Calais et grands marchands : nous vous apportons les clefs de la ville et le
château de Calais et les rendons à votre plaisir. Nous nous mettons comme
vous nous voyez, en votre pure volonté , pour sauver le reste du peuple de
Calais, qui a souffert de grandes peines. Veuillez avoir pitié de nous au nom de
votre très haute noblesse ». Certes, il n’y eut en la place, seigneur, chevalier, ni
vaillant homme, qui se pût abstenir de pleurer de pitié (…) Et vraiment ce n’était
pas merveille car c’est grand pitié de voir un homme déchoir et être dans tel
état de danger. Le roi les regarda avec colère, car il avait le cœur si dur et si de
grand courroux qu’il ne put parler.Quand il parla qu’on leur coupât tantôt la
tête. Tous les barons et chevaliers qui étaient là, en pleurant, priaient le roi
d’avoir pitié…
Alors parla messire Gautier de Mauny : « Ha ! gentil sire, veuillez calmer votre
cœur : vous avez la renommée de souveraine noblesse ; Veuillez donc ne pas
accomplir quelque chose qui puisse l’amoindrir et permettre de vous accuser
de vilenie. Si vous n’avez pitié de ces gens , tous les autres diront que ce fut une
grande cruauté » Le roi grinça les dents et dit « Messire Gautier, contenez-vous, il
n’en sera pas autrement. Qu’on fasse venir les coupe-tête . Ceux de Calais ont
fait mourir tant de mes hommes,qu’ils convient que ceux –ci meurent aussi. »
La noble reine d’Angleterre, qui était durement enceinte, pleurait si tendrement
qu’elle ne se pouvait soutenir. Elle se jeta à genoux devant le roi son seigneur et
dit : « Ha ! gentil sire ! depuis que je passai la mer en grand péril, comme vous
savez, je vous ai rien demandé : or je vous prie humblement au nom du Fils de
Sainte Marie et pour l’amour de moi, d’avoir pitié de ces six hommes »
Le roi attendu un peu avant de parler et regarda la bonne dame sa femme, qui
pleurait à genoux. Son cœur s’amollit, car il l’eût courroucée bien malgré lui, au
point où elle était « Ha ! madame, dit-il , j’aimerais mieux que vous fussiez autre
part qu’ici. Vous me priez si fort que je n’ose vous refuser et, bien que je le fasse
à contre cœur, tenez, je vous les donne, faites selon votre plaisir ». Alors elle se
leva et fit lever les six bourgeois, ôter leur cordes de leur cou. Elle les emmena en
sa chambre, les fit se revêtir et dîner tout à l’aise, puis elle donna à chacun six
nobles. Elle les fit conduire hors du camp en sûreté et ils s’en allèrent habiter et
demeurer en plusieurs villes de Picardie.
Ainsi, la forte ville d Calais, assiégée par le roi Edouard d’Angleterre, l’an de
grâce mil trois quarante-six, environ la décollation de Saint Jean, au mois d’août,
fut conquise, en ce même mois, l’an mil trois cent quarante-sept. »
D’après La guerre de Cent Ans, texte établi, choisi et présenté par Andrée Duby,
Union générale d’édition,collection 10/18, 1964