Sagesse et nirvana dans le stoïcisme et le bouddhisme
. Pierre HAESE, septembre 2015
2
jours une vitalité sans cesse renouvelée
1
. En revanche, on peut considérer que le stoïcisme
a disparu au III
e
siècle alors que le néoplatonisme prenait de l'importance et que le
christianisme s'en appropriait une bonne part. Mais la pensée stoïcienne en tant que telle n'a
pas disparu, au point qu'il existe encore de nos jours des philosophes et même des
groupements se réclamant du stoïcisme
2
.
On pourrait croire que la métaphore génétique a atteint ici les limites de son assignation.
En effet, pour qu'il y ait expression d'un phénotype, les lois de la biologie imposent
l'interaction de deux gènes (allèles, qui déterminent le génotype), certains gènes s'exprimant
de concert (le sujet est alors dit homozygote pour ce caractère), d'autres au détriment de leur
allèle (hétérozygotisme dominant), ce qui ne semble pas s'appliquer à notre sujet. Par
ailleurs, l'environnement intervient dans la manifestation du phénotype. Or, c'est précisément
ce type d'interaction que j'ai voulu susciter dans mon travail comparatiste. Il est possible de
mener une réflexion en miroir à partir des similitudes mises en évidence et de faire en sorte
que chacune des doctrines interroge l'autre à la lumière de ses ressemblances. Cette
conception artificielle de mise en perspective pourrait n'être qu'un aimable exercice sans
conséquences, mais la réalité vient en justifier l'intérêt. D'un côté, le bouddhisme a quitté au
siècle dernier
3
son aire asiatique pour se confronter à la pensée occidentale et s'étendre en
Occident sous des formes inédites. De l'autre, les « New Stoics » manifestent un intérêt
croissant pour le bouddhisme, en particulier pour les exercices de méditation
4
. Il ne fait
aucun doute que la pensée universelle a tout à gagner de cette nouvelle configuration.
Stoïciens et bouddhistes cheminent vers un idéal, celui de la sagesse pour les premiers,
de l'Éveil
5
pour les seconds. Il s'agit de deux idéaux très proches dans leurs conséquences
éthiques ainsi que dans l'ascèse censée y conduire, centrée sur l'idée de vertu. Commun
aussi est le caractère exceptionnel de leur réalisation.
1
- La plupart de ces écoles ont disparu. De nos jours, les écoles bouddhiques sont réparties au sein de trois
véhicules : Hinayana (Petit Véhicule) avec les écoles Theravada, Mahayana (Grand Véhicule) avec en particulier
le zen et le bouddhisme de la Terre Pure, Vajrayana (Véhicule de Diamant) avec le bouddhisme tibétain.
2
- Dans un livre célèbre (Courage Under Fire: Testing Epictetus's Doctrines in a Laboratory of Human Behavior),
James B. Stockdale, officier de l'US Navy, raconte comment il a survécu à sept années d'emprisonnement au
Vietnam grâce à sa connaissance d'Épictète. Mais c'est sans doute Lawrence C. Becker, philosophe américain,
qui pose les bases les plus pertinentes d'un New Stoicism (voir son livre A New Stoicism et de nombreuses
études comme « Human Health and Stoic Moral Norms » ou « Stoic Emotion »). Par ailleurs, plusieurs
associations appelant à un mode de vie stoïcien ont vu le jour au Royaume Uni, aux États-Unis et au Canada
(Comme The New Stoa, www.newstoa.com et Stoicism Today, http://blogs.exeter.ac.uk/stoicismtoday/).
L'importance numérique de ces groupements est presque anecdotique (quelques milliers de participants), mais
l'idée même d'une pratique stoïcienne à notre époque est très sérieuse.
3
- Au XIX
e
, c'est plutôt l'inverse qui s'est produit, l'Occident se confrontant (de façon très maladroite) au
bouddhisme.
4
- Voir par exemple Ben Butina, "Mindful Virtue: Eastern Meditation for Stoic Ethics'" ; Aditya Nain, "Stoic
Mindfulness & Buddhist Mindlessness", in Stoicism Today, Selected Writings.
5
- Bodhi, traduit généralement en français par « sagesse », réalisation, satori dans le zen, nirvana en tant que
sortie du cycle du samsara.