Article
original
La
calotte
crânienne
de
l’Homo
erectus
de
Kocabas¸
(Bassin
de
Denizli,
Turquie)
The
Homo
erectus
skullcap
from
Kocabas¸
(Denizli
Bassin,
Turkey)
Amélie
Vialet
a,
*,
Gaspard
Guipert
b
,
Mehmet
Cihat
Alçiçek
c
,
Marie-Antoinette
de
Lumley
d
a
Département
de
préhistoire
du
Muséum
national
d’Histoire
naturelle,
UMR
7194,
Institut
de
paléontologie
humaine,
1,
rue
René-Panhard,
75013
Paris,
France
b
Antenne
de
l’Institut
de
paléontologie
humaine,
CEREGE,
Technopôle
de
l’Arbois,
bâtiment
Villemin,
BP
80,
13545
Aix-en-Provence,
France
c
Department
of
Geology,
Pamukkale
University,
20070
Denizli,
Turquie
d
Institut
de
paléontologie
humaine,
Fondation
Albert
1
er
,
Prince
de
Monaco,
1,
rue
René-Panhard,
75013
Paris,
France
Disponible
sur
Internet
le
26
fe
´vrier
2014
Résumé
En
2002,
une
calotte
crânienne
fragmentaire
a
été
découverte
dans
le
bassin
de
Denizli,
localité
de
Kocabas¸,
dans
le
sud-ouest
de
la
Turquie
(Kappelman
et
al.,
2008).
Elle
a
été
attribuée
à
un
Homo
erectus
sur
la
base
de
la
parenté
morphologique
et
métrique
observée
avec
les
fossiles
chinois
de
Zhoukoudian
L-C
(Vialet
et
al.,
2012).
Sur
la
base
d’une
nouvelle
reconstitution
3D
de
ce
fossile,
dont
seul
l’os
frontal
et
des
fragments
d’os
pariétaux
sont
conservés,
une
analyse
morphologique
et
morphométrique
(2D
et
3D)
plus
approfondie
a
été
menée
à
bien.
Les
résultats
confirment
que
le
spécimen
de
Kocabas¸,
par
la
morphologie
de
son
os
frontal,
sa
conformation
et
ses
dimensions,
se
distingue
nettement
des
Homo
habilis-Homo
georgicus
d’une
part
et
des
Homo
heidelbergensis-Néandertaliens
d’autre
part.
En
revanche,
il
partage
avec
les
Homo
erectus,
tant
africains
(KNM-ER3733,
OH9,
Daka-Bouri)
qu’asiatiques
(crânes
de
Zhoukoudian
L-C,
Nankin
1,
Sangiran
17),
des
caractères
métriques,
une
constriction
post-orbitaire
marquée,
un
torus
supra-
orbitaire
bordé
postérieurement
par
un
sulcus
supra-toral
et
présentant
inférieurement,
une
incisure
et
un
tubercule
supra-orbitaires,
des
lignes
temporales
en
position
moyennement
hautes
délimitant
une
zone
infra-temporale
au
bombement
net.
Cependant,
Kocabas¸
se
différencie
par
les
proportions
de
son
os
frontal
(considéré
hors
torus
supra-orbitaire),
qui
est
court
et
large,
des
Homo
erectus
asiatiques,
chez
qui
l’écaille
frontale
est
plus
longue.
Il
partage
cette
disposition
avec
les
Homo
erectus
africains.
De
ce
fait,
le
fossile
turc
se
positionne
comme
un
intermédiaire
entre
les
Homo
erectus
d’Afrique
et
d’Asie,
tant
d’un
point
de
vue
www.em-consulte.com
Disponible
en
ligne
sur
www.sciencedirect.com
ScienceDirect
L’anthropologie
118
(2014)
74107
*
Auteur
correspondant.
Adresse
e-mail
:
(A.
Vialet).
0003-5521/$
see
front
matter
#
2014
Elsevier
Masson
SAS.
Tous
droits
réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2014.01.003
anatomique
que
géographique.
Étant
donné
les
nouvelles
datations
proposées,
au-delà
de
1,1
Ma,
pour
ce
fossile
(Lebatard
et
al.,
2014a,
b
;
Khatib
et
al.,
2014
;
Boulbes
et
al.,
2014),
il
contribue,
avec
OH9
(1,4
1,5
Ma)
et
Daka-Bouri
(1
Ma),
à
combler
une
lacune
paléoanthropologique,
se
situant
entre
KNM-ER3733
(1,78
Ma)
et
les
fossiles
chinois
de
Zhoukoudian
L-C,
Sangiran
17
(plus
récents
que
0,78
Ma)
et
Nankin
1
(environ
0,63
Ma).
Cette
étude,
portant
essentiellement
sur
l’os
frontal,
incite
à
considérer
Homo
erectus
comme
une
espèce
à
vaste
répartition
géochronologique
et
forte
variabilité
morphométrique.
#
2014
Elsevier
Masson
SAS.
Tous
droits
réservés.
Mots
clés
:
Os
frontal
;
Reconstitution
3D
;
Morphométrie
2D
et
3D
;
Homo
habilis
;
Homo
georgicus
;
Homo
heidelbergensis
;
Néandertal
Abstract
In
2002,
a
fragmentary
skullcap
was
discovered
in
Denizli
basin,
in
the
locality
of
Kocabas¸,
in
the
southwest
of
Turkey
(Kappelman
et
al.,
2008).
The
skullcap
was
ascribed
to
Homo
erectus
on
the
basis
of
morphological
and
metric
similarities
with
the
Chinese
fossils
from
Zhoukoudian
L-C
(Vialet
et
al.,
2012).
An
in-depth
morphological
and
metric
analysis
(2D
and
3D)
was
carried
out
on
a
new
3D
reconstruction
of
the
fossil,
made
up
of
the
frontal
bone
and
parietal
fragments.
The
results
confirm
that
the
morphology
of
the
frontal
bone,
the
conformation
and
the
dimensions
of
the
Kocabas¸
specimen,
clearly
differentiate
it
from
Homo
habilis-Homo
georgicus,
on
one
hand,
and
Homo
heidelbergensis-Neanderthal,
on
the
other.
It
displays
similar
metric
characteristics
to
African
(KNM-ER3733,
OH9,
Daka-Bouri)
and
Asian
(skulls
from
Zhoukoudian
L-C,
Nankin
1,
Sangiran
17)
Homo
erectus,
a
marked
post-orbital
constriction,
a
supraorbital
torus
bordered
posteriorly
by
a
supratoral
sulcus
and
showing,
on
its
inferior
border,
a
supraorbital
notch
and
tuber,
temporal
lines
in
a
medium
high
position
delimiting
an
infratemporal
frontal
zone
with
a
clear
bulge.
However,
the
proportions
of
the
short
and
large
Kocabas¸
frontal
bone
(without
the
supraorbital
torus)
differentiate
it
from
Asian
Homo
erectus,
which
present
a
longer
squama
frontalis.
This
feature
is
also
present
on
African
Homo
erectus.
Consequently,
the
Turkish
fossil
appears
to
be
intermediary
between
the
Homo
erectus
from
Africa
and
Asia,
both
from
an
anatomic
and
geographic
point
of
view.
In
the
light
of
the
new
dates
advanced
for
this
fossil,
at
least
1.1
Ma
(Lebatard
et
al.,
2014a,
b;
Khatib
et
al.,
2014;
Boulbes
et
al.,
2014),
it
contributes,
along
with
OH9,
to
bridging
a
palaeoanthropological
gap
between
KNM-
ER3733
(1.78
Ma)
and
the
Chinese
fossils
from
Zhoukoudian
L-C,
Sangiran
17
(earlier
than
0.78
Ma)
and
Nankin
1
(approximately
0.63
Ma).
This
study,
which
mainly
concerns
the
frontal
bone,
implies
that
Homo
erectus
is
a
species
with
a
vast
geochronological
distribution
and
marked
morphometric
variability.
#
2014
Elsevier
Masson
SAS.
All
rights
reserved.
Keywords:
Frontal
bone;
3D
reconstruction;
3D
morphometric
geometry;
Homo
habilis;
Homo
georgicus;
Homo
heidelbergensis;
Neandertal
1.
Introduction
Le
fossile
fragmentaire
découvert,
en
2002,
par
l’un
d’entre
nous
(M.C.A.)
dans
le
bassin
de
Denizli,
localité
de
Kocabas¸,
dans
le
sud-ouest
de
la
Turquie,
a
fait
l’objet
de
plusieurs
descriptions
(Alçiçek
et
al.,
2006
;
Kappelman
et
al.,
2008
;
Vialet
et
al.,
2012)
et
de
plusieurs
reconstructions
(Guipert
et
al.,
2011
;
Nachman
et
al.,
2010
;
Vialet
et
al.,
2011,
2012).
L’étude
préliminaire
du
fossile
a
conduit
à
son
attribution
à
un
Homo
erectus
(Alçiçek
et
al.,
2006
;
Guipert
et
al.,
2011
;
Kappelman
et
al.,
2008
;
Vialet
et
al.,
2011,
2012).
Il
partage
en
effet
de
nombreux
caractères
avec
les
crânes
chinois
de
la
grotte
de
Zhoukoudian
Lower-Cave
à
partir
desquels
cette
espèce
a
été
définie.
Provenant
de
Turquie,
il
constitue
le
représentant
le
plus
occidental
des
Homo
erectus
asiatiques.
A.
Vialet
et
al.
/
L’anthropologie
118
(2014)
74107
75
Jusqu’alors
considéré
comme
relevant
du
Pléistocène
moyen
selon
l’âge
estimé
des
dépôts
dont
il
provient,
le
fossile
de
Kocabas¸
pourrait
être
plus
ancien
comme
le
suggèrent
les
résultats
des
datations
obtenues
récemment
par
la
méthode
des
nucléides
cosmogéniques
Al/Be,
le
paléomagnétisme
et
la
bio-stratigraphie
(Lebatard
et
al.,
2014a,
b;
Khatib
et
al.,
2014;
Boulbes
et
al.,
2014).
Une
analyse
plus
approfondie,
utilisant
la
morphométrie
2D
et
3D,
a
été
réalisée
afin
de
mieux
situer
le
fossile
turc
dans
la
variabilité
humaine,
à
travers
l’ancien
monde,
depuis
le
Pléistocène
inférieur.
Étant
donné
l’état
de
conservation
du
spécimen,
une
reconstitution
préalable
a
été
nécessaire
et
l’analyse
comparative
a
été
limitée
à
l’os
frontal.
2.
Description
Le
fossile
provient
des
carrières
du
Bassin
de
Denizli
il
est
apparu
au
cours
du
débitage
du
travertin
en
dalles
de
carrelage
de
3,5
cm
d’épaisseur.
Les
lames
de
la
scie
ont
tranché
la
calotte
selon
deux
plans
parallèles
(Fig.
1)
:
le
plan
supérieur
a
sectionné
la
partie
sommitale
de
l’écaille
frontale,
a
amputé
la
partie
gauche
du
torus
supra-orbitaire
et
en
a
abrasé,
à
droite,
la
face
supéro-médiale
;
le
plan
inférieur
passe,
parallèlement,
3,5
cm
au-dessous,
à
la
base
de
l’os
frontal,
au
travers
de
la
voûte
bipariétale.
De
ce
fait,
il
ne
subsiste
du
crâne
que
la
zone
antérieure
constituée
de
3
fragments
:
un
os
pariétal
droit
fragmentaire,
une
partie
droite
de
l’os
frontal
et,
à
gauche,
les
restes
du
frontal
et
du
pariétal
encore
en
connexion
(Fig.
2).
Le
pariétal
droit
est
conservé
sur
une
plus
grande
surface
que
le
gauche
(60
mm
de
long
et
82
mm
de
large),
correspondant
probablement
au
tiers
antérieur
de
l’os
original.
La
suture
coronale
n’est
conservée
qu’entre
le
bregma
et
le
coronion.
Le
fragment
gauche
est
plus
court,
mesurant
52
mm
sur
64
mm.
La
portion
droite
de
l’os
frontal
inclue
la
face
infra-temporale
(sur
19
mm
de
long)
et
une
portion
du
torus
supra-orbitaire
droit
jusqu’à
l’incisure
supra-orbitaire.
Le
plafond
orbitaire
est
préservé
dans
sa
moitié
antérieure.
A.
Vialet
et
al.
/
L’anthropologie
118
(2014)
7410776
Fig.
1.
Plans
de
coupe
de
la
calotte
crânienne
de
Kocabas¸
par
les
lames
des
machines
de
débitage
du
travertin.
Cutting
planes
left
on
the
Kocabas¸
skull
by
the
blades
of
the
machine
in
the
travertine
quarry.
Le
fragment
gauche
de
l’os
frontal,
encore
en
connexion
avec
le
pariétal
gauche,
correspond
principalement
à
la
partie
supérieure
de
la
face
infra-temporale,
la
région
ptérique
n’étant
pas
conservée
(comme
à
droite),
et
à
une
portion
latérale
de
l’écaille
frontale
allant
de
la
dépression
supra-torale
à
la
suture
coronale
(70
mm
de
long
sur
26
mm
de
large
au
maximum).
Une
portion
(18
mm)
du
plafond
orbitaire
gauche
est
préservée.
De
ce
côté,
le
torus
supra-orbitaire
n’est
pas
conservé.
La
région
glabellaire
a
été
altérée.
Ne
subsiste
que
la
partie
supra-glabellaire.
La
zone
centrale
de
l’écaille
frontale
a
été
«
tranchée
»
par
les
lames
des
machines
de
débitage
de
la
pierre,
laissant
apparaître
le
diploé.
3.
Reconstitution
Pour
préserver
le
fossile
original
et
en
limiter
les
manipulations,
la
remise
en
connexion
anatomique
des
3
éléments
osseux
a
été
effectuée
par
imagerie
3D
après
acquisition
numérique
réalisée
au
moyen
du
scanner
(Philips
helical)
de
l’Hôpital
Universitaire
Pamukkale
à
Denizli
selon
les
paramètres
suivants
:
épaisseur
des
coupes
:
0,8
mm
;
espace
entre
les
coupes
de
0,4
mm
;
FOV
:
20
cm
;
matrice
de
512
512
;
175
mA
;
120
kV.
La
modélisation
de
chaque
fragment
a
été
réalisée
au
moyen
du
logiciel
Mimics
13.1
(Materialise
1
),
les
fragments
étant
articulés
via
les
logiciels
Avizo
7
et
Geomagic
Studio
2012.
Les
3
fragments
ont
été
articulés
en
tenant
compte
des
sutures
sagittales
et
coronales
conservées,
des
empreintes
endocrâniennes,
ainsi
que
du
plan
dans
lequel
le
fossile
a
été
découpé
mécaniquement.
La
partie
gauche
du
torus
supra-orbitaire
a
été
reconstituée
par
image
miroir
de
la
partie
droite
selon
un
axe
de
symétrie
sagittale.
Les
points
de
repères
sagittaux
servant
à
définir
le
plan
de
symétrie
ont
été
sélectionnés
de
manière
à
être
les
plus
distants
possibles
(Guipert
et
Mafart,
2008).
La
connexion
avec
la
partie
gauche
préservée
de
l’os
frontal
a
été
réalisée
en
A.
Vialet
et
al.
/
L’anthropologie
118
(2014)
74107
77
Fig.
2.
Les
trois
fragments
crâniens
constituant
le
fossile
de
Kocabas¸
vue
supérieure.
The
Kocabas¸
skull
is
composed
by
three
fragments
superior
view.
ajustant
la
ligne
temporale
présente
sur
les
deux
fragments
pour
assurer
un
tracé
continu.
La
région
glabellaire,
intégralement
détruite,
n’a
pas
pu
être
reconstituée.
Un
nouvel
examen
du
fossile
a
conduit
à
modifier
légèrement
la
première
reconstruction
(Vialet
et
al.,
2012)
en
avançant
le
fragment
de
frontal
droit,
créant
ainsi
un
hiatus
de
5
mm
au
niveau
de
la
suture
coronale.
En
effet,
tant
sur
le
frontal
que
sur
le
pariétal,
la
partie
droite
de
la
suture
coronale
est
érodée.
Cet
ajustement
permet
de
réduire
la
légère
dissymétrie
que
présentait
la
première
reconstruction.
C’est
cette
deuxième
reconstitution
qui
est
utilisée
dans
cette
étude
(Fig.
3).
4.
Âge
individuel
Pour
appréhender
l’âge
individuel
du
crâne
fragmentaire
de
Kocabas¸,
nous
avons
observé
le
degré
de
développement
des
sinus
frontaux.
Les
cavités
sinusales
de
l’os
frontal
ont
été
modélisées
à
partir
des
données
numériques,
coupe
par
coupe,
en
vue
d’obtenir
leur
disposition
ainsi
qu’un
volume
minimal.
Nettement
présentes,
elles
sont
asymétriques.
Le
sinus
droit
est
presque
complètement
conservé
tandis
que
le
gauche
est
altéré
dans
sa
partie
latérale,
ouverte
vers
l’extérieur.
La
cavité
sinusale
droite
est
oblique
et
s’étend
dans
le
tiers
du
torus
supra-orbitaire
jusqu’au
niveau
de
l’incisure
supra-orbitaire.
La
cavité
sinusale
gauche
dépasse
légèrement
l’axe
sagittal
matérialisé
par
la
crête
frontale
(Fig.
4).
Sa
hauteur
maximale
est
supérieure
à
celle
de
la
cavité
de
droite.
Elle
est
aussi
plus
profonde
selon
l’axe
antéro-postérieur.
Le
septum
inter-sinusien
est
étroit.
Le
volume
cumulé
des
deux
cavités
est
de
2220
mm
3
.
Le
développement
des
sinus
frontaux
s’étend
de
l’âge
de
3
ans
et
demi
(Lang,
1989
;
Wolf
et
al.,
1993)
à
la
puberté
(Caffey,
1993).
Son
extension
est
nette
sur
le
crâne
de
Kocabas¸
dont
le
A.
Vialet
et
al.
/
L’anthropologie
118
(2014)
7410778
Fig.
3.
Deuxième
reconstitution
du
fossile
de
Kocabas¸
utilisée
dans
cette
étude
vue
supérieure.
Second
reconstruction
of
the
Kocabas¸
fossil
used
in
this
study
superior
view.
1 / 34 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !