Formation morale et fait religieux Philippe Miton

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Formation morale et fait religieux
Philippe Miton
Croyance oblige ! A toute foi religieuse sont associés une vision du monde, des relations entre
humains et le plus souvent des préceptes éthiques ou des commandements. Lesquels ?
Reposant sur quels fondements ? Ayant quelle portée ?
Parlons-en :
Ces sagesses qui sont souvent de nature religieuse véhiculent une expérience qui favorise ou
empêche le plein épanouissement de la vie personnelle et de la vie sociale.
La forme et l’influence de ces traditions peuvent beaucoup varier, mais montrent qu’il y a
probablement un patrimoine commun à toute l’humanité.
Plusieurs de ces traditions, reconnaissent que ces comportements moraux expriment la
manière dont l’homme doit vivre dans un ordre cosmique ou métaphysique qui le dépasse et
donne sens à sa vie.
Ces traditions religieuses sont porteuses d’un message moral que les hommes sont capables
de déchiffrer.
La tendance générale, dans le monde occidental, est de reconnaître une spécificité des
responsabilités civile et temporelle d'un côté, spirituelle et divine de l'autre. Mais en même
temps, on assiste à une certaine ouverture du civil au religieux, notamment lorsqu'il s'agit
d'édicter des règles dans des matières nouvelles comme les sujets de bioéthiques par
exemple. Dans ces domaines, où l'on ne dispose ni d'expérience ni de recul et où il est difficile
d'énoncer des règles sans les asseoir sur des principes, les avis religieux sont crédités d'une
certaine légitimité et sont sollicités. Mais loin d'être toujours entendus, d'abord parce que les
États écoutent aussi d'autres partenaires comme les scientifiques ou les représentants de
différentes forces séculières, et surtout parce que l'une des tendances lourdes de nos sociétés
est l'individualisation des choix.
Enjeux- éclairages
Traiter de la morale et du Fait Religieux oblige probablement de regarder et d’étudier les
diverses traditions religieuses à la lumière des quatre éléments de base de toute réflexion sur
la morale :
- La conscience : « Le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu
et où sa voix se fait entendre » Concile Vatican II constitution pastorale Gaudium et Spes
- La Loi : distinction entre loi morale, loi divine, loi naturelle, loi positive. Distinction entre
légalité et légitimité.
- L’interdit : « se dire entre nous » L’interdit est une parole qui est dite entre l’homme
raisonnable et son désir immédiat afin de l’empêcher d’agir en animal. L’interdit empêche le
sujet de coïncider avec lui-même et avec l’autre d’où : l’interdit de l’inceste pour éviter la
fusion avec l’autre, l’interdit du meurtre pour éviter la suppression de l’autre, l’interdit du
mensonge pour éviter la méfiance de l’autre.
- La Liberté : Libre de… Libre pour… Etre libre de… sans savoir pour… quoi faire est un
esclavage.
D’une manière générale l’enjeu porte sur l’évolution de notre société dans laquelle les
personnes ont besoin d’être reconnues non pas seulement comme individus abstraits mais
dans leurs convictions et identités, dans ce qu’elles éprouvent et vivent. Aussi est il temps
d’ouvrir un nouvel espace de confrontation entre convictions religieuses et considérations
laïques de la morale. Il se trouve que nous ne sommes plus seulement confrontés à des
problèmes concernant nos conceptions de la société juste, désormais, le débat législatif doit
affronter des questions qui tombent non plus proprement sous la catégorie du juste mais sous
celle du bien et du bon. Face à ce que l’on appelle « problèmes sociétaux » nous nous
heurtons à des difficultés de jugement qui nous laisse démunis : nous n’avons guère que nos
préjugés, conservateurs ou progressistes. Aussi avons-nous besoin d’élargir nos lumières à
© Document issu du site Enseignement & Religions – mars 2015
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des registres expressifs qui ne sont pas seulement de l’ordre du droit positif qui sont
davantage investis par les religions. Celles-ci détiennent des ressources d’élucidation qui nous
rendraient capables d’éclairer nos jugements.
Difficulté en effet : l’obsolescence du référent républicain :
- nouveau régime de l’individualité subjective (déjà signalé)
- déconstruction de la raison qui avait été sacralisée et sur laquelle était censé se fonder
l’épanouissement du jeune. Aujourd’hui, c’est le désir que l’élève choisit comme norme (d’où
le choix de « l’élève mis au centre » de l’acte d’enseignement) et on n’adhère plus à une
« morale républicaine ».
- Pourtant « L’état a charge d’âme » (Renouvier) et le Religieux ne peut pas être absent.
D’autre part, si l’enseignement de la morale est de l’ordre du prescriptif et celui des faits
religieux de l’ordre de l’analytique, ils n’ont guère à voir entre eux et on voit mal leur
articulation.
Il faut donc viser à une méthode pédagogique de l’ouverture. Sachant qu’il n’y a pas (il n’y a
plus…) de transmission pyramidale du juste et de l’injuste, il faut introduire l’expérience et
induire à partir de là une morale de l’expérience, sans aller toutefois jusqu’à la confrontation.
Il nous faut avoir toujours présente à l'esprit la singularité de ce lieu qu'est l'école.
Sous un triple aspect, l'école est un lieu singulier.
• L'école
est
ce
lieu
où
visent
à
s'unir
l'universel
et
le
particulier.
Si l'universel, confondu avec l'uniformité, si la raison, réduite à la « rationalité technique » et
ainsi mutilée, ont aujourd'hui mauvaise presse, s'ils ont pâti, l'un et l'autre, des critiques,
inégalement pertinentes il est sans doute nécessaire de se souvenir, face à la montée des
communautarismes, que c'est par l'effort de comprendre, de se comprendre, que les
hommes dans la particularité de leur histoire et de leur culture peuvent espérer parvenir à
« l'accord des esprits » et peut-être des peuples.
• Il y a une temporalité propre à l'école, car c'est à des êtres en devenir qu'elle s'adresse.
La liberté de conscience et surtout, l'égalité de tous y ont un statut différent de celui qu'elles
ont dans la vie civile ou dans la communauté politique. Y a-t-il égalité à l'école ? Oui et non :
il y a effectivement égalité des personnes et même, en un sens, égalité des esprits, en ce
qu'ils sont capables de connaître. Mais il y a inégalité dans l'ordre des savoirs et c'est
d'ailleurs l'une des raisons d'être de l'école.
• La liberté
La liberté connaît, elle aussi, elle enfin, un statut propre à l'école. Certes, les élèves sont
essentiellement libres. Mais ils ont aussi à le devenir, à prendre distance, une distance
réfléchie, par rapport aux coutumes, aux modes et aux idéaux. A l'école, la liberté est
émancipation. Or, ce travail est nécessairement lent. C'est lentement que se construisent
l'égalité et la liberté.
Dès lors, nous sommes enfin en mesure de nous poser la question de l'enseignement du fait
religieux.
Si toute ignorance est facteur de crainte, de superstitions et de servitude, l'ignorance du
phénomène religieux doit pouvoir trouver remède. Comme toute autre ignorance. Car toutes
les ignorances sont génératrices de servitude.
Il va de soi que s'il s'agissait d'une morale imposée ou d'un prosélytisme diffus, tout serait nié,
y compris l'enseignement du fait religieux comme enseignement même.
C'est donc dans un enseignement renforcé des humanités, dans les disciplines elles-mêmes
et non de manière séparée qu'il est possible. Dans l'enseignement des lettres, de l'histoire,
des langues, de la philosophie, et d'abord dans et par la lecture, qui exerce à parler et à
penser. Dans la présence des univers artistiques et de manière plus générale, du symbolique,
de ses divers registres et degrés. Une distinction décisive doit être opérée entre le savoir et la
croyance, ce qui n'est pas si facile, notamment en raison de ce que Régis Debray appelle des
faits de croyance. Une deuxième condition concerne les maîtres : un tel enseignement
suppose des maîtres compétents, c'est-à-dire instruits et soucieux d'analyse et de réflexion,
attachés en outre à une stricte déontologie.
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Pistes de travail :
A travers les grandes traditions religieuses quelques pistes de réflexion :
- La tradition chrétienne : Pour les chrétiens la connaissance de la loi ne suffit pas par ellemême pour mener une vie juste. « Le message d'amour de l'Évangile donne vie à des
modèles et à des valeurs humaines, comme la solidarité, l’aspiration à la liberté et à l’égalité,
le respect pour le pluralité des formes d'expressives. Le pivot de la civilisation de l’amour est
la reconnaissance de la valeur de la personne humaine et, concrètement, de toutes les
personnes humaines. La grande contribution du christianisme se reconnaît justement sur ce
terrain » (Jean Paul 2)
La morale dans la tradition chrétienne, c'est d'abord pour être heureux. Saint Augustin, dans
les Mœurs chrétiennes, écrit : « Personne ne me contredira si je dis que tout homme
cherche à être heureux ». La morale est bien d'abord au service du bonheur de l'homme.
Dans les Béatitudes, ce que promet le Christ, c'est d'être heureux et d'entrer dans son
Royaume. On n'en voit que la face négative. Mais le visage sévère de la morale – les
interdits, les obligations, la loi – est au service du désir d'être heureux, de vivre une vie
bonne. Or on ne peut pas vivre une vie heureuse tout seul, il faut vivre avec les autres, dans
une ambiance qui permette à chacun de s'épanouir. Ainsi dans la tradition chrétienne la
morale est vraiment au service de notre accès à une vie heureuse, avec d'autres. Il s’agit de
regarder tout homme comme un frère, et non seulement de ne pas tuer, de ne pas faire le
mal. Le seul commandement est celui qui permet de revisiter tout rapport à la loi et à autrui
est celui de l’Amour.
- Dans les traditions hindoues, le monde est régi par un ordre qu’il faut respecter sous peine
d’entrainer de graves déséquilibres. Cet ordre appelé dharma définit les obligations socioreligieuses de l’homme. La croyance en un cycle indéfini de transmigrations présente l’idée
selon laquelle les actions bonnes ou mauvaises commises pendant la vie ont une influence
sur les renaissances successives. Ces doctrines ont d’importantes conséquences sur le
comportement vis à vis d’autrui. Elles impliquent un haut degré de bonté et de tolérance, le
sens de l’action au bénéfice des autres, ainsi que la pratique de la non-violence.
- Dans le Bouddhisme le plan éthique peuvent se résumer dans les 5 préceptes : ne pas
nuire aux être vivants ni retirer la vie, ne pas prendre ce qui n’est pas donné, ne pas avoir
une conduite sexuelle incorrecte, ne pas user de paroles fausses et mensongères, ne pas
ingérer de produit diminuant la maîtrise de soi.
- Dans la civilisation chinoise les relations sociales prennent modèle sur les relations
familiales. L’harmonie est obtenue par une éthique de la juste mesure. L’idéal à atteindre est
le ren vertu parfaite d’humanité, faite de maîtrise de soi et de bienveillance pour autrui.
- L’éthique africaine se révèle comme une éthique anthropocentrique et vitale : les actes
censés favoriser l’éclosion de la vie, de la conserver, de la protéger, de l’épanouir sont de ce
fait considérés comme bons.
- L’Islam se comprend lui même comme la restauration de la religion naturelle originelle. Il
voit en Mahomet le dernier prophète envoyé par Dieu pour remettre définitivement les
hommes dans la vie droite. La Loi islamique, indissociablement communautaire, morale et
religieuse, est comprise comme une loi donnée directement par Dieu. L’éthique musulmane
est donc fondamentalement une morale de l’obéissance.
- Pour le peuple d’Israël le don de la Loi du Sinaï, dont les dix Paroles constituent le centre
est un élément essentiel de l’expérience religieuse. Ils définissent la manière dont le peuple
élu doit répondre par la sainteté de sa vie au choix de Dieu. Ainsi, la création elle-même
apparaît comme l’acte par lequel Dieu structure l’ensemble de l’univers en lui donnant une
loi. La bible contient ainsi une littérature de sagesse qui s’intéresse à la place de l’homme
dans le monde. Elle développe la conviction qu’il y a une manière correcte « sage », de faire
les choses et de conduire sa vie. L’homme doit s’appliquer à la rechercher et s’efforcer
ensuite de la mettre en pratique. L’harmonie qui règne entre les créatures rend témoignage
de la sagesse qui vient de Dieu.
Pour aller plus loin : www.enseignement-et-religions.org
Eca hors-série
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