ENTRETIEN
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ANNE ALTMANN
Transcription
«A.A.: Je sais que mes parents avaient à cœur qu’on fréquente plutôt des jeunes gens et des jeunes
filles juives et juifs, mais nous, on n’était pas spécialement…, on partageait pas forcément…
Vos amis étaient plutôt juifs, non juifs, mélangés?
A.A.: Non… mélangés… mélangés. C’est ça, l’école laïque en France. Elle nous apprend à ne pas nous
cloisonner dans nos différentes confessions et… c’était mélangé, oui.
Je me souviens quand même, à l’école, ça a été un de mes premiers chocs. Je devais avoir 10ans ou
11ans, y a une fille de l’école qui m’a dit: «Mais… est-ce que tu peux enlever tes chaussures?»
Alors, je lui ai dit: «Mais pourquoi j’enlèverais mes chaussures?» Elle dit: «–Bah, je voudrais voir
tes pieds.» «–Mais pourquoi tu veux voir mes pieds?» «–Je veux voir si t’as des pieds fourchus.»
Alors, je… j’ai ouvert des grands yeux: «–Mais pourquoi tu… Mais, je comprends pas…» Elle me dit:
«Mais, il paraît que les Juifs ont des pieds fourchus.» Et alors, ça a été pour moi une révélation. Aussi,
ça m’est arrivé de me faire traiter de «sale juive». Et... là, je… je pense que je suis… j’ai demandé à
mes parents des explications. C’étaient pas des gens cultivés, mes parents, c’étaient des gens qui ont
lutté pour leur vie, pour leur vie matérielle, pour nous donner des moyens dans la vie. Et… ils nous
ont pas inculqué beaucoup de choses sur la culture juive, eux, mais… ils nous ont expliqué, enfin, ce
que c’était que d’être juifs selon leurs moyens, mais, pour moi, ça n’a pas été satisfaisant, je veux dire.
Je trouve que c’est dommage d’avoir une identité juive uniquement par rapport à ce qu’on a souffert,
il y a autre chose dans le judaïsme que ce passé de pogroms, de camps de concentration…
Qu’est-ce qu’ils vous ont dit, par rapport à votre judaïsme?
A.A.: Bah, ils nous ont expliqué ce qu’était l’antisémitisme et que ils en avaient souffert en Pologne,
et que c’était une façon de ne pas accepter l’autre et la différence. Et que c’était… Ils m’ont raconté
aussi, en Pologne on racontait qu’on tuait des enfants chrétiens et qu’avec le sang on faisait des matsos.
Et que c’était du même genre que de dire que les Juifs avaient des pieds fourchus, que ça renvoyait à
l’idée du diable, et que c’était des paroles méchantes, et que c’était des imbéciles, et… Mais enfin, c’est
assez, c’est dommage de poser des questions par rapport au judaïsme, ce que c’est que d’être juifs, par
rapport à ce genre d’expériences. Il vaut mieux que les parents expliquent à leurs enfants qu’est-ce
que c’est que le judaïsme, qu’est-ce que c’est que d’être juifs, qu’ils adhèrent ou non à leur confession.
Bah, ce serait déjà de parler de l’histoire, de la culture, peut-être d’avoir une meilleure connaissance
des textes et aussi, de l’art, et de la culture juive, enfin hébraïque en général.
Et le fait d’être traitée comme cela, de «sale juive», comment ça vous a marqué à cette époque? Vous
aviez à peu près quel âge?
A.A.: Bah, là, j’avais 11ans. Je crois que c’est entre 10 et 12ans. Ça m’a fait prendre un parti, ça m’a
fait prendre parti pour les minorités, parti pour les Juifs. J’ai adhéré. Bah, ça m’a fait devenir juive,
d’une façon peut-être un peu bizarre, mais, je me revendique dans mes origines. Mais même si… je
crois que je pourrais dire que je suis athée, mais je… je suis juive.»