110 COMMUNICATION MARCHANDE
la sensation d’être en boîte de nuit. Le « concept » fut entériné par la création, en
parallèle du restaurant, d’un label avec les compilations musicales du Buddha-Bar.
Les différents Buddha-Bar partagent des caractéristiques spatiales et scénaris-
tiques inhabituelles pour des cafés et restaurants. Tous ouvrent sur une très grande
salle dans laquelle trône un immense Bouddha de plusieurs mètres, surplombant
les tables des dîneurs. Le Bouddha est remarquable par sa taille et sa valorisation
dans le processus scénique.
À Paris, la descente du grand escalier vers la salle du restaurant constitue une
expérience en soi : à défaut d’une descente vers la transformation des affects, le
client fait une plongée vers le Bouddha, qui s’appréhende dans toute sa hauteur, la
statue surplombant la salle du bas.
À New York comme à Djakarta, la statue se détache sur un fond rouge.
Dans les différents lieux, l’omniprésence de l’immobile statue évoque un autre
cadre temporel, un temps long, celui d’une vie ou d’une éternité. L’espace est
marqué par la majesté qui émane de la statue, le transformant en un lieu habité
et protégé par la figure tutélaire. L’impassibilité de la colossale statue, la posture
de méditation du Bouddha assis en tailleur, les yeux clos ou mi-clos, contrastent
avec l’activité minuscule des serveurs et dîneurs ; elle en constitue la toile de
fond, immuable. Le Buddha-Bar repose sur la création de ce monde particulier,
déconnecté de l’environnement temporel et géographique de l’espace qui l’abrite.
L’alternance d’éclairages et de pénombre participe à l’atmosphère du lieu, éclaire
la nuit et l’expérience de ce moment. Les couleurs dominantes du restaurant sont
le rouge et l’or, aux connotations positives puissantes en Asie, contribuant avec
les éclairages à produire une ambiance chaleureuse, évocatrice de plénitude et
de richesse. Cette volonté est corrélée à la fonction du lieu : restaurant et bar,
l’ambiance doit contribuer à une expérience gastronomique et conviviale positive
susceptible d’engendrer une prolongation du moment au bar, une fidélité et un
bouche-à-oreille positif. Cette intention se traduit dans la conception du lieu,
comme l’illustre l’interview du décorateur Miguel Cacio Martins commentant
son travail sur le Buddha-Bar : « l’idée est d’alterner parties neutres et objets
spectaculaires. C’est du tape-à-l’œil, il s’agit d’attirer le regard sur un détail qui
donne l’ambiance et éblouit. »4Le processus de fabrique sémiotique est à l’œuvre,
le Bouddha géant devenant pour le décorateur et ses commanditaires un élément
d’un dispositif scénique travaillé et reproduit dans différents pays. L’image du
dieu prend son autonomie, les vertus décoratives et la réserve d’émotions qu’elle
suppose l’emportent sur les vérités qu’elle cache5.
Bouddha, un « être-là » singulier
La présence de Bouddha pourrait être associée à une sorte de satori, d’éveil
spirituel, tel que le dépeint Barthes. L’auteur relate la façon dont il a été « agi,
ébranlé et mis en situation d’écriture, l’écriture étant "un satori, l’événement Zen",
4. « De Paris à Londres, Marbella ou Singapour, le grand théâtre des nuits a son scénographe : Miguel
Cancio Martins, décorateur des night-clubs et des bars branchés lounge », article Hebdo.nouvelobs.com,
consulté en septembre 2010.
5. Michel Melot, Une brève histoire de l’image, L’Œil Neuf, 2007, pp 35-50.
communication & langages – n◦170 – Décembre 2011