La régionalisation du temporel des cultes reconnus

La régionalisation du temporel des cultes reconnus
Alain Coenen - Avril 2002
I. OBJET
Si elle n’encourt pas les foudres de la Cour d’Arbitrage [1], la loi spéciale du 13 juillet
2001 portant transfert de certaines compétences aux Régions et aux Communautés [2]
devrait permettre de régionaliser l’organisation des institutions provinciales et
communales. Elle devrait également rendre possible la fédéralisation de ce que les
travaux préparatoires appellent la "... législation connexe..." [3], dans laquelle ils rangent
notamment "... celle concernant les agglomérations et fédérations de communes... les
fabriques d’église et les funérailles et sépultures..." [4].
L’article 4 de la loi du 13 juillet 2001 a ainsi inséré un article 6, par. 1er, VIII, 6°, dans
la loi spéciale de réformes institutionnelles, pour confier à la compétence des Régions:
"Les fabriques d’église et les établissements chargés de la gestion du temporel des cultes
reconnus, à l’exception de la reconnaissance des cultes et des traitements et pensions
des ministres des cultes". L’article 92 bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles
[5] précise désormais qu’un accord de coopération entre Régions sera nécessaire pour
régler les fabriques d’église et établissements chargés de la gestion du temporel des
cultes reconnus dont l’activité dépasse les limites d’une région. Et, de fait, l’organisation
des églises ne coïncide pas toujours parfaitement sur celle de notre Etat fédéral; ne
citons que l’exemple de la cathédrale Saint-Michel de Bruxelles, qui dépend de
l’archevêché en quelque sorte trans-régional de Malines-Bruxelles.
Actuellement, outre la laïcité organisée, six cultes sont reconnus en Belgique: catholique
romain, protestant, anglican, israélite, orthodoxe et musulman. Les obligations qui
résultent de cette reconnaissance incombent d’abord à l’Etat, pour les traitements et
pensions des ministres du culte [6]. Les autres charges pèsent sur les communes pour les
cultes protestant, anglican et israélite de même que pour les églises paroissiales du culte
catholique romain. Les provinces, elles, prennent en charge les cultes islamique et
orthodoxe, en plus des églises-cathédrales du culte catholique romain [7].
La loi spéciale du 13 juillet 2001 attribue donc des compétences nouvelles aux Régions,
à l’égard des fabriques d’église et des autres établissements chargés de la gestion du
temporel des cultes reconnus. Elle précise, en même temps, que les entités fédérées ne
pourront procéder à la reconnaissance de nouveaux cultes.
Il nous a paru utile d’examiner ce que représente réellement cet apport de compétences et
en quoi cela pourrait influencer les relations institutionnelles et financières que les
communes entretiennent, pour l’essentiel, avec les fabriques d’église du culte catholique
romain.
Cet examen ne peut aller sans rappeler les grands principes qui, dans l’ordre juridique
belge - et même international -, gouvernent les relations juridiques entre les autorités
civiles et les hiérarchies religieuses. Des principes qui, pour l’essentiel, sont inscrits dans
quatre articles de la Constitution - 19, 20, 21 et 181 - non ouverts à révision.
II. LA LIBERTÉ DU CULTE
Dans son excellent ouvrage relatif à la protection pénale de la personne humaine, le
Professeur Doucet faisait remarquer que "Lorsqu’il se heurte à des questions qui
dépassent les facultés de raisonnement de son espèce, et notamment aux grandes
énigmes de l’univers, l’être humain se trouve contraint à faire acte de foi, c’est-à-dire de
choisir intuitivement, entre les réponses matérialistes ou spiritualistes qui lui sont
proposées, celle qui s’accorde le mieux à sa sensibilité [8]".
Il est bien rare que les autorités se désintéressent complètement du fait religieux et,
surtout, de ses manifestations extérieures, ce qu’on appelle le culte. Les raisons de cette
sollicitude de l’autorité publique varient en fonction des lieux et des époques: depuis la
foi fervente et convaincue des dirigeants jusqu’aux calculs politiques les plus subtils.
Les relations entre la foi et la loi
Que peuvent faire les autorités face au phénomène religieux?
Soit elles imposent leur choix philosophique et excluent en conséquence tous les autres.
Ainsi en allait-il, le plus souvent, dans l’Ancien Régime, depuis les dynasties
mérovingiennes et carolingiennes jusqu’aux rois de France dits de droit divin; plus près
de nous, certains Etats islamistes fondamentalistes interdisent toute autre confession. Des
systèmes politiques tendent plutôt à interdire les cultes: la Révolution française d’avant
le Concordat de 1801 ou, dans la même perspective, les démocraties populaires - dites
communistes - qui, avant 1989, ont très souvent tenté d’interdire l’enseignement et la
pratique des religions.
Soit elles interviennent pour assurer, à chacun, la liberté de choisir - ou de ne pas choisir
- une religion ainsi que celle de participer - ou de ne pas participer - aux manifestations
du culte. C’est manifestement dans cette direction que s’est orienté l’ordre juridique
belge, comme celui des autres pays démocratiques, qui ont d’ailleurs "bétonné" la liberté
religieuse en adhérant à des instruments internationaux tels que la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’organisation de la liberté du culte en droit belge
Les articles 19 et 20 de la Constitution assurent, à chacun, la liberté de choisir tel ou tel
système d’explication des grandes énigmes de l’univers et, en conséquence, la possibilité
de participer - comme de ne pas participer - aux manifestations extérieures de tel ou tel
culte.
Article 19 de la Constitution
La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses
opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à
l’occasion de l’usage de ces libertés.
Article 20 de la Constitution
Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et
cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos
Les sanctions pénales des atteintes à ces principes se trouvent dans les articles 142 et
suivants du Code pénal, qui visent et sanctionnent notamment ceux qui, "par des
violences ou des menaces, auront contraint ou empêché une ou plusieurs personnes
d’exercer un culte, d’assister à l’exercice de ce culte, de célébrer certaines fêtes
religieuses, d’observer certains jours de repos...".
Si la liberté du culte se trouve dans la Constitution depuis l’indépendance de la Belgique,
le principe a ultérieurement été inscrit dans des conventions internationales. Ainsi,
l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales, prévoit que "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de
conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction
individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement,
les pratiques et l’accomplissement des rites.
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé
ou de la moralité publiques, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui ".
Même l’Union européenne, dont la vocation est pourtant essentiellement économique, a
appréhendé le phénomène, dans l’ article 11 du Traité d’Amsterdam [9]: "L’Union
européenne respecte le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et
les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres. L’Union
européenne respecte également le statut des organisations philosophiques et non
confessionnelles" [10].
Compétences des Régions
La détermination des droits et libertés fondamentaux n’est à l’évidence pas un domaine
dans lequel les Régions pourront s’immiscer demain. Il s’agit là d’un champ d’action
réservé au Constituant, voire aux traités internationaux signés en vertu des pouvoirs
constitutionnels.
constitutionnels.
La section de législation du Conseil d’Etat a plusieurs fois rappelé que "Ni la
Constitution révisée, ni la loi spéciale du 8 août 1980 n’ont attribué aux Communautés
et aux Régions des compétences en matière de droits et de libertés fondamentaux. Pas
plus qu’elles ne peuvent, dans l’exercice de leurs compétences, porter atteinte aux
libertés déjà consacrées, ne pourront-elles méconnaître celles qui verront leur existence
être reconnue soit par le constituant lui-même, soit par le législateur national..." [11].
Rappelons qu’aux termes mêmes de l’article 4 de la loi spéciale du 13 juillet 2001, les
Régions ne seront pas compétentes pour procéder à la reconnaissance des cultes,
domaine qui reste l’apanage de la loi fédérale.
III. LES RELATIONS ENTRE L'ÉTAT ET LES RELIGIONS
La séparation mitigée entre l’Etat belge et les églises
Le principe de la liberté du culte posé, encore convient-il de s’interroger sur les relations
institutionnelles ou financières qui peuvent exister entre l’autorité publique et les
pouvoirs religieux. C’est la vieille question de la plus ou moins grande étanchéité qui
peut exister entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel.
Sous l’Ancien Régime, des Princes-Evêques ou des Princes-Abbés concentraient les
pouvoirs des deux ordres, matérialisés dans leurs armoiries par la crosse et l’épée,
entrecroisées sous la mitre. Depuis le règne de Henri VIII, au XVIe siècle, le Roi - ou la
Reine - d’Angleterre est en même temps chef de l’église anglicane [12].
A l’inverse, la séparation pourrait être totale: dans ce cas, les cultes s’organisent
librement mais les églises doivent trouver les moyens financiers nécessaires à
l’accomplissement de leur mission. Ce serait le cas en droit français.
En Belgique, il s’agit plutôt d’une séparation mitigée [13]. L’article 21 de la
Constitution interdit à l’Etat - en réalité aux différentes autorités publiques - d’intervenir
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