© Document issu du site Enseignement & Religions – mars 2015 2
des registres expressifs qui ne sont pas seulement de l’ordre du droit positif qui sont
davantage investis par les religions. Celles-ci détiennent des ressources d’élucidation qui nous
rendraient capables d’éclairer nos jugements.
Difficulté en effet : l’obsolescence du référent républicain :
- nouveau régime de l’individualité subjective (déjà signalé)
- déconstruction de la raison qui avait été sacralisée et sur laquelle était censé se fonder
l’épanouissement du jeune. Aujourd’hui, c’est le désir que l’élève choisit comme norme (d’où
le choix de « l’élève mis au centre » de l’acte d’enseignement) et on n’adhère plus à une
« morale républicaine ».
- Pourtant « L’état a charge d’âme » (Renouvier) et le Religieux ne peut pas être absent.
D’autre part, si l’enseignement de la morale est de l’ordre du prescriptif et celui des faits
religieux de l’ordre de l’analytique, ils n’ont guère à voir entre eux et on voit mal leur
articulation.
Il faut donc viser à une méthode pédagogique de l’ouverture. Sachant qu’il n’y a pas (il n’y a
plus…) de transmission pyramidale du juste et de l’injuste, il faut introduire l’expérience et
induire à partir de là une morale de l’expérience, sans aller toutefois jusqu’à la confrontation.
Il nous faut avoir toujours présente à l'esprit la singularité de ce lieu qu'est l'école.
Sous un triple aspect, l'école est un lieu singulier.
• L'école est ce lieu où visent à s'unir l'universel et le particulier.
Si l'universel, confondu avec l'uniformité, si la raison, réduite à la « rationalité technique » et
ainsi mutilée, ont aujourd'hui mauvaise presse, s'ils ont pâti, l'un et l'autre, des critiques,
inégalement pertinentes il est sans doute nécessaire de se souvenir, face à la montée des
communautarismes, que c'est par l'effort de comprendre, de se comprendre, que les
hommes dans la particularité de leur histoire et de leur culture peuvent espérer parvenir à
« l'accord des esprits » et peut-être des peuples.
• Il y a une temporalité propre à l'école, car c'est à des êtres en devenir qu'elle s'adresse.
La liberté de conscience et surtout, l'égalité de tous y ont un statut différent de celui qu'elles
ont dans la vie civile ou dans la communauté politique. Y a-t-il égalité à l'école ? Oui et non :
il y a effectivement égalité des personnes et même, en un sens, égalité des esprits, en ce
qu'ils sont capables de connaître. Mais il y a inégalité dans l'ordre des savoirs et c'est
d'ailleurs l'une des raisons d'être de l'école.
• La liberté
La liberté connaît, elle aussi, elle enfin, un statut propre à l'école. Certes, les élèves sont
essentiellement libres. Mais ils ont aussi à le devenir, à prendre distance, une distance
réfléchie, par rapport aux coutumes, aux modes et aux idéaux. A l'école, la liberté est
émancipation. Or, ce travail est nécessairement lent. C'est lentement que se construisent
l'égalité et la liberté.
Dès lors, nous sommes enfin en mesure de nous poser la question de l'enseignement du fait
religieux.
Si toute ignorance est facteur de crainte, de superstitions et de servitude, l'ignorance du
phénomène religieux doit pouvoir trouver remède. Comme toute autre ignorance. Car toutes
les ignorances sont génératrices de servitude.
Il va de soi que s'il s'agissait d'une morale imposée ou d'un prosélytisme diffus, tout serait nié,
y compris l'enseignement du fait religieux comme enseignement même.
C'est donc dans un enseignement renforcé des humanités, dans les disciplines elles-mêmes
et non de manière séparée qu'il est possible. Dans l'enseignement des lettres, de l'histoire,
des langues, de la philosophie, et d'abord dans et par la lecture, qui exerce à parler et à
penser. Dans la présence des univers artistiques et de manière plus générale, du symbolique,
de ses divers registres et degrés. Une distinction décisive doit être opérée entre le savoir et la
croyance, ce qui n'est pas si facile, notamment en raison de ce que Régis Debray appelle des
faits de croyance. Une deuxième condition concerne les maîtres : un tel enseignement
suppose des maîtres compétents, c'est-à-dire instruits et soucieux d'analyse et de réflexion,
attachés en outre à une stricte déontologie.