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à l’expérience et la rende intelligible, comme le montre l’usage des mathématiques en physique ? Ce sont là autant
de questions auxquelles la philosophie, et non pas les mathématiques elles-mêmes, peut répondre.
Conclusion et transition
La philosophie ne peut se passer de développer une réflexion sur la nature de la connaissance humaine − réflexion
épistémologique, donc.
Cette réflexion sur les sciences est d’autant plus utile qu’elle conduit à montrer la nécessité de celles-ci pour la
pratique même de la philosophie à laquelle elles préparent. Ce faisant, elle détermine le fondement et le statut de la
vérité scientifique.
Toutefois, la complexification et le développement autonome des différentes disciplines scientifiques par rapport à la
philosophie entravent désormais l’antique idéal d’un philosophe qui se définirait d’abord et aussi comme savant.
Il reste que la réflexion sur les sciences n’en devient pas pour autant superflue. Par elle, en effet, la philosophie n’est-
elle pas amenée à s’interroger sur elle-même − sur sa nature et sur ses propres limites ?
2. Par sa réflexion sur les sciences, la philosophie délimite son propre domaine d’application
A. La philosophie ne saurait se passer d’une réflexion sur les sciences humaines, dont elle se distingue
Seule une “ réflexion ”, non pas une connaissance à proprement parler, mais un retour de l’esprit sur ce qu’il connaît
dans les sciences, permet à la philosophie, en définissant les caractères de la scientificité, de se définir elle-même.
Expliquons-nous : la philosophie réfléchit sur le sens de l’existence, la nature de l’action (c’est en particulier l’objet
de la philosophie politique et morale) et de la connaissance humaines.
Comme réflexion et non pas science humaine par conséquent, elle se distingue de toute forme de savoir positif sur le
réel : contrairement à l’anthropologie ou à l’histoire par exemple, qui étudient respectivement des faits ou des
documents pour recomposer une réalité particulière (le type de culture d’une société dans le premier cas, une période
donnée du passé humain dans le second), la philosophie se développe en systèmes de pensée qui ne nous apprennent
rien, à proprement parler, sur le réel : ceux-ci expriment bien plutôt une vision du monde et de l’homme, à partir
d’une intuition fondamentale et subjective − celle du philosophe − qu’ils développent, par la mise en œuvre et la
création de concepts originaux.
Voilà pourquoi, par exemple, la philosophie de Spinoza, en faisant de l’âme et du corps les deux aspects
indissociables d’une même réalité, n’est pas plus “ probante ” que celle de Platon, qui les conçoit comme séparés.
Elle n’est ni plus vraie ni plus rigoureuse ni mieux “ adaptée ” qu’elle au réel.
En revanche, il est toujours possible de contester l’objectivité des faits sur lesquels s’appuie une théorie
psychologique ou anthropologique du comportement.
La philosophie n’est donc pas une science humaine ; ni une anthropologie ou science de l’homme par exemple, ni
une psychologie ou science du psychisme humain.
B. La philosophie délimite son propre domaine d’application
Or, s’il en est ainsi, c’est que la philosophie n’est pas une science du tout. D’où la nécessité pour elle de délimiter
rigoureusement le champ d’application qui lui est propre, distinctement de celui de la connaissance scientifique.
C’est ce qui rend précisément nécessaire une réflexion sur les sciences.
Dans ce but, Kant dénonce la prétention dogmatique à faire de la philosophie, et de la métaphysique en particulier,
une science. Ainsi compare-t-il, dans la Critique de la raison pure, la nature des jugements scientifiques − physiques
et mathématiques en particulier − à celle des jugements métaphysiques.
Les premiers supposent nécessairement le rapport à une expérience sensible − fût-ce celle de l’intuition de l’espace,
comme c’est le cas en géométrie − et constituent, pour cette raison, une connaissance à proprement parler.
Les seconds regroupent des affirmations telles que : “ Dieu existe ”, ou “ l’âme est immortelle ” ; ils naissent d’une
réflexion naturelle à la raison humaine et d’une spéculation sur l’origine du monde et la nature de l’homme. Ils ne
s’appuient, pour cette raison, sur aucune expérience − ce pour quoi ils ne nous donnent rien à connaître.
Or, cette réflexion sur la non-scientificité de la métaphysique s’avérera féconde pour la moralité : si la liberté existe par
exemple, comme le postule la métaphysique, elle implique la responsabilité absolue de l’homme face à ses actes et la
nécessité pour lui de s’élever, par la raison, à la vertu. Il est donc nécessaire d’affirmer la liberté humaine mais on ne peut
prouver scientifiquement ni qu’elle existe ni qu’elle n’existe pas.