La régionalisation du temporel des cultes reconnus

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La régionalisation du temporel des cultes reconnus
Alain Coenen - Avril 2002
I. OBJET
Si elle n’encourt pas les foudres de la Cour d’Arbitrage [1], la loi spéciale du 13 juillet
2001 portant transfert de certaines compétences aux Régions et aux Communautés [2]
devrait permettre de régionaliser l’organisation des institutions provinciales et
communales. Elle devrait également rendre possible la fédéralisation de ce que les
travaux préparatoires appellent la "... législation connexe..." [3], dans laquelle ils rangent
notamment "... celle concernant les agglomérations et fédérations de communes... les
fabriques d’église et les funérailles et sépultures..." [4].
L’article 4 de la loi du 13 juillet 2001 a ainsi inséré un article 6, par. 1er, VIII, 6°, dans
la loi spéciale de réformes institutionnelles, pour confier à la compétence des Régions:
"Les fabriques d’église et les établissements chargés de la gestion du temporel des cultes
reconnus, à l’exception de la reconnaissance des cultes et des traitements et pensions
des ministres des cultes". L’article 92 bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles
[5] précise désormais qu’un accord de coopération entre Régions sera nécessaire pour
régler les fabriques d’église et établissements chargés de la gestion du temporel des
cultes reconnus dont l’activité dépasse les limites d’une région. Et, de fait, l’organisation
des églises ne coïncide pas toujours parfaitement sur celle de notre Etat fédéral; ne
citons que l’exemple de la cathédrale Saint-Michel de Bruxelles, qui dépend de
l’archevêché en quelque sorte trans-régional de Malines-Bruxelles.
Actuellement, outre la laïcité organisée, six cultes sont reconnus en Belgique: catholique
romain, protestant, anglican, israélite, orthodoxe et musulman. Les obligations qui
résultent de cette reconnaissance incombent d’abord à l’Etat, pour les traitements et
pensions des ministres du culte [6]. Les autres charges pèsent sur les communes pour les
cultes protestant, anglican et israélite de même que pour les églises paroissiales du culte
catholique romain. Les provinces, elles, prennent en charge les cultes islamique et
orthodoxe, en plus des églises-cathédrales du culte catholique romain [7].
La loi spéciale du 13 juillet 2001 attribue donc des compétences nouvelles aux Régions,
à l’égard des fabriques d’église et des autres établissements chargés de la gestion du
temporel des cultes reconnus. Elle précise, en même temps, que les entités fédérées ne
pourront procéder à la reconnaissance de nouveaux cultes.
Il nous a paru utile d’examiner ce que représente réellement cet apport de compétences et
en quoi cela pourrait influencer les relations institutionnelles et financières que les
communes entretiennent, pour l’essentiel, avec les fabriques d’église du culte catholique
romain.
Cet examen ne peut aller sans rappeler les grands principes qui, dans l’ordre juridique
belge - et même international -, gouvernent les relations juridiques entre les autorités
civiles et les hiérarchies religieuses. Des principes qui, pour l’essentiel, sont inscrits dans
quatre articles de la Constitution - 19, 20, 21 et 181 - non ouverts à révision.
II. LA LIBERTÉ DU CULTE
Dans son excellent ouvrage relatif à la protection pénale de la personne humaine, le
Professeur Doucet faisait remarquer que "Lorsqu’il se heurte à des questions qui
dépassent les facultés de raisonnement de son espèce, et notamment aux grandes
énigmes de l’univers, l’être humain se trouve contraint à faire acte de foi, c’est-à-dire de
choisir intuitivement, entre les réponses matérialistes ou spiritualistes qui lui sont
proposées, celle qui s’accorde le mieux à sa sensibilité [8]".
Il est bien rare que les autorités se désintéressent complètement du fait religieux et,
surtout, de ses manifestations extérieures, ce qu’on appelle le culte. Les raisons de cette
sollicitude de l’autorité publique varient en fonction des lieux et des époques: depuis la
foi fervente et convaincue des dirigeants jusqu’aux calculs politiques les plus subtils.
Les relations entre la foi et la loi
Que peuvent faire les autorités face au phénomène religieux?
Soit elles imposent leur choix philosophique et excluent en conséquence tous les autres.
Ainsi en allait-il, le plus souvent, dans l’Ancien Régime, depuis les dynasties
mérovingiennes et carolingiennes jusqu’aux rois de France dits de droit divin; plus près
de nous, certains Etats islamistes fondamentalistes interdisent toute autre confession. Des
systèmes politiques tendent plutôt à interdire les cultes: la Révolution française d’avant
le Concordat de 1801 ou, dans la même perspective, les démocraties populaires - dites
communistes - qui, avant 1989, ont très souvent tenté d’interdire l’enseignement et la
pratique des religions.
Soit elles interviennent pour assurer, à chacun, la liberté de choisir - ou de ne pas choisir
- une religion ainsi que celle de participer - ou de ne pas participer - aux manifestations
du culte. C’est manifestement dans cette direction que s’est orienté l’ordre juridique
belge, comme celui des autres pays démocratiques, qui ont d’ailleurs "bétonné" la liberté
religieuse en adhérant à des instruments internationaux tels que la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’organisation de la liberté du culte en droit belge
Les articles 19 et 20 de la Constitution assurent, à chacun, la liberté de choisir tel ou tel
système d’explication des grandes énigmes de l’univers et, en conséquence, la possibilité
de participer - comme de ne pas participer - aux manifestations extérieures de tel ou tel
culte.
Article 19 de la Constitution
La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses
opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à
l’occasion de l’usage de ces libertés.
Article 20 de la Constitution
Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et
cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos
Les sanctions pénales des atteintes à ces principes se trouvent dans les articles 142 et
suivants du Code pénal, qui visent et sanctionnent notamment ceux qui, "par des
violences ou des menaces, auront contraint ou empêché une ou plusieurs personnes
d’exercer un culte, d’assister à l’exercice de ce culte, de célébrer certaines fêtes
religieuses, d’observer certains jours de repos...".
Si la liberté du culte se trouve dans la Constitution depuis l’indépendance de la Belgique,
le principe a ultérieurement été inscrit dans des conventions internationales. Ainsi,
l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales, prévoit que "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de
conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction
individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement,
les pratiques et l’accomplissement des rites.
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé
ou de la moralité publiques, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui ".
Même l’Union européenne, dont la vocation est pourtant essentiellement économique, a
appréhendé le phénomène, dans l’ article 11 du Traité d’Amsterdam [9]: "L’Union
européenne respecte le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et
les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres. L’Union
européenne respecte également le statut des organisations philosophiques et non
confessionnelles" [10].
Compétences des Régions
La détermination des droits et libertés fondamentaux n’est à l’évidence pas un domaine
dans lequel les Régions pourront s’immiscer demain. Il s’agit là d’un champ d’action
réservé au Constituant, voire aux traités internationaux signés en vertu des pouvoirs
constitutionnels.
constitutionnels.
La section de législation du Conseil d’Etat a plusieurs fois rappelé que "Ni la
Constitution révisée, ni la loi spéciale du 8 août 1980 n’ont attribué aux Communautés
et aux Régions des compétences en matière de droits et de libertés fondamentaux. Pas
plus qu’elles ne peuvent, dans l’exercice de leurs compétences, porter atteinte aux
libertés déjà consacrées, ne pourront-elles méconnaître celles qui verront leur existence
être reconnue soit par le constituant lui-même, soit par le législateur national..." [11].
Rappelons qu’aux termes mêmes de l’article 4 de la loi spéciale du 13 juillet 2001, les
Régions ne seront pas compétentes pour procéder à la reconnaissance des cultes,
domaine qui reste l’apanage de la loi fédérale.
III. LES RELATIONS ENTRE L'ÉTAT ET LES RELIGIONS
La séparation mitigée entre l’Etat belge et les églises
Le principe de la liberté du culte posé, encore convient-il de s’interroger sur les relations
institutionnelles ou financières qui peuvent exister entre l’autorité publique et les
pouvoirs religieux. C’est la vieille question de la plus ou moins grande étanchéité qui
peut exister entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel.
Sous l’Ancien Régime, des Princes-Evêques ou des Princes-Abbés concentraient les
pouvoirs des deux ordres, matérialisés dans leurs armoiries par la crosse et l’épée,
entrecroisées sous la mitre. Depuis le règne de Henri VIII, au XVIe siècle, le Roi - ou la
Reine - d’Angleterre est en même temps chef de l’église anglicane [12].
A l’inverse, la séparation pourrait être totale: dans ce cas, les cultes s’organisent
librement mais les églises doivent trouver les moyens financiers nécessaires à
l’accomplissement de leur mission. Ce serait le cas en droit français.
En Belgique, il s’agit plutôt d’une séparation mitigée [13]. L’article 21 de la
Constitution interdit à l’Etat - en réalité aux différentes autorités publiques - d’intervenir
dans la nomination et l’installation des ministres des cultes ainsi que dans la
correspondance échangée par ceux-ci. En fait, cet article 21 [14] s’interprète comme une
interdiction faite aux pouvoirs publics de s’immiscer dans la sphère propre du culte; celle
qui, par opposition au temporel, relève du domaine spirituel, au sens premier du terme.
Partant par ailleurs du principe que l’Etat ne peut complètement se désintéresser du rôle
social du fait religieux, l’article 181 de la Constitution précise que l’Etat prendra en
charge les traitements et pensions des ministres des cultes reconnus et des délégués des
organisations reconnues qui offrent une assistance morale selon une conception
philosophique non confessionnelle
Compétences des Régions
Il n’appartiendra évidemment pas aux Régions de s’immiscer dans ce domaine de la
détermination des relations entre pouvoirs temporel et spirituel. Le choix du caractère
totalement ou partiellement laïque - ou religieux - d’un Etat relève à l’évidence des
options fondamentales qui n’appartiennent qu’au Constituant.
Quant aux traitements et pensions des ministres du culte, la loi spéciale du 13 juillet
2001 exclut expressément leur compétence.
IV. LE TEMPOREL DU CULTE
Au-delà des principes fondamentaux - la liberté du culte, la séparation mitigée entre
l’Etat et l’Eglise -, l’organisation quotidienne ne va évidemment pas sans moyens
matériels. Des bâtiments - églises et presbytères, mosquées, temples et synagogues qu’il faut entretenir, chauffer et éclairer. Du mobilier et des fournitures qu’il faut
acquérir. Des assurances qu’il faut contracter, le cas échéant, du personnel - autre que les
ministres du culte - qu’il faut rémunérer. C’est ce qu’on appelle le temporel du culte.
Les commentaires qui suivent seront relatifs au culte catholique romain mais il est clair
que, sur le plan des principes, ils sont transposables, mutatis mutandis, aux autres cultes
et philosophies reconnus.
Le Concordat du 26 Messidor an IX ( 15 juillet 1801)
Après la frénésie anti-religieuse des débuts de la Révolution française, un Concordat est
intervenu entre Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul, et le Pape Pie VII. Les
termes du préambule font apparaître les considérations qui, d’un côté comme de l’autre,
ont conduit à la signature de ce qui apparaît comme un véritable traité bilatéral.
"- Le Gouvernement de la République française reconnaît que la religion catholique,
apostolique et romaine est la religion de la grande majorité des français...
- Sa Sainteté Pie VII reconnaît également que cette même religion a retiré et attend
encore en ce moment, le plus grand bien et le plus grand éclat de l’établissement du
culte catholique en France...
- En conséquence, d’après cette reconnaissance mutuelle, tant pour le bien de la religion
que pour le maintien de la tranquillité intérieure, ils sont convenus de ce qui suit:
- Article 1er: La religion catholique, apostolique et romaine, sera librement exercée en
France; son culte sera public, en se conformant aux règlements de police que le
gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique...".
La loi du 18 Germinal an X ( 8 avril 1802), relative à l’organisation des cultes [15]
Le Traité que fut le Concordat de 1801 a été concrétisé dans une loi de Germinal an X,
relative à l’organisation des cultes. Il y est question des subdivisions territoriales de
l’église catholique romaine, notamment les paroisses, cures et succursales. Il y est aussi
question des institutions - les fabriques - qui seront chargées de gérer le temporel du
culte.
Les articles 60 à 62 de la loi posent le principe de la compétence conjointe des évêques
et des préfets - avec autorisation du Gouvernement - pour la création des paroisses, cures
et succursales. Il y a donc là une compétence conjointe des autorités civiles et religieuses:
"... l’autorité religieuse d’un culte reconnu est libre d’ériger de nouvelles paroisses,
succursales... sans l’autorisation préalable des autorités civiles; toutefois, sa décision ne
produira d’effet juridique que lorsque l’Etat, sur base d’une décision, y rattache des
conséquences légales, en d’autres termes qu’il la reconnaît " [16].
L’article 76 de la même loi de Germinal prévoit qu’"Il sera établi des fabriques pour
veiller à l’entretien et à la conservation des temples, à l’administration des aumônes".
Le décret impérial du 30 décembre 1809 concernant les fabriques des églises
L’obligation de créer des fabriques, posée dans la loi de Germinal an X, a ensuite été
concrétisée par le décret impérial du 30 décembre 1809 concernant les fabriques des
églises. L’article 1er du décret impérial circonscrit assez bien la mission des fabriques
dans les paroisses:
"Les fabriques dont l’article 76 de la loi du 18 germinal an X a ordonné l’établissement
sont chargées de veiller à l’entretien et à la conservation des temples; d’administrer les
aumônes et les biens, rentes et perceptions autorisées par les lois et règlements, les
sommes supplémentaires fournies par les communes et généralement, tous les fonds qui
sont affectés à l’exercice du culte; enfin d’assurer cet exercice et le maintien de sa
dignité, dans les églises auxquelles elles sont attachées, soit en réglant les dépenses qui y
sont nécessaires, soit en assurant les moyens d’y pourvoir".
L’article 36 évoque les revenus des fabriques, dont, le cas échéant, le supplément donné
par la commune.
L’article 37 concerne, lui, les charges de la fabrique, parmi lesquelles:
les frais nécessaires au culte: ornements, vases sacrés, linge, pain, vin, encens, paiement
des sacristains, chantres, organistes, sonneurs, suisses, bedeaux et autres employés au
service de l’église;
les honoraires des prédicateurs...;
les dépenses relatives à la décoration et à l’embellissement intérieur de l’église;
les frais relatifs à l’entretien, aux réparations et reconstructions des églises et presbytères.
L’article 92 du décret impérial concerne les charges des communes relativement au culte:
suppléer à l’insuffisance des revenus de la fabrique, pour les charges portées à l’article 37;
fournir au curé, ou desservant, un presbytère, ou à défaut de presbytère, un logement, ou
à défaut de presbytère et de logement, une indemnité pécuniaire;
fournir aux grosses réparations des édifices consacrés au culte.
Pérennité de ces dispositions en droit belge
A l’époque du Concordat et des dispositions - loi et décret impérial - qui en sont
dérivées, notre pays faisait partie intégrante de la France. Certains des principes et des
textes de l’époque française ont survécu au passage de nos départements dans les
Pays-Bas - entre 1815 et 1830 -, puis à la sécession de 1830 dont est née la Belgique.
C’est notamment le cas de certaines dispositions de la loi de Germinal an X et du décret
impérial de 1809 [17].
La loi du 4 mars 1870 sur le temporel des cultes
Une loi belge, du 4 mars 1870, sur le temporel des cultes a complété le décret,
essentiellement en ce qui concerne les budgets et les comptes des fabriques d’église et
des fabriques de cathédrale.
L’article 255, 9° et 12°, de la loi communale
L’article 255 de la loi communale est celui qui énumère les dépenses que le conseil
communal est tenu de porter annuellement au budget. En ce qui concerne notre objet, il
mentionne:
les secours aux fabriques d’église et consistoires, conformément aux dispositions
existantes en la matière, en cas d’insuffisance constatée des moyens de ces établissements
[18],
l’indemnité de logement des ministres des cultes, conformément aux dispositions
l’indemnité de logement des ministres des cultes, conformément aux dispositions
existantes, lorsque le logement n’est pas fourni en nature.
L’article 69, 9°, de la loi provinciale
L’article 69 de la loi provinciale concerne les dépenses obligatoires des provinces, parmi
lesquelles:
les dépenses relatives aux églises cathédrales, aux palais épiscopaux et aux séminaires
diocésains, conformément au décret des 18 Germinal an X et 30 décembre 1809 [19].
Compétences des Régions
Aux termes de la loi spéciale du 13 juillet 2001, les Régions deviennent compétentes
pour les fabriques d’église et autres établissements chargés de la gestion du temporel des
cultes reconnus mais aucune précision n’est donnée quant aux contours de ladite
compétence, sinon pour exclure celle de reconnaître des cultes ou d’intervenir dans les
traitements et pensions des ministres du culte.
Jusqu’où pourront-elles "remonter" dans la cascade des dispositions qui, depuis le
Concordat de 1801 jusqu'aux lois provinciale et communale, concernent le temporel du
culte?
La remise en cause de l’existence des paroisses et des fabriques semble hors d’atteinte
d’une initiative unilatérale de l’autorité civile; l’Etat aujourd’hui, les Régions demain.
Nous avons vu supra qu’il s’agissait là, selon les termes du Concordat, d’une
compétence conjointe des autorités civiles et religieuses.
Les Régions seront par contre compétentes pour ce qui concerne l’organisation
patrimoniale et financière des fabriques, pour la tutelle sur celles de leurs décisions qui
ne relèvent pas de la seule hiérarchie religieuse [20] ainsi que pour les relations que
lesdites fabriques entretiennent avec les autorités publiques, actuellement les provinces et
les communes.
Même dans ce cadre, les Régions ne pourraient cependant utiliser leurs nouvelles
compétences pour "poser des actes pouvant compromettre l’équilibre de la construction
globale et nuire aux intérêts des autres entités composantes" [21] et manquer de ce fait à
la loyauté fédérale exigée par l’article 143 de la Constitution. Elles ne pourraient ainsi
asphyxier les fabriques - et compromettre ainsi la survie du culte - en supprimant toute
intervention financière des pouvoirs publics: aujourd’hui les provinces et les communes
mais peut-être d’autres institutions demain. Elles ne pourraient non plus reprendre,
d’autorité, les droits - sorte d’usufruit légal - dont les fabriques disposent sur les
cathédrales, églises et presbytères qui sont la propriété des provinces ou des communes
[22].
V. CONCLUSION
La compétence nouvelle des Régions en matière de fabriques d’église et autres
établissements du culte se dessine ainsi en creux, entre les différentes restrictions qui lui
seront imposées par les principes posés à d’autres niveaux et par la loyauté fédérale
qu’elle devront observer.
Les Régions ne pourraient évidemment utiliser leurs compétences pour vider de leur
substance les principes constitutionnels - articles 19, 20 et 21 - de la liberté du culte et
de la séparation mitigée entre l’Etat et les églises. Elles ne pourraient pas plus
s’immiscer dans l’organisation intérieure de la hiérarchie religieuse, comme ne pourrait
d’ailleurs le faire l’Etat fédéral sans une modification de l’article 21 de la Constitution:
"La Constitution garantit aux cultes la liberté d’organisation interne. Dans la mesure où
le régime proposé imposerait une réorganisation interne de l’Eglise catholique, à savoir
un statut différent dans les trois Régions, sans que cela corresponde à l’organisation
souhaitée par cette église, il violerait l’article 21 de la Constitution [23]".
Le fait de créer, supprimer ou fusionner des paroisses ou des fabriques, sans qu’il y ait
eu accord négocié avec les autorités religieuses constituerait aussi une telle immixtion,
comme celui de créer, d’autorité, d’autres organes de gestion que ceux - les conseils de
fabrique et bureaux des marguilliers, les consistoires... - qui existent actuellement.
Nous avons déjà vu que l’article 6, par. 1er, VIII, 6°, nouveau de la loi spéciale de
réformes institutionnelles interdit expressément aux Régions de s’ingérer dans les
problèmes inhérents à la reconnaissance des cultes ou aux traitements et pensions de
leurs ministres.
Les compétences matérielles des Régions relatives à l’organisation des fabriques d’église
et aux rapports de celles-ci avec les provinces et communes sont donc étroitement
balisées par des dispositions supérieures. Il ne faut donc pas s’attendre à une... révolution
en la matière. La question peut dès lors être posée: fallait-il vraiment régionaliser une
matière à ce point conditionnée par des impératifs qui continueront à être posés à
d’autres niveaux? Le transfert ne nous semble pas complètement incohérent dès lors que
l’organisation de l’ensemble des institutions locales tombait dans l’escarcelle des
Régions.
Tôt ou tard, il deviendra cependant indispensable que les autorités civiles et religieuses
se concertent pour établir un état des lieux général, qui devra nécessairement prendre en
compte - sans tabous dans l’un ou l’autre sens - les paramètres nouveaux que constituent,
à la fois, la chute de la pratique religieuse, la pénurie de desservants et l’impécuniosité
grandissante des pouvoirs publics locaux. Des pistes pourraient alors être tracées de
commun accord; nous pensons à des fusions de paroisses ou de fabriques, à une
affectation accrue du patrimoine - souvent de valeur -, à des utilisations compatibles avec
la dignité des lieux: concerts, expositions... Puisse la régionalisation contribuer à faire
avancer le débat, dans la sérénité et le respect des différentes sensibilités.
---------[1] Nous ne reviendrons pas sur la question du court-circuitage de la révision, pourtant
nécessaire, de l’article 162 de la Constitution , tout au moins pour ce qui concerne
l’organisation des provinces et des communes. Voir Alain Coenen, La longue histoire de
la fédéralisation du droit des institutions locales, Mouv. comm., 1/2002, p. 13
[2] M.B. 3.8.2001.
[3] Sénat de Belgique, session de 2000-2001, 29.3.2001, 2-709/1 - Projet de loi spéciale
portant transfert de diverses compétences aux Régions et Communautés. Exposé des
motifs, p. 12.
[4] Sénat de Belgique, session de 2000-2001, 29.3.2001, 2-709/1. Projet de loi spéciale
portant transfert de diverses compétences aux Régions et Communautés. Exposé des
motifs, p. 12.
[5] Ainsi modifié par l’art. 18 de la L. spéc. 13.7.2001.
[6] Constitution, art. 181.
[7] V. Vandermoere et J. Dujardin, Fabriques d’église, La Charte, Bruges 1991, p. 97.
[8] Jean-Paul Doucet, La protection pénale de la personne humaine, Faculté de Droit de
l’Université de Liège, 1979, p. 246.
[9] Traité 2.10.1997, mod. le Traité sur l’Union européenne, les traités instituant les
Communautés européennes et certains actes connexes.
[10] Sénat de Belgique, session de 2000-2001, 23.5.2001, 2-709/7, Projet de loi spéciale
portant transfert de diverses compétences aux Régions et Communautés. Discussion
générale, p. 199.
[11] Avis du Conseil d’Etat du 21.10.1987, mentionné dans: Ch., session 2000-2001,
19.6.2001, Doc. 50 1280/002. Projet de loi spéciale portant transfert de diverses
compétences aux Régions et Communautés, p. 19.
[12] Province de Liège, Ecole de sciences administratives et d’officiers de police, Cultes,
Imprimerie des Invalides, 1946, p. 8.
[13] V. Vandermoere et J. Dujardin, Fabriques d’église, La Charte, Bruges, 1991, p. 1.
[14] C’est aussi cet art. 21 du Pacte fondamental qui prévoit que le mariage civil doit
précéder la bénédiction nuptiale.
[15] On ignore parfois que cette loi a également reconnu le culte protestant.
[16] V. Vandermoere et J. Dujardin, Fabriques d’église, La Charte, Bruges, 1991, p. 2.
[17] V. Vandermoere et J. Dujardin, Fabriques d’église, La Charte, Bruges, 1991, p. 5.
[18] A l’exercice propre du budget ordinaire 2000, les communes belges ont consacré au
culte 4,1 milliards de francs belges (101,64 millions d’euros). Chiffres extraits du rapport
Dexia sur les finances des pouvoirs locaux en 2000, p. 77.
[19] A l’exercice propre du budget ordinaire 2000, les provinces belges ont consacré au
culte 198 millions de francs (4,91 millions d’euros). Chiffres extraits du rapport Dexia
sur les finances des pouvoirs locaux en 2000, p. 85.
[20] Voir L. 4.3.1870, art. 3, sur le temporel des cultes.
[21] Alain Gerlache, Johan Vande Lanotte, Marc Uyttendaele, Siegfried Bracke et Geert
Goedertier, La Belgique pour débutants, La Charte, Bruges, 2000, p. 143.
[22] Pour une étude des droits de propriété et d’usufruit sur les églises et presbytères,
voir: Province de Liège, Ecole de sciences administratives et d’officiers de police, Cultes
- Imprimerie des Invalides, 1946, p. 25 à 27.
[23] Ch., 2000-2001, 19.6.2001, Doc 50 1280/002. Projet de loi spéciale portant transfert
de diverses compétences aux Régions et Communautés, p. 18.
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