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L’islam dans la culture des Tchouvaches au début du XXIe
siècle: Le syncrétisme religieux dans les rituels des
musulmans tchouvaches
Ekaterina A. Yagafova
Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 42 / Issue 02 / June 2011, pp 113 - 135
DOI: 10.4074/S0338059911002063, Published online: 27 July 2011
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Ekaterina A. Yagafova (2011). L’islam dans la culture des Tchouvaches au début du XXIe siècle: Le
syncrétisme religieux dans les rituels des musulmans tchouvaches. Revue d’études comparatives Est-
Ouest, 42, pp 113-135 doi:10.4074/S0338059911002063
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lislAm dAns lA culTure des TchouVAches
Au débuT du xxie siècle
le syncréTisme religieux dAns les riTuels
des musulmAns TchouVAches
ekaterina a. YAGAFOVA
Directrice de la chaire d’histoire et de théorie de la culture internationale,
Académie d’État de sciences sociales et humaines de la Volga
Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2011,
vol. 42, n° 2, pp. 113-135
Résumé : Le syncrétisme religieux est un objet d’étude fort pertinent dans le cas de la
région Volga-Oural où des influences réciproques ont relié plusieurs systèmes confes-
sionnels (paganisme, christianisme, islam) pendant des siècles. Dans de nombreux
villages de cette région carrefour, l’on observe aujourd’hui les recompositions entre
normes et pratiques relevant de systèmes différents. Dans certaines zones préservées
de l’influence orthodoxe, les populations tchouvaches se sont converties à l’islam
ou en ont subi l’ascendant culturel. C’est à l’exploration de l’histoire et de la réa-
lité contemporaine des lieux peuplés de Tchouvaches musulmans que l’auteur nous
convie dans cet article sur les pratiques religieuses d’acteurs à l’identité fluctuante
et non dénuée d’ambiguïtés. Présentant les résultats d’un travail ethnographique
effectué pendant plusieurs années, l’auteur évalue les diverses variantes d’auto-
définition ethnique et confessionnelle de ces villageois. En parallèle, l’étude des
pratiques (funéraires, notamment, ou encore celles des rites calendaires) lui permet
de nuancer les définitions binaires. Plusieurs degrés d’interaction sont repérés entre
islam et paganisme en fonction de l’empreinte plus ou moins profonde de l’islam sur
les pratiques rituelles locales.
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EkatErina Yagafova
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Peuple turcique de Russie, les Tchouvaches (qui se désignent comme
Čavaš) se répartissent géographiquement, selon les résultats du recen-
sement de 2002, entre la Sibérie occidentale (5,9 %) et la région Volga-
Oural (88,5 %). Parmi ces derniers, 54,7 % résident sur le territoire de
leur république éponyme et 45,3 % se répartissent entre les républiques
du Tatarstan (126 500), du Bachkortostan (117 300) et les régions (oblast)
de Samara (101 400) et d’Oulianovsk (111 300). Les 1,637 million de
Tchouvaches constituent l’un des cinq groupes ethniques les plus nom-
breux de la Fédération de Russie (Ivanov, 2005, p. 17, 269). L’histoire des
Tchouvaches continue à faire l’objet de nombreuses controverses quant
à leur origine hunique et leur assimilation ultérieure aux Bulghars de la
Volga1. Les influences réciproques sur la longue durée avec les populations
finno-ougriennes, turciques et slaves de la région Volga-Oural ont imprégné
leur langue et leur culture. Aujourd’hui très majoritairement orthodoxes
(96 %), les Tchouvaches ont été nombreux à se convertir à partir du milieu
du XVIIIe siècle. Les zones de la Kama et de l’Oural, moins exposées au
prosélytisme des missionnaires orthodoxes, furent davantage soumises à
une influence islamique et présentent les caractéristiques d’un fort syncré-
tisme religieux. Laissant de côté la question de l’islam en République de
Tchouvachie (Braslavskij, 1997 ; Vovina, 2006), nous nous intéresserons ici
aux pratiques rituelles en tant qu’elle révèlent des formes de syncrétisme
religieux parmi les « Tchouvaches musulmans » qui peuplent la zone géo-
graphique partagée entre les républiques du Tatarstan, du Bachkortostan
et les oblasts de Samara et d’Orenbourg.
Cet article traite de deux types de syncrétisme que l’on observe parmi les
« Tchouvaches musulmans » : d’un côté, la minorité des Tchouvaches qui
s’identifient comme Tchouvaches (par leur langue maternelle et leur iden-
tité ethnique) et se définissent également comme musulmans ; de l’autre,
des groupes hétérogènes, sur les plans tant linguistique que culturel, mais
composés de descendants de Tchouvaches islamisés et dont la culture a
conservé la trace de l’héritage musulman. Parmi ces derniers, le spectre
s’étend des Tchouvaches « tatarisés », c’est-à-dire ayant acquis les traits
linguistiques et identitaires des Tatars, aux communautés tchouvaches
christianisées au cours du XXe siècle. Ces dernières sont incluses dans le
groupe ethno-confessionnel des Tchouvaches musulmans pour montrer
l’étendue et la diversité des types sociaux et des formes de syncrétisme
islam-paganisme.
Notre étude de cas met en évidence certaines particularités de l’inte-
raction des systèmes religieux d’où ont résulté des formes complexes de
syncrétisme religieux. Par « syncrétisme religieux », nous entendons « le
processus d’interactions et d’influences réciproques entre des représen-
1. Sur les controverses entre archéologues tchouvaches et tatars, voir ShnireLmAn, 1996.
LisLam dans La cuLture des tchouvaches au début du XXie siècLe 115
tations et des actes cultuels émanant de systèmes religieux différents »
(Kudrjašov, 1974, p. 17). Les formes de syncrétisme répertoriées parmi
les Tchouvaches musulmans se sont élaborées dans l’interrelation du
paganisme et de l’islam dans une région dotée d’une forte hétérogénéité
confessionnelle. On retrouve des formes similaires parmi les populations
maris et oudmourtes dont les systèmes traditionnels de représentation du
monde et les pratiques rituelles furent touchés par l’« angle de réfraction »
constitué par la religion musulmane durant les nombreux siècles de coexis-
tence. L’on peut y voir, à notre avis, un trait spécifique de la diffusion et de
l’existence de l’islam dans la région Volga-Oural ; il est le fruit de compro-
mis permanents dans sa cohabitation avec d’autres systèmes religieux et
sa capacité d’adaptation se manifeste par ses orientations doctrinales, ses
formes rituelles et les résultats de ses transformations.
Étudier l’empreinte de l’islam sur la culture contemporaine des
Tchouvaches permet de jeter un regard neuf sur sa place dans la for-
mation d’un héritage culturel commun aux peuples de la région Volga-
Oural. Par ailleurs, l’usage de matériaux ethnographiques contribue à
renouveler l’histoire du processus d’islamisation, étudié jusqu’à pré-
sent par des chercheurs locaux et étrangers sur la base de documents
d’archives et de sources écrites et considéré comme un phénomène du
passé2. Notre hypothèse est que la réalité contemporaine du syncrétisme
religieux est, en tant que conséquence de ce processus historique, une
porte d’entrée non négligeable pour l’étude du processus en lui-même.
Notre travail de terrain a porté sur les groupes les plus importants et
les plus distinguables culturellement installés dans l’Oural occidental
(République du Bachkortostan, oblast d’Orenbourg), le long de la Volga
(oblast de Samara) et de la Kama (République du Tatarstan) (Carte 1)3.
Grâce aux enquêtes de terrain menées entre 1996 et 2009, nous avons pu
déterminer certaines évolutions4.
2. Citons notamment TAjmASov, 2004 ; jerSiLd, 2000 ; gLAzik, 1959 ; werTh, 2000 eT 2002;
gerAci, 2001 ; durmuS, 2007.
3. Sources primaires rassemblées par l’auteur (SPRA). 1996 : oblast de Samara, district
de Pokhvistnevskij, villages de Rysajkino et de Staroe Gan’kino. 2002 : oblast d’Oren-
bourg, district d’Abdulinskij, village d’Artem’evka ; République du Bachkortostan, dis-
trict de Bižbuljakskij, villages de Zirikly et de Kistenli-Bogdanovo. 2003 : République du
Bachkortostan, district de Šaranskij, village de Borisovka ; district de Fedorvskij, village
de Tenjaevo ; République du Tatarstan, district d’Al’met’evskij, village de Staroe Surkino.
2004 : République du Bachkortostan, district de Mijakinskij, village de Dubrovka ; district
d’Išimbajskij, village de Kantjukovka ; district de Meleuzovskij, village de Zirgan ; district
de Bižbuljakskij, village d’Ibrajkino ; République du Tatarstan, district de Bavlinskij, village
d’Alekseevka. 2005 : République du Tatarstan, district de Čeremšanskij, village de Novoe
Il’movo.
4. Cette étude a été réalisée grâce au soutien du programme n° 03-01-00479. de la Fondation
scientifique de Russie pour les sciences humaines (RGNF).
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cArTe 1
Villages tchouvaches-musulmans, fin XXe-début XXIe siècle
Après une incursion dans l’histoire, l’analyse s’attache aux deux variantes
de syncrétisme religieux observées parmi les Tchouvaches musulmans :
paganisme-islam (c’est-à-dire une prépondérance des éléments païens) et
islam-paganisme (avec une prédominance des éléments musulmans).
1. lArrière-plAn hisTorique
L’islam a commencé à s’implanter parmi les ancêtres des Tchouvaches
dès la période bulghare de l’histoire régionale, imprégnant leurs repré-
sentations religieuses, la pratique du culte, la morale et l’organisation
sociale (Kudrjašov, 1974, pp. 64-65). Une série d’indices mis au jour par
les historiens confirment l’hypothèse d’une islamisation d’une partie des
populations tchouvaches dès cette époque : les épitaphes en langue arabe
enrichies de citations coraniques, la vénération des saints musulmans et la
présence de tombeaux de héros populaires et de hautes personnalités de
l’islam (tel Valem-Khuzja), l’usage d’une terminologie religieuse (pikham-
par, kepe, kharpan, Ersel, kiremen’, kharam, pirešti…), la célébration du
vendredi (ernekun) et le culte des saints (yrsem)5.
L’islamisation des Tchouvaches s’accélère au milieu du XVIIIe siècle,
s’intensifie au cours des années 1860 et se prolonge jusque dans les pre-
5. Se reporter à khATYmoviČ, 1995, p. 210 ; fedoTov, 1980, p. 21; AšmArin, 1902, pp. 129-132 ;
Ibid., 1930, p. 162, 165 ; Ibid., 1935, p. 185.
Orenburg
Ufa
Kama
Kazan
Volga
Simbirsk
Samara
Čeboksary
Volga
Zirgan
Nojabrevka
Mrakovo
Borisvka
Kul’šaripovo
Tatarskoe
Sunčeleevo
Verkhnij Čepkas
Rysajkino
Staroe Gan’kino Zirikly
Ibrajkino
Ilingino
Alekseevka
Staroe Surkino
Novoe Il’movo
Staroe
Afon’kino
Dubrovka
Kantjukovka
Artem’evka
Meleuz
Orenburg
Ufa
Kama
Kazan
Volga
Samara
Čeboksary
Volga
Ul’janovsk
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