Technologie de l`information et croissance de l`économie du secteur

Technologie de l’information et croissance de l’économie 2
du secteur privé au Canada et aux États-Unis
Tarek M. Harchaoui, Faouzi Tarkhani et Bilkis Khanam
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Sommaire
ANS LE PRÉSENT DOCUMENT, des données nouvelles — agrégées et sectorielles
sont utilisées en vue d’accroître notre connaissance des sources de la crois-
sance de la productivité du travail et de la croissance de léconomie du secteur
privé au Canada et aux États-Unis de 1981 à 2000. La principale innovation à cet
égard consiste à prendre en compte dans le cadre de production agrégée les flux
de services des biens de consommation durables et du logement. L’utilisation de
nouvelles données industrielles et la distinction faite entre travailleurs universi-
taires et non universitaires, pour tenir compte de l’apport des investissements
dans les études supérieures et les technologies de l’information à la croissance
économique et à la productivité, constituent les autres innovations apportées par
la présente étude. Ces nouveaux résultats viennent confirmer la thèse exposée
dans nos travaux antérieurs : les technologies de l’information, bien qu’elles aient
représenté une part importante du regain de productivité aux États-Unis, n’ont
rempli qu’un rôle modeste à cet égard au Canada, ce qui laisse croire que des
facteurs différents ont joué dans l’un et l’autre pays.
Introduction
A SITUATION ÉCONOMIQUE QUI PRÉVAUT ACTUELLEMENT à l’échelle mondiale
est entourée d’une grande incertitude. Malgré ce fait, il est clair qu’une trans-
formation remarquable s’est produite au Canada et aux États-Unis ces dernières
années, la croissance de la production, de la productivité du travail et de la pro-
ductivité multifactorielle s’accélérant depuis le milieu des années 90. Cela est
venu alimenter unbat de plus en plus nourri au sujet des sources de ce regain
de croissance et de la question de savoir si la structure des deux économies a subi
des changements en profondeur.
L’essor des technologies de l’information, conjugué à l’accélération de la crois-
sance de la productivité aux États-Unis durant la deuxième moitié des années 90,
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Harchaoui, Tarkhani et Khanam
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a stimulé les discussions au sujet d’une éventuelle « nouvelle économie »,
concept qui suscite toutefois moins d’enthousiasme depuis l’affaissement de la
bulle technologique. Quoique moins enflammés, les débats se poursuivent au
sujet de la « nouvelle économie », l’accent étant mis sur les technologies de
l’information et ses répercussions sur la croissance économique et la croissance
de la productivité1.
On trouve de nombreux exemples d’entreprises américaines de pointe, comme
IBM et Wal-Mart, qui produisent et utilisent efficacement des technologies de
l’information. Même si l’on soutient souvent que le Canada ne fait pas partie des
principaux producteurs dans ce domaine, des recherches menées au pays montrent
que les technologies de l’information ont contribué de façon importante à la
croissance du produit intérieur brut (PIB), à la formation de capital et à la pro-
ductivité2. Il est manifeste que les investissements dans les technologies de
l’information ont eu des répercussions de grande ampleur sur les économies
canadienne et américaine. Cela dit, de quelle manière et dans quelle mesure les
effets de ces investissements sont-ils différents entre les deux pays?
Pour pouvoir comparer les relations entre les investissements dans les technolo-
gies de l’information, la croissance économique et la productivité au Canada et
aux États-Unis, il est essentiel d’éliminer les différences entourant la mesure de la
production et des intrants dans les statistiques officielles. Conformément aux pra-
tiques exemplaires, dans les comparaisons récentes entre les deux pays, Statistique
Canada a utilisé des concepts et des méthodes concordant avec le manuel de
l’OCDE sur la mesure de la productivité (OCDE, 2001) 3.
Selon Harchaoui et coll. (2002), par rapport au dernier quart de siècle considéré
dans son ensemble, la période correspondant à la fin des années 90 a été excep-
tionnelle au chapitre de la croissance dans le secteur des entreprises aux
États-Unis et au Canada. Bien que les taux de croissance n’aient pas atteint ceux
enregistrés au début des années 60 — l’âge d’or des deux économies —, les données
permettent de constater qu’une transformation frappante s’est opérée. Après
plus de deux décennies de faible croissance de la productivité multifactorielle, on
a enregistré un taux annuel de croissance de près de 1 p. 100 à quatre reprises au
cours de la période de cinq ans s’étant terminée en 2000. Cette accélération de la
croissance de la productivité multifactorielle est l’un des points saillants des don-
nées et laisse penser qu’il y a eu, à la fois, une amélioration très marquée de la tech-
nologie et de forts gains d’efficience au chapitre de la production.
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Harchaoui et Tarkhani (2004a) ont approfondi et étendu l’analyse en utilisant un
cadre comptable de la croissance agrégée, à la fois, élargi et totalement intégré à un
modèle sectoriel, afin de retracer les différents canaux par lesquels se manifestent
les technologies de l’information. Leurs résultats portent à croire que les techno-
logies de linformation sont bien au cœur du nouvel essor de la productivité aux
États-Unis, mais qu’elles ne sont qu’un des facteurs entrant en ligne de compte
au Canada. Le regain de productivité du travail aux États-Unis est attribuable
d’abord à l’accroissement de l’intensité du capital associée aux technologies de
l’information et aux gains de productivité dans les industries productrices des
technologies de l’information. Selon les données relatives au Canada, les gains au
chapitre de la productivité multifactorielle dans les industries qui utilisent les
technologies de l’information sont l’un des principaux facteurs expliquant
l’accélération de la productivité.
Dans le but d’évaluer la robustesse de nos résultats antérieurs, nous élargissons
dans la présente étude notre cadre de départ, et nous tirons parti d’une nouvelle
base de données sur les sources de la croissance au Canada et aux États-Unis du-
rant la période allant de 1981 à 20004. Notre examen s’oriente de la façon suivante.
En premier lieu, notre examen porte sur l’ensemble de l’économie du secteur privé
au lieu de se cantonner au secteur des entreprises. L’économie du secteur privé
comprend, outre le secteur des entreprises, les logements occupés par le proprié-
taire. Cela a pour effet d’élargir le champ de notre analyse, qui concorde ainsi da-
vantage avec le domaine de définition du Système de comptabilité nationale5.
En deuxième lieu, nous mesurons les flux de services issus du stock de biens
durables au lieu des dépenses6. Les acquisitions de biens de consommation du-
rables sont enregistrées à titre d’investissements et les flux de services issus du
stock de biens durables, à titre de consommation, étant donné que ces derniers
représentent la fraction consommée dans les faits au cours d’une période donnée.
Cette approche présente deux avantages : a) le traitement des biens de consom-
mation durables devient similaire à celui prévu dans le Système de comptabilité
nationale pour la comptabilisation des loyers reliés aux logements occupés par le
propriétaire; b) il y a symétrie entre le traitement des biens de consommation
durables et le traitement déjà prévu dans les comptes de productivité pour la
mesure des biens de production durables.
En troisième lieu, au chapitre du travail, les travailleurs ayant fait des études uni-
versitaires sont souvent considérés comme étant des « travailleurs du savoir »,
qui utilisent les technologies de l’information; nous avons donc subdivisé
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l’intrant travail entre travailleurs ayant fait des études universitaires et autres
travailleurs pour déterminer dans quelle mesure les investissements en éduca-
tion universitaire et en technologies de l’information ont contribué à la croissance
économique et à la productivité au Canada et aux États-Unis. Bien que la crois-
sance de l’intrant travail attribuable aux travailleurs ayant fait des études univer-
sitaires ait été supérieure à celle rattachée aux autres travailleurs de 1981 à 2000,
la contribution de ces derniers a elle aussi son importance. Le remplacement de
travailleurs sans instruction universitaire par des travailleurs ayant fait des études
universitaires a constitué un important mécanisme de restructuration de la popu-
lation active au Canada et aux États-Unis. Cela tient au rôle accru des travailleurs
du savoir dans de nombreuses industries, en particulier celles qui ont fait des
investissements importants en équipement des technologies de l’information.
En quatrième et dernier lieu, l’un des éléments importants de notre méthodolo-
gie est le rôle explicite lié aux intrants intermédiaires. Prenons l’exemple de la
production de l’industrie des semi-conducteurs. Une bonne partie de cette pro-
duction n’est pas perceptible à un niveau agrégé, étant donné qu’il s’agit princi-
palement d’intrants utilisés dans d’autres industries plutôt que de produits livrés
à la demande finale en termes de biens de consommation et d’investissement.
Toutefois, les semi-conducteurs, à titre d’intrants, jouent un rôle important dans
l’amélioration de la qualité et de la performance des ordinateurs, du matériel de
communications et d’une gamme d’autres produits (se reporter à Jorgenson,
2001).
Plus précisément, les semi-conducteurs font partie de la production de l’industrie
des composants électroniques, mais constituent des intrants intermédiaires de
celle des ordinateurs et des communications et d’autres industries. La baisse des
prix découlant de l’amélioration de la technologie des semi-conducteurs se re-
flète dans la contribution importante des intrants intermédiaires utilisés dans les
industries où l’on se sert de semi-conducteurs. Le fait de comptabiliser les in-
trants intermédiaires avec exactitude au moyen de tableaux de transactions inter-
sectorielles nous permet d’établir des liens entre la croissance économique
canadienne et américaine et ses sources industrielles.
Les résultats de notre étude étayent eux aussi la thèse de base exposée dans nos
travaux antérieurs — les données révèlent encore une nette accélération de la
croissance de la productivité du travail aux États-Unis à la fin des années 90, et
elles montrent que les gains d’efficience rattachés à la production des technolo-
gies de l’information ont été au nombre des facteurs clés de cette accélération.
Les données relatives au Canada nous apprennent plutôt que la hausse de la
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productivité du travail a été attribuable pour l’essentiel aux gains d’efficience
enregistrés hors des industries qui produisent les technologies de l’information.
Il convient de remarquer que les conclusions relatives au Canada demeurent
inchangées même lorsque l’on utilise des prix harmonisés au niveau internatio-
nal à l’égard des industries productrices des technologies de l’information.
L’analyse ascendante de Ho, Rao et Tang dans le présent volume sert de com-
plément à cette approche descendante, qui vise à attribuer la croissance du PIB
sous l’optique de la demande finale aux industries produisant les technologies de
l’information et à celles qui utilisent ces technologies. Dans l’analyse ascendante
en question, des données industrielles détaillées sont utilisées dans le but de
déterminer les sources de la croissance économique au Canada et aux États-Unis
au niveau des industries, de circonscrire et d’analyser celles qui utilisent les
technologies de l’information, et d’évaluer l’importance relative de la croissance
de la productivité et de laccumulation des facteurs. Les résultats de Ho, Rao et
Tang, cohérents aux nôtres, montrent que les technologies de l’information sont
bien au cœur du regain de vitalité de la productivité aux États-Unis, mais qu’elles
ont contribué de façon modeste au phénomène au Canada. Les industries qui uti-
lisent les technologies de l’information et celles qui n’en n’utilisent pas sont à
l’origine de la totalité du rebondissement de la productivité multifactorielle dans
le secteur canadien des entreprises. Toujours dans le présent volume, Gu et
Wang ont utilisé un cadre paramétrique qui leur a permis d’associer le regain de
productivité au Canada à des modifications organisationnelles entraînées par les
technologies de l’information, ainsi qu’aux effets de débordement éventuels.
Le présent document est structuré de la façon suivante : dans la section suivante,
nous élargissons la portée de l’examen effectué par Harchaoui et Tarkhani
(2004a) de manière à prendre en compte les flux de services de biens durables et
du logement. Nous utilisons une méthodologie conçue par Jorgenson et Stiroh
(2000), que nous exposons brièvement. Nous présentons ensuite nos résultats
concernant la croissance tendancielle de la production, des intrants et de la pro-
ductivité au Canada et aux États-Unis de 1981 à 2000. Enfin, la section finale pré-
sente les conclusions.
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