Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect L’anthropologie 118 (2014) 74–107 www.em-consulte.com Article original La calotte crânienne de l’Homo erectus de Kocabaş (Bassin de Denizli, Turquie) The Homo erectus skullcap from Kocabaş (Denizli Bassin, Turkey) Amélie Vialet a,*, Gaspard Guipert b, Mehmet Cihat Alçiçek c, Marie-Antoinette de Lumley d a Département de préhistoire du Muséum national d’Histoire naturelle, UMR 7194, Institut de paléontologie humaine, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France b Antenne de l’Institut de paléontologie humaine, CEREGE, Technopôle de l’Arbois, bâtiment Villemin, BP 80, 13545 Aix-en-Provence, France c Department of Geology, Pamukkale University, 20070 Denizli, Turquie d Institut de paléontologie humaine, Fondation Albert 1er, Prince de Monaco, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France Disponible sur Internet le 26 février 2014 Résumé En 2002, une calotte crânienne fragmentaire a été découverte dans le bassin de Denizli, localité de Kocabaş, dans le sud-ouest de la Turquie (Kappelman et al., 2008). Elle a été attribuée à un Homo erectus sur la base de la parenté morphologique et métrique observée avec les fossiles chinois de Zhoukoudian L-C (Vialet et al., 2012). Sur la base d’une nouvelle reconstitution 3D de ce fossile, dont seul l’os frontal et des fragments d’os pariétaux sont conservés, une analyse morphologique et morphométrique (2D et 3D) plus approfondie a été menée à bien. Les résultats confirment que le spécimen de Kocabaş, par la morphologie de son os frontal, sa conformation et ses dimensions, se distingue nettement des Homo habilis-Homo georgicus d’une part et des Homo heidelbergensis-Néandertaliens d’autre part. En revanche, il partage avec les Homo erectus, tant africains (KNM-ER3733, OH9, Daka-Bouri) qu’asiatiques (crânes de Zhoukoudian L-C, Nankin 1, Sangiran 17), des caractères métriques, une constriction post-orbitaire marquée, un torus supraorbitaire bordé postérieurement par un sulcus supra-toral et présentant inférieurement, une incisure et un tubercule supra-orbitaires, des lignes temporales en position moyennement hautes délimitant une zone infra-temporale au bombement net. Cependant, Kocabaş se différencie par les proportions de son os frontal (considéré hors torus supra-orbitaire), qui est court et large, des Homo erectus asiatiques, chez qui l’écaille frontale est plus longue. Il partage cette disposition avec les Homo erectus africains. De ce fait, le fossile turc se positionne comme un intermédiaire entre les Homo erectus d’Afrique et d’Asie, tant d’un point de vue * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Vialet). 0003-5521/$ – see front matter # 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2014.01.003 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 75 anatomique que géographique. Étant donné les nouvelles datations proposées, au-delà de 1,1 Ma, pour ce fossile (Lebatard et al., 2014a, b ; Khatib et al., 2014 ; Boulbes et al., 2014), il contribue, avec OH9 (1,4– 1,5 Ma) et Daka-Bouri (1 Ma), à combler une lacune paléoanthropologique, se situant entre KNM-ER3733 (1,78 Ma) et les fossiles chinois de Zhoukoudian L-C, Sangiran 17 (plus récents que 0,78 Ma) et Nankin 1 (environ 0,63 Ma). Cette étude, portant essentiellement sur l’os frontal, incite à considérer Homo erectus comme une espèce à vaste répartition géochronologique et forte variabilité morphométrique. # 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Os frontal ; Reconstitution 3D ; Morphométrie 2D et 3D ; Homo habilis ; Homo georgicus ; Homo heidelbergensis ; Néandertal Abstract In 2002, a fragmentary skullcap was discovered in Denizli basin, in the locality of Kocabaş, in the southwest of Turkey (Kappelman et al., 2008). The skullcap was ascribed to Homo erectus on the basis of morphological and metric similarities with the Chinese fossils from Zhoukoudian L-C (Vialet et al., 2012). An in-depth morphological and metric analysis (2D and 3D) was carried out on a new 3D reconstruction of the fossil, made up of the frontal bone and parietal fragments. The results confirm that the morphology of the frontal bone, the conformation and the dimensions of the Kocabaş specimen, clearly differentiate it from Homo habilis-Homo georgicus, on one hand, and Homo heidelbergensis-Neanderthal, on the other. It displays similar metric characteristics to African (KNM-ER3733, OH9, Daka-Bouri) and Asian (skulls from Zhoukoudian L-C, Nankin 1, Sangiran 17) Homo erectus, a marked post-orbital constriction, a supraorbital torus bordered posteriorly by a supratoral sulcus and showing, on its inferior border, a supraorbital notch and tuber, temporal lines in a medium high position delimiting an infratemporal frontal zone with a clear bulge. However, the proportions of the short and large Kocabaş frontal bone (without the supraorbital torus) differentiate it from Asian Homo erectus, which present a longer squama frontalis. This feature is also present on African Homo erectus. Consequently, the Turkish fossil appears to be intermediary between the Homo erectus from Africa and Asia, both from an anatomic and geographic point of view. In the light of the new dates advanced for this fossil, at least 1.1 Ma (Lebatard et al., 2014a, b; Khatib et al., 2014; Boulbes et al., 2014), it contributes, along with OH9, to bridging a palaeoanthropological gap between KNMER3733 (1.78 Ma) and the Chinese fossils from Zhoukoudian L-C, Sangiran 17 (earlier than 0.78 Ma) and Nankin 1 (approximately 0.63 Ma). This study, which mainly concerns the frontal bone, implies that Homo erectus is a species with a vast geochronological distribution and marked morphometric variability. # 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Frontal bone; 3D reconstruction; 3D morphometric geometry; Homo habilis; Homo georgicus; Homo heidelbergensis; Neandertal 1. Introduction Le fossile fragmentaire découvert, en 2002, par l’un d’entre nous (M.C.A.) dans le bassin de Denizli, localité de Kocabaş, dans le sud-ouest de la Turquie, a fait l’objet de plusieurs descriptions (Alçiçek et al., 2006 ; Kappelman et al., 2008 ; Vialet et al., 2012) et de plusieurs reconstructions (Guipert et al., 2011 ; Nachman et al., 2010 ; Vialet et al., 2011, 2012). L’étude préliminaire du fossile a conduit à son attribution à un Homo erectus (Alçiçek et al., 2006 ; Guipert et al., 2011 ; Kappelman et al., 2008 ; Vialet et al., 2011, 2012). Il partage en effet de nombreux caractères avec les crânes chinois de la grotte de Zhoukoudian Lower-Cave à partir desquels cette espèce a été définie. Provenant de Turquie, il constitue le représentant le plus occidental des Homo erectus asiatiques. 76 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Jusqu’alors considéré comme relevant du Pléistocène moyen selon l’âge estimé des dépôts dont il provient, le fossile de Kocabaş pourrait être plus ancien comme le suggèrent les résultats des datations obtenues récemment par la méthode des nucléides cosmogéniques Al/Be, le paléomagnétisme et la bio-stratigraphie (Lebatard et al., 2014a, b; Khatib et al., 2014; Boulbes et al., 2014). Une analyse plus approfondie, utilisant la morphométrie 2D et 3D, a été réalisée afin de mieux situer le fossile turc dans la variabilité humaine, à travers l’ancien monde, depuis le Pléistocène inférieur. Étant donné l’état de conservation du spécimen, une reconstitution préalable a été nécessaire et l’analyse comparative a été limitée à l’os frontal. 2. Description Le fossile provient des carrières du Bassin de Denizli où il est apparu au cours du débitage du travertin en dalles de carrelage de 3,5 cm d’épaisseur. Les lames de la scie ont tranché la calotte selon deux plans parallèles (Fig. 1) : le plan supérieur a sectionné la partie sommitale de l’écaille frontale, a amputé la partie gauche du torus supra-orbitaire et en a abrasé, à droite, la face supéro-médiale ; le plan inférieur passe, parallèlement, 3,5 cm au-dessous, à la base de l’os frontal, au travers de la voûte bipariétale. De ce fait, il ne subsiste du crâne que la zone antérieure constituée de 3 fragments : un os pariétal droit fragmentaire, une partie droite de l’os frontal et, à gauche, les restes du frontal et du pariétal encore en connexion (Fig. 2). Le pariétal droit est conservé sur une plus grande surface que le gauche (60 mm de long et 82 mm de large), correspondant probablement au tiers antérieur de l’os original. La suture coronale n’est conservée qu’entre le bregma et le coronion. Le fragment gauche est plus court, mesurant 52 mm sur 64 mm. La portion droite de l’os frontal inclue la face infra-temporale (sur 19 mm de long) et une portion du torus supra-orbitaire droit jusqu’à l’incisure supra-orbitaire. Le plafond orbitaire est préservé dans sa moitié antérieure. Fig. 1. Plans de coupe de la calotte crânienne de Kocabaş par les lames des machines de débitage du travertin. Cutting planes left on the Kocabaş skull by the blades of the machine in the travertine quarry. A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 77 Fig. 2. Les trois fragments crâniens constituant le fossile de Kocabaş – vue supérieure. The Kocabaş skull is composed by three fragments – superior view. Le fragment gauche de l’os frontal, encore en connexion avec le pariétal gauche, correspond principalement à la partie supérieure de la face infra-temporale, la région ptérique n’étant pas conservée (comme à droite), et à une portion latérale de l’écaille frontale allant de la dépression supra-torale à la suture coronale (70 mm de long sur 26 mm de large au maximum). Une portion (18 mm) du plafond orbitaire gauche est préservée. De ce côté, le torus supra-orbitaire n’est pas conservé. La région glabellaire a été altérée. Ne subsiste que la partie supra-glabellaire. La zone centrale de l’écaille frontale a été « tranchée » par les lames des machines de débitage de la pierre, laissant apparaître le diploé. 3. Reconstitution Pour préserver le fossile original et en limiter les manipulations, la remise en connexion anatomique des 3 éléments osseux a été effectuée par imagerie 3D après acquisition numérique réalisée au moyen du scanner (Philips helical) de l’Hôpital Universitaire Pamukkale à Denizli selon les paramètres suivants : épaisseur des coupes : 0,8 mm ; espace entre les coupes de 0,4 mm ; FOV : 20 cm ; matrice de 512 512 ; 175 mA ; 120 kV. La modélisation de chaque fragment a été réalisée au moyen du logiciel Mimics 13.1 (Materialise1), les fragments étant articulés via les logiciels Avizo 7 et Geomagic Studio 2012. Les 3 fragments ont été articulés en tenant compte des sutures sagittales et coronales conservées, des empreintes endocrâniennes, ainsi que du plan dans lequel le fossile a été découpé mécaniquement. La partie gauche du torus supra-orbitaire a été reconstituée par image miroir de la partie droite selon un axe de symétrie sagittale. Les points de repères sagittaux servant à définir le plan de symétrie ont été sélectionnés de manière à être les plus distants possibles (Guipert et Mafart, 2008). La connexion avec la partie gauche préservée de l’os frontal a été réalisée en 78 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Fig. 3. Deuxième reconstitution du fossile de Kocabaş utilisée dans cette étude – vue supérieure. Second reconstruction of the Kocabaş fossil used in this study – superior view. ajustant la ligne temporale présente sur les deux fragments pour assurer un tracé continu. La région glabellaire, intégralement détruite, n’a pas pu être reconstituée. Un nouvel examen du fossile a conduit à modifier légèrement la première reconstruction (Vialet et al., 2012) en avançant le fragment de frontal droit, créant ainsi un hiatus de 5 mm au niveau de la suture coronale. En effet, tant sur le frontal que sur le pariétal, la partie droite de la suture coronale est érodée. Cet ajustement permet de réduire la légère dissymétrie que présentait la première reconstruction. C’est cette deuxième reconstitution qui est utilisée dans cette étude (Fig. 3). 4. Âge individuel Pour appréhender l’âge individuel du crâne fragmentaire de Kocabaş, nous avons observé le degré de développement des sinus frontaux. Les cavités sinusales de l’os frontal ont été modélisées à partir des données numériques, coupe par coupe, en vue d’obtenir leur disposition ainsi qu’un volume minimal. Nettement présentes, elles sont asymétriques. Le sinus droit est presque complètement conservé tandis que le gauche est altéré dans sa partie latérale, ouverte vers l’extérieur. La cavité sinusale droite est oblique et s’étend dans le tiers du torus supra-orbitaire jusqu’au niveau de l’incisure supra-orbitaire. La cavité sinusale gauche dépasse légèrement l’axe sagittal matérialisé par la crête frontale (Fig. 4). Sa hauteur maximale est supérieure à celle de la cavité de droite. Elle est aussi plus profonde selon l’axe antéro-postérieur. Le septum inter-sinusien est étroit. Le volume cumulé des deux cavités est de 2220 mm3. Le développement des sinus frontaux s’étend de l’âge de 3 ans et demi (Lang, 1989 ; Wolf et al., 1993) à la puberté (Caffey, 1993). Son extension est nette sur le crâne de Kocabaş dont le A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 79 Fig. 4. Fragment droit de l’os frontal du fossile de Kocabaş et modélisation des sinus frontaux – vue antérieure. Right fragment of the Kocabaş fossil and 3D reconstruction of the frontal sinuses – anterior view. torus supra-orbitaire est par ailleurs bien formé. D’autre part, le diploé de l’os est développé et il n’y a pas de trace, dans la zone où elle serait observable, de suture métopique. La suture sagittale n’est pas synostosée, c’est pourquoi les deux fragments de pariétaux sont détachés. La partie droite de la suture coronale n’est pas soudée. En revanche, sa partie gauche est synostosée sur sa face inférieure, conservant en connexion le frontal et le pariétal gauches. Enfin, sur la face interne des pariétaux, des petits trous (granulations de Pacchioni) sont observables. Leur nombre semble lié à l’âge (Barber et al., 1995). En observant l’ensemble de ces caractères, nous considérons que le crâne de Kocabaş est celui d’un jeune adulte. 5. Matériel et méthodes Pour mener à bien l’analyse comparative, les fossiles d’Afrique, d’Asie et d’Europe, les plus complets du Pléistocène inférieur, moyen et supérieur, ont été considérés (Tableau 1). Il s’agit essentiellement de moulages provenant de la collection de l’Institut de Paléontologie Humaine. Le Tableau 1 présente les fossiles attribués à Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus, Homo antecessor. Il regroupe les fossiles africains sous l’appellation Homo ergaster/erectus et distingue les Homo erectus venant des sites chinois et indonésiens (Java). Le groupe des Homo heidelbergensis rassemble tous les fossiles européens compris entre Homo antecessor et les Néandertaliens. Le groupe des Homo sapiens fossiles a été pris en compte comme population de référence. Six mesures ont été considérées permettant le calcul de quatre indices. Il s’agit de : M9(1) : la largeur frontale minimale réelle mesurée sans tenir compte des lignes temporales ; M9 : la largeur frontale mesurée au niveau des lignes temporales, entre les fronto-temporaux ; M10 : la largeur maximale de l’os frontal prise entre les coronions ; M10b : la largeur mesurée entre les lignes temporales supérieures sur la suture coronale (stephanions) ; M43 : la largeur du torus supra-orbitaire entre les points fronto-malaires temporaux ; Post-gl - b : la longueur entre le point postérieur à la dépression supra-glabellaire et le bregma ; M9(1)/M10 : indice de divergence de l’os frontal ; 80 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Tableau 1 Liste des fossiles utilisés pour les analyses morphométriques 2D et 3D. Il s’agit essentiellement de moulages. Nous avons considéré les crânes reconstitués de Yunxian II R (Vialet et al., 2005), d’Arago 21R (Guipert et al., 2014) et de Nankin 1 (Vialet et al., 2010). List of the fossils considered in this study for the morphometric 2D and 3D analysis. Most of them are casts. We integrated the reconstruction of Yunxian II R (Vialet et al., 2005), Arago 21R (Guipert et al., 2014) and Nankin 1 (Vialet et al., 2010). Groupes Homo Homo Homo Homo habilis-rudolfensis georgicus ergaster/erectus africains erectus chinois Homo erectus indonésiens (Java) Homo antecessor Homo heidelbergensis (Europe) Néandertaliens n 1 2 4 7 8 7 1 7 8 Homo sapiens fossiles 26 Total 72 Fossiles Kocabaş ER1813, ER1470 Dmanisi D2280, D2282, D2700, D3444 WT 15000, ER 3733, ER 3883, OH 9, Daka-Bouri, Bodo 1, Kabwe Yunxian II R, Zhoukoudian L-C 3, 10, 11 et 12, Nankin 1 restauré, Dali, Hexian Sangiran 17, Sambungmacan 3, Ngandong 5, 6, 7, 10 et 12, Ngawi 1 ATD6-15 Arago 21R restauré, Ceprano, Sima de los Huesos 3, 4, 5 et 6, Petralona. Amud 1, Guattari 1 (Circeo), La Chapelle-aux-Saints, La Ferrassie 1, La Quina H5, Neandertal, Saccopastore 1, Teshik-Tash. Jebel Irhoud 1, Jebel Irhoud 2, Hotu Cave 2, Skhul 5, Qafzeh 9, Zuttiyeh; Brno II, Brno III, Mladec 5, Pavlov I, Predmost III, Markina Gora; Chancelade, Cro-Magnon 1, Cro-Magnon 3, Obercassel, Pataud ; Arene Candide, Barma Grande 1, 3, 4, 5, Cavillon restauré (Barma del Caviglione 1), Grotte des Enfants 4, 5, 6. M9/M10b : indice de divergence des lignes temporales ; M9(1)/M43 : indice de constriction post-orbitaire ; M9(1)/Post-gl - b : indice de proportion de l’os frontal. Les mesures ont été prises directement au pied à coulisse sur les fossiles (originaux et moulages). Certaines ont été relevées dans la littérature : Dmanissi, D2280, D2282 et D2700 (Lumley et al., 2006), Yunxian II R (Vialet et al., 2005), Daka-Bouri (Asfaw et al., 2008), ATD615 (Arsuaga et al., 1999), Arago 21R (Guipert et al., 2014) et Sima de los Huesos 3, 4, 5 et 6 (Arsuaga et al., 1997). Pour les analyses de morphométrie géométrique 3D, les coordonnées tridimensionnelles des différents points de repères craniométriques ont été acquises de deux manières : soit sur des modélisations tridimensionnelles générées à partir de données tomographiques ; soit directement sur les fossiles (originaux et moulages) au moyen d’un digitaliseur portable Microscribe3DX1. Les superpositions Procrustes ont été réalisées par la méthode des moindres carrés (GLS, Generalized Least-Squares) et utilisées pour générer les analyses en composante principale avec le logiciel Morphologika2 v2.5 (O’Higgins et Jones# 2006). Le choix des points a été fait de manière à rendre compte de la conformation de l’os frontal et à pouvoir comparer Kocabaş avec le plus grand nombre de fossiles possibles. Lorsqu’un ou deux points de repères craniométriques latéraux n’étaient pas conservés, leurs coordonnées ont été obtenues par symétrisation sagittale des points homologues. Cette opération a été réalisée en tenant compte de l’emplacement des points sagittaux disponibles pour limiter les erreurs de symétrisation (Guipert et Mafart, 2008). A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 81 Tableau 2 Liste et abréviation des points de repères craniométriques étudiés (d’après Martin et Saller, 1957) et type de point selon la classification de Bookstein (1991). List of the craniometric landmarks used (from Martin and Saller, 1957) classified following Bookstein (1991). Points de repères Numéro Fig. 8 Abréviations Définitions de Martin et Saller, 1957 Classification de Bookstein Bregma Stephanion 1 2 et 12 B St I I Coronion Sphenion Fronto-temporal 3 et 11 4 et 10 5 et 9 Co Sph Ft Fronto-malairetemporal Supra-glabellaire 6 et 8 Fmt 7 Sg Intersection des sutures coronale et sagittale Intersection de la ligne temporalte avec la suture coronale Point le plus latéral sur la suture coronale Point de rencontre du frontal, du pariétal et du sphénoïde Point le plus en avant et en dedans de la crête temporale frontale, dans le prolongement de l’os zygomatique Point le plus externe de la suture fronto-malaire sur la face latérale du processus zygomatique Point le plus profond de la fosse supra-glabellaire dans le plan sagittal médian II I II I II Les différents points de repères craniométriques (12 au total ; Tableau 2 ; Fig. 5) correspondent à des points définis par Martin et Saller (1957) et aux deux premiers types définis par Bookstein (1991), points à homologie rigoureuse situés à l’intersection d’éléments architecturaux (type I) ou situés à la terminaison des structures ou à la courbure maximale (type II). Les deux points sagittaux ont été sélectionnés pour modéliser l’extension antéro-postérieure de l’écaille frontale. Les dix points bilatéraux permettent d’étudier la conformation générale de l’os frontal (torus, constriction post-orbitaire, position des lignes temporales) (Tableau 2). 5.1. Les caractères anatomiques Étant donné l’état de conservation du fossile de Kocabaş, nous nous sommes concentrés sur la morphologie de l’os frontal : la région torale et supra-torale, les lignes temporales et la partie infra-temporale. Ainsi, ont été appréciés : le développement général du torus supra-orbitaire et de ses parties latérales, sa transition avec le plafond de la cavité orbitaire et la présence d’incisure et de tubercule supra-orbitaires ; le développement d’un sulcus supra-glabellaire et supra-toral latéral ; le développement des lignes temporales sur l’os frontal ; la morphologie de la zone infra-temporale (fosse temporale antérieure et convexité de la zone postérieure). Sur les pariétaux, ce sont les lignes temporales, les éventuels reliefs sagittaux et le dessin de la suture sagittale qui ont été observés. 6. Résultats 6.1. Analyse anthropométrique Le Tableau 3 présente les valeurs mesurées sur les fossiles pour M9(1) : la largeur frontale minimum, M9 : la largeur frontale au niveau des lignes temporales, M10 : la largeur maximale de 82 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Fig. 5. Localisation des 12 points craniométriques sélectionnés sur la calotte crânienne de Kocabaş. a : vue faciale ; b : vue supérieure ; c : vue latérale droite ; d : vue latérale gauche. En gris : reconstitution de la zone frontale par image miroir. Location on the Kocabaş skull of the 12 craniometric landmarks considered in this study. a: frontal view, b: superior view, c: right lateral view, d: left lateral view. In grey: the reconstructed part of the frontal bone by mirror imaging technique. l’os frontal (aux coronions), M10(b) : la largeur frontale entre les stephanions, M43 : la largeur du torus supra-orbitaire, la longueur de l’os frontal du sulcus supra-glabellaire au bregma et les indices mettant en relation M9(1) et M10, M9 et M10(b), M9(1) et M43, M9(1) et la longueur de l’os frontal. D’une façon générale, les individus semblent classés selon des valeurs croissantes. Comme la taille augmente au cours de l’évolution, le classement par ce dernier critère est cohérent avec l’attribution chronologique des spécimens, du plus ancien au plus récent. La croissance et la sénescence semblent influer sur les valeurs des largeurs et longueur de l’os frontal sachant qu’elles sont plus faibles sur les fossiles de Dmanissi, D2700, D2282 et D3444 qui sont respectivement des individus adolescent, adulte jeune et adulte vieux que sur D2280 qui est un adulte (Lumley et al., 2006). De même pour le crâne 3 de Zhoukoudian L-C qui est un jeune sujet dont les valeurs sont plus faibles que celles des crânes d’adultes 11 et 12 (Weidenreich, 1943). La largeur frontale minimale réelle M9(1) permet de distinguer deux groupes : A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 83 Tableau 3 Mesures de l’os frontal (en italique : les mesures estimées, D : Dmanissi, Géorgie, ER : East-Rudolph, Kenya, OH : Olduvai Hominid, Tanzanie, ZKD : Zhoukoudian Lower-Cave, Chine, Sang : Sangiran, Java, Sm : Sambungmacan, Java, Ng : Ngandong, Java, AT-SH : Sima de los huesos, Espagne, LF1 : La Ferrassie 1, France, LCAS : La Chapelle-aux-Saints, France). Measurements of the frontal bone (in italic: estimated measurements, D: Dmanissi, Georgia, ER: East-Rudolph, Kenya, OH: Olduvai Hominid, Tanzania, ZKD: Zhoukoudian Lower-Cave, China, Sang: Sangiran, Java, Sm: Sambungmacan, Java, Ng: Ngandong, Java, AT-SH: Sima de los huesos, Spain, LF1: La Ferrassie 1, France, LCAS: La Chapelle-aux-Saints, France). Spécimen M9(1) l F min M9 ft-ft M10 M10b st-st M43 Longueur os F Ind M9(1)/ M10 Ind M9/ M10b Ind M9(1)/ M43 Ind M9(1)/ Lg Koçabas 2 KNM-ER 1813 KNM-ER 1470 D3444 D2280 D2282 D2700 KNM-ER3733 KNM-ER3883 KNM-WT15000 OH9 Daka-Bouri Yunxian R Nankin 1 ZKD 3 ZKD 10 ZKD 11 ZKD 12 Sang 17 Hexian ATD6-15 Arago 21 R AT-SH 3 AT-SH 4 AT-SH 5 AT-SH 6 Ceprano Petralona Kabwe Bodo Dali Sm 3 Ng 5 Ng 6 Ng 7 Ng 10 Ng 12 Ngawi 1 LCAS LF1 Saccopastore 1 La Quina H5 Guattari 1 Neanderthal Amud 1 94 70 79 78 86 80 77 92 87 – 98 95 106 90 88 94 94 95 96 100 – 109,1 – – 106 – 110 108 102 108 108 100 103 103 104 108 107 – 106 110 101 103 109,9 110 113,5 88 66 70 70 74 67 67 83 81 85,8 84 89 102 83 81 89 84 91 96 96 95 109,1 102,1 117 106 100 108 108 98 103 103 99 100 101 104 102 103 98,2 106 108 101 100,2 109,9 108 113,5 106 88 90 94 106 91 90 109 108 97,5 105 105 136 101 105 110 106 110 115 116 – 113,1 115 126 118 – 120 120 117 115 121 110 121 115 119 121 117 111,3 129 126 116 105 127 125 124 82 65 71 73 65 72 67 77 86 86,1 84 101 127 65 78 – 81 95 90 104 100 113 113,5 119,5 111 116 130 100 108 104 101 110 101 113 119 108 110 99,4 114 112 105,8 105,8 120 – 117,5 118 93 106 105 114 105 97 116 115 106 130 124 130 110 109 – 111 119 119 111 – 123 – – 129 111 130 130 133 136 123 112 116 – – 121 123 107 118 120 114 113 120 122 123 80 64 78 75 86 78 71 77 87 – 84 75 74 80 90 91 90 97 94 76 – 92 – – – – – 92 105 – 101 93 97 86 98 99 95 – 89 92 – – – 88 – 89 80 88 83 81 88 86 84 81 – 93 90 78 89 84 85 89 86 83 86 – 96 – – 90 – 92 90 87 94 89 91 85 90 87 89 91 – 82 87 87 98 87 – 92 107 102 99 96 114 93 100 108 94 100 100 88 80 128 104 – 104 96 107 92 95 97 90 98 95 86 83 108 91 99 102 90 99 89 87 94 94 99 93 96 95 95 92 – 97 80 75 75 74 75 76 79 79 76 – 75 77 82 82 81 – 85 80 81 90 – 89 – – 82 – 85 83 77 79 88 89 89 – – 89 87 – 90 92 89 92 92 – 93 118 109 101 104 100 103 108 119 100 – 117 127 143 113 98 103 104 98 102 132 – 119 – – – – – 117 97 – 107 108 106 120 106 109 113 – 119 120 – – – – – 84 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Fig. 6. Largeur frontale minimale (M9) de Kocabaş comparée à celles d’homininés du Pléistocène inférieur, moyen et supérieur. Minimum frontal width (M9) for Kocabaş, compared to Lower, Middle and Upper Pleistocene hominins. les individus les plus anciens qui sont de petite taille. Kocabaş se situe parmi les valeurs fortes de ce groupe, proche d’ER3733, Daka-Bouri, Sangiran 17 et des adultes de Zhoukoudian L-C ; les individus plus récents qui sont de grande taille : spécimens indonésiens, chinois, européens et africains du Pléistocène moyen et Néandertaliens. La largeur maximale de l’os frontal (M10) distingue Kocabaş de ER1813 et des fossiles de Dmanissi (D2280 mis à part). Sa valeur est proche de ce dernier ainsi que de Daka-Bouri, OH9, le crâne 11 de Zhoukoudian L-C. Elle est légèrement plus faible que les crânes 10 et 12 du même site, ER3733 et ER3883 et nettement inférieure à celle des fossiles plus récents. Pour la largeur du torus supra-orbitaire (M43), OH9 et Daka-Bouri sont, cette fois, parmi les plus larges. Kocabaş reste dans le groupe des individus de petite taille, avec une valeur qui se situe parmi les plus fortes, entre ER3733, le crâne 12 de Zhoukoudian L-C et Sangiran 17. 6.1.1. Largeur frontale minimale M9 et largeur frontale minimale réelle M9(1) Kocabaş présente une largeur frontale minimale (M9) entre les points fronto-temporaux (Fig. 6) et une largeur frontale minimale réelle M9(1) (Fig. 7) supérieures à celles des Homo habilis-rudolfensis, des Homo georgicus et des Homo ergaster. La première (M9) est comprise dans la variation des Homo erectus anciens d’Afrique (OH9 et Daka-Bouri) et chinois de Zhoukoudian L-C. La seconde (M9.1), toujours dans la variation des fossiles chinois, est plus faible que les valeurs des Homo erectus africains anciens et récents. Pour ces deux variables, le fossile turc est de plus petite dimension que Kabwe, Bodo, Hexian, Yunxian II R, les Homo erectus d’Indonésie et les homininés européens du Pléistocène moyen et supérieur. Le graphique (Fig. 8) mettant en relation la largeur frontale minimale M9 sur les lignes temporales, au niveau des fronto-temporaux, et la largeur frontale minimale réelle (M9.1), distingue trois groupes : les individus, les plus anciens (ER1813 et Dmanissi), qui présentent un frontal étroit et des lignes temporales en position haute ; A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 85 Fig. 7. Largeur frontale minimale réelle M9(1) de Kocabaş comparée à celles d’homininés du Pléistocène inférieur, moyen et supérieur. Real minimum frontal width M9(1) for Kocabaş, compared to Lower, Middle and Upper Pleistocene hominins. ER3733, OH9, Sangiran 17, Nankin 1 et les fossiles de Zhoukoudian L-C avec une disposition intermédiaire. Dans ce groupe, Kocabaş est proche de Daka-Bouri et du crâne 12 de Zhoukoudian L-C. Ils présentent une disposition légèrement plus basse des lignes temporales, relativement à ER3733, aux crânes 3 et 11 de Zhoukoudian L-C et à Nankin 1, chez qui la valeur de M9.1 est moindre, présentant des lignes temporales plus hautes ; Fig. 8. La largeur frontale minimale réelle (M9.1) et la largeur frontale minimale (M9) entre les lignes temporales (D : Dmanissi, Géorgie, ER : East-Rudolph, Kenya, OH : Olduvai Hominid, Tanzanie, ZKD : Zhoukoudian Lower-Cave, Chine, Sang : Sangiran, Java, Sm : Sambungmacan, Java, Ng : Ngandong, Java, SH : Atapuerca-Sima de los huesos, Espagne, LF1 : La Ferrassie 1, France, LCAS : La Chapelle-aux-Saints, France). Real minimum frontal breadth (M9.1) and minimum frontal width (M9) between the temporal lines (D: Dmanissi, Géorgie, ER: East-Rudolph, Kenya, OH: Olduvai Hominid, Tanzania, ZKD: Zhoukoudian Lower-Cave, Chine, Sang: Sangiran, Java, Sm: Sambungmacan, Java, Ng: Ngandong, Java, SH: Atapuerca-Sima de los huesos, Espagne, LF1: La Ferrassie 1, France, LCAS: La Chapelle-aux-Saints, France). 86 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Fig. 9. Largeur maximale du frontal (M10) de Kocabaş comparée à celles d’homininés du Pléistocène inférieur, moyen et supérieur. Maximum width (M10) of Kocabaş, compared to Lower, Middle and Upper Pleistocene hominins. les spécimens plus récents d’Indonésie, d’Europe et les Néandertaliens chez qui le frontal est plus large et les lignes temporales plus basses. Notons la dispersion au sein des séries de fossiles de Dmanissi et de Zhoukoudian L-C. Dans les deux cas, les différences peuvent être liées à l’âge des individus. Au sein des premiers, seul D2280 est un adulte mature, les autres sont des jeunes et D3444 est un individu âgé. Au sein des seconds, le crâne 3 est celui d’un jeune, les deux autres sont des adultes. 6.1.2. Largeur maximale du frontal M10 Par la largeur maximale du frontal (M10), Kocabaş se distingue des Homo habilis-rudolfensis par une forte valeur, ainsi que des Homo georgicus, le spécimen D2280, avec lequel il est confondu, mis à part (Fig. 9). Il est également très proche des Homo erectus africains anciens (OH9, Daka-Bouri). Sa largeur, supérieure à celle de WT 15000, est inférieure à celle des Homo ergaster adultes (ER3733 et 3883), de Kabwe et Bodo. Elle est plus forte que celle de Nankin 1 et le crâne 3 de Zhoukoudian L-C et de même valeur que le crâne 11, inférieure à celles des crânes 10 et 12 et des fossiles indonésiens, chinois et européens plus récents. La faible valeur relevée sur La Quina H5 peut être liée à la déformation du fossile. L’expansion du bord coronal de l’os frontal de Kocabaş est donc plus importante que celle du groupe Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus et moindre que celles des Homo ergaster adultes et des Homo erectus récents d’Afrique, des crânes 10 et 12 de Zhoukoudian L-C et des Homo erectus récents de Chine, de Sangiran 17 et, plus généralement, des spécimens plus récents. 6.1.3. Divergence postérieure du frontal Le graphique mettant en relation la largeur minimale réelle M9(1) et maximum M10 de l’os frontal distingue trois groupes (Fig. 10) : A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 87 Fig. 10. La largeur frontale minimale réelle M9(1) et la largeur frontale maximale (M10), entre les coronions (D : Dmanissi, Géorgie, ER : East-Rudolph, Kenya, OH : Olduvai Hominid, Tanzanie, ZKD : Zhoukoudian Lower-Cave, Chine, Sang : Sangiran, Java, Sm : Sambungmacan, Java, Ng : Ngandong, Java, SH : Atapuerca-Sima de los huesos, Espagne, LF1 : La Ferrassie 1, France, LCAS : La Chapelle-aux-Saints, France). Real minimum frontal width M9(1) and maximum frontal breadth (M10), between the coronions (D: Dmanissi, Georgia, ER: East-Rudolph, Kenya, OH: Olduvai Hominid, Tanzania, ZKD: Zhoukoudian Lower-Cave, China, Sang: Sangiran, Java, Sm: Sambungmacan, Java, Ng: Ngandong, Java, SH: Atapuerca-Sima de los huesos, Spain, LF1: La Ferrassie 1, France, LCAS: La Chapelle-aux-Saints, France). les spécimens à frontal étroit : ER1813 et les crânes de Dmanissi (D2280 mis à part) ; les spécimens à frontal large : fossiles du Pléistocène moyen et supérieur d’Afrique (Kabwe), d’Europe (Arago 21R, AT-SH5, Petralona et les Néandertaliens) et d’Asie (Sambungmacan 3, Ngandong 5 et 12) ; les spécimens dont les valeurs sont intermédiaires : D2280, fossiles africains (ER3733, OH9, Daka-Bouri) et asiatiques (crânes de Zhoukoudian L-C, Nankin 1 et Sangiran 17). Kocabaş fait partie de ce groupe et, parmi ces spécimens, il présente les mêmes valeurs que le crâne 11 de Zhoukoudian L-C. Il est proche de Daka-Bouri et peu éloigné du crâne 12 de Zhoukoudian LC, ER3733 et OH9. Le crâne 3 de Zhoukoudian L-C et Nankin 1 sont moins larges tandis que Sangiran 17 a des valeurs plus fortes pour les deux variables. La divergence postérieure du frontal peut être évaluée par l’indice comparant la largeur frontale minimale (M9.1) avec (M10) la largeur maximale du frontal (Fig. 11). Il varie de 78 à 100. Plus il est faible, plus la divergence est forte. La divergence du frontal de Kocabaş est plus atténuée que celle observée chez les Homo habilis-rudolfensis et les Homo georgicus, d’une part, et chez les Homo erectus de Chine (Nankin 1 et le crâne 11 de Zhoukoudian L-C mis à part), les fossiles indonésiens et certains néandertaliens, d’autre part. Son degré de divergence, proche de celui présenté par Nankin 1 et le crâne 11 de Zhoukoudian L-C, reste important comparé à Daka-Bouri, OH9, Bodo, Ceprano et Arago 21R, chez qui la divergence est faible du fait, notamment d’une forte largeur frontale antérieure. 88 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Fig. 11. Indice de divergence de l’écaille frontale ((M9(1)/M10) 100) de Kocabaş, comparée à celles d’homininés du Pléistocène inférieur, moyen et supérieur. Index of divergence of the frontal squama ((M9(1)/M10) 100) of the Kocabaş frontal, compared to Lower, Middle and Upper Pleistocene Hominids. 6.1.4. Largeur bi-stéphanique M10b La largeur M10b rend compte de l’écart entre les lignes temporales au niveau de la suture coronale entre les stephanions (Tableau 3). La largeur bi-stéphanique de Kocabaş est supérieure à celles des crânes du groupe Homo habilis-rudolfensis et à la majorité des Homo georgicus. Proche des valeurs mesurées sur ER3733, OH9, les crânes 3 et 11 de Zhoukoudian L-C, elle est plus faible que celle de Sangiran 17, Daka-Bouri et Zhoukoudian 12. La largeur bi-stéphanique du fossile turc est nettement inférieure à celle mesurée sur les fossiles plus récents chez qui les lignes temporales sont plus basses. 6.1.5. Divergence des lignes temporales L’indice comparant la largeur frontale antérieure, entre les lignes temporales (M9), à la largeur frontale postérieure, entre les stephanions (M10b), exprime la divergence des lignes temporales. Lorsque la valeur de l’indice est supérieure à 100, les lignes temporales sont convergentes postérieurement. C’est le cas pour Kocabaş dont l’indice est de 107 (Fig. 12). Parmi les différents groupes pris en compte, seuls quelques fossiles présentent des lignes temporales convergentes : ER1813, D2280 et D2700 pour les Homo georgicus, ER3733 et WT 15000 pour les Homo ergaster, OH9 pour les Homo erectus d’Afrique, Nankin 1 et les crânes 3 et 11 de Zhoukoudian L-C pour les Homo erectus de Chine, Sangiran 17 pour les Homo erectus d’Indonésie et Petralona pour les fossiles européens. Sur les fossiles de Yunxian R, Hexian et le crâne 12 de Zhoukoudian L-C en Chine, d’une part, et sur la majorité des fossiles plus récents d’Europe, d’Indonésie et d’Afrique, les lignes temporales sont divergentes. Ce caractère est associé à l’expansion de l’écaille frontale qui est de plus en plus marquée au cours de l’évolution. Chez les formes les plus anciennes, elles peuvent être convergentes, puis chez certaines formes plus évoluées elles sont parallèles avant de diverger nettement chez les Homo erectus évolués et les hommes actuels. A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 89 Fig. 12. Indice de divergence des lignes temporales ((M9/M10b) 100) de Kocabaş comparé à celui d’homininés du Pléistocène inférieur, moyen et supérieur. Divergence index ((M9/M10b) 100) for the Kocabaş temporal lines, compared to Lower, Middle and Upper Pleistocene hominins. 6.1.6. Largeur du torus supra-orbitaire M43 Le torus supra-orbitaire de Kocabaş est plus large que celui des fossiles attribués à Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus et Homo ergaster (Fig. 13). Proche de Sangiran 17 et du crâne 12 de Zhoukoudian L-C, il est également plus large que sur Nankin 1, les crânes 3 et 11 de Zhoukoudian L-C et Hexian mais moins développé que sur les Homo erectus africains comprenant OH9 et Daka-Bouri et la majorité des fossiles plus récents. En considérant la largeur du torus supra-orbitaire (M43), relativement à la largeur frontale minimale (M9.1), les individus se répartissent des fossiles les plus anciens, avec un torus étroit, aux plus récents, avec un torus large (Fig. 14). OH9 et Daka-Bouri présentent une largeur particulièrement importante tandis que celle des spécimens indonésiens de Sambungmacan 3 et Ngandong 5 est nettement plus faible. Kocabaş est proche du crâne 12 de Zhoukoudian, de Sangiran 17 et il n’est pas très éloigné d’ER 3733. 6.1.7. Constriction post-orbitaire C’est l’indice, mettant en relation la largeur frontale minimale (M9.1) et la largeur du torus supra-orbitaire (M43), qui permet d’apprécier le degré de constriction post-orbitaire (Tableau 3). Deux groupes se distinguent : les spécimens dont la constriction post-orbitaire est forte (indice inférieur à 80) attribués aux Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus, Homo ergaster et Homo erectus africains (OH9, Daka-Bouri et Kabwe). Kocabaş fait partie de ce groupe ; pour tous les autres spécimens (Nankin 1, les fossiles de Zhoukoudian L-C et Sangiran 17 compris), la constriction post-orbitaire est moins forte. 6.1.8. Longueur post-glabellaire de l’os frontal Toujours relativement à la largeur frontale minimale M9(1), la longueur de l’os frontal (le torus supra-orbitaire mis à part) détermine deux groupes (Fig. 15) : 90 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Fig. 13. Largeur du torus supra-orbitaire (M43) de Kocabaş comparée à celles d’homininés du Pléistocène inférieur, moyen et supérieur. Width of the suoratoral torus (M43) for Kocabaş, compared to Lower, Middle and Upper Pleistocene Hominins. Fig. 14. La largeur frontale minimale réelle M9(1) et la largeur du torus supra-orbitaire (M43), entre les coronions (D : Dmanissi, Géorgie, ER : East-Rudolph, Kenya, OH : Olduvai Hominid, Tanzanie, ZKD : Zhoukoudian Lower-Cave, Chine, Sang : Sangiran, Java, Sm : Sambungmacan, Java, Ng : Ngandong, Java, SH : Atapuerca-Sima de los huesos, Espagne, LF1 : La Ferrassie 1, France, LCAS : La Chapelle-aux-Saints, France). Real minimal frontal breadth M9(1) and supra-toral width (M43), (D: Dmanissi, Georgia, ER: East-Rudolph, Kenya, OH: Olduvai Hominid, Tanzania, ZKD: Zhoukoudian Lower-Cave, China, Sang: Sangiran, Java, Sm: Sambungmacan, Java, Ng: Ngandong, Java, SH: Atapuerca-Sima de los huesos, Spain, LF1: La Ferrassie 1, France, LCAS: La Chapelle-auxSaints, France). les fossiles les plus anciens (sauf ceux de Zhoukoudian L-C et Sangiran 17) qui présentent un os court ; les fossiles plus récents (ainsi que les crânes de Zhoukoudian L-C et Sangiran 17) qui présentent un os plus long. A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 91 Fig. 15. La largeur frontale minimale réelle M9(1) et la longueur de l’os frontal sans considérer le torus supra-orbitaire, mesurée entre le point post-glabellaire et le bregma (D : Dmanissi, Géorgie, ER : East-Rudolph, Kenya, OH : Olduvai Hominid, Tanzanie, ZKD : Zhoukoudian Lower-Cave, Chine, Sang : Sangiran, Java, Sm : Sambungmacan, Java, Ng : Ngandong, Java, SH : Sima de los huesos, Espagne, LF1 : La Ferrassie 1, France, LCAS : La Chapelle-aux-Saints, France). Minimun frontal breadth M9(1) and length of the frontal bone without considering the supraorbital torus, measeured between the post-glabellar landmark and bregma (D: Dmanissi, Georgia, ER: East-Rudolph, Kenya, OH: Olduvai Hominid, Tanzania, ZKD: Zhoukoudian Lower-Cave, China, Sang: Sangiran, Java, Sm: Sambungmacan, Java, Ng: Ngandong, Java, SH: Atapuerca-Sima de los huesos, Spain, LF1: La Ferrassie 1, France, LCAS: La Chapelle-aux-Saints, France). Par cette disposition, Kocabaş est proche de Nankin 1. Il n’est pas très éloigné de ER3733 et Daka-Bouri dont l’os frontal est plus court et de OH9 qui est légèrement plus long. En revanche, Kocabaş se distingue des fossiles de Zhoukoudian L-C et de Sangiran 17 avec qui il partage par ailleurs de nombreux caractères (largeur frontale minimale, largeur du torus supra-orbitaire, degré de constriction post-orbitaire et position des lignes temporales). L’indice mettant en relation ces deux variables, la longueur et la largeur M9(1) de l’os frontal (Tableau 3) distingue également deux groupes : les individus dont l’os frontal est de forme rectangulaire (valeurs comprises entre 79 et 88) : Kocabaş, ER3733, OH9, Daka-Bouri, Petralona, Arago 21R et les néandertaliens de La Chapelle-aux-Saints et de La Ferrassie 1 ; les individus dont l’os frontal tend vers la forme carrée (valeurs supérieures à 89) : ER1813, les fossiles de Dmanissi, Nankin 1, les spécimens indonésiens (Sangiran 17, Sambungmacan 3, Ngandong 5 et 12), Dali et Kabwe. Les 3 crânes de Zhoukoudian font partie de ce groupe. Ils présentent un os frontal légèrement plus long que large. 6.2. Analyse Procrustes La somme des trois premiers axes de l’ACP (Fig. 16) représente 53,3 % de la variance totale (premier axe : 28,8 % ; deuxième axe : 17 % ; troisième axe : 7,5 %). 92 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Fig. 16. Analyse en composantes principales – 54 individus, 12 points de repère, 3D. Homo georgicus : 1, D2280 ; 2, D2282. Homo ergaster : 3, KNM-ER3733 ; 4, KNM-ER3883. Homo erectus d’Afrique : 5, OH9 ; 6, Bodo 1 ; 7, Kabwe. Homo erectus de Chine : 8, Zhoukoudian 3 ; 9, Zhoukoudian 11 ; 10, Zhoukoudian 12 ; 11, Dali ; 12, Nankin 1. Homo erectus d’Indonésie : 13, Sangiran 17 ; 14, Ngandong 7 ; 15, Ngandong 6 ; 16, Sambungmancan 3 ; 17, Ngawi 1. Homo erectus d’Europe (Homo heidelbergensis) : 18, Arago 21R ; 19, Ceprano ; 20, Sima de los Huesos 5 ; 21, Petralona. Homo neanderthalensis : 22, Saccopastore 1 ; 23, La Chapelle-aux-Saints 1 ; 24, La Quina H5 ; 25, Guattari 1 ; 26, La Ferrassie 1 ; 27, Neandertal ; 28, Teshik Tash ; 29, Amud 1. ^ : Homo sapiens. Principal component analysis – 54 individuals, 12 landmarks, 3D. Homo georgicus: 1, D2280; 2, D2282. Homo ergaster: 3, KNM-ER3733; 4, KNM-ER3883. African Homo erectus: 5, OH9; 6, Bodo 1; 7, Kabwe. Chinese Homo erectus: 8, Zhoukoudian 3; 9, Zhoukoudian 11; 10, Zhoukoudian 12; 11, Dali; 12, Nankin 1. Indonesian Homo erectus: 13, Sangiran 17; 14, Ngandong 7; 15, Ngandong 6; 16, Sambungmancan 3; 17, Ngawi 1. European Homo erectus (Homo heidelbergensis): 18, Arago 21R; 19, Ceprano; 20, Sima de los Huesos 5; 21, Petralona. Homo neanderthalensis: 22, Saccopastore 1; 23, La Chapelle-aux-Saints 1; 24, La Quina H5; 25, Guattari 1; 26, La Ferrassie 1; 27, Neandertal; 28, Teshik Tash; 29, Amud 1. ^: Homo sapiens. L’os frontal de Kocabaş, avec 0,093 sur l’axe 1, fait partie des plus faibles valeurs obtenues. Il correspond à une conformation crânienne caractérisée par : une écaille frontale courte ; un écartement postérieur des lignes temporales faible ; une forte largeur entre les apophyses orbitaires externes ; une forte constriction post-orbitaire. Le fossile turc partage cette conformation avec les Homo georgicus (D2280, D2282) et les Homo erectus anciens et récents d’Afrique (KNM-ER3733, ER3883, OH9, Bodo et Kabwe) se A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 93 distinguant des Homo erectus de Chine (Nankin 1 mis à part), d’Indonésie et des homininés du Pléistocène moyen et supérieur d’Europe. L’os frontal de Kocabaş présente une valeur positive selon l’axe 2 (0,021). Il correspond à une conformation crânienne caractérisée par : un frontal relativement large et court dans son ensemble ; un bord sphénoïdal moyennement allongé ; une faible expansion de la portion postérieure du frontal. En conclusion, le graphique de l’Analyse en Composantes Principales des superpositions rapproche Kocabaş des Homo ergaster (ER3733 et ER3883) et des Homo erectus africains (OH9, Bodo, Kabwe). 6.3. Caractères anatomiques Sur le fossile de Kocabaş, le torus supra-orbitaire, au sein duquel les arcades orbitaire et sourcilière sont confondues, est large et proéminent. Son épaisseur paraît constante sur la portion concernée (entre 13 et 14 mm). Étant donné son altération, il n’est pas possible de connaître l’aspect de la région glabellaire. Il n’y a pas d’épaississement latéral ou trigone. L’extrémité latérale du torus supra-orbitaire (processus zygomatique du frontal) est très courte et s’incurve légèrement. La face exocrânienne du torus rejoint le plafond de l’orbite selon une convexité régulière. Dans son tiers médial, une incisure supra-orbitaire, courte et profonde, est bordée d’un tubercule proéminent et arrondi. La dépression supra-glabellaire est marquée, formant une gouttière qui suit la base du bombement de l’écaille frontale. Latéralement, l’espace, quasiment triangulaire, bordé par la ligne temporale et le bord postérieur du torus supra-orbitaire est nettement déprimé. Les lignes temporales, moyennement hautes, forment sur l’os frontal un bourrelet unique délimitant la zone infra-temporale composée d’une fosse antérieure courte et profonde et d’une portion postérieure convexe verticalement dans le plan coronal. La voûte bipariétale présente une convexité régulière sans reliefs sagittaux. Les lignes temporales, peu marquées sur le pariétal, se divisent en un faisceau supérieur et inférieur. La suture sagittale, non synostosée, est composée d’indentations courtes et épaisses. 6.3.1. Comparaisons avec Homo habilis, georgicus, ergaster Par rapport aux Homo habilis-rudolfensis (KNM-ER1813 et ER1470), Kocabaş (Tableau 4) présente un torus supra-orbitaire plus large et de hauteur constante alors qu’il est étroit et arqué au-dessus de chaque orbite sur ER1813. À l’inverse de ce dernier, le processus zygomatique du frontal, court, n’est pas individualisé sur le fossile turc chez qui un tubercule et une incisure supra-orbitaires sont nettement développés alors qu’ils sont absents sur les Homo habilis. Kocabaş se différencie également de ces derniers par une position avancée du point frontotemporal et une dépression supra-totale latérale bien marquée. Ensemble, ils partagent l’absence de trigone, le développement de la fosse infra-temporale et de sa convexité postérieure. Par rapport aux Homo georgicus, Kocabaş (Tableau 4) se distingue par les caractères suivants : le développement net d’un sulcus supra-glabellaire (atténué voire absent chez H. georgicus) ; la position antérieure du point fronto-temporal (qui est postérieure chez H. georgicus) ; 94 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Tableau 4 Comparaison des caractères anatomiques de Kocabaş et des Homo habilis-rudolfensis, des Homo georgicus, Homo ergaster et Homo erectus anciens d’Afrique. Comparisons between the anatomical features of Kocabaş and those on Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus, Homo ergaster and archaic Homo erectus from Africa. Spécimen Kocabas ER1813 Largeur tso tso rectiligne/arqué Dév. du trigone Process Z du F court/indiv Bord inf tso aigu/mousse Incisure supraorbit A/P Tubercule supraorbit A/P Sulcus supraglabellaire A/P Sulcus supraorbit lat A/P Dév. LT sur faible/fort Dév. LT sur P faible/fort Position ft ant/post Dév. fosse infra-temp faible/fort Convexité infra-temp post A/P Reliefs sag sur P A/P Large Rectiligne Absent Court ER1470 D2280 D2282 D2700 ER3733 ER3883 OH9 Étroit Étroit Arqué Absent Absent Individualisé Court Large Rectiligne Absent Court Étroit Arqué Absent Individualisé Étroit Absent Absent Individualisé Étroit Rectiligne Absent Individualisé Large Rectiligne Absent Individualisé Très large Très large Rectiligne Arqué Présent Individualisé Mousse Aigu Mousse Aigu Aigu Aigu Mousse Présente Absente Aigu Présente Présente Présente Absente Absente Présente Daka-Bouri Présent Absent Présent Présent Présent Présent Absent Présent Présent Présent Absent Absent Présent Absent Présent Présent Présent Présent Présent Absent Absent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Fort Fort Faible Fort Fort Fort Fort Fort Fort Fort Faible Fort Faible Fort Fort Fort Fort Faible Fort Postérieure Postérieure Postérieure Postérieure Postérieure Postérieure Postérieure Antérieure Postérieure Fort Fort Fort Fort Fort Fort Fort Fort Fort Présente Présente Présente Présente Présente Présente Présente Présente Présente Absent Présent Absent Présent Présent Présent le faible développement des lignes temporales sur le pariétal (plus marquées sur H. georgicus) ; l’absence de reliefs sagittaux sur la voûte bipariétale (nets sur H. georgicus). Ensemble, ils partagent : la présence d’un tubercule et d’une incisure supra-orbitaires ; l’absence de trigone ; la présence d’un sulcus supra-toral latéral ; la morphologie de la zone infra-temporale composée d’une fosse marquée et d’un bombement postérieur. Parmi les fossiles de Dmanissi, Kocabaş est plus proche de l’adulte D2280 par les caractères suivants : une largeur importante du torus supra-orbitaire dont la hauteur est constante ; un processus zygomatique de l’os frontal court et peu individualisé ; un bord inférieur du torus supra-orbitaire mousse et arrondi. Par rapport aux Homo erectus anciens d’Afrique (Homo ergaster), Kocabaş (Tableau 4) est très proche de KNM-ER3733 et ER3883, par la morphologie de son torus supra-orbitaire caractérisé par : A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 95 sa largeur ; sa hauteur constante ; l’absence de trigone ; la présence d’un sulcus supra-glabellaire et d’un sulcus supra-toral latéral. Et par la disposition de la zone infra-temporale composée d’une fosse antérieure marquée et, postérieurement, d’un bombement de la paroi de l’os frontal. Seules l’individualisation du processus zygomatique du frontal et la position postérieure du point fronto-temporal distinguent les Homo ergaster du fossile turc. Les mêmes différences sont notables avec le crâne OH9 chez qui, de plus, le torus supraorbitaire est nettement plus large avec un trigone développé. Sur Daka-Bouri, le torus supra-orbitaire est également plus large que sur Kocabaş et la morphologie de la zone infra-temporale est différente (sans bombement sur le fossile africain). 6.3.2. Par rapport aux Homo erectus anciens de Chine et de Java La conservation de Yunxian II R ne permet pas une comparaison approfondie avec le fossile turc mais quelques différences sont notables : l’absence de convexité dans la zone infratemporale postérieure et la plus grande largeur du torus supra-orbitaire de Yunxian II R qui correspond à un individu de grande taille (Tableau 5). Les fossiles chinois plus récents, notamment Nankin 1 et le crâne 3 de Zhoukoudian L-C, présentent une morphologie frontale proche de celle de Kocabaş. Les individus adultes de Zhoukoudian L-C se distinguent cependant par un torus supra-orbitaire arqué au-dessus de Tableau 5 Comparaison des caractères anatomiques de Kocabaş et des Homo erectus anciens de Chine et de Java. Comparisons between the anatomical features of Kocabaş and those on archaic Homo erectus from China and Java. Spécimen Kocabas Yunxian II R Nankin 1 ZKD3 ZKD10 ZKD11 ZKD12 S17 Largeur tso tso rectiligne/arqué Dév. du trigone Process Z du F court/indiv Bord inf tso aigu/mousse Incisure supraorbit A/P Tubercule supraorbit A/P Sulcus supra-orbit glabellaire A/P Sulcus supra-orbit lat A/P Dév. LT sur F Faible/Fort Dév. LT sur P Faible/Fort Position ft ant/post Dév. fosse infra-temp faible/fort Convexité infra-temp post A/P Reliefs sag sur P A/P Large Rectiligne Absent Court Très large Large Arqué Présent Court Large Rectiligne Absent Arqué Présent Large Arqué Présent Large Arqué Présent Individualisé Large Arqué Présent Individualisé Mousse Mousse Aigu Mousse Aigu Présente Absente Présente Présente Présente Présent Absent Présent Présent Présent Absent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Absent Mousse Présente Présente Présent Présent Présent Présent Fort Faible Faible Faible Faible Faible Faible Fort Faible Faible Faible Faible Faible Faible Faible Fort Antérieure Fort Faible Antérieure Fort Antérieure Fort Antérieure Fort Antérieure Fort Antérieure Fort Postérieure Fort Présente Absente Présente Présente Présente Présente Présente Présente Absent Absent Présent Présent Présent Présent Présent 96 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 chaque orbite et la présence d’un trigone, bien développé, aux extrémités latérales. Sur le frontal, les lignes temporales sont peu marquées et un bombement sagittal est perceptible sur le pariétal, ce qui n’est pas le cas sur le fossile turc. Par rapport aux individus plus anciens considérés précédemment (Homo habilis, Homo ergaster, Homo georgicus), le point fronto-temporal est, sur tous les Homo erectus, en position antérieure. Chez les fossiles anciens, le torus supra-orbitaire est plus gracile et étroit, le trigone est peu développé, les lignes temporales sont plus marquées et le point fronto-temporal est en position postérieure. Comme les fossiles de Zhoukoudian L-C (notamment le crâne 12), Sangiran 17 se distingue de Kocabaş par un torus supra-orbitaire arqué au-dessus de chaque orbite, avec un trigone développé à chaque extrémité où le processus zygomatique du frontal est bien individualisé. Sur le fossile indonésien, le point fronto-temporal est en position postérieure et un bombement sagittal est perceptible dans la région bregmatique, ce qui diffère de Kocabaş. 6.3.3. Par rapport aux Homo erectus récents de Java Les fossiles de Sambungmacan, Ngandong et Ngawi (Tableau 6) se distinguent de Kocabaş par un épaississement du torus supra-orbitaire dans ses extrémités latérales (trigone) présentant dans leur continuité un processus zygomatique du frontal bien individualisé. Si un sulcus supratoral est présent latéralement, il est le plus souvent absent au niveau supra-glabellaire. Comme Tableau 6 Comparaison des caractères anatomiques de Kocabaş et des Homo erectus récents de Chine et de Java. Comparisons between the anatomical features of Kocabaş and those on recent Homo erectus from China and Java. Spécimen Kocabas Ng 5 Ng 6 Ng 7 Ng 12 Largeur ts o tso rectiligne/arqué Dév. du trigone Process Z du F court/indiv Bord inf ts o aigu/mousse Incisure supraorbit A/P Tubercule supraorbit A/P Sulcus supraglabellaire A/P Sulcus supra-orbit lat A/P Dév. LT sur F faible/fort Dév. LT sur P faible/fort Position ft ant/post Dév. fosse infratemp faible/fort Convexité infratemp post A/P Reliefs sag sur P A/P Large Rectiligne Absent Court Arqué Présent Arqué Présent Individualisé Arqué Présent Très large Large Arqué Arqué Présent Présent Individualisé Très large Arqué Absent Individualisé Mousse Mousse Mousse Mousse Mousse Mousse Présente Présente Présente Présente Présente Présente Absente Présent Présent Présent Présent Présent Absent Absent Présent Absent Absent Absent Absent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Présent Absent Présent Fort Fort Fort Fort Fort Faible Fort Faible Fort Fort Fort Fort Faible Fort Postérieure Faible Postérieure Faible Postérieure Faible Antérieure Antérieure Faible Faible Antérieure Postérieure Faible Fort Hexian Dali Présente Présente Présente Présente Présente Absente Absente Absent Présent Présent Présent Présent Absent Présent A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 97 sur le fossile turc, le tubercule et l’incisure supra-orbitaires sont présents et les lignes temporales sont marquées sur le frontal. Elles sont également développées sur le pariétal, à la différence de Kocabaş dont les crânes indonésiens se distinguent également par la position postérieure du point fronto-temporal, le développement d’un bombement sagittal et le faible creusement de la fosse infra-temporale. En revanche, celle-ci délimite une nette convexité postérieurement. 6.3.4. Par rapport aux Homo erectus récents de Chine Kocabaş (Tableau 6) se distingue des fossiles chinois récents, Hexian et Dali, par la morphologie du torus supra-orbitaire et de la zone infra-temporale qui, chez les seconds, ne présente ni fosse antérieure très marquée ni convexité postérieure. 6.3.5. Par rapport aux homininés du Pléistocène moyen d’Europe et d’Afrique Le torus supra-orbitaire est large, non constant dans sa hauteur, et présente un trigone bien développé dans ses extrémités latérales, ce qui est différent de la disposition observée sur Kocabaş (Tableau 7). À part sur Arago 21R, le processus zygomatique du frontal est bien individualisé sur les fossiles plus récents. Ces derniers, Kabwe mis à part, ne présentent pas de fosse infra-temporale marquée et, postérieurement, de forte convexité de la paroi de l’os frontal. En revanche, comme sur Kocabaş, une incisure supra-orbitaire est généralement présente et, sur tous, un sulcus tant supra-glabellaire que supra-toral latéral est bien marqué. Le tubercule supraorbitaire, quand il est présent, est faiblement marqué. 6.3.6. Par rapport aux Néandertaliens Ils présentent un torus supra-orbitaire plus large et arqué au-dessus de chaque orbite, ce qui diffère de Kocabaş (Tableau 7). Comme sur ce dernier, le trigone n’est pas développé et les sulcus glabellaire et supra-orbitaire sont marqués, mais, chez les Néandertaliens, aucun tubercule et incisure supra-orbitaires ne sont observables et le processus zygomatique de l’os frontal est bien individualisé. Enfin la zone infra-temporale, dont la fosse antérieure est peu marquée et la convexité postérieure absente, est bien différente de la morphologie observée sur le fossile turc. En résumé, par la morphologie de son os frontal, le crâne de Kocabaş se distingue nettement des fossiles du Pléistocène moyen et supérieur. Il est proche des spécimens du Pléistocène Tableau 7 Comparaison des caractères anatomiques de Kocabaş et des homininés du Pléistocène moyen et supérieur d’Europe et d’Afrique. Comparisons between the anatomical features of Kocabaş and those on Middle and Upper Pleistocene hominins from Europe and Africa. Spécimen Kocabas Arago 21 R Petralona Kabwe LCAS LF1 Guattari 1 Neanderthal Largeur tso tso rectiligne/arqué Dév. du trigone Process z du F court/indiv Bord inf ts o aigu/mousse Incisure supra-orbit A/P Tubercule supra-orbit A/P Sulcus supra-glabellaire A/P Sulcus supra-orbit lat A/P Dév. LT sur F faible/fort Dév. LT sur P faible/fort Position ft ant/post Dév. fosse infra-temp faible/fort Convexité infra-temp post A/P Reliefs sag sur P A/P Large Rectiligne Absent Court Mousse Présente Présent Présent Présent Fort Faible Antérieure Fort Présente Absent Très large Arqué Présent Court Mousse Présente Présent Présent Présent Fort Fort Antérieure Faible Absente Très large Arqué Présent Individualisé Mousse Présente Absent Présent Présent Fort Faible Postérieure Faible Absente Présent Très large Arqué Présent Individualisé Mousse Présente Présent Présent Présent Fort Fort Antérieure Fort Présente Présent Large Arqué Absent Individualisé Aigu Absente Absent Présent Présent Fort Fort Antérieure Faible Absente Absent Très large Arqué Absent Individualisé Mousse Absente Absent Présent Présent Fort Faible Antérieure Faible Absente Absent Très large Arqué Absent Individualisé Mousse Absente Absent Présent Présent Faible Faible Antérieure Faible Présente Absent Très large Arqué Absent Individualisé Aigu Absente Absent Présent Présent Faible Faible Antérieure Faible Présente Absent 98 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 inférieur dont l’os frontal se caractérise par de faibles dimensions, des lignes temporales hautes délimitant une zone infra-temporale caractérisée par une fosse antérieure marquée et une nette convexité postérieure, un torus supra-orbitaire bordé postérieurement par un sulcus supra-toral et présentant, inférieurement, une incisure et un tubercule supra-orbitaires. Parmi ces fossiles, c’est, d’une part, des Homo ergaster (ER3733 et ER3883) et, d’autre part, des Homo erectus chinois (Nankin 1 et le crâne 3 de Zhoukoudian L-C) dont il est le plus proche. Tout en présentant quelques différences anatomiques, il n’est pas éloigné des crânes de Dmanissi, Daka-Bouri et OH9. Avec aucun cependant, il ne partage l’aspect court de son processus zygomatique, caractère qui semble lui être propre. 6.4. Endocrâne 6.4.1. Impressions vasculaires Le rameau bregmatique antérieur de l’artère méningée moyenne est nettement visible, avec des sillons profonds (environ 2 mm). Il est localisé 8 mm en arrière de la suture coronale et se divise, 9 mm au-dessus du bord temporal de l’os pariétal, en deux branches collatérales, une antérieure et une postérieure. Après avoir eu un trajet oblique et antérieur sur 31 mm, la collatérale antérieure se retrouve sur la suture coronale qu’elle suit sur 24 mm jusqu’au niveau de l’endo-bregma. 17 mm après le point de divergence, la collatérale postérieure se subdivise en deux nouvelles collatérales orientées vers le haut et l’arrière sur 38 mm (Fig. 17). Les impressions laissées par le rameau postérieur (dirigé vers l’obélion) sont peu profondes (1 mm de profondeur) et plus étroites que celles du rameau bregmatique. Ce rameau postérieur Fig. 17. Les impressions vasculaires sur la face endocrânienne des pariétaux de Kocabaş (Impression en frittage de poudre polyamide d’après les données tomographiques du spécimen original). The vascular impressions on the endocranial surface of the fragmentary parietals of Kocabaş (3D printing from the CT data of the original specimen). A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 99 est situé 14 mm en arrière du point d’origine du rameau bregmatique et n’est préservé que sur 22 mm de longueur. Sur la surface endocrânienne du pariétal gauche, seule la division du rameau bregmatique en deux collatérales, l’une antérieure et l’autre vers l’arrière, sont observables, 17 mm en arrière de la suture coronale. La branche antérieure s’étire sur 35 mm jusqu’à atteindre la suture coronale. La branche postérieure mesure 34 mm, le long du plan de coupe du pariétal. Sur les deux os pariétaux de Kocabaş le sinus longitudinal supérieur n’est pas visible le long de la suture sagittale. La disposition des vaisseaux méningés antérieurs, localisés dans le tiers antérieur des os pariétaux, et leur orientation vers le bord sagittal, observées sur le neurocrâne de Kocabaş sont des caractères communs chez les homininés anciens (Grimaud-Hervé, 1997). 6.4.2. Impressions céphaliques La fosse ethmoïdo-frontale qui peut être observée sur la surface endocrânienne de l’os frontal est profonde chez Kocabaş. La crête frontale forme une crête marquée et pointue. Ces deux caractères impliquent la présence d’un bec frontal. Ce dernier, reconstitué, est formé par l’extension de la première et de la deuxième circonvolution frontale entre les cavités orbitaires. La courbure régulière des lobes frontaux et du bec frontal de Kocabaş semble proche de celles des homininés anciens (Grimaud-Hervé, 1997 ; Grimaud-Hervé et al., 2006). De plus, la fissure inter-hémisphère qui divise en deux parties droite et gauche le bec frontal de Kocabaş est large, tout comme chez les homininés archaïques. 6.5. Paléopathologie Sur la face endocrânienne, au niveau de la fosse crânienne antérieure droite, la présence de nombreuses granulations de petite taille, plus ou moins arrondies avec une surface plane ont été attribuées à une tuberculose de type Leptomeningitis tuberculosa (Kappelman et al., 2008). Les auteurs attribuent cette réaction inflammatoire à un déficit en vitamine D qui serait dû à un faible ensoleillement au cours de migrations dans des zones situées plus au nord de l’Afrique. D’autre part, ils considèrent que la peau noire des populations originaires de l’Afrique (Homo erectus) serait une barrière aux bienfaits du soleil, d’où une plus grande sensibilité aux agressions microbiennes. Pour les auteurs, ces hypothèses sont essentiellement basées sur l’attribution chronologique du fossile au MIS 13 (0,5 Ma). D’après les récents travaux magnétostratigraphiques, géochronologiques et biochronologiques, le site peut être daté de plus de 1,1 Ma. L’Homme de Kocabaş vivait alors sous un climat tempéré. Le déficit d’ensoleillement n’est donc pas argumenté ni par la végétation ni par la faune contemporaine. Une analyse anatomo-pathologique est à envisager pour préciser le diagnostic de l’étiologie des lésions éventuelles. 7. Place de la calotte crânienne de Kocabaş parmi les homininés fossiles Le fossile de Kocabaş présente un double intérêt : il atteste la présence d’une forme d’Homo erectus très ancienne sur la péninsule anatolienne, proche des Homo ergaster ; 100 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 situé dans une zone carrefour, entre l’Afrique et l’Eurasie, il apparaît comme un intermédiaire au niveau géographique, mais également chronologique, entre les représentants africains et asiatiques de cette espèce. Afin de situer la calotte crânienne de Kocabaş, dénommée Homme de Denizli, découverte en novembre 2002 par Mehmet Cihat Alçiçek datée d’un peu plus de 1,1 Ma, parmi l’ensemble des homininés fossiles d’Afrique, d’Europe et d’Asie, nous avons procédé à des études anatomiques, métriques et morphométriques avec Analyse en Composantes Principales et méthode Procruste. 7.1. Comparaisons avec le groupe Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus, Homo antecessor Dans un premier temps, Kocabaş peut être comparé à des formes graciles telles que le groupe Homo habilis-rudolfensis, (de 2,5 à 1,2 Ma), et Homo georgicus (1,8 Ma) liées à des cultures préoldowayennes et oldowayennes, portées par des peuples charognards qui, après leur sortie d’Afrique, ont progressivement occupé les rivages méditerranéens de l’Europe. Pour Homo antecessor (0,8 Ma) les données sont trop incomplètes pour être comparées en détail. Par certains caractères la calotte crânienne de Kocabaş peut être rapprochée de ce groupe par : une disposition haute des lignes temporales à direction faiblement convergente ; une disposition anguleuse du passage de l’écaille frontale à la face infra-temporale ; une face infra-temporale légèrement convexe ; un rétrécissement post-orbitaire marqué. Néanmoins, Kocabaş se différencie du groupe Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus, Homo antecessor par : ses proportions générales, une taille plus grande ; une expansion de l’écaille frontale plus marquée ; un torus supra-orbitaire individualisé à alignement coronal avec un processus zygomatique court et peu incurvé ; un sulcus supra-toral marqué, continu et plus accusé latéralement ; une position plus antérieure du point fronto-temporal qui traduit une disposition plus dégagée des muscles temporaux en relation avec une expansion de l’écaille frontale plus nette. 7.2. Comparaisons avec les Homo ergaster Kocabaş peut être comparé avec les Homo ergaster ER3733 (1,8 Ma), ER3883 (1,6 Ma) et WT 15000 (1,6–1,5 Ma), les plus anciens homininés auteurs des industries à bifaces portées par des peuples chasseurs. Par beaucoup de caractères la calotte de Kocabaş peut être rapprochée de ces Homo ergaster, principalement des deux adultes ER3733 et ER3883 : certaines largeurs sont proches : largeur frontale minimale, largeur bi-stéphanique, largeur biorbitaire externe ; une constriction post-orbitaire marquée ; une dépression supra-torale profonde ; A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 101 des insertions du muscle temporal convergentes postérieurement ; une écaille frontale courte et large ; l’Analyse en Composantes Principales des résidus Procrustes à partir de 12 points de repères craniométriques rapprochent Kocabaş des Homo ergaster, en particulier de l’individu ER3883. Cependant, Kocabaş en diffère par : un torus supra-orbitaire plus massif sur Kocabaş ; une divergence postérieure de l’écaille frontale, moins marquée sur Kocabaş. 7.3. Comparaisons avec les Homo erectus africains Il y a lieu de distinguer parmi les Homo erectus africains, les plus anciens OH9 (1,4–1,2 Ma), Daka-Bouri (1 Ma) et les plus récents, Bodo (0,6 Ma) et Kabwe (Broken-Hill) (0,3 à 0,125 Ma). L’Analyse en Composantes Principales rapproche Kocabaş de l’ensemble des Homo erectus africains. C’est avec celle des Homo erectus d’Afrique les plus anciens, OH9 et Daka-Bouri que la calotte de Kocabaş a le plus d’affinités, en particulier : la présence d’un torus supra-orbitaire saillant surmonté d’une dépression supra-torale nette ; la largeur maximale de la portion supérieure de la face (M43) ; une forte constriction post-orbitaire ; une largeur semblable de la portion postérieure du frontal. Des différences peuvent être mises en évidence avec ces formes anciennes d’Homo erectus africains. Il est possible de noter : une largeur maximale du torus supra-orbitaire moins marquée sur Kocabaş ; Sur OH9, les apophyses zygomatiques, longues et individualisées se projettent en arrière et sont nettement incurvées vers le bas sur Daka-Bouri ; des crêtes temporales moins marquées sur le pariétal de Kocabaş ; la face infra-temporale est plus convexe sur Kocabaş que sur Daka-Bouri. La verticalité de cette face sur Daka-Bouri est vraisemblablement liée aux forts ancrages des muscles temporaux. Sur Kocabaş les muscles temporaux paraissent moins puissants. 7.4. Comparaisons avec les Homo erectus européens (Homo heidelbergensis) Les Homo erectus européens actuellement connus, tels que Arago 21R (0,45 Ma), Ceprano (0,4 Ma), Sima de los Huesos (0,35 Ma), Petralona (0,2 Ma ?), beaucoup plus récents que les Homo erectus plus anciens d’Afrique correspondent à des peuples chasseurs porteurs d’une industrie acheuléenne à bifaces qui ont peuplé l’Europe méridionale, il y a un peu plus de 0,6 Ma. Ils correspondent vraisemblablement à une deuxième grande vague du peuplement de l’Europe méridionale. Kocabaş présente peu de caractères communs avec ces populations : un torus supra-orbitaire saillant. 102 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Et il s’en différencie par : des dimensions du frontal inférieures sur Kocabaş ; des lignes temporales situées plus haut ; une face infra-temporale oblique sur Kocabaş ; une très forte constriction post-orbitaire ; un os frontal plus court ; une fissure inter-hémisphérique du bec encéphalique, visible sur la reconstruction de l’encéphale plus large sur Kocabaş. Par ces caractères, la calotte de Kocabaş paraît plus archaïque que les Homo erectus européens. 7.5. Comparaisons avec les Homo erectus de Chine Deux populations d’Homo erectus peuvent être prises en compte en Chine. Les plus anciennes telles que l’Homme de Lantian (1 Ma environ), Yunxian (0,936 Ma). Les formes plus récentes, telles que Zhoukoudian L-C (entre 0,45 et 0,20 Ma), Hexian (0,40–0,20 Ma) et Nankin 1 (0,50– 0,20 Ma). Kocabaş est globalement différent des Homo erectus de Chine. Comme sur les formes plus anciennes (Yunxian), Kocabaş présente : un torus supra-orbitaire bien individualisé. Il s’en différencie par : des dimensions inférieures : longueur, largeur ; une dépression supra-torale plus profonde sur Kocabaş ; des crêtes temporales plus haut situées est plus anguleuses ; une fosse infra-temporale plus profonde. Avec les Homo erectus de Chine plus évolués, comme ceux de Zhoukoudian L-C, Hexian et Nankin 1 qui constituent une population assez homogène, la calotte de Kocabaş présente quelques ressemblances : un torus, d’épaisseur continue en particulier sur Zhoukoudian L-C et Nankin 1 ; un processus zygomatique court, mal individualisé sur Nankin 1 comme sur Kocabaş ; une dépression supra-torale nette ; un renflement de la portion infra-temporale net ; les petites dimensions globales de Kocabaş le rapprochent dans certains cas du crâne 3 de Zhoukoudian L-C qui est lui-même de petite taille et attribué à un adolescent. En revanche, Kocabaş se différencie nettement de ces Homo erectus chinois récents par : un torus plus massif sur Kocabaş ; un processus zygomatique court, peu individualisé ; un frontal plus court sur Kocabaş ; A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 103 une constriction post-orbitaire plus marquée sur Kocabaş ; des crêtes temporales plus marquées sur le frontal de Kocabaş et plus convergentes postérieurement ; une plus faible expansion de l’écaille frontale, moins divergente sur Kocabaş. 7.6. Comparaisons avec les Homo erectus de Java Comme pour les Homo erectus de Chine, il y a lieu de distinguer deux populations. La plus ancienne regroupe de nombreuses calottes d’hommes fossiles, dont Sangiran 17 (0,75 Ma), Trinil. Les formes les plus récentes sont représentées par Sambungmacan (0,50 Ma), Ngandong (0,25–0,07 Ma), Ngawi (0,1 Ma). Kocabaş est très différent de l’ensemble des Homo erectus de Java. Néanmoins, il peut être rapproché de Sangiran 17 par quelques caractères : un torus supra-orbitaire bien individualisé ; des crêtes temporales, hautes, convergentes, comme sur Sangiran 17. D’autre part, sur quelques fossiles tels que Nangdong 10 et 12 : présence d’un processus zygomatique court, peu individualisé. Kocabaş se différencie de Sangiran 17 : par sa petite taille générale et en particulier par ses largeurs plus faibles, l’absence de carène sagittale antérieure, une dépression supra-torale plus nette sur Kocabaş, absence de processus zygomatique individualisé sur Kocabaş ; une facette infra-temporale oblique et convexe sur Kocabaş. Comparé aux Homo erectus de Java plus récents, Sambungmacan, Ngandong, Nagwi, les différences sont nombreuses. Kocabaş se différencie par : un torus supra-orbitaire de hauteur constante avec un trigone peu saillant sur Kocabaş ; une dépression supra-torale plus marquée ; un frontal moins long et moins large ; une constriction post-orbitaire plus forte sur Kocabaş ; un frontal très divergent chez Kocabaş. 7.7. Comparaisons avec les Néandertaliens La calotte crânienne de Kocabaş, par ses caractères morphologiques et morphométriques, est très éloignée des crânes néandertaliens. Si elle présente quelques ressemblances avec celles des Néandertaliens par : la présence d’un torus supra-orbitaire dont la région glabellaire ne peut être observée sur Kocabaş. Elle présente néanmoins de grandes différences : 104 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 le torus supra-orbitaire présente une épaisseur plus régulière sur Kocabaş que chez les Néandertaliens ; le processus zygomatique du frontal est peu développé sur Kocabaş ; la constriction post-orbitaire est très forte sur Kocabaş alors qu’elle est moins marquée chez les Néandertaliens ; la face infra-temporale est moins verticale et plus convexe chez Kocabaş que chez les Néandertaliens ; l’os frontal est plus court et plus étroit que celui des Néandertaliens ; l’écaille frontale est anguleuse au niveau de l’intersection de la suture coronale avec les lignes temporales ; les crêtes temporales sont plus hautes et plus marquées sur Kocabaş. En conclusion de l’étude comparée de la calotte crânienne de Kocabaş avec les autres homininés fossiles, celle-ci apparaît plus évoluée que celles du groupe gracile des Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus et plus archaïque que celles des Homo erectus européens Fig. 18. Situation chronologique relative des homininés du Pléistocène inférieur et moyen d’Afrique, d’Europe et d’Asie. Chronological position of the Lower and Middle Pleistocene hominids from Africa, Europe and Asia. A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 105 (Homo heidelbergensis) : Arago 21R, Ceprano, Sima de los Huesos, Petralona, et celles des Homo neanderthalensis (Fig. 18). Par sa morphologie, Kocabaş est proche des Homo ergaster et des Homo erectus d’Afrique et d’Asie. Il se distingue des asiatiques par les proportions de son écaille frontale, plus restreintes, et une constriction post-orbitaire plus marquée. 8. Conclusion Par ses caractères anatomiques et morphométriques, la calotte crânienne de Kocabaş, datée d’un peu plus de 1,1 Ma, paraît très proche des Homo erectus africains anciens contemporains, tels que Daka-Bouri et OH9. Différent des formes graciles d’Homo habilis-rudolfensis, Homo georgicus, Homo antecessor, Kocabaş présente de nombreuses ressemblances avec les formes d’Homo ergaster. Kocabaş se caractérise par une écaille frontale courte présentant une expansion de sa partie antérieure. Néanmoins, sa portion postérieure reste étroite, inférieure à la largeur mesurée sur Homo ergaster. Le faible développement des lignes temporales observé sur le pariétal de Kocabaş pourrait résulter d’une faible sollicitation musculaire. Quelques similitudes ont été relevées entre Kocabaş et les formes graciles des Homo erectus chinois qui se discrimine par ailleurs par une proportion générale de l’écaille plus courte et une constriction post-orbitaire plus forte (sur Kocabaş). Les résultats de cette étude permettent de situer le fossile de Kocabaş entre les formes les plus anciennes d’Homo erectus-ergaster et les Homo erectus asiatiques et africains. Kocabaş peut être considéré comme le représentant d’une population peu connue en Eurasie. Elle est mieux documentée en Afrique (Olduvai, Daka-Bouri, Buia) et présente une diversité biologique certaine. Kocabaş paraît s’intégrer au sein de cette variabilité. Il partage les proportions et le degré d’expansion de l’écaille frontale de Daka-Bouri. Il faut cependant reconnaitre une différence au niveau du torus supra-orbitaire qui est moins développé sur Kocabaş que sur l’africain Daka-Bouri. De plus, la convexité infra-temporale est absente sur Daka-Bouri et la longueur de l’écaille est légèrement plus faible que sur Kocabaş. Il serait tentant d’attribuer ces différences morphologiques à une différence de contrainte musculaire. Chez Kocabaş, aux reliefs musculaires plus atténués, la contrainte paraît moins marquée que sur Daka-Bouri. Sur OH9, les proportions du frontal sont comparables à celles de Kocabaş avec néanmoins une différence nette dans la largeur de la partie antérieure du frontal (plus importante sur OH9). De plus, le torus supra-orbitaire est très développé chez le fossile africain. Ces trois fossiles (Kocabaş, Daka-Bouri, OH9), à peu près contemporains, présentent des proportions identiques mais des différences notables dans la partie antérieure du frontal et de sa superstructure. Situé dans une zone carrefour, entre l’Afrique et l’Eurasie, le fossile turc apparaît comme un intermédiaire, au niveau géographique mais également chronologique, entre les représentants asiatiques et africains de cette espèce. Il comble une lacune paléontologique et constitue un argument tangible concernant l’extension depuis l’Afrique des Homo erectus à travers l’Ancien Monde, à partir de 1,8 Ma. Kocabaş paraît appartenir à une population d’Homo erectus porteuse d’une culture acheuléenne à bifaces, sortie d’Afrique entre 1,4 Ma (Ubeydia, Israël) et 1,1 Ma qui aurait fait suite aux populations graciles porteuses des industries préoldowayennes et oldowayennes. 106 A. Vialet et al. / L’anthropologie 118 (2014) 74–107 Remerciements Le programme de recherche portant sur le fossile de Kocabaş dans la région de Denizli est coordonné par l’Institut de Paléontologie Humaine, en France, en partenariat avec l’université Pamukkale, en Turquie. Il bénéficie du soutien du programme TUBITAK-CNRS (financement no 110Y335), TUBITAK no 105Y280 et de l’Académie des Sciences de Turquie pour la « Outstanding Young Scientist Award » (TUBA-GEBIP). La société Pernod-Ricard en Turquie a également apporté son soutien financier aux missions réalisées sur le terrain, qu’elle en soit ici vivement remerciée. Références Alçiçek, M.C., Kazanci, N., Şen, Ş., Kappelman, J., Ozkul, M., 2006. 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