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Bruno de Finetti : l’origine de son subjectivisme
SIMONA MORINI1
Résumé
Nous étudions dans ce travail certaines origines des thèses subjectivistes de Bruno de Finetti quant à
l’interprétation des probabilités.
Abstract
In this paper, we study several origins of Bruno de Finetti’s subjectivist theses in his interpretation of
probabilities.
Bruno de Finetti estconnu, parmi les mathématiciens, comme lun des
protagonistes, avec Frank Plumpton Ramsey etLeonard Jimmy Savage, de la théorie
qu’on appelle subjective de la probabili, cest à dire de la théorie selon laquelle la
probabilité n’estpas quelque chose qui enregistre des caracristiques objectives de la
reali, comme le voudraitla théorie objectiviste ou fréquentiste dominanteàpartir du
XIX siècle, mais plutot un étatpsychologique subjectif - une “évaluation
individuelle- par rapport à un événementincertain, ou, selon une finition de de
Finetti lui-même : le degréde confiance d’un sujet donné, dans un instantdonet
avec un ensemble donné d’informations, dans la réalisation d’un événement”.
1Universidi Siena. simona.morini@iuav.it
2
Cette notion subjective ou ‘épistemiquede probabilité n’est pas une
nouvauté; nous savons que le dualisme entre une notion ‘épistemiqueet une notion
aléatoireaccompagne la probabilité dès son but, au XVII siècle.Mais dans les
années Trente de notre siècle, après une centaine d’anes de triomphes de la
statistique et de la probabilitéobjective - on pourrait dire, après LE siècle de
lobjectivité- ce nest pas étonnant que des tories comme celles de Ramsey et de
Finetti qui fondaient le calcul des probabilités sur un instinct obscur dont nous ne
pouvons pas nous en passer2étaient consirées une résie blasphème, mais
inoffensive, donc presque ignorées.
Cest Jimmy Savage , dans les années Cinquante, qui transforma cette “héresie
blasphèmedans une “héresie avec laquelle l’église statistique officielle est oblieà
se confronter et - ajoute de Finetti - elle est en train de perdre3. Le succès de Savage
est du au fait que, comme lavait fait aussi Ramsey, il crea un lien beaucoup plus
étroit de celui qui avait étécreéàlorigine par de Finetti , entre la probalilitéet les
problèmes de la cision et du comportement rationnel en condition d’incertitude. Il
attira lattention sur les avantages toriques de lapproche subjectiviste (en
relaant le bat sur les fondements de la statistique et sur linduction), mais il
souligna aussi ses avantages pratiques pour les économistes et en particulier pour la
modelisation de laction individuelle et sociale (en insistant , par example, sur
limpossibilité, dans la conception objectiviste, d’attribuer une probabilitéaux
événements uniques, qui limite évidemment son intéret pour résoudre la plupart des
problèmes de cision dans la pratique de tous les jours).
Cest donc dans ce cadre qu’on situe d’habitude loeuvre de de Finetti : d’une
part, dans le programme de veloppement de la notion de rationalitéde la torie de
la cision, torie des jeux, éthique et torie du choix social; de lautre dans le
difficile programme de fondation de la probabilitéet de la connaissance scientifique
poursuivi àpartir des années trente par Carnap et les opositivistes.
2Lexpression est de Poincaréet est citédans de Finetti (1989) p.9
3de Finetti (1989), p.151
3
Mais nous savons que De Finetti ne reconnaissait qu’une importance
intrumentale au lien entre probabilitéet cision. Dans un article de 1957, par
example, il écrit :
Lunification de la torie de la probabilitéet de lutilitédans la torie de la cision donne àla
construction dans son ensemble une structure organique et uniforme. Mais j’hésite àsuivre Savage
dans cette direction; ces concepts ont en effet, àma façon de voir, des valeursdifférentes: une
valeur indisputable dans le cas de la probabilité, une valeur assez incertaine dans le cas de lutilitéet
des conditions de rationalitédans le comportement en condition de risque.4
Par contre, il consirait son subjectivisme comme le moteur d’une nouvelle
philosophie, dune nouvelle image de la connaissance. Il admettait donc que le lien
entre probabilitéet utilitéavait contrib à éliminer un certain nombre de préjujés
contre la probabilitésubjective, il admettait également que le lien avec la cision
donnait a la probabilitéune signification operative”àlaquelle il accordait beaucoup
d’importance, mais il insistait sur la valeur autonome de la notion subjective de
probabilité.
Cest sur cette valeur philosophique de la notion subjective de probabilitéque
je voudrais me concentrer ici. Je ne prétend pas donner une analyse taillée des
ies philosophiques de de Finetti, mais tout simplement ma lecture personnelle de sa
première - et plus importante - oeuvre non matmatique, Probabilismo, publiée en
1931, dans laquelle il énonce pour la premère fois les lignes fondamentales de sa
torie matmatique, tout en explicitant sa signification et ses implications
philosophiques.
Vous savez que la torie de de Finetti assume une forme presque definitive
s le but de sa recherche. Cest entre 1929 et 1931 que prend forme sa torie de
la probabilité,qu’il continua a fendre tout au long de sa riche carrière scientifique.
Les presque 300 articles qu’il a écrit, dont les premiers sont surtout de contenu
4de Finetti (1957), p.7
4
matmatique, ne sont que une réelaboration et aprofondissement des ies qu’il
avait conçues àvingt ans.
Lie que la probabilitéest un degréde croyance et que ses lois peuvent etre
deries de la seule condition de cohérence parait pour la première fois dans un
article de 1930 , Fondamenti logici del ragionamento probabilistico”. Son
programme philosophique est contenu dans Probabilismo, paru en 1931. Le torème
de representation parait dans une note de 1930 pour lAccademia dei Lincei (
Funzione caratteristica di un fenomeno aleatorio”) oùil n’y a presque aucune
référence àdes ies philosophiques. Et ce n’est que dans La prévision, ses lois
logiques et ses sources subjectives, de 1937, que torie matmatique et
interpretation philosophique sont presentées ensemble. Et pourtant il est difficile de
comprendre lune sans lautre.
Comme laécrit Richard Jeffrey dans la préface àla traduction en anglais de
Probabilismo , parue en 1989 dans la revue Erkenntnis :in de Finettis view
technical and philosophical aspects of probability are strictly intertwined. De Finetti,
the mathematical probabilist, is not to be separated from de Finetti, the philosopher of
probability.5Mais de Finetti philosopher of probability” naété découvert que
récemment et il sagit d’une couverte qui n’est pas sans surprises.
Probabilismo souvre avec une epigraphe de Giovanni Papini et une citation
de Adriano Tilgher, continue avec des références qui vont de Calderoni, Aliotta et
Vailati jusqu’à Poincaré, Bergson et Sorel et se termine avec un éloge très
chaleureux et littéraire du fascisme. Les auteurs italiens cités par de Finetti sont
aujourdhui inconnus àl’étranger (mais ils ne l’étaient pas au but du siècle) et en
Italie ils sont considerés - sauf Vailati, qui était un matmaticien élève de Peano -
comme des irrationalistes ou des mystiques, presque sur le même plan d’une série de
personnages que Eugenio Garin, dans ses Cronache di filosofia italiana,n’site pas
à définir futuristes par impuissance, irrationnalistes par manque de sens commun,
activistes par amour de la violence, amoureux de laventure par ingenuitéinfantine,
5Jeffrey (1989), p.165
5
etc. etc.6La question se pose : que faisait un rationalistecomme de Finetti qui se
finissait un logicien et matmaticien qui refuse de raisonner si non de façon
impeccable, un massacreur (scarnificatore) impitoyable qui élimine tout ce qui ne
résiste pas au controle de la critique plus sévèreen telle compagnie ?
Richard Jeffrey, dans lessai qui accompagne la traduction anglaise de
Probabilismo, après nous avoir donné quelques informations sur les auteurs italiens
cités par de Finetti, nous dit àpropos de ces citations : Mon hypotse est que après
l’échec de son manuscrit de avril 1928 il a chercdans les livres de Tilgher une
position philosophique contemporaine àlaquelle pouvoir rapprocher, aux yeux des
lecteurs, son probabilisme.7
Ce qui est intéressant est que, après avoir glissésur ces présences inopportunes
et incompréhensibles, Jeffrey continue avec toute une série de citations qui
montreraient des fortes affinités avec le Cercle de Vienne. Il lit donc de Finetti
comme un chapitre de l’“auto-distruction ou métamorphosedu programme
neopositiviste, suivant la ligne dun antirationalisme et dun antiempirisme dont le
but semble etre, dans l’ésprit de Quine, la critique du dogme centralde lempirisme
logique : le dualisme entre raison et expérience.
Jeffrey a sans doute raison sur une chose : on trouve, dans Probabilismo
jà, des nombreuses assonances avec les tmes de lempirisme logique et avec
certains veloppements successifs de la philosophie analythique. Il est vrai, aussi,
que le programme de de Finetti, exactement comme le Manifesto signé en 1929 par
Carnap, Hahn et Neurath, est un programme très antimétaphysique ; mais
métaphysique, pour de Finetti est aussi la recherche dun fondement objectif (et
absolu) qui charactérise, au moins dans sa phase initiale, le programme
opositiviste.
De Finetti dailleurs est très clair àce sujet, quand il écrit, àpropos des points
de répèrede son point de vue : A la logique matmatique (en particulier àla
torie de la finition nominale) et àla critique positiviste du monde empirique [la
6Garin (1955), p.31
7Jeffrey (1989), p.23
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