdait sa protection. Et quand on échangeait les espaceurs entre deux bactéries, on échangeait aussi leur résistance. » Autant de manipulations qu’il convient de réaliser sur plusieurs souches. L’équipe française comprend qu’elle ne tiendra pas les délais imposés par l’administration américaine. Elle fait donc appel à Sylvain Moineau, professeur de biologie à l’université Laval, à Montréal, spécialiste des phages et collaborateur régulier de Danisco. Le brevet définitif est déposé en août. Puis ils s’attellent ensemble à la rédaction d’un article scientifique, transmis en octobre 2006, à la revue Science. « Je n’y croyais pas vraiment, se souvient Rodolphe Barrangou. Un papier sur la bactérie du yaourt, écrit par une boîte privée… Ce que je ne savais pas, c’est que Jill Banfield, une formidable scientifique de Berkeley, unanimement reconnue, avait envoyé un papier sur le même sujet deux semaines avant. Le sien était moins complet. Grâce à elle, le nôtre a été pris… » Et encore… Deux des trois scientifiques indépendants chargés d’évaluer le texte s’opposent à sa publication. L’éditeur offre une seconde chance aux auteurs, qui étoffent leur copie. Un des reviewers bascule. L’article paraît le 23 mars 2007. Cité, depuis, dans plus de mille publications scientifiques, il marque la « première révolution Crispr », comme le milieu aime à la nommer. Pour les biologistes, c’est la démonstration, deux ans après la formulation de l’hypothèse, de l’existence d’une immunité adaptative des organismes unicellulaires. Pour les généticiens et biochimistes, le coup d’envoi d’une nouvelle épopée : comprendre Crispr. Car si l’acquisition de portions de génome d’un virus a déjà été largement décrite chez nombre d’organismes vivants – de la bactérie à l’homme –, le fonctionnement du nouveau vaccin génétique reste un mystère. Comment la bactérie reconnaît-elle son ennemi ? Comment le combat-elle ? A travers le monde, une nouvelle communauté voit le jour. Avec ses têtes d’affiche et sa messe annuelle : la réunion Crispr. En 2008, ils sont une trentaine à répondre à l’invitation de Jill Banfield et Rodolphe Barrangou à Berkeley. « C’était le Noël des chercheurs, se souvient Sylvain Moineau. On était comme des enfants devant l’arbre. On découvrait les cadeaux apportés par les autres. » « Etre invité en Californie pour parler de mon petit sujet qui intéressait des gens aussi éminents, c’était incroyable », renchérit l’Espagnol Francis Mojica, auteur, en 2005, du premier article envisageant une immunité acquise des bactéries. Peu à peu, le brouillard se lève. En 2008, le Néerlandais John van der Oost fait un premier pas. Il montre comment l’ARN messager (qui transporte l’information contenue dans l’ADN) de la bactérie est coupé en petits morceaux (crRNA), qui s’associent à des protéines pour aller chasser les virus ennemis. Il parvient également à programmer une bactérie afin de lui apporter la résistance à un phage donné. Quelques mois plus tard, deux chercheurs de Chicago, l’Argentin Luciano Marraffini et son directeur de laboratoire, l’Américain Erik Sontheimer, montrent que Crispr répond aux virus mais aussi aux plasmides, ces bouts d’ADN porteurs de traits particuliers, comme la résistance aux antibiotiques. Ils apportent également une preuve indirecte que c’est l’ADN des virus qui est visé par le système, et non l’ARN, comme la plupart des chercheurs le pensaient jusque-là. Dans la conclusion de l’article qu’ils publient dans Science, ils affirment enfin, prophétiques, que 43 Crispr « pourrait avoir une utilité considérable, surtout si le système devait fonctionner hors de son contexte bactérien ». Le sprint final Le Canadien Sylvain Moineau a poursuivi sa quête. Dans un premier article, en 2008, il établit l’importance de minuscules morceaux d’ADN qu’il baptise PAM (protospacer adjacent motif). La bactérie en est démunie. Le virus, au contraire, en contient toujours, de part et d’autre de la séquence visée. Moineau essaie de les retirer, la défense cesse d’opérer. Leur raison d’être, conclutil ? Eviter que Crispr, dans une poussée suicidaire, ne s’attaque à l’ADN de la bactérie elle-même. Car c’est bien l’ADN qui est directement visé par le système. Moineau et ses collègues en apportent la preuve, en 2010, par une observation directe, cette fois. Il manque encore une dernière pièce. Française installée à Vienne, Emmanuelle Charpentier l’apporte lors de la réunion Crispr d’octobre 2010, à Wageningen (Pays-Bas). Elle y annonce qu’un autre type de petit ARN (baptisé tracrRNA) est indispensable aux bactéries pour couper leur ARN et lancer la chasse aux virus décrite par van der Oost deux ans auparavant. Ses résultats seront publiés dans Nature en 2011. Le puzzle est désormais prêt, il reste à l’assembler. Sortir le système de la bactérie pour réaliser ce que tout le monde commence à entrevoir : un outil d’édition du génome, dont personne ne mesure toutefois la portée. C’est le sprint final. Sauf qu’à ce petit jeu, tous ne partent pas à égalité. D’abord parce que chaque bactérie a son Crispr, plus ou moins sophistiqué. Escherichia coli, chère à John van der Oost, utilise un complexe de cinq protéines. Staphylococcus epidermidis, qu’étudient Marraffini et Sontheimer, pas moins de neuf. A l’inverse, Charpentier, avec Streptococcus pyogenes, et Moineau, avec son S. thermophilus, ont hérité d’un Crispr dit de type 2, avec une seule et unique protéine : Cas9. « Là, c’est sûr, on a eu un peu de chance », admet la chercheuse française. Enfin il y a les hasards des intérêts, des carrières et des financements. Moineau le dit sans détour : « Je n’ai pas mesuré le potentiel. » « J’étais un peu trop occupé à monter mon propre labo », dit Luciano Marraffini, aujourd’hui à l’université Rockefeller, à New York. A Chicago, Erik Sontheimer veut basculer sur le type 2. Mais en cette période de « vaches maigres », il peine à embaucher des postdocs et à disposer du matériel nécessaire. Dès janvier 2009, il a fait une demande de bourse aux National Institutes of Health sur le créneau « haut risque, haut potentiel ». Il essuie un refus. Ses demandes en mars et novembre 2010 auprès de la Fondation Bill Gates resteront aussi infructueuses : « J’en ai décroché beaucoup d’autres dans ma carrière, mais c’était les trois meilleurs dossiers et ils ont été rejetés… » En juin 2012, le coup de tonnerre finit par retentir. Science publie le fruit d’une collaboration entre les laboratoires d’Emmanuelle Charpentier et de la biologiste de l’université de Californie à Berkeley Jennifer Doudna. Elles y décrivent la première reconstitution de Crispr-Cas9 in vitro. Une protéine unique, deux ARN programmables – et même un seul, grâce à une astucieuse manipulation afin de choisir sa cible : la possibilité d’intervenir sur le génome de différents types de cellules avec une facilité et une précision jusqu’ici inégalée, assurent-elles. Deux étoiles viennent de naître, prêtes à partir à l’assaut du firmament. Sida : une rémission du virus est-elle possible ? Le Monde du 27 juillet 2016 par Paul Benkimoun Lors de la 21ème conférence de Durban, qui s’est tenue du 17 au 22 juillet, les pistes d’un contrôle durable du virus ont été présentées. En particulier celles de traquer les lymphocytes T dans lesquelles le VIH est en sommeil 44 La 21ème conférence internationale sur le sida, qui s’est achevée à Durban (Afrique du Sud) vendredi 22 juillet, a été l’occasion, pour l’International AIDS Society (IAS) qui l’organisait, de développer sa stratégie actualisée « Vers un traitement du VIH » lors d’un symposium de deux jours. Le groupe de travail de 59 membres de l’IAS qui l’a élaborée fournit une feuille de route pour la recherche, s’appuyant sur les avancées obtenues pour fixer des directions de travail. Ce plan de marche vise également à inciter les financeurs à accroître leurs efforts – quelque 200 millions de dollars (182 millions d’euros) en 2015 – afin de faire reculer la pandémie jusqu’à ce que le sida ne soit plus un problème de santé publique. « Un premier document avait été élaboré en 2012 avec le double objectif d’informer les financeurs, mais aussi de créer un collectif mondial de scientifiques, allant de la base vers le haut. Nous avons actualisé notre stratégie en tenant compte de ce que nous avons appris au cours des quatre dernières années », témoigne la professeure Sharon Lewin (Doherty Institute, université de Melbourne, Australie), qui copréside le groupe de travail de l’IAS avec la professeure Françoise Barré-Sinoussi (Institut Pasteur, Paris). Réservoirs pour le virus Avec réalisme, l’IAS explique qu’il s’agit d’obtenir une rémission durable, comme dans le cancer. Car l’un des problèmes cruciaux posés par le VIH est celui de l’existence de « réservoirs ». Les scientifiques désignent ainsi les compartiments de l’organisme (ganglions lymphatiques, cerveau, intestin…) dans lesquels le VIH demeure à l’état latent dans des lymphocytes T porteurs du marqueur CD4 après que le traitement antirétroviral a rendu le virus indétectable dans le sang. A ce jour, les chercheurs ont la certitude de ne pas avoir recensé de manière exhaustive les réservoirs de l’organisme où le VIH reste tapi et inactif, parfois pendant des années, avant de se réactiver et de se multiplier à nouveau, créant ce qu’on appelle le rebond viral. C’est une direction de recherche dans laquelle l’imagerie médicale, inspirée de celle qui s’est développée dans le domaine du cancer, devrait permettre de progresser. Il s’agirait de traquer les lymphocytes T dans lesquels le VIH est en sommeil, comme on recherche les cellules cancéreuses persistant après un traitement antitumoral. Scientifique de premier plan dans la lutte contre le VIH, Anthony Fauci, directeur de l’Institut national de l’allergie et des maladies infectieuses, NIH, Bethesda, Maryland), pense que le défi pour les chercheurs est double : « Développer un vaccin préventif sûr et efficace, et résoudre la persistance durable du VIH dans l’organisme. » Les connaissances en matière de vaccin n’ont pas encore permis de percée spectaculaire mais la piste des anticorps neutralisants à large spectre demeure celle en laquelle les chercheurs mettent le plus d’espoir. Contrôler le rebond viral Pour empêcher la persistance durable du VIH dans l’organisme, Anthony Fauci évoque deux approches : « Celle de l’éradication et celle du contrôle du rebond viral. Pour la première, nous n’avons pas réussi à chasser le virus de l’organisme en mobilisant l’ensemble du système immunitaire des patients. En revanche, à l’échelle individuelle, le cas du “patient de Berlin” montre qu’il est possible d’éditer le génome par une greffe de cellules souches. » Timothy Brown, le « patient de Berlin », était atteint d’une leucémie, qui a nécessité une greffe de moelle osseuse. Comme il vivait avec le VIH, les médecins de Berlin qui le suivaient ont choisi un donneur de moelle porteur d’une mutation génétique conférant un effet protecteur vis-à-vis de l’infection par le VIH. La greffe a abouti à une éradication du VIH de l’organisme de Timothy Brown. Preuve du concept mais certainement pas une stratégie crédible à l’échelle de masse. Le VIH s’intègre dans le génome des cellules qu’il infecte. Avec au moins 37 millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde, il est impossible d’envisager une thérapie génique individuelle, même avec un outil performant comme les « ciseaux génétiques » Crispr-Cas9. La possibilité chez certains individus de maintenir durablement une charge virale indétectable après l’arrêt complet des médicaments antirétroviraux, dans la moitié des cas depuis plus de dix ans, est avérée par la quinzaine de patients 45 de la « cohorte Visconti », traités très précocement et suivis en France par l’Agence nationale de recherche sur le sida. Réactiver le VIH pour le tuer « Obtenir une rémission est plus facile chez des gens jeunes, avec une charge virale faible et un traitement précoce, a expliqué le professeur Steven Deeks (université de Californie à San Francisco). Par des interventions, il serait possible de mieux faire fonctionner le système immunitaire, et dans ce futur, nous pourrons faire beaucoup de progrès en travaillant avec nos collègues qui développent l’immunothérapie contre le cancer. » La stratégie développée notamment par l’équipe de Steven Deeks fait partie de la démarche « shock and kill » : réactiver le VIH dormant dans les lymphocytes par un agent de « choc » et mieux préparer le système immunitaire à le détruire, afin de diminuer la taille du réservoir. Des études chez le primate se sont révélées encourageantes. Une molécule contre le paludisme La Croix du 27 juillet 2016 par Denis Sergent Des chimistes ont isolé des molécules volatiles émises par les poulets et ayant un fort pouvoir répulsif envers les moustiques porteurs du paludisme. Aurait-on trouvé un bon moyen de repousser les moustiques transmetteurs de maladies infectieuses comme le paludisme (malaria) qui, en Éthiopie, menacent 60 % de la population ? Des entomologistes et chimistes de l’université d’Addis-Abeba (Éthiopie) et de l’université des sciences agricoles d’Uppsala (Suède) viennent de conclure à un résultat prometteur*. Tout est parti d’une observation d’Habte Tekie, professeur à l’université d’Addis-Abeba, et de son équipe : en Éthiopie, le moustique Anophele arabiensis, vecteur de la malaria dans ce pays, pique volontiers hommes, bovins, chèvres et moutons. Mais pas les volailles dont il se tient à l’écart. Pourquoi ? Il est probable que l’explication ne tient pas à une cause visible à l’œil nu, mais soit plutôt en rapport avec l’odeur. Des travaux épars d’écologie animale avaient déjà mis en évidence l’existence d’attraction ou au contraire de répulsion entre espèces dues à des molécules chimiques volatiles, comme les phéromones sexuelles par exemple. Ici, « tout se passe comme si l’odeur du poulet repoussait le moustique de la malaria », avance Habte Tekie. Les travaux menés dans certains foyers de trois villages de la région Oromo ont consisté à suspendre une cage avec un poulet à côté de la moustiquaire où dormaient les habitants. Au matin, les pièges à moustiques étaient vides, contrairement à ceux placés dans les habitations où n’avaient pas été placés de poulets. Les scientifiques ont renouvelé l’expérience avec des fioles contenant des extraits d’odeur de poulet : une demi-douzaine de molécules comme le butyrate (odeur de beurre rance), de naphtalène (analogue aux boules antimites que l’on range dans les placards à vêtements) ou de limonène (une molécule que l’on trouve dans les agrumes et utilisée en parfumerie). Le résultat étant identique, la technique est qualifiée de « très encourageante ». Pour l’heure, les chercheurs travaillent à développer et tester la meilleure essence possible. « Ce répulsif sera sans danger pour l’usage humain et sans résidus susceptibles de contaminer le sol, l’eau ou d’empoisonner les gens. Il peut être facilement intégré dans la prévention de la malaria, 46 assure Habte Tekie. Il est entièrement naturel ; le risque que le moustique développe une résistance est minimal. » *Publié dans la revue médicale Malaria Journal. Les clones de Dolly vieillissent mieux qu’elle Sciences et Avenir du 26 juillet 2016 par Afsané Sabouhi Premier mammifère cloné en 1996, la brebis Dolly avait souffert de vieillissement accéléré. Un effet secondaire aujourd’hui évité, affirme une étude publiée dans Nature Communications. « Elles ne sont pas exactement des jumelles de Dolly, elles sont ses copies génétiques, ses clones », précise Kevin Sinclair, chercheur en biologie du développement à l’Université de Nottingham. Elles, ce sont les 13 brebis clonées par son équipe, dont 4 à partir de la lignée de cellules de glande mammaire ayant permis la naissance de Dolly il y a tout juste 20 ans. Elles partagent donc le même ADN nucléaire, puisque c’est le noyau de ces cellules de glande mammaire qui est transféré dans un ovocyte non fécondé et privé de son noyau, mais pas l’ADN mitochondrial qui demeure celui de l’ovocyte. D’où la nuance faite par ce spécialiste entre jumeaux et clones, à l’occasion de la présentation à la presse des résultats des travaux de son équipe publiés mardi 26 juillet 2016 dans la revue Nature Communications. En marge de l’Euroscience Open Forum (ESOF) qui se tient jusqu’à mercredi 27 juillet 2016 à Manchester, les chercheurs ont dressé le bilan de santé de Debbie, Denise, Diana, Daisy et leurs clones. Contrairement à Dolly, premier mammifère cloné, ces 13 brebis ne montrent pas de signes de vieillissement accéléré. Le clonage, « soufflé retombé », ou technique d'avenir ? Elles ont aujourd’hui entre 7 et 9 ans, ce qui correspond à des sexagénaires « en âge de brebis ». Elles se sont prêtées, anesthésie générale aidant, à une batterie de tests (prises de sang, mesures de tension artérielle, radios et IRM). Résultats ? Seule une brebis présente des signes modérés d’arthrose des genoux et aucune ne souffre de diabète, d’hypertension ou de troubles métaboliques généralement retrouvés avec l’âge. Ce qui permet à ces chercheurs britanniques d’affirmer que les animaux clonés vivent aujourd’hui en bonne santé, comme des animaux non clonés du même âge. Ces résultats sur la sécurité à long terme du clonage animal sont publiés alors que l’anniversaire des 20 ans de la naissance de Dolly au début du mois a plutôt mis en évidence un soufflé retombé et une technique n’ayant pas fait naître toutes les applications, espérées ou redoutées, qu’elle promettait en 1996. Mais pour Kevin Sinclair, le clonage n’a pas dit son dernier mot. Il pourrait notamment se révéler utile pour la fabrication de cellules souches à des fins thérapeutiques chez l’Homme. « La naissance de Dolly a démontré la faisabilité de la technique de transfert de noyau dans des cellules sexuelles. La longue vie saine de ses clones atteste que l’on peut reprogrammer entièrement ces cellules sans nuire à leur stabilité », souligne le biologiste. Les résultats obtenus par l’équipe de Nottingham montrent également que la technique en elle-même a beaucoup progressé. Alors que moins de 3 % des embryons clonés parvenaient à naître en bonne santé en 1996, cette proportion a dépassé 20 % pour la cohorte de brebis aujourd’hui évoquée dans Nature Communications. Il n’en reste pas moins que la période périnatale demeure plus délicate pour un clone que pour un bébé conçu naturellement ou par FIV, éloignant la perspective d’un clonage humain pour des raisons techniques autant qu’éthiques. 47 Des cellules souches adultes pour régénérer des tissus cardiaques The Guardian du 24 juillet 2016 par Kate Lyons Une nouvelle étude, publiée dans le Journal of Cardiovascular Translational Research, a montré que l’injection de cellules souches adultes mésenchymateuses sur des patients atteints de maladies cardio-vasculaires, permettrait la régénération du tissu cicatriciel à l’origine d’une insuffisance cardiaque. L’essai clinique a été mené sur 11 patients, par le professeur Stephen Westaby de l’hôpital John Radcliffe à Oxford. L'un des résultats les plus spectaculaires constaté par le Minnesota Living With Heart Failure (MLHF), a été la réduction de 40 % de la taille du tissu cicatriciel, dont l’état était pourtant jugé irréversible. Les médecins ont également observé une amélioration des fonctions cardiaques et de la qualité de vie allant respectivement jusqu'à 30 et 70 %. 36 mois après le traitement, les 11 patients sont tous encore en vie : aucun n’a été victime d’attaque cardiaque, ni hospitalisé suite à des complications. Leur pronostic vital, avant traitement, était pourtant très faible (moins de 2 ans à vivre). La British Heart Foundation précise bien qu’il existe plusieurs traitements pour les personnes atteintes de maladie cardio-vasculaire, aucun n’est curatif, et dans certains cas, la greffe de cœur semble être la seule solution. « C’est une étude préliminaire et il est difficile d’émettre un large éventail de prévisions sur la base d’une étude restreinte », déclare Ajan Reginal, le fondateur de CELIXIR, l’entreprise commercialisant le traitement. Jeremy Pearson, directeur médical associé, ajoute qu’ « un essai avec beaucoup plus de patients est nécessaire pour déterminer si l'injection de ce types de cellules se révèle plus efficace que les tentatives précédentes pour améliorer les fonctions cardiaques, qui ont jusqu'à présent largement échoué ». Le professeur Stephen Westaby commencera cette année une étude plus approfondie à l’hôpital Royal Brompton à Londres. Maladie de Charcot Le Ice bucket challenge a permis de découvrir un nouveau gène Pourquoi Docteur du 28 juillet 2016 par Anne-Laure Lebrun La recherche sur la maladie de Charcot avance grâce à ce défi lancé sur les réseaux sociaux. Des chercheurs ont découvert un gène impliqué dans le développement de la maladie. A l’été 2014, l’Ice Bucket Challenge était incontournable. Les vidéos de célébrités comme Leonardo DiCaprio, Bill Gates ou Rihanna, ou de particuliers se renversant des sceaux d’eau sur la tête ont inondé les réseaux sociaux. Quelque 17 millions de personnes ont participé à ce gigantesque défi pour lever des fonds pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique, aussi appelée maladie de Charcot ou Lou Gherig. Pour ses détracteurs, ce défi n'était qu’un effet de mode qui n’aboutirait à rien. Mais deux ans plus tard, des chercheurs publient un article dans la revue Nature genetics sur un nouveau gène impliqué dans le développement de cette maladie, et ces travaux ont été rendus possibles par les fonds récoltés lors de l’Ice Bucket Challenge. 48 Cette étude a été réalisée dans le cadre du Projet MinE, un programme international qui vise à identifier l’origine génétique de la maladie en analysant le génome d’au moins 15 000 patients. « Cette étude a uniquement été possible grâce à la collaboration de tous les scientifiques impliqués, a souligné le Pr John Landers, professeur de neurologie à l’école de médecine de l’université du Massassuchets, et co-responsable de cette étude. C’est un très bel exemple d’un succès apporté par les efforts déployés par tant de personnes dédiées à la recherche des causes de la sclérose latérale amyotrophique ». 80 chercheurs de 11 pays différents ont analysé le génome de plus de 1 000 familles américaines et européennes touchées par la maladie de Charcot. Une analyse qui a mis en évidence une mutation dans le gène NEK1. Celui-ci est impliqué dans la formation des neurones, la transmission de l’information dans le cerveau ainsi que la production d’énergie indispensable aux mécanismes de réparation de l’ADN. La perturbation de l’une de ces fonctions peut aboutir au développement de la maladie de Charcot. L’analyse génétique de 13 000 malades supplémentaires révèle que cette variation génétique est commune à de nombreux patients. Environ 3 % porteraient cette mutation. Elle serait l’une des causes génétiques les plus répandues, selon les chercheurs. « Cette découverte met en lumière l’importance d’avoir une quantité de données importantes pour la recherche sur la maladie de Lou Ghering, relève Lucie Bruijn, membre de l’Association de soutien aux personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique. L’équipe de recherche internationale espère maintenant conduire des travaux pour mieux comprendre le rôle de NEK1 dans la maladie. Ce gène est aujourd’hui considéré comme une importante cible thérapeutique. Des modèles de souris porteuses de ces mutations vont être développés pour évaluer leurs conséquences et leurs rôles dans la progression de la maladie. Des travaux qui bénéficieront là encore des fonds soulevés par l’Ice Bucket Challenge. D’ailleurs pour les plus courageux, l’Association pour la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique et autres maladies du motoneurone (ARSLA) organise une nouvelle édition de cette campagne. Le lancement officiel se fera le 28 juillet sur la place de la République à Paris. Fertilité : des chercheurs sont parvenus à restaurer le cycle menstruel de femmes ménopausées Doctissimo du 27 juillet 2016 par Elodie-Elsy Moreau Avoir des enfants après la ménopause : bientôt possible ? Des chercheurs grecs sont parvenus à inverser ce processus biologique chez des femmes en rajeunissant leurs ovaires. Explications. C’est une première. Des chercheurs grecs de la clinique de fertilité d’Athènes sont parvenus à inverser le processus de la ménopause, permettant à des femmes, de produire à nouveau des ovules, rapporte la revue New Scientist. Un nouvel espoir pour les patientes prématurément ménopausées ou celles désirant avoir un enfant tardivement. En effet, cette technique entraîne une réapparition des menstruations. Une grossesse après une ménopause grâce à "son matériel génétique" Les femmes naissent avec un "capital d’ovules". Entre la puberté et la ménopause, ce chiffre va diminuer fermement. Alors qu’aux alentours de 20 ans, la fertilité atteint son niveau maximal, autour de 50 ans, les ovaires arrêtent de fabriquer des ovules. Néanmoins, avant cet âge, la plupart 49 des femmes sont déjà en grande partie infertiles. La ménopause arrive bien trop tôt pour beaucoup de femmes, explique le professeur Sfakianoudis, gynécologue et auteur principal de l’étude. D’après la revue New Scientist, la ménopause survient avant l’âge de 40 ans chez environ 1 % des femmes. Mais, la technique mise au point par les chercheurs grecs pourrait permettre aux femmes ménopausées de tomber enceinte en utilisant leur propre matériel génétique, indique Konstantinos Sfakianoudis. Du plasma riche en plaquettes dans les ovaires Afin de rétablir le cycle menstruel des participantes, les chercheurs ont injecté dans leurs ovaires du plasma riche en plaquettes (PRP), stimulant la régénération des tissus. Cette technique est déjà utilisée pour accélérer la réparation des os et des muscles fragilisés notamment grâce à des injections dans le genou. Au total, les scientifiques ont centrifugé le sang d’environ 30 femmes ménopausées, âgées entre 46 et 49 ans, désirant un enfant. Les chercheurs précisent que la technique semble avoir fonctionné dans les deux tiers des cas. "Nous observons des changements de modèles biochimiques, une restauration de menstrues, la formation d'ovule et la fertilisation". Cependant, l'équipe de Sfakianoudis reste prudente. "De plus vastes études sont nécessaires avant que nous ne puissions confirmer l’efficacité de ce traitement", explique l’auteur principal de l’étude. Konstantinos Sfakianoudis ajoute toutefois qu’une de ses patientes, âgée de 40 ans, et ménopausée depuis cinq ans, a eu, à nouveau ses règles. "J'avais une patiente de 40 ans ménopausée depuis cinq ans", explique-t-il. "Six mois après l'injection de PRP dans ses ovaires, elle avait ses premières règles depuis sa ménopause." Les experts ont pu récupérer trois ovules et deux d’entre eux ont été fertilisés avec succès in vitro avec le sperme de son compagnon. Les œufs fécondés sont conservés dans l’espoir que le troisième soit également fécondé. Les trois œufs seront ensuite implantés dans l'utérus de la patiente. Les experts britanniques sceptiques Certains spécialistes remettent en cause le manque de sécurité et l'efficacité de la procédure. Pour eux, les auteurs de l’étude auraient dû commencer leur recherche sur les animaux. "On n'aurait jamais permis ce genre d’expérience au Royaume-Uni," indique le professeur Sturmey. "Les chercheurs doivent travailler davantage pour s'assurer que les ovules obtenus sont viables," ajoute de son côté le docteur Adam Balen de la Société de fertilité britannique. "Il est dangereux de s’extasier de la réussite de quelque chose avant même d’être sûr que ça marche", souligne de son côté Virginia Bolton, une embryologiste de l'hôpital Saint Thomas à Londres. Outre la question de l’efficacité, certains experts pointent du doigt le manque d’éthique de cette pratique. Repousser les limites de la nature : la question éthique Si les femmes participantes à l’étude avaient toutes des problèmes médicaux entravant leur fertilité, repousser biologiquement l’âge de la maternité pose de nombreuses questions. En effet, outre le traitement de femmes souffrant de ménopause précoce, cette pratique pourrait entraîner des abus. Jusqu’à quel âge une femme peut-elle devenir mère ou porter un enfant ? Autant d’interrogations et de débats qui seront soulevés si le rajeunissement des ovaires s’avère opérant. Anagenesis combat la dystrophie musculaire de Duchenne La Tribune du 28 juillet 2016 par Olivier Mirguet A Strasbourg, cette startup, issue du transfert de technologies d'un laboratoire strasbourgeois de recherche en génétique, a parié sur une thérapie dérivée des cellules de l'embryon. 50 C'est un des poulains de l'association AFM-Téléthon : la startup strasbourgeoise Anagenesis, spécialisée dans la recherche sur les cellules souches et leurs applications dans le traitement des atrophies musculaires, a multiplié les partenariats pour parvenir au plus vite à la mise sur le marché d'un traitement de la maladie de Duchenne. Cette maladie génétique mortelle, qui affecte environ un garçon sur 3 500 dans le monde, est pour l'instant réputée incurable. « Nous cherchons à valoriser une technologie de rupture, qui consiste à produire un type de cellule et des organes à partir des cellules souches de l'embryon », explique Jean-Yves Bonnefoy, président d'Anagenesis. Créée en 2011 par Olivier Pourquié, ex-directeur général de l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) et désormais professeur de génétique à la Harvard Medical School, Anagenesis a été prise en charge par l'incubateur régional Semia. Elle a été l'une des premières startups alsaciennes investies par le fonds d'amorçage Cap Innov'Est, déclinaison régionale du Fonds national d'amorçage alimentée par les collectivités, la BNP, les Caisses d'épargne, Capital Investissement Franche-Comté et Safidi, filiale d'EDF. L'association AFM-Téléthon, qui accompagnait les recherches d'Olivier Pourquié à l'IGBMC entre 2005 et 2010, est également entrée au capital. Grands espoirs et pas seulement pour la dystrophie musculaire « Nos candidats médicaments, par la thérapie cellulaire et par les petites molécules, présenteraient un avantage concurrentiel unique sur les autres médicaments proposés pour la dystrophie musculaire de Duchenne. Ils ont le potentiel de restaurer la fonction musculaire chez les patients à un stade avancé de la pathologie, et pas seulement de ralentir l'évolution de la maladie », souligne Jean-Yves Bonnefoy. Les recherches engagées par Anagenesis (10 salariés) trouveront à terme d'autres débouchés dans les maladies métaboliques comme l'obésité ou le diabète, les maladies liées à l'arthrite rhumatoïde, les maladies cutanées, les ulcères et la cicatrisation ou la chirurgie plastique. « Sur la dystrophie musculaire de Duchenne, nous serons capables d'arriver sur le marché dans six à sept ans si nous parvenons à repositionner un médicament existant. Si nous devions nous orienter vers des molécules nouvelles, nous serions sur le marché dans dix ans », promet Jean-Yves Bonnefoy. Création de partenariats et ouverture à l'international Début 2016, Anagenesis a signé un partenariat avec Ksilink, une plate-forme de recherche en partenariat public-privé qui inclut notamment Sanofi et l'Université de Strasbourg, afin d'identifier par criblage des composés capables d'agir sur les cellules responsables de la maladie de Duchenne. Elle vient de conclure un accord de licence et de collaboration avec l'entreprise suisse Crispr Therapeutics, portant sur le développement d'une thérapie cellulaire à destination des maladies musculaires. La création d'une filiale nord-américaine à Boston, en mars 2016, ouvre à Anagenesis d'autres opportunités de financement. « Il sera plus facile de trouver un investisseur aux Etats-Unis pour poursuivre nos recherches dans la thérapie cellulaire », prévoit Jean-Yves Bonnefoy. La société, en recherche de fonds, prévoit de consommer 40 millions d'euros de capitaux au cours des cinq prochaines années. Une pilule controversée contre le cancer testée sur des humains AFP du 25 juillet 2016 51 L'Institut du cancer de Sao Paulo a commencé lundi à tester sur des humains une pilule controversée contre le cancer, un premier pas pour prouver l'efficacité d'une substance déjà utilisée par des patients, bien que non autorisée. La dénommée « pilule du cancer », composée de la substance phosphoéthanolamine synthétique qui, théoriquement, est en mesure d'aider le système immunitaire à identifier les cellules tumorales et peut les éliminer, sera testée en phase initiale sur dix patients de cet institut qui ne reçoivent pas d'autres traitements, a indiqué le secrétariat de la Santé de l'État régional de Sao Paulo. Si le médicament ne présente pas d'effets secondaires graves, l'étude sera élargie progressivement à un millier de personnes. Les premiers tests sur des rongeurs, à la demande du ministère des Sciences et Technologie, n'ont toutefois pas été très prometteurs. La « pilule du cancer » a été créée par Gilberto Orivaldo Chierice, chimiste et professeur de l'Université Sao Paulo, qui a développé dans les années 90 une méthode pour synthétiser la phosphoéthanolamine efficace pour empêcher le développement du cancer. Aujourd'hui à la retraite, M. Chierice a effectué des tests sur des animaux et a mis la pilule à la disposition des patients d'un hôpital de la province de l'État de Sao Paulo qui l'ont prise sous sa responsabilité. L'initiative a connu un « effet boule de neige » et selon les mots du chercheur luimême dans une interview au site G1 de Globo, l'institut de chimie de l'Université a produit plus de 50 000 capsules par mois sans aucun règlement, répondant à la demande des patients qui avaient entendu parler de son pouvoir de réduire les tumeurs. En 2014, le laboratoire a cessé de produire la pilule alors qu'une partie de la communauté scientifique alertait sur les risques du médicament, qui n'avait pas été soumis à tous les tests nécessaires. L'Agence nationale de santé (Anvisa) et la Société brésilienne d'oncologie se sont opposées à sa distribution mais de nombreux patients ont eu recours à la justice pour obtenir le médicament. Face à la pression populaire, la présidente Dilma Rousseff a promulgué en avril, quelques semaines avant d'être écartée du pouvoir par le Sénat, une loi qui autorisait l'utilisation de la substance, sa fabrication et distribution. La médecine bioélectronique, le pari de Google et GSK Les Echos du 1er août 2016 par Catherine Ducret Les deux géants créent une filiale commune pour développer des dispositifs de la taille d’un grain de riz implantables dans le corps. Après Sanofi dans le diabète et Novartis dans le diagnostic, c'est au tour de GSK de travailler avec Google pour explorer un nouveau champ de la médecine appelé « médecine bioélectronique ». Le groupe britannique va créer avec Verily Life Sciences (ex-Google Life Sciences) une société commune détenue à 55 % par GSK, dénommée Galvani Bioelectronics, dont le siège sera au Royaume-Uni. Elle bénéficiera de la part de ses actionnaires d'un investissement de 540 millions de livres (640 millions d'euros) sur sept ans pour faire travailler sur un mode collaboratif une trentaine de personnes, sur le développement et à la commercialisation de produits bioélectroniques. De nombreux mécanismes biologiques sont en effet contrôlés par des signaux électriques qui font le lien entre le système nerveux et les organes, processus qui peut se dérégler. Jusqu'à présent, les dispositifs utilisés pour envoyer des impulsions électriques pour traiter par exemple le rythme 52 cardiaque (pacemakers), la maladie de Parkinson ou la douleur (électrodes) étaient relativement grands, même si des progrès étaient intervenus dans le sens d'une miniaturisation. Mais la médecine bioélectronique telle que l'entend GSK est à une échelle beaucoup plus petite puisqu'il s'agira de dispositifs de la taille d'un grain de riz susceptible d'être implantés sur les nerfs périphériques d'où ils enverront des signaux électriques à un organe. Dans une interview à une publication spécialisée, Moncef Slaoui, qui a encouragé la recherche dans ce domaine alors qu'il dirigeait la R&D de GSK, explique que l'idée est de pouvoir implanter le produit, non pas à l'hôpital, mais dans le cabinet du médecin, en recourant à un robot chirurgical peu invasif qui mettra le dispositif à l'intérieur du corps du patient. Cette simplicité d'emploi est d'autant plus nécessaire que les maladies ciblées concernent des populations importantes. Le laboratoire britannique précise qu'il « cherchera d'abord à établir la preuve d'efficacité de cette approche dans les domaines de l'inflammation et des désordres métaboliques et endocrinaux tels notamment le diabète où des résultats ont déjà été obtenus chez l'animal. » GSK s'intéresse à ce domaine depuis 2012 déjà, si bien que les essais chez l'homme pourraient débuter dès l'année prochaine, selon Moncef Slaoui. A charge pour les chercheurs de Verily Life Sciences de réaliser la miniaturisation et la mise au point des logiciels. GSK et Google ont-ils des chances réelles de succès ? Le mois dernier, la revue scientifique PNAS, publiait une étude menée par le Feinstein Institute of Medical Research, une référence en la matière, où 17 patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde ont été implantés avec des stimulateurs sous la peau du cou. La situation de 12 d'entre eux s'était améliorée. De quoi offrir des perspectives à Google et GSK. Les nouvelles icônes de la biologie Le Monde du 3 août 2016 par Nathaniel Herzberg Le 28 juin 2012, les biologistes française et américaine, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna publient les résultats de leurs travaux sur la technique Crispr dans la revue américaine Science. Depuis, le duo féminin accumule les prix. Difficile pourtant d’imaginer deux personnes plus dissemblables Amateurs de sciences, vous ne pouvez les avoir ratées. Les nouvelles icônes de la biologie, ses Thelma et Louise. Depuis trois ans, elles accumulent les prix comme un écureuil les noisettes. « Trente-cinq, avec les titres honorifiques, à croire qu’ils manquent de candidats », sourit Emmanuelle Charpentier. « Je ne compte plus, ce n’est pas ça l’important », ajoute Jennifer Doudna. Cantonnées quelque temps aux rubriques scientifiques, elles ont conquis les pages économiques ou « portrait » des grands (et moins grands) journaux, et jusqu’au palmarès des 100 femmes les plus influentes du monde du magazine Time. Beaucoup les admirent ; autant les jalousent. Parce qu’elles symbolisent une pipolisation de la société qui n’épargne plus le monde de la recherche, regrettent les seconds ; qu’elles laissent dans l’ombre d’autres collègues aussi méritants mais moins « vendables » ; que Crispr-Cas9, leur étendard, passera de mode. Au contraire, répliquent les premiers, elles offrent un modèle de réussite aux jeunes filles avides de sciences, encore trop peu nombreuses à oser faire carrière. Surtout, elles ont changé la donne de la biologie. Plus que des braqueuses, des révolutionnaires. Une protéine exceptionnelle Leur fait d’armes : avoir inventé les ciseaux moléculaires. Ou plus précisément avoir utilisé le système immunitaire adaptatif des bactéries, découvert cinq ans auparavant, pour élaborer un outil de manipulation génétique hors du commun. Le paysage n’était, il est vrai, pas tout à fait vierge. Au milieu des années 1960, des scientifiques avaient découvert que certains enzymes (dits « de restriction ») pouvaient couper l’ADN de certaines cellules à… certains endroits. Un catalogue s’est 53 peu à peu construit, largement utilisé dans les laboratoires de biologie. Encore fallait-il avoir la chance de trouver chaussure (enzyme) à son pied (gène étudié). Au tournant du XXIème siècle, trois techniques marquaient un nouveau progrès. Les « méganucléases », les « nucléases à doigts de zinc » et les « TALENs » permettaient de couper le génome à peu près là où on le souhaitait. Mais le sur-mesure a ses défauts : son coût et sa lenteur d’exécution. En l’occurrence, chaque gène visé imposait la construction d’une protéine spécifique adaptée à la coupe. Crispr-Cas9 offre la précision du sur-mesure et la simplicité, la rapidité et le coût du prêt-à-porter. La clé ? Une protéine exceptionnelle, Cas9, capable de couper presque n’importe quoi n’importe où, à condition d’être bien guidée. Pour cela, il suffit de lui adjoindre la portion d’ARN correspondant à la séquence d’ADN visée sur la cible, autrement dit une succession de paires de bases (souvenez-vous de vos cours au lycée, A, T, C, G…). D’une construction d’un volume en 3D, on passe à la confection bien plus simple d’une structure à… une dimension. Ce qui prenait un an à être réalisé prend désormais une semaine. Beaucoup moins cher, donc. Et encore plus fiable. Si l’on ajoute que le dispositif fonctionne chez les bactéries comme chez les plantes, chez les souris comme chez les hommes, on en mesure le potentiel. Nous l’avons vu, de nombreuses mains ont contribué à la recette, rassemblé les ingrédients, préparé le biscuit et la garniture. Mais deux pâtissières – et leurs commis – ont, les premières, sorti le gâteau du four, ce 28 juin 2012, et publié leur exploit dans un magazine de cuisine d’un genre particulier : l’éminente revue Science. Un article explosif Difficile pourtant d’imaginer deux personnes plus dissemblables. La blonde aux yeux bleus, grandie à Hawaï dans une famille d’universitaires ; et la brune aux yeux sombres, élevée en banlieue parisienne dans un milieu « ouvrier, catholique, engagé syndicalement et politiquement ». L’une a mené une carrière rectiligne, entourée de Prix Nobel (son directeur de thèse, son responsable de postdoc…), et n’a pas lâché son bureau avec vue sur le Golden Gate Bridge depuis qu’elle a créé son laboratoire, en 2004, à l’université de Berkeley ; l’autre a quitté la France après sa thèse à l’Institut Pasteur et n’a cessé depuis de bouger, Etats-Unis, Autriche, Suède, Allemagne… Jennifer Doudna achève son déjeuner (avec son mari, chercheur lui aussi, et son jeune fils) dans un grand hôtel parisien, où elle est venue recevoir un prix, avant de vous accorder une heure quinze d’entretien, comme prévu. Emmanuelle Charpentier vous fait dire qu’elle n’aura qu’une heure à vous consacrer et vous garde trois heures dans son bureau berlinois du Max Planck Institute, entre ordinateurs flambant neufs et archives encore emballées dans des cartons, six mois après l’installation. « Chez moi, c’est pire, je n’ai toujours pas de cuisine, juste une plaque électrique, soupire-t-elle. Je vis seule, je n’ai pas d’enfants, je peux me le permettre. » Leur rencontre ? Au cours d’un congrès en mars 2011, à Porto Rico. Figure de la biologie américaine, connue pour avoir décrit la structure 3D de plusieurs composants essentiels, Jennifer Doudna a déjà rédigé plusieurs articles sur Crispr. Franc-tireur de la discipline, tombée dans la croustillante marmite à la faveur d’une étude sur la bactérie Streptococcus pyogenes (ou streptocoque A) – responsable de banales angines mais aussi d’infections mortelles faisant 500 000 morts par an –, Emmanuelle Charpentier y a fait une entrée retentissante en publiant, quelques semaines plus tôt dans Nature, un article explosif : la description de la pièce manquante du puzzle, un petit ARN baptisé tracrRNA, indispensable à la bactérie pour affronter les virus ennemis. Les deux femmes se sont lues, jamais rencontrées. C’est le Néerlandais John van der Oost, l’un des pionniers de la communauté, qui assure les présentations. Un premier café, puis un dîner. « Ensuite, nous avons marché dans les ruelles pavées de San Juan et parlé de nos travaux, se souvient Jennifer Doudna. Son intensité, sa passion étaient impressionnantes. Très vite, nous avons pris conscience qu’une collaboration pouvait être fructueuse. Son labo avait une véritable expertise dans les bactéries, moins en biochimie des protéines ; le mien, c’était l’inverse. » La version d’Emmanuelle Charpentier est plus clinique : 54 « J’avais besoin d’un spécialiste des structures. Mon collaborateur habituel n’avait pas d’argent pour ce projet. Je l’ai proposé à Jennifer. » Le hasard fait bien les choses L’objectif est clair : reconstituer le système in vitro. Sortir chaque élément de la bactérie – le « purifier », comme on dit –, puis les rassembler sous les conditions optimales dans un tube à essai et montrer qu’ils attaquent alors l’ADN cible. Une manière de s’assurer qu’aucune pièce du puzzle ne manque. Mais aussi, et surtout, de proposer le fameux outil d’édition du génome. Pas question pour les deux biologistes de s’installer à la paillasse. Dans les laboratoires, les manipulations sont réalisées par des étudiants ou de jeunes chercheurs. Chacune choisit donc son champion. « On regarde qui est intéressé, mais surtout qui est libre », explique Jennifer Doudna. Et comme souvent, le hasard fait bien les choses. En Californie, il désigne Martin Jinek, un jeune Tchèque diplômé en Allemagne qui vient de boucler un premier postdoc dans le laboratoire américain. Chez la Française, c’est Krzysztof Chylinski, arrivé de Pologne en 2008, devenu un des piliers des travaux sur Crispr, qui hérite de la charge. « J’ai grandi à quelques kilomètres de la frontière, je parle polonais, raconte Jinek. Même si pour les sciences on utilisait l’anglais, il y avait tout le reste. » « Une question de mentalité, renchérit Chylinski. On a grandi avec les mêmes dessins animés, on a une culture commune. Ça a tout de suite accroché. » Commencent d’intenses échanges « par Skype », raconte Chylinski. Entre les deux équipes, bien sûr, mais aussi entre le jeune Polonais et sa responsable. Emmanuelle Charpentier a en effet quitté Vienne pour Umea, dans le nord de la Suède, où elle a accepté un nouveau poste. L’étudiant est resté dans la capitale autrichienne, hébergé dans un labo voisin. « Skype et FedEx », corrige Jinek. Chacun purifie en effet ses éléments – protéines pour les uns, ARN pour les autres – puis les envoie à l’autre, protégés dans de la glace carbonique. Avec quelques aléas. « Un colis est resté bloqué deux jours à Paris… », se souvient Jinek. « D’autres étaient forcément dans la course » Collaboration parfaite ? Presque… Emmanuelle Charpentier admet ne pas avoir tout de suite révélé que son cher tracrRNA servait non seulement à lancer la reconnaissance des cibles mais aussi à porter l’estocade. « Cris [Krzysztof Chylinski] l’avait trouvé dès 2011, sourit-elle, mais je lui avais interdit de le dire. Nous n’avions pas la puissance de feu des labos américains, nous risquions d’être doublés. » Pendant plusieurs semaines, Martin Jinek se demandera pourquoi sa protéine Cas9 ne coupe pas l’ADN ennemi. Le labo européen finira par vendre la mèche. C’est qu’il y a urgence. « D’autres étaient forcément dans la course », rappellent-ils. Ils ignorent alors qu’une équipe européenne les a même doublés. Virginijus Siksnys, brillant biologiste lituanien, collabore depuis 2007 avec les Français Philippe Horvath et Rodolphe Barrangou, ceux-là mêmes qui ont démontré le rôle de Crispr dans l’immunité des bactéries. Le 6 avril 2012, ils transmettent un article à la revue Cell. La reconstitution du système in vitro qu’ils y présentent « ouvre la voie à un dispositif universel » d’ingénierie du génome, écrivent-ils. Cell rejette l’article pour « manque d’originalité ». Comme le fera son petit frère, Cell Report, le mois suivant. Quatre ans plus tard, la rédaction de Cell admet un manque de discernement et indique au Monde que l’article s’est « révélé très important ». La revue PNAS sera plus clairvoyante. Mais pas bien pressée. Le manuscrit qu’elle reçoit le 21 mai tombe dans un trou noir de plusieurs semaines. Accepté le 1er août, l’article paraît en ligne le 4 septembre. Entre-temps, le duo féminin a envoyé son manuscrit, le 8 juin, à Science. La revue américaine en mesure immédiatement l’importance, traite le texte en urgence. Accepté le 20 juin, il est publié en ligne le 28 juin, avec les conséquences que l’on connaît. « Je ne saurai jamais ce qui s’est passé, commente sobrement Virginijus Siksnys. Je suis humain : j’ai été surpris et déçu. Pour l’essentiel, les articles disaient la même chose. » Pour l’essentiel… Mais le diable, s’il n’a pas ralenti l’article du Lituanien, lui a caché quelques détails. L’équipe de Siksnys n’a, en réalité, pas mesuré l’importance de tracrRNA dans la phase de coupe de l’ADN. En outre, Martin Jinek est parvenu à fusionner les deux ARN en un, simplifiant du même coup l’outil. « C’est leur coup de génie », admet, bon perdant, Philippe Horvath. La 55 publication dans Science signe la deuxième révolution Crispr, celle de l’édition des génomes. Modifier les bactéries, les plantes, les animaux, les cellules humaines… Cette fois, c’est une course de masse qui démarre. Un marathon scientifique viral, où le nombre d’articles publiés double chaque année (129 en 2012, près de 1 000 en 2015). Rêves de Nobel, rêves de richesse aussi, avec une bataille sans merci autour de la propriété intellectuelle des futures applications. La « folie Crispr » a commencé. Zika : la course aux vaccins s’accélère Le Figaro du 5 août 2016 par Cécile Thibert Une équipe a annoncé le succès de ses tests sur les macaques, d'autres lancent déjà des essais chez l'homme. Alors qu'au Brésil, pays le plus touché par l'épidémie due au virus Zika, avec près d'un million et demi de personnes infectées depuis 2015, que des cas sont signalés dans la plupart des pays d'Amérique latine, que les États-Unis viennent de recenser 14 cas de contamination locale - les précédents étant importés de pays où le virus est en circulation -, de bonnes nouvelles commencent à filtrer du côté des laboratoires. Jeudi, la revue Science annonçait ainsi le succès d'une collaboration entre l'Institut de recherche biomédicale de l'armée américaine (le Walter Reed Army Institute of Research), l'hôpital newyorkais Beth Israel et la faculté de médecine de Harvard. Ces instituts ont toutes les techniques de biologie moléculaire et de virologie pour mettre au point trois vaccins candidats. Et les essais précliniques, menés sur des souris et des macaques, ont obtenu des résultats encourageants. « Les singes vaccinés sont protégés contre les souches brésilienne et portoricaine du virus Zika, comme en témoigne l'absence de virus dans le sang, les urines et les sécrétions après une infection », annoncent ainsi les chercheurs. Compte tenu du succès de l'expérience et de l'absence d'effet secondaire, des essais cliniques chez des volontaires devraient être menés d'ici la fin de l'année. « Ces recherches ont probablement débuté à la fin de l'année dernière. La rapidité avec laquelle ils ont obtenu leurs résultats est incroyable », souligne Étienne Simon-Lorière, virologue à l'Institut Pasteur à Paris. Depuis quelques mois, les recherches sur Zika bénéficient d'un engouement mondial. « De nombreuses équipes se sont mises à travailler sur ce virus, en raison de l'urgence de santé publique mondiale et des importants financements qui lui sont destinés », raconte-t-il, avant de préciser que le nombre de publications sur le virus s'est multiplié de façon exponentielle ces derniers mois. Gagner un temps précieux Autre phénomène apparu avec l'épidémie : l'open science (l'ouverture des données scientifiques). « Comme cela a été le cas avec les recherches sur le virus Ebola, certains scientifiques qui travaillent sur Zika ont partagé publiquement leurs résultats, au lieu de passer par le circuit classique de publication, qui peut s'avérer long et fastidieux », poursuit le spécialiste. Ainsi, au début de l'année, l'équipe du Pr David O'Connor (Université du Wisconsin-Madison) a mis en ligne ses résultats dès qu'ils étaient obtenus, avant de les publier dans la prestigieuse revue Nature Communications. Leur découverte - le fait que le macaque est un modèle animal pertinent et proche de l'homme pour l'étude de Zika - a permis à d'autres équipes de gagner un temps précieux. Cette semaine, la course aux vaccins a pris une autre dimension avec l'annonce, mercredi, par l'Institut américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) du lancement d'un essai clinique chez 80 volontaires sains âgés de 18 à 35 ans. C'est le second vaccin expérimenté chez l'homme. Une équipe américano-canadienne s'est aussi lancée en juillet. Le vaccin du NIAID, dont la première dose a été donnée mardi, ne contient pas de virus vivant, 56 mais un brin d'ADN servant de support à la fabrication de l'enveloppe du virus (comme l'un des trois vaccins développé par l'armée américaine). « Cette piste est encourageante mais il n'existe à l'heure actuelle aucun vaccin fonctionnant de cette manière, note toutefois Étienne Simon-Lorière. Sans compter que plusieurs études ont montré que ce type de vaccin peut réagir avec d'autres virus, comme celui de la dengue, en l'aidant à infecter les cellules. » Selon l'OMS, une dizaine de laboratoires pharmaceutiques dans le monde travaillent actuellement au développement d'un vaccin. Quelle que soit l'issue de ces expériences, le vaccin choisi sera préventif et ne pourra donc pas être administré aux femmes enceintes qui sont les plus à risque. Comme redouté, le virus s'installe aux États-Unis L'arrivée du Zika sur le sol des États-Unis était malheureusement attendue. Cette semaine, les autorités sanitaires de Floride ont confirmé les premiers cas « autochtones », signifiant qu'un moustique a contaminé le malade sur son lieu de vie et non pas lors d'un déplacement à l'étranger. Selon le dernier décompte, 15 personnes ont été infectées dans cet État du sud des États-Unis, dont 12 dans le périmètre très restreint du quartier de Wynwood, à Miami. Le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) a émis pour la première fois de son histoire une restriction de voyage pour raison sanitaire sur le sol américain, en déconseillant aux femmes enceintes de se rendre dans cette partie de la ville. Les mesures pour contrôler la population de moustiques ont échoué, a reconnu le directeur des CDC, Tom Frieden. « C'est peut-être parce qu'ils sont résistants aux pesticides ou parce qu'ils ont des lieux de ponte difficiles à trouver. » Les espèces de moustiques capables de transmettre Zika (Aedes albopictus et aegypti) sont présentes dans tout le sud des États-Unis et sur une large partie de la moitié est. Arguant de leurs expériences passées avec la dengue et le chikungunya, les autorités ne craignent pourtant pas que les foyers épidémiques ne dépassent l'échelle locale. Des chimères bientôt créées en laboratoire ? Le Journal de Montréal avec AFP du 6 août 2016 Le gouvernement américain songe à lever le moratoire Le gouvernement américain pourrait bientôt débloquer des fonds pour financer la recherche associant des cellules souches humaines à des embryons animaux, une perspective qui soulève une multitude de questions éthiques et scientifiques. Le nom lui-même rappelle les plus grandes histoires de la mythologie, aux accents de science-fiction : c’est par le mot « chimère » que l’on désigne ces embryons animaux hybrides, comportant des cellules souches humaines. Ils ouvrent d’immenses perspectives médicales, depuis le traitement de maladies dégénératives jusqu’à la création d’organes destinés à des greffes... mais suscitent aussi des questions si profondes que les Instituts américains de santé (NIH), qui dépendent du ministère de la Santé, avaient placé il y a un an un moratoire sur ce type de travaux. Après avoir consulté chercheurs, biologistes et spécialistes du bien-être des animaux, le NIH se propose de lever ce moratoire, ouvrant la porte au financement public de ce type de recherches. Seraient alors autorisées les expériences « où des cellules humaines pourraient apporter soit une contribution substantielle soit une modification fonctionnelle substantielle au cerveau de l’animal », selon un communiqué. Le NIH a ouvert une période de 30 jours pour que spécialistes et grand public soumettent leurs commentaires en ligne. Après cette période, l’organisme décidera de lever ou non le moratoire. Les rencontres conduites depuis un an « ont démontré que, bien que créer des modèles chimériques comporte des défis importants, il existe un intérêt et un potentiel évidents derrière l’idée de produire 57 des modèles animaux avec des tissus humains ou des organes permettant d’étudier le développement humain, les pathologies et les greffes d’organe », explique le NIH. La recherche mêlant cellules humaines et animales n’est pas nouvelle. Depuis des décennies, les scientifiques greffent ainsi des tumeurs humaines sur des souris, et des valves cardiaques provenant de porcs sont fréquemment utilisées chez des patients. Mais ce nouveau projet ne laisse personne indifférent. « Imaginons que nous ayons des cochons dotés de cerveaux humains et qu’ils se demandent pourquoi on conduit des expériences sur eux. Ou que nous ayons des corps humains dotés de cerveaux animaux et que nous nous disions alors : “Eh bien, ils ne sont pas vraiment humains, nous pouvons les soumettre à des expériences et y cultiver des organes” », avance Stuart Newman, chercheur au New York Medical College. Même si la proposition du NIH n’implique pas pour l’instant de travailler à la création d’animaux dotés de cerveaux humains complets, « nous n’avons pas de lois dans ce pays permettant de l’empêcher », proclame-t-il. PERSONNALITÉS, FILMS ET OUVRAGES Procréation : quelles limites à la technique ? Le Blog de Jacques Testart du 26 juillet 2016 Les médias ont remarqué que le « Manifeste des 130 médecins » se présente comme un écho au « Manifeste des 343 salopes ». Notons cependant que les femmes demandaient en 1973 un droit fondamental pour toutes tandis que les médecins revendiquent le droit à un exercice corporatiste, et remarquons aussi que la perte de leur dignité, et parfois de leur peau, des premières n'équivaut pas au manque à gagner des seconds... La compassion affichée ne doit pas faire illusion : les signataires sont-ils tellement altruistes qu'ils prendraient le risque d'aller en prison (je dis ça pour rigoler) afin d'améliorer le sort de gens ordinaires ? Parmi eux, seuls quelques biologistes, directeurs salariés de laboratoires publics, ne peuvent pas être suspectés de bénéficier financièrement d'un accroissement de clientèle, ni par leurs revenus officiels ni par des versements plus discrets... Le conflit d'intérêts ne s'applique pas aux conquêtes sociales (comme c'était le cas pour le manifeste de 1973) mais il peut toujours être suspecté quand les plaideurs ne sont pas en souffrance et qu'ils exigent une amélioration de leurs avantages personnels. Sur RTL (18 mars), le gynécologue instigateur de la pétition expliquait que « les médecins qui ont signé sont devenus des plaques tournantes, qui renflouent un certain nombre d'équipes qui sont certes médicales, mais aussi en accès sur le marché ». Marre de recruter pour alimenter les autres ! Ouvrons le marché à la libre compétition ! Le risque de poursuites judiciaires pris par nos héros est faible puisqu'un sondage en ligne Harris/La Chaîne Parlementaire du 5 février indique que 57 % des français sont pour « la PMA » (mais seulement 39 % pour la GPA, un sujet évité par les signataires pour cause d'absence actuelle de consensus). Faut-il rappeler que je suis également pour « la PMA » si le sigle désigne, comme depuis 35 ans, l'assistance médicale à la procréation plutôt que de cibler comme aujourd'hui une de ses dérives qui est l'insémination artificielle des femmes seules ou lesbiennes... Merveille des sondages sur des sujets vidés de leur sens ! Comme le rappelle la presse quasi unanimement, la « colère » des professionnels serait justifiée par le fait que la « PMA pour tous » était une des promesses de campagne du candidat Hollande en 2012. Le projet a pourtant été écarté de la loi sur le mariage pour tous. Pourquoi notre Président aurait-il respecté cet engagement quand il bafoue presque tous les autres ?... La ministre de la famille avoue clairement l'opportunisme du gouvernement qui craint des mouvements de masse comme il est arrivé avec le mariage pour tous. 58 Alors, comme pour repasser la patate chaude, le projet a été confié au Comité national d'éthique, qui n'a toujours pas statué depuis janvier 2013. Reprenons de façon critique les quatre revendications que proclament ces médecins « au nom des femmes ». 1. Donner ses ovocytes Contrairement à ce qui est colporté un peu partout, le don d'ovocytes est autorisé en France, mais sa pratique est restreinte par le manque de volontaires, même si une disposition récente (octobre 2015) l'élargit aux femmes sans enfants pourvu qu'elles conservent, pour leur éventuel usage propre, une partie des ovocytes prélevés. Comment peut-on, comme font les signataires du manifeste, assimiler le don d'ovocytes au don du sperme ? Il faut comprendre que donner ses ovocytes comporte les mêmes épreuves que celles des patientes en FIV : bilans hormonal, gynécologique, sanitaire ; stimulation de l'ovulation avec injections hormonales, contrôles échographiques et sanguins ; prélèvement des gamètes... Un circuit que les patientes ont nommé « parcours du combattant », au cours duquel on prend 2 ou 3 kilos plus quelques risques (hyperstimulation, hémorragie, infection...) et où on perd beaucoup de liberté. Rien à voir avec la masturbation assistée par magasines ou vidéos pornos, petit plaisir sans péril et vite fait ! Donc, « il n'y a pas assez de donneuses » ! et cela durera tant qu'elles ne seront pas rétribuées car, contrairement à ce que dit le Manifeste, l'absence d'enthousiasme des donneuses potentielles n'est pas principalement un problème d'information. Ne pas croire qu'on s'en tirera avec un sandwich et un ticket de métro comme pour le don du sang ou du sperme ! Il faut le dire : l'enjeu est d'acheter des gamètes avec des centaines ou des milliers d'euros. Alors, le débat n'est pas de s'indigner quand la sécurité sociale accorde un dédommagement de 1 500 euros aux femmes qui vont à l'étranger pour obtenir des ovocytes (et y subir la FIV dans la foulée). Car la SS s'en tire bien, les coûts largement supérieurs des actes médicaux et des « services » étant dans ce cas à la charge de ces patientes. Le vrai débat est de savoir si on peut acheter des gamètes humains, ici ou ailleurs (l'euphémisme de l' « indemnisation » ne fait pas illusion), et s'il faut encourager ces épreuves liées au don rémunéré chez des femmes dans le besoin (la période économique semble favorable à l'esclavage), en prétendant éviter les « aspects mercantiles » qui font pourtant l'attrait des équipes étrangères enviées par le Manifeste... Quand un signataire du manifeste (M Grynberg de Bondy en Seine-Saint-Denis) évoque sur RTL l'« inégalité reproductive » entre hommes et femmes et se propose de l'annuler, il confond inégalité avec différence. La possibilité de porter un enfant est une autre différence (une « inégalité » au profit des femmes cette fois) que nos signataires pourraient vouloir abolir pas le même souci de symétrie dès qu'une solution technique sera disponible (utérus artificiel ou utérus greffé chez l'homme). 2. Conserver ses ovocytes Cette proposition du Collège national des gynécologues est ancienne (décembre 2014) et singulière puisqu'elle provient directement des professionnels plutôt que des femmes elles-mêmes, des demandeuses s'étant vite manifestées cependant. Affirmons que la plupart des femmes concernées n'auront nul besoin de recourir à leurs gamètes conservés, parce qu'elles enfanteront naturellement ou parce qu'elles ne voudront jamais d'enfant. Il s'agit donc d'une surmédicalisation par précaution... qui impose les mêmes servitudes et risques que le don d'ovocytes mais en multipliant les cycles de prélèvement pour maximiser les chances de succès différé. Car chaque ovocyte recueilli n'a que 3 % de chances, en moyenne, de devenir un enfant ce qui signifie qu'avec 3 cycles de prélèvementcongélation d'ovocytes (environ 25 ovocytes apparemment viables stockés) la probabilité ultérieure d'enfanter n'est pas acquise, et d'ailleurs elle ne le sera jamais quel que soit l'effectif de gamètes conservés ! La comparaison avec la conservation du sperme (qui se ferait n'importe où en France, ce que l'Agence de biomédecine devrait bien vérifier...) est très exagérée : outre les conditions différentes du recueil des gamètes évoquées plus haut, un seul éjaculat fournit assez de spermatozoïdes (des dizaines de millions) pour féconder potentiellement des dizaines de milliers d'ovules si on recourt à l'ICSI (injection d'un spermatozoïde directement dans l'ovule) après congélation des gamètes en lots indépendants de quelques spermatozoïdes. L'argument d'une baisse de fertilité féminine avec l'âge est exact mais il pourrait se retourner si les femmes, se croyant 59 garanties par le stockage de leurs gamètes, se mettaient à n'envisager la procréation qu'après 40 ans... En revanche, n'est pas évoquée la perspective de commercialiser ces gamètes congelés (qui peuvent voyager) ou d'éventuels embryons en résultant, hors de la déclaration obligatoire en cas de FIV immédiate. 3. Se faire inséminer Le Manifeste demande le droit à l'insémination artificielle pour toutes les femmes, en particulier les femmes seules, hétéros ou lesbiennes. L'argument avancé du droit à l'adoption par ces mêmes personnes cache la technologie qui permettrait ici de créer une famille, vœu parfaitement légitime tant qu'il n'implique que les géniteurs. Deux réalités s'opposent pourtant à cette technologie. D'abord, elle ne devrait pas relever de l'assistance médicale puisque le dépôt de sperme dans le vagin (si le donneur est normalement fertile, l'insémination intra utérine n'est pas nécessaire) est un acte d'une simplicité élémentaire. Plus compliquée est la recherche d'un donneur mais il est clair que l'institution médicale n'est plus dans son rôle en agissant comme agence matrimoniale. C'est pourquoi il faudrait se suffire de l'aide conviviale à la procréation, à l'image de ce que réalisent depuis un demi-siècle les lesbiennes américaines, la communauté venant assister la demandeuse si elle ne peut pas assurer seule les actions nécessaires. Dans cette configuration, l'anonymat du futur père n'est plus qu'une option, ce qui n'est pas le cas dans le circuit institutionnel. Et c'est la seconde raison de s'opposer à la proposition du Manifeste qui ratifie, sans même l'évoquer, la pratique vétérinaire des banques de sperme françaises qui recourent à « l'appariement de couples reproducteurs », selon leur propre expression. Ainsi, les donneurs volontaires sont d'abord sélectionnés selon des critères qui demeurent obscurs et chacun des élus au don du sperme est secrètement apparié avec une femme demandeuse dans le but d'éviter le cumul de facteurs de risques identiques, ces facteurs demeurant également obscurs. L'ensemble du protocole bancaire, financièrement assuré par la sécurité sociale, est assorti d'une impossibilité pour l'enfant né de ces œuvres eugéniques de connaître l'identité de son père génétique, une obligation qui nourrit les divans des psychanalystes. Faut-il élargir le champ de telles pratiques ou les réformer ? 4. Trier ses embryons Le Manifeste demande que le DPI (diagnostic préimplantatoire) d'une caractéristique de l'ADN (en général un gène muté) soit complémenté par le caryotype (nombre et aspect des chromosomes) de la cellule analysée. Dans un souci d'encadrer les dérives du DPI, j'avais moi-même proposé, dès 1999, que puisse être pratiqué le caryotype de l'embryon déjà soumis à la recherche d'une mutation, mais cette ouverture était conditionnée par la limitation définitive du diagnostic ADN à une seule mutation pour tous les embryons d'un même couple « à risque ». Pour les signataires du Manifeste, il s'agit plutôt d'un pas supplémentaire vers l'élimination de toutes les déviations par rapport à l'humain « normal ». Ce qui freine actuellement ce projet c'est le nombre trop faible d'embryons obtenus et les épreuves subies par les femmes pour obtenir ces embryons. Il faut bien comprendre l'engagement eugénique avec la montée des exigences de « normalité » si on admet cette évidence que ce qui vient de s'avérer possible pour la souris le deviendra pour l'espèce humaine : la fabrication de quantités énormes d'embryons à partir de cellules banales, et ainsi la possibilité d'un « screening » intégral (analyse du génome entier) tout en débarrassant les géniteurs inquiets du parcours du combattant de la FIV actuelle puisque les femmes ne seront plus soumises aux contraintes gynécologiques (injections hormonales, examens sanguins, échographies, prélèvements ovariens,...). Fantasmes ! rétorquent les gynécologues qui ne lisent pas les revues scientifiques... Mais il existe aussi des raisons déjà objectives de douter de la fiabilité du caryotype embryonnaire. Si toutes les cellules d'un embryon sont supposées posséder les mêmes gènes (ce qui justifie que l'analyse d'une seule cellule par le DPI permet de porter un diagnostic d'anomalie génique), il semble que le caryotype des mêmes cellules soit hétérogène. Dans une étude récente (Nature, mars 2016), il est montré chez la souris que les cellules au caryotype anormal sont le plus souvent éliminées au cours du développement embryonnaire, soutenant ainsi nos observations anciennes 60 portant sur les anomalies morphologiques de l'embryon humain, lesquelles sont largement en évolution au cours des 2 ou 3 jours de culture in vitro. Si une bonne moitié des embryons humains sont chromosomiquement anormaux, il ne s'ensuit pas qu'ils conduisent à des enfants anormaux pourvu que des cellules normales soient présentes pour assurer une auto régulation, hypothèse qui relativise la pertinence du diagnostic chromosomique chez tous les embryons. Par ailleurs, l'argument avancé d'une incohérence législative actuelle « puisqu’une femme enceinte peut bénéficier d’un dépistage anténatal » est donc à réexaminer d'un point de vue scientifique (contrairement au jeune embryon le fœtus semble composé de cellules génétiquement identiques) mais il est aussi malhonnête. En effet, l'issue du DPI est incomparablement moins dramatique pour la patiente que l'issue d'un DPN (diagnostic prénatal) si ce dernier doit conduire à une interruption médicale de grossesse (IMG) au prix d'épreuves physiques et psychologiques, et pour laisser un ventre vide d'espoir pour une longue durée. Au contraire, le DPI, qui est bien autre chose qu'un DPN précoce, autorise presque toujours le transfert immédiat dans l'utérus d'un embryon indemne de la pathologie recherchée, il ne retarde pas la procréation et n'engage aucune épreuve supplémentaire à la FIV pour les patientes. Pourquoi alors faudrait-il s'en priver ? Cette escalade, à la recherche impossible de « bébés parfaits », devrait nous conduire à ce qu'aucun enfant ne soit conçu hors des laboratoires, une procréation savante et indolore grâce à la FIV-DPI pour tous (voir Faire des enfants demain, Seuil, 2014). Je remarque que les médecins qui prétendaient en 1986 que l'analyse génétique des embryons de FIV était définitivement impossible, et donc que mes craintes de l'eugénisme (L'œuf transparent, Flammarion, 1986) étaient « absurdes » revendiquent depuis 15 ans l'élargissement progressif de ces analyses rendues effectives avec le DPI ? C'est qu'ils ne redoutent aucunement la sélection humaine dès lors qu'elle est supposée empêcher des handicaps et qu'elle est pratiquée à la demande des parents. Reste à savoir ce qu'est un handicap (relire Canguilhem) et ce que la demande parentale doit aux pressions normalisatrices de la société productiviste (relire Illich, Ellul, Gorz...). Reste à vérifier ce que serait une société d'intolérance, édifiée sur le libéralisme eugénique, où les êtres différents seraient encore plus ostracisés qu'aujourd'hui puisque l'évitement de leur naissance était supposé possible. En conclusion Ce manifeste néglige les charges financières qui incomberaient à la société pour les exigences avancées. En passant d'une logique de soins à une logique d'intervention « sociétale », on impose en effet à la Sécurité Sociale de rembourser de nouveaux frais (congélation/conservation d'ovules, AMP pour de nouvelles catégories de patientes, multiplication des contrôles sur les embryons...). Mais là n'est pas l'essentiel et il est navrant que le Manifeste soit présenté par les journalistes qui l'ont fait connaître comme une « initiative éthique et médicale inédite, un geste civique et politique majeur »... (Le Monde, 18 mars 2016). On peut y voir plutôt, sous le poids de frustrations compréhensibles, la revendication de professionnels pour obtenir le droit de faire ce qui se réalise ailleurs. Cette litanie pour un alignement sur l'offre la plus libérale nous éloigne des limites que devrait toujours poser la bioéthique. Le « plan contre l'infertilité » proposé est le marronnier dans le jardin de la technologie triomphante. Bien sûr, la prévention, la lutte contre les addictions et les pollutions seraient des mesures bienvenues mais qu'attendent ces médecins pour exiger l'interdiction des pesticides, des perturbateurs endocriniens dont les effets dramatiques ne font que commencer ? Restent les deux « principes éthiques » qui justifieraient le Manifeste. La non commercialisation du corps humain comme l'interdiction d'aliéner « une autre personne adulte ou enfant » sont pourtant mises à mal par l'incitation à délivrer des ovocytes pour le marché procréatif comme par la fabrication d'enfants au profil calibré et privés de racines génétiques ... Encore une fois, je suis amené à tenir le rôle du vilain petit canard. Quasiment seul à côté d'une troupe d'intégristes catholiques, je critique les exigences des bons docteurs qui prennent les femmes et les homos en otages pour accroître leurs pouvoirs. Deux choses me peinent en cette affaire : la confusion fréquente entre mes positions et celles de certains réactionnaires d'une part, et l'hébétude de ceux 61 dont je suis le plus proche dans la vraie vie d'autre part. Gauchiste athée depuis le début, je suis attristé de la perte de repères humanistes qui fait prendre aux gens de gauche, ou aux écolos, les vessies de l'aliénation à la biomédecine pour les lanternes résistantes des Lumières. Vers la « neuroligion » Le Monde du 3 août 2016 par Lionel Naccache* Pourquoi le XXIème siècle est-il religieux ? Les neurosciences en révolution vont-elles nous fournir la clé des phénomènes religieux ? Peut-être, à condition de ne pas réduire la foi aux systèmes cérébraux L’une des spécificités de notre temps tient aux résurgences du fait religieux et des aspirations spirituelles. Ce regain puise aussi bien dans les religions occidentales traditionnelles que dans les spiritualités extrême-orientales et il prend également des formes inédites telles que les mouvements New Age, le néopaganisme, ou les « spiritualités laïques » qui n’en finissent plus de faire la « une » des magazines. Les revendications portées par tous ces courants permettent d’éprouver le « sentiment océanique » qui, selon Romain Rolland, est à la source de toute expérience religieuse. Ce phénomène polymorphe soulève une question essentielle : le retour du religieux correspond-il à une déferlante d’irrationalité, ou est-il possible de l’envisager comme l’expression renouvelée d’une dimension de la condition humaine qui n’interdit pas l’usage de la raison ? Afin d’aborder cette énigme, nous pouvons convoquer un champ de connaissance récent : celui des neurosciences de la cognition et nous demander comment l’étude du fonctionnement cérébral permet de produire un discours explicatif du fait religieux. Tel est le projet de ce que l’on pourrait baptiser à l’aide du mot-valise « neuroligion ». Aussitôt nommée, la neuroligion appelle des commentaires. Tout d’abord, son exercice adéquat doit naviguer à bonne distance des écueils idéologiques. La neuroligion fait pourtant déjà l’objet d’instrumentalisations religieuses pseudoscientifiques, conduites à visée prosélyte, qui ciblent les individus victimes d’une « crise de foi ». A l’autre extrémité, il faut mentionner le risque opposé qui consiste à utiliser la neuroligion comme une arme de combat scientiste contre la dimension spirituelle ou religieuse. Il me semble utile de rappeler que les résultats de la neuroligion influenceront certainement les contenus des croyances religieuses, sans pour autant probablement les disqualifier. L’histoire des relations entre science et religion est à ce titre éclairant : les travaux de Galilée, Harvey, Darwin, Claude Bernard, Einstein ou la découverte de l’ADN ont évidemment bouleversé de nombreux contenus de croyances religieuses. Mais ils n’ont pas annulé la posture d’adhésion à une tradition spirituelle. Les sciences religieuses n’échappent pas à ce constat. On compte parmi les experts contemporains de l’histoire très humaine de la rédaction des manuscrits religieux « révélés » (Torah, Evangiles, Coran, etc.) des érudits dont les propres travaux n’entrent pas en contradiction avec leurs croyances spirituelles. Ici comme partout ailleurs, l’expérience de la connaissance permet, non pas de s’affranchir illusoirement de notre condition d’hominidés croyants, quelles que soient les croyances en question, religieuses ou non, mais plutôt d’apprendre à les modifier et à ne pas les prendre pour ce qu’elles ne sont pas. Lien avec les sciences humaines D’autre part, la neuroligion impose une interdisciplinarité entre sciences du cerveau et sciences humaines. L’interdisciplinarité est un exercice périlleux, mais elle est ici inévitable pour une raison fort simple : l’expérience religieuse n’est pas un phénomène qui se joue dans l’intimité d’un cerveau isolé dans un bocal, mais plutôt une dynamique interindividuelle qui implique certes le 62 fonctionnement cérébral de ses acteurs, mais s’inscrit également dans une histoire et un corps social. Ainsi, vers la fin du XIXème siècle, le neurologue britannique Hughlings Jackson découvre l’existence de crises d’épilepsie qui affectent une région spécifique du cerveau, le lobe temporal. Or les manifestations de ce dernier correspondent à des hallucinations psychiques, des expériences de « déjà vécu », et parfois des expériences mystiques avec un sentiment d’extase religieuse. Vers le milieu du XXème siècle, le neurochirurgien canadien Wilder Penfield démontre que la stimulation électrique de cette région cérébrale peut causer ces expériences subjectives singulières. Au cours des années 1970, le neurologue américain Norman Geschwind définit chez des patients souffrant d’une épilepsie temporale un syndrome clinique caractérisé par une hypergraphie [envie irrésistible d’écrire], des perturbations sexuelles et surtout une tendance accrue à la religiosité, même lorsqu’ils ne sont pas en train de faire l’expérience d’une crise d’épilepsie. La conjugaison de ces observations décisives a aussitôt conduit à formuler une ébauche théorique générale de la religion. Les grands mystiques étaient atteints d’une épilepsie temporale, et leurs expériences ont forgé les grandes traditions spirituelles. La messe était dite. La conclusion semble toutefois un peu hâtive, car la théorie n’explique guère le passage entre une expérience individuelle dont le contenu est d’ailleurs lui-même contraint par le vécu culturel prémorbide du patient, et l’élaboration puis le développement de spiritualités qui engagent des millions d’individus à travers plusieurs millénaires. L’insuffisance explicative du seul chaînon cérébral peut se vérifier quotidiennement en suivant un neurologue ou un psychiatre et en notant que l’immense majorité des patients épileptiques en proie à des crises mystiques ou des malades psychotiques qui vivent des délires à thématique religieuse n’ont pas d’influence évidente sur les traditions religieuses. Autrement dit, l’identification d’un facteur cérébral individuel, potentiellement impliqué dans certains phénomènes religieux, impose de le conjuguer à tous les autres niveaux d’organisation supra-individuels étudiés par les sciences humaines, comme la psychologie, la sociologie, la philosophie, etc. Territoires du chaînon cérébral La neuroligion pourra investir trois territoires aux frontières floues : celui des contenus explicites des traditions religieuses (croyances, conduites, éthique, valeurs) ; celui des états mentaux spirituels ; et celui des pratiques et des rites religieux. Jusqu’à présent, l’essentiel des travaux de neuroligion vise le niveau des « états mentaux religieux » en explorant les bases cérébrales de la méditation, de la prière, ou des états de transe. Les travaux sur les expériences mystiques observées dans l’épilepsie temporale, évoqués plus haut, appartiennent à ce registre, tout comme ceux qui sont consacrés aux phénomènes de sortie de corps, de psycho-pharmacologie (traditions chamaniques) et d’expériences de mort imminente. La neuroligion des contenus explicites des traditions religieuses est plus difficile à conduire car l’objet d’étude est ici moins délimité dans le temps et l’espace que ne le sont les expériences spirituelles individuelles. L’exercice requiert une prise en compte rigoureuse et attentive de ces contenus. Ainsi, la notion centrale de croyance en Dieu est en réalité fort variable d’une tradition à l’autre, voire d’un courant spirituel à un autre au sein d’une même religion. A titre d’exemple – qui m’est familier –, le judaïsme semble conduire un exercice de déconstruction des risques propres aux croyances subjectives. Les interdits d’idolâtrie et de représentation du divin formulés dans la Torah, ainsi que leurs prolongements talmudiques, n’ont de cesse de souligner les dévoiements projectifs et asservissants propres au concept de croyance, lui substituant celui de confiance. Le juif talmudique s’applique ainsi patiemment à respecter une loi, et à croire en quelque chose qu’il ne nomme pas (Dieu est appelé « Le Nom »), et au sujet duquel il s’interdit, dans le même temps, de croire tout ce qu’il pourrait être amené à croire à son sujet. Au-delà de cet exemple isolé et contre-intuitif, il importe de ne pas réduire la variété et la complexité des différentes traditions spirituelles humaines à un concept appauvri et indifférencié qui reflète en général l’ignorance du phénomène étudié. Enfin, les pratiques et les rites religieux me semblent un formidable terreau d’étude pour la neuroligion du fait qu’ils ont été forgés, sélectionnés et transformés au fil du temps, et qu’ils 63 correspondent aux traductions tangibles de l’engagement religieux dans la vie quotidienne et incarnée des individus. La neuroligion des rites conduit à identifier le risque d’authentique aliénation mentale auxquels ils exposent, mais permet également d’en extraire une propriété qui explique peut-être leur longévité. L’ancrage d’idées ou de valeurs dans des actions ritualisées met en résonance plusieurs systèmes cérébraux spécialisés et plusieurs types de mémoires distinctes, mémoire consciente épisodique et mémoire sémantique, mais également mémoires gestuelles procédurales, mémoires sensorielles diverses, mémoires conditionnées. Cette polyphonie médiée par le rite assure sans doute des fonctions d’assise identitaire, et facilite la transmission sociale de cette identité. La neuroligion des rites sera d’autant plus profitable que ces derniers jouent un rôle central bien audelà de la sphère religieuse, dans la structuration de communautés humaines telles que l’école ou l’univers de l’entreprise. Bref, la neuroligion se devra d’être interdisciplinaire et rigoureuse, ou ne sera pas ! *Lionel Naccache est neurologue, professeur à Paris-VI, directeur d’une équipe de recherche à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Pitié-Salpêtrière, Paris), et membre du Comité consultatif national d’éthique. Il est notamment l’auteur de Quatre exercices de pensée juive pour cerveaux réfléchis : Le Judaïsme à la lumière des neurosciences (In Press, 2003), d’Un sujet en soi (Odile Jacob, 2013) de L’Homme réseau-nable (Odile Jacob, 2015). Cet article a été écrit avant l’attentat de Nice. Une clause de conscience pour les pharmaciens Causeur du 1er août 2016 par Claire de la Hougue* Comme les médecins, les pharmaciens devraient disposer de la liberté de conscience, notamment lorsqu'ils refusent de porter atteinte à la vie humaine. Alors que le Conseil de l’ordre des pharmaciens étudie un projet de refonte du code de déontologie de la profession, une polémique inattendue a surgi au sujet de la possible introduction d’une clause de conscience pour les pharmaciens. En effet, contrairement aux autres professionnels de santé, les pharmaciens ne bénéficient actuellement d’aucun droit à l’objection de conscience. En principe, l’objection de conscience ne devrait pas avoir de raison d’être revendiquée dans le domaine médical ou pharmaceutique : le but des professions de santé est de soigner et nul médecin ni pharmacien ne peut, en conscience, refuser de soigner un malade. Cependant, le champ de l’activité des professions de santé s’est modifié ces dernières décennies, couvrant désormais des activités non thérapeutiques, comme la chirurgie esthétique, la contraception, la stérilisation, l’avortement et peut-être bientôt l’euthanasie. Le pharmacien, comme le médecin, peut donc maintenant être appelé à participer à un acte qui n’a pas pour but de soigner le patient, voire à un acte qui a pour but de mettre fin à une vie humaine, qu’elle soit commençante ou finissante. Comme les médecins ou les sages-femmes, les pharmaciens font serment d’exercer leur profession avec conscience et indépendance, dans le respect de la vie humaine. Le pharmacien, dans le serment de Galien, « jure (…) d’exercer, dans l’intérêt de la santé publique, [sa] profession avec conscience ». Le code de déontologie des pharmaciens souligne : « Le pharmacien exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine. Le pharmacien doit veiller à préserver la liberté de son jugement professionnel dans l’exercice de ses fonctions. Il ne peut aliéner son indépendance sous quelque forme que ce soit ». Le pharmacien engage sa responsabilité lorsqu’il délivre des médicaments. Il doit par exemple vérifier les risques de surdosage ou d’interaction entre 64 différents produits, même si ceux-ci ont été prescrits par un médecin. Une telle exigence implique nécessairement la possibilité de refuser de délivrer un médicament. Il est donc assez paradoxal, voire incohérent, de prétendre obliger le pharmacien à délivrer un produit qu’il juge inapproprié ou nocif pour le patient. Une situation identique à celle des médecins ou sages-femmes Lorsque l’avortement a été légalisé, seule la méthode chirurgicale existait, de sorte que les pharmaciens n’ont pas été expressément inclus dans le cadre de la protection. Celle-ci vise les professions médicales et les auxiliaires médicaux, or les pharmaciens n’appartiennent à aucune de ces deux catégories. Maintenant que l’avortement médicamenteux est fréquent (environ la moitié des cas), les pharmaciens sont directement impliqués dans l’acte qui met fin à une vie humaine. Ils peuvent donc se trouver confrontés à de véritables problèmes de conscience. Puisqu’ils doivent exercer leur profession en conscience et respecter la vie, la protection contre la participation forcée à un avortement devrait s’étendre à eux. Placés, comme les médecins ou les sages-femmes, dans une situation où ils peuvent être amenés à participer directement à un acte qui met fin à une vie humaine, ils ne bénéficient pas de la même protection. Ils sont donc victimes d’une discrimination. Dans les pays voisins, s’agissant d’actes qui portent atteinte à la vie humaine, la protection de la conscience de toute personne impliquée, y compris les pharmaciens, est assurée. L’avortement et l’euthanasie, lorsqu’ils sont admis, ne sont légaux que dans des conditions limitativement énumérées, et le droit à l’objection de conscience est toujours garanti. En effet, ces actes sont contraires au but de la médecine, ils constituent une exception à l’interdit de tuer. Ces actes étant étrangers aux buts des professions de santé, il n’est pas légitime de forcer les membres de ces professions à y concourir. Enfin, il faut souligner qu’alors que la liberté de conscience est reconnue, tant à l’échelle nationale qu’internationale, comme l’un des droits de l’homme les plus fondamentaux, il n’existe pas sur le plan juridique de droit à l’avortement ou à l’euthanasie, que ce soit au plan national ou international. En France, l’euthanasie reste illégale, tandis que l’avortement est une exception, pas un droit, la loi Veil était parfaitement explicite sur ce point. Aujourd’hui encore, le code de la santé publique commence par rappeler le principe du « respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », puis admet l’avortement comme une exception, uniquement dans les conditions prévues par la loi. Au plan international, aucun traité ne reconnaît l’avortement, ni encore moins l’euthanasie, comme des droits. La Cour européenne des droits de l’homme a toujours dit que la Convention européenne ne pouvait s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement, et que le droit à la vie ne pouvait inclure un droit de mourir. Il serait donc infondé de faire prévaloir une faculté qui peut être légale à titre d’exception sur un des droits les plus fondamentaux de l’homme, la liberté de conscience qui, selon la Cour européenne des droits de l’homme, constitue une des assises d’une société démocratique. *Docteur en droit et avocate au barreau de Strasbourg. Insémination post-mortem: les prémices d'une législation ? JuriTravail.com du 8 août 2016 par Delphine Huglo, avocate au Barreau de Paris 65 Dans le cadre de la procréation médicalement assistée, l'insémination post-mortem est interdite en France. Une décision du Conseil d'Etat remet en cause l'application des règles éthiques en France liées à cette interdiction. Insémination post-mortem : les prémices d’une législation ? L’insémination artificielle, effectuée pour la première fois avec succès sur l’homme en 1884, est un procédé médical utilisé dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA) et est accordée à un couple dont l’homme et la femme qui le composent sont "vivants, en âge de procréer et [consentent] préalablement [] à l’insémination" (1). L’insémination post-mortem, quant à elle, se produit postérieurement au décès du mari. Illégale en France, elle est autorisée dans d’autres pays européens tels que l’Espagne. En l’espèce, le Conseil d’État français en date du 31 mai 2016 a autorisé une femme à se voir transférer le sperme de son mari défunt en Espagne pour se faire inséminer. Quelles conséquences éthiques pouvons-nous craindre, considérant que le code de santé publique énonce que le décès d’un des membres du couple fait "obstacle" à l’insémination ? Qu’est-ce que la PMA ? La Procréation Médicalement Assistée (PMA) ou Assistance Médicale à la Procréation (AMP) est une technique médicale proposée aux personnes ayant des difficultés à procréer régie par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique et modifiée en 2011. Elle permet de palier certaines difficultés à concevoir, sans nécessairement traiter la cause de l’infertilité. En 2014, 25208 enfants sont nés grâce à cette méthode qui peut prendre diverses formes comme l’insémination artificielle, la fécondation in vitro, le don de sperme ou encore la micro-injection. Si les premières inséminations artificielles remontent au XIXème siècle, en France, le premier enfant conçu par fécondation in vitro est né en 1982. Depuis, les techniques de PMA ne cessent de s’améliorer avec une augmentation des taux de succès. En effet, nous n’avons pas la même perception de la conception qu’il y a 50 ans. Aujourd’hui, la femme décide d’avoir un enfant en arrêtant sa méthode contraceptive et si elle rencontre des difficultés à concevoir, elle va se tourner très rapidement vers des spécialistes. Indépendamment du changement des mentalités, il y a un réel problème de fertilité. L’âge d’une première grossesse chez la femme française est passé de 24 à 29 ans pour des raisons de carrière professionnelles notamment. Sachant que la fertilité commence à décroître à partir de 35 ans, le taux de fécondité se voit considérablement réduit. De plus, la stérilité masculine est également en cause avec 1 couple sur 2 venant consulter où le problème vient directement de l’homme. En effet, des études ont révélé une baisse de la qualité du sperme ainsi que de la qualité des spermatozoïdes (mobilité et morphologie) liées au facteur environnemental de notre mode de vie moderne. Cette répercussion sur la fertilité masculine est observable depuis l’utilisation de produits comme les pesticides, les solvants ménagers, certains médicaments ou les matières plastiques. Or l’homme est constamment exposé par l’air qu’il respire, l’eau qu’il boit ou la nourriture qu’il ingurgite et ce dès la grossesse dans les 3 premiers mois. Les couples font cependant toujours autant d’enfants qu’avant grâce à l’aide de la médecine mais ils sont plus difficiles à concevoir car les techniques utilisées n’agissent pas à la source de l’infertilité. Comment y accéder ? Pour accéder à la procréation médicalement assistée, il faut être un couple consentant vivant, hétérosexuel et en âge de procréer (2). Seuls les couples hétérosexuels chez lesquels une infertilité a été reconnue par un professionnel de santé peuvent avoir recours à la PMA en France. La femme quant à elle, doit être en âge de procréer. Pour accorder la PMA à un couple, le médecin peut avoir décelé une cause d’infertilité ou avoir simplement constaté l’absence de conception malgré des tentatives répétées sans contraception. Ne peuvent accéder à la PMA ni les célibataires ni un seul membre du couple. Ce refus d'étendre la PMA aux célibataires peut paraître surprenant car depuis la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personne de même sexe, il est 66 possible pour une femme d'adopter l'enfant de son conjoint. Or, cette enfant a forcément été conçue par PMA et de surcroît à l’étranger car non autorisé légalement en France. Le législateur cautionne donc la pratique de la PMA à l'étranger par un célibataire, qu'il refuse de consacrer en droit interne, ce qui favorise le tourisme procréatif (3). Par ailleurs, lors de la loi 2013, on s'est demandé s'il ne fallait pas supprimer l'exigence de l'hétérosexualité. Encore aujourd'hui, la PMA est présentée comme un remède à une pathologie médicalement constatée. Si on l’accepte pour les couples de même sexe, on ne pourra plus subordonner la PMA à une pathologique médicalement constatée car ils ne sont pas malades mais uniquement pas sexuellement compatibles. Il aurait alors fallu modifier en profondeur le droit de la filiation qui est pour l'heure fondé sur l'altérité des sexes. Enfin, le couple doit être vivant, ainsi le décès d'un des membres du couple fait obstacle à l'insémination. Pris dans son sens large, celle-ci comprend l’insémination post-mortem de gamète mais aussi le transfert d'embryon post-mortem. La question a été très débattue lors de l'adoption de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, plus pour le transfert d'embryon post-mortem que pour l'insémination post-mortem car l'embryon existe déjà, les conséquences étant réelles et concrètes. Le législateur a maintenu cette condition car l'enfant a été totalement dissocié de l'embryon qui en est la source. L'intérêt de l'enfant prime sur celui des parents, il faut donc lui garantir une filiation crédible. La pratique de l’insémination post-mortem illégale en France Le législateur français s'est prononcé contre l'admission de l'insémination post mortem et du transfert d'embryons post mortem après un certain nombre de discussions autour de l'intérêt de l'enfant et de la mère, comme le rapporte les travaux du Comité consultatif national d'éthique (4). Du point de vue de l'enfant, celui-ci naîtrait privé de père de façon délibérément programmée. Situation bien différente de celles auxquelles l'enfant doit faire face a posteriori en cas de décès, de départ ou d'absence du père. Ces enfants risquent d'être confrontés à un manque et au sentiment d'être différent des autres. À cela s'ajoute le fait que sur l'enfant va peser le poids du deuil qui risque d'être source de difficultés psychologiques à l'égard des relations avec sa mère. Cela étant, sur ce point le Comité consultatif national d'éthique avait souhaité faire la différence entre l'insémination post-mortem et le transfert post-mortem d'embryon. En effet, s'agissant de l'insémination post-mortem, la fécondation n'a pas encore eu lieu, le projet d'enfant ne fait qu'émerger alors que pour le transfert d'embryon post mortem, la fécondation a bien eu lieu, a réussi, le projet parental est pleinement en marche. Pour le Comité consultatif national d'éthique la privation du père doit être mise en balance avec le respect de la volonté du couple de mener à bien son projet parental. C'est pourquoi, le Comité consultatif national d'éthique s'était prononcé pour l'autorisation du transfert post mortem en ce que celui-ci pouvait être poursuivi par la femme seule si l'homme avait formellement donné, avant son décès, son consentement à une telle éventualité (5). La position du CCNE n'a pas été suivie par le législateur. Mais autorisée exceptionnellement si l’insémination a lieu à l’étranger Exceptionnellement, le Conseil d'État a autorisé le 30 mai 2016, le transfert en Espagne, du sperme du mari défunt d'une femme en vue d'une insémination post-mortem. Ceci pouvant être perçu comme la suprématie des désirs individuels au détriment de l'intérêt de l'enfant. En l’espèce, Mme A. soutenait que le refus d’exportation des gamètes était contraire à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (convention EDH) qui garantit que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». En effet, en Espagne, l’insémination post-mortem au profit d’une veuve est autorisée dans les douze mois suivant le décès de son mari si celui-ci y a préalablement consenti. Alors qu’en France cela est tout bonnement interdit dès lors que le conjoint est décédé. Ce n'est pas la première fois qu’au sein de l’Union européenne une telle décision a vu le jour. En effet, une solution similaire avait déjà été envisagée dans une affaire Diane Blood /Chambres des Lords, février 1997. En l’espèce, une femme veuve souhaitait que les gamètes de son mari plongé dans le coma à la suite d’une 67 méningite, considéré comme décédé, soient transférés en Belgique afin de pouvoir y bénéficier d’une insémination post-mortem qui était à l’époque interdite en Grande-Bretagne. La juridiction britannique a autorisé ce transfert au nom du principe de droit communautaire, de libre prestation de service. De telles décisions exceptionnelles ne font pas tomber l'interdiction de l'insémination postmortem en vigueur dans les pays concernés mais relance vivement le débat. Rappelons enfin, qu’au sein de l’Union européenne, il n'existe pas de consensus en la matière. Il s'agit d'une question d'opinion publique où chaque État-membre est libre dans sa législation d'interdire ou d'autoriser l'insémination post-mortem. (1) art. L. 2141-2 du C. santé publique (2) Article L.2141-2 du code de la santé publique (3) Avis Cour Cass n° 15010 du 22 septembre 2014 (Demande n° 1470007) (4) et (5) CCNE, Avis no 113, La demande d'assistance médicale à la procréation après le décès de l'homme faisant partie du couple, 10 févr. 2011 Olivier Rey : « Le discours sur les droits de l'homme est devenu fou » Le Figaro du 5 août 2016 par Alexis Feertchak et Vincent Tremolet de VillersLe philosophe et mathématicien Olivier Rey* a accordé au FigaroVox un entretien fleuve. Nous surchargeons l'édifice social de tourelles sociétales et postmodernes au point qu'il risque de s'écrouler, explique-t-il. Quand Élisabeth Guigou défendait le PACS, elle jurait que celui-ci n'ouvrirait pas la voie au mariage et à l'adoption des couples homosexuels. Or, récemment, la ministre de la Famille a décidé d'abroger une circulaire qui interdisait aux gynécologues de conseiller à leurs patientes une insémination à l'étranger. Pensez-vous que le mariage pour tous engendrera mécaniquement la PMA et la GPA ? Concernant Élisabeth Guigou, il est difficile de savoir à quoi s'en tenir : elle a dit qu'elle était sincère au moment du PACS, avant d'évoluer en faveur du mariage. D'autres déclarations de sa part laissent cependant entendre que sa position en 1999 était essentiellement tactique. Les mêmes incertitudes se retrouvent aujourd'hui envers ceux qui ont affirmé que la loi Taubira n'impliquait rien concernant la PMA « pour toutes » ou la GPA. Ce qui est certain, c'est que les plus ardents promoteurs de cette loi visaient, à travers elle, un changement du droit de la famille et de la filiation. De ce point de vue, la Manif pour tous a eu un effet : par son ampleur elle a empêché, au moins provisoirement, la mise à feu du deuxième étage de la fusée. Pour l'heure, la démarche pour contourner les obstacles consiste à pratiquer le law shopping, c'est-àdire à se rendre dans certains pays qui permettent ce qui est interdit ici, puis à réclamer de retour en France une régularisation de la situation. Si le phénomène prend de l'importance, on accusera le droit français d'hypocrisie, et on le sommera d'autoriser ce que de toute façon il entérine après coup. On pourra même invoquer le principe d'égalité, en dénonçant un « droit à l'enfant » à deux vitesses, entre ceux qui ont les moyens de recourir au « tourisme procréatif » et les autres. La plupart des acteurs politiques qui souhaitaient revenir sur le mariage pour tous ont fait machine arrière. Diriez-vous que les lois sociétales sont irréversibles ? Cela dépend de l'échelle de temps à laquelle on se place. À court terme, le mouvement semble irréversible. À plus long terme, il est difficile de se prononcer. Depuis plusieurs décennies, nous 68 surchargeons l'édifice social et juridique de tourelles postmodernes par-ci, d'encorbellements rococos par-là, sans nous préoccuper des murs porteurs qui n'ont pas été prévus pour ce genre de superstructures, et qui donnent d'inquiétant signes de faiblesse. Si les murs finissent par s'ébouler, toutes ces « avancées » dont on s'enchante aujourd'hui s'écrouleront. Nous sommes entrés dans une période de grandes turbulences, dont nous ne vivons pour l'instant que les prodromes. Nous aurons à faire face au cours de ce siècle à de gigantesques difficultés écologiques, économiques, migratoires. Le « jour du dépassement », c'est-à-dire le jour où les ressources renouvelables de la terre pour l'année en cours ont été consommées, arrive toujours plus tôt - en 2016, dans la première quinzaine d'août. Autrement dit, notre richesse actuelle est fictive, elle est celle d'un surendetté avant la banqueroute. Lorsque les diversions ne seront plus possibles, nous nous rappellerons avec incrédulité que dans les années 2010, la grande urgence était le mariage pour tous. Cela paraîtra emblématique de l'irresponsabilité de ce temps. En fait, la polarisation sur les questions « sociétales » est une façon de fuir la réalité : se battre pour la PMA pour toutes ou la GPA, c'est aussi éviter de penser à ce à quoi nous avons à faire face. N'est-on pas aujourd'hui dans une extension infinie des « droits à » comme le « droit à l'enfant »? Cela ne risque-t-il pas d'enfreindre des libertés fondamentales comme les « droits de l'enfant »? Le discours des droits est devenu fou. Historiquement, l'élaboration de la notion de droits de l'homme est liée au développement des doctrines de contrat social, selon lesquelles, dans un « état de nature », les humains vivaient isolés, avant que les uns et les autres ne passent contrat pour former une société. Dans l'opération, les individus ont beaucoup à gagner : tout ce que l'union des forces et des talents permet. Ils ont aussi à perdre : ils doivent abdiquer une partie de leur liberté pour se plier aux règles communes. Qu'est-ce que les droits de l'homme ? Les garanties que prennent les individus vis-à-vis de la société pour être assurés de ne pas trop perdre de cette liberté. Garanties d'autant plus nécessaires que les pouvoirs anciens, aussi impérieux fussent-ils, étaient plus ou moins tenus de respecter les principes religieux ou traditionnels dont ils tiraient leur légitimité. À partir du moment où l'ordre social se trouve délié de tels principes, il n'y a potentiellement plus de limites à l'exercice du pouvoir : à moins, précisément, qu'un certain nombre de droits fondamentaux soient réputés inaliénables. Comme l'a dit Bergson, chaque phrase de la Déclaration des droits de l'homme est là pour prévenir un abus de pouvoir. Depuis, la situation a connu un retournement spectaculaire. Les droits de l'homme, de cadre institutionnel et de sauvegarde des libertés individuelles face à d'éventuels empiètements de l'État, sont devenus sources d'une multitude de revendications adressées par les citoyens à la puissance publique, mise en demeure de les satisfaire. La Déclaration d'indépendance américaine cite trois droits fondamentaux : le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à poursuivre le bonheur. Mais aujourd'hui, ce dernier droit est compris par certains comme droit au bonheur. Dès lors, si quelqu'un, par exemple, estime indispensable à son bonheur d'avoir un enfant, alors avoir un enfant devient à son tour un droit, et tout doit être mis en œuvre pour y répondre. Au point où nous en sommes, la seule limite à laquelle se heurte l'inflation des droits tient aux conflits que leur multiplication entraîne. Par exemple : l'antagonisme entre le droit à l'enfant et les droits de l'enfant. C'est ainsi qu'au Royaume-Uni, il n'y a plus d'anonymat du donneur masculin pour les PMA, parce que les moyens mis en œuvre pour l'exercice du droit à l'enfant doivent respecter le droit de l'enfant à connaître ses origines. C'est la bataille des droits. Comment définir la limite entre le droit de poursuivre le bonheur et celui de l'avoir, entre les actions individuelles et l'intervention de la société et de l'État ? Prenons l'exemple du droit qu'il y aurait, pour une femme seule ou pour deux femmes, d'aller à l'hôpital pour concevoir par PMA. Il ne s'agit pas d'obtenir de l'État la levée d'un interdit (la loi n'interdit à personne d'avoir un enfant), mais d'exiger de lui qu'il fournisse gratuitement à toute femme qui en fera la demande une semence masculine, qu'il se sera préalablement chargé de 69 collecter en vérifiant sa qualité, et dont il aura effacé la provenance. Pourquoi fournirait-il un tel service ? Pourquoi se substituerait-il à l'homme manquant ? Pour des raisons médicales - comme le M de PMA le laisse entendre ? Mais où est l'infirmité à pallier, la maladie à soigner ? Ce mésusage du mot « médical » va de pair avec les emballements qu'on observe dans le discours des droits. Dans le préambule à sa Constitution, adoptée en 1946, l'Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Comme de plus « la possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain », on voit qu'une infinité de droits peuvent se réclamer d'un droit à la santé ainsi compris. En particulier, un droit à tout type d'« augmentation » et de procréation, dès lors que quiconque estime cette augmentation ou ce type de procréation, nécessaires à son bien-être. À propos de la procréation techniquement assistée, il faut aussi tenir compte d'un fait : cette intervention technique autorise les diagnostics préimplantatoires et rend envisageable la sélection d'un nombre croissant de caractères, qu'on voit mal certaines cliniques privées, dans des États accueillants, se priver de proposer. Dès lors, ceux qui conçoivent des enfants à l'ancienne pourront se sentir désavantagés par rapport à ceux qui recourent à ces procédés, et seront tentés eux-mêmes de les adopter. On voit le paradoxe : la modernité était habitée par un idéal de liberté de la personne. Mais la liberté devient un leurre quand chaque fonction vitale suppose, pour être remplie, l'allégeance à un système économico-technique hégémonique. C'est au tour de la procréation, demeurée scandaleusement sexuelle et artisanale jusqu'à aujourd'hui, d'être prise dans le mouvement. Il est possible d'acheter des enfants sur catalogue dans certains États en choisissant leurs prédispositions génétiques, comme la couleur de leurs yeux. En matière de progrès technique et sociétal, diriez-vous comme Einstein qu'il y a « profusion des moyens et confusion des fins »? Je pense à une chanson des Sex Pistols, ce groupe de punk anglais des années 1970. Dans Anarchy in the UK, le chanteur Johnny Rotten hurlait: « I don't know what I want, but I know how to get it » (« Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir »). Ça me semble emblématique de notre époque. Nous ne cessons de multiplier et de perfectionner les moyens mais, en cours de route, nous perdons de vue les fins qui mériteraient d'être poursuivies. Comme le dit le pape dans sa dernière encyclique, « nous possédons trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques ». Cette absorption des fins dans le déploiement des moyens des fins est favorisée par l'esprit technicien, qui cherche à perfectionner les dispositifs pour eux-mêmes, quels que soient leurs usages, une division du travail poussée à l'extrême, qui permet d'augmenter la productivité, et le règne de l'argent, qui fournit un équivalent universel et permet de tout échanger. Plus le travail est divisé, plus le lien entre ce travail et la satisfaction des besoins de la personne qui l'accomplit se distend. On ne travaille plus tant pour se nourrir, se loger, élever ses enfants etc. que pour gagner de l'argent. Cet argent permet certes ensuite d'obtenir nourriture, logement etc., mais, en lui-même, il est sans finalité spécifiée. C'est pourquoi, au fur et à mesure que la place de l'argent s'accroît, on désapprend à réfléchir sur les fins : « Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l'obtenir » - par de l'argent. Il ne s'agit pas de critiquer la technique, la division du travail ou l'argent en tant que tels, mais de se rendre compte qu'il existe des seuils, au-delà desquels les moyens qui servaient l'épanouissement et la fructification des êtres humains se mettent à leur nuire, en rétrécissant l'horizon qu'ils étaient censés agrandir. Le langage commun dit « on n'arrête pas le progrès ». Est-ce vrai ? Ce que désigne ici le mot progrès est le développement technique. Dans un régime capitaliste et libéral, orienté vers le profit, l'appât du gain ne cesse de stimuler ce développement, qu'on appelle désormais « innovation ». Réciproquement, toute technique susceptible de rapporter de l'argent sera mise en œuvre. On pourrait penser que les comités d'éthique contrecarrent le mouvement. Tel n'est 70 pas le cas. Jacques Testart (biologiste ayant permis la naissance du premier « bébé éprouvette » en France, en 1982, et devenu depuis « critique de science », ndlr) considère que « la fonction de l'éthique institutionnelle est d'habituer les gens aux développements technologiques pour les amener à désirer bientôt ce dont ils ont peur aujourd'hui ». Ces comités sont là pour persuader l'opinion que les « responsables » se soucient d'éthique, et ainsi désarmer ses préventions. Quand une nouvelle technique transgressive se présente, le comité s'y oppose mais, en contrepartie, avalise d'autres techniques un tout petit peu moins nouvelles ou un tout petit peu moins transgressives. Finalement, les comités d'éthique n'arrêtent pratiquement rien, ils se contentent de mettre un peu de viscosité dans les rouages. Ils ont un rôle de temporisation et d'acclimatation. Dans le domaine environnemental, il y a aujourd'hui une certaine prise de conscience. Pourquoi cette prise de conscience dans le domaine écologique n'est-elle pas étendue au domaine sociétal ? Le lien entre la destruction des milieux naturels et certaines actions humaines est flagrant, ou à tout le moins facile à établir. En ce qui concerne la vie sociale, beaucoup s'accorderont à penser que la situation se dégrade, mais les causes de cette dégradation sont multiples et les démêler les unes des autres est une entreprise ardue. Les initiatives « sociétales » jouent certainement un rôle, mais compliqué à évaluer, d'autant plus que leurs conséquences peuvent s'amplifier au fil des générations et, de ce fait, demander du temps pour se manifester pleinement. Dans ces conditions, il est difficile de prouver les effets néfastes d'une loi et, y parviendrait-on, difficile également de faire machine arrière alors que les mœurs ont changé. En matière d'environnement, la France a inscrit dans sa constitution un principe de précaution : lorsqu'un dommage, quoiqu’incertain dans l'état des connaissances, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités doivent évaluer les risques et prendre des mesures pour prévenir ce dommage. Ce principe, sitôt adopté, a été détourné de son sens : on l'invoque à tort et à travers pour de simples mesures de prudence - ce qui permet de ne pas l'appliquer là où il devrait l'être. (On parle du principe de précaution pour recommander l'installation d'une alarme sur les piscines privées, mais on oublie son existence au moment de légiférer sur les pesticides ou les perturbateurs endocriniens qui dérèglent et stérilisent la nature.) L'expression « principe de précaution » mériterait de voir son usage restreint aux cas qui le méritent vraiment. En même temps, cet usage devrait être étendu aux mesures « sociétales », dont les effets sur le milieu humain peuvent être graves et irréversibles. La charge de la preuve doit incomber à ceux qui veulent le changement, non à ceux qui s'en inquiètent. On parle de plus en plus souvent du clivage entre le « peuple » et les « élites ». Qui est à l'origine des lois sociétales ? Est-ce la société dans son ensemble, le droit ne faisant que s'adapter, ou sont-ce au contraire les « élites » qui tentent de changer celle-ci par le truchement du droit ? Je suis réservé à l'égard des partages binaires de l'humanité. Par ailleurs, il me semble que le problème central aujourd'hui tient moins à l'existence d'élites qu'au fait que les prétendues élites n'en sont pas. Je veux dire que certaines personnes occupent des places en vue ou privilégiées. Mais il suffit de les écouter parler ou d'observer leur comportement pour comprendre qu'elles constituent peut-être une caste, mais certainement pas une élite ! Le risque aussi, à opposer frontalement « peuple » et « élites », est d'exonérer trop vite le peuple de maux auquel il collabore. Par exemple, les électeurs s'indignent à juste titre que ceux qu'ils élisent trahissent leurs promesses. Mais quelqu'un qui serait à la fois sensé et sincère serait-il élu ? La vérité est que nous sommes tous engagés dans un gigantesque processus de planétarisation (je préfère ce terme à celui de mondialisation, car ce vers quoi nous allons n'a aucune des qualités d'ordre et d'harmonie que les Romains reconnaissaient au mundus, traduction latine du grec cosmos). S'il y avait un partage pertinent de la population à opérer, ce serait peut-être celui-ci : d'un côté les ravis de la planétarisation - en partie pour le bénéfice qu'ils en tirent à court terme, en partie par aveuglement ; 71 de l'autre les détracteurs de la planétarisation - en partie parce qu'ils en font les frais, en partie parce qu'ils voudraient que la possibilité de mener une vie authentiquement humaine sur cette terre soit sauvegardée. Il est indéniable que ce qu'on appelle aujourd'hui l'élite compte presque exclusivement des ravis de la planétarisation. Cela étant, ces soi-disant dirigeants dirigent très peu : leur rôle est d'accompagner le mouvement, de le favoriser, d'y adapter la société. C'est le sens, par exemple, du « En Marche ! » d'Emmanuel Macron. En marche vers quoi ? Peu importe, l'important est d'« aller de l'avant », même si cela suppose d'accentuer encore les ravages. Les lois sociétales participent de ce « marchisme ». Par exemple, la famille à l'ancienne est un des derniers lieux de résistance au mouvement de contractualisation généralisée. Tout ce qui peut la démantibuler est donc bon à prendre, « va dans le bon sens ». D'où est venu ce processus ? Pourrait-il s'arrêter un jour ? On décrit souvent la modernité comme un passage de l'hétéronomie - les hommes se placent sous l'autorité de la religion et de la tradition -, à l'autonomie - les hommes se reconnaissent au présent comme les seuls maîtres à bord. Un espace infini semble alors s'ouvrir aux initiatives humaines, tant collectives qu'individuelles. Mais libérer l'individu de ses anciennes tutelles, cela signifie libérer tous les individus, et l'amalgame de cette multitude de libertés compose un monde dont personne ne contrôle l'évolution, et qui s'impose à chacun. Comme le dit l'homme du souterrain de Dostoïevski, dans une formule géniale : « Moi, je suis seul, et eux, ils sont tous ». L'individu est libre mais, à son échelle, complètement démuni face au devenir du monde. Le tragique est que c'est précisément la liberté de tous qui contribue, dans une certaine mesure, à l'impuissance de chacun. La politique se dissout dans un processus économique sans sujet. Comme l'a écrit Heidegger, nous vivons à une époque où la puissance est seule à être puissante. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde soit logé à la même enseigne : il y a ceux qui se débrouillent pour surfer sur la vague, beaucoup d'autres qui sont roulés dessous. Ce processus est-il maîtrisable par une restauration politique ? Politique vient de polis qui, en grec, désignait la cité. Pour les Grecs, les Perses étaient des barbares non parce qu'ils auraient été ethniquement inférieurs, mais parce qu'ils vivaient dans un empire. La politique ne s'épanouit qu'à des échelles limitées, au-delà desquelles elle dépérit. C'est pourquoi le grand argument qui a été seriné aux Européens, que leurs nations étaient trop petites pour exister encore politiquement et devaient transférer leur souveraineté à une entité continentale, où la politique retrouverait ses droits, a été une pure escroquerie. La politique n'a pas été transférée des nations à l'Union européenne, elle s'est simplement évaporée - à vrai dire tel était, sous les « éléments de langage » destinés à le masquer, le but recherché. La nation mérite d'être défendue parce que c'est la seule échelle où une vie politique existe encore un peu. En même temps, des nations comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni sont déjà trop grandes pour que la politique y joue pleinement son rôle. Dans les années 1850, Auguste Comte déplorait l'unification italienne comme un mouvement rétrograde, et pensait qu'à l'inverse, c'était la France qui aurait dû se diviser en dix-sept petites républiques (soixante-dix en Europe). Selon lui, c'était seulement après s'être ancrées dans une vie à cette dimension que les petites patries auraient été à même de se réunir de façon féconde, afin de traiter ensemble les questions qui outrepassent leur échelle. Aujourd'hui la Suisse, avec ses huit millions d'habitants et sa vie cantonale, est l'État européen où la démocratie est la plus vivace. Et historiquement, les cités de la Grèce classique, entre le VIème et le IVème siècle avant notre ère, ainsi que les cités-États italiennes de la Renaissance (Florence comptait moins de 100 000 habitants du temps de sa splendeur) constituent des réussites inégalées, qui montrent qu'en étant ouvertes sur le monde, des patries de petite taille sont capables de resplendir dans tous les domaines. Le problème est que même si beaucoup de petits États sont préférable à quelques gros, un gros État dispose d'un avantage : il est en mesure d'écraser un voisin plus petit. De là la tendance à la croissance en taille, quand bien même tout le monde, au bout du compte, devrait y perdre. 72 Le processus inverse est-il possible ? Peut-on imaginer que la petitesse devienne la norme? L'Autrichien Leopold Kohr (lauréat du prix Nobel alternatif en 1983) demeure malheureusement très méconnu. En 1957, dans son livre The Breakdown of Nations, il écrivait : « Il n'y a pas de détresse sur terre qui puisse être soulagée, sauf à petite échelle. […] C'est pourquoi par l'union ou par l'unification, qui augmente la taille, la masse et la puissance, rien ne peut être résolu. Au contraire, la possibilité de trouver des solutions diminue au fur et à mesure que le processus d'union avance. Pourtant, tous nos efforts collectivisés et collectivisants semblent précisément dirigés vers ce but fantastique - l'unification. Qui, bien sûr, est aussi une solution. La solution de l'effondrement spontané ». Les choses étant ce qu'elles sont, je crains qu'il ne faille en passer par de tels effondrements. Quand je dis cela, je me fais traiter de Cassandre. Je rappellerai toutefois que dans la mythologie grecque, les mises en garde de Cassandre étaient toujours fondées, le problème étant que personne ne la croyait. Ainsi, malgré ses avertissements, les Troyens firent-ils entrer le cheval de bois dans leur ville. On ne peut pas dire que cela leur ait réussi. Par ailleurs, si les effondrements qui se préparent ont de quoi faire peur, car ils engendreront de nombreuses souffrances, la perspective n'est pas seulement négative : ils peuvent aussi être l'occasion pour les peuples d'échapper aux fatalités présentes, et de revenir à la vie. *Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis 2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil, 2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014. 73