idée d`autonomie et de liberté comme éclaircissement du devoir

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Licence de Philosophie 2e année
Année 2013 / 2014
IDÉE D’AUTONOMIE ET DE LIBERTÉ
COMME ÉCLAIRCISSEMENT DU DEVOIR
dans la troisième section du Fondement de la Métaphysique des mœurs
d’Emmanuel KANT
Pierre-Boris THORON
Séminaire de philosophie morale et politique
« Morale déontologique versus éthique utilitariste »
Dirigé par M. Patrick LANG
1
I. PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE ÉTUDIÉE
KANT, lors de la rédaction des Fondements de la Métaphysique des mœurs en
1785, a la volonté d’établir une métaphysique plus sûre, sur des fondements aussi
fermes que ceux des mathématiques, afin de préparer l’établissement d’une éthique ou
d’une morale certaine et démontrable. C’est donc influencé par son environnement
intellectuel et son époque qui accorde peu de crédit à la métaphysique comme science et
discipline de la philosophie, que KANT élabore ses ouvrages tels que la Critique de la
raison pure en 1781, Fondements de la Métaphysique des mœurs en 1785, Critique de
la raison pratique en 1788 et Métaphysique des mœurs en 1797. Ceux-ci traitent de la
morale et nous permettent d’accéder à la critique kantienne de ce point de vue.
Ainsi les Fondements de la Métaphysique des mœurs, traduction que nous
garderons du titre Grundlegung zur Metaphysik der Sitten qui signifie littéralement
« établissement d’un fondement pour la métaphysique des mœurs », que nous pourrions
qualifier comme un ouvrage d’approfondissement pédagogique, a pour but d’exposer la
pensée mal comprise exprimée dans la Critique de la raison pure, de manière plus
accessible, et constitue une transition vers la Critique de la raison pratique qui
accentuera l’effort d’explication, d’accessibilité et d’établissement de la Critique
entamée.
II. INTRODUCTION
En tant que propédeutique de la métaphysique des mœurs, la Grundlegung tente
d’établir le « principe suprême de la moralité »1 en montrant comment ce principe moral
se résout dans l’idée d’autonomie et comment celle-ci apporte la définition positive de
la liberté2. La préface exprime l’importance de la morale et la place qu’elle devra
désormais occuper, tandis que la première section exprime le passage de la
connaissance rationnelle commune de la moralité à sa connaissance philosophique,
analyse et constitue le concept de bonne volonté. La deuxième section poursuit cette
analyse avec la même méthode que dans la Critique de la raison pure et la première
section, qui est dite analytique ; c’est-à-dire qu’elle part de l’expérience, des choses
1
2
Cf. V. DELBOS, Fondement de la métaphysique des mœurs, Introduction, La morale de KANT
Ibid.
2
connues a posteriori, pour rejoindre les conditions premières, pures, issues de la raison ;
les choses connues a priori. C’est le passage de la philosophie morale populaire à la
métaphysique des mœurs, entre autres par l’intermédiaire de l’impératif catégorique, le
seul qui soit la loi de la moralité et l’expression du devoir. Enfin, dans la troisième
section un renversement s’opère. Du point de vue de la méthode tout d’abord ; à présent
elle n’est plus analytique mais synthétique, c’est-à-dire qu’il s’agit, à partir des formes
pures contenues dans la raison, de progresser vers les choses sensibles, la critique de la
raison pure pratique prend forme et constituera une esquisse, un préambule à la Critique
de la raison pratique. KANT, à l’aide de l’analyse de l’impératif catégorique qui
débouche sur le concept d’autonomie, cette dernière supposant la liberté, va dans un
premier temps définir celle-ci de façon négative puis positive et faire de cette dernière le
pilier d’explication de son concept de bonne volonté, donc de devoir.
III. DÉPLOIEMENT DE LA
MÉTHODE SYNTHÉTIQUE ET FONDATION DE LA RAISON
PRATIQUE
À la manière d’un syllogisme, KANT développe sa pensée et son raisonnement
au sujet du concept de la liberté. Comme s’il tirait sur le fil d’une pelote de laine,
l’enquête est menée sans que l’on connaisse encore les enjeux de la démonstration.
1. DÉFINITION NÉGATIVE
L’action des êtres dépourvus de raison est déterminée par des causes étrangères,
extérieures à eux-mêmes. Le facteur, ce qui caractérise cette causalité qui les détermine,
est la nécessité naturelle. À l’inverse, en ce qui concerne les êtres vivants détenteurs de
raison, la volonté, ce qui les fait agir, n’est pas dépendante de causes extérieures. En
effet la propriété de ce qui cause leurs actions est la liberté. Ces deux assertions
pourraient constituer deux prémisses à un syllogisme. Elles mettent en forme une
définition négative de la liberté, conçue comme pouvoir d’agir indépendamment des
causes étrangères.
3
2. CONCEPT POSITIF
Comme l’auteur le précise, toute cause implique effet ; « quelque chose que
nous nommons effet doit être posé par quelque autre chose qui est la cause »1. De plus,
est associée à cette assertion l’existence de lois qui régissent l’implication, la causalité
de l’un à l’autre. La liberté en tant que causalité de la volonté est donc soumise à une
loi, mais celle-ci n’est pas membre des lois de la nature et par là déterminée par la
nécessité naturelle, sans quoi nous aurions à faire à une contradiction : la liberté
ramenée à une nécessité. Comme causalité de la volonté, la liberté est donc une « loi
d’une espèce particulière »2, en ceci qu’elle est à elle-même sa loi ; il y a alors
autonomie de la volonté. Ainsi se présente le concept positif de la liberté.
Rappelons au passage que dans la Critique de la raison pure deux conceptions
de la liberté sont exposées ; la liberté transcendantale est le pouvoir d’agir
indépendamment du mécanisme de la nature, de produire une causalité intelligible et
hors du temps. Par contre, lorsque la raison détermine la volonté en lui fournissant des
règles de conduites, il s’agit de la liberté pratique.
3. ENJEUX ASSOCIÉS À L’IMPÉRATIF CATÉGORIQUE
Si la liberté est à elle-même sa loi, alors il y a identité avec l’impératif
catégorique qui est formulé ainsi : « il ne faut agir que d’après une maxime qui puisse
aussi se prendre elle-même pour objet à titre de loi universelle »3, lui-même identifié
comme le principe de la moralité plus tôt dans la Grundlegung. Le gain majeur à la fin
du premier développement de la troisième section est qu’« une volonté libre et une
volonté soumise à des lois morales sont par conséquent une seule et même chose »4. La
liberté de la volonté supposée, on peut par l’analyse en déduire la moralité5.
1
Fondements de la métaphysique des mœurs, p.179 (Ak IV, 446)
Ibid.
3
Fondements de la métaphysique des mœurs, p.180 (Ak IV, 447)
4
Ibid.
5
Cf. A. PHILONENKO, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. V. DELBOS, Paris, Vrin,
1997, p.128, note 125
2
4
4. JUSTIFICATION DE L’AFFIRMATION DE
LA LIBERTÉ
La liberté n’est démontrable qu’a priori. Sa preuve ne peut être faite par
l’expérience, assujettie aux choses sensibles et par là même à la nécessité naturelle. En
effet, la liberté n’est pas déterminée par des causes étrangères ou extérieures à ellemême. Si l’on veut « attribuer, pour quelque raison que ce soit, la liberté à notre
volonté », nous dit KANT, on ne peut que la supposer. « Je dis donc : tout être qui ne
peut agir autrement que sous l’idée de la liberté est par cela même, au point de vue
pratique, réellement libre »1 ; à quoi est ajouté : « je soutiens qu’à tout être raisonnable,
qui a une volonté, nous devons attribuer nécessairement aussi l’idée de la liberté, et
qu’il n’y a que sous cette idée qu’il puisse agir. »2 Nul besoin donc de prouver
l’existence théorique de la liberté puisque admettre seulement l’idée de la liberté conçue
par la raison de tout être raisonnable suffit à démontrer que du point de vue pratique, en
l’appliquant au réel, la liberté existe effectivement. Alors, l’idée de la liberté exprimant
la causalité de la raison, un être raisonnable qui en agissant ne se considérerait pas
comme libre, cesserait par là même d’être un être raisonnable.3
5. INTÉRÊT JOINT À LA MORALITÉ
KANT a expliqué dans les sections précédentes l’importance de distinguer
l’intérêt lié à une action pour son résultat et la satisfaction qu’elle procure aux
inclinations personnelles, de l’intérêt joint à une action pour elle-même, en accord avec
la validité universelle de la maxime dont elle procède. Le premier est un intérêt
empirique, pathologique, le second est pur et spécifiquement pratique4. Ainsi, il y a
bien un intérêt associé à l’exécution ou à la production d’une action, mais celui-ci n’est
pur que parce que la loi morale, avec laquelle il est associé et en accord, est la loi que
nous nous fixons à nous-mêmes. Cet intérêt, nous n’y sommes pas « poussés »5, comme
le précise KANT, sans quoi cela ne serait pas une volonté absolument bonne puisque le
moteur de l’action ne serait pas d’agir en accord avec l’impératif catégorique mais lié à
nos penchants et nos inclinations qui sont extérieurs, et par là ne reviendrait pas à
1
2
3
4
5
Fondements de la métaphysique des mœurs, p.183 (Ak IV, 448)
Ibid.
Cf. V. DELBOS, Fondements de la métaphysique des mœurs, note 195
Ibid. note 198
Fondements de la métaphysique des mœurs, p.185 (Ak IV, 449)
5
exécuter l’action pour elle-même, mais il est un intérêt que l’on « prend »1 à la
condition que nous fassions usage de notre raison pratique en tant qu’êtres raisonnables.
C’est à ce moment précis que le devoir trouve une explication nouvelle et
éclairante dans la recherche et l’établissement entrepris. Le devoir éprouvé par la
volonté n’est contrainte que dans le cas où celle-ci est unie à une sensibilité, donc
individuelle, ce qui ne se retrouve pas lorsque la volonté se constitue de manière
autonome comme loi, et donc universellement.
IV. LÉGITIMATION DE LA CONCEPTION D’UN MONDE INTELLIGIBLE
1. ANTICIPATION DE L’OBJECTION D’UN CERCLE VICIEUX
Il a fallu que la supposition de la liberté soit faite pour expliquer le devoir
qu’implique la loi morale, de même que c’est dans l’application du devoir envers la loi
morale qu’a été admise la liberté de la volonté. KANT reconnaît avec franchise que la
réflexion arrivée à ce point semble revenir au point de départ ; sans l’intervention d’un
élément nouveau, la démonstration ne peut plus progresser.
La connaissance que nous avons des choses n’existe que par la façon dont nous
les percevons et par la sensation qu’elles impriment en nous, dit KANT. Être doué
d’affects et de sensibilité, ce sont ces qualités qui nous permettent d’avoir une
connaissance des choses, tout du moins telles qu’elles nous apparaissent et nous
affectent, donc en tant que phénomènes, mais non pas telles qu’elles sont en ellesmêmes. Admettre qu’il y a une différence entre ce qu’est un objet tel qu’il nous
apparaît, en tant que phénomène, et ce que cet objet est en lui-même, en soi, en tant que
noumène, semble à présent indéniable.
2. ARGUMENT DE L’EXISTENCE D’UN MONDE INTELLIGIBLE
Ainsi est posée la thèse de l’existence de deux mondes distincts ; l’un sensible
relatif aux phénomènes, choses qui fluctuent, l’autre intelligible, fondement du premier,
1
Fondements de la métaphysique des mœurs, p.185 (Ak IV, 449)
6
où résident les noumènes, choses en soi. Les phénomènes sont relatifs à notre sensibilité
tandis que les noumènes, choses en soi et fondements des phénomènes, ne peuvent
tomber sous notre connaissance. Toute connaissance étant enfermée dans les limites de
l’expérience, si le monde intelligible peut et doit être affirmé, il ne saurait être connu1.
Selon KANT, il en est de même pour l’homme. Il a une perception de lui-même qui n’est
pas a priori mais empirique. Une part de lui fluctue et pour autant quelque chose de
constant se maintient en lui ; il est à la fois membre du monde sensible et du monde
intelligible. Du premier parce que sa perception le rend sujet à la sensation, du second
parce que l’une de ses facultés se distingue et le distingue de toutes les autres ; « activité
pure »2 « qui arrive à la conscience immédiatement »3 ; nous parlons ici de la raison.
3. DISTINCTION ENTRE
RAISON ET ENTENDEMENT
Notre connaissance, selon KANT, commence par les sens, passe de là à
l’entendement et s’achève dans la raison. La raison est en nous ce qu’il y a de plus élevé
pour élaborer la matière de l’intuition sensible et la ramener à l’unité la plus complète
de la pensée4.
La raison et l’entendement sont deux choses bien distinctes, hiérarchiquement
différenciables ; alors que dans la raison en tant qu’activité et spontanéité pure
apparaissent et se produisent immédiatement et sans nécessité de quelque préalable que
ce soit, des idées, l’entendement fait preuve d’une spontanéité moins pure et peut
seulement faire fonctionner les concepts lors de l’unification du donné sensible, sans
pouvoir les faire naître.
Tout ce qui précède doit nous amener à penser que tout être doté de raison est,
en tant qu’intelligence, un membre du monde intelligible et non pas du monde sensible :
« d’un côté, en tant qu’il appartient au monde sensible, il est soumis à des lois de la
nature (hétéronomie) ; de l’autre côté, en tant qu’il appartient au monde intelligible, il
est soumis à des lois qui sont indépendantes de la nature, qui ne sont pas empiriques,
mais fondées uniquement dans la raison »5. Ainsi, ce qui suit est suffisamment explicite,
1
2
3
4
5
Cf. V. DELBOS, Fondements de la métaphysique des mœurs, note 208
Fondements de la métaphysique des mœurs, p.189 (Ak IV, 451)
Ibid.
Ibid. note 209
Fondements de la métaphysique des mœurs, p.191 (Ak IV, 452)
7
accessible et bien rédigé pour ne pas être reformulé : « Comme être raisonnable, faisant
par conséquent partie du monde intelligible, l’homme ne peut concevoir la causalité de
sa volonté propre que sous l’idée de la liberté ; car l’indépendance à l’égard des causes
déterminantes du monde sensible (telle que la raison doit toujours se l’attribuer), c’est la
liberté. Or à l’idée de la liberté est indissolublement lié le concept de l’autonomie, à
celui-ci le principe universel de la moralité, qui idéalement sert de fondement à toutes
les actions des êtres raisonnables. »1
L’objection évoquée plus haut : « la réflexion arrivée à ce point semble revenir
au point de départ »2 a donc été menée à son terme par l’argumentation qui précède. À
cela il faut ajouter que l’explication de la possibilité de l’impératif catégorique est
désormais faite : « la volonté bonne agit selon des lois universelles parce que ces lois
expriment ce qu’elle veut nécessairement dans le monde intelligible dont elle fait
partie »3.
V. CONCLUSION
Dans la troisième section des Fondements de la Métaphysique des mœurs,
Emmanuel KANT, en trois moments distincts et successifs, établit l’identité de la liberté
et de la moralité par le biais de la volonté et de l’impératif catégorique puis, après avoir
résolu en partie ou avec habilité dépassé la difficulté, selon les points de vues des
commentateurs, de la justification de l’affirmation de la liberté, le concept de devoir
perd de sa rigueur apparente et trouve son sens ultime en argumentant qu’il n’est
éprouvé par la volonté comme contrainte que dans le cas où celle-ci est unie à une
sensibilité, donc individuelle, ce qui ne se retrouve pas lorsque la volonté se constitue de
manière autonome comme loi, et donc universellement. Enfin, alors qu’un manque
apparaît dans le développement, le concept majeur sur lequel pourra se reposer tout
l’ensemble du raisonnement préalablement exposé est établi ; celui de l’existence d’un
monde intelligible. La démonstration est en partie circonscrite, car, même si le monde
intelligible, celui des choses en soi, fonde le monde sensible, celui des phénomènes,
1
2
3
Fondements de la métaphysique des mœurs, p.191 (Ak IV, 452-453)
Cf. ci-dessus, p.6
V. DELBOS, La philosophie pratique de KANT (1905), Paris, PUF, 1969, p.391
8
puisque le monde intelligible est invariable et donc non soumis à la subjectivité, les
Fondements de la Métaphysique des mœurs et en particulier leur troisième section,
constituent l’esquisse et le préambule de ce qui sera bien davantage exposé dans les
ouvrages importants de KANT portant sur la moralité : Critique de la raison pratique en
1788 et Métaphysique des mœurs en 1797.
Bibliographie
• KANT Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs,
trad.Victor DELBOS, Paris, Librairie Delagrave, 1967.
• PHILONENKO Alexis, Fondements de la métaphysique des mœurs,
trad. V. DELBOS, Paris, Vrin, 1997.
• DELBOS Victor, La philosophie pratique de Kant (1905), Paris, PUF,
1969.
• ALQUIÉ Ferdinand, Leçons sur Kant, « La morale de Kant », Paris,
La Table Ronde, 2005.
• LEQUAN Mai, La philosophie morale de Kant, s.l. (Paris), Seuil,
2001.
9
Table des matières
I. PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE ÉTUDIÉE………………………………………………….2
II. INTRODUCTION………………………………………………………………………..2
III. DÉPLOIEMENT DE LA
MÉTHODE SYNTHÉTIQUE ET FONDATION DE LA RAISON
PRATIQUE………………………………………………………………………………....3
1 - DÉFINITION NÉGATIVE………………………………………………………...3
2 - CONCEPT POSITIF……………………………………………………………...4
3 - ENJEUX ASSOCIÉS À L’IMPÉRATIF CATÉGORIQUE……………………………...4
4 - JUSTIFICATION DE L’AFFIRMATION DE
LA LIBERTÉ…………………………...5
5 - INTÉRÊT JOINT À LA MORALITÉ………………………………………………..5
IV. LÉGITIMATION DE LA CONCEPTION D’UN MONDE INTELLIGIBLE……………………...6
1 - ANTICIPATION DE L’OBJECTION D’UN CERCLE VICIEUX……………………….6
2 - ARGUMENT DE L’EXISTENCE D’UN MONDE INTELLIGIBLE…………………….6
3 - DISTINCTION ENTRE RAISON ET ENTENDEMENT………………………………7
V. CONCLUSION…………………………………………………………………………8
BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………….9
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