une question de revenus qui oscillent autour du revenu médian. La
classe moyenne se définit plutôt par les modes de vie, les modes de
consommation, les statuts professionnels ou les classes sociales. La
classe moyenne est aussi une notion qui est intimement liéeà
l’évolution de l’inégalitédes revenus. En effet, un accroissement de
l’inégalitédes revenus peut entraîner un effritement de la classe
moyenne en rendant plus difficile le maintien de son niveau de vie
par rapport àcelui des familles considérées comme étant riches.
[Traduction]
Pour rivaliser avec les voisins, les membres de la classe moyenne
empruntent et se retrouvent pris àla gorge.
[Français]
Cela dit, la classe moyenne est-elle en péril?
Voici les faits qui se dégagent des études nationales et
internationales qui portent sur le sujet.
Premièrement, il n’y a pas de consensus quant àl’effritement de la
classe moyenne. Cela dépend des dates choisies et des fourchettes de
revenu étudiées.
En revanche, il y a un consensus selon lequel la classe moyenne,
définie en termes de revenu, est très différente de celle qui existait
avant les années 1980. En d’autres mots, elle a changésur le plan
démographique.
Selon un autre consensus, les revenus de la classe moyenne
n’augmentent pas aussi rapidement que les revenus des classes
supérieures, et tous les experts constatent un accroissement
important de l’inégalitédes revenus.
En somme, s’il n’est pas évident que la classe moyenne rétrécisse,
les riches sont plus riches qu’auparavant et les plus pauvres, de
même que la classe moyenne, ne voient pas leurs revenus augmenter
autant que ceux des plus riches.
D’autre part —et ce point est extrêmement important —, les
études internationales soulignent que la classe moyenne est
beaucoup plus large, beaucoup plus importante dans les pays
scandinaves, que l’on qualifie de social-démocraties, que dans les
pays qualifiés de libéraux comme les États-Unis, le Royaume-Uni et
l’Australie.
Ce dernier constat mérite qu’on s’y attarde. En effet, que font ces
pays de si différent qui les distingue des autres? Àpremière vue,
certains économistes suggèrent que si la classe moyenne est plus
importante dans ces pays qu’ailleurs, c’est principalement parce que
les impôts y sont plus élevés et que les programmes sociaux y sont
plus importants. Ces économistes sous-entendent que le succès de
ces pays repose sur leur État-providence.
[Traduction]
J’ai étudiéla question lorsque j’enseignais àl’universitéet j’ai
réalisédes recherches au moyen d’une analyse comparative. Les
résultats ont étépubliés dans un certain nombre de publications
scientifiques. L’étude comparative portant sur la Suède,
l’Allemagne, la Norvège, l’Autriche et le Canada a révéléune
différence fondamentale entre le Canada et les quatre autres pays.
Chacun d’eux avait recours àdes méthodes et àune stratégie
uniques, mais ils connaissaient tous une croissance durable
supérieure àcelle du Canada parce que leurs politiques étaient
axées sur l’emploi. Chez eux, il est fondamental, tant pour le
gouvernement que pour la sociétédans son ensemble, d’utiliser à
fond les ressources humaines. Ces pays connaissaient la prospéritéet
maintenaient une classe moyenne vigoureuse en visant àprocurer un
emploi àtous ceux qui voulaient travailler.
.(1450)
[Français]
Certes, ces pays offrent àleurs concitoyens une panoplie de
services sociaux, comme une éducation postsecondaire très
abordable et des programmes d’assurance sociale, mais ce qui les
distingue des autres, c’est qu’ils entretiennent une préoccupation
concertée par rapport àla création d’emplois, et ce, même dans le
cadre des programmes d’éducation et, en particulier, en ce qui
concerne le développement des compétences. Leur politique sociale
s’inscrit aussi dans le contexte plus large d’une stratégie de création
d’emplois. Les transferts publics sont souvent associésàdes
programmes d’assurance liésàl’exercice d’un emploi et non pas à
des transferts publics liésàla citoyenneté, par exemple.
Leur État-providence n’est pas la caricature qu’on en fait. Il ne
vise pas uniquement la redistribution des revenus. Dans ces pays, si
les citoyens ont des droits et privilèges, ils ont aussi des
responsabilités, et l’une d’elles est de participer àl’effort collectif
de la production qui permet de financer les services publics et un
bon niveau de vie pour l’ensemble de la population.
Le Canada a intérêtàs’inspirer de ces modèles, sinon il y a des
risques importants que la stratégie esquissée dans le discours du
Trône visant la croissance de la classe moyenne ne fonctionne pas et
maintienne les écarts importants de développement dans l’ensemble
du pays. De plus, les mesures proposées pour stimuler la croissance
de la classe moyenne risquent d’engendrer d’importants déficits
budgétaires sans réussir pour autant àstimuler l’économie et à
générer les revenus nécessaires àun retour àl’équilibre. En effet,
c’est en accordant la prioritéaux répercussions qu’auront sur la
création d’emplois les mesures, programmes et stratégies adoptés
que les effets multiplicateurs sur la croissance de l’économie seront
les plus grands.
En d’autres mots, les mesures sociales et les stratégies
économiques interagissent les unes avec les autres et elles doivent
converger vers une prospéritépartagée. C’est àcette condition que
les déficits publics encourus en période de ralentissement seront
temporaires. C’est àcette condition que la croissance créée
permettra de les financer.
Voici quelques exemples de ce que cela signifie que de cibler la
création d’emplois ou d’adopter une stratégie de l’emploi.
[Traduction]
Pour le gouvernement fédéral, cela veut dire que les objectifs de la
politique monétaire doivent comprendre la poursuite du plein
emploi, comme c’est le cas dans ces pays et aux États-Unis. Dans les
faits, l’objectif de la politique monétaire se résume àmaintenir le
taux d’inflation àenviron 2 p. 100. Pour le moment, la politique
monétaire n’entrave pas la recherche du plein emploi, mais cela
pourrait arriver, comme ce fut le cas au cours des années 1980 et
1990. Àcette époque, cette politique a suscitéde nombreux
problèmes pour bien des régions du Canada.
[Français]
La révision du programme d’assurance-emploi que le
gouvernement actuel veut entreprendre doit promouvoir l’emploi
et pas seulement le soutien du revenu des chômeurs. Àcet effet, le
gouvernement pourrait, comme l’Allemagne, utiliser largement
l’assurance-emploi pour partager l’emploi plutôt que faire des
mises àpied dans les entreprises.
[Traduction]
De plus, il serait possible d’utiliser les fonds de l’assurance-emploi
pour promouvoir les compétences professionnelles et soutenir
l’adaptation des entreprises qui ont besoin d’investir dans la
122 DÉBATS DU SÉNAT 26 janvier 2016