Des expressions et leurs personnages
Le costume d'Ève, le talon d'Achille, le fil d'Ariane, être pauvre comme Job, pleurer comme une
Madeleine… Dans bon nombre d'expressions courantes, il est fait allusion à des personnages
célèbres, issus des textes fondateurs de notre culture : mythologie gréco-romaine, textes
homériques, récits bibliques… Pour comprendre ces allusions, il faut revenir à la source, c'est-à-
dire à l'histoire des personnages cités.
Le nom de ces personnages a aussi donné des mots de la langue : un cyclope, un hercule on
appelle ce procédé une « antonomase » ou des dérivés : cyclopéen, herculéen, méduser.
On en trouvera des exemples ci-dessous, sous forme de liens vers le dictionnaire, et illustrés de
citations.
A
CHILLE
Le talon d'Achille. À sa naissance, la déesse Thétis trempe son fils Achille dans les eaux
du Styx, putées pour rendre immortel. Cependant, pour le plonger dans le fleuve, elle le
tient par le talon, partie de son corps qui reste vulnérable. Le talon d'Achille d'une personne
est son point faible. On a appelé tendon d'Achille le tendon qui attache le mollet au talon.
« Aux heures d'étreinte nous perdons le sentiment des finesses, tandis que l'homme que nous
dominons reste maître de lui (…). Prends bien garde à cela, ma mignonne : c'est le défaut de
notre cuirasse, c'est notre talon d'Achille. »
Guy de Maupassant, Le Baiser, in Contes et nouvelles, 1882.
La lance d'Achille a la vertu de guérir les blessures qu'elle a faites : la plaie de Télèphe, fils
d'Héraclès, qu'il blesse à Aulis, ne peut être guérie qu'avec la rouille de la lance qu'Achille a
portée contre lui. L'expression n'est plus employée.
« Votre plume est comme la lance d'Achille qui guérissait les blessures qu'elle faisait. »
Voltaire, Lettre à M. Dorat, 1767.
A
DAM
En costume, en habit, en tenue d'Adam (ou d'Ève) : « complètement nu (comme Adam et
Ève au jardin d'Éden). »
« Mais sortir prendre l'air et se retrouver dans une chambre inconnue, avec une femme, tous
les deux dans le costume d'Adam et Ève, ça commence à être un peu fort. »
Boris Vian, Et on tuera tous les affreux, 1948.
« Il était nu comme Ève à son premier péché.
Quoi ! tout nu ! dira-t-on; n'avait-il pas de honte ? (…) »
Alfred de Musset, Namouna, 1832.
La fourchette du père Adam : « les doigts ». La fourchette n'est apparue qu'au XVI
e
siècle.
L'expression s'applique au fait de manger avec les doigts.
« Pique dans le tas, mon gars, et avec la fourchette du père Adam, encore. Seulement, ne
boulotte pas tout. »
Georges Darien, Biribi, 1890.
La pomme d'Adam est la saillie de la partie antérieure du cou de l'homme adulte, formée
par le cartilage thyroïde (probablement par allusion au « fruit défendu » du paradis terrestre).
« Un grand cou de poule tout déformé par une formidable pomme d'Adam qui montait et
descendait dans son cou comme une bête vivante avalée et qui aurait ramoné son gosier. »
Jean Giono, Jean le Bleu, 1932.
Se croire sorti de la côte d'Adam : « avoir une grande prétention ». Allusion à la phrase
biblique :
« (…) de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à
l'homme (…). »
Genèse, II, 22.
Cette expression a pour analogue païen : se croire sorti de la cuisse de Jupiter*.
A
RGUS
Avoir des yeux d'Argus signifie « avoir des yeux auxquels rien n'échappe, des yeux
pénétrants, perçants », par allusion au géant aux cent yeux, dont cinquante restent toujours
ouverts.
Voir aussi
ARGUS
« (…) le garagiste, je lui ai dit que depuis longtemps même plus cotée à l'Argus, un
collectionneur à la rigueur, encore que, vu l'état de la bagnole, j'en doutais (…) »
Jean-Luc Benoziglio, Le Feu au lac, 1998.
A
RIANE
Le fil d'Ariane est le moyen de se diriger, de ne pas perdre la voie à suivre pour arriver à
un résultat. Ariane est la fille de Minos et de Pasiphaé et la sœur de Phèdre. Éprise de Thésée
venu en Crète pour combattre le Minotaure, elle lui donne une pelote de fil à dérouler dans le
Labyrinthe pour en retrouver la sortie lorsqu'il aura tué le monstre. Tous deux s'enfuient, mais
Thésée l'abandonne sur l'île de Naxos; Dionysos, séduit par la beauté de la jeune femme,
l'épouse.
« Race précieuse et jamais interrompue de philosophes auxquels la sagesse comme une autre
Ariane, semble avoir donné une pelote de fil qu'ils s'en vont dévidant depuis le
commencement du monde à travers le labyrinthe des choses humaines. »
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831.
B
ACCHUS
L'arbre de Bacchus est la vigne; les trésors de Bacchus sont les raisins et le vin. Un
disciple de Bacchus est un amateur de bon vin et un suppôt de Bacchus est un ivrogne. Fêter
Bacchus : « boire plus que de raison ».
Voir aussi
BACCHANALE
,
BACCHANTE
B
ALTHAZAR
Un festin de Balthazar (ou un balthazar) est un repas somptueux. D'après la Bible,
Balthazar, roi de Babylone, organise une fête magnifique de 1000 couverts pour les nobles de
sa cour, ses femmes et ses concubines. Lors de ce festin, ils boivent dans des vases d'or et
d'argent volés au temple de Jérusalem, blasphémant ainsi le dieu des Juifs.
« Mais Idriss mourait de faim, et il fut retenu par les panneaux pantagruéliques d'un
McDonald's : Hamburger, Cheese-burger, Filet-O-Fish, Big Mac, Chaussons aux pommes,
Shakes à trois parfums. Tout cela beaucoup trop cher pour lui, mais il se sentait justement
trop misérable pour résister. La prodigalité est le seul luxe des pauvres. Il s'offrit un
balthazar solitaire pour calmer son angoisse, pour fêter son arrivée en France, et aussi tout
simplement parce qu'il avait faim. »
Michel Tournier, La Goutte d'or, 1985.
Voir aussi
BALTHAZAR
(bouteille)
C
ASSANDRE
Jouer les Cassandre : « faire des prophéties pessimistes au risque de déplaire ou de ne pas
être cru », comme la princesse troyenne, qui ayant repoussé Apollon se voit condamnée à
énoncer des prophéties que les hommes ne croient pas. On applique aujourd'hui l'expression à
des prophéties dramatiques et excessives, ou erronées, ce qui n'est pas le cas dans la légende.
Voir aussi
CASSANDRE
« J'ai réuni les croassements de douze années, les croassements d'une Cassandre qui ne put
jamais agir à temps sur les événements pour les prévenir. »
John Maynard Keynes, Essais de persuasion, 1931.
C
HARYBDE ET
S
CYLLA
Tomber de Charybde en Scylla signifie « échapper à un danger, un inconvénient pour
tomber dans un autre plus grave ». Charybde et Scylla sont des monstres fabuleux de la
mythologie grecque, gardiens du détroit de Messine. Trois fois par jour, Charybde avale
beaucoup d'eau, attirant les navires dans les tourbillons. Pour l'éviter, les marins se détournent
et tombent alors sur l'écueil de Scylla, monstre à six têtes, qui les dévore.
« (…) l'auteur reconnut (…) l'impossibilité d'en faire admettre une reproduction fidèle sur
notre théâtre, dans l'état d'exception il est placé, entre le Charybde académique et le
Scylla administratif. »
Victor Hugo, Préface de Cromwell, 1827.
C
HEVAL DE
T
ROIE
Le cheval de Troie est un cheval de bois gigantesque dans les flancs duquel les guerriers
achéens se cachent pour pénétrer dans Troie. Un cheval de Troie est un moyen secret pour
s'introduire chez l'ennemi, chez l'adversaire.
Voir aussi
CHEVAL
(cheval de Troie)
« Les deux prix Nobel dépêchés en urgence à l'hôpital Delafontaine n'ont pas mis une heure à
trouver le cheval de Troie, le cheval destroy, dissimulé au cœur d'un des listings de
programmation. »
Didier Daeninckx, Main courante, 1994.
C
UPIDON
Les flèches de Cupidon, dieu de l'amour, serviteur enfantin de Vénus, sont les flèches
censées transpercer les cœurs et rendre amoureux.
« Pris dans l'âge incertain où l'être pourvu de l'attribut viril semble encore l'ignorer et hésiter
entre un geste d'enfant et celui d'une femme, Cupidon décochait une flèche au hasard. »
René Boylesve, Leçon d'amour, 1902.
C
YCLOPES
Un travail de cyclope désigne une œuvre gigantesque. Les cyclopes, fils d'Ouranos et de
Gaïa, ont un œil au milieu du front. Ils sont représentés sous des formes variées, notamment
les « Cyclopes bâtisseurs », peuple fabuleux à qui fut attribuée la construction des murs
cyclopéens, qui sont des enceintes et des monuments remontant à l'époque mycénienne, faits
de blocs de pierre énormes.
Voir aussi
CYCLOPE
,
CYCLOPEEN
« La masse des Garrigues dormait, à peine blanchie d'une teinte laiteuse, pareille à une
immense cité cyclopéenne dont les tours, les obélisques, les maisons aux terrasses hautes,
auraient caché une moitié du ciel. »
Émile Zola, Les Rougon-Macquart, 1871-1893.
È
VE
En tenue d'Ève
Adam
Fille d'Ève : « femme curieuse » (susceptible de succomber à la tentation comme l'a fait
Ève en croquant le fruit défendu).
« Littré confirme qu'on nomme fille d'Èvetoute femme curieuse. Elle donne envie, elle
donne la vie aussi : par elle se perpétue le péché originel dont Augustin assure qu'il se
transmet dès la naissance, dans le ventre de la mère, via le sperme du père. Sexualisation de
la faute. »
Michel Onfray, Traité d'athéologie, 2005.
Ne connaître quelqu'un ni d'Ève ni d'Adam : « ne pas le connaître du tout », aussi loin
que l'on puisse remonter dans la famille ou les proches (et même jusqu'aux premières
créatures, Adam et Ève).
On trouve aussi l'altération populaire et plaisante : ne connaître ni des lèvres ni des dents.
« Pourquoi balancer un glandu que vous ne connaissez ni des vres ni des dents ? »
Daniel Pennac, Monsieur Malaussène, 1995.
H
ERCULE
Les travaux d'Hercule est une expression qui s'emploie pour parler d'activités, d'entreprises
difficiles mais glorieuses. Le demi-dieu romain Hercule est célèbre pour être venu à bout de
douze travaux réputés insurmontables.
Voir aussi
HERCULE
,
HERCULEEN
« Malaw, c'est un hercule; c'est le plus fort des lutteurs. On l'appelle le “Lion du Kajoor”. Il
est fort, très fort, fort comme un lion, avec l'auguste masse et la dignité du lion. Il terrasse
toujours ses adversaires. Une chose est fantastique par dessus tout : c'est quand Malaw fait
son entrée dans les arènes ! Tu vois maman, il y pénètre comme un tigre échappé d'une cage,
tout couvert de lait caillé, de la tête jusqu'aux pieds. »
Aminata Sow Fall, L'Appel des arènes, 1982.
J
OB
Pauvre comme Job, pauvre comme Job sur son fumier : « au dernier degré de la misère ».
Sur le conseil de Satan, Dieu décide d'éprouver un homme pieux, Job, en le dépouillant de
tous ses biens, en faisant mourir ses enfants et en portant atteinte à sa santé. Job reste
cependant fidèle à Dieu qui, après lui avoir rappelé sa puissance, lui rend sa fortune.
« Un jeune étudiant, candide, beau, doué d'une âme artiste et passionnée, mais pauvre
comme Job (…) lui conta des douceurs et la mit à mal. »
Auguste Villiers de L'Isle-Adam, Contes cruels, 1883.
J
UDAS
Le baiser de Judas : « manifestation hypocrite qui prélude à une trahison », par allusion au
baiser donné par Judas à Jésus, pour le désigner aux soldats romains; les trente deniers de
Judas : « l'argent de la trahison ».
Voir aussi
JUDAS
(I)
« Ce sont des gens comme toi qui nous ont trahis, vendus ! Des Judas, des renégats ! »
Maxence Van Der Meersch, Invasion 14, 1935.
Voir aussi
JUDAS
(II)
« Cornélius alla pousser deux volets de fer pour fermer sans doute les judas par lesquels il
avait regardé si longtemps dans la rue, et vint reprendre sa place. »
Honoré de Balzac, Maître Cornélius, 1831.
J
UPITER
Se croire sorti de la cuisse de Jupiter : « se croire de très haute naissance » ou « être très
orgueilleux », par allusion à Bacchus, enfermé dans la cuisse de Jupiter.
« Mademoiselle Louise donc ! Est-ce qu'on ne la dirait pas sortie de la cuisse de
Jupiter ?… Si vous voyiez dans sa chambre, tous ses petits pots, des pommades, des
liqueurs ! »
Émile Zola, La Joie de vivre, 1884.
Voir aussi
JOVIAL
et
JEUDI
M
ADELEINE
Pleurer comme une Madeleine : « pleurer abondamment », avec l'idée que ces pleurs sont
excessifs ou non justifiés. D'après les Évangiles, Marie de Magdala est guérie par Jésus qui la
délivre des sept démons. Elle assiste à la mort et à l'ensevelissement du Christ et est le
premier témoin de sa résurrection. Elle est devenue la patronne des pécheresses repenties.
« Quand j'ai vu cela, j'ai pleuré comme une Madeleine. »
Romain Rolland, La Révolte, in Jean-Christophe, 1906.
Voir aussi
MADELEINE
(I)
M
ARS
Les enfants de Mars : les guerriers; les jeux de Mars : la guerre.
Voir aussi
MARS
,
MARDI
,
MARTIAL
« Il avait retrouvé son ancienne élégance martiale. Il se tenait droit (…) À le voir, les
passants eussent facilement reconnu en lui l'un de ces beaux débris de notre ancienne armée,
un de ces hommes héroïques sur lesquels se reflète notre gloire nationale. »
Honoré de Balzac, Le Colonel Chabert, 1832.
M
ATHUSALEM
Vieux comme Mathusalem : « très vieux », comme Mathusalem qui aurait vécu 969 ans !
On dit qu'une chose date de Mathusalem quand elle existe depuis très longtemps.
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