4
données représentationnelles, constituées par des représentations collectives de
l’inégalité dans tel ou tel secteur, qui ne renseignent sur les inégalités que de
façon indirecte, par la médiation de la représentation que les acteurs sociaux
enquêtés s’en font. L’approche retenue renseigne donc avant tout sur « les
sentiments de justice » qui structurent les consciences de nos concitoyens, mais
non pas vraiment sur les inégalités elles-mêmes. Clairement affiché par
l’ouvrage, l’objectif est, dans ce style de recherche, de mettre au jour « comment
les inégalités sont perçues » et ce que souhaitent les Français en la matière. Au
terme de l’enquête, la perception de la société à laquelle ils appartiennent est
plutôt celle d’une société « très inégalitaire » (p. 245), la satisfaction qu’ils en
ont se révèle comme plus que modérée et les enquêtés semblent souhaiter surtout
une « égalisation équitable des ressources », excluant tout aussi bien
l’égalitarisme absolu qu’une totale méritocratie (p. 245) – selon un souhait au
fond « rawlsien » qui ouvrirait sur des politiques de maximisation des minima
sociaux. Les éditeurs de l’ouvrage interprètent ces résultats dans leur conclusion
en constatant la stabilité de cette perception par rapport à des enquêtes
antérieures, et en se référant au jugement de Tocqueville, évoqué ci-dessus, selon
lequel l’égalisation des conditions (donc le devenir-démocratique d’une société)
attise le désir d’égalité, en sorte que, concluent-ils, il n’est pas exclu que, dans
une société de ce genre, « la sensibilité aux inégalités aille au-delà de ce qu’on
connaît des inégalités objectives » (p. 245). Formulation qui pointe donc d’elle-
même en direction d’un autre type de production de données, qui nous fournirait
précisément des informations sur les inégalités objectives – à partir de quoi
pourraient ensuite être confrontées les représentations et ces informations,
lesquelles seraient bien sûr elles aussi des représentations, mais des
représentations agencées de manière à informer moins sur les sujets de l’inégalité
et la perception qu’ils en ont que sur l’inégalité ou les inégalités telles qu’on peut
les objectiver, c’est-à-dire, pour l’essentiel, les mesurer selon une approche
principalement statistique.
On va revenir, dans la troisième étape de cette séance, sur cette approche
statistique quantifiant les inégalités. En tout cas, selon ce que la confrontation
des données représentationnelles et des données ainsi objectivées permettrait
d’observer, il y aurait matière à réflexion et à interprétation sur le degré
d’adéquation ou d’inadéquation entres les données représentationnelles
subjectives correspondant aux opinions des acteurs et les représentations
objectivantes – avec, en cas d’écart fort ou significatif, tout un travail subséquent
sur la question de savoir ce qui fausserait la conscience des acteurs et qui peut
résider aujourd’hui, pour partie et au sein des sociétés démocratiques, dans
l’appartenance à une société dont les valeurs affichées d’égalité peuvent rendre
d’autant plus sensible aux inégalités vécues ou subies, et donc conduire à estimer
celles-ci plus lourdes qu’elles ne le sont en réalité.
A évoquer les représentations objectivantes de l’inégalité, force est bien de noter
en tout état de cause que ces représentations « objectives » ou objectivées,
puisqu’elles ne sauraient constituer pour ainsi dire la « chose en soi » de
l’inégalité, doivent bien être construites. Ce que la suite de la séance s’est
employée à illustrer par l’évocation des deux autres types de données déjà