Anne Altmann

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ENTRETIEN
Anne Altmann
Contexte
L’interview d’Anne Altmann a été menée par Pamela Grant le 10 avril 1996, à Paris.
Dans cet extrait, Anne Altmann définit sa judéité au regard de son éducation et de son
expérience personnelle.
Biographie du témoin
Née Hannah Kleinberg, Anne Altmann a vu le jour le 16 janvier 1928, à Sarrelouis (France,
aujourd’hui Saarlouis en Allemagne). Originaires de Pologne, ses parents se sont installés à Metz
(Moselle). Auparavant, sa mère avait vécu dans le grand-duché de Luxembourg. Anne a un frère.
Son père et son oncle travaillent ensemble dans les métiers du cuir. La famille pratique peu la
religion juive.
Dans les années 1930, les Kleinberg s’installent à Lyon où Anne fréquente l’école communale.
Pendant la guerre, elle est envoyée dans un lycée de jeunes filles, à Annecy (Haute-Savoie),
mais la direction du pensionnat lui fait savoir qu’on ne peut l’y garder, en raison de ses origines.
Anne rentre à Lyon.
Son père et son oncle échappent à deux rafles : tous partent alors se réfugier à Chambéry
(Savoie). Par sécurité, la famille loge à des endroits différents. Anne fréquente un lycée de
jeunes filles qu’elle doit quitter une fois de plus lorsque la directrice découvre qu’elle est juive.
La famille se reconstitue dans le village de Saint-Jean-d’Arvey, près de Chambéry, où elle passe
le restant de la guerre. C’est là que surviennent les Américains, en 1945.
Peu de temps après la Libération, Anne part pour les États-Unis où elle demeure pendant deux
ans, à l’Université de Californie, à Los Angeles (Ucla). À son retour en France, en 1947, elle passe
son bac à Lyon et s’inscrit à l’école dentaire. Elle rencontre celui qui va devenir son mari et part
s’installer à Paris. Le couple donne naissance à deux enfants. Anne reprend alors ses études et
devient psychanalyste.
© USC Shoah Foundation
ENTRETIEN
Transcription
« A. A. : Je sais que mes parents avaient à cœur qu’on fréquente plutôt des jeunes gens et des jeunes
filles juives et juifs, mais nous, on n’était pas spécialement…, on partageait pas forcément…
Vos amis étaient plutôt juifs, non juifs, mélangés ?
A. A. : Non… mélangés… mélangés. C’est ça, l’école laïque en France. Elle nous apprend à ne pas nous
cloisonner dans nos différentes confessions et… c’était mélangé, oui.
Je me souviens quand même, à l’école, ça a été un de mes premiers chocs. Je devais avoir 10 ans ou
11 ans, y a une fille de l’école qui m’a dit : « Mais… est-ce que tu peux enlever tes chaussures ? »
Alors, je lui ai dit : « Mais pourquoi j’enlèverais mes chaussures ? » Elle dit : « – Bah, je voudrais voir
tes pieds. » « – Mais pourquoi tu veux voir mes pieds ? » « – Je veux voir si t’as des pieds fourchus. »
Alors, je… j’ai ouvert des grands yeux : « – Mais pourquoi tu… Mais, je comprends pas… » Elle me dit :
« Mais, il paraît que les Juifs ont des pieds fourchus. » Et alors, ça a été pour moi une révélation. Aussi,
ça m’est arrivé de me faire traiter de « sale juive ». Et... là, je… je pense que je suis… j’ai demandé à
mes parents des explications. C’étaient pas des gens cultivés, mes parents, c’étaient des gens qui ont
lutté pour leur vie, pour leur vie matérielle, pour nous donner des moyens dans la vie. Et… ils nous
ont pas inculqué beaucoup de choses sur la culture juive, eux, mais… ils nous ont expliqué, enfin, ce
que c’était que d’être juifs selon leurs moyens, mais, pour moi, ça n’a pas été satisfaisant, je veux dire.
Je trouve que c’est dommage d’avoir une identité juive uniquement par rapport à ce qu’on a souffert,
il y a autre chose dans le judaïsme que ce passé de pogroms, de camps de concentration…
Qu’est-ce qu’ils vous ont dit, par rapport à votre judaïsme ?
A. A. : Bah, ils nous ont expliqué ce qu’était l’antisémitisme et que ils en avaient souffert en Pologne,
et que c’était une façon de ne pas accepter l’autre et la différence. Et que c’était… Ils m’ont raconté
aussi, en Pologne on racontait qu’on tuait des enfants chrétiens et qu’avec le sang on faisait des matsos.
Et que c’était du même genre que de dire que les Juifs avaient des pieds fourchus, que ça renvoyait à
l’idée du diable, et que c’était des paroles méchantes, et que c’était des imbéciles, et… Mais enfin, c’est
assez, c’est dommage de poser des questions par rapport au judaïsme, ce que c’est que d’être juifs, par
rapport à ce genre d’expériences. Il vaut mieux que les parents expliquent à leurs enfants qu’est-ce
que c’est que le judaïsme, qu’est-ce que c’est que d’être juifs, qu’ils adhèrent ou non à leur confession.
Bah, ce serait déjà de parler de l’histoire, de la culture, peut-être d’avoir une meilleure connaissance
des textes et aussi, de l’art, et de la culture juive, enfin hébraïque en général.
Et le fait d’être traitée comme cela, de « sale juive », comment ça vous a marqué à cette époque ? Vous
aviez à peu près quel âge ?
A. A. : Bah, là, j’avais 11 ans. Je crois que c’est entre 10 et 12 ans. Ça m’a fait prendre un parti, ça m’a
fait prendre parti pour les minorités, parti pour les Juifs. J’ai adhéré. Bah, ça m’a fait devenir juive,
d’une façon peut-être un peu bizarre, mais, je me revendique dans mes origines. Mais même si… je
crois que je pourrais dire que je suis athée, mais je… je suis juive. »
Anne Altmann
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