Les fidèles et les laïcs dans l`Église

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Les fidèles et les laïcs dans l'Église
Principales abréviations
A
A.A.S.
AC
CCEO
CECDC
CFL
CIC 17
CIC 83
Code Bleu
Comm.
Commento
Dalloz
Apollinaris
Acta Apostolicæ Sedis
L'Année Canonique
Code des canons des Églises orientales (Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium). Texte officiel et traduction française par Émile Eid et René Metz, Cité du Vatican, Librairie Éditrice Vaticane, 1997
Comentario exegético al Código de Derecho Canónico, ouvrage coordonné et dirigé par A. Marzoa, J. Miras et R. Rodríguez­Ocaña, Pampelune, Eunsa, 7 vol., 1996 (pour la 1e éd.)
Jean­Paul II, exhort. ap. Christifideles laici, 30 décembre 1980
Codex Iuris Canonici de 1917
Codex Iuris Canonici de 1983
Code de Droit canonique bilingue et annoté, 3e édition enrichie et mise à jour sous la direction de E. Caparros et H. Aubé avec la collaboration de J. I. Arrieta et D. Le Tourneau, Montréal, 2007
Communicationes
Mons. Pio Vito Pinto, Commento al Codice di Diritto Canonico, Studium romanae Rotæ, Corpus Iuris Canonici I, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2e éd., 2001
Patrick Valdrini, Jean­Paul Durand, Olivier Échappé, Jacques Vernay, Droit canonique, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2e éd., 1999
La Documentation Catholique
Il Diritto Ecclesiastico
Dentzinger, Symbole des définitions de la foi catholique. Enchiridion Symbolorum, sous la direction de Peter Hünermann, Paris, Cerf, 1996
Les droits fondamentaux Les droits fondamentaux du chrétien dans l'Église et dans la société. Actes du IV Congrès international de Droit canonique, Fribourg (Suisse), 6­11 octobre 1989, Fribourg­Fribourg­
i.­Br.­Milan, Éditions Universitaires­Verlag Herder­Dott. A. Giuffrè, 1981
Elementos
Javier Hervada, Elementos de Derecho Constitucional Canónico, Pampelune, Eunsa, 1987
Escritos
Pedro Lombardía, Escritos de Derecho Canónico, Pampelune, Eunsa, 5 vol., 1973­
Landry Gbaka­Brédé, La doctrine canonique sur les droits fondamentaux des fidèles et sur leur réception dans le code de 1983, Rome, Edizioni Università della Santa Croce, Dissertationes. Series Canonica ­ XVI, 2005
Hervada
Escritos en honor de Javier Hervada, Ius Canonicum, volúmen especial, Pampelune, 1999
FI
Fidelium Iura
Fidèles et laïcs
Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs dans l'Église. Fondement de leurs statuts juridiques respectifs, Paris, S.O.S., 1980
Jean Gaudemet, Le droit canonique, Paris, Cerf­Fides, 1989
IC
Ius Canonicum
IE
Ius Ecclesiae
Il governo
Ombretta Fumagalli Carulli, Il governo universale della Chiesa e i diritti della persona, Milan, Vita et Pensiero Università, 2003
Ius et communio
Ius et Communio. Scritti di Diritto Canonico a cura di Graziano Borgonovo e Arturo Cattaneo, prefazione di S. E. Mons. Angelo Scola, Piemme, 2 vol., 1997
Ius in vita
Ius in vita et in missione Ecclesiae. Acta Symposii Internationalis Iuris Canonici occurrente X anniversario promulgationis Codicis Iuris Canonici diebus 19­24 Aprilis in Civitate Vaticana celebrati, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1994
J
The Jurist
DC
DE
DH
Kaslik
La condición jurídica
La misión
LEF
Ley fundamental
ME
Metodo, fonti
Nouveau Code
PB
Pensamientos
Pueblo de Dios
RDC
REDC
SC
Studi
Text and Com.
Vetera et Nova
Acta Symposii Internationalis circa Codicem Canonum Ecclesiarum Orientalium. Kaslik, 24­29 Aprilis 1995, publié sous la direction de Antoine Al­Ahmar, Antoine Khalifé, Dominique Le Tourneau, Kaslik, Université Saint­Esprit, Liban, 1996
Luis Okulik, La condición jurídica del fiel cristiano. Contribución al estudio comparado del Codex Iuris Canonici y del Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium, Buenos Aires, 1995
La misión del laico en la Iglesia y en el mundo. VIII Simposio Internacional de Teología, Pamplona, Eunsa, 1987
Lex Ecclesiæ Fundamentalis
Dominique Le Tourneau, Le droit canonique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais­je ? », 3e éd, 2002
Dominique Le Tourneau, Le droit de l'Église, Paris, Éditions Le Laurier, 1999
Dominique Le Tourneau, « Réflexions sur la partie « De christifidelibus » du Code », AC 28 (1984), p. 173­189
Dominique Le Tourneau, « Le sacerdoce commun et son incidence sur les obligations et les droits des fidèles en général et des laïcs en particulier », RDC 39 (1989), p. 155­194
Dominique Le Tourneau, « Les droits et les devoirs fondamentaux des fidèles et la communion dans l'Église », Ius in vita, p. 367­383
Daniel Cenalmor, La Ley fundamental de la Iglesia. Historia y análisis de un proyecto legislativo, Pampelune, Eunsa, 1971
Monitor Ecclesiasticus
Pontificia Università della Santa Croce­Università di Roma Tor Vergata, Metodo, fonti e soggetti del Diritto canonico. Atti del Convegno Internazionale di Studi « La Scienza Canonistica nella secondo metà del '900. Fondamenti, metodi e prospettive in D'Avack, Lombardía, Gismondi e Corecco » a cura di J. I. Arrieta e G. P. Milano, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1999
Le nouveau Code de Droit canonique ­ The New Code of Canon Law. Actes du Ve Congrès international de Droit canonique, organisé par l'Université Saint­Paul et tenu à l'Université d'Ottawa du 19 au 25 août 1984, publiés sous la direction de Michel Thériault et de Jean Thorn, Ottawa, 2 vol., 1986
Jean­Paul II, const. ap. Pastor Bonus réorganisant la Curie romaine, 28 juin 1988
Javier Hervada, Pensamientos de un canonista en la hora presente, Pampelune, Eunsa, 1989
Manuel Enrique González, Libro II del CIC. Pueblo de Dios. I. Los fieles, Valence, Instituto de Estudios Canónicos, Textos escolásticos 3, 2005
Revue de Droit Canonique
Revista Española de Derecho Canónico
Studia Canonica
Jean­Pierre Schouppe, Le droit canonique. Introduction générale et droit matrimonial, préface de J. Gaudemet, Bruxelles, Story­Scientia, 1990
Julián Herranz, Studi sulla nuova legislazione della Chiesa, Milan, Dott. A. Giuffrè Editore, 1990
The Code of Canon Law. A Text and Commentary, commissioned by the Canon Law Society of America. A comprehensive commentary on the 1983 Code of Canon Law by leading canon lawyers in the United States, with a complete English text of the Code, edited by James A. Coriden, Thomas J. Green, Donald E. Heintschel, New York­Mahwah, 1985
Javier Hervada, Vetera et Nova. Cuestiones de Derecho Canónico y afines (1958­1991), Pampelune, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 2 vol., 1991
Jean Werckmeister, Petit dictionnaire de Droit canonique, Paris, Cerf, 1993
Introduction
I ­ Vatican II et notre sujet
1. L'« épine dorsale » du Code
Vatican II en termes canoniques. Le Code de droit canonique latin1, cela a été souvent rappelé, « représente, d'après le législateur suprême, un grand effort pour traduire in sermone canonico » la doctrine de l'ecclésiologie conciliaire2. La présence de cette ecclésiologie renouvelée dans le Code de Droit canonique de 1983, ainsi que dans le Code des canons des Églises orientales3, se remarque notamment à quatre grandes lignes directrices, sur lesquelles nous reviendrons : 1. l'appel universel à la sainteté ; 2. la liberté ou autonomie des laïcs dans le domaine temporel, domaine qu'ils doivent sanctifier, c'est­à­dire orienter vers Dieu ; 3. la liberté dans le domaine apostolique, autrement dit le devoir et le droit de faire de l'apostolat, d'évangéliser, sans que cela requière un mandat particulier de la hiérarchie ; 4. l'aptitude ou capacité à remplir certaines fonctions de la structure officielle de l'Église, des fonctions de gouvernement donc, qui n'exigent pas d'avoir reçu le sacrement de l'ordre4.
Vatican comme référence. Les canons du Code en général, et en particulier ceux qui nous intéressent ici, doivent donc être interprétés à la lumière de l'enseignement du dernier Concile œcuménique Vatican II. Présentant le CIC 83, le pape Jean­Paul II déclarait ceci : « Il est certain que les postulats, tout comme les orientations pratiques indiquées par le ministère de l'Église, trouvent dans le nouveau Code des correspondances exactes et ponctuelles, parfois même littérales. Je voudrais vous inviter, à titre d'essai, à comparer le chapitre II de Lumen gentium avec le Livre II du Codex : le titre De Populo Dei est commun aux deux, et même identique. Croyez­moi, il sera très utile et très éclairant pour celui qui veut procéder à un examen plus soigné de procéder à une comparation exégétique et critique des paragraphes et canons respectifs ». Ce chapitre II de Lumen Gentium a été qualifié d'« épine dorsale » du Livre II du Codex5.
2. L'influence conciliaire
Le Livre II. Le Livre II est intitulé « Le Peuple de Dieu » tout comme le chapitre le plus significatif de la constitution dogmatique Lumen gentium, le chapitre II, nous venons de le dire. Bref historique de LG. Ce chapitre de Lumen gentium provient de la division en deux d'une rubrique De Populo Dei et speciatim de laicis, placée par la Commission codificatrice après la section réservée à la hiérarchie. L'autre partie est devenue le chapitre IV De laicis. Cette division est très significative 1 Code de Droit canonique bilingue et annoté, cité désormais Code Bleu (de la couleur de sa couverture). L'ouvrage de référence a été publié sous l'égide de l'Instituto Martín de Azpilcueta et la Faculté de Droit canonique de l'Université de Navarre, Comentario exegético al Código de Derecho Canónico, cité comme suit : nom de l'auteur, « Commentaire au c. x », CECDC, vol. II, p. Les mêmes institutions universitaires préparent un Diccionario General de Derecho Canónico.
2 Jean­Paul II, const. ap. Sacræ disciplinæ leges, 25 janvier 1983, par laquelle il promulgait le CIC.
3 Code des canons des Églises orientales ­ Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium.
4 Cf. Juan Fornés, « El laicado en el ordenamiento canónico (del Código de 1917 al Código de 1983) », La misión, p. 593.
5 Rosalio Castillo Lara, « Discours de présentation officielle du nouveau Code », Com. 15 (1983), II, p. 32.
de la séparation voulue par le législateur entre un « concept générique de membre du Peuple de Dieu (condition commune, plan de l'égalité) et un autre concept spécifique, dont la description typologique est centrée sur la sécularité (laicus) »6.
L'ecclésiologie conciliaire. Le Concile envisage l'Église comme Peuple de Dieu, Corps du Christ et communio.
a) Peuple de Dieu : une notion conciliaire. La notion de « Peuple de Dieu » est directement tirée de ce chapitre : « Dieu n'a pas voulu sanctifier et sauver les hommes individuellement et sans qu'aucun rapport intervienne entre eux, mais plutôt faire d'eux un peuple qui le reconnaisse vraiment et le serve dans la sainteté »7.
b) L'Église, Corps du Christ. « Dans la nature humaine qu'il s'est unie, le Fils de Dieu, (...) a racheté l'homme et l'a transformé pour en faire une nouvelle créature. Car en communiquant son Esprit, il a mystiquement établi ses frères (...) comme son propre corps »8, structuré par la Parole et les sacrements. Le pouvoir sacré vient donc de l'Esprit, est d'ordre surnaturel, non un produit de la démocratie.
c) L'Église, communion. Par le baptême et la foi, tout fidèle est inséré dans l'Église et uni par la charité aux autres fidèles. « Dans la perspective de l'Église comprise comme communion, l'universelle communion des fidèles et la communion des Églises ne sont pas une conséquence l'une de l'autre, mais constituent la même réalité vue selon des perspectives différentes.9 »
Une nouveauté. La nouveauté conciliaire consiste dans le fait d'avoir affirmé que le Peuple de Dieu habet pro conditione dignitatem libertatemque filiorum Dei10.
a) La condition en question. Conditio indique dans ce contexte le statut fondamental ou constitutionnel de membre du Peuple de Dieu, de cives Ecclesiæ11.
b) Quelle genre de dignité ? La dignité dont parle le texte conciliaire n'est pas une dignité morale, mais la dignité ontologique, de l'être, qui n'est propre qu'à la personne humaine, et qui lui confère une valeur ontologique particulière et une prééminence sur les autres êtres non personnels. Elle ne provient pas des fins auxquelles la personne est appelée, et possède donc une valeur absolue, au sens thomiste du mot, non au sens kantien, lequel serait individualiste, isolant et non­solidaire12.
c) La liberté : une précision importante. Quand nous parlons de liberté, nous ne nous référons pas à celle qui figure sur le frontons de nos bâtiments publics, pour honorable qu'elle soit13. Nous partons 6
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11
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13
Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs, p. 37­41 (la citation est à la p. 40).
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 9/a.
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 7/a.
Congr. pour la Doctrine de la foi, Lettre Communionis notio sur l'Église comprise comme communion, 28 mai 1992, n° 10.
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 9/b.
Un canoniste opposé à cette notion estime que « le Code tout entier peut être considéré comme représentant une « constitution des fidèles du Christ » adéquate et juridiquement complète » (Rosalio Castillo Lara, « Some General Reflections on the Rights and Duties of the Christian Faithful », SC 20 (1986), p. 18).
Cf. tout le développement sur le sujet réalisé par Javier Hervada, « La dignidad y la libertad de los hijos de Dios », FI 4 (1994), p. 9­31, en particulier p. 11­12, 17­18. Au sens de l'Aquinate, « que la dignité ontologique soit quelque chose d'absolu et de non relatif signifie simplement qu'elle a trait à l'essence de la nature (qui est un aspect éminent du statut ontologique de la personne) et non à la relation » (p. 18).
Et dont Jean­Paul II a dit que, tout comme l'égalité et la fraternité, elles ont une origine chrétienne : « Ce sont là au er
fond des valeurs chrétiennes » (Jean­Paul II, Homélie au Bourget, 1 juin 1980, DC 77 (1980), p. 585 ; cité dans Dominique Le Tourneau, L'Église et l'État en France, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais­je ? », d'une anthropologie selon laquelle l'être humain est créé libre « à l'image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26)14. Cette dignité ontologique fait que l'homme ne se donne pas sa loi à lui­même, mais la reçoit du Créateur15. La liberté n'existe au sens plénier du terme que lorsque l'homme répond à la loi naturelle « inscrite dans son cœur » par Dieu (Rm 2, 15)16. Toute autre liberté n'est que libertinage17.
Une liberté responsable. Dans le domaine juridique, celui qui nous absorbe ici, la liberté est un droit qui présente de multiples manifestations canoniques, et dont l'exercice appelle estime et sauvegarde de la part et de l'autorité et des fidèles, comme nous le verrons plus avant. Cet exercice suppose que les fidèles assument leurs obligations et leurs droits, aussi pleinement que faire se peut, et prennent les initiatives qui leur paraissent opportunes en vue de contribuer diligemment à la finalité de l'Église, qui peut se ramener à la salus animarum18.
II. La genèse du Livre II CIC 83
1. Trois étapes
La rédaction de ce Livre II a suivi trois étapes.
a) Le Schéma de 1977. Intitulé Du Peuple de Dieu, le premier Schéma, en 1977, divise le Livre en deux parties : les personnes en général (personnes physiques ­ droits et devoirs de tous les baptisés, associations ­ et personnes juridiques), et les personnes en particulier (clercs, structure de l'Église, membres consacrés, laïcs).
b) Le Schéma de 1980. Le second Schéma renvoit en 1980 au Livre I tout ce qui a trait aux personnes physiques et juridiques et divise le reste de la matière en trois parties : les chrétiens (ministres et laïcs), la structure de l'Église, les associations (vie consacrée, vie apostolique, autres associations de fidèles).
2000, p. ).
14 Il faut préciser quelle « est notre grande dignité : nous ne sommes pas simplement images, mais fils de Dieu » (Benoît XVI Joseph Ratzinger, Paul, apôtre de l'unité, Paris, Médiaspaul, 2008, p. 31).
os
15 Cf. Jean­Paul II, enc. Veritatis splendor, 6 août 1993, notamment n 35­53.
16 Cf. Javier Hervada, « Magisterio social de la Iglesia y libertad del fiel en materias temporales », Vetera et Nova, vol. II, p. 1326­1330.
17 Cf., par exemple, « Le croyant n'est plus un homme contraint, obligé de l'extérieur à une obéissance. Il est dorénavant porté à la rencontre du Sauveur. Dire en effet que la Loi ne sauve pas, pas plus que tous les usages qu'elle avait fini par recommander aux croyants pour épauler leur fidélité, ne signifie pas pour Paul une simple et facile passivité devant Dieu, voire une complicité avec le péché : « Finalement peu importe, la foi sauve... » Cette liberté­là serait en fait du libertinage » (Jean­Michel Poffet, Paul de Tarse, Paris, Nouvelle Cité ­ Prier Témoigner, coll. Regard, 1998, p. 50­51).
18 Cf. c. 1752 et dernier du CIC 83 ; c. 595 § 2 CCEO (qui n'en fait toutefois pas la « loi suprême » de l'Église). Cf. sur ce point, IE 12 (200), avec les articles suivants : Julián Herranz, « Salus animarum, principio della santità nella Chiesa », p. 291­306 ; Paolo Moneta, « La salus animarum nel dibattito della scienza canonistica », p. 307­326 ; Carlos José Errázuriz M., « La salus animarum tra dimensione comunitaria ed esigenze individuali delle persone », p. 327­341 ; Juan Ignacio Arrieta, « La salus animarum quale guido applicativo del diritto da parte dei pastori », p. 343­374 ; Helmut Pree, « Le techniche canoniche di flessibilizzazione del diritto : possibilità e limite ecclesiali di impiego », p. 375­418 ; Pablo Gefaell, « Fonti e limiti dell'okonomia nelle tradizione orientale », p. 419­436 ; Paul O'Callaghan, « Il principio della « salus animarum » nelle altre confessioni cristiane », p. 437­463 ; I. Pérez De Heredi, « I perfili ecumenici della salus animarum nella codificazione della Chiesa cattolica », p. 465­491.
c) Le Schéma de 1982. Enfin en 1982, la dernière mouture comprend, dans une première partie, les fidèles en général avec leurs droits et leurs devoirs, les laïcs, les clercs et les associations. Dans une deuxième partie, la hiérarchie : autorité suprême de l'Église, Églises particulières et, dans celles­ci, un titre propre sur les prélatures personnelles. Une troisième partie porte sur la vie consacrée et la vie apostolique.
Le Code promulgué. Telle est la structure que nous retrouvons dans le Code promulgué par Jean­Paul II, à ceci près que le titre sur les prélatures personnelles est devenu le titre IV de la première partie du Livre II, après les clercs et avant les associations de fidèles.
2. La Lex Ecclesiæ Fundamentalis (LEF)
L'origine de la LEF. Le pape Paul VI avait demandé d'examiner la possibilité de rédiger une Loi fondamentale ou constitutionelle de l'Église. Quatre projets ont alors été élaborés. Toutefois, en raison des problèmes soulevés, le même pontife estima que la Loi de nouvait pas être publiée « pour le moment »19. La plupart de ses canons ont cependant été incorporés à la codification.
Une polémique. Le projet de Lex Ecclesiæ Fundamentalis, comprise comme la Loi constitutionnelle de l'Église, a fait l'objet de critiques virulentes d'un secteur de la doctrine canonique, principalement aux États­Unis et en Allemagne, critiques qui ont créé un climat malsain de polémique et de pressions. Fuites, déformation des textes, campagne de presse, tout a été employé avec bonheur.
Les critiques. Quelles étaient les critiques adressées à la LEF ? Outre les tendances anti­juridiques alors existantes20, on reprochait au projet de loi de citer abondamment les textes du concile Vatican II tout en étant en désaccord avec eux ; de favoriser l'instauration d'une Église centralisatrice, autoritaire et hiérarchologique ; de n'attribuer que trop peu de pouvoirs aux évêques ; de ne pas appliquer pleinement le principe d'égalité fondamentale à tous les fidèles ; de comprendre par hiérarchie uniquement le binôme pape­évêques, le reste des fidèles se trouvant réduit au rôle de simples collaborateurs ; de mélanger des principes juridiques, comme la division des pouvoirs, avec des principe théologiques, tels les munera Christi21 ; de ne pas donner une image appropriée de l'Église... Critiques qui, on le constate, étaient parfois contradictoires.
L'anti­juridisme. En réalité, nombre de ces critiques provenaient du climat anti­juridique évoqué et, par suite, d'un manque de juste compréhension de la nature et du rôle du droit dans l'Église, ou tout simplement de son rejet pur et simple22.
Des droits antérieurs à la loi positive. D'ailleurs, comme la Commission de rédaction de la LEF a tenu à le relever, l'ensemble des devoirs et des droits qui nous occupent « en tant que provenant du droit divin et qu'apparaissant comme une exigence radicale ayant son fondement dans la condition ontologique des fidèles du Christ, existe avant toute loi positive et s'impose indépendemment 19 Le projet définitif est achevé le 12 janvier 1980. Paul VI décide peu après de ne pas le publier provisoirement, décision qui devient définitive en octobre 1981. Sur la nature et la finalité de la Loi fondamentale, cf. le chap. I de la IIIe partie de Daniel Cenalmor, Ley fundamental, p. 191­242. La raison en est probablement le désir de ne pas créer d'obstacle à l'œcuménisme. Cf. le débat entre les cardinaux Felici et Willebrands au synode des évêques de 1980, Com. 12 (1980), p. 543­545.
20 Cf. Julián Herranz, « L'apport de l'épiscopat à la nouvelle codification canonique », AC 23 (1979), p. 275­288.
21 Pour le développent historique des tria munera, cf. Aurelio Fernández, Munera Christi et munera Ecclesiæ, Pampelune, Eunsa, 1982.
22 Cf. Cf. Daniel Cenalmor, Ley fundamental, p. 33.
d'elle »23. Nous avons donc à faire à un noyau de droit divin et, comme tel, immuable, et à un développement historique, qui est fonction de la perception que l'Église a d'elle­même et qui est soumis à évolution et appelé à être mis à jour et perfectionné.
Une loi fondamentale... Malgré tout, nombre de canonistes étaient favorables à une loi fondamentale, même quand ils rejetaient le textus emendatus proposé par la Commission ad hoc24.
... constitutionnelle. De plus, la plupart d'entre eux, y compris parmi ceux qui étaient opposés au projet de LEF tel qu'il était rédigé, estimaient qu'il s'agissait bien d'un projet de loi constitutionnelle25.
3. Une loi constitutionnelle
L'avantage d'une loi constitutionnelle. Il est permis d'estimer encore que si devoirs et droits se trouvaient inclus dans une loi de rang constitutionnel, par conséquent juridiquement supérieure aux lois ordinaires, « la prévalence des droits fondamentaux serait mieux assurée dans leur essence immuable de droit divin, ainsi que dans les traits constitutionnels humains que leur configuration historique assume à chaque époque »26.
La valeur constitutionnelle des devoirs et des droits. Lombardía juge que même si les canons 208­
223 CIC 8327 sont intégrés dans le loi ordinaire, ils ont « incontestablement un contenu constitutionnel et nombre des droits que le Code proclame et des devoirs qu'il exige se fondent dans le Droit divin », naturel ou positif. Ces normes l'emportent sur le droit humain et lui sont donc « prévalentes » à l'heure d'interpréter les autres normes28. Pour Hervada, nous sommes en présence d'un « droit constitutionnel matériel », comme dans toute société29.
Le catalogue des droits fondamentaux et la loi ordinaire. Étant donné que, comme nous l'avons vu, les devoirs et les droits des canons 204­231 positivisent des normes d'origine divine et ont, de ce fait, un rang constitutionnel, ils possèdent une force juridique supérieure à celle de la loi ordinaire30, purement humaine, qui devra donc être interprétée selon ces devoirs et ces droits fondamentaux31. En effet, il n'est pas possible « de séparer et d'opposer dans l'Église le bien public et le bien privé », étant donné que chaque fidèle réalise sa mission et s'accomplit pleinement « en participant à la 23 Cf. Com. 2 (1970), p. 9.
24 C'est le cas, entre autres, de K. Mörsdorf, W. Aymans, E. Corecco, H. Schmitz. Cf. Daniel Cenalmor, Ley fundamental, p. 149.
25 Cf. Daniel Cenalmor, Ibid., p. 162. « Sont constitutionnelles les lois qui définissent la situation juridique du fidèle dans l'Église, en ce qu'elles formalisent ses droits et ses devoirs fondamentaux. Sont également constitutionnelles les normes qui fixent les principes juridiques au sujet du pouvoir ecclesiastique et de la fonction pastorale de la hiérarchie, constituant ainsi la Communauté des croyants en une société hiérarchiquement ordonnée. Finalement sont également constitutionnelles les normes fondamentales qui assurent aussi bien la protection des droits et l'exgibilité des devoirs des fidèles qu'un régime juridique de l'exercice du pouvoir, pour que cette fonction ne donne pas lieu à la précellence des gouvernants par rapport aux gouvernsz ; mais que, au contraire, l'exercice du pouvoir soit une fonction de service de la commuanuté » (Pedro Lombardía, Lecciones de Deercho Canónico, Madrid, Tecnos, 1984, p. 74­75).
26 J. I. Arrieta, « I diritti dei soggetti nell'ordinamento canonico », FI 1, 1991, p. 41.
27 Ce qui est dit du Code latin vaut évidemment aussi pour les c. 11­26 CCEO.
28 Cf. P. Lombardía, Lecciones..., o.c., p. 81­82
29 Cf. Javier Hervada, Pensamientos, p. 124­125.
30 Cf. Com. 2 (1970), p. 91 : cet ensemble de droits et de devoirs s'enracine dans la condition ontologique du fidèle et, par suite, « existentiam habet ante quamlibet legem positivam et vi pollet independenter ab ipsa ».
31 Cf. Dominique Le Tourneau, « Réflexions sur la partie « De christifidelibus » du Code », AC 28 (1984), p. 173­189.
communauté ecclésiale, instituée précisément comme sacrement de salut pour tous les hommes »32.
Des droits « cardinaux ». Nous pouvons faire appel à la notion de cardinal, du latin cardo, « charnière », « gond », pour qualifier les devoirs et les droits soumis à examen de « cardinaux » en ce sens que d'autres droits des fidèles s'articulent sur eux33.
Un critère d'interprétation. Par conséquent, le corpus des devoirs et droits fondamentaux dans l'Église a la portée juridique de critère d'interprétation de l'ensemble du système canonique. Ce corpus est décisif à l'heure de connaître la mens legislatoris et participe aussi des principes généraux du droit cum æquitate canonica servatis34.
Constitutionnels ou fondamentaux. Par suite, les qualificatifs « fondamentaux » ou « constitutionnels » sont équivalents. « C'est pourquoi, il n'est pas question de considérer une catégorie de droits pour en analyser l'adaptabilité à la structure constitutionnelle comme le font bien des auteurs ; ou encore de déduire le caractère constitutionnel de ces droits du fait qu'ils sont inclus dans un texte constitutionnel comme c'était le cas de la LEF : pour la même raison le report de celle­ci ne peut pas en faire disparaître la nature fondamentale. Enfin, il ne s'agit pas non plus d'attribuer une dignité constitutionelle à un certain type de droit. En effet, les droits fondamentaux ou constitutionnels découlent de la constitution de l'Église. »35
4. Un report partiel de la LEF
Un report incomplet de la LEF. Notons que les Codes latin et oriental ne reprennent pas l'intégralité des dispositions de la LEF en matière de devoirs et de droits des fidèles. En effet, un certain nombre de canons en sont absents : il s'agit des canons 3 sur les relations de l'Église avec les peuples, 4 sur l'appel de tous à appartenir à l'Église et leur droit de le faire, 7 sur les relations avec les autres communautés chrétiennes, et 8 § 1 sur la situation des non baptisés.
Un report malencontreux ? De toute façon, tel auteur regrette ce report de la LEF au Codex : il eût été préférable, souligne­t­il, de traiter séparément les droits fondamentaux, ou considérés tels. Ne pas le faire, comme dans la législation présente, c'est les priver, au moins formellement, du « plus » qui devrait les caractériser par rapport aux autres droits36.
32 Dominique Le Tourneau, « Les droits et les devoirs... », Ius in vita, p. 379.
33 Ce que conteste Rosalio Castillo Lara, « Some General Reflections... », a.c., p. 17. Hervada en donne l'explication suivante : « Le nouveau CIC contient une large déclaration des droits et des devoirs des fidèles et des laïcs, sans précédent dans la législation canonique. L'aspect le plus important de cette déclaration, est, du fait de sa nature de statut fondamental du chrétien (droit constitutionnel, ius constitutivum Ecclesiæ), de se poser en critère d'interprétation de l'ensemble du Code, tout comme le reste du ius divinum constitutivum, tel que le principe hiérarchique. En disant que c'est un critère d'interpétation du CIC, je ne veux pas parler seulement de la nécessaire concordia canonum, mais de quelque chose de plus radical. Toutes les dispositions du CIC qui affectent d'une façon ou d'une autre les droits et les libertés des fidèles et des laïcs doivent être interprétées de telle sorte que ces droits et ces libertés soient sauvegardés, même si la lettre de la loi ne permet pas cette interprétation » (Javier Hervada, « El nuevo Código de Derecho canónico : visión de conjunto », Scripta Theologica 15 (1983), p. 748­749).
34 Cf. respectivement c. 17 et 19 CIC 83 ; c. 1499 et 1501 CCEO.
35 Landry Gbaka­Brédé, La doctrine canonique sur les droits fondamentaux des fidèles et sur leur réception dans le code de 1983, Rome, Edizioni Università della Santa Croce, Dissertationes. Series Canonica ­ XVI, 2005, p. 302. Cet ouvrage fait le point sur la doctrine canonique en matière de droits fondamentaux à la suite du CIC 17, à partir des travaux de codification et de leur influence sur le codificateur de 1983.
36 Cf. Iván C. Ibán, « Posibilidad de trasladar la categoría « derecho fundamental de asociación » al Derecho canónico », Das Konsoziative Element in der Kirchenrecht. Akten des VI. Internationalen Kongresses für III ­ La structure du Livre II
1. Une révolution copernicienne
Le livre le plus long du Codex. Le Livre II est le plus développé de tout le CIC 83, avec ses 543 canons, près d'un tiers, non pas de la législation canonique comme certains l'ont écrit37, car celle­ci ne se limite pas au CIC, mais un tiers du Code latin38. Il est divisé en trois parties : Les fidèles du Christ (c. 204­329), la constitution hiérarchique de l'Église (c. 330­572) et les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique (c. 573­746).
Une révolution copernicienne. Nous avons là un changement copernicien39 par rapport au Code de 1917, dont le livre correspondant avait pour titre « De Personis » et se trouvait divisé également en trois : les clercs (c. 108­486), les religieux (c. 487­681) et les laïcs (c. 682­725).
Les fidèles dans le CIC 17. La première codification latine reconnaissait de façon générale les droits des chrétiens découlant du baptême (c. 87 CIC 17) et, parmi d'autres normes destinées à protéger divers droits de l'homme et du chrétien40, formulait expressément le droit des fidèles laïcs à recevoir des clercs les biens spirituels, en premier lieu ceux nécessaires au salut (cf. c. 682 CIC 17). Au total, seuls 14 canons traitaient explicitement des laïcs, essentiellement à propos des associations de fidèles41. Il n'empêche que la conception hiérarchologique alors dominante n'envisageait les fidèles que comme de simples sujets de l'autorité de l'Église (la distinction Ecclesia docens et Ecclesia discens, ou encore cœtus dominans et cœtus obœdiens).
Une nouvelle pierre angulaire. Le Codex de 1983 ne place donc plus la hiérarchie au centre de la structure de l'Église, tout en réaffirmant et protégeant son existence. Il abandonne ainsi la notion de societas inæqualis fondée sur la distinction entre clercs et laïcs. Il la centre en revanche sur la participation de tous les baptisés à l'office sacerdotal, prophétique et royal du Christ (cf. c. 204 § 1). Le communis christifidelium status est « la nouvelle pierre angulaire de l'édifice constitutionnel de l'Église, et représente l'enrichissement matériel le plus significatif du droit post­conciliaire »42.
Le CIC 83. À l'inverse du CIC 17, le CIC 83 présente ainsi l'Église non seulement comme une société hiérarchique (c. 204), mais surtout comme « communion » (c. 205), « signe et moyen d'opérer l'union intime avec Dieu et l'unité de tout le genre humain »43. Cette approche non cléricale, un événement dans l'Église, montre à l'évidence que le sujet fondamental de la vie ecclésiale n'est pas le clerc ou la hiérarchie ­ on ne naît ni clerc ni épiscope ! ­ mais le chrétien, un homme ou une femme, qui n'est pas 37
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kanonisches Recht, hrsg. von Winfried Aymans­Karl­Theodor Geringer­Heribert Schmitz, St. Ottilien, Eos Verlag Erzabtei, 1989, p. 453.
Cf. L. Chiappetta, Il Codice di Diritto Canonico. Commento giuridico pastorale, Naples, Edizioni Dehoniane, 1988, p. 265.
Pour le Code des canons des Église orientales, cela équivaut aux Titres I à XII, c. 1­583, soit également près d'un tiers du Code.
L'expression est reprise de Mgr Romita par Rinaldo Bertolino, La tutela dei diritti nella Chiesa. Dal vecchio al nuovo codice di diritto canonico, Turin, Giappichelli Editore, 1983.
Cf. G. Lo Castro, Il soggetto e i suoi diritti nell'ordinamento canonico, Milan, Dott. A. Giuffrè Editore, 1985, p. 202 ss.
Cf. Mario Falco, Introduzione allo studio del « Codex Iuris Canonici », Bologne, Il Mulino, 1992, p. 271­273.
Ombretta Fumagalli Carulli, Il governo p. 105.
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 1 ; cf. Jean­Paul II, const. ap. Sacræ disciplinæ leges, de promulgation du CIC, 25 janvier 1983.
« quelconque », mais a des obligations et des droits, car il appartient à une communauté ordonnée au salut des âmes.
La vraie place de la hiérarchie. En outre, le Code ne place pas la hiérarchie en dehors ou au­dessus du Peuple de Dieu, mais à sa vraie place, c'est­à­dire en son sein, d'où elle peut le guider le mieux.
2. Une remarque terminologique
Personne ou fidèle ? Une remarque terminologique s'impose. Nous parlons de christifideles, de fidèles du Christ. Mais nous avons aussi recours par endroits à la notion de « personne »44. Sagit­il du même terme ou de termes dissemblables ? Le premier n'apparaissait dans le CIC 17 que dans l'Index analytico­alphabetico, mais était absent du texte des canons. Le concept de personne est de nature principalement juridique, tandis que celui de fidèle est davantage ecclésiologique. L'expression « personne dans l'Église » du canon 96 CIC 83 s'identifie avec la notion de fidèle du canon 20445. Cependant, il ressort des travaux de codification qu'il n'y pas univocité : l'expression de personis du Livre I, titre VI, qui s'ouvre par le canon 96, a une signification essentiellement juridique, alors que l'expression de Populo Dei du Livre II est essentiellement théologique46. En outre, l'on peut être « personne » sans être « fidèle » de l'Église catholique. Cela se déduit aisément, par exemple, de normes telles que les canons 747 § 2, 768 § 2 ou 147647.
Un double effet. Jean Gaudemet48 relevait que le baptême produit un double effet : un effet que nous pourrions qualifier de « religieux », qui fait de l'homme (l'être humain) « un chrétien » (un « fidèle dans le Christ », un christifidelis), et un effet juridique, le baptême faisant de l'homme une « personne », c'est­à­dire un sujet de droits et d'obligations dans l'Église.
Des synonymes. En réalité, dans l'usage courant, l'on emploie indifféremment l'un ou l'autre terme. Persona et christifideles sont donc synonymes. Les devoirs et droits du chrétien, c'est­à­dire de la personne qui a été baptisée, sont les devoirs et les droits du fidèle du Christ49.
Diversité de capacités. Le canon 96 parle des personnes physiques attenta quidem eorum condicione, alors que le canon 204 § 1 dit secundum suam propriam condicionem. La capacité juridique a trait à l'égalité de toutes les personnes, déjà nées aussi bien que le nasciturus et que les personnes juridiques, et même certains sujets sans personnalité50. La capacité d'agir a trait à la diversité des personnes et dépend de la variété de leur condition canonique. Elle s'identifie avec la possibilité d'être sujet d'une activité produisant des effets d'ordre juridique. Elle n'est donc pas la même pour tous51.
44 Cf. Pedro Lombardía, « La persona en el ordenamiento canónico (Posibilidades de un Derecho Canónico de la persona) », Escritos, vol. III, 1974, p. 57­78.
45 Cf. Juan Fornés, « El principio de igualdad... », a.c., p. 138. « Il n'existe ni opposition ni distinction entre le fait d'être persona in Ecclesia (moins encore dans l'acception exprimée par le c. 96) et celui d'être fidèle. Les droits et les devoirs des chrétiens, c'est­à­dire propres à la personne baptisée (c. 96) ne sont rien d'autre que les droits et les devoirs des christifideles (c. 208 et sv) » (Gaetano Lo Castro, Il soggetto e i suoi diritti..., o.c., p. 60.
46 Cf. Com. 12 (1980), p. 52­54 ; 14 (1982), p. 154­155 ; cf. Dominique Le Tourneau, « Réflexions... », a.c., p. 176­177.
47 Le premier sur le jugement moral de l'Église en faveur des « droits fondamentaux de la personne humaine », le second sur l'enseignement par les pasteurs de la doctrine de l'Église sur la « dignité et la liberté de la personne humaine », le troisième sur la capacité de « toute personne, baptisée ou non », d'ester en justice ; cf. respectivement c. 595 § 2, 616 § 2, 1134 CCEO. Cf. Gaetano Lo Castro, Il soggetto e i suoi diritti..., o.c., p. 97.
48 Cf. Jean Gaudemet, Le Droit canonique, Paris, Cerf­Fides, coll. « Bref », 1989, p. 26.
49 Cf. Luis Okulik, La condición jurídica..., o.c., p. 92­93.
50 Cf. c. 310 CIC 83 (sans équivalent oriental).
51 Cf. Juan Fornés, « El principio de igualdad en el ordenamiento canónico », FI 2 (1992), p. 139­140.
3. Une nouvelle conception de l'autorité
Une autorité de service. Étant donné que le fidèle appartient à une communauté ordonnée au salut, l'autorité est désormais comprise dans l'Église non comme l'exercice d'un pouvoir mais comme une diakonia, un « service »52. Il serait très illustratif à cet égard de lire l'introduction à la constitution apostolique Pastor Bonus53. Ceci explique que le CIC 83 consacre plus de deux cents canons à légiférer sur la vocation et la mission des fidèles laïcs, et sur leur statut juridique de fidèles et de laïcs dans l'Église, avec les devoirs que ce statut entraîne pour les autres fidèles, la hiérarchie notamment.
Une autorité omniprésente ? Il ne manque pas de voix, surtout outre­Atlantique, pour dénoncer ce qui est considéré comme une omniprésence de l'autorité ecclésiastique, qui en viendrait à restreindre sensiblement la portée des dispositions canoniques sur les droits des fidèles. Il a été affirmé, par exemple, qu'il n'existe « pratiquement aucun situation, rôle, fonction, office ou statut ouvert aux laïcs dans l'Église qui ne soit pas aussi lourdement conditionné (c. 204 § 1 ; 208 ; 210 ; 216), soigneusement qualifié (c. 212 § 3 ; 218), institutionnellement circonscrit (c. 226 § 2 ; 229 § 1 ; 230) ou hiérarchiquement contrôlé (c. 223 § 2 ; 228) »54, jugement qui nous semble... injuste, ou excessif.
Le service requiert la protection des droits. D'autre part, le pouvoir pastoral pourrait difficilement être vécu comme un service si les droits des personnes et des fidèles n'étaient pas protégés sincèrement. Un climat de dialogue pourra se créer à grand peine entre gouvernés et gouvernants si le système n'offre pas de garanties suffisantes aux sujets. Autrement dit, « les droits propres au statut personnel pourront difficilement recevoir leurs nuances spécifiques si les bases commune d'une prise en compte générale des droits du fidèle n'ont pas été posées au préalable »55. Nous étudierons cette question plus à fond à propos du canon 221.
4. La structuration sacramentelle de l'Église
L'origine sacramentelle. Le baptême et la confirmation, d'une part, l'ordre, de l'autre, sont les sacrements qui structurent l'Église dans sa configuration originelle. Il s'agit des sacrements qui « impriment un caractère »56 et font participer au sacerdoce du Christ.
Le baptême. En effet, le baptême ­ nous le verrons avec le canon 204 ­ produit la qualité de membre du nouveau peuple sacerdotal de Dieu, de chistifidelis ou fidèle du Christ. L'Église se présente donc à nous avant tout en tant que congregatio fidelium. C'est une priorité ontologique : rien ne différencie un baptisé d'un autre baptisé, chacun possède la même condition d'enfant de Dieu et est appelé pareillement à la sainteté.
L'ordre. Certains membres de ce « peuple sacerdotal », pour reprendre l'expression de saint Pierre (1 P 2, 9), sont ultérieurement appelés par Dieu à être ses ministres au milieu de leurs frères, moyennant 52 Cf., entre autres, Jean­Paul II, lett. Ad universos Ecclesiæ Episcopos, adveniente Feria V in Cena Domini ; lett. Ad universos Ecclesiæ Sacerdotes adveniente Feria V in Cena Domini, toutes deux du 8 avril 1979, A.A.S. 71 (1979), p. 389­393 ; cf. DC 76 (1979), p. 351­352 et 352­360.
53 Cf. Jean­Paul II, const. ap. Pastor Bonus, 28 juin 1998, Code Bleu, p. 1597­1621.
54 Elisabeth McDonough, OP, « Laity and the Inner Working of the Church », J 47 (1987), p. 240­241.
55 Pedro Lombardía, « Los laicos en el derecho de la Iglesia », Escritos, vol. II, 1973, p. 164.
56 Cf. Concile de Trente, 7e session, 3 mars 1547, décr. sur les sacrements, c. 9, DH, n° 609. La sphragis orientale ou « sceau », par lequel le chrétien participe au sacerdoce du Christ et fait partie de l'Église selon des états et des fonctions diverses » (Catéchisme de l'Église catholique, n° 1121).
la réception du sacrement de l'ordre, qui les députe à agir in persona Christi et in nomine Ecclesiæ, donnant ainsi sa dimension hiérarchique à la structure fondamentale de l'Église.
Un peuple sacerdotal. L'expression « peuple sacerdotal » ne signifie pas pour autant que tous soient prêtres dans l'Église. Il existe un excellent ouvrage publié en 1969 et, dans sa version française, en 1980, dont le cardinal Baggio, alors préfet de la Congrégation pour les évêques, a déclaré : « L'on ne peut parler du statut des fidèles et des laïcs dans l'Église sans mentionner l'étude originale que l'abbé Alvaro del Portillo a écrite sur ce sujet. » Cette étude s'intitule Fidèles et laïcs dans l'Église. Fondement de leurs statuts juridiques respectifs. L'auteur, qui a participé activement au Concile Vatican II, a puisé son inspiration dans sa culture canonique et théologique, certes, mais aussi dans les enseignements de saint Josémaria, dont il a été le bras droit, puis le premier successeur. Saint Josémaria déclarait, par exemple, que « par le baptême, nous avons tous été institués prêtres de notre propre existence pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus­Christ (1 P 2, 5), et pour réaliser chacune de nos actions dans un esprit d'obéissance à la volonté de Dieu, perpétuant ainsi la mission du Dieu fait Homme »57.
L'union des baptisés au Christ. Le Concile Vatican II déclare pour sa part que « le Christ Seigneur, grand prêtre pris d'entre les hommes, a fait du peuple nouveau « un royaume, des prêtres pour son Dieu et Père ». Les baptisés, en effet, par la régénération et l'onction du Saint­Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les merveilles de celui qui des ténèbres les a appelés à son admirable lumière. C'est pourquoi tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière et la louange de Dieu, doivent s'offrir en victimes vivantes, saintes, agréables à Dieu, porter témoignage du Christ sur toute la surface de la terre, et rendre raison, sur toute requête de l'espérance qui est en eux d'une vie éternelle »58.
Clerus­plebs. Le peuple de Dieu est ainsi hiérarchiquement structuré, par la volonté de Dieu, selon le binôme clerus­plebs, « clergé­peuple », dans l'unité et la communion qui réalise l'unique mission de l'Église selon les fonctions ecclésiales propres à chaque terme du binôme, définies par sa condition et sa participation essentiellement différente au sacerdoce du Christ.
IV ­ Sacerdoce commun et sacerdoce ministériel
1. Égalité et diversité
Égalité fondamentale et diversité donctionnelle. Ce à quoi nous assistons avec le Code, c'est à la reconnaissance d'une égalité fondamentale de tous les baptisés et d'une diversité fonctionnelle. Tous les baptisés sont des fidèles. Cela a l'air d'une lapalissade, mais ce n'en est pas une. Il sera utile de se le rappeler et d'évacuer les vieux réflexes. L'Église est à la fois communauté de fidèles et structure sociale ou institution. Opposer une Église hiérarchique à une Église charismatique, comme certains l'ont fait après le Concile Vatican II, est dépourvu de sens. L'Église est l'une et l'autre à la fois. Ses deux dimensions sont d'origine divine, et donc complémentaires en tant que dimensions d'une même réalité. Arrêtons­nous un instant à la distinction entre sacerdoce commun59 et sacerdoce ministériel.
57 Saint Josémaria, Quand le Christ passe, Paris, Le Laurier, 2e éd., 1989, n° 96.
58 Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 10/a.
59 On peut parler de « sacerdoce commun » en un double sens : c'est un sacerdoce reçu par tous les membres du Peuple de Dieu et un sacerdoce « de communion », partagé dans le Peuple de Dieu et dans la communauté chrétienne (cf. Deux sacerdoces... On ne peut manquer d'être frappé de lire dans le texte de LG à peine cité des expressions du genre : « ce peuple nouveau est constitué en peuple de prêtres... », « les baptisés sont consacrés pour être une sacerdoce saint... » Elles traduisent la réalité des rapports qui unissent l'être de tout baptisé à Dieu60.
... marqués par une différence essentielle. Le texte conciliaire se poursuit d'ailleurs en ces termes : « Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, bien qu'il existe entre eux une différence non seulement de degré mais essentielle61, sont cependant ordonnés l'un à l'autre ­ ad invicem tamen ordinantur ­ : l'un et l'autre, en effet, chacun selon son mode propre ­ suo peculiari modo ­, participent de l'unique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d'un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, en la personne du Christ, le sacrifice eucharistique et l'offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ; les fidèles, eux (terminologie déficiente, comme si les clercs étaient des infidèles !), de par le sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l'offrande de l'Eucharistie et exercent leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l'action de grâces, le témoignage d'une vie sainte, et par leur renoncement et leur charité effective »62. Il faudrait ajouter et « par leur rôle évangélisateur », ce qui n'est pas rien.
2. Les différences
Une participation diversifiée au sacerdoce du Christ. Tous les baptisés participent donc au sacerdoce du Christ, qui est un sacerdoce unique63. Mais ils y participent chacun suo peculiari modo. La différence entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel n'est pas une question de degré, de plus ou moins grande intensité. Le sacerdoce commun des fidèles « ne représente pas une modalité mineure de participation au sacerdoce ministériel »64. Celui­ci n'est pas une espèce de développement et de couronnement, d'aboutissement qui ferait que le prêtre serait en soi meilleur que le non­prêtre, que sa condition serait plus enviable que celle, par exemple, de laïc. Ce serait oublier, d'ailleurs, que le ministre ordonné ne perd pas son sacerdoce baptismal, dont il conserve les obligations et les droits compatibles avec sa nouvelle condition.
Une différence essentielle dans le mode de participation. La différence est « essentielle », dit le Concile : quoique participation à l'unique sacerdoce du Christ, le sacerdoce ministériel est d'un autre ordre que le sacerdoce commun : il est de nature sacramentelle. Autrement dit, la diversité dans l'Église « concerne le mode de participation au sacerdoce du Christ, et elle est essentielle »65 en ce 60
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Ricardo Blázquez, « Sacerdocio común y sacerdocio ministerial en la misión de la Iglesia », IC 42 (2002), p. 469­
490).
Cette doctrine s'enracine dans la tradition patristique. Cf., à titre d'ex., « Omne Ecclesiæ sacerdotes sunt ; ungimur enim in Sacerdotium sanctum, offerentes nosmetipsos Deo hostias spirituales » (saint Ambroise, In Lucam, lib. IV, n° 33). « Sicut omnes Christianos dicimus, propter mysticum Christum ; sic omnes Sacerdotes, quoniam membra sunt unius Sacerdotis » (saint Augustin, De civitate Dei, lib. XX., cap. X).
Nous préférons cette traduction de essentia et non gradu tantum à celle habituellement donnée de « diffèrent essentiellement et non pas seulement en degré ».
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 10/b.
Cf. Dominique Le Tourneau, « Le sacerdoce commun et son incidence sur les obligations et les droits des fidèles en général et des laïcs en particulier », RDC 39 (1989), p. 155­194.
E. Corecco, « Sacerdoce commun, sacerdoce ministériel et charisme. Pour un statut juridique des Mouvements », Les mouvements dans l'Église, Paris, 1984, p. 186.
Saint­Siège, Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres, 15 août 1997, Principes théologiques, n° 1.
sens que, comme l'explique le Catéchisme de l'Église catholique, « alors que le sacerdoce commun des fidèles se réalise dans le déploiement de la grâce baptismale, vie de foi, d’espérance et de charité, vie selon l’Esprit, le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce commun, il est relatif au déploiement de la grâce baptismale de tous les chrétiens »66.
Participation à la mission. On a pu dire que si l'Église a une structure sacramentelle et charismatique déterminée, dans laquelle existent des positions structurelles particulières des christifideles, c'est, avant tout, en vue de la réalisation de la mission unique de l'Église67. Les éléments différenciateurs. « Le Seigneur, voulant faire des chrétiens un seul corps, où « tous les membres n'ont pas la même fonction » (Rm 12, 4) a établi parmi eux des ministres qui, dans la communauté des chrétiens, seraient investis par l'Ordre du pouvoir sacré d'offrir le sacrifice et de remettre les péchés.68 » Si nous y ajoutons la consécration des ministres, nous avons « la frontière qui, du point de vue ecclésiologique, détermine de façon exacte le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel. En fonction de cette frontière, qui constitue un véritable critère, on peut déterminer le statut des laïcs dans l'Église »69.
Au nom du Christ. Le ministre ordonné est comme le « sacrement » de la présence du Christ : il ne le remplace pas. Le pouvoir qu'il détient au service de la communauté lui vient de l'office. L'office lui­même est constitué par une fonction déterminée, ce qui fait que nous pouvons considérer le pouvoir comme un instrument donné par le Christ en vue de réaliser l'office de façon appropriée. L'ensemble de l'organisation ecclésiastique est lui­même au service des fidèles70.
Sacerdoce hiérarchique et sacerdoce commun. Le sacerdoce hiérarchique apparaît donc comme institué en fonction du sacerdoce commun. Il faut se garder toutefois de dire que le sacerdoce ministériel découle du sacerdoce commun. Semblable erreur a été condamnée par la Congrégation pour la Doctine de la foi, le 6 août 1983, dans une lettre à tous les évêques de l'Église catholique sur quelques questions concernant le ministre de l'Eucharistie71. Les deux formes de sacerdoce sont originelles, c'est­à­dire qu'elles s'enracinent dans l'unique sacerdoce du Christ. Elles sont ordonnées l'une à l'autre ­ ad invicem tamen ordinantur ­ , comme le dit le texte de Lumen gentium que nous commentons, autrement dit elles sont complémentaires. La mise en œuvre d'un sacerdoce ne peut intervenir totalement en marge de l'autre72.
66 Catéchisme de l'Église catholique, n° 1547.
67 Cf. Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 31/a : les laïcs « exercent, pour leur part, dans l'Église et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien ». Cf. Pedro Rodríguez, « La identidad teológica del laico », La misión del laico en la Iglesia y en el mundo. VIII Simposio Internacional de Teología, Pamplona, 22­
24 de abril de 1987, Pampelune, p. 71­111 (notamment p. 99­106).
68 Concile Vatican II, décr. Presbyterorum ordinis, n° 2/b.
69 René Metz, « Le statut des laïcs, et celui des femmes en particulier, dans l'Église aujourd'hui », SC 12 (1978), p. 125­144 (la citation est à la p. 137).
70 Cette notion est, pourrait­on dire, omniprésente dans le Concile : const. dogm. Lumen gentium, nos 18, 20, 24, 28, 30 ; décr. Christus Dominus, nos 16, 30 ; décr. Presbyterorum ordinis, nos 3, 4, 9. Comme le législateur suprême l'a relevé, la doctrine sur l'autorité hiérarchique en tant que service fait partie des éléments qui manifestent le mieux l'image de l'Église selon Vatican II : cf. Jean­Paul II, const. ap. Sacræ disciplinæ leges, 25 janvier 1983. Cf. Antonio Viana, « Aspectos de la relación del fiel con la organización eclesiástica », FI 4 (1004), p. 95­106.
71 Congr. pour la Doctrine de la foi, Lettre Sacerdotium ministeriale, 6 août 1983, DH, n° 4721.
72 « En théorie, personne ne met en doute que le fait de tenir compte des droits fondamentaux du fidèle soit quelque chose qui doive informer toute action pastorale » (Tomás Rincón­Pérez, « Sobre algunas cuestiones canónicas a la luz de la exh. apost. Pastores dabo vobis », IC 33 (1993), p. 326).
3. La coopération mutuelle
La coopération mutuelle requise. Une coopération mutuelle est ainsi naturellement requise, ce qui suppose que chacun, prêtre ou laïc, réalise les fonctions qui lui sont propres. La coopération entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel ne consiste pas en ce que laïc aide le clerc à réaliser des fonctions cléricales ni que le clerc aide le laïc à accomplir des fonctions laïques. Chacun doit faire ce qui lui revient en coopérant avec les autres, afin de réaliser la mission universelle de l'Église. Cette coopération ne suppose en aucun cas une fonction de suppléance (celle­ci peut intervenir, de façon accessoire, comme nous le verrons au canon 230) : chaque fidèle se limite, ce qui n'est pas peu, à faire ce qu'il lui revient spécifiquement de faire73.
Un exercice de la subsidiarité. La relation réciproque des deux sacerdoces au niveau structurel est sans aucun doute l'action subsidiaire et de suppléance qu'un sacerdoce peut avoir face à l'autre, pourvu que ce soit dans les domaines où ils sont habilités à intervenir74. Mais même si elle comporte parfois l'exercice d'une suppléance, la coopération organique des deux sacerdoces existe dans le respect réciproque de ce qui est le propre de chacun d'entre eux et lui est original et dans le respect de sa façon d'agir, c'est­à­dire de ce qui est propre et spécifique au sacerdoce royal et de ce qui est propre et spécifique au sacerdoce ministériel. « Il me semble inexact de concevoir cette coopération comme s'il s'agissait d'une sorte d'assomption d'un sacerdoce dans les fonctions qui reviennent à l'autre »75.
Saint Clément de Rome. Le pape Benoît XVI, explicitant la doctrine de saint Clément de Rome, premier successeur de saint Pierre, dit que « la nette distinction entre le « laïc » et la hiérarchie ne signifie en aucune manière une opposition, mais uniquement ce lien organique d'un corps, d'un organisme, avec ses diverses fonctions. En effet, l'Église n'est pas un lieu de confusion, ni d'anarchie, où chacun peut faire ce qu'il veut à tout instant : dans cet organisme, à la structure articulée, chacun 73 Cf. Juan Ignacio Arrieta, « Jerarquía y laicado », a.c., p. 126.
74 Cf. Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 35. Il sera plus d'une fois question de subsidiarité dans l'étude des canons 204 à 231 (par ex. à propos des c. 216, 223 § 1, 225 § 1, 226 § 1 et 2, 228 § 1 et 2, 230 § 3). La notion ne figure pas dans le CIC 83, pas plus que dans le CCEO. Le Concile ne l'utilise qu'à deux reprises, en relation avec la communauté internationale (cf. const. past. Gaudium et spes, n° 86/c) et de l'intervention de la société civile en matière d'éducation (cf. décr. Gravissimum educationis, n° 3/b). Le cinquième principe pour la révision du Code demandait d'apporter « une attention particulière au principe (...) de subsidiarité », ajoutant que « ce principe doit être appliqué dans l'Église avec d'autant plus de raison que la fonction des évêques avec les pouvoirs qui y sont attachés est de droit divin » (Préface, Code Bleu, p. 23). Le principe de subsidiarité, déjà sous­
jacent dans l'enc. Rerum novarum (16 mai 1891) de Léon XIII et développée par Pie XI, dans l'enc. Quadragesimo anno, du 15 mai 1931, ne fait pas l'unanimité dans l'Église. Un débat existe, qui débouchera peut­être un jour, le synode extraordinaire des évêques, de 1985, ayant recommandé « une étude pour examiner si le principe de subsidiarité en vigueur dans la société humaine peut être appliqué à l'Église et dans quelle mesure comme dans quel sens l'application pourrait être faite ». Sur le débat en question, cf. Joël­Benoît d'Onorio, Le pape et le gouvernement de l'Église, préface du cardinal Joseph Ratzinger, Paris, Éditions Fleurus Tardy, 1992, p. 194­205. On verra également l'opposition réfléchie du card. Rosalio Castillo Lara, réfléchie, car contraire à sa première approche du problème. Selon lui, « il est superflu d'invoquer » le principe de subsidiarité parce qu'il suffit de respecter et de suivre le principe d'autonomie présent aux différents niveaux de la strcuture ecclésiastique. Mais il est surtout « incompatible avec la nature » de l'Église. Pour l'auteur, les principes de coresponsabilité et de participation expriment suffisamment bien la communion (cf. Rosalio Castillo Lara, « La subsidiarité dans l'Église », La subsidiarité. De la théorie à la pratique, sous la dir. de Joël­Benoît d'Onorio, Paris, Pierre Téqui éditeur, 1995, p. 153­179.
75 Juan Ignacio Arrieta, « I fedeli laici nel diritto della Chiesa », Centro Accademico Romano della Santa Croce, Inaugurazione dell'Anno Accademico 1986­87, Rome, 16 ottobre 1986, p. 27.
exerce son ministère selon la vocation reçue »76.
Une relation de fraternité. La différenciation entre ministres sacrés et fidèles laïcs ne peut nullement porter à atteinte à l'égalité fondamentale de tous les fidèles ni la remettre en question, « car cette relation de fraternité est antérieure à la relation hiérarchique »77.
Un service des fidèles. D'autre part, le sacerdoce ministériel est, nous l'avons relevé, un service de tous les fidèles : « former et conduire le peuple sacerdotal, faire le sacrifice eucharistique... », dit le Concile. Il pécise cette dimension de service en ajoutant que « cette charge (...) confiée par le Seigneur aux pasteurs de son peuple, est un véritable service : dans la Sainte Écriture, il est appelé expresssément diakonia ou ministère »78. Comme l'affirmait saint Augustin, « vobis enim episcopus, vobiscum christianum »79.
4. Une priorité fonctionnelle
La priorité fonctionnelle du ministère sacerdotal. Le ministère sacerdotal est destiné à servir, donc à servir quelque chose de préexistant : la conditio fidelis. Ainsi le sacerdoce commun est conceptuellement antérieur au sacerdoce ministériel ; mais il ne s'agit évidemment pas d'une priorité chronologique, qui n'aurait pas de sens80. Il faut affirmer incontinent la priorité fonctionnelle du sacerdoce ministériel ou « sacramentel » par rapport au sacerdoce commun ou « existentiel »81 qui, lui, est d'une priorité substantielle82.
Un service nécessaire. Tous les croyants sont appelés à la sainteté, mais ils ont besoin des moyens de salut (cf. c. 213). Or, ils ne peuvent se les administrer à eux­mêmes. C'est pourquoi le service spécifique du ministère hiérarchique n'est pas une simple option ou une possibilité offerte aux fidèles. Dans l'économie du salut instaurée par le Christ, ce ministère est en rapport avec un élément essentiel 76 Benoît XVI, Allocution à l'audience générale, 7 mars 2007, se référant à saint Clément de Rome, Lettre aux Corinthiens. Cf. également Philippe André­Vincent, Jalons pour une théologie du droit, présenté par Jean­Baptiste Donnier, Paris, Pierre Téqui éditeur, 2007, p. 132.
77 Julián Herranz, Studi, p. 246.
78 Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 24/a. Cf. Juan Ignacio Arrieta, « Jerarquía y laicado », IC 26 (1986), p. 113­137 ; Josemaría Sanchis, « La función de gobierno como servicio a la comunión », Iglesia universal e Iglesias particulares. IX Simposio Internacional de Teología, Pampelune, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 1989, p. 391­401.
79 Ubi me terret quod vobis sum, ibi me consolatur quod vobiscum sum. Vobis enim episcopus, vobiscum christanus. Illud est nomen officcii, hoc gratiæ ; illud periculi est, hoc salutis, « quand je me remplis de crainte en pensant à ce que je suis pour vous, ce que je suis avec vous me remplit de consolation. Car pour vous je suis l'évêque, avec vous je suis un chrétien ; celui­là est le nom de mon office, celui­ci de la grâce ; celui­là est ma responsabilité, celui­ci est mon salut » (saint Augustin, Sermon 340, 1, PL 38, 1483).
80 Il ne faut pas penser que le sacerdoce ordonné est « postérieur à la communauté ecclésiale, comme si celle­ci pouvait être comprise comme étant déjà constituée sans ce sacerdoce » (Jean­Paul II, exhort. ap. Pastores dabo vobis, 25 mars 1992, n° 16).
81 Selon l'expression de P. Rodríguez, « Sacerdocio ministerial y sacerdocio común en la estructura de la Iglesia », Romana, n° 4, 1987, p. 162­176.
82 Ce qu'indique en toute rigueur de terme cette priorité substantielle que nous reconnaissons dans les « fidèles » et dans le sacerdoce baptismal est : le caractère radical et permanent in Patria de la condition de fidèle transfoirmée en comprehensor ; c'est la primauté du fait d'être chrétien, simplicter : comme le disait saint Augustin, ce niveau est celui du nomen gratiæ ; b) le caractère de service de la congregatio fidelium qui est le propre des ministres sacrés et la raison d'être de leur « ministère sacerdotal » : d'où son nom, nomen officii » (Pedro Rodríguez, « Sacerdocio ministerial y sacerdocio común en la estructura de la Iglesia », Romana. Estudios 1985­1996, Rome, 1997, p. 33).
pour que l'Église puisse se constituer et continuer d'exister en tant que Peuple de Dieu. Les fidèles ont besoin du service sacramentel et prophétique des ministres sacrés pour vivre en chrétiens dans le monde et dans l'Église, pour pouvoir mettre en œuvre leur propre sacerdoce commun. « Dans l'économie du salut instaurée par le Christ, « user » de ce ministère est essentiel pour que la substance du caractère chrétien soit ancrée dans la congregatio fidelium »83.
Une mission unique. Car il faut souligner encore que « mission de l'Église » et « mission de la hiérarchie » ne sont pas deux réalités synonymes. La mission incombe solidairement à tous les membres de l'Église84. Dès sa première encyclique85, Jean­Paul II avait rappelé que tout baptisé participe à l'entière responsabilité de l'Église face à la vérité révélée, responsabilité qui comprend un aspect de justice corrélatif aux droits des frères dans la foi de vivre dans la foi commune.
V ­ Égalité fondamentale et inégalilé fonctionnelle
1. L'égalité fondamentale
L'apport d'A. del Portillo. Cela nous amène à dire un mot de l'égalité fondamentale de tous les fidèles et de l'inégalité fonctionnelle existantes dans l'Église, comme dans toute société. Ces notions, affirmées dans la constitution dogmatique Lumen gentium, ont été magistralement développée dans l'ouvrage déjà cité d'Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs dans l'Église.
Baptême et égalité fondamentale. L'égalité découle du baptême. Nous sortons tous à l'identique des fonts baptismaux, c'est­à­dire ayant la double vocation à la sainteté et à l'apostolat, et possédant la même foi et le même Esprit. Nous avons tous, du pape au dernier des baptisés, besoin des secours spirituels et nous participons tous de l'unique mission de l'Église, certes selon la diversité de fonctions qui se préciseront ultérieurement. L'appel à la sainteté ou plénitude de la vie chrétienne, dont le Concile a bien proclamé qu'il s'agit d'une « vocation universelle »86, s'adresse vraiment à tout baptisé, et il n'existe pas de sainteté de second ordre qui proviendrait d'une obligation, ou de la possibilité, de vivre un Évangile au rabais, ni de condition ecclésiale qui ne permettrait pas de viser décidément la sainteté. Nous sommes heureusement sortis de siècles d'égarements en la matière87.
La différence avec le CIC 17. Ce qu'il faut bien souligner, c'est la nette différence avec le CIC 17. Celui­ci postulait une vie plus sainte pour les clercs (c. 124) et pour les religieux (c. 592) que pour les laïcs. Désormais, il est clair que tous sont appelés à une seule et même sainteté, celle de Dieu : « Soyez saints comme votre Père céleste est saint » (Mt 5, 48). L'on ne peut pas être « plus ou moins » enfant de Dieu, « plus ou moins » christifidelis. Moyennant quoi, dans l'ordre de la personnalité, il n'existe pas de différences et, par suite, « tous les fidèles ont la même personnalité radicale devant le 83 Pedro Rodríguez, « Sacerdocio ministerial... », a.c., p. 34.
84 Cf. Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 30 ; Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs, p. 32­33.
85 Cf. Jean­Paul II, enc. Redemptor hominis, 4 mars 1979, n° 5 (collégialité et apostolat) et n° 19 (« l'Église responsable de la vérité »).
86 Cf. Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, chap. V, nos 39­42.
87 « Nous sommes tous également appelés à la sainteté. Il n’y a pas de chrétiens de deuxième catégorie, obligés à mettre en pratique un Évangile au rabais. Nous avons tous reçu le même baptême et, s’il est vrai qu’il existe une grande diversité de charismes et de situations humaines, il n’y a qu’un seul et même Esprit, qui distribue les dons divins, une même foi, une même espérance et une même charité (cf. 1 Co 12, 4­6 ; 13, 1­13) » (saint Josémaria, Quand le Christ passe, o.c., n° 134). Cf. José Luis Illanes, La sanctification du travail, Paris, Le Laurier, 2e éd., 1985.
Droit »88.
Tous fondamentalement égaux. La participation commune de tous les baptisés à l'unique mission de l'Église89 a pour conséquence nécessaire l'existence de l'égalité fondamentale de tous les fidèles du Christ : « Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l'activité commune à tous les fidèles dans l'édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. »90 Comme le Concile le précise encore, « la dignité des membres est commune à tous par le fait de leur régénération dans le Christ ; commune est la grâce des fils, commune la vocation à la perfection, unique est le salut, unique l'espérance et indivise la charité. Il n'exite donc pas d'inégalité dans le Christ et dans l'Église en raison de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe »91.
Vocation à l'apostolat. L'appel à la sainteté entraîne comme corollaire la vocation à l'apostolat. « La vocation chrétienne est aussi par nature vocation à l'apostolat », dit le Concile92, et ce, en raison d'un mandat impératif de Dieu reçu au baptême et renforcé par la confirmation. Les chrétiens réalisent cette tâche « de diverses manières », mais à tous « incombe la très belle tâche de travailler sans cesse pour faire connaître et accepter le message divin du salut par tous les hommes sur toute la terre »93. Personne ne peut donc s'estimer exempté de ce devoir (qui est aussi un droit, durement défendu, nous le verrons au c. 211).
Une doctrine paulinienne. Saint Paul, que nous célébrons particulièrement cette année, ne proclamait­il pas que, désormais, « il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme, vous n'êtes tous qu'un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28) ? Cette égalité postule la reconnaissance de devoirs et de droits communs à tous94. « La condition de fidèle est un prius qui s'applique à tous et à chacun des membres du Peuple de Dieu.95 »
Égalité fondamentale et droits fondamentaux. La préface du CIC 83 parle de « l'égalité fondamentale de tous les fidèles »96. Ce n'est certes pas la même chose que de parler de « devoirs et de droits fondamentaux ». Mais cela en délimite toutefois la nature. Comme nous l'avons déjà vu, ces devoirs et des droits sont en dépendance absolue de la condition de baptisé et indépendants de toute orientation vitale prise par la suite par les individus. Il s'agit d'« exigences subjectives de la Volonté de fondation du Christ implicites dans la condition ontologico­sacramentelle du fidèle »97. En tant que tels, les devoirs et les droits fondamentaux préexistent à toute reconnaissance éventuelle par l'autorité ecclésiastique.
2. La diversité fonctionnelle
La diversité ou inégalité fonctionnelle. Or, comme nous l'avons dit, cette commune égalité 88 Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs, p. 53­54.
89 « Est in Ecclesia diversitas ministerii, sed unitas missionis » (Concile Vatican II, décr. Apostolicam actuositatem, n° 2/a), aspect évidemment de la plus haute importante.
90 Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 32/c.
91 Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 32/b.
92 Concile Vatican II, décr. Apostolicam actuositatem, n° 2/a.
93 Concile Vatican II, décr. Apostolicam actuositatem, n° 3/c.
94 Cf. J. Holland, « Equality, Dignity and Rights of the Laity », J 47 (1987), p. 103­128.
95 Manuel Enrique González, Pueblo de Dios, p. 37.
96 Code Bleu, p. 23.
97 Pedro­Juan Viladrich, Teoría de los derechos..., o.c., p. 355.
fondamentale s'accompagne d'une inégalité fonctionnelle. Le terme « inégalité » n'a rien de péjoratif. Il veut simplement marquer une différence, la réalité du sacerdoce ministériel : les fidèles n'ont pas tous des fonctions identiques dans la communauté des croyants. C'est ainsi que la condition cléricale habilite, en raison du sacrement de l'ordre, à rendre aux fidèles le service du ministère de la prédication et des sacrements.
Une double égalité. Le principe d'égalité fournit les fondements pour les devoirs et les droits communs à tous les fidèles. La diversité de fonctions ne s'y oppose pas, mais vient en quelque sorte le nuancer. Nous pouvons dire que nous sommes en présence d'une égalité dans la dignité par rapport à un moment statique et d'une égalité dans l'action en rapport avec un moment dynamique, représenté par la condition et les tâches de chacun dans la mission de l'Église98.
Laïc ou/et fidèle ? S'il est possible d'utiliser indiféremment « personne » ou « fidèle » au sens que nous venons d'indiquer, il est en revanche incorrect, du point de vue juridique, de confondre « laïc » et « fidèle ». Certains auteurs ont pourtant continué de le faire après le concile Vatican II, restant ancrés dans leur mentalité « étatique »99. Il ne faut pas confondre christifidelis et laicus. Ceux qui ne sont pas laïcs sont aussi des fidèles. Les premières communautés chrétiennes ont adopté le terme « fidèle » pour désigner la condition de membre du Peuple de Dieu acquise par le baptême. Or, « durant de nombreuses années, on a cru que laïc, dérivé de laos, peuple, signifiait étymologiquement membre du Peuple de Dieu, de la même façon, par exemple que, citoyen est un dérivé de cité. (...) On en est ainsi arrivé à identifier la signification du mot fidèle à celle de laïc »100.
Condition constitutionnelle et condition juridique. Or, au plan juridique, le principe d'égalité fondamentale se traduit maintenant par la « condition constitutionnelle du fidèle », tandis que le principe de diversité enraciné dans le baptême se traduit par la « condition juridique ». La condition constitutionnelle est unique et la même pour tous les baptisés, tandis la réponse aux différentes vocations personnelles et aux charismes de l'Esprit Saint vont donner lieu à diverses conditions juridiques au sein de l'Église, laïque ou religieuse101.
3. L'évolution historique
a) De l'an zéro au Moyen­Âge. Du début du christianisme jusqu'au Moyen­Âge, on n'appelle laïcs que les baptisés qui ne sont pas clercs et qui possèdent la note de sécularité, et s'occupent des activités profanes. L'ensemble des fidèles est désigné par les termes de discipuli, fratres, christifideles, christiani102.
b) La chrétienté médiévale. Avec la chrétienté médiévale et l'ingérence des seigneurs laïcs dans les affaires ecclésiastiques, le laïc devient, du moins dans les documents de l'époque, « le chrétien qui occupe un poste dans le monde, dans le royaume temporel, encore qu'avec deux nuances distinctes : soit que le mot désigne la position de ce chrétien dans l'Église, soit qu'il signifie sa position au sein des réalités temporelles »103. « Laïc » va être remplacé par « séculier » dans certaines langues, comme 98 Cf. Commento, p. 118.
99 « Simple baptisé », disent certains. Cf. Juan Fornés, « El principio de igualdad... », a.c., p. 129­130.
100Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs, p. 22.
101Cf. Juan Fornés, La noción de « status » en el Derecho Canónico, Pampelune, Eunsa, 1975, p. 320­322.
102Cf. G. Fransen, « Les laïcs dans l'Église au moyen­âge », AC 29 (1985­1986), p. 55­70.
103Alvaro del Portillo,Fidèles et laïcs, p. 25­26.
l'espagnol seglar. La célèbre formule du Décret de Gratien104, duo sunt genera Christianorum105, divise les fidèles en deux groupes distincts : d'une part, les clercs et les Deo devoti, qui s'écartent des affaires temporelles pour s'adonner à l'office divin, la contemplation et l'oraison ; et, d'autre part, les laïcs, à qui il est permis de posséder des biens temporels et qui peuvent « se marier, cultiver la terre, engager des procès, présenter des offrandes à l'autel, payer les dîmes et ainsi se sauver, s'ils font le bien et évitent les vices »106.
c) L'époque moderne. Le processus de sécularisation de l'époque moderne conduit à identifier laïc et séculier107. Certes, le laïc prend conscience de ses responsabilités dans l'Église, mais sa participation à la vie de celle­ci n'est, pour l'essentiel, qu'une aide subsidiaire ou de suppléance du clergé. Le terme laïc perd une bonne partie de son ambivalence : « L'insertion du laïc dans le monde, conçu comme mauvais, sera interprétée comme une circonstance née de l'absence de vocation à un état plus élevé ; non comme une mission que le Christ lui­même a confiée au laïc. »108
d) L'époque contemporaine. L'éclosion des législations sécularisantes qui nient toute distinction dans l'état des personnes fondée sur la réception du sacrement de l'ordre ou la vie religieuse, conduit l'Église a accentuer l'importance des clercs et des religieux. L'approfondissement de la théologie des réalités terrestres à l'époque contemporaine se fera dans ce contexte, ce qui engendrera des confusions. On parlera de « religieux­séculier », on dira que le pape est un laïc, car membre du Peuple de Dieu, on dira que « laïc séculier » et « laïc religieux » sont une même réalité, etc. En même temps se fait jour une crainte envers tout ce qui peut ressembler à une démocratisation de l'Église, comme si la participation de tous les baptisés, chacun selon sa condition, était une négation, ouverte ou cachée, de l'origine divine du pouvoir dans l'Église »109.
La mort des états. Nous sommes mieux à même de comprendre la nouveauté de Vatican II, avec l'affirmation du principe conciliaire fondamental de l'égalité radicale de tous les fidèles. Ce principe met à mal la conception traditionnelle (mais contraire à la vie des premiers chrétiens, comme nous venons de le rappeler) d'une société inégale. La notion de status impliquait une inégalité de condition entre les fidèles110.
4. La condition de fidèle
104Cf. Roland Jacques, o.m.i., « Les droits et devoirs des fidèles : aperçus historiques », SC 38 (2004), p. 439­460.
105Decretum Gratiani, c. 12, q. 1, c. 7. Cf. Juan Fornés, « Notas sobre el duo sunt genera christianorum del Decreto de Graciano », Cristianità ed Europa. Miscellanea di studi in onore di Luigi Prosdocimi a cura du Cesare Alzati, Rome­
Fribourg i. Br.­Vienne, Herder, 1994, p. 463­484.
106Pour Honorius d'Autun (+ v. 1130), « il y a autant de différence entre la lune et les ténèbres, qu'entre l'ordre des prêtres et les laïcs » (De offendiculo 38, cité par Jean Gaudemet, Église et Cité. Histoire du droit canonique, Paris, Cerf­Montchrestien, 1994, p. 474).
107Cf. Jean Imbert, « Les laïcs après le Concile de Trente », AC 29 (1985­1986), p. 71­82.
108Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs, p. 28­29. Du commun des laïcs « se distinguent les laïcs privilégiés (patrons, seigneurs, marguilliers, magistrats, et avant tout le roi), mais aussi les laïcs qui participent aux fonctions du ministère sacré. Le seul exemple qui en soit proposé est... celui des sages­femmes qui doivent savoir baptiser ! » (« La condition des chrétiens dans al doctrine canonique des XVIIIe­XIXe siècles », Jean Gaudemet, Droit de l'Église et société civile (XVIIIe­XXe siècles), RDC, hors série 1, 1998, p. 117­144 (la citation est à la p. 134).
109Matilde Bahima, La condición jurídica del laico en la doctrina canónica del siglo XIX, Pampelune, Eunsa, 1972.
110Pour un historique détaillé, on se reportera à l'étude de Juan Fornés, « El principio de igualdad en el ordenamiento canónico », FI 2 (1992), p. 118­126 ; René Metz, « Le statut des laïcs... », a.c. Ce dernier auteur range les causes du statut réducteur du laïcat dans l'Église avant le Concile Vatican II en deux catégories : un facteur historique et un facteur ecclésiologique.
La terminologie du Concile. Quand il se réfère à l'appartenance commune au Peuple de Dieu, le Concile n'utilise jamais le terme laici, mais des dénominations variées, telles que credentes, membra, baptizati, christifideles,111 fideles, christiani, fratres112.
La condition de fidèle n'est pas exclusive. Si, comme c'est bien le cas, tous les fidèles ont une mission à remplir dans l'Église, il s'ensuit qu'aucun baptisé n'a la condition exclusive de fidèle. Le nudus fidelis n'existe pas113. Chacun est d'abord un fidèle par le baptême. Mais cette condition ontologique est modulée par la condition juridique qui découle de sa mission spécifique dans l'Église. C'est pourquoi le législateur de 1983 a codifié séparément les obligations et les droits de tous les 111Il a été écrit que le fait de traduire christifideles en français par « fidèle » (mais la remarque vaut pour les autres langues, qui traduisent par christian faithful, fedele cristiani, fieles, etc.) « peut prêter à confusion », car « le Code de 1983 ne concernant que les catholiques latins, le mot christifideles n'y désigne en général que ces derniers, et non tous les chrétiens » (Jean Werckmeister, Petit dictionnaire de droit canonique, Paris, Cerf, 1993, p. 53­54). Cette remarque ne semble pas justifiée. Outre le fait que le législateur utilise lui­même indifféremment dans le CIC 83 les termes christifideles et fideles, c'est, évidemment, le même mot qui sert à désigner la même réalité dans le CCEO, d'autant que, comme nous le verrons, il existe une relation étroite entre les deux Codes.
112Cf. Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs, p. 41.
113Contrairement à ce que Jean Beyer laisse entendre quand il affirme « qu'avant son choix de vie un jeune chrétien n'est pas laïc » (Renouveau du droit et du laïcat dans l'Église, Paris, Éditions Tardy, 1993, p. 112). Comme ce jeune homme ne peut encore ni être clerc ni appartenir à la vie consacrée, condition qui est souvent séculière, il se trouve dépouillé de son statut juridique spécifique, et donc des devoirs et des droits qui en sont inhérents. Cela vient peut­
être de ce que l'auteur parle de « droit constitutif » et non de « droit constitutionnel ». N'a­t­il alors pas le droit, par ex., de recevoir les sacrements et l'instruction catéchétique ?
C'est, nous semble­t­il, ignorer aussi ce qui fait la spécificité du sacerdoce commun, la distinction entre condition constitutionnelle et diversité de vocations. Il faut réaffirmer hautement que le baptisé a déjà reçu, du fait même de la réception du sacrement du baptême, la vocation à la sainteté, avant même d'être en mesure de se prononcer par un choix personnel sur une autre vocation, venant nuancer ou spécifier cette vocation universelle. De l'argumentation développée par l'auteur, il découle également que le baptisé qui reste célibataire par égoïsme ­ situation qui n'est pas si rare que cela ­ ou parce qu'il n'a pas eu l'occasion de se marier, n'est pas et ne sera jamais laïc ! C'est un christifidelis vivant en permanence sur la corde raide.
Il y a plus. Si c'est effectivement en devenant majeur que le jeune « obtient l'exercice à titre personnel » de ses droits (Ibid., p. 108), le raisonnement ne tient plus, car la majorité dans l'Église n'est pas la même que dans le société civile, où elle varie d'ailleurs selon les pays. Affirmer « pour tout dire, il faudra resituer les chrétiens dans les « ordres de personnes » qui autrefois distinguaient la variété des vocations et des missions dans l'unité de la foi et la communion ecclésiale » (Ibid., p. 114), est une perspective sans nul doute envisageable, mais que nous qualifierions volontiers de « frileuse ». Quitte à faire table rase du passé, on ne voit pas pourquoi l'on ne remonterait pas aux origines mêmes de la communauté ecclésiale, c'est­à­dire à une époque ou ces distinctions n'avaient pas lieu d'être et n'existaient de fait pas. Ou alors, faut­il dire que les premiers chrétiens n'étaient pas laïcs ? Faut­il soutenir que l'apparition de « l'ordre des veuves » a permis à l'Église de se structurer adéquatement ? Faut­il ajouter que l'apparition du monachisme a enfin apporté un élément qui manquait à l'Église, non pas du point de vue de la sainteté, mais de celui de sa structure de Peuple de Dieu ? Bref, cette théorie semble soulever beaucoup plus problèmes et ne pas apporter de solution véritable à une définition du laïcat qui, en fin de compte, n'est peut­être pas absolument nécessaire. La réalité est là. Mais s'il fallait maintenant expliquer à nos fidèles « mineurs » que s'ils veulent être laïcs, ils doivent se dépêcher de se décider à refuser explicitement de devenir prêtre ou d'embrasser la vie consacrée, comment allons­nous être reçus ?
N'est­ce pas, en définitive, prétendre instaurer ce contre quoi le Concile Vatican II, et donc le magistère authentique de l'Église, s'est élevé, à savoir des fidèles « au rabais », et revenir à une stratification indue et, ajoutons­le, injuste, de la société ecclésiale, dont on supporterait mal la disparition ? On pourrait le penser en constatant que l'auteur continue de se référer à des « états de vie » (cf., par ex., Ibid., p. 109­111 : « Un double état de vie est­il possible ? » ; ou bien encore, p. 120, « il faudra normalement voir dans la vocation un choix personnel d'un état de vie déterminé »).
fidèles (c. 208­223), puis ceux des fidèles laïcs (c. 224­231), puis, dans le titre sur les ministres sacrés, ceux qui reviennent aux clercs (c. 273­289), enfin, dans la partie réservée aux instituts de vie consacrée et aux sociétés de vie apostolique, ceux des instituts et de leurs membres (c. 662­672).
La précellence des fidèles. La condition de fidèle provient du baptême, avons­nous dit. Les fidèles constituent le Peuple de Dieu, le Corps du Christ, le Temple du Saint­Esprit. « Cette qualité est précellente, en ce sens qu'elle est d'un ordre supérieur à celui des diverses structurations et des divers ministères qui constituent l'ordonnance des « services » dans le Peuple de Dieu »114.
Antériorité de la condition de fidèle. Il faut bien comprendre toutefois que la condition fondamentale de fidèle, avec le sacerdoce commun qu'elle comporte, est antérieure à toute diversification fonctionnelle dans l'Église et que, de ce fait, elle est radicale et n'est pas « engloutie » par ladite diversification.
Égalité radicale et inégalité fonctionnelle. Ce sont deux éléments distincts, à ne pas mélanger. Introduire des références à l'inégalité fonctionnelle dans l'acte de proclamation de l'égalité radicale peut réduire la portée de ce principe. « Si l'égalité fondamentale est propre à l'esse du chrétien, de l'affirmation que tous sont égaux aussi dans l'agire commune115 (...) ne découle pas la négation de la diversité des fonctions que les fidèles remplissent dans l'Église. Dit autrement, la diversité dans l'Église ne provient pas de la variété « personnelle », mais de la variété des dons reçus pour la mission »116.
Le sacerdoce ministériel et la femme. Par exemple, le fait que la femme ne puisse pas accéder au Le sujet est suffisamment important pour que nous nous permettions une dernière remarque. Les « états de vie » tels que la doctrine canonique les a définis pendant des siècles concernent très clairement les religieux, les clercs et les laïcs. Or notre auteur utilise cette terminologie en un sens « élargi ». Parlant des fidèles qui peuvent assumer des fonctions (il parle d'« ordres ») liturgiques, apostoliques, missionnaires, charitables, éducatives ou hospitalières, il considère qu'ils constituent autant d'états de vie. Deux points méritent d'être relevés. En premier lieu, l'auteur se demande s'il ne serait pas nécessaire « d'avoir des rituels propres à ces ordres de personnes, rituels applicables à des individus ou également aux chrétiens réunis en institut de vie consacrée » (Ibid., p. 111­112). À la rigueur pour les membres de la vie consacrée, si le législateur l'estime opportun ! Mais la consécration baptismale est­elle si insignifiante qu'elle ne permette pas au laïc de s'adonner à son apostolat ou de participer à l'apostolat hiérarchique sans qu'une consécration particulière soit nécessaire ? La question mérite d'être posée, car elle traduit, à notre avis, une méconnaissance grave de ce qu'est réellement un « laïc » dans l'Église. On remarquera d'ailleurs, ce qui est symptomatique, que, s'étant interdit d'utiliser la qualification de « laïc », l'auteur parle d'« individus », ce qui ne saurait être une catégorie juridique. L'expression « chrétiens réunis en institut... » n'est guère précise non plus sur le plan juridique : pourquoi pas « fidèles » ou « baptisés », à défaut de « laïc » qui, encore une fois, semble proscrit ? En second lieu, cette problématique devrait être réduite au minimum. Comme nous le verrons à propos de la participation des laïcs à un service spécial d'Église prévu par le c. 230 § 1, il messied de focaliser l'étude de la place et du rôle des laïcs dans l'Église sur cet aspect de suppléance qui, par essence, est et restera marginal. Cette approche, légitime en elle­même, puisque manifestation de la liberté de recherche heureusement codifiée, et certainement nourrie d'une intention d'embrasser le plus largement possible les diverses situations qui affectent la vie des membres du Peuple de Dieu, nous apparaît cependant malsaine et nullement apte à clarifier la réalité. Elle fait effectuer plus un bond en arrière qu'un pas en avant.
114Gustave Thils, « Ne pas cléricaliser les laïcs », Nouvelle Revue Théologique de Louvain 18 (1987), p. 484. Le même auteur s'étonne que « si la lex orandi, lex credendi, force est de constater que les célébrations liturgiques ­ et les cérémonies séculières ­ qui accompagnent une ordination presbytérale ou épiscopale sont notablement plus grandioses que celles, joyeuses et très dignes certes, d'un baptême chrétien. Peut­être les « simples chrétiens » passent­ils trop rapidement du « quantitatif » au « qualitatif »... » (ibid., p. 485).
115Cf. Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 32.
116Car Spiritus, ubi vult, spirat (Jn 3, 8). Cf. Ramiro Pellitero, Ser Iglesia haciendo el mundo. Los laicos en la Nueva Evangelización, San José (Costa Rica), Promesa, 2005, p. 27.
sacerdoce ministériel n'implique pas de diversité entre la femme et l'homme dans la dignité juridique, car le sacerdoce ministériel se situe au plan de la diversité des fonctions, non à celui de la condition constitutionnelle. En outre, il n'existe pas de vrai droit de l'homme baptisé au sacerdoce. Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises par le magistère de l'Église au cours des dernières décennies, « l'Église est un corps différencié, dans lequel chacun a sa fonction ; les tâches sont distinctes et elles ne doivent pas être confondues. Elles ne justifient aucune supériorité des uns sur les autres : elles ne fournissent aucun prétexte à la jalousie. Le seul charisme que l'on peut désirer, c'est la charité (cf. 1 Co 12­13). Les plus grands dans le Royaume des cieux, ce ne sont pas les ministres, mais les saints »117.
La place de la femme dans l'ordre canonique. En dehors du ministère ordonné et des ministères dits institués, le CIC 83 reconnaît une égalité de droits à l'homme et à la femme en vertu de leur renaissance par le baptême118 et ce, donc, par droit divin, naturel et positif119. Le revendication d'une juste émancipation de la femme porte sur une « possibilité réelle de développer entièrement ses propres virtualités : celles qu'elle possède en tant qu'individu et celles qu'elle possède en tant que femme. L'égalité devant le droit, l'égalité quant aux chances devant la loi, ne suppriment pas, mais 117Congrégation pour la Doctrine de la foi, Déclaration sur la question de l'admission des femmes au sacerdoce ministériel « Inter insigniores », 15 octobre 1976, citée dans Jean­Paul II, CFL , n° 51 ; Jean­Paul II, lett. ap. Ordinatio sacerdotalis, 22 mai 1994, A.A.S. 86 (1994), p. 548 ; DC 86 (1994), p. 551­552. Cf. Congrégation pour la Doctrine de la foi (éd.), Dall « Inter insigniores » all'« Ordinatione sacerdotalis ». Documenti e commenti, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1996 ; Congr. pour le Clergé, Instr. Le prêtre, pasteur et guide de la communauté paroissiale, 4 août 2002, n° 6 (DC 99 (2002), p. 1073­1095. L'on voit combien certaines revendications féministes sont dépourvues de fondement. Les formules incantatoires du genre « les hommes ne peuvent empêcher l'Esprit de souffler » ne permettent pas d'apporter une réponse négative à l'interrogation provocatrice : « Pourra­t­on continuer d'affirmer encore longtemps que le lien entre ministère apostolique et masculinité fait partie de la Révélation ? » (cf. Marie­Odile Jean, « Les ministères féminins », Les ministères dans l'Église, numéro spécial de Prêtres diocésains, mars­avril 1990, p. 206 et 208. D'autres contributions à ce numéro vont dans le même sens...). C'est le magistère, non une « permanente en paroisse », qui est habilité à répondre. Et il l'a fait sans ambiguïté dans une formulation que beaucoup considèrent comme marquée au coin de l'infaillibilité. L'argumentation de René Metz, « Le statut des laïcs... », a.c., p. 139­143, n'est pas défendable face au magistère. Pour lui, le fait de refuser l'accès des femmes au sacerdoce montre « que les femmes ne jouissent pas de l'égalité absolue des droits avec les hommes et qu'elles se trouvent dans un état d'infériorité en ce domaine ». Il estime que cette « discrimination » « ne repose pas sur des bases théologiques solides », ni même sur « une analyse sérieuse du donné évangélique ». « Le seul motif que l'on peut invoquer pur une telle exclusion est un motif d'opportunité historique. » Or, le contexte historique a changé... Telle n'est pas l'analyse du législateur suprême dans les documents cités ci­dessus. Comme la Congrégation pour la Doctrine de la foi a tenu le relever, dans Ordinatio sacerdotalis, « le saint­père tout en ne voulant pas arriver jusqu'à une définition dogmatique, a eu l'intention de réaffirmer qu'il faut considérer cette doctrine comme définitive, dans la mesure où, fondée sur la Parole écrite de Dieu, elle est transmise constamment par la Tradition de l'Église et enseignée par le magistère ordinaire et universel (cf. Congr. pour la Doctrine de la foi, Réponse au doute sur la doctrine de la Lettre ap. Ordinatio sacerdotalis, A.A.S. 87 (995), p. 1114). Il n'empêche que, comme le démontre l'exemple précédent (celui de l'infaillibilité), la conscience de l'Église puisse progresser dans le futur, au point de définir cette doctrine comme divinement révélée » (m. p. Ad tuendam fidem, 18 juin 1998, n° 11, A.A.S. 90 (1998), p. 457­461 ; DC 95 (1998), p. 651­653). Mentionnons encore une voix autorisée, pour qui cette critique s'appuie sur un féminisme ayant deux défauts : ignorer les nombreuses normes du Codex qui « sanctionnent et protègent une égalité réelle de droits et de devoirs entre hommes et femmes » et rejetter les « raisons théologiques » apportées par le magistère pontifical (Julián Herranz, « Le statut juridique des laïcs : l'apport des documents conciliaires et du « Code de droit canonique », SC, 19 (1985), p. 233).
118Cf. c. 208 CIC 83 ; c. 11 CCEO.
119Sur « la situation juridique de la femme », cf. Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs, p. 218­222 ; S. Ottani, « Lo Statuto giuridico della donna nella Chiesa locale : premesse e prospettive », A 58 (1985), p. 69­118.
supposent et favorisent cette diversité qui est richesse pour tous »120.
5. Les fondements du principe de diversité
Un triple fondement. Quels sont les fondements du principe de diversité ? Il ne se fonde pas exclusivement sur le sacrement de l'ordre, ni sur un fondement unique. Cet aspect a bien été mis en relief par Viladrich, qui a identifié un triple fondement : le niveau baptismal, la relation sacerdoce commun­sacerdoce ministériel, le niveau du sacrement de l'ordre121.
a) Le baptême. Le niveau baptismal entraîne la diversité charismatique, l'Esprit Saint distribuant ses dons sous des formes diverses et appelant les fidèles à la sainteté suivant des chemins variés, qui sont autant de manifestations de la liberté commune propre à la condition de fidèle. Ici se situe la diversité entre la vie consacrée et la vie laïque, chacune réalisant à sa façon l'unique mission de l'Église.
b) La relation entre les deux sacerdoces. Le second niveau de diversité est celui de la fonction hiérarchique : il existe dans l'Église des clercs qui possèdent le sacerdoce ministériel et les autres fidèles qui n'ont que le seul sacerdoce commun.
c) L'ordre. Enfin la diversité due au sacrement de l'ordre se traduit par la distinction entre évêques, prêtres et diacres.
La condition juridique de chaque fidèle. Chaque fidèle a une condition juridique propre dans l'Église, condition qui détermine des devoirs et des droits spécifiques en vue de l'accomplissement des différentes missions, en plus bien évidemment des devoirs et droits fondamentaux de tous les fidèles. Chaque condition juridique se traduit par un « style de vie » personnel : le laïc se caractérise ainsi par sa situation dans le contexte des relations sociales, par la sécularité, par son occupation aux negotia sæcularia ; le clerc par l'accomplissement des negotia ecclesiastica ; le religieux par le contemptus mundi122.
VI ­ Le Code des canons des Églises orientales
1. Le droit canonique est aussi oriental
L'étude du CCEO. Notre étude fera appel non seulement au Codex Iuris Canonici mais aussi, sans en entreprendre toutefois une étude approfondie123, au Codex canonum Ecclesiarum orientalium étant donné que, comme le Serviteur de Dieu Jean­Paul II l'a déclaré lors de la présentation de ce dernier, ils forment, avec la constitution apostolique Pastor Bonus, du 28 juin 1988, sur le fonctionnement de la curie romaine, ils forment un unique corpus, le Corpus Iuris Canonici de l'Église universelle. C'est pourquoi le Pontife romain formait le vœu ut in Facultatibus Iuris Canonici idoneum probehatur studium comparativum amborum Codicum.
L'égale dignité des Églises d'Orient. Limitons­nous à rappeler, avec le Concile Vatican II, l'égale dignité existant entre l'Église catholique latine et les Église catholiques orientales. « Ces Églises 120Entretiens avec Monseigneur Escriva, o.c., n° 87.
121Cf. Pedro­Juan Viladrich, Teoría de los derechos fundamentales del fiel, prologue de Pedro Lombardía, Pampelune, Eunsa, 1969, p. 144­156.
122Cf. Luis Felipe Navarro, « El laico y los principios de igualdad y variedad », IC 26 (1986), p. 101­102.
123On se reportera pour cela, par exemple, à Mons. Pio Vito Pinto, Commento al Codice dei canoni delle Chiese Orientali, Studium Romanæ Rotæ, Corpus Iuris Canonici II, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2001.
particulières, aussi bien d'Orient que d'Occident, diffèrent pour une part les unes des autres par leur liturgie (...), mais elle sont toutes confiées de la même façon au gouvernement pastoral du Pontife romain qui, de par la volonté divine, succède à saint Pierrre dans la primauté sur l'Église universelle. Elles sont donc égales en dignité ­ eadem proinde pari pollent dignitate ­ de sorte qu'aucune d'entre elles ne l'emporte sur les autres en raison de son rite.124 »
Sa structure en la matière. Les canons du CCEO relatifs aux devoirs et droits des fidèles en général et des laïcs en particulier sont pratiquement identiques à ceux du CIC 83, ce qui est logique compte tenu de leur provenance. Mais ils ne constituent pas un corpus suivi comme dans le CIC 83. En effet, le CCEO s'ouvre par un Titre Ier intitulé « Les fidèles chrétiens et les droits et obligations de tous ces fidèles »125. L'ordre suivi est identique pour ce qui concerne les canons préliminaires et les fidèles en général, avec deux exceptions. D'une part, nous verrons pourquoi, le canon 207 § 2 n'a pas d'équivalent dans le CCEO. D'autre part, à la fin de ce que nous avons appelé les canons préliminaires, le Code oriental inclut un canon 10 rappelant l'obligation des fidèles de conserver l'intégrité de la foi. Quant aux devoirs et aux droits des laïcs, ils font l'objet du Titre XI, comportant les canons 399 à 409.
Des différences de fond. En réalité, l'équivalence des canons sur les devoirs et les droits des fidèles laïcs n'est pas automatique. De façon générale, certaines différences repérables entre les normes du CIC 83 et celles du CCEO ne sont pas purement formelles, mais plus de fond126. Il est permis de penser que le législateur universel a voulu se rectifier lui­même de manière indirecte, par le truchement du Code oriental.
2. Un critère d'interprétation
Deux questions. Pour ce qui est de notre sujet, nous pouvons nous demander s'il est possible d'invoquer pour les Églises orientales les devoirs ou les droits positivés comme tels pour l'Église latine et non repris dans le CCEO, et inversement. En cas de réponse affirmative, à quelle place conviendrait­il de mettre les canons correspondants des Églises latine ou orientales dans la hiérarchie des normes ? Sans prétendre trancher ici cette problématique, donnons une piste de solution.
Un problème d'interprétation. Le canon 1 CIC 83 précise que canones huius Codicis unam Ecclesiam Latinam respiciunt. Autrement dit, les Églises orientales ne sont pas concernées par le CIC. Or, le canon 1 CCEO déclare, pour sa part, que ce Code ne concerne lui aussi que les Églises orientales, nisi relationes cum Ecclesia latina quod attinet, aliud expresse statuitur.127 D'ailleurs, le canon 1492 CCEO128 reconnaît que « les lois portées par l'autorité suprême de l'Église, dans lesquelles le sujet passif n'est pas expressément indiqué, regardent les fidèles des Églises orientales seulement dans la mesure où... » Parmi les cas envisagés, le canon cite les déclarations de l'autorité ecclésiastique sur la loi divine. Par conséquent, les devoirs et les droits qui retiennent notre attention 124Concile Vatican II, décr. Orientalium Ecclesiarum, n° 3. Cf. Patrick Valdrini, « L'æqualis dignitas des Églises d'Orient et d'Occident », Kaslik, p. 51­68.
125Selon la traduction de Émile Eid et René Metz indiquée à la note 3.
126Pensons, par exemple, au fait que le CCEO ne parle pas de « Peuple de Dieu », si ce n'est aux c. 7 et 41, alors que cette expression s'est généralisée après le Concile Vatican II et se retrouve 27 fois dans le CIC 83. Du point de vue du droit, la notion de « Peuple de Dieu » n'ajoute rien à la notion juridique d'Église.
127D'autres normes du CCEO mentionnent expressément l'Église latine : cf. c. 37, 41, 207, 322 § 1, 830 § 1, 916 § 5. Cf. Émile Eid, « Conformation du Code des canons des Églises orientales », Kaslik, p. 69­91.
128Sans équivalent dans le CIC 83, cela va de soi.
étant « fondamentaux », ils s'appliquent à tous les baptisés, indépendamment de leur rite et du fait qu'ils fassent ou non l'objet d'une norme canonique positive. Moyennant quoi les normes de chaque Code sont supplétoires de celles de l'autre. Les devoirs et les droits fondamentaux des fidèles découlent de leur condition radicale de baptisés, antérieure à toute norme positive, et non de leur promulgation dans un Codex. Le libellé du canon 1 des deux Codes est donc inexact pour ce qui nous concerne.
Un problème de doublons. Les normes du CCEO en notre matière font pratiquement doublon avec celles du CIC 83. C'était inévitable, du moment qu'il s'agit de devoirs et de droits fondamentaux des fidèles. Eût­on promulgué la LEF, que c'eût été superflu : la loi constitutionnelle eût été commune aux vingt­deux Églises catholiques de droit propre129.
VII ­ Les devoirs et les droits des fidèles en général et des laïcs en particulier
L'orientation de Vatican II. La Commission pontificale de rédaction a précisé qu'elle a pris comme critère une reconnaissance large des droits personnels, « au­delà même de ce qui est strictement exigé, considérant que la protection d'un vaste domaine d'autonomie et d'initiative personnelle est la meilleure façon d'insérer la personne dans la vie organique de la communauté ecclésiale »130.
Trois groupes de canons. Les 28 canons qu'il nous revient d'étudier se divisent en trois groupes131. D'abord un ensemble de normes générales à caractère introductif, les canons 204­207 CIC132 ; puis les canons relatifs aux obligations et droits de tous les fidèles, à savoir les canons 208­223 CIC133 ; enfin les canons sur les obligations et les droits des fidèles laïcs, canons 224­231 CIC134. Pour bien en comprendre la portée, il conviendra d'examiner les principales sources de chaque canon135. Notons que « presque tous les droits, obligations et capacités reconnus par le CIC en faveur de tout fidèle ont une incidence directe ou indirecte sur l'organisation ecclésiastique »136.
Une liste partielle. Le catalogue des droits et devoirs fondamentaux n'a pas la prétention de parvenir à l'exhaustivité. Il dépend du principe de dynamicité de l'Église, c'est­à­dire de la compréhension de son mystère137. Nous sommes face à une option historique par laquelle le législateur, « à la lumière des principes fondamentaux de la nature sacramentelle de l'Église et compte tenu des signes des temps, 129Cf. Dominique Le Tourneau, « Églises catholiques orientales. Bref aperçu historique », Kaslik, p. 597­607 ; « Les Églises orientales catholiques », Les mots du christianisme ­ Catholicisme ­ Protestantisme ­ Orthodoxie, Paris, Fayard, Bilbiothèque de culture religieuse, 2005, p. 246­247 et les articles relatifs à chaque Église ; « Les Églises catholiques orientales à grands traits », Nouvelles de l'Ordre. Organe de la Lieutenance de France de l'Ordre du Saint­Sépulcre de Jérusalem, Juillet 1996, n° 43, p. 25­29 (non signé).
130Cf. Alvaro del Portillo, « Los derechos de los fieles », FI 5 (1995), p. 22, renvoyant à Com. 2 (1970), p. 93.
131Corecco propose une distribution des trente­et­un droits et devoirs en trois tiers : un tiers découlant du droit divin, un tiers existant en lui­même aussi dans le domaine du droit naturel, un tiers appartenant aux principes généraux du droit (cf. Eugenio Corecco, « Il catalogo dei doveri­diritti del fedele nel CIC », Ius et Communio, vol. I, p. 501­503).
132Cf. c. 7­9, 323 § 2 CCEO.
133Cf. c. 11­26 CCEO.
134Cf. 399­409, 627 § 1 CCEO.
135Elles sont indiquées dans Pontificia Commissio Codici Iuris Canonici Authentice Interpretando, Codex Iuris Canonici fontium annotatione et indice analytico­alphabetico auctus, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1989 ; Instituto Martín de Azpilcueta, Facultad de Derecho Canónico de la Universidad de Navarra, CECDC, qui mentionne aussi les canons connexes.
136Antonio Viana, « Aspectos de la relación del fiel con la organización eclesiástica », FI 4 (1994), p. 89.
137Cf. Paul VI, enc. Ecclesiam suam, 6 août 964.
énumère ceux des droit des fidèles qui peuvent être considérés comme fondamentaux en raison de leur universalité et de leur lien avec l'insertion ontologico­sacramentelle dans le Peuple de Dieu »138. Tel auteur a regretté l'absence de droits­devoirs qui reconnaîtraient une voix active à ceux qui, socialement et individuellement, se trouvent dans une situation de difficulté grave ou de marginalisation. En déterminer les éléments positifs et négatifs aurait permis, selon lui, de leur assurer une meilleure protection et de permettre qu'ils aient de meilleures répercussions sur la vie des fidèles139.
Une liste complète de devoirs et de droits fondamentaux. Cependant, si le législateur n'a pas entendu codifier ici tous les droits des fidèles, il parle bien des droits fondamentaux dont, a­t­il précisé, « l'énumération peut et doit être faite de façon complète »140.
Des canons importants. Ces canons sont particulièrement importants. La constitution apostolique Sacræ disciplinæ leges, de promulgation du CIC, range parmi « les éléments qui caractérisent l'image réelle et authentique de l'Église », entre autres, « la doctrine selon laquelle tous les membres du Peuple de Dieu, chacun selon sa modalité, participent à la triple fonction du Christ : les fonctions sacerdotale, prophétique et royale. À cette doctrine se rattache celle concernant les devoirs et les droits des fidèles et en particulier des laïcs »141.
VIII ­ L'existence de droits fondamentaux
1. Une question débattue
Le débat. Ces canons proviennent pour l'essentiel de la Lex Ecclesiæ Fundamentalis. Or le qualificatif de « fondamentaux » a fait l'objet de débats à la suite du concile Vatican II et au moment de la révision du Code de droit canonique latin142. La difficulté pour qualifier les droits des fidèles de fondamentaux provient en bonne partie d'une conception des droits de la personne humaine qui plonge ses racines dans la philosophie dite du siècle des Lumières qui, tous feux éteints, n'a cessé d'enténébrer l'esprit humain, et dans le libéralisme143. De tels droits n'ont, à l'évidence, pas leur place dans le droit de l'Église. Mais est­il raisonnable de mesurer tout ordre juridique à l'aune de ces catégories ? Si notre réponse est négative, alors rien n'empêche d'admettre la notion de droit fondamental144. Il est remarquable de noter que les auteurs ne communiquaient pas entre eux, ce qu'atteste l'absence de citations réciproques, et se posaient des questions résolues parfois par l'un ou l'autre de leurs collègues !
138Pedro Lombardía, « Los derechos fundamentales del fiel », Escritos, vol. III, 1974, p. 51­52.
139Cf. Pier Antonio Bonnet, Communione ecclesiastica, diritto e potere. Studi di Diritto canonico, Turin, Giappichelli Editore, 1993, p. 76­77.
140Com. 5 (1973), p. 209.
141Code Bleu, p. 11.
142Ce débat a animé les travaux du IVe Congrès de la Consociatio Internationalis Iuris Canonici Promovendo. Cf. Les Droits fondamentaux. Cf. Daniel Tirapú, « Los derechos del fiel como condición de dignidad y libertad », FI 2 (1992), p. 36­43 ; Daniel Cenalmor, « Los derechos fundamentales en el ámbito canónico. Origen y términos de la discusión », FI 15 (2205), p. 11­32.
143Cf. Iván C. Ibán, « Posibilidad de trasladar... », a.c., p. 457. Mais, comme le fait remarquer Juan Ignacio Arrieta, « I diritti dei soggetti... », o.c., p. 36, le concept de droit fondamental donné par les Lumières et par le libéralisme ne peut servir de fondement à aucun droit, et n'est donc pas à redouter pour l'Église.
144Sur l'ensemble de la question, cf. l'ouvrage déjà cité de Pedro Juan Viladrich, Teoría general de los derechos fundamentales del fiel. Presupuestos críticos, qui reste un ouvrage de référence de sur la théorie et l'histoire pendant la période antérieure à la rédaction du Code de 1983.
Deux objections majeures145. Deux objections majeures ont été formulées, l'une en termes ecclésiologiques, l'autre en termes canoniques.
a) L'ojection ecclésiologique. L'objection ecclésiologique revient à affirmer que les droits des fidèles seraient incompatibles avec le principe ecclésiologique de communio, incompatibilité que même une Loi constitutionnelle ne pourrait couvrir146. Or, tous les droits dont il est question dans l'Église ont un ancrage dans le baptême et se fondent sur la dignité et la liberté des enfants de Dieu, comme le Concile l'a affirmé à moult reprises. De plus, les devoirs et droits fondamentaux doivent être exercés en vue du bien commun et, précisément, dans le respect de la communio, comme le canon 209 § 1 l'indique expressément. L'appel à un droit fondamental à l'encontre de la communion serait un abus de droit.
b) L'objection canonique. L'objection de nature canonique porte sur la « non formulation canonique » du caractère fondamental des droits des fidèles, le droit ecclésial ne pouvant reconnaître que l'existence des droits subjectifs ordinaires, ce que la rédaction du CIC 83 confirme indirectement en omettant le qualificatif de « fondamental ». Les canonistes qui veulent éviter le positivisme juridique s'attachent à l'existence d'une réalité et dénoncent l'insuffisance technique de la part du législateur. L'aspect « fondamental » des devoirs et droits en question a été reconnu tant dans le projet de LEF que dans les travaux du CIC147. Le législateur ne peut, pour des motifs d'opportunité, retirer cette qualification des droits et devoirs. Elle existe indépendamment de lui.
Deux acceptions de l'adjectif « fondamental ». « Fondamental » peut être compris dans sa dimension matérielle, c'est­à­dire en rapport avec les droits qui, dans un ordre juridique donné, son considérés comme radicaux, car appartenant à toute personne. Un deuxième sens de « fondamental » est son sens formel, rapporté à des droits antérieurs à leur concrétisation juridique qui déterminent une sphère de liberté et d'autonomie de la personne face à l'autorité, sont configurés dans des normes du plus haut rang juridique (le droit dit constitutionnel) et sont épaulés par des garanties juridiques particulières148.
La problématique disparaît. La problématique évoquée devrait disparaître, au moins en partie, si l'on ne se limite pas au caractère matériel des droits fondamentaux, mais si l'on tient compte aussi de leur formalisation. Les droits fondamentaux réclament une forme juridique cohérente. Mais l'accord ne se fait pas sur la nature de cette forme.
L'absence des éléments requis ? Parler de droits fondamentaux suppose qu'existe une division des pouvoirs et un contrôle réciproque de ceux­ci. Or, une telle division de pouvoirs ne peut pas se 145Cf. Jean­Pierre Schouppe, « Le droit d'opinion et la liberté de recherche dans les disciplines ecclésiastiques (cc. 212 et 218) : nature et portée », AC 37 (1995), p. 161­164.
146Position soutenue, par ex., par L. De Maere, « The Rights of Christ's faithful at the service of the ecclesial communio », Ius in vita, p. 231­236 (en particulier p. 233­234). À cette objection Lo Castro a répondu énergiquement en affirmant que l'on est en droit de se demander si le fait de nier l'existence de drois et de devoirs fondamentaux au nom de la communion ecclésiale et les autres théories du même acabit, « de par les résultats auxquels ils parviennent, n'ont pas été, et ne sont pas, pour le moins inutiles, voir même dangereux ; pour ne pas dire qu'ils contribuent à jeter une voile de suspicion injustifiée sur l'authenticité et la véracité de la position du magistère de l'Église en fait de protection des droits de l'homme » (Gaetano Lo Castro, « Scienzia giuridica e diritto canonico », Scienzia girudica e diritto canonico, a cura di R. Bertolino, Turin, Giappichelli Editore, 1991, p. 230.
147Cf. en ce sens le constat du card. Rosalio Castillo Lara que le groupe d'étude De laicis a repris les canons du schéma de LEF en les regroupant sous le titre Christifidelium officia et iura fundamentalis, et que, de ce fait, « l'intention des auteurs du Schema était indéniablement celle de se référer aux droits fondamentaux des fidèles du Christ » (« Some General Reflections... », a.c., p. 15).
148Cf. Daniel Cenalmor, « Los derechos fundamentales en el... », o.c., p. 24.
produire dans l'Église, dit un auteur, et la technique de protection juridictionnelle des droits est, selon lui, inexistante dans le Code149.
L'option du Code. Comme nous pouvons le constater, le législateur n'a pas cru devoir retenir ce qualificatif de « fondamentaux », sans doute du fait de l'absence d'une loi constitutionnelle. Est­ce à dire que les droits soumis à notre examen ne sont pas fondamentaux ? Nous venons de voir la position du projet de LEF et son rejet, dû pour certains à la crainte de voir s'instaurer une remise en cause de l'autorité. Cependant le législateur suprême n'a pas hésité à affirmer que les droits et les devoirs « inscrits dans la dignité de la personne du christifidelis » ont été regroupés dans le Code en forme de « charte fondamentale »150.
2. L'existence de droits subjectifs dans l'Église
Des droits subjectifs dans l'Église. Pouvons­nous affirmer que la personne possède dans l'Église des droits, qualifiés par conséquent de subjectifs ? Toute personne, en tant qu'elle existe, possède une zone d'incommunicabilité, c'est­à­dire qu'elle est maîtresse de ses actes, agissant de façon autonome selon les règles de la prudence et est responsable face à Dieu et, à l'occasion, devant la société151. « Cette sphère d'autonomie implique la liberté ; et cette liberté prend sa racine dans l'égalité, en vertu de laquelle il n'y a pas, à ce niveau, de rapport supérieur­inférieur. Telle est donc la réalité humaine où réside le droit subjectif »152. Pour le dire autrement, un droit subjectif n'est autre que « la conséquence juridique en regard d'un sujet d'un droit ayant une réalité objective. Il suffit, dès lors, qu'un bien déterminé (spirituel ou matériel) soit dû en justice à un fidèle pour qu'il existe au moins un droit subjectif canonique »153.
Une équivoque à surmonter. Nous avons fait allusion à la notion kantienne de droit. Celle­ci identifie les droits aux droits subjectifs, c'est­à­dire aux sphères de pouvoir ou de facultés de l'individu. Le devoir de justice serait ainsi satisfait lorsque la faculté serait respectée. L'ordre juridique consiste alors dans l'équilibre entre les exigences découlant des sphères individuelles de facultés, pouvoirs et libertés, indépendamment du fait que la chose due ait été effectivement remise ou non. Dans la communauté ecclésiale, les droits des fidèles sont totalement étrangers aux domaines individualistes isolés. Bien au contraire, leur mise en œuvre coïncide avec la mission de l'Église et contribue à l'édification de celle­ci, dans le cadre et le respect de la communio154.
Quels sont ces droits subjectifs ? C'est bien dans cette absence de rapport supérieur­inférieur que se trouve le baptisé devenu persona in Ecclesia avec la même et identique personnalité en droit. La libertas filiorum Dei est la condition du Peuple de Dieu : elle implique la liberté, qui comporte elle­
149Cf. Iván C. Ibán, « Posibilidad de trasladar... », a.c., p. 458.
150Jean­Paul II, Discours à la Rote romaine, 26 février 1983, Com. 15 (1983), I, p. 21 ; cf. Dominique Le Tourneau, « Questions canoniques et ecclésiologiques d'actualité dans les discours de S. S. Jean­Paul II à la Rote romaine (1979­1988) », IC 28 (1988), p. 563.
151Cf. Pio Ciprotti, « De vocabulorum usu ad ius subiectivum designandum in Codice Iuris Canonici », Acta Congressus Internationalis Iuris Canonici, Romæ in ædibus Pont. Universitatis Gregorianæ 25­30 Septembris 1950, Rome, Officium Libri Catholici, 1953, p. 57­61.
152Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs., p. 50.
153Jean­Pierre Schouppe, « Le droit d'opinion... », a.c., p. 157.
154Cf. Eduardo Baura, « Movimientos migatorios y derechos de los fieles en la Iglesia », Migraciones, Iglesia y Derecho. Actas del V Simposio del Instituto Martín de Azpilcueta sobre « Movimientos migratorios y acción de la Iglesia. Aspectos sociales, religiosos y canónicos », ed. dirigée par Jorge Otaduy, Eloy Tejero, Antonio Viana, Pampelune, Navarra Gráfica Ediciones, 2003, p. 63­67.
même une sphère d'autonomie. Mais l'égalité n'a pas trait seulement à la dignité de baptisé : elle a trait également à l'actio communis qui incombe à tous les fidèles d'édifier l'Église. Dans ce domaine aussi, le fidèle dispose de sphères légitimes d'autonomie, « parfaitement compatibles avec la protection et la promotion du bien commun »155, comme nous le verrons en étudiant les différents canons.
La doctrine. Un secteur de la doctrine estime que le concept de « fondamentaux » est « inacceptable » pour l'Église en raison de son caractère de communion et parce que cette notion signifie que l'individu « est antérieur à la société et mérite un espace de liberté dans lequel la société n'a pas à intervenir »156. La catégorie de « fondamentaux » n'aurait, par suite, qu'une nature doctrinale, ou sociologique, voire historique.
D'autres propositions. Plus que de droits subjectifs, il faudrait parler, selon Fedele157, d'« intérêts légitimes », « occasionnellement protégés ». Selon un autre auteur, « ce n'est pas en comparant ces droits avec ce qu'on appelle les droits de l'homme dans la société civile que nous allons découvrir leur signification profonde, mais en les examinant en cohérence avec la façon dont l'Église se comprend elle­même à la fois comme communio fidelium et comme communio hierarchica »158. Telle est aussi la position de Corecco, pour qui il serait préférable de parler de « droits primaires ou tout simplement de droits »159. Nous aurons, bien sûr, l'occasion de revenir sur la communion avec le canon 209.
Une nuance subtile. Voulant peut­être concilier les différentes approches, le jésuite indien Nedungatt affirme que, dans les deux Codes, les devoirs et les droits qui nous occupent « ne sont pas juridiquement des droits fondamentaux, bien qu'ils le soient susbtantiellement, en particulier ceux qui découlent directement du baptême »160.
Le baptême ne détruit pas la nature. Ceci dit, étant donné que le baptême ne détruit pas la nature, il ne peut en aucun cas restreindre ou diminuer les droits de l'homme baptisé, mais au contraire il doit les reconnaître et les renforcer, même s'ils n'ont pas de parallèle parmi les droits fondamentaux des fidèles, afin de ne pas donner un contre­témoignage de la sincérité de sa doctrine161.
La protection des droits subjectifs. Même si cela peut paraître une tautologie, du fait que tout droit a pour fonction d'assurer « une protection juridique »162, il est nécessaire de protéger les droits subjectifs du fait que les personnes peuvent se tromper, qu'il s'agisse du titulaire ou du sujet du pouvoir.
3. Le respect de l'autorité
155Alvaro del Portillo, Ibid., p. 54.
156Cf. Luc De Maere, « The rights of the Christ'faithful... », a.c., p. 233­234.
157Commenté par Cf. Daniel Cenalmor, Ley fundamental, p. 277.
158Cf. Luc De Maere, « The rights of the Christ'faithful at the service of the ecclesial communion », Ius in vita, p. 236.
159« Une telle dénomination ne serait pas cohérente avec la structure constitutionnelle de l'Église, ni avec l'anthropologie théologique chrétienne » (E. Corecco, « Considerazioni sul problema dei diritti fondamentali del cristiano nella Chiesa e nella società. Aspetti metodologici della questione », Ius et Communio, vol. I, p. 245­278, la citation est à la p. 260). On a pu dire cependant, à propos des thèses de Corecco sur les devoirs et les droits fondamentaux dans l'Église que, « malgré les très nobles intentions qui sous­tendent les efforts de Corecco, il nous semble qu'il n'échappe pas au risque de finir par nier implicitement le droit dans l'Église, tel qu'il a été conçu par la tradition ecclésiale » (Carlos J. Errázuriz, Il Diritto e la Giustizia nella Chiesa. Per una teoria fondamentale del Diritto Canonico, Milan, Giuffrè Editore, 2000, p. 75).
160George Nedungatt, S.J., Laity and Church Temporalities. Appraisal of a Tradition, Bangalore, 2000, p. 85.
161Cf. Antonio Martínez Blanco, Los derechos fundamentales de los fieles en la Iglesia y su proyección en los ámbitos de la familia y de la enseñanza, Murcie, Publicaciones Instituto Teológico Franciscano, 1994, p. 64.
162Cf. Cesare Mirabelli, « La protezione giuridica dei diritti fondamentali », Les droits fondamentaux, o.c., p. 398.
Peut­on parler de revendications ? Face à la crainte d'une remise en cause de l'autorité ecclésiastique, il paraît aller de soi que les droits des fidèles ne sauraient être brandis comme autant de revendications163. Les fidèles, nous le verrons, sont tenus à vivre la communion (cf. c. 209 § 1) et doivent participer, chacun à leur façon, à l'édification de l'Église du Christ, sans que cela exclue, bien au contraire, que les exigences de la communion et de la charité puissent les pousser à défendre énergiquement leurs droits, qui s'accompagnent souvent aussi de devoirs.
Fondamentaux et communion. En effet, le caractère « fondamental » des devoirs et des droits ne peut se concevoir sans une relation étroite avec la communio ecclesiastica. Ces droits et des devoirs ne peuvent se comprendre que dans le cadre de cette communion164.
Un droit aux droits ? Si la condition de baptisé comporte un statut juridique commun pour tous les fidèles, il ne s'en suit pas que ceux­ci puissent revendiquer ce statut comme un « accomplissement » de soi. Dans l'ordre canonique, les droits fondamentaux ont avant tout une valeur « fonctionnelle », c'est­à­dire qu'ils ne constituent pas des fins en soi, mais sont autant d'instruments pour mieux atteindre la finalité surnaturelle à laquelle la communauté ecclésiale tout entière est orientée165.
Une mentalité hiérarchologique ? De toute façon la crainte exposée cache peut­être des relents de mentalité hiérarchologique. En effet, un exercice abondant de leurs droits de la part des fidèles ne débouche pas sur une « démocratisation » de la société hiérarchique de l'Église, mais tout au contraire « sur une revitalisation féconde de l'Église, comme l'exemple des mouvements ecclésiaux le prouve dans le domaine de l'exercice du droit d'association et de réunion »166.
163C'est toutefois un argument brandi pour refuser la qualification de « fondamentaux » aux devoirs et des droits : cf. Rosalio Castillo Lara, « Some General Reflexions... », a.c., p. 15­17.
164Manuel Saturino Gomes, « Deveres e direitos na Igreja : do CIC 1917 ao CIC 1983 », Deveres e direitos dos Fiéis na Igreja, Lisbonne, Centro de Estudos de Direito Canónico, Universidad Católica Portuguesa, coll. « Lusitania Canonica », n° 5, 1999, p. 45, qui renvoit à Dominique Le Tourneau, « Les droits et les devoirs... », Ius in vita, p. 371.
165Cf. Commento, p. 117.
166Juan Ignacio Arrieta, « Coordenadas fundamentales de la actuación de los fieles laicos en la sociedad temporal y en la Iglesia », Las relaciones entre la Iglesia y el Estado. Estudios en memoria del Profesor Pedro Lombardía, Madrid­
Pampelune, 1989, p. 841. Le pape Jean­Paul II a parlé d'une « nouvelle saison d'associations des fidèles laïcs » (Jean­
Paul II, CFL, n° 29). « On ne peut cependant pas oublier que le phénomène associatif a pris des proportions plus larges, souligne Beyer, surtout du fait qu'il se caractérise par une vision globale de l'Église, un désir de communion ecclésiale, une recherche d'unité entre tous les membres de l'Église (...). Ce qui nous oblige à distinguer aujourd'hui, parmi ces mouvements, ceux qui sont laïcs, ceux qui sont familiaux, ceux qui sont ecclésiaux » (Jean Beyer, Renouveau du..., o.c., p. 133). À vrai dire, nous ne voyons pas ce qui, du point de vue du statut canonique fondamental des fidèles, peut permettre d'établir un distinguo entre mouvements laïcs et mouvements familiaux. Si les membres d'une famille possèdent des droits et des devoirs, ceux­si sont spécifiés déjà dans les canons qui les concernent directement, soit en tant que christifideles, soit en tant que laïcs : le c. 226 et les autres canons qui, nous le verrons, auraient pu constituer une véritable loi­cadre de droit de la famille, sont suffisamment explicites, sans compter les dispositions particulières arrêtées par les statuts de chaque mouvement. Faut­il répéter ici que les fidèles mariés ne sont pas des fidèles spéciaux, des laïcs spéciaux, mais des laïcs qui assument leur vocation chrétienne dans le cadre du mariage et répondent à l'appel universel à la sainteté et à l'apostolat en vivant la vocation matrimoniale sans qu'il soit nécessaire ­ juridiquement, cela ne mène nulle part ­ de les mettre dans des casiers réducteurs, où ils se trouveraient mal à l'aise : une expérience amplement et douloureusement vécue avant le Concile Vatican II le démontre amplement. Gardons­nous bien de la ressusciter ! (On remarquera que la catégorie « mouvements familiaux » semble traduire un approfondissement de la pensée de l'auteur, car elle n'est pas présente dans le chap. VII sur « les mouvements nouveaux en Église », qui est la reprise d'un article publié en 1990, et donc rédigé antérieurement, tandis que cette catégorie est présente dans le chap. précédent, consacré à commenter l'exhort. ap. Christifideles laici, et apparemment rédigé ex professo pour cet ouvrage de 1993, et d'ailleurs le seul Le risque pour la hiérarchie. Le vrai risque pour la hiérarchie résiderait en réalité dans une mentalité qui voudrait cléricaliser les laïcs et les contraindre à remplir des tâches ministérielles, ou privilégier la situation des laïcs, mais dans un contexte qui resterait celui de la catégorie des états et, par conséquent, non d'une reconnaissance de la réalité authentique du laïcat167.
Les relations Église­monde. La société ecclésiale étant étroitement imbriquée dans la société civile, la prise en compte de certains droits de l'homme par le Droit canonique, tout en préservant naturellement l'identité propre à l'Église, ne peut que favoriser cette articulation et contribuer à la réalisation effective de la fin propre du droit de l'Église qui est d'instaurer un ordre social juste168.
IX. Une canonisation des droits de l'homme ?
1. Droits civils et droits canoniques fondamentaux169
Des différences entre la société civile et la société ecclésiastique. À la crainte d'une partie de la doctrine face à la « canonisation » des droits de l'homme, il faut répondre en rappelant que le contenu, le fondement et les modalités d'exercice et de protection des droits et des devoirs fondamentaux ne sont pas les mêmes dans la société ecclésiale et dans la société civile170, puisqu'ils ont une racine sacramentelle dans l'Église.
Une analogie ? Il n'y a pas analogie171 entre « droits de l'homme » et « droits des fidèles »172. À ceux dans ce cas.)
167Le danger vient de ce que « ce sont principalement nous, les clercs, qui faisons de la théologie et légiférons pour que les laïcs vivent de nos réflexions et accomplissent les lois que nous élaborons, interprétons et appliquons pour eux » (José María Díaz Moreno, « Los laicos en el nuevo Código de Derecho Canónico. Temática actual », REC 46 (1989), p. 10.
168Cf. Antonio Martínez Blanco, « Derechos humanos y derechos de los fieles en el ordenamiento canónico », La norma en el Derecho canónico. Actas del III Congreso Internacional de Derecho canónico. Pamplona, 10­15 de octubre de 1976, Pampelune, Eunsa, 1979, vol. II, p. 345­368, en particulier p. 360­368.
169Pour une bibliographie détaillée, déjà ancienne, mais qui fait le point des débats autour de cette question, cf. Antonio Martínez Blanco, « Derechos humanos y derechos... », a.c. L'auteur va au devant des critiques qui manifestent la crainte de voir s'instaurer par le biais des droits fondamentaux des fidèles une certaine « démocratisation » de l'Église, contraire à sa constitution monarchique de droit divin, critique formulée, entre autres, par Fernando Retamal, « Derecho y pastoral en la Iglesia », La norma en el Derecho canónico. Actas del III Congreso Internacional de Derecho canónico. Pamplona, 10­15 de octubre de 1976, Pampelune, Eunsa, 1979, vol. II, p. 345­
368, en particulier p. 243­280.
170Cf. Julián Herranz, Studi, p. 213­214. Cf. Alain Sériaux­Laurent Sermet­Dominique Viriot­Barrial, Droits et libertés fondamentaux, Paris, Ellipses, 2003.
171L'analogie ne s'établit pas entre deux réalités confrontées entre elles ­ droits du fidèle, droits de l'homme ­ mais par rapport au concept de droits de la personne en tant que telle, ayant des conséquences différentes au plan politique et au plan ecclésial (cf. Daniel Tirapú, « Los derechos del fiel como... », o.c., p. 40).
172La magistère de l'Église préfère parler de « droits fondamentaux » plutôt que de « droits de l'homme », afin « d'éviter la confusion des vrais droits de tout homme et de tous les hommes avec les divers droits secondaires, voire superficiels que, dans les sociétés sur­développées, la démagogie ou les modes intellectuelles ont cru bon de revendiquer en fonction de l'évolution des mœurs et des besoins » (Joël­Benoït d'Onorio, « À la recherche des droits de l'homme », Droits de Dieu et droits de l'homme. Actes du IX Colloque national des Juristes catholiques, Paris, 11­
12 novembre 1988, Paris, Téqui, 1989, p. 205). Le législateur ne devrait pas se laisser emporter par « la tendance subjectiviste au point de proclamer, d'autoriser ou d'exiger, sous le couvert de « droits de l'homme », ce qui irait à l'encontre des véritables droits humains naturels ou des exigences de la loi divine. Ainsi, il ne sera jamais cohérent de parler d'un droit à l'avortement ou d'un droit à l'homosexualité... » (Jean­Pierre Schouppe, Le droit canonique. qui soutiennent que ce sont des catégories homogènes, il a été répondu qu'il s'agit de catégories distinctes mais semblables dans leur construction juridique : les droits des fidèles découlent de la filiation divine du baptisé tout comme les droits de la personne dérivent de la nature humaine173.
Droits de l'homme et droit de Dieu. Il importe de situer la question dans son juste contexte. La relation à Dieu est la garantie nécessaire des droits de la personne. C'est elle qui fonde la trancendance des droits fondamentaux. Il faut prendre garde à ne jamais oublier cette dimension constitutive de l'être humain174.
La concepion libérale. Un courant doctrinal, pétri de libéralisme et de jusnaturalisme, avance que les droits de l'homme sont antérieurs à l'État, ce qui n'est pas le cas dans l'Église : dans celle­ci, les droits proviennent de l'incorporation au Peuple de Dieu par le baptême175. Nous sommes en présence d'une conception quelque peu « totalitaire » de l'Église, car cette thèse a pour conséquence que le fidèle doit obéir à on évêque même s'il commet une injustice176. La réponse. Ceci est contesté par Corecco, pour qui le baptême « n'est pas le fondement unique et exclusif des droits fondamentaux du chrétien », car il est la porte des autres sacrements, « en eux­
mêmes constitutifs de la personnalité globale dans l'Église »177. En réalité, personne et société politique sont simultanées, mais la personne possède une sphère d'être et des fins propres que la communauté politique n'absorbe pas ; autrement dit, les droits fondamentaux sont inhérents à la personne, ce sont des iura nativa. Compris en ce sens, les droits du fidèle sont aussi « antérieurs », non du point de vue temporel, mais en tant que droits innés acquis par le baptême178.
L'auto­réalisation du fidèle dans l'Église. « Face au droit de l'Église, le fidèle possède le droit radical à être reconnu et promu en tant que fidèle, c'est­à­dire à ce que les structures juridiques de l'Église soient constituées de sorte qu'il puisse s'auto­réaliser en Église. » Cette auto­réalisation ecclésiale est reconnue et promue par le droit selon des canaux juridiques particuliers : « Le sacerdoce commun (qui se décompose en sphères d'action) en respectant la dignité personnelle : liberté de la filiation divine (qui donne lieu à son tour à un ensemble de sphères d'autonomie) »179.
La doctrine majoritaire. Une partie de la doctrine, nettement majoritaire, a retenu l'appellation de « fondamentaux »180. Notons l'existence de la revue Fidelium Iura. Suplemento de derechos y deberes fundamentales del fiel, publiée par l'Université de Navarre depuis 1991181.
Introduction générale et droit matrimonial, préface de J. Gaudemet, Bruxelles, Story­Scientia, 1990, p. 38).
173Cf. Javier Hervada, « Los derechos fundamentales del fiel a examen », FI 1 (1991), p. 221 sv.
174Cf. Philippe André­Vincent, Jalons pour une théologie du droit, présenté par Jean­Baptiste Donnier, Paris, Pierre Téqui éditeur, 2007, p. 136­137, résumant le voyage du Serviteur Jean­Paul au Brésil, du 30 juin au 12 juillet 1980.
175Cf. Velasio De Paolis, C.S., « Il ruolo della scienza canonistica nell'ultimo ventennio », Pontificio Consiglio per i Testi Legisativi, Vent'anni di esperienza canonica 1983­2003. Atti della giornata accademica tenutasi nel XX anniversario della promulgazione del Codice di Diritto canonico. Aula del sinodo in Vaticano 24 gennaio 2003, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2003, p. 143.
176Cf. Javier Hervada, « Los derechos fundamentales del fiel a examen », FI 1 (1991), p. 218­231 ; Dominique Le Tourneau, « Les droits et les devoirs... », Ius in vita, p. 371­374.
177E. Corecco, « Considerazioni sul problema dei diritti fondamentali del cristiano nella Chiesa e nella società. Aspetti metodologici della questione », Ius et Communio, vol. I, p. 263.
178Cf. Javier Hervada, « Los derechos fundamentales del fiel a examen », a.c., p.222­227.
179Pedro Juan Viladrich, Teoría de los derechos fundamentales..., o.c., p. 327­328.
180Le premier numéro de cette revue avait pour titre : Persona y Derecho. Revista de fundamentación de las Instituciones Jurídicas y de los Derechos Humanos. Suplemento Lex Nova de derechos fundamentales del fiel.
181Cf. Congresso Nazionale di Diritto Canonico, I diritti fondamentali del fedele. A venti anni della promulgazione del Codice, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2004.
2. Droits fondamentaux et droits de l'homme
La personne humaine et le plan du salut. Confrontons maintenant les droits fondamentaux ecclésiaux aux droits de l'homme. « Si nous considérons l'homme en tant que chrétien, en tant que membre du Peuple de Dieu dans la vie de l'Église, nous voyons que la fonction du droit ne demeure pas étrangère au « mystère du salut » et ne s'arrête pas au seuil de celui­ci. Toute la personnalité de l'homme, en effet, entre dans la dynamique du plan de salut, de sorte qu'est appelé à faire partie de l'économie du salut, en même temps qu'elle, le patrimoine des réalités juridiques, indissolublement liées à la justice et à la personne humaine. »182
Deux catégories de droits de la personne. Les droits de la personne humaine peuvent se regrouper en deux catégories : ceux qui ont trait à la personne considérée en elle­même et ceux qui lui reviennent dans la communauté politique. Ces derniers, bien évidemment, n'ont pas doit de cité dans l'Église. En revanche, les droits de la personne humaine ont pleine vigueur dans l'Église.
Droits de l'homme et bien commun. Il faut admettre que les droits de l'homme « ne sont concevables concrètement et réellement défendus que dans la lumière du bien commun : les droits fondamentaux sont au centre du bien commun ; ils sont déterminés par le bien commun, et ils sont « déterminants » pour lui ». En effet, le bien commun est « le nœud des relations fondamentales » entre les hommes dans les divers corps sociaux auxquels ils appartiennent183.
Trois droits de l'homme. La législation canonique actuelle retient trois droits de l'homme : le droit à la bonne renommée, le droit à l'intimité et le droit à la protection judiciaire184. Ces droits ne s'enracinent pas dans le baptême mais dans la nature humaine. C'est pourquoi il ne s'agit pas de droits fondamentaux du fidèle, mais de droits naturels de l'homme.
Leurs différences. Les droits de l'homme et les droits fondamentaux des fidèles ne diffèrent pas dans leur signification technique juridique, car, dans les deux cas, il s'agit de domaines d'autonomie, de situations juridiques de liberté reconnues par le Droit constitutionnel aux sujets. Ils coïncident et diffèrent, en partie, quant à leur fondement, car, en dernière instance, les deux classes de droits découlent du Droit divin, naturel (la nature humaine, dans le cas des droits de l'homme) ou révélé (la condition ontologico­sacramentelle du fidèle dérivant du baptême, dans le cas des droits fondamentaux des fidèles)185. Naturellement, « ils diffèrent quant à leur explicitation historique concrète, du fait des particularités de la société humaine, domaine propre des droits de l'homme, et de la société mystérique ecclésiale, domaine propre des droits spécifiques des fidèles »186.
Une dépendance des droits fondamentaux de l'homme ? D'autre part, on ne voit pas quelle raison ferait que les droits fondamentaux des fidèles dépendraient des droits fondamentaux de la personne humaine ou leur seraient subordonnés. Le Dieu rédempteur ne saurait s'opposer au Dieu créateur...187
182Paul VI, Allocution aux participants au Congrès International de canonistes, Rome, 26 mai 1968, cité par Alvaro del Portillo, Fidèles et laïcs, p. 58­59.
183Philippe André­Vincent, Jalons pour..., o.c., p. 132. 184Cf. c. 220 et 221 CIC 83 ; c. 23 et 24 CCEO.
185Sur la distinction entre libertés fondamentales des fidèles dans l'Église et droits humains « déclarés » dans la communauté politique, on verra Jean­Pierre Schouppe, « Le concept de liberté : clé pour une herméneutique des droits et des devoirs fondamentaux des fidèles », FI 10 (2000), p. 101­146.
186Antonio Martínez Blanco, Los derechos fundamentales de los fieles..., o.c., p. 37.
187Cf. Dominique Le Tourneau, « Les droits et les devoirs... », Ius in vita, p. 375.
3. Les droits de l'homme et l'Église
À quel titre ces droits concernent­ils l'Église ? Précisément les droits de l'homme sont en majorité des droits naturels de l'homme. Or « enseigner, défendre et promouvoir les droits naturels entre pleinement dans la mission de l'Église, car un aspect de sa mission consiste précisément à déclarer, défendre et promouvoir la loi et le droit naturels »188.
Des droits perfectionnés. Tout comme la grâce ne détruit pas la nature mais la perfectionne189, l'homme ne perd pas au moment de son baptême les droits inhérents à sa nature humaine, mais les retrouve perfectionnés par son élévation à l'ordre surnaturel. Toutefois, il ne s'agit pas d'un simple transfert au domaine canonique, mais d'exigences de la condition de baptisé, dont le fondement ultime n'est autre que la volonté de Dieu pour son Église190.
Pourquoi pas tous ? Pourquoi le législateur canonique n'a­t­il pas repris l'ensemble de ces droits de l'homme ? Probablement parce que cela n'est pas nécessaire : le droit à la vie, à l'intégrité physique, à la liberté, etc. s'imposent d'eux­mêmes dans l'Église191.
Des droits propres aux catholiques ? Dans le cas des droits naturels, ils sont reçus au moment du baptême et sont donc antérieurs à toute formalisation juridique. L'Église peut, certes, et doit même, en réguler l'exercice. Mais ils sont donnés par le Seigneur et concernent donc aussi les non catholiques. Tel est le cas, entre autres, des obligations et droits relatifs à la recherche de la sainteté, à l'annonce de l'Évangile, à la réception des aides spirituelles, à la promotion de l'action apostolique et à l'éducation chrétienne192.
Droits naturels et ordre juridique canonique. Pour qu'un droit naturel, ayant une valeur exclusivement interpersonnelle, puisse être opérant dans l'ordre canonique, dont la racine est surnaturelle (lex gratiæ), il doit remplir deux conditions : a) ne pas porter sur des matières séculières ; b) être sans valeur politique193.
X ­ Les devoirs et droits fondamentaux dans le Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium
Un copié­collé ? Venons­en au CCEO. Quand on connaît la diversité des traditions des vingt­et­une Églises catholiques orientales, leur histoire, les milieux culturels dans lesquels elles sont insérées, on peut s'étonner que les devoirs et les droits fondamentaux du Codex Iuris Canonici se retrouvent pratiquement à l'identique dans le Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium.
Vatican II et la LEF. Certes, les conditions culturelles ne sont pas les mêmes, les nuances ecclésiologiques sous­jacentes aux deux codifications traduisent la diversité que nous venons d'évoquer. Cependant, il ne faut pas oublier, d'une part, que la liste des devoirs et des droits fondamentaux des fidèles provient en substance du projet de Lex Ecclesiæ Fundamentalis (dont le groupe d'étude comprenait aussi des orientaux), qui devait servir de charte constitutionnelle à l'Église universelle et, d'autre part, que, pour l'essentiel, l'ecclésiologie qui informe les canons des deux Codes 188Javier Hervada, « Magisterio social de la Iglesia y libertad del fiel en materias temporales », Vetera et Nova, vol. II, p. 1335.
189« Gratia non tollet naturam sed perficit » (saint Thomas d'Aquin, Somme théologique I, q. 1, a. 8 ad 2).
190Cf. Luis F. Navarro, « El derecho de asociación del fiel », FI 1, 1991, p. 174­175.
191Cf. Javier Hervada, Pensamientos, p. 142­143.
192Cf. c. 210, 211, 213, 216, 217 CIC 83 ; c. 13, 14, 17, 18 CCEO.
193Cf. Rafael Rodríguez­Ocaña, « Compete a los fieles reclamar y defender los derechos que tienen en la Iglesia », Hervada, p. 353­354, qui renvoit à Javier Hervada, « Lex naturae y lex gratiae », Vetera et Nova, vol. II, p. 1621.
est celle du concile Vatican II.
Une condition commune de fidèle. De plus, il est impensable d'envisager une condition commune de fidèle distincte dans l'Église latine d'avec celle des Églises orientales. Elle n'aurait plus de commun que le nom, ne serait qu'un flatus vocis194.
XI. Les droits et les devoirs fondamentaux
1. Les droits fondamentaux
Les droits fondamentaux. Commençons par l'examen des droits fondamentaux, avant de passer aux devoirs fondamentaux. « En droit constitutionnel, on entend par droits fondamentaux les droits du fidèle qui découlent immédiatement et directement de la constitution de l'Église, en tant qu'elle est de droit positif »195. Il s'agit donc des situations juridiques et sociales effectives de liberté et d'autonomie reconnues par le droit de l'Église aux fidèles, qui les assument sous leur propre responsabilité et les défendent aussi selon le droit. Pas des droits revendicatifs. Mais il ne faudrait pas y voir pour autant ce qu'ils ne sont pas, c'est­à­
dire des sphères d'individualisme, de revendications à l'encontre des pasteurs ou de manque de solidarité au sein de la communauté ecclésiale. Ils traduisent au contraire la valeur libératrice de la Rédemption196, et permettent d'exprimer la liberté et la responsabilité personnelles en tant que membre actif de ladite communauté197.
Une participation démocratique ?198 La notion de coresponsabilité de l'ensemble des fidèles à la mission de l'Église a conduit certains auteurs à prôner la participation démocratique et délibérative de tous les fidèles au gouvernement de l'Église, c'est­à­dire à la fonction propre à la hiérarchie. Ils ont habillé leurs théories de noms variés : « Principe synodal, principe de collégialité élargie, principe de participation démocratique, principe de coresponsabilité de gouvernement. »199
Leurs limites. Cela marque les limites de ces droits et devoirs. Il n'existe de devoirs et droits fondamentaux que dans la mesure où ils sont des « manifestations voulues par le Christ de la liberté chrétienne, de la place du fidèle dans l'Église, de sa responsabilité, de sa participation active aux finalités de l'Église et du sens communautaire et solidaire du Peuple de Dieu »200. Ils doivent porter sur le bien et être dus en justice201. En dehors de cela, ils sont inexistants.
Des limites intrinsèques. Tout droit doit être vécu en observant le devoir de communion avec l'Église établi par le canon 209 § 1 ainsi que le bien commun de l'Église et les droits et devoirs des tiers, énumérés au canon 223 § 1. Des limites contraignantes. Quand la norme fixe des limites à l'exercice d'un droit, celles­ci excluent que d'autres limites puissent être posées. Par exemple le canon 214, quand il établit le droit à une forme de vie spirituelle « conforme à la doctrine de l'Église ».
194Cf. Luis Okulik, Estudio comparado, p. 77­78.
195Javier Hervada, Elementos, p. 102.
196Cf. Jean­Paul II, enc. Veritatis splendor, 6 août 1993. 197Cf. Valentín Gómez­Iglesias C., « Alcance canónico de la corresponsabilidad y participación de los fieles en la misión de la Iglesia », FI 9 (1999), p. 161­202.
198Cf. Juan Fornés, « Commentaire aux c. 208­223 », CECDC, vol. II, p. 57.
199Cf. Julián Herranz, Studi, p. 44.
200Javier Hervada, Elementos, p. 104.
201Cf. Daniel Cenalmor, « Límites y regulación de los derechos de todos los fieles », FI 5 (1995), p. 145­172.
Limités par la nature et la finalité de l'Église. Les limites à ces devoirs et droits découlent de la nature et de la finalité de l'Église : a) Parce que l'Église est une société et parce que les droits et les devoirs sont vécus en son sein, tout fidèle sera tenu de respecter les droits des autres fidèles et, du fait que l'Église s'insère dans la société humaine, respecter aussi les droits des personnes. b) Parce que l'Église est une communion de fidèles, qui est communion de charité, l'exercice de ces droits et devoirs sera imprégnés de charité et d'équité. c) Parce que l'Église est une institution dotée d'organes hiérarchiques, les droits et les devoirs des fidèles sont limités par les droits et les devoirs de l'autorité pour gouverner le peuple de Dieu selon la volonté de son fondateur. d) Parce que la finalité de l'Église est le bien commun de la salus animarum, ces droits et devoirs devront être en harmonie avec cette finalité suprême qui imprègne tout le droit de l'Église202.
Quatre caractéristiques. Les droits fondamentaux présentent quatre caractéristiques203, ou notes : ils sont universels, c'est­à­dire que tout fidèle les possède du fait que leur fondement est la condition ontologico­sacramentelle du chrétien ; ils sont perpétuels, la condition de baptisé possédant intrinsèquement cette qualité ; nul ne peut y renoncer, car, s'agissant d'exigences de la condition ontologico­sacramentelle et d'expressions de la volonté de fondation du Christ, il n'est pas dans le pouvoir du fidèle d'y renoncer204 ; ils sont enfin erga omnes, tous les fidèles et la hiérarchie elle­même étant donc tenus de les respecter205.
Leur déclaration. La formalisation appropriée des droits fondamentaux suppose qu'ils sont déclarés par la loi, que des lois ordinaires en assurent le développement normatif et la régulation206 et leur apportent des garanties légales207.
Leur perte. Nous venons d'affirmer qu'il n'est pas possible de renoncer à ces droits. Mais est­il envisageable les perdre ? S'agissant de droits fondamentaux, seule la mort peut y mettre un terme, car ils sont toujours radicalement présents dans la condition de baptisé. Ceci dit, ils peuvent être suspendus dans certaines circonstances : par la commission de certains délits, notamment ceux qui brisent la communion ecclésiale (hérésie, schisme et apostasie) et ceux qui entraînent une excommunication qui produit alors cette rupture ; en second lieu dans les situations de rupture non délictuelles, que nous pourrions qualifier de matérielles (c'est le cas de nos frères séparés) ; enfin dans 202Nous suivons ici Antonio Martínez Blanco, Los derechos fundamentales..., o.c., p. 67.
203Pour une étude historique particulière, cf. Juan Goti Ordeñana, « Los derechos fundamentales en la doctrina de Francisco de Vitoria », Anuario de Derecho Eclesiástico del Estado 12 (1997), p. 51­74, où nous trouvons également quatre caractéristiques, à savoir inaliénabilité, inviolabilité, égalité et universalité (p. 70­72).
204Jean Beyer regrette une « lacune importante » sur ce point dans le Code. Il aurait souhaité que fut considérée la possibilité de renoncer à certains droits fondamentaux. Il s'explique en disant qu'« il y a un droit au célibat consacré, à la pauvreté évangélique, à l'obéissance totale, à certaines valeurs supérieures qui semblent inclure ou même incluent un renoncement à des droits fondamentaux ou à leur exercice » (Jean Beyer, Du Concile au Code de droit canonique. La mise en application de Vatican II, Paris, Éditions Tardy, 1985, p. 44). Une chose est renoncer à un droit et une autre renoncer à en user. L'auteur a raison quand il parle d'« exercice » des droits fondamentaux, mais, répétons­le, il est juridiquement impensable, et impossible, d'abdiquer des droits fondamentaux.
205Cf. Javier Hervada, Elementos, p. 105 et 109.
206Cf. c. 223 § 2 CIC 83 ; c. 25 § 2 CCEO.
207Outre le catalogue du CIC 83 et du CCEO, certains auteurs énumèrent d'autres droits qualifiés, eux aussi, de « fondamentaux » : « Droit d'être en l'Église universelle, de vivre normalement sa vie ecclésiale en un lieu donné pour vivre dans l'Église de Dieu (...) ; (droit) d'être partout en Église, reçu comme frère par des frères. (...) Droit à une liturgie, digne, intelligible ; droit à une participation réelle et efficace à la liturgie, à la vie ecclésiale, où que se situe l'Église de Dieu. (...) Droit de s'unir à lui (le pape), de prier avec lui, pour lui (...), droit d'en appeler à lui, chef de l'Église et du Collège apostolique, droit de recevoir de lui enseignement et direction » (Jean Beyer, Du Concile..., o.c., p. 41).
des situations exceptionnelles, qui amènent à suspendre certains droits fondamentaux, comme nous le verrons en son temps.
2. Les devoirs fondamentaux
Le lien entre les droits fondamentaux et les devoirs fondamentaux. Comme Paul VI l'a déclaré, alors que la codification était en cours, « les droits fondamentaux des baptisés ne sont efficaces et ne peuvent être exercés que si l'on reconnaît les obligations correspondantes, résultant aussi du baptême, en étant en particulier persuadé que ces droits doivent s'exercer dans la communion de l'Église et que même ils s'inscrivent dans l'édification du Corps du Christ qu'est l'Église »208.
Les devoirs fondamentaux. De même que les droits fondamentaux, les devoirs fondamentaux se définissent comme les devoirs du fidèle qui découlent immédiatement et directement de la constitution de l'Église, en tant qu'elle est de droit positif. Il s'agit donc de situations sociales et juridiques réelles de soumission ou de charges qui résultent de la structure constitutionnelle de l'Église. D'une part, la hiérarchie détient un pouvoir de juridiction, qu'elle doit exercer cependant dans un esprit de diakonia, non de domination, et, d'autre part, tout fidèle doit obéir à la hiérarchie, et ce, dans un esprit de liberté.
Les mêmes principes que pour les droits fondamentaux. Les devoirs fondamentaux apparaissent donc comme autant de manifestations du principe institutionnel de l'Église et de la condition de fidèle en tant que membre actif de celle­ci. Pour le reste, ce qui a été dit des droits fondamentaux s'applique à eux mutatis mutandis.
Des droits aux devoirs. Nous avons vu que tout droit entraîne un devoir correspondant pour d'autres fidèles ou pour la communauté ecclésiale tout entière. Un sain exercice de ses devoirs, dans un désir de conveesion personnelle, poussera chaque fidèle « à transformer l'affirmation et l'exercice de ses droits en l'assomption de devoirs d'unité et de solidarité pour mettre en œuvre les valeurs supérieures du bien commun »209.
3. Les devoirs avant les droits
Les obligations en premier. Contrairement au CIC 17, les rédacteurs du Code révisé ont délibérément placé les obligations avant les droits, en vertu du principe iura sunt propter officia (en fonction des...). Cet ordre traduit une conception du droit selon laquelle le chrétien est une personne qui s'engage à participer de façon active à la mission de l'Église et qui reçoit les attributions nécessaires à cet effet210. Le CIC 83 rectifie en ce sens le texte des normes du CIC 17 qu'il a reprises.
L'appartenance à la société ecclésiale à l'intitiative de Dieu. Le législateur aurait voulu par là « souligner que l'appel adressé à l'individu à faire partie du peuple de Dieu est une initiative de Dieu et une condition préalable à une réponse de la part de l'homme »211. En effet, la foi et le baptême sont des dons divins gratuits. L'homme ne peut revendiquer aucun droit face à Dieu212. Il ne possède pas, à 208Paul VI, Discours à la Rote romaine, 4 février 1977, DC 69 (1977), p. 149.
209Jean­Paul II, Discours à la Rote romaine, 17 février 1979, cf. Dominique Le Tourneau, « Questions canoniques et... », IC 28 (1988), p. 546.
210Cf. R. Sobanski, « L'ecclésiologie du nouveau Code de droit canonique », Nouveau Code, vol. I, p. 251.
211Alfredo Leite Soares, « Comunhao eclesial e deveres­direitos dos baptizados », Deveres e direitos..., o.c., p. 20.
212Cf. 1 Co 4, 7 : « Qu'as­tu que tu ne l'aies reçu ? »
l'inverse de ce qui se passe dans la société civile, de droits de citoyenneté, mais est titulaire, en revanche, d'obligations qui appellent autant de réponses à la libre initiative de Dieu213. C'est pourquoi tous, du Pontife romain au dernier des fidèles, doivent garder la communion dans l'Église.
L'originalité de la société eclésiale. Dans la société ecclésiale, le service l'emporte sur le pouvoir, la coresponsabilité sur la faculté, le charisme sur le droit, et partant le devoir du fidèle sur son droit214. Cependant, interrogée en l'espèce, la Commission de révision a répondu que l'ordre est indifférent, car les obligations et les droits dépendent tous des sacrements215.
Une réponse éclairante. Cette réponse est éclairante, car un secteur doctrinale estimait que l'antériorité des obligations produisait des droits pour les baptisés, et que sans elles ils n'auraient pas joui de droits. Or, l'Église a reconnu que les droits de la nature humaine et la dignité commune qui en découle pour tous sont le support des droits fondamentaux de l'homme, et le baptême produit dans l'Église d'autres droits fondamentaux qui sont antérieurs à toute différenciation en vertu des diverses conditions juridiques. D'autre part, les droits peuvent donner naissance à des obligations. Par exemple, le droit d'un fidèle engendre un devoir correspondant des autres fidèles, hiérarchie comprise, de le respecter. Et quand quelqu'un a l'obligation de fournir des prestations à d'autres, ceux­ci ont le droit à les recevoir, comme dans le cas du canon 213216.
Une explication. Cette priorité peut s'expliquer en fait par « la référence de tous les fidèles chrétiens au Christ qui rachète et appelle à vive dans la communion avec le Père. La communion avec Dieu détermine l'existence et la nature de la communion avec les hommes. Le fidèle du Christ reçoit les droits de l'Église dans l'acte par lequel, selon un don gratuit de Dieu, il s'y incorpore. La situation du fidèle du Christ est celle de la personne qui remplit ses propres devoirs et exerce ses droits pour édifier l'Église dans laquelle il vit et de laquelle il vit »217.
Absence de parallèlisme entre devoirs et droits... D'autre part, il n'existe pas de parallèlisme absolu entre les devoirs et les droits. C'est­à­dire que chaque devoir ne comporte pas nécessairement à la clé un droit et vice­versa, bien entendu. En réalité, nous trouvons dans le Titre qui nous occupe deux catégories de devoirs : des devoirs purement moraux et donc non juridiques, et des devoirs proprement juridiques qui, s'il s'agit de vrais devoirs, sont également moraux.
... mais une corrélation entre les droits et les devoirs. Cependant nombre de droits donnent lieu à des devoirs. De plus, quand un fidèle a l'obligation de fournir une prestation à un ou plusieurs autres, celui­ci ou ceux­ci ont le droit à ce qu'elle soit effectivement fournie. Par exemple, quand le Code fait obligation aux ministres sacrés de prêcher218 et d'administrer les sacrements à ceux qui les leur demandent opportunément219, c'est l'envers du droit fondamental des fidèles à la Parole et aux sacrements220. Quand il demande aux curés de prendre soin de leurs ouailles221, aux évêques de 213Cf. Ef 1, 4 : Elegit nos in ipso ante mundi constitutionem.
214Cf. Antonio Martínez Blanco, Los derechos fundamentales..., o.c., p. 94.
215Cité par James H. Provost, « Book II. The People of God (cc. 204­746) », Text and Com., p. 137.
216À mettre en rapport avec les c. 767 et 843 CIC 83. Cf. respectivement le c. 16 et les c. 614 CCEO (sans équivalent pour le c. 843).
217Agostino Montan, Il diritto nella vita e nella missione della Chiesa. Introduzione. Norme generali. Il popolo di Dio. Libri I e II del Codice, Bologne, EDB, 2001, p. 203.
218Cf. c. 767 CIC 83 ; c. 614 CCEO.
219Cf. c. 843 CIC 83 (inexistant dans le CCEO).
220Cf. c. 213 CIC 83 ; c. 16 CCEO.
221Cf. c. 528­529 CIC 83 ; c. 289 CCEO.
prendre soin des fidèles à eux confiés222, aux juges de rendre des sentences223, il ne fait que correspondre aux droits à être l'objet du soin pastoral ou de l'attention pastorale ou d'un jugement224.
Un devoir du droit. Nous pouvons encore faire remarquer que le titulaire d'un droit a le devoir de l'exercer effectivement en y engageant toutes ses capacités. « Il ne s'agit pas d'un droit facultatif, mais d'un droit­devoir »225. Tel est le sens des appels réitérés du Code aux droits individuels secundum propriam cuiusque condicionem ou de son recours à des termes tels que debent (c. 210), officium (c. 211), tenentur (c. 212), « qui spécifient l'obligation, en symétrie par rapport au droit de chacun d'agir secundum propriam condicionem »226.
Des exhortations. Le fait de mélanger aux devoirs et aux droits fondamentaux des fidèles des canons à caractère purement exhortatif, ou contenant des devoirs proprement moraux, ou des devoirs­droits humains, ou n'énonçant que les droits de nature positive, est un signe de déficience de technique juridique. Un certain nombre de canons de l'un et l'autre Codes ne sont objectivement pas des biens dus en justice, car ils tirent leur légitimité du baptême et d'une nature constitutionnelle, dans une relation inter­subjective, et sont exigibles devant les tribunaux227.
XII ­ La protection des devoirs et des droits fondamentaux
Une protection précaire. La protection juridique porte principalement sur les droits. La meilleure façon de les protéger est d'engager des recours selon le droit. Or, le Code, tel qu'il nous est parvenu, est très déficient à cet égard, malgré des discours qui relèvent davantage de la méthode Coué que de la réalité. Le fait est qu'il ne prévoit pas de « moyens rapides et efficaces pour garantir les droits des fidèles, qui sont souvent à la merci de la bonne volonté et de la sensibilité des autres fidèles et des pasteurs sacrés »228. Nous y reviendrons à propos du canon 221.
L'action de la hiérarchie. L'action de la hiérarchie, nous l'avons dit, est tendue vers le bien commun et le salut des âmes ; elle est aussi, nous le verrons, coordonnée avec le droit des christifideles de manifester leur opinion à leurs pasteurs sur tout ce qui concerne le bien de l'Église, selon leur savoir et leur compétence (cf. c. 212 § 3), et avec le droit à une véritable protection de leur statut canonique personnel (cf. c. 221)229.
222Cf. c. 383 CIC 83 ; c. 192 CCEO.
223Cf. c. 1453, 1457 CIC 83 ; c. 1111, 1115 CCEO.
224Cf. James H. Provost, « Introduction aux c. 208­223 », Text and Com., p. 138.
225Rosalio Castillo Lara, « Some General Reflections... », a.c., p. 21.
226Maria Gabriella Belgiorno de Stefano, « La Chiesa cattolica e i diritti fondamentali dell'uomo e del cristiano », Raccolta di scritti in onore di io Fedele (G. Barberini dir.), Pérouge, vol. II, 1984, p. 986­987.
227Ces canons peuvent se regrouper sous six rubriques : a) canons à caractère général ou introductif, comme les c. 7­11 CCEO ; b) canons purement exhortatifs, tels les c. 25 § 2 CCEO et 222 § 2 CIC 83 ; c. 405 CCEO (sans équivalent latin) ; c) canons comportant des biens purement moraux, comme les c. 13 CCEO et 210 CIC 83 ; 14 et 406 CCEO et 211 et 225 § 1 CIC 83 ; c. 404 § 1 CCEO et 229 § 1 CIC 83 ; d) canons énonçant des droits purement positifs, comme le c. 250 CIC 83 ; e) canons contenant des droits­devoirs purement humains, comme c. 23 et 24 CCEO et c. 220 et 221 CIC 83 ; f) canons énonçant des capacités, comme les c. 403 § 2, 404 § 3, 408 § 1 CCEO et c. 228 § 1, 229 § 3, 228 § 2 CIC 83 (cf. Dolores García Hervás, « Los derechos de los fieles en los Códigos latino y oriental », FI 2 (1992), p. 70­73).
228Javier Hervada, Pensamientos, p. 129.
229Cf. Sandro Gherro, « Diritto canonico e « pastoralità » della gerarchia », Il concetto di Diritto canonico. Storia e prospettive a cura di Carlos J. Errázuriz M. e Luis Navarro, Milan, Giuffrè Editore, 2000, p. 185­186.
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