En remontant l’histoire de la pensée environnementale aux origines de la modernité
occidentale, il nous était permis d’apprécier le rôle historique du romantisme, comme
première tentative de l’époque moderne de restaurer les liens entre l’homme et la nature. Par-
delà l’émergence de sensibilités nouvelles – esthétiques et spirituelles – pour la nature, peut-
on considérer la protestation romantique comme « pré-écologique », parce qu’elle avance des
idées critiques et une philosophie de la nature qui constituent un univers culturel hautement
favorable au développement de la réflexion écologiste.
Ces idées nouvelles sur la relation homme/nature ont trouvé des contextes culturels et
nationaux plus propices à leurs développements : les cas de l’Allemagne et des États-Unis
nous donnent à voir la force de l’idéalisme romantique dans l’histoire environnementale de
ces deux pays, les valeurs identitaires, collectives, éthiques attachées à la protection de la
nature, les prolongements de ce criticisme culturel sur la pensée écologiste contemporaine.
De Thoreau aux portes-paroles de la contre-culture écologiste des années 1960-70, s’est
développée dans la société états-unienne une relation intime, spirituelle entre l’homme et la
wilderness, pour donner naissance à cette conscience écologique profonde, fondée sur un
idéal de « réalisation du soi » dans sa liaison avec la nature. Autour du mouvement alternatif
et radical de l’écologie, en rupture avec le matérialisme dominant de l’Amérique conquérante
et triomphante, s’est déployée toute une réflexion critique sur la civilisation occidentale
depuis ses fondements culturels les plus anciens, une vaste littérature environnementale,
visant une métaphysique et une éthique nouvelles du rapport personne/planète, un projet
politique radical, deep, écoanarchiste ou écoféministe, qui tente d’en finir avec le concept de
domination.
En Allemagne, l’idéal de symbiose entre l’homme et la nature, l’âme et le corps, donnera
naissance à des idées alternatives et initiatives pionnières dans le domaine de la médecine et
de l’agriculture, fondées sur le développement spirituel de l’homme – dans sa totalité, en
relation avec l’univers –, à une philosophie critique de la technique inspirée du rêve
nostalgique ou utopique d’une relation pacifiée avec la nature, mais aussi à un sentiment plus
« tragique » et mélancolique du monde moderne. L’histoire allemande, avec tous les
soubresauts qu’elle connaîtra au XXe siècle, s’illustre par une idéologisation très précoce du
mouvement de protection de la nature, qui lui confère une teinte pessimiste et sentimentale, et,
soutenue en cela par un attachement très fort de sa population à la nature et plus encore peut-
être à ses forêts, par une problématique de l’écologie qui se pose très tôt à la société.