introduction La musique à la cour de Louis Xv

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« La musique à la cour de Louis XV », Benoît Dratwicki
ISBN 978-2-7535-4313-3 Presses universitaires de Rennes, 2016, www.pur-editions.fr
Introduction
La musique à la cour de Louis XV est un sujet quasiment vierge : musicologues et
historiens, fascinés par le Roi-Soleil dont les ambitions musicales étaient étroitement
combinées à des intuitions politiques visionnaires, n’ont pas jugé le règne de son
successeur digne d’une étude systématique et approfondie, notamment concernant la
musique et le spectacle. Louis XV n’aimait ni l’une ni l’autre, si l’on en croit les idées
les plus répandues, et ce désamour aurait frappé d’engourdissement la muse créatrice
de ses contemporains. La Cour aurait progressivement laissé fuir les talents au profit
de la capitale : ce déplacement du centre de création, palpable dès les premières années
du xviiie siècle, se serait accéléré sous la Régence de Philippe d’Orléans. Ni le retour
de la Cour à Versailles, en 1722, ni les grandes heures du règne n’auraient su rendre à
Versailles le lustre d’antan…
Pourtant, dans le domaine musical, la cour de Louis XV n’est pas aussi inerte
et peu créative qu’on la présente souvent : les institutions imaginées par Louis XIV
s’épanouissent sous la direction de nouvelles personnalités, élevées dans la tradition
du Grand Siècle, mais mâtinées d’une ouverture d’esprit dont le courant artistique
des « Goûts réunis » – mêlant styles français et italien jusque-là opposés – représente,
vers 1720, le plein accomplissement. La majorité des compositeurs et des musiciens
de la Cour est aussi active à la capitale. La frontière entre le « musicien du roi » et
le « musicien de la ville » s’estompe au profit d’une nouvelle atmosphère, dont les
effluves marquent tout autant les théâtres que les salons. Si le protocole versaillais
continue à générer des formes, un style et un ton particuliers, il s’enrichit au contact
des expériences menées, par les mêmes auteurs, dans les salons aristocratiques de
Paris, au Concert Spirituel ou à l’Académie royale de musique. Cette émulation transforme progressivement le répertoire et les pratiques de la Cour : si la musique reste un
outil d’apparat lors des manifestations officielles, elle devient presque « bourgeoise »
au quotidien. Cette situation rend la tâche des compositeurs, des musiciens et des
administrateurs aussi complexe logistiquement que subtile esthétiquement : le public,
les lieux, l’occasion, orientent la programmation. La structuration et l’élargissement des
départements musicaux, la multiplication des compétences, la recherche de toujours
plus de nouveaux talents et l’augmentation progressive de la bibliothèque musicale
du roi sont autant d’enjeux au cœur des problématiques de la musique versaillaise du
règne de Louis XV, permettant de répondre aux spécificités de chaque contexte.
Sans les hommes les institutions ne sont rien. Au temps de Louis XV, de fortes
personnalités s’emparent des différents corps de musique que sont la Chambre, la
Chapelle et l’Écurie. Entre tous, le premier est sans doute le plus complexe et celui
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LA MUSIQUE À LA COUR DE LOUIS XV
qui évolua davantage. Moins tributaire du protocole et par essence moins fonctionnelle, directement liée aux goûts des souverains et de leur entourage, la Musique de la
Chambre du roi devient, au xviiie siècle, le creuset où se forge une nouvelle façon de
penser et d’interpréter la musique.
Parmi les figures musicales qui émaillent le xviiie siècle français, celle de François
Colin de Blamont (Versailles, 1690-1760) apparaît tout à la fois emblématique et
atypique. Emblématique, car le compositeur fut actif dans presque tous les genres
(opéra, cantate, air, motet, musique instrumentale, pièce de circonstance) et peut
être considéré comme l’une des plus éminentes personnalités de son temps, présent à
l’Académie royale, au Concert Spirituel et à la Cour. Atypique car, à bien y regarder, il
est l’un des rares maîtres d’alors qui, né à Versailles, élevé à la Cour et vouant toute sa
carrière au service du roi, n’aura finalement connu que ce milieu tout imprégné d’un
style et d’un fonctionnement si particuliers : c’est plus tard seulement qu’il découvrira
d’autres horizons, ce dont l’évolution de sa pensée musicale témoignera alors.
« La musique à la cour de Louis XV », Benoît Dratwicki
ISBN 978-2-7535-4313-3 Presses universitaires de Rennes, 2016, www.pur-editions.fr
« Il cultiva les arts et les plaisirs ;
Le sentiment forma son caractère,
Et qui le connut, le chérit.
Sous quelque forme qu’il s’offrit,
Il étoit assuré de plaire 1. »
À l’orée de cet ouvrage, gardons-nous de partir en quête d’un génie ignoré. Colin
de Blamont fut plus certainement un témoin vigilant et un acteur engagé de son
temps, un créateur et un passeur d’idées, défenseur d’une certaine vision de la tradition française sans être pour autant totalement hermétique aux nouveaux courants.
C’est ce qui fait aujourd’hui tout l’intérêt de sa carrière. Car étudier l’œuvre de Colin
de Blamont, c’est avant tout le prétexte idéal pour relire d’une autre manière le règne
de Louis XV, le mettre en perspective avec de nouveaux arguments, pour tenter de
mieux le définir et de lui rendre la place qu’il occupe effectivement entre le Grand
Siècle de Louis XIV et les derniers feux de l’Ancien Régime à la veille de la Révolution.
Deux idées directrices peuvent alors être envisagées conjointement : la question de la
« carrière » d’un musicien et son développement dans les institutions musicales de cette
époque ; l’évolution des goûts et des mentalités à l’heure des Lumières naissantes et
son impact sur le style et l’esthétique musicale.
Grâce au travail mené par Catherine Massip il y a plus de quarante ans, la biographie de Colin de Blamont est établie sans que plus guère de mystères ne subsistent 2.
Nous en reprendrons les principales conclusions en développant ponctuellement des
aspects spécifiques. Ce n’est donc pas l’homme, mais son œuvre qui sera placé au
centre de notre étude, sans pour autant dissocier trop arbitrairement l’un de l’autre.
Cet œuvre sera envisagé dans son contexte institutionnel afin de mettre en valeur
les développements d’une carrière exemplaire. Devenu assez jeune surintendant du
roi (il avait 29 ans), Colin de Blamont eut à sa charge de superviser les nombreuses
manifestations musicales de la Cour durant près de quarante ans. Fêtes exceptionnelles et spectacles pompeux pour célébrer les grandes heures du règne de Louis XV,
1. MF (Mercure de France), nov. 1760, p. 36 : « À la mémoire de mon ami […] Feu M. Colin de Blamont, Surintendant
de la Musique du roi, par M. Tanevot. »
2. Massip 1971.
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INTRODUCTION
mais aussi musiques du quotidien – concerts d’appartements, exécutions en plein air
ou impromptus musicaux à l’initiative de tel ou tel courtisan. Il n’est pas nécessaire
de rappeler la multitude des tâches qui lui incombait pour comprendre que, tout
prestigieux que fut ce poste, il ne facilitait guère une composition musicale régulière.
Pourtant, le catalogue de l’œuvre de Colin de Blamont compte un peu plus d’une
centaine de numéros, et l’on sait, à travers différents témoignages, qu’un certain
nombre de pièces ont été perdues ou détruites : la muse de ce compositeur était donc
féconde, stimulée sans doute par un cadre prestigieux, des interprètes de renom et des
moyens – logistiques et financiers – à la hauteur de ses ambitions.
Dans le détail comme dans son ensemble, ce catalogue présente des caractéristiques très particulières, étroitement liées au « métier » de surintendant, et avant tout
une grande variété de genres. Versailles, au temps de Louis XV, oscille entre solennité
et intimité, démesure et miniature… À sa manière, le corpus de Colin de Blamont
traduit cette double polarité de la vie de cour, illustrant tous les genres musicaux de
son temps : ouvrages scéniques ambitieux (tragédies lyriques, ballets héroïques), divertissements, pastorales et idylles ; cantates, cantatilles, airs sérieux et à boire ; musique
sacrée ; symphonies et suites d’orchestre. Chanteur de formation, Colin de Blamont
s’est principalement consacré aux pièces vocales. Au sein de cette foisonnante diversité,
le compositeur se révèle d’une grande habileté à manier les styles et les formes propres
à chaque genre. S’il se montre parfois passéiste et emphatique dans ses œuvres de
circonstance, il sait rester à l’écoute de son temps dans ses cantates et ses cantatilles
qu’il charge d’italianismes, et développer – dans ses airs – une poétique de la galanterie
telle que la France de Mme de Pompadour la cultivait.
L’image dont jouit aujourd’hui encore François Colin de Blamont – celle d’un
maître sans grand talent, plus habile courtisan que compositeur inspiré – est principalement due à ses biographes : de la fin du xviiie siècle à nos jours, ils se sont plu à
véhiculer des idées partiellement erronées sur sa vie et son œuvre. À la lecture d’innombrables notices de dictionnaires et d’ouvrages plus ou moins spécialisés, il apparaît
que Colin de Blamont souffrit avant tout de la méconnaissance générale concernant
la période séparant Lully de Rameau. « C’est le sort de ceux qui inventent, de conserver longtemps un droit de supériorité sur ceux qui les suivent 3 », écrivait le fataliste
Chabanon. L’oubli qui devait frapper toute une génération de compositeurs s’installa
peut-être plus tôt qu’on ne le pense. Le compositeur André Campra lui-même, en
1733, en eut la vision prophétique lorsqu’il s’exclama à propos d’Hippolyte & Aricie
et de Rameau : « Il y a dans cet opéra assez de musique pour en faire dix : cet homme
nous éclipsera tous 4. »
Dès la fin du xviiie siècle, l’histoire de la musique en France tendit à se simplifier
jusqu’à la caricature. En fait, depuis les années 1750, elle s’était déjà réduite à une
évidence : « Depuis Lulli, est venu Rameau 5. » Et voilà tout. La « réforme » opérée par
Gluck faisait entrer la nation entière – et en toute conscience – dans une nouvelle ère
musicale, permettant à Marmontel de signer son Essai sur les révolutions de la musique
en France 6 avec une conviction que partageait toute une génération de penseurs.
3.
4.
5.
6.
Chabanon 1764, p. 5.
Lettre de Campra au prince de Conti, citée dans Anthony 1992, p. 168.
Meude-Monpas 1787, p. 120.
Marmontel 1777.
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LA MUSIQUE À LA COUR DE LOUIS XV
Le passé s’estompait et surtout – à l’heure d’un progrès si sensible des arts – paraissait
de plus en plus terne, uniforme et difficile à apprécier dans ses subtilités. Certains,
comme Jean-Benjamin de La Borde, rappelaient bien qu’à Lully avaient succédé
« Campra, Colasse, Destouches, Mouret, Bernier, Blamont, Clérambault, Montéclair,
Delalande, Marais, Forqueray, Marchand ou Couperin »… Mais c’était pour préciser
aussitôt que, s’ils firent un temps « les délices de Paris, […] Rameau parut pour les
faire disparaître 7 ». Encore le rôle de ce dernier lui-même était-il parfois minimisé
dans l’évolution du théâtre lyrique : pour quelques-uns, Lully fut, seul, « le créateur
de ce genre qui, depuis lui, n’a pas fait un aussi grand pas qu’on se l’imagine, et qui,
peut-être, a plus perdu que gagné 8 ». Les disciples et successeurs du Florentin étaient
ainsi tous rangés, sans distinction, au rang d’imitateurs ou – pire – de corrupteurs :
« [Les premiers successeurs de Lully] n’en firent jamais plus et en firent souvent moins.
Au lieu de prendre le pas sur Lully, ils se traînèrent à sa suite. On leur fut même gré de
n’avoir pas osé d’avantage. […] Enfin, Rameau parut et, guidé par son génie, il prit un
essor jusque-là ignoré 9. »
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Le xixe siècle vécut sur cette idée d’un immobilisme de la musique entre Lully et
Rameau, immobilisme qui paraissait plus évident encore considéré (de bien haut et
de bien loin) un siècle plus tard :
« Avant Rameau, les musiciens français, marchant avec plus ou moins de succès dans la
route tracée par Lully, n’offraient dans leurs compositions dramatiques qu’un récitatif
et des airs d’une simplicité extrême, sujette à dégénérer en monotonie 10. »
Cette idée s’entachait donc d’un mépris, touchant même au dégoût sous la plume
de Choron :
« La corruption fut portée encore plus loin sous Rameau […]. À moins d’avoir entendu
cette musique, il est impossible de s’en faire une idée ; […] on se demande par quelle
route on a pu arriver à une semblable dépravation, […] pour produire quelque chose
d’aussi absurde et d’aussi monstrueux 11. »
Et si, « parmi les patriarches de l’Opéra français, Lulli et Rameau [étaient] les seuls
dont les noms [avaient] conservé leur célébrité 12 », leurs contemporains portèrent plus
encore qu’eux la responsabilité d’un art musical français indigne de figurer dans les
histoires de la musique. Il convenait donc le plus souvent de n’évoquer la musique
française de la première moitié du xviiie siècle que sous la forme d’un art national
vaguement caractérisé par la volonté de Louis XIV : Momigny ne distinguait ainsi
qu’une « première école », celle de Lully, « perfectionnée et enrichie par Rameau »,
plus généralement appréciable comme « la musique générale du dix-septième siècle,
et comme la musique particulière de la France jusqu’au milieu du dix-huitième 13 ».
Aussi, malgré l’intérêt porté à la musique ancienne à la fin du xixe siècle sous l’égide
de certaines grandes figures telles que d’Indy ou Saint-Saëns, il s’en faut de beaucoup
7.La Borde 1780, t. I, p. 124. Voir Legrand 2007-2008.
8.Ibid., t. III, p. 445.
9.Bricaire de La Dixmerie 1769, p. 253 et suiv.
10. Choron et Fayolle 1810-1811, t. II, p. 196.
11. Ibid., t. I, p. lxxix.
12. Castil-Blaze 1820, t. I, p. 14.
13. Framery, Ginguené et Momigny (dir.) 1818, p. 220.
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« La musique à la cour de Louis XV », Benoît Dratwicki
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que les compositeurs autres que Lully et Rameau retrouvent une identité propre. Après
avoir été tellement dévalorisées, les années 1690-1730 furent ensuite au mieux considérées comme une période de transition – instables donc, et sans événement saillant
ni figure marquante –, idée largement admise tout au long du xxe siècle. Paul Le Flem
professait ainsi sur les ondes en 1935-1936 : « C’est bien une période de transition,
celle qui s’étend de la mort de Lully jusqu’à la fin du premier tiers du xviiie siècle.
Des génies, non, mais des musiciens exquis. Ils n’ont pas cependant assez d’originalité
ni peut-être assez de vigueur créatrice pour sortir la musique du moule dans lequel
elle s’est figée, et la renouveler 14. » Mais il s’empressait d’ajouter, avec conviction :
« Gardons-nous toutefois de toute mésestime à l’égard de compositeurs dont certains
méritent d’être connus. Nous n’avons pas le droit de créer autour d’eux une zone de
silence et d’oubli. Si leur rayonnement fut moins intense que celui exercé par Lully,
sachons-leur gré d’avoir préparé la voie à un Rameau. » L’heure de la réhabilitation
approchait. Plus près de nous, The New Oxford History of Music se borne pourtant
encore à un paragraphe laconique pour retracer l’évolution de l’opéra français entre
Lully et Rameau : c’est dans ce cadre que sont évoqués, notamment, Colin de Blamont,
Francœur et Rebel :
« Finalement, nous arrivons à un groupe de compositeurs qui, bien que plus jeune que
Rameau, fit ses débuts avec lui et produisit des ouvrages qui, par certains aspects, lui
servirent d’exemples et de modèles. Trois de ces hommes sont à noter. Le premier est
Colin de Blamont (1690-1760), un élève de Lalande et un maître de la Musique du
roi contemporain de Destouches ; ses Fêtes grecques & romaines (1723) est un des plus
importants opéras-ballets de l’époque 15. »
Lorsqu’il s’agit de retracer cette période « intermédiaire », Norbert Dufourcq conclut
de manière plus lapidaire encore : « [L’]étoile [de Mouret], comme celle d’un Colin de
Blamont, l’élève de Delalande, ou celle de Francœur, va pâlir en quelques heures, le
jour où Rameau accapare la scène française 16. » C’est pourtant sous son égide que la
musicologie française plonge enfin au cœur des sources et des partitions pour dépouiller, classer, raconter et expliquer la musique française de l’Ancien Régime dans toute
sa subtilité. Ainsi l’étude de Catherine Massip réalisée sous sa direction participe-t-elle
d’une démarche encore peu représentée à l’époque sur des auteurs jugés de moindre
importance, et qui s’est développée jusqu’à nos jours en réhabilitant des figures telles
que Desmarest, Blanchard, Bury, Jacquet de La Guerre, Charpentier, Rebel, Bourgeois,
Boismortier, Campra, Marais, Clérambault ou Dauvergne.
Si Colin de Blamont souffrit d’appartenir à une période mal connue, il fut
lui-même l’objet de recherches souvent sommaires, approximatives ou caricaturales.
Aussi, jusqu’au travail de Catherine Massip, aucune étude approfondie, aucune hiérarchisation des informations biographiques, aucune liste complète de ses ouvrages, et,
surtout, aucun jugement critique fondé sur la lecture de sa musique ne permit à Colin
de Blamont d’être apprécié dans son histoire, son contexte et son art.
L’image couramment diffusée de Colin de Blamont découle en partie de la
mauvaise appréciation de son inscription au sein des différentes générations qui lui
14. Le Flem 1935-1936, p. 94-102.
15. Lewis et Fortune 1975, t. V, p. 239.
16. Dufourcq 1970b, p. 202.
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LA MUSIQUE À LA COUR DE LOUIS XV
furent contemporaines. Pourtant, la chronologie est à ce titre sans équivoque : né trois
ans après la mort de Lully, Colin de Blamont est incontestablement l’héritier immédiat
de Colasse, Desmarest, Campra ou Lalande (tous actifs vers 1700). Toutefois, il occupe
une place plus ambiguë par rapport à ses « contemporains » (entendus au sens large du
terme), intermédiaire entre deux groupes d’artistes plus identifiés : en effet, s’il est plus
jeune que les compositeurs de la Régence auxquels on l’associe parfois (Montéclair,
Gervais, Destouches, Stück ou Mouret), il est inversement plus âgé que les compositeurs « rococos » du règne de Louis XV avec lesquels on le regroupe le plus souvent,
sous l’égide d’une époque « Pompadour » (Leclair, Mondonville, Royer, Dauvergne,
Bury). Collègue de Destouches à la Cour, il est pourtant de vingt ans son cadet ;
prédécesseur de Francœur et Rebel, il n’est seulement que de dix ans leur aîné ; enfin,
précurseur de Rameau sur la scène de l’Académie royale, il est néanmoins plus jeune
que lui. Seul Boismortier peut être considéré comme son exact contemporain. Colin
de Blamont fut donc un jeune parmi les anciens, et un ancien parmi les jeunes.
L’approche difficile de sa place dans la chronologie contemporaine est encore accentuée
par le style même de sa musique (dont nous verrons au terme de cette étude l’évolution et les paradoxes), mais aussi par le fait qu’il composa principalement alors qu’il
était trentenaire : les années 1723-1733 sont les plus intenses et les plus fécondes de
sa carrière, les nouvelles publications et les créations lyriques se succédant alors à un
rythme très soutenu.
Le rôle et la place de Colin de Blamont ne peuvent s’expliquer hors du contexte de
sa carrière institutionnelle à la cour de Louis XV : musicien officiel, c’est au service du
roi qu’il voua toute son énergie, ne laissant que peu de place à d’autres développements
professionnels. Versailles fut donc l’écrin de ses veilles laborieuses, Paris n’accueillant
en général sa musique qu’en écho à cette activité prédominante. La présente étude
s’attache à replacer l’œuvre de Colin de Blamont dans cette double perspective : « à la
Cour » d’abord, « à Paris » ensuite. Cette trajectoire permet de prendre la pleine mesure
d’une œuvre musicale élaborée parallèlement à l’ascension d’un jeune roi : peut-être y
verra-t-on une véritable « chronique musicale » du règne de Louis XV ?
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