Mauvaise Nouvelle - Aristote, l’ennemi des libéraux libertaires
Aristote, l’ennemi des libéraux libertaires
Par Jean-Marie Keroas
Les racines philosophiques de la société libérale : Episode 3
Nous reprenons notre pérégrination à travers l’histoire des idées pour évoquer les racines philosophiques de la
société libérale-libertaire dans laquelle nous vivons de nos jours. Le format de ces articles ne nous permet pas de
préciser tous les moyen-termes qui permettent de faire les liens entre nos développements mais nous espérons
avoir indiqué suffisamment de pistes pour que chacun puisse de lui-même achever le croquis ainsi esquissé. Les
options philosophiques actuellement admises se sont lentement imposées à partir de la fin du Moyen Age. Nous
verrons plus loin le rôle de Guillaume d’Occam dans cette destruction du logos inductif, et donc de la sagesse
rationnelle naturelle.
La perte de la dimension sapientielle de la raison trouve en effet son point de départ dans la négation de l’induction
définie par Aristote dans ses œuvres logiques. Nous sommes en effet en plein règne d’une raison formelle dont la
primauté et la suprématie de la déduction mathématique1 est le symptôme, avec sa logique binaire exclusive.
Cette aptitude déductiviste rapide est en effet le critère actuel validant dans la plupart des domaines de
compétence. L’injonction productiviste2 n’y est pas pour rien mais des prémisses philosophico-logiques viennent
également justifier cette mainmise du mode mathématique.
La fameuse méthode expérimentale moderne ne rejoint pas le mode inductif aristotélicien, bien qu’en dernière
instance, on soit bien obligé d’éprouver le résultat des mesures quantitatives, ne serait-ce qu’en lisant les chiffres
avec au moins un œil, ou en l’entendant avec au moins une oreille…
Aristote prend comme point de départ l’expérience naturelle des êtres extérieurs par les hommes, alors que cette
méthode expérimentale « galiléenne » portée au pinacle consiste à construire des expériences selon un schéma
prédéfini.
De nombreux auteurs qui prétendent être des autorités intellectuelles (laïques ou religieuses) opposent encore
science et philosophie : ils ne voient pas qu’ils valident par cette sémantique la rupture initiée par de nombreux
auteurs en séparant la recherche philosophique de tous les caractères aujourd’hui attribués au domaine
« scientifique » : objectivité, sérieux, capacité à donner des repères spéculatifs et pratiques. Manipulation du
langage qui relève de l’imposture intellectuelle quand on connaît les points de départ de nombreuses théories dites
« rationnelles ». En effet, les adjectifs « scientifique » et « philosophique » ont perdu leur sens réaliste. Pour
retrouver un peu de lumière, il faudrait redéfinir à la racine ce qu’est la raison humaine et ce qu’est l’agir
proprement humain. Cette destruction de l’intelligence qui continue son cours engendre de nombreuses
conséquences intellectuelles, morales, politiques et spirituelles.
Il est temps de redéfinir ce qu’on appelle un « homme cultivé » selon la philosophie réaliste3. L’homme sage,
sensé, authentiquement cultivé, sait discerner les matières d’argumentation et les modes de procéder convenants
à ces matières spéculatives et pratiques. Il sait, par exemple, que le mode mathématique ne convient pas à tous
les domaines du savoir. L’enjeu en philosophie n’est pas une question de conclusions, de thèses à défendre, de
doctrine. L’enjeu, ce sont les habitus4.
Cet homme cultivé sait de quoi il parle. Alors que l’ignorant n’aura pas contracté les bons habitus et aura tendance
à raisonner en matières pratiques comme s’il était en matières spéculatives, et à raisonner en matières
spéculatives comme s’il était en matières pratiques… Cela donne souvent chez les gens un peu doués
formellement des individus qui ne savent pas s’adapter aux réel et aux personnes et surtout qui opèrent dans l’agir
comme s’ils déduisaient des théorèmes mathématiques en nécessitant des domaines de soi contingents, ou qui
pensent que les domaines spéculatifs sont relatifs à l’opinion libre de la volonté individuelle…
Nous sommes actuellement dans cette confusion et inversion des modes de procéder et des matières
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d’argumentation. Seule une redécouverte sérieuse des principes logiques aristotéliciens pourraient nous faire sortir
de cette impasse déstructurante5. On aura compris que dans la perspective de cette philosophie réaliste héritière
d’Aristote, et avant lui de Socrate, l’arbitre ultime n’est pas le texte d’Aristote, qu’il soit en grec ou en latin, mais les
choses mêmes, selon le titre de l’excellent ouvrage de Gilbert Romeyer-Dherbey6. Voilà qui relativise d’emblée
toutes les monographies universitaires qui proposent certes une érudition utile en indiquant certaines médiations
mais ne forment certainement pas l’esprit de façon réaliste. Combien de commentateurs d’Aristote sont-ils restés
en dehors de l’intention du Stagirite en ne voyant pas la clé de voûte de son œuvre ?
Aristote, et à sa suite Thomas d’Aquin qui ne remet pas en doute ces intuitions du Stagitire, la science du réel
s’appuie dans un premier temps sur nos sens externes avant d’informer selon un processus en paliers nos sens
internes et ultimement notre intelligence qui abstrait l’essence intelligible de la chose. Nous vous proposons ici
quelques analyses qui font partie d’une future publication sur Aristote, particulièrement sur la façon dont il est
caricaturé par les commentateurs actuels.
I. Le « système aristotélicien » ?
1° Une philosophie du réel :
On présente habituellement la philosophie d’Aristote comme un système. Cette façon de le présenter n’est pas
sans risque, étant donnée la misologie7 ambiante. La philosophie d’Aristote est bien systématique dans le sens où
elle est une vision unifiée de l’univers dans ses principes communs, mais en aucune façon un système fermé. Les
analyses d’Aristote sont ouvertes au réel, puisque fondées sur l’induction. « L’aristotélisme, organisé comme
système ouvert, présente donc une structure construite tout entière pour faire place à ce qui lui vient du dehors ; il
est un appel à l’extériorité8 ».
En effet, la philosophie d’Aristote s’appuie tout entière sur ses Analytiques. Or, comme on l’a vu plus haut, le
premier mouvement de cette logique humaine spéculative est l’induction. Le mode inductif va cependant connaître
de nombreuses critiques au cours de l’histoire de la pensée, et cela dés l’Antiquité. Le problème de l’induction
manifeste, en effet, une difficulté qui traversera toute l’histoire de la philosophie, et particulièrement de la
philosophie grecque antique. Elle reçoit une formulation claire chez Aristote lui-même. Pour Aristote, la conversion
de quelques expériences à une formulation universelle est-elle une supposition ? Aristote manifeste que non,
sachant que c’est à chacun de voir cette vérité.
La philosophie Moderne a voulu persuader les intelligences qu’il y avait un fossé ontologique entre l’intelligible et le
sensible. Certains auteurs l’ont décrété infranchissable. Dans l’esprit d’un philosophe comme Aristote, il existe un
passage. Et ce passage est naturel. Autrement dit nécessaire. Cet écart entre Socrate et la quiddité de Socrate
(1032b 14) est avec Aristote comblé par une certaine lumière. Aristote fait en effet appel à une faculté qu’il nomme
intellect agent, faculté spéculative comparée à une lumière (De Anima, III, 5, 430a 15), laquelle tire de l’image
sensible de la chose son essence.
D’emblée, la pensée du Stagirite s’éloigne de cette sagesse trompeuse qui ne dépasse pas la surface des choses.
Comme on a pu le dire : « avec Aristote, la philosophie sort de son palais d’idées et de mots. Elle trouve dans le
réel un arbitre sans arbitraire » (G. Romeyer-Dherbey, idem, p. 91). La recherche de la vérité s’identifie chez lui à
une induction constante du réel, « sinon on parle pour le plaisir de parler » (1012a 6).
Et c’est cette lumière de l’intelligence qui empêche la philosophie d’Aristote de s’évader dans les mots et donc de
s’enfermer dans un système conceptuel clos et abscons. L’induction est ainsi la première opération de l’intelligence
humaine dont dépendent toutes les autres, et constitue par là même la clef de voûte de l’ensemble de
l’enseignement du Stagirite.
2° la méfiance envers les discours : une analyse de la relation chose/mot
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Le discours humain, nous dit Aristote, doit porter « sur les choses mêmes, non sur les mots » (Topiques, I, 18,
108a 2). Ces choses sont en effet le régulateur de la pensée. Le souci d’être en accord avec le réel est si présent
chez Aristote qu’il est parfois forcé, dans son analyse des choses, d’inventer des termes qui tentent ainsi d’illustrer
certains gestes pouvant se prononcer avec l’accompagnement de la main. Ce que les traducteurs ont transcris par
le ceci-là en est un exemple parmi d’autres. Le réel fonde ici la plastique du langage. De plus, l’existence, dans son
analyse du réel, des anonymes, témoigne de son souci permanent d’épouser la réalité sous toutes ses coutures (
Météorologiques : IV, 3, 389a 8 ; II, 4, 359b 30 ; IV, 3, 381b 6 ; Histoire des Animaux : 623b 4 ; Physiques : V,
2, 226a 30 ; Rhétorique : I, 2, 1357b 4 ; Ethique à Eudème, II, 3, 1221a 3). L’investigation de la vie impose à
Aristote un luxe de formes naturelles devant lesquelles le langage apparait démuni, comme lacunaire. Le sophiste
Gorgias est bien différent d’Aristote, « qui prétendait que jamais le discours ne lui faisait défaut » (Rhétorique, III,
17, 1418a 34, Traduc. Belles-Lettres).
Aristote attaque cette pensée sophistique évoquée plus haut (Episode 2) : « Sont vrais les discours qui
ressemblent aux choses » (De l’Interprétation, 9, 19a 33).(2)
L’intention d’Aristote est en effet à l’opposé du discours des Eléates9, lesquels s’expriment dans une dialectique
verbale, et qui, « dans les discussions, montent la garde autour de leur position » (De Coelo, III, 7, 306a 12-13). La
logique formelle pathologique des Eléates, qui opère par oppositions dialectiques et qui ne cherchent qu’une
cohérence interne du discours, est condamnée à errer dans la paille des mots.
La pensée aristotélicienne n’est donc point un dialogue solitaire de l’âme avec elle-même, mais un constant
face-à-face avec les choses : un tête-à-tête qui cherche la fusion. La philosophie d’Aristote est inductive dans son
principe : l’auscultation patiente du réel réclame ainsi une retenue étrangère à la précipitation, laquelle réclame
pour toute chose une vision immédiate, claire et distincte. Aristote a pris le pouls de la nature : ce qu’il en retient,
c’est une certaine conception de la maturation. Pour lui, l’Univers est en quelque sorte en parturition : toute chose
crie vers sa fin, qui est son bien.
A travers toutes ses étapes, l’analyse aristotélicienne de la Nature tente d’embrasser l’unité et l’ordre de la nature
en s’efforçant de s’ « assurer que les raisonnements porteront sur les choses mêmes et non sur les mots » (
Topiques, I, 18, 108a 21 ; trad. Brunschwig). Pour Aristote, le langage peut réussir une médiation entre le monde
et l’homme pourvu qu’il opère sous la dictée des choses.
Aristote commence par distinguer le mot de la chose (différent en cela de tous les présocratiques : Tragiques,
Pythagore, Sophistes, etc). Aristote est surtout contre le sophiste Gorgias qui « chosifie » le langage. Il part en
effet de la constatation de Démocrite : « les noms sont en nombre limité, ainsi que la pluralité des définitions,
tandis que les choses sont infinies en nombre » (Réfutations Sophistiques, 1, 165a 11). Et donc, il est par suite
inévitable que plusieurs choses soient signifiées, et par une même définition et par un seul et même nom. En effet,
comme Démocrite, Aristote affirme que la signification du discours relève de la «convention» (De l’Interprétation
, 17a 2 et 16a 19 et 28). Mais si l’on en croit Platon (Cratyle, 384d), Démocrite en tirait la conclusion que toute
dénomination est incorrecte. Alors qu’Aristote refuse une vérité immanente au dire pour renvoyer à la chose
même !
C’est le langage qui est en question ici, non l’expérience que nous avons des choses… Car le discours doit porter
« sur les choses mêmes, et non sur les mots » ( Topiques , I, 18, 108a 2). C’est l’habitude qui a déterminé
arbitrairement la jonction du signe et du référent. Cette habitude n’est pas totalement irréfléchie. Elle s’appuie
souvent sur des analogies réelles, faisant des mots de véritables œuvres d’art qui tendent à signifier les choses
dites. Ainsi, pour la tradition présocratique, le langage est saisie de la vérité soit parce que le mot fait corps avec la
chose, soit parce que, ayant rompu tout lien avec elle, il peut trouver sa rectitude à l’intérieur de lui-même. Aristote
est ici dans la via media : les mots ne sont certes pas les choses mais ils doivent et peuvent dire les choses.
Aristote, professeur de Rhétorique à L’Académie pendant dix ans, connait le risque pour le verbe de n’être que
verbal…
Avoir la science de la chose passe ainsi par la méfiance d’Aristote vis-à-vis du langage. D’où l’abaissement de la
dialectique platonicienne : pour Aristote, la vérité est du ressort de l’analytique. Alors que la dialectique de Platon
est hypothético-déductive : sa tâche est de « raisonner déductivement en prenant appui sur des idées admises » (
Topiques, I, 1, 100a 19). Le sens péjoratif chez Aristote du terme logikos : verbal, un savoir vide est manifeste
de l’intention philosophique profonde du maître du Lycée. Chez Aristote, le terme de logique est presque partout
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un synonyme de celui de dialectique.
« Avant ces Modernes (les Platoniciens), les Anciens étaient plus proches de la vérité dans la mesure où ils se
penchaient sur les réalités particulières (Métaphysiques, XII, 1, 1069a 29) prises en elles-mêmes : ils ne tombaient
donc pas dans l’erreur de parler de « corps en général » (l.30).
C’est pourquoi le Lycée sera plus une école de recherche du réel qu’une école de discussion. Car le dialecticien,
certes séduisant, se laisser fasciné par son propre discours et finalement se soucie peu d’aller jusqu’aux choses
elles-mêmes. Cependant, dans l’intention d’Aristote, le langage n’est pas par essence incapable de dire les
choses, et bien qu’entièrement distinct des choses, il reste toujours comme rivé aux choses. Ici, Aristote est fidèle
aux analyses du Cratyle de Platon (387c). En effet les choses agissent identiquement sur tous : c’est pourquoi un
discours objectif est possible : « les affections de l’âme dont ces expressions sont les signes immédiats sont les
mêmes pour tous, comme sont les mêmes aussi les choses dont ces affections sont les ressemblances » (De
l’Interprétation, I, 16a 7 ; Tricot modifié par Romeyer-Dherbey p. 127).
L’âme rationnelle apparait donc comme un médiateur transparent. Aristote ne s’enferme pas dans ses propres
analyses en montant la garde autour. Il ménage toujours l’ouverture et le complément : le sage doit être capable de
se remettre en cause face au réel.
3° la diversité du réel engendre la diversité des modes de procéder
Aristote rejette ainsi dès le début de sa carrière une méthode applicable à tous les cas, sans considération de la
matière traitée : « Ce n’est pas une raison pour que l’on doive chercher à instituer une méthode unique, qui puisse
s’appliquer universellement à eux tous : en effet, outre qu’une telle méthode n’est pas facile à trouver, elle serait, à
supposer qu’on la trouve, extrêmement confuse » (Topiques, I, 6, 102b 35, Traduction J. Brunschwig, Gilbert, p.
128).
C’est dans le même esprit qu’Aristote s’interdit de créer des mots. Pas de respect fétichiste pour ses classifications
chez lui. L’accent n’est pas mis sur un système notionnel et verbal à parfaire ; la pensée ne se prend pas
elle-même pour objet mais fait place à ce qui est pensé ; s’il est un système qui intéresse Aristote, c’est le système
du tout, et celui est « le monde et le ciel » (Du Ciel, I, 10, 280a 21). Il faut, pour comprendre le point de vue
d’Aristote très souvent opérer un renversement de perspective par rapport à l’estimation moderne, imbue de
kantisme, et sentir que pour lui l’initiative vient des choses. Bref, chez le Stagirite, « les arguments sont d’une
crédibilité moindre que les faits » (Ethique à Nicomaque, X, 1, 1172a 35, Tricot).
Par conséquent, Aristote est bien loin de dire que le langage est impuissant à dire les choses : bien des textes au
contraire nous montrent Aristote persuadé de la possibilité pour les mots de dire adéquatement les choses. Aristote
ne désespère donc pas du langage : à l’inverse de Cratyle, on peut faire plus que simplement montrer les choses
du doigt (Métaphysique, IV, 5, 1010a 12).
C’est ainsi qu’on a pu louer « la langue réaliste d’Aristote ». Et si on peut noter une maladie athénienne, elle doit
être diagnostiquée dans cette maladie du discours que fut la sophistique.
Avec Aristote, nous n’avons pas à affaire à un système qui enferme le réel dans une partie de sa totalité. Mais
partant d’une observation intégrale de la nature dans son ensemble, il indique un mouvement fondamental –
l’induction – et respecte les matières d’argumentation. Loin d’imposer des solutions toutes faites à la mémoire de
ses disciples, il les invite au contraire à dépasser ce conformisme sécurisant pour se lancer dans un discernement
constant. Aristote n’est pas tributaire de ses partielles observations du réel car il indique des voies qui sont
pérennes.
II. Aristote discute le relativisme de Protagoras :
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1° Aristote explique comment Platon tente d’intégrer les intuitions de Socrate :
Nous avons déjà cité plus haut de nombreux passages qui manifestent qu’Aristote est en un certain sens plus
fidèle à Socrate que Platon lui-même. Nous n’hésitons pas à nous répéter ici pour rappeler cette paternité
socratique dans le réalisme aristotélicien.
Le Stagirite attribue la paternité de la démarche inductive à Socrate. Nous devons en effet reconnaître dans les
discours inductifs de Socrate l’art réfléchi du mode de connaître qui nous occupe. Socrate combattait en effet le
verbalisme des Sophistes. Aristote lui donne le fondement ultime de ce bon combat : l’essence universelle existe
dans chaque individu, en puissance. Par son refus raisonné du séparatisme, le Stagirite renoue, par-delà son
maître Platon, avec l’authentique socratisme10. Divers témoignages attestent cette filiation :
« D’un autre côté, Socrate, dont les préoccupations portaient sur les choses morales, et nullement sur la Nature
dans son ensemble, avait pourtant, dans ce domaine, cherché l’universel, et fixé, le premier, la pensée sur les
définitions ». (987b 1-6).
« Socrate s’appliqua à l’étude des vertus morales, et c’est à leur sujet qu’il fut le premier à chercher à définir
universellement » (1078b 18-19)
« Socrate, lui, cherchait l’essence, et c’était logique, car il cherchait à faire des syllogismes, et le principe des
syllogismes, c’est l’essence » (idem, 23-24)
« Il y a deux découvertes, en effet, dont on pourrait, à juste titre, rapporter le mérite à Socrate : le discours inductif
et la définition générale, qui l’un et l’autre, sont au point de départ de la science » (idem, 27-30)
« A cette conception, Socrate, comme nous l’avons dit plus haut, a donné le branle, au moyen de ses définitions,
mais il n’a pas séparé du moins l’universel de l’individu, et il a eu raison de ne pas les séparer. Les faits le montrent
clairement : sans l’universel, il n’est pas possible d’arriver à la science… » (1086b 3-6).
Ces trois passages constituent un seul témoignage.
De même, dans les Parties des Animaux (642a 24-31), Aristote manifeste que c’est bien Socrate qui donne la voie
de l’induction des formes :
« Mais la raison pour laquelle nos prédécesseurs n’en sont pas venu à cette méthode d’explication, c’est qu’ils
n’étaient pas capables de définir l’essence et la substance ; Démocrite, cependant, s’y est essayé le premier, non
pas qu’il considérât cette définition comme nécessaire à la science naturelle, mais parce qu’il était entraîné par la
réalité elle-même ; du temps de Socrate, des progrès furent faits dans cette direction, mais les recherches sur la
nature périclitèrent, et les philosophes se détournèrent vers les vertus utiles et la politique ». (Trad. Pierre Louis,
Belles Lettres).
La méthode socratique, atteste aussi Aristote, a vu son influence grandir et s’est répandue parmi les philosophes.
Mais elle fût employée apparemment surtout dans les matières morales et politiques, à l’exemple de Socrate
lui-même, les études sur la nature étant négligées. L’Organon d’Aristote doit signifier précisément l’application de
la méthode socratique à ce genre d’études.
Quoiqu’il en soit, Aristote fait honneur à Socrate d’avoir été l’initiateur véritable de cette méthode philosophique.
Les Pythagoriciens et Démocrite n’en sont restés qu’à des essais sans lendemains. La méthode de la définition
universelle n’était chez Socrate ni occasionnelle ni superficielle, mais elle tenait au mouvement primordiale de sa
pensée. Il cherchait à syllogiser, explique Aristote, voulant dire apparemment que Socrate voulait rattacher ses
conclusions à des principes, enchaîner fortement ses pensées déduites comme des conséquences à partir d’une
première position induite. Du syllogisme, en effet, le point de départ est fourni par la définition du sujet dont on
raisonne. Xénophon est très formel sur ce point (Mémorables, IV, 6, 1et 13 ; IV, 5, 2).
En nommant ainsi les discours inductifs, Aristote ne fait que signaler la voie par où Socrate s’acheminait à ses
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