Geneviève Vidal Internautes citoyens et consommateurs

Geneviève Vidal
Labsic et Université Paris X III
FRANCE
Internautes citoyens et consommateurs
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Vidal Geneviève
Internautes citoyens et consommateurs
Les discours sur une inéluctable société de l’information scandent les louanges des
technologies interactives et multimédias en réseau. Davantage de démocratie, de
personnalisation et un meilleur accès aux savoirs, telles sont quelques unes des promesses des
politiques mises en œuvre tant par les Etats que par les entreprises. En effet, les Etats se
retrouvent de plus en plus souvent autour de la même table de réflexion et de décision que les
entreprises. A une différence majeure près, ces dernières visent un but lucratif et défendent en
premier lieu les intérêts de leurs actionnaires.
Ainsi, avec la bénédiction et le soutien des Etats et de l'Union Européenne, les entreprises
multiplient leurs offres de services en ligne, avec un engouement certain pour l'abonnement
gratuit à l'accès en ligne 1, tout en constituant des bases de clients avec leurs données
personnelles. Or, une tradition française « Informatique et Libertés » 2 permet la prise de
conscience du besoin d’une vigilance et d’une position critique, encore trop timide. Une partie
d'Internet garde une logique de partage des contenus et les internautes, confirmés et
néophytes, s'inscrivent dans une démarche d'accès aux contenus gratuits. En 2001, à l’heure
de la crise du modèle économique fondé sur les recettes publicitaires, de plus en plus de
contenus en ligne deviennent payants sur abonnement. Sans doute, seuls les secteurs public,
associatif et les internautes-émetteurs bénévoles offriront un accès gratuit à leurs contenus.
Pourtant pour inventer un commerce électronique, les entreprises s'appuient sur les valeurs de
partage, sur cette logique de la prétendue gratuité et tous les internautes sont considérés
comme consommateurs potentiels 3.
Les pouvoirs publics quant à eux se positionnent en faveur de la société de l'information afin
de redynamiser l'économie et l'emploi. Ils y voient une occasion de re-légitimer leur rôle, pour
ainsi faire face à ce qui est considéré comme une crise des systèmes politiques fondés sur la
démocratie représentative. Ils tentent alors de se rapprocher des citoyens grâce à Internet, en
1 Le modèle économique s’appuie alors sur la publicité en ligne et le reversement d’une partie des revenus générés par les
télécommunications et les services.
2 http://www.cnil.fr
3 Même les populations des pays « pauvres » et peu industrialisés sont invitées, par les sept pays les plus industrialisés et la
Russie (G8) qui ont adopté au Japon en 2000 une charte (du groupe d'experts sur l'accès aux nouvelles technologies : Geant
pour "Digital Opportunity Taskforce") dans laquelle les technologies d'information et de communication (TIC) sont
annoncées comme le moteur de la croissance économique mondiale, à consommer des TIC. Dans une logique libérale, et
sous couvert de combler le fossé numérique entre le Nord et le Sud, la charte semble en effet considérer chaque individu
organisant des consultations publiques en ligne 4, même s'il est nécessaire de retenir que ce
projet de société n'a fait aucunement l'objet d'un vote de la part des citoyens concernés ; celui-
ci s'infiltre dans la société civile grâce aux actions privées et publiques 5. Ainsi, les
établissements scolaires désirent une acculturation des jeunes à Internet, futurs travailleurs
dans la société de l'ère informationnelle. Au plan local, Internet est considéré comme un levier
dans le renouvellement d'une citoyenneté de proximité 6. Internet est par ailleurs le théâtre de
deux types de mouvements sociaux : l’un visant de grandes mobilisations internationales 7,
l’autre des mobilisations ciblées et intéressées 8.
Un cadre législatif multiforme est actuellement en cours d'élaboration en France, sous le nom
« loi sur la société de l'information ». Malgré la dénonciation d’un climat de censure
potentielle par les partisans d'une auto-régulation d’Internet, une volonté de co-régulation 9
conduit vers la mise en place d'un « forum des droits sur l'Internet », composé de
représentants des pouvoirs publics, d’acteurs professionnels de l'économie d'Internet,
d’associations et d’internautes 10.
Le secteur culturel et le secteur muséal dans la société en réseau
Les avancées technologiques tant du point de vue des applications que des infrastructures 11,
en adéquation avec ce contexte politico-économique, forment une course folle, dans laquelle
le secteur culturel s’engage 12. Toutefois, la France défend une « exception culturelle », de
façon à ne pas considérer la culture comme une simple gamme de produits et services
marchands. Et malgré son caractère composite, l’ensemble du secteur de la culture est
4 Ou en créant systématiquement des boites de dialogue sur les sites Web des ministères. Mais ce type de proposition de
dialogue, entre les citoyens et le gouvernement, est pour le moins flou, étant donnée la restriction causée par la rubrique
concernée et par les termes «remarques et suggestions», qui peuvent accueillir tant d'interprétations.
5 Notamment le programme d'action gouvernemental « préparer l'entrée de la France dans la société de l'information », lancé
en 1998 par le gouvernement français http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/cisi190199/accueil.htm#2 et
http://www.premier-ministre.gouv.fr/DOSSIERS/CISI2000/4.pdf
6 De nouvelles formes démocratiques soutenues par les technologies en réseau sont expérimentées dans plusieurs villes
françaises (Parthenay, Issy-les-Moulineaux par exemple) Voir notamment : http://www.multimediaville.tm.fr/
http://www.mire.net/multimediaville/pages/multi2000/etudemultiville.html.
7 La mobilisation sur Internet contre l’Accord multilatéral pour l’investissement (AMI) ou la mobilisation dite « anti-
mondialisation » par exemple.
8 Par exemple des protestations en ligne contre des entreprises Internet comme America On Line (AOL), OneTelNet,
Cybercâble en France, qui n’ont pas respecté les clauses du contrat avec les clients/internautes. Voir notamment les actions
de l'association des internautes médiateurs, l’ADIM : http://www.adim.asso.fr/
9 Textes de référence : http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/cisi100700.htm
http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/pagsi2/lsi/rapportcpaul/sommaire.htm
10 Le nombre d'internautes selon la source et la date, en France : entre 6 et 12 millions. Dans le monde: entre 360 et 400
millions, environ : http://www.journaldunet.com/chiffres-cles.shtml
Selon le baromètre multimédia 2ème trimestre 2001 de Médiamétrie : 14 394 000 "internautes français âgés de 11 ans et plus
au cours du dernier mois", avril-juin 2001 : http://www.mediametrie.fr/fr/chiffre/plurimedia/2001/baromulti_2tri_2001.html
11 Voir Abramatic Jean-François, 1999 , “ Développement technique de l’Internet ”, INRIA, rapport en ligne : http://mission-
dti.inria.fr et le consortium W3C : http://www.w3.org/
12 Trautmann Catherine, 1998, « Une politique culturelle ambitieuse pour les nouveaux réseaux » :
concerné par le développement d’Internet et adhère au paradigme de la société en réseau.
Depuis quelques décennies maintenant, il investit dans de grands plans de numérisation du
patrimoine 13, des réalisations de bases de données et d'images et des expériences de systèmes
informatisés d'inventaire d’objets conservés, de visualisation et de recherche sur les fonds. Au
sein du gouvernement français, le ministère de la Culture a été le premier à concevoir et
mettre en ligne son site Web 14 et développe actuellement des accès à Internet grâce à un
réseau d’ « Espaces culture multimédia » 15, lieux de médiation au sein de structures
culturelles et socioculturelles préexistantes, pour sensibiliser, initier et former le plus grand
nombre de citoyens au multimédia à partir de contenus culturels, éducatifs et artistiques 16.
Ainsi le secteur culturel s’assure une place dans la société de l'information, tout en craignant
toutefois les problèmes de droits d’auteurs 17 et les technologies dites pirates 18.
Pleinement impliqué, le secteur muséal permet de comprendre les enjeux du développement et
de l’appropriation d’un Internet culturel. Le musée peut être considéré comme « matrice
conceptuelle de la République » [Regourd, 2001] et lieu de reproduction sociale. Si l’on
considère le musée comme institution, il est nécessaire de garder à l’esprit ce processus
d’institutionnalisation en corrélation avec l’avènement en 1789 de l’Etat-Nation. De fait,
l’institution muséale dépasse la conception d’un espace de conservation, d’exposition et de
visites. Toutefois, elle constitue un espace public, ouvert au public et à la critique, englobant
l’histoire de la création des musées, à partir des collections royales. Cette dimension
historique et symbolique du musée est encore présente dans les esprits contemporains et c’est
pourquoi il n’est pas étonnant d’observer un cadre d’usage des multimédias de musée s'y
référant. Voilà, toute la complexité de l’usage du multimédia de musée ; l’usager se réfère à
l’histoire et la symbolique du musée d’une part et aux logiques informatique et
télécommunicationnelle d’autre part. Ainsi, il est possible de recueillir les indices de l'attente
Le discours de Tasca Catherine, 2000, «Internet et libertés publiques» :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/libertes-net.htm
13 http://www.culture.gouv.fr/mrt/numerisation/index.htm
14 Il a reçu des prix pour ses sites archéologiques en ligne : http://www.webbys.com/event/win/science.html et
http://www.prix-mobius.org
15 http://www.culture.gouv.fr/culture/actualite/dossiers/ecm/ecm.htm
16 Le ministère ne s'arrête pas là puisqu'il cherche aussi à développer la culture visuelle et l'esprit critique face aux images,
dans le cadre d’un programme dans les établissements scolaires (in Lettre d'information du ministère de la Culture n° 69 du
10 juillet 2000). De fait si ce programme est réellement mis en oeuvre, il pourra concerner les images sur Internet.
17 Les problèmes de droits d'auteurs face au numérique dans le secteur musical ; l'exemple actuellement le plus populaire
concerne les fichiers musicaux MP3 téléchargés sur l’ancien service Napster par des millions d'internautes. Face à ce type de
pratiques sur Internet, tout début 2001, la ministre de la Culture, Catherine Tasca, a décidé de soumettre les CD inscriptibles,
mini disques et DVD enregistrables à une taxe reversée aux auteurs dont les oeuvres sont susceptibles d'être copiées
(http://tif.journal-officiel.gouv.fr/2001/00336ALL.pdf ). L'éditeur allemand Bertelsmann a racheté le service d'échanges
gratuits de fichiers musicaux Napster.
18 La copie de DVD grâce à un utilitaire du nom de DeCSS en circulation sur Internet permet de « casser » les « Content
d’une technologie permettant la critique 19 des logiques dominantes du fait d’utiliser une
interface multimédia sur Internet mise en œuvre par un musée. Mais en même temps,
l’utilisateur exige une sophistication technologique capable de prendre en compte ses
desiderata, issus d’une attitude de consommateur.
Or, ce double cadre de référence aux missions sociales du musée et à la logique économique
n’émerge pas avec l’arrivée d’Internet. Le secteur muséal a, durant la seconde moitié du
XXème siècle, développé une logique de services et instauré une politique de communication,
notamment en visant la démocratisation culturelle, accompagnée par le déploiement de la
consommation culturelle. En effet, les musées ont dû inventer des modes de ressources
propres, afin de faire face au désengagement progressif de l’Etat. L’analyse du « paysage »
des études de publics de musée permet de constater cette évolution [Le Marec, 1996 ;
Octobre, 2001]. Une augmentation des crédits de recherche alloués à la culture indique
l’intérêt de l’Etat. Le public, au singulier, a le droit à la culture et les années 1960 ouvrent la
voie vers les loisirs et la consommation de masse. Puis dans les années 1970, au moment où
une démocratisation de l’accès aux études supérieures intervient, on passe du singulier au
pluriel pour considérer les publics de la culture, perdant par là même un objectif
d’universalisme. La prise en compte sociale et politique d’une diversification des publics
coïncide avec le développement des services éducatifs et culturels dans les musées, destinés à
des visiteurs ciblés. Mais, les inégalités d’accès (sociales, géographiques, économiques et
culturelles) sont mis en évidence, interpellent les pouvoirs publics, qui repensent la
démocratisation culturelle en termes d’efficacité. A l’évidence, la démocratisation culturelle
échoue et les résultats d’enquêtes démontrent le lien fort entre pratique culturelle et position
sociale. De grands chantiers d’agrandissement, de rénovation et de création de musées sont
lancés dans les années 1980, dans un contexte politique de déconcentration culturelle. C’est
aussi une époque où les cultures locales et minoritaires sont légitimées via la création
d’écomusées. L’œuvre n’est dès lors plus sacralisée comme elle l’a été jusqu’ici. La culture
est un tremplin vers la créativité personnelle et l’action dans la société. Les musées évoluent
pour intégrer des pratiques participatives, grâce notamment aux services culturels. Les années
1990 confirment cette tendance à la valorisation des individualités et de l’expression des
besoins. Ce sont également les années du multimédia et de l’appropriation d’Internet par les
19 Si l’on se réfère aux travaux de Joëlle Le Marec, nous pouvons retenir que l'amateur de musée – le visiteur expert peut soit
adopter une posture de critique, et ainsi intervient du côté de la production, soit recevoir et interpréter et ainsi exprime ses
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