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Les gures de Bouddha comme promesses d’un «
nirvâna commercial » : le cas du Buddha-Bar
Caroline de Montety
Communication & langages / Volume 2011 / Issue 170 / December 2011, pp 107 - 119
DOI: 10.4074/S0336150011014098, Published online: 02 January 2012
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Caroline de Montety (2011). Les gures de Bouddha comme promesses d’un «
nirvâna commercial » : le cas du Buddha-Bar. Communication & langages, 2011, pp
107-119 doi:10.4074/S0336150011014098
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CAROLINE DE MONTETY
Les figures de Bouddha
comme promesses
d’un « nirvâna
commercial » :
le cas du Buddha-Bar
Cet article interroge la façon dont une
figure religieuse est mobilisée à des fins
commerciales au service d’une marque. À
travers l’exemple du Buddha-Bar, les en-
jeux, modalités et conditions de l’appro-
priation de Bouddha sont analysés :
comment le bouddhisme est-il mobilisé
pour créer une marque et lui donner
de la valeur, comment sont choisies et
gérées les caractéristiques sémiotiques
de l’offre, comment la circulation de
la figure de Bouddha permet-elle son
appropriation ? Quels rapports au sacré la
consommation entretient-elle ? L’analyse
et la réponse à ces différentes questions
éclairent le processus à l’œuvre
au Buddha-Bar de « consogénèse »,
processus d’appropriation et de
transformation d’une forme culturelle
en élément central d’une promesse
commerciale.
Bouddha est désormais investi comme figure porteuse
pour le commerce, le signe se détachant de son
ancrage religieux original. Cet article porte sur l’analyse
d’un phénomène de dé-cultualisation de la figure de
Bouddha pour mieux la mobiliser dans les espaces
marchands. Ils témoignent de la vitalité et de la
popularité d’une certaine « bouddhamania », fondée
sur des modalités sémiotiques que nous déterminerons.
Le lieu, et phénomène, Buddha-Bar,exemplaire de la
corrélation entre plasticité des formes et propension à
circuler, servira d’exemple privilégié pour cette analyse.
Comment une représentation, devenue symbolique
d’une spiritualité, peut-elle être saisie à des fins com-
merciales?Quelssontleslienssémiotiquesentrelelieu
marchand, l’activité qui s’y exerce, l’ambition de ses
gestionnaires et la figure de Bouddha ? Quelles sont les
propriétés sémiotiques des représentations de Bouddha
et du bouddhisme susceptibles de promouvoir les
offres commerciales ? Par quel type de réaménagement
la croyance bouddhique est-elle convertie en système
d’adhésion pour une marque ?
Après avoir observé les modalités de cette activité
iconodule dans le champ marchand en nous focalisant
sur le Buddha-Bar, nous questionnerons la mutation
du statut de la figure de Bouddha, en Occident, pour
faire émerger les conditions sociales d’une circulation
religieuse et commerciale. L’analyse se poursuivra en
observant les modalités sémiotiques de la mutation du
statut de Bouddha, d’icône en symbole à vendre, passage
caractérisé par la simultanéité de l’évidage religieux
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et de la sacralisation marchande. L’accent sera mis sur la plasticité des
représentations de la figure religieuse et les hybridations qu’elle autorise.
1. BOUDDHA À LÉTALAGE :OSTENSION DUNE ICÔNE
Avant de choisir le Buddha-Bar comme terrain de prédilection pour l’analyse, une
recherche rapide sur Google Images, sur le mot-clé « Bouddha » ou « Buddha », a
permis d’entrevoir l’intense activité commerciale autour de la figure, cette première
perception ayant été approfondie en associant les termes « Bouddha », « Buddha »
et « acheter » ou « shopping ». Comme pour d’autres religions, on retrouve
une déclinaison commerciale d’objets de cultes : statues, statuettes, bracelets de
prière, encens, à l’instar des multiples eaux bénites, pendentifs, croix, mains de
Fatima, livres saints, qui se vendent et s’offrent autour des lieux de cultes, dans
des lieux spécialisés ou sur Internet. Contrairement à ce qui se produit pour
d’autres confessions, la mobilisation de la figure de Bouddha s’étend bien au-delà
de la dimension cultuelle, bien plus largement que celle de la figure christique par
exemple.
Une figure désormais classique pour le commerce
Le Bouddha est souvent mobilisé dans le secteur du bien-être : baumes, savonnettes
en forme de Bouddha, etc. On retrouvera cette notion au cœur du dispositif du
Buddha-Bar et de sa stratégie d’extension de la marque. Le Bouddha évocateur
de bien-être est aussi intégré dans des offres de services comme la relaxation, le
Feng Shui, les massages... De nombreux enseignes et sites dédiés à la décoration
mobilisent l’image de Bouddha : posters, lampes design, porte-bougies, bougies,
stickers muraux, fontaines, etc. L’extension va jusqu’à une compagnie aérienne
népalaise, Buddha Air, promouvant sécurité et confort.
L’activité marchande s’étend à l’offre de produits alimentaires mentionnant le
Bouddha au titre de son exotisme : Bouddha Bleu de la marque Mariages Frères,
boîtes à thé, boîtes de fruits au sirop, etc.
Le discours d’accompagnement de la mise en vente1de la fontaine Bouddha
sur le site Zen avenue offre quelques indices de compréhension de la mobilisation
de la figure bouddhique :
Selon le Feng Shui, l’eau est un élément important, un symbole puissant qui
représente l’énergie, la vie et l’argent. Une fontaine d’eau courante et pure va donc
porter la source de vie de votre demeure et assurer le renouveau de l’énergie vitale,
de la chance et de la prospérité.
Le Feng Shui sert ici de corrélation implicite et apparemment « naturelle » entre
l’offre commerciale et Bouddha. L’évocation de Bouddha et du Feng Shui,trèsen
vogue, permet de renforcer l’ancrage de l’objet dans les vertus des spiritualités
asiatiques, fussent-elles en « conflit » (le Feng Shui est une discipline issue du
taoïsme et non du bouddhisme), le syntagme commercial se chargeant de les réunir
en dissolvant leurs divergences historiques.
1. www.zenavenue.com, fontaine Bouddha, 39,90 euros.
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Bouddha business 109
Nous pouvons aussi évoquer le descriptif de tirelires ainsi promues : « Tirelire
design Bouddha : De la méditation naît le design. [...] Votre argent semble méditer
pour pouvoir être mieux utilisé. Idée cadeau décoration : Un cadeau original à faire
pour celle ou celui qui doit méditer sur ses dépenses ! » 2
Le lien logique se noue entre la notion de méditation et sa polysémie : activité
spirituelle d’un côté, réflexion rationnelle de l’autre. Le double sens du terme sert
la rhétorique marchande, justifiant ainsi le design par le « concept ». Le Bouddha
« transcende » l’objet et lui confère des vertus morales telles que modération et
sagesse. On perçoit là, avec ces deux exemples, le procédé commercial réticulaire et
analogique de mobilisation de la nébuleuse bouddhiste.
Les notions du bouddhisme sont habituellement reliées entre elles dans un
système qui fait sens pour une communauté. Ce système est à la fois ferme, dans la
façon dont les notions s’articulent, et souple, dans la mesure où les appropriations
peuvent varier dans leurs modalités et singularités. Dans les cas marchands
observés, l’idéal spirituel, proposé comme chemin pour une communauté et
pour chacun, disparaît au profit d’un nouveau syntagme, une collection d’objets
d’ambiance, offerts comme autant de paradigmes que chacun peut acquérir et
intégrer dans un nouveau décor. Dans ce syntagme modifié, l’objet est requalifié,
sans mobiliser la totalité des valeurs qui lui étaient attachées.
L’extension commerciale s’observe donc jusque dans des lieux de vie totalement
éloignés des temples et des foyers puisque le Bouddha se trouve aujourd’hui
associé, dans le cas du Buddha-Bar, à une chaîne de restaurants et hôtels, spas et
albums musicaux.
Variations et invariants autour d’un spectaculaire Bouddha : le Buddha-Bar
Le Buddha-Bar constitue un exemple privilégié pour analyser le procédé de
conversion de la figure bouddhique : plaçant le Bouddha au centre d’un dispositif
commercial complet, la marque Buddha-Bar s’affiche en effet comme une forme
« intense » d’un procédé d’extension autour d’un signe religieux majeur. Ce
déploiement international commercial célèbre, emblématique de l’appropriation
des figures du bouddhisme par le commerce, nous intéresse car la mobilisation
systématique du « Bienheureux » est au centre de la stratégie commerciale, gage
d’une exemplarité riche pour l’analyse.
Ce restaurant à tendance asiatique, à l’ambiance feutrée, situé originairement
à Paris malgré la trompeuse anglicisation du nom, est caractérisé par la présence,
dans un très grand espace sur deux étages, d’une statue immense de Bouddha de
huit mètres par cinq, au rez-de-chaussée. « L’Éveillé » marque le lieu de sa présence,
figure tutélaire ambiguë veillant sur la salle du restaurant et les noctambules du
bar... La lumière est tamisée, la musique, éclectique, représentative de la world
music, est très présente, en particulier le soir. Le lieu a été créé en 1996 par Raymond
Visan, un Parisien « aimant créer de nouveaux concepts »3,danslalignéedeceque
la maison-mère du Buddha-Bar, Le Georges V, nomme le Eatertainment. L’idée de
Visan fut ainsi de faire du restaurant-bar un lieu où les clients mangeraient en ayant
2. www.atylia.com/tirelire-design-bouddha.php
3. Extrait du site du Georges V Eatertainment : http://www.buddha-bar.com
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la sensation d’être en boîte de nuit. Le « concept » fut entériné par la création, en
parallèle du restaurant, d’un label avec les compilations musicales du Buddha-Bar.
Les différents Buddha-Bar partagent des caractéristiques spatiales et scénaris-
tiques inhabituelles pour des cafés et restaurants. Tous ouvrent sur une très grande
salle dans laquelle trône un immense Bouddha de plusieurs mètres, surplombant
les tables des dîneurs. Le Bouddha est remarquable par sa taille et sa valorisation
dans le processus scénique.
À Paris, la descente du grand escalier vers la salle du restaurant constitue une
expérience en soi : à défaut d’une descente vers la transformation des affects, le
client fait une plongée vers le Bouddha, qui s’appréhende dans toute sa hauteur, la
statue surplombant la salle du bas.
À New York comme à Djakarta, la statue se détache sur un fond rouge.
Dans les différents lieux, l’omniprésence de l’immobile statue évoque un autre
cadre temporel, un temps long, celui d’une vie ou d’une éternité. L’espace est
marqué par la majesté qui émane de la statue, le transformant en un lieu habité
et protégé par la figure tutélaire. L’impassibilité de la colossale statue, la posture
de méditation du Bouddha assis en tailleur, les yeux clos ou mi-clos, contrastent
avec l’activité minuscule des serveurs et dîneurs ; elle en constitue la toile de
fond, immuable. Le Buddha-Bar repose sur la création de ce monde particulier,
déconnecté de l’environnement temporel et géographique de l’espace qui l’abrite.
L’alternance d’éclairages et de pénombre participe à l’atmosphère du lieu, éclaire
la nuit et l’expérience de ce moment. Les couleurs dominantes du restaurant sont
le rouge et l’or, aux connotations positives puissantes en Asie, contribuant avec
les éclairages à produire une ambiance chaleureuse, évocatrice de plénitude et
de richesse. Cette volonté est corrélée à la fonction du lieu : restaurant et bar,
l’ambiance doit contribuer à une expérience gastronomique et conviviale positive
susceptible d’engendrer une prolongation du moment au bar, une fidélité et un
bouche-à-oreille positif. Cette intention se traduit dans la conception du lieu,
comme l’illustre l’interview du décorateur Miguel Cacio Martins commentant
son travail sur le Buddha-Bar : « l’idée est d’alterner parties neutres et objets
spectaculaires. C’est du tape-à-l’œil, il s’agit d’attirer le regard sur un détail qui
donne l’ambiance et éblouit. »4Le processus de fabrique sémiotique est à l’œuvre,
le Bouddha géant devenant pour le décorateur et ses commanditaires un élément
d’un dispositif scénique travaillé et reproduit dans différents pays. L’image du
dieu prend son autonomie, les vertus décoratives et la réserve d’émotions qu’elle
suppose l’emportent sur les vérités qu’elle cache5.
Bouddha, un « être-là » singulier
La présence de Bouddha pourrait être associée à une sorte de satori, d’éveil
spirituel, tel que le dépeint Barthes. L’auteur relate la façon dont il a été « agi,
ébranlé et mis en situation d’écriture, l’écriture étant "un satori, l’événement Zen",
4. « De Paris à Londres, Marbella ou Singapour, le grand théâtre des nuits a son scénographe : Miguel
Cancio Martins, décorateur des night-clubs et des bars branchés lounge », article Hebdo.nouvelobs.com,
consulté en septembre 2010.
5. Michel Melot, Une brève histoire de l’image, L’Œil Neuf, 2007, pp 35-50.
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