Emmanuel Hocquard
Une babouche devient jaune
Littéralité & performance, à propos de Conditions de lumière
Un énoncé simple pourrait se dénir comme une unité de langage qui, prise
isolément, ne dirait qu’une seule chose : ce qu’elle dit, et pas autre chose. Cela
peut se concevoir, mais ça n’existe pas. On pense évidemment à la tautologie:
«Une rose est une rose.» Mais la tautologie n’est pas un énoncé simple. Au
mieux pourrait-elle en être la description.
Tout énoncé isolé, même apparemment le plus simple, est complexe. «Il y a
autant de choses dans une phrase qu’il y en a derrière.» (Wittgenstein) Seul un
contexte permet de sélectionner et xer le sens qu’on veut lui donner. L’énoncé
prend un sens quand il est un maillon intermédiaire dans un enchaînement de
propositions. Cela soulève le problème de l’autonomie d’une proposition. Ou
son indépendance. Une proposition peut être grammaticalement indépendante
tout en étant, logiquement, dépendante d’un contexte. La question est alors la
suivante : «À quelle(s) condition(s) une proposition peut-elle être logiquement
autonome ? Autrement dit, à quelle(s) condition(s) une proposition peut-elle,
hors contexte, être entendue comme un énoncé simple ?»
Il existe un jeu de langage (au sens wittgensteinien du terme), très particulier et
fascinant : la littéralité. Le mot est à prendre à la lettre. Par dénition, la littéralité
ne peut concerner que ce qui relève, à la lettre, du langage (oral ou écrit), quelle
que soit, par ailleurs, la vérité ou la fausseté de l’énoncé. La littéralité ne peut
porter que sur des propositions déjà existantes. La littéralité, c’est toujours la
seconde fois.
Soit la proposition suivante : Une babouche devient jaune. Quelle diérence
y a-t-il entre la première et la seconde énonciation de la même proposition?
Apparemment aucune. Pourtant, la diérence est de taille. La première
énonciation représente une observation portant sur la couleur, réelle ou supposée,
de la babouche. Sa répétition re-présente l’enoncé lui-même. La répétition
littérale en fait un énoncé simple, qui n’a plus de compte à rendre à une autre
réalité que lui-même.
Un énoncé simple est-il pour autant une abstraction désincarnée ? Un morceau
de langage gé ou pétrié ? Un écho mécanique ? Je dirais qu’un énoncé simple
est un moment de langage au repos. Et qu’il est, indiscutablement, reposant.
«De cette même façon je recopie la page. De cette façon je me tais.» (Pascal