Conflit du Moyen-Orient, vues croisées UPOP MEDEM · DIMANCHE 27 DÉCEMBRE 2015 par Philippe BOUKARA J’ai enseigné l’histoire du conflit israélo arabe devant des publics différents et internationaux. A Sciences Po, devant des étudiants arabes notamment syriens, libanais, tunisiens… et des milieux juifs. Par principe, je dis la même chose à tout le monde et je propose une analyse scientifique. Cela se passe bien, du moment que les publics s’astreignent à un effort Philippe BOUKARA est historien, spécialiste du judaïsme d’objectivité. C‘est de ce postulat d’objectivité qu’il nous faut partir car arriver à la paix dans cette région suppose un effort pour comprendre le point de vue de l’autre et une renonciation partielle de chaque camps, à « sa » vérité.. Un des postulats d’objectivité est d’énoncer des idées importantes selon la chronologie. Palestine ou Eretz Israël Le lien historique que les Juifs ont avec ce pays appelé Palestine par les Palestiniens et Eretz Israël par les Juifs est-il créé artificiellement par les sionistes ou s’agit-il d’un lien ancestral ? Selon la réponse donnée à cette question, les Juifs, les Israéliens, les sioniste seront considérés comme sont des intrus coloniaux au Moyen Orient ou alors comme des personnes « de retour à ce pays où réside un peuple » selon le discours sioniste d’il y a un siècle. La prière juive qui proclame « l’an prochain à Jérusalem », évoquant le Temple de Jérusalem et le souhait de retour, relève d’un élément historique peu connu : la diaspora commence avec la destruction du 1er temple et non du second. La destruction du temple par Francesco Hayez (1791-1882) Diaspora ancienne Six siècles de diaspora se sont écoulés avant que les Romains ne détruisent le second temple. La majorité des Juifs vivent déjà en diaspora sous Jésus. Le système bipolaire de relation entre la diaspora et une communauté vouée au Temple est donc très ancien. Une forte valeur religieuse est attachée au fait de résider dans le pays car il lui est attaché l’obligation d’apporter des offrandes au temple, mitzva[1] fondamentale. Ainsi les Juifs « résidants », car il n’y a jamais eu d’éradication totale de la présence juive en « Palestine », ont une « procuration » pour faire ce que les autres ne peuvent faire. 700 Rabbins itinérants sur lesquels on a des biographies, partaient d’Eretz Israël, faisaient la tournée des communautés de diaspora qui payaient un impôt, permettant aux yishouvs[2] résidants de s’acquitter de leur tâche. Ce lien financier est le terreau sur lequel va se développer le lien ancestral entre la diaspora et Eretz Israël. L’Empire ottoman La terre Sainte, une invention chrétienne du1er siècle, s’inscrit sur le déclin de l’empire ottoman et va prospèrer sur la concurrence entre chrétiens (catholiques, orthodoxes, protestants)… L’histoire juive n’est donc pas un complot occidental pour mettre la main sur… l’Empire ottoman ! Il s’agit d’histoires différentes qui se sont croisées. [3] La fin de l’époque ottomane remonte à 1918. L’empire Ottoman, allié avec les Allemands pendant la Guerre de 1914, fait partie des perdants. Sa succession n’est toujours pas réglée, les Anglais qui ont pris la suite ont gelé le chaos et l’ont laissé derrière eux. C’est la clé du conflit actuel Minorités dans l’empire Le pouvoir entre est entre les mains des Turcs musulmans. Trois religions et identités ethniques sont reconnues comme cultures minoritaires : chrétienne, arménienne et juive. Le milliyet désigne le statut des minorités. Panislamisme Le panislamisme est un cadre qui va fonctionner pendant des siècles : il verrouille l’empire en s’appuyant sur tous les musulmans même non Turcs. Il fait appel à la solidarité des musulmans de l’empire arabe, notamment pour obtenir une position, un soutien privilégié par rapport aux chrétiens. Ainsi il sera fait appel aussi bien aux Kurdes sunnites qu’aux minorités chiites. Faire appel aux populations musulmanes peut alors devenir un instrument de persécution contre les Arméniens ou des Arabes chrétiens comme les Assyro-chaldéens qui sont aujourd’hui encore en voie de disparition. De même au Liban, la solidarité des Druzes, considérés comme proches des musulmans, sera sollicitée, ce qui contribuera à la persécution des Maronites. L’Empire Ottoman a déjà perdu la Grèce, (en1820) la Roumanie, (en 1870), l’Algérie et la Tunisie (gagnées par la France), la Lybie (gagnée par l’Italie) au moment de la guerre de 1914. Le seul bastion qui reste à l’Empire Ottoman est Conférence Islamique tenue à Jérusalem en 1931-1932 le Proche Orient avec les Arabes. Panarabisme Le 1er congrès international du panarabisme est réuni en 1914 à Paris. Sa vocation est de permettre à des arabes non musulmans de se détacher, de s’émanciper du panislamisme et de faire appel à la solidarité avec les arabes chrétiens qui s’impliqueront dans de grandes productions intellectuelles culturelles arabes (comme le journal ). En 1915, une alliance secrète est scellée entre l’Angleterre et le mouvement panarabiste. Lawrence d’Arabie noue cette alliance avec une prestigieuse famille hachémite considérée comme descendant du prophète. En échange de l’intervention militaire de la légion arabe contre les Ottomans aux côtés des Anglais (qui n’engagent que très peu de troupes), on leur promet un grand royaume jusqu’à Akaba. Ces deux mouvements vont se faire concurrence dans l’Empire Ottoman selon des logiques contradictoires ou combinatoires. Lawrence d’Arabie (1888-1935). D’autres alliances En 1916 Les Britanniques ont également scellé une alliance secrète avec les Français (accord Sykes-Picot) au terme de laquelle les Français se verront attribuer la Syrie et le Liban dans le cadre du démantèlement de l’empire Ottoman. En novembre 1917, les Britanniques proclament la Déclaration Balfour. L’Angleterre envisage favorablement l’établissement d’un foyer juif en Palestine sans autre précision : ainsi il n’est pas question de délimitation territoriale Cher Lord Rothschild, J'ai le plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration ci-dessous de sympathie à l'adresse des aspirations juives et sionistes, déclaration soumise au Parlement et approuvée par Lui. Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement Arthur Lord BALFOUR l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste. Arthur James Balfour » Cet engagement flou implique de respecter « les autres populations du pays » (qui représentent alors les 6/7èmes de la population). Il en résulte la création d’une légion juive qui soutient les forces britanniques. Trois promesses en même temps Au terme de l’alliance entre les Hachémites et les Anglais, Faycal d’Arabie, s’installe en 1920 comme roi des Arabes à Damas. Il sera vaincu par la France qui a envoyé un contingent et établit un mandat français sur la Syrie et le Liban. L’Irak est créé artificiellement en 1921 par les Anglais pour dédommager Faycal en réunissant de manière coercitive et artificielle les sunnites de Bagdad, les chiites de Bassora et les Kurdes de Mossoul. Hussein, chef de la famille hachémite installé comme roi de la péninsule arabique verra son royaume réduit à la seule Jordanie. Il est renversé par la famille Séoud en 1924 qui proclame alors le royaume d’Arabie saoudite. Deux mouvements vont concourir l’Empire Ottoman selon des logiques contradictoires ou combinatoires. Mandat anglais en Palestine en 1920. La succession de l’empire ottoman n’est pas réglée et les problèmes se sont exacerbés. Jusqu’en 1922, Les Anglais ont créé une grande Palestine puis ont séparé les deux rives du Jourdain.L’Est attribué aux Hachémites, les Anglais détachant la Jordanie de la Palestine pour y installer Abdallah 1er. La partie ouest du Jourdain, est attribuée aux sionistes, sous mandat britannique, contre une promesse lointaine de « foyer ». Jusqu’au début des années 30, la proportion de population juive est de 1 pour 6. Peu d’augmentation de la population juive en dépit de mouvements successifs d’alya. Beaucoup repartent en raison d’une économie très précaire qui les réduit à la misère. [4] En 1933, suite à la 5ème alya, important mouvement migratoire en provenance d’ Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie, la proportion monte à 1 pour 3. Crises et affrontements avec la population arabe vont s’intensifier. Les affrontements La situation se présente sous la forme d’un triangle isocèle : au sommet les Anglais qui administrent le pays, à la base les Juifs, minorité grandissante d’un côté et la population arabe, majoritaire, de l’autre. Au cours de la première guerre mondiale, les Anglais veulent éviter un Juifs et Arabes s'affrontent en Palestine en 1936. conflit avec Arabes pour mobiliser leurs forces contre les Allemands, les Japonais… mais de 1917 à 1939, la politique anglaise penchera très légèrement en faveur des Juifs au détriment des Arabes, conformément à la promesse faite. Des émeutes vont dresser les Arabes contre la population juive à Jérusalem en 1920, à Jaffa en 1921 1929, puis en 1936, 37, 38 dans tout le pays. L’attitude des Anglais Les émeutiers arabes ont un fort avantage numérique (ils représentent 6/7 de la population).Armés de couteaux, ils déferlent, sur les quartiers juifs et tuent des civils. L’armée anglaise intervient quand il y a des dizaines de morts des deux côtés mais le nombre de morts juifs est proportionnellement plus élevé. Elle empêche ainsi les Arabes d’aller jusqu’au bout de leurs tentatives de massacres. Grâce à cette protection, les sionistes continuent à accueillir les immigrants et à se développer… Occupation britannique en Palestine en 1917. Ceux-ci, jusqu’en 1936, ne dispenseront pas d’aide directe, financière ou matérielle mais uniquement une aide sécuritaire, en s’interposant et en protégeant les populations civiles juives contre les émeutiers arabes. La Haganah[5] , seul groupe armé juif, jouera le rôle de service d’ordre jusqu’en 1936. Ses troupes se militarisent à partir de 1937 quand les Anglais proposeront une partition en deux États. 20% du territoire environ reviendront aux Juifs et 80% aux Arabes qui représentent alors 60% de la population.[6] Les Juifs acceptent en raison de l’urgence de la situation de Juifs en Europe. Les Arabes refuseront par l’intermédiaire du Mufti de Jérusalem qui gagnera par la violence la guerre civile entre Arabes détriment de la famille des Nachachibi, famille plus prête à des compromis Bifurcation En 1939 le Livre blanc anglais ferme la porte à l’alya. Il décrète un quota de 15 000 immigrants par an pendant 5 ans, chiffre audelà duquel il faudra l’autorisation des Arabes. Or en 1939, des centaines de milliers de Juifs veulent quitter l’Europe. Le Livre blanc[7] stipule également un gel des achats de terre par les Juifs qui doivent Le grand mufti de Jérusalem Amin Al Husseini vers 1929 demeurer inférieurs à 15% alors que les Juifs représentent un 1/3 de la population. Entre 1939 et 1948, aucun achat de terres ne sera possible. Ce changement d’attitude montre bien que sionistes et Arabes seront alternativement victimes ou bénéficiaires de la politique anglaise. A suivre… [1] Mitzvah : commandement. Il y en a 613 suivant la tradition rabbinique. Le mot dans le langage commun peut être aussi entendu dans le sens de bonne action. [2] Le yishouv désigne l’ensemble de la présence juive en Palestine avant la création d’Israël. [3] Dans le cadre de cet effort réciproque d’appréhender l’histoire de l’autre, la reconnaissance par les arabes musulmans et chrétiens de cette ancienneté est importante. Pour cela, il ne faut pas nourrir le discours victimaire de l’un ou de l’autre côté mais encourager plutôt à comprendre l’autre. Cette chronologie est très méconnue et nous ne sommes pas aidés par les journalistes très ignorant des origines historiques du conflit. Récemment interviewé par de jeunes journalistes en fin d’études sur la récente vague d’alya française, je me suis rendu compte qu’elles ne savaient pas qui était …. Theodore Herzl ! [4] Herzl écrit l’ Etat juif en 1896 mais des alyas ont lieu depuis 10 ans, la première en 1880. [5] La Haganah, défense en hébreu est créée en 1920, rattachée à la centrale syndicale de gauche Histadrout à l’origine et intégrée dans l'armée israélienne en 1948. [6] L’inverse des plans de paix d’aujourd’hui. [7] Le troisième Livre blanc anglais du 17 mai 1939 sera abrogé par l’une des premières lois votées par l’État d’ Israël. J’aime Commenter 2 partages Votre commentaire... Partager