Recension de la traduction de l’ouvrage de
Feng Youlan (1895-1990)
Nouveau Traité sur l’homme,
Introduction, traduction, et notes
par Michel Masson, Institut Ricci/Cerf, 2006, 300 pages
dans la revue Etudes, décembre 2006, pp.686-688.
FENG YOULAN (1895-1990) est depuis longtemps connu en France grâce à son Précis
d'histoire de la philosophie chinoise, publié en traduction française en 1952. Dans les
dernières pages de ce livre, Feng montrait qu'il n'était pas seulement historien de la
philosophie chinoise, mais aussi un philosophe présentant les fondements de sa propre
pensée. Avec la parution en traduction française du Nouveau traité sur l'homme (1943),
nous avons aujourd'hui accès au coeur de sa pensée.
Feng y expose ce qu'il appelle les quatre milieux existentiels de l'homme: naturel,
utilitariste, moral et transcendant. Le milieu naturel correspond à un stade préreflexif de
fusion avec la nature et le cosmos. Pour Feng, si l'intuition fondamentale des personnes
vivant dans ce milieu est juste, ce naturalisme, explicité notamment dans le taoïsme, se
présente comme un leurre. Cet idéal de communion avec le cosmos ne peut être atteint
qu'au terme d'un long parcours. Les personnes vivant dans le second milieu, le milieu
utilitariste, sont d'abord intéressées par leur gloire ou leur profit, et seulement
indirectement à faire bénéficier l'humanité des résultats de leurs efforts. Feng critique ici
les tenants de l'hédonisme et de l'utilitarisme, dans la tradition tant chinoise (Mozi)
qu'occidentale (Bentham, Mill). Alors que les deux premiers niveaux d'existence restaient
liés à la réalité prosaïque de la nature et du monde, les deux suivants s'avèrent être des
créations de l'esprit humain. Dans le milieu moral, l'homme vertueux œuvre pour autrui et
pour la société. Feng exalte la valeur morale des actes, indépendamment des échecs
rencontrés et du manque de résultats. On peut lire en arrière-fond le tragique de
nombreux Chinois de cette époque dans leurs efforts maintes fois contrariés pour
redresser leur pays. Mais c'est au quatrième milieu, le transcendant, que Feng donne la
plus haute place. Là, le sage se comprend comme inséré dans l'univers, en communion
avec le Ciel. Cette expérience est décrite d'abord comme intellectuelle. Il s'agit de l'accès
à la réalité métaphysique, à sa fondation conceptuelle et logique, à ce que la tradition néo-
confucéenne nomme le principe (li) du monde. Toutefois, Feng souligne les limites de
l'intellect à appréhender cette réalité, et il développe l'idée d'un mysticisme philosophique.
L'expérience décrite n'est pas statique, puisqu'elle entraîne une transformation spirituelle
du sujet. Aussi bien pour la description du milieu moral que pour celle du milieu
transcendantal, Feng s'appuie sur le néo-confucianisme, surtout sur la branche
intellectualiste de Zhuxi. Il souligne aussi la stimulation positive qu'ont apportée le
bouddhisme et le taoïsme dans l'explicitation du niveau transcendantal dont le néo-
confucianisme s'est démarqué en développant cette spiritualité non pas comme refus du
monde, mais comme présence dans le monde.