Musique et mathématiques : pour une orientation de recherche.
Le domaine de la connaissance humaine aura subi bien des évolutions au cours des siècles.
Unifié dans un même but, l’anticipation des intentions divines dans la Grèce antique, il se
trouve aujourd’hui subdivisé en spécialités définies, toujours plus nombreuses. Les différentes
disciplines qui le composent sont souvent dissociées en catégories, et les avancées
technologiques, qui agrandissent le champ de la recherche, génèrent la nécessité de définir,
encore et toujours, de nouvelles branches à l’arbre
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de la connaissance.
Dans ce vaste champ, les domaines des arts, d’un côté, et des sciences, de l’autre, sont rarement
mis en relation. Les mathématiques, en tant que science pure, peuvent trouver une idée de
définition dans certaines lignes de pensée récentes
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. Celles-ci sont structurées, formelles, et
d’un langage spécifique qui les rend difficiles d’accès. Elles sont pourtant au moins aussi
anciennes que l’humanité elle-même. A dire vrai, les mathématiques ne semblent pas être très
populaires de nos jours, contrairement à la musique, qui bénéficie d’une diffusion extrêmement
large et d’une facilité d’accès hors normes. L’activité musicale, d’ordinaire, représente, quant à
elle, l’art d’engendrer des émotions en atteignant la dimension transcendantale de l’homme, et
toute civilisation, sans exception, présente un aspect musical propre à sa culture. L’universalité
caractérise largement ces deux disciplines, mais ne suffit pas à les lier véritablement.
Des recherches fondamentales sur la musique et les mathématiques jalonnent l’histoire de
l’homme, et ce, depuis les plus anciennes réflexions de la philosophie occidentale. De
nombreuses théories tentèrent de véritables explications de l’ordre du monde par une harmonie
déterminée mathématiquement, et d’autres, eurent l’audace de soumettre la musique aux
mathématiques. Ainsi, au XVII
e
siècle, Gottfried Wilhem von Leibniz (1646-1716), ira jusqu’à
affirmer que la musique est une arithmétique inconsciente de l’esprit humain
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.
L’importance profonde de ces deux disciplines, conjointement, et le rôle qu’elles ont à jouer
dans le développement de l’esprit humain ne va pas de soi. Il est donc absolument nécessaire
de retracer l’évolution la plus probable, compte tenu des fragments historiques, du lien qui les
uni fondamentalement à travers les investigations, passions et découvertes de l’homme.
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« Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines font la métaphysique, le tronc est la physique, et les
branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la
médecine, la mécanique et la morale, j'entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une
entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse », in Descartes, Principes de la
philosophie, Vrin, 2000, p. 42.
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Friedrich Ludwig Gottlob Frege (1848-1925), mathématicien, logicien et philosophe allemand, donne une
définition logiciste des mathématiques en proposant de dériver l’arithmétique de la logique. Son contemporain et
correspondant Bertrand Russel (1872-1970), épistémologue, mathématicien, logicien, philosophe et moraliste
britannique, attribue aux mathématiques une valeur de vérité, et postule l’existence des entités mathématiques,
indépendamment de l’esprit humain, mais aussi de la réalité.
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« L'ame compte les battements du corps sonnant qui est en vibration, et quand ces battements se rencontrent
regulierement à des intervalles courts, elle y trouve du plaisir. Ainsi elle fait ces comptes sans le savoir. C'est
ainsi qu'elle fait encore une infinité d'autres petites operations tres justes, quoyqu'elles ne soyent point
volontaires ny connues que par l'effet notable où elles aboutissent enfin, en nous donnant un sentiment clair mais
confus, parceque ses sources n'y sont point apperçues. Il faut que le raisonnement tache d'y suppléer, comme on
l'a fait dans la Musique, où l'on a decouvert les proportions qui donnent de l'agrement. ». « Musica est
exercitium arithmeticae occultum nescientis se numerare animi » : « la musique est une pratique cachée de
l'arithmétique, l'esprit n'ayant pas conscience qu'il compte », in Patrice Bailhache, Leibniz et la théorie de la
musique, Klincksieck, 2000, p. 151.