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Peter LEWIS- 1980 (édition française ; édition originale de 1968)
La France à la fin du Moyen-âge
Avant-propos
L’ouvrage n’a donc pas pour objet principal la guerre mais se veut une synthèse des rapports complexes
de l’Etat, de son pouvoir et de ses institutions avec la société, dans la France des XIVe et XVe siècles,
dans un contexte de guerre quasi-permanente. Bernard Guenée présente ainsi l’ouvrage de Peter Lewis :
« P.S. Lewis entend étudier « The Polity », ce que Christine de Pizan avait appelé « le corps de policie », ce
que nous appellerions plus volontiers aujourd’hui la société politique. ». Certains aspects ont été laissés de
côtés parce qu’ils n’intéressent pas directement notre programme, ou parce qu’ils sont traités de manière
complète par ailleurs, d’où un certain déséquilibre entre les différents chapitres. Je me suis néanmoins
efforcé de retranscrire les traits principaux de la réflexion de l’auteur qui permettent une approche
politique de la guerre et de sa place dans la société.
Selon l’auteur lui-même, son œuvre traite essentiellement du problème du pouvoir car, «le processus du
pouvoir n’est pas une partie distincte, pouvant être envisagée indépendamment du processus social ; il
n’est que l’aspect politique d’un tout interdépendant. Mieux encore, il n’est que l’aspect politique de
l’ensemble du processus social. »Il s’agit ainsi de saisir quelles sont les transformations de l’Etat et du
pouvoir royal dans un contexte de guerre, quelles sont les articulations entre la guerre et la société
politique : par exemple quel rôle joue la guerre dans le processus de légitimation des souverains ? Nous
verrons pourquoi Peter Lewis tient ce rôle pour central.
Dans un contexte d’affaiblissement de la royauté, des princes entreprennent de former de véritables
principautés territoriales : en formant une administration et une armée efficaces, en diffusant une
véritable propagande auprès de leurs sujets, en renouvelant les formes de fidélité féodales : autour de
princes comme le comte de Foix, le duc de Bretagne, le duc d’Orléans et bien d’autres s’organisèrent des
réseaux d’alliances, des clientèles, qui affaiblirent encore un royaume affaibli par la guerre contre
l’Angleterre.
Face à ces divisions c’est bien souvent la force des armes qui s’avèrera décisive. Le roi s’impose
définitivement par son armée, et en particulier grâce à son artillerie dans de nombreuses provinces. Cette
puissance militaire n’aurait néanmoins pas été suffisante si les Valois n’avaient affirmé leur légitimité
par une habile propagande, également étudiée par Peter S. Enfin, les rois de France triomphent par la
guerre, mais surtout par la paix, si ardemment souhaitée par les populations après cent années
d’affrontements et de dévastations.
Chapitre premier : les conditions d’existence
Peter Lewis met en lumière la diversité des pays qui forment le royaume de France, l’incertitude sur les
limites du royaume (liée notamment à l’occupation anglaise de nombreuses régions), l’opposition
linguistique entre langue d’oïl et langue d’oc, qui sont elles-mêmes divisées en de multiples langues
locales, et auxquelles il faut ajouter le basque, le breton, les langues germaniques
Conservatismes
Dans les périodes de guerre, les pays et les villes défendent d’abord leurs propres intérêts avant de venir
en aide à leurs voisins. Ainsi, Peter Lewis rapporte qu’en 1443, les états du Rouergue reçoivent une
demande d’argent pour chasser les Anglais émanant d’une place du Quercy : le conseil de la ville de Millau
arrête de donner une somme la plus maigre possible. Selon Peter Lewis, cette attitude égoïste est la plus
répandue parmi les pouvoirs locaux dans la France de la fin du Moyen-âge.
Le sentiment de la défense des droits et des privilèges particuliers domine toute idée d’intérêt de l’Etat.
Au milieu de cette juxtaposition d’intérêts « En un sens, le roi est l’unique habitant de la France entière. »
Les évolutions vers une loi commune sont lentes : au milieu du XVème siècle, l’influence des « coutumes
du Beauvaisis » de Philippe de Beaumanoir commence à donner des principes communs aux coutumes de
Senlis, Clermont et Valois.
Croyances
Au-delà de l’importance majeure et incontournable de la religion chrétienne, Peter Lewis étudie
l’importance des multiples formes de croyance qui traversent la société. La sorcellerie, l’occultisme, les
hérésies occupent une grande place dans les mentalités du temps. Les chasses aux sorcières sont
fréquentes dans les années 1450-1460 : les paysans de Torcy en Normandie, vers 1455, décident
d’attaquer les sorcières locales.
Les croyances dans les démons ne touchent pas seulement le commun mais aussi les seigneurs : Gaston
Fébus semble avoir possédé son propre « esprit amical » qui lui apprend la triste issue de la bataille
d’Aljubarotta. Le chroniqueur Froissart ne semble pas troublé par ces démons.
L’astrologie est aussi prisée des puissants :
- Thomas de Pisan aurait conjuré les Anglais hors de France par la magie astrologique pour le compte
de Charles V.
- Le duc Jean d’Alençon a fait dresser son horoscope par maître Michel Bars : l’astrologue lui a fourni
un talisman porte-bonheur et une poudre qui peut servir à détecter les ennemis.
Les hommes de guerre ne s’en remettent pas seulement à Dieu, mais combattent aussi en fonction des
prédictions astrologiques, particulièrement pour l’élection des jours favorables pour livrer bataille :
- Maître Laurens de Richemond aurait indiqué aux Bourguignons le bon moment pour prendre Paris
en 1418.
- Louis de Langle, astrologue, tient boutique à Lyon où l’on vient de loin pour le consulter. Il a
prédit à Charles VII la bataille de Formigny. Il est également consulté par Jean d’Alençon.
- Bertrand du Guesclin a pour femme une astrologue. Un capitaine anglais a prévu son ascension
d’après les prédictions de Merlin et les étoiles. Il est accompagné d’Yves de Saint-Branchier, expert
en élection des jours favorables ou défavorables aux batailles
La guerre
Dans de nombreuses régions du royaume de France, la guerre est un des éléments dominants de
l’existence : elle contribue à la fragilité de la cohésion de la « France » en tant que concept politique : sa
stabilité dépend de la capacité du roi à s’imposer auprès des plus puissants de ses sujets. L’autorité
politique des grands est particulièrement menaçante lorsqu’elle s’exerce aux marges du royaume.
Les droits anglais et leurs partisans français.
Le caractère endémique de la guerre en France à la fin du Moyen-âge découle de l’opposition de
pouvoirs qui craignent d’être anéantis par la montée en puissance de la monarchie. Ainsi définit-il la
lutte du duc d’Aquitaine, roi d’Angleterre, contre le roi de France comme « un exemple de la résistance
d’un grand féodal à l’extension dans la pratique d’une souveraineté qu’il ne peut contester en théorie ».
A la source du conflit se trouve la question du droit :
- Au début du XIVème siècle, les rois d’Angleterre ont reconnu la seigneurie du roi de France sur
toutes leurs possessions sur le continent. Dans le cas de la Gascogne, elle date du traité de Paris en
1259 : Henri III reconnaît qu’il la tient de Louis IX en échange de la paix et d’une aide financière. Le
roi d’Angleterre renonçait à ses droits sur la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine et le Poitou.
- Or, la reconnaissance de la souveraineté de la France sur la Gascogne était une source de danger
pour le roi d’Angleterre, lui-même souverain empereur dans son royaume, il ne peut accepter de
reconnaître en toutes circonstances le roi de France comme suzerain sous peine de voir sa
légitimité atteinte, d’autant plus par au pouvoir affaibli des derniers Capétiens et des Valois. Peter
Lewis interprète en partie la Guerre de Cent ans sous l’angle de l’attraction centrifuge d’un satellite
particulièrement puissant du royaume. En 1294 et en 1324, le roi de France considère par deux fois
que le duc d’Aquitaine a manqué à ses obligations et lui confisque le duché : les questions
soulevées par le traité de Paris de 1259, notamment celle de l’hommage, ne sont toujours pas
tranchées.
- Edouard III franchit le pas décisif en se proclamant souverain en Aquitaine : arrière-petit-fils de
Henry III, il dénie le titre de roi à l’arrière-petit-fils de Louis IX.
L’auteur souligne l’importance pour les princes et les hommes de guerre d’avoir Dieu à leurs côtés : le
combat anglais se justifie par la prétention à la couronne de France. Un soldat réaliste comme sir John
Fastolf souligne en 1435 que si Henri VI devait abandonner ce titre aux Français, on pourrait proclamer
partout que « toutes les guerres et conquêtes n’ont été qu’usurpation et tyrannie. » Or les rois
d’Angleterre ne maintiennent pas leurs revendications avec constance comme le soulignent les
propagandistes français.
Peter Lewis met ainsi en évidence l’enjeu de la légitimation de la guerre : affirmer avoir le droit pour soi,
c’est s’affirmer comme légitime à combattre et à conquérir, avoir Dieu à ses côtés. Mais il souligne aussi
que la proclamation des justes revendications dépend du rapport de force politique du moment : en
1337, Edouard III proclame ses droits sur le royaume de France alors que les Français interviennent en
Ecosse et en Guyenne ; lorsqu’il s’arroge le titre et les armes de France en 1340 c’est en grande partie pour
séduire les Flamands ; les renonciations des traités de Brétigny et de Calais en 1360 ne seront jamais
suivies d’effet, et les prétentions au trône de France demeurent lorsque la guerre reprend 9 ans plus tard.
Les prétentions se poursuivent sous les règnes de Richard II et Henry IV, prennent une importance
croissante avec la montée en puissance d’Henry V suite à l’invasion de 1415. Par le traité de Troyes en
1420, Henry V devient l’héritier de Charles VI ; la double-couronne revient finalement à son fils Henri VI.
Lorsque les Anglais sont chassés de France en 1453, le roi d’Angleterre prétend toujours au titre.
Cette prétention anglaise sur la couronne de France sert de point d’appui à d’autres revendications
internes au royaume : « En ce sens la guerre entre l’Angleterre et la France a l’aspect d’une guerre
intestine où se fondent les autres rivalités intestines. » De fait, la liste est longue des nobles français qui
s’allièrent à la puissance anglaise :
- Robert d’Artois, s’estimant lésé de l’héritage du comté est longtemps considéré par les
propagandistes français comme celui qui poussa Edouard III à l’action à partir de 1330.
- Jean de Montfort se tourne vers Edouard en 1341 de peur de perdre ses droits sur le duché de
Bretagne.
- Geoffroy d’Harcourt en 1343.
- Charles de Navarre intrigue avec les Anglais après 1350.
« Rares sont les grands qui échappent à la tentation de la révolte, et rares sont les rebelles qui
échappent à la tentation de s’allier avec l’ « ennemi ». C’est essentiellement cet état de guerre civile
quasi permanente dans la France de la fin du Moyen-âge qui permet à l’Angleterre ses succès les plus
remarquables entre 1420 et 1450. » A l’inverse la réconciliation de Philippe le Bon avec Charles VII peut
être considérée comme une des causes essentielles de l’échec final des Anglais. Même si après 1453, « la
symbiose entre les princes français mécontents et les prétendants anglais continue (…) comme les
intrigues du duc Jean d’Alençon. »
Les guerres médiévales sont décrites comme des affrontements d’acteurs politiques rationnels aux intérêts
concurrents. Mais les intérêts s’expriment dans les termes du droit car il importe aux belligérants d’être du
côté de Dieu : ils entendent ainsi fonder la légitimité de leur combat, et disqualifier les motifs de
l’adversaire. Les argumentations déployées à cet effet dans les chroniques amènent Peter Lewis à nommer
certains d’entre eux « propagandiste », notamment ceux qui défendent les intérêts des Valois.
Pour l’historien, les phases de succès des belligérants dans la Guerre de Cent ans ont des causes avant tout
politiques: ainsi les nombreux succès anglais face aux armées du roi de France sont-ils possibles du fait de
la désorganisation interne du royaume de France, en proie à une véritable guerre intestine.
Les hostilités
Dans cette partie Peter Lewis décrit les principaux combats de la guerre de Cent ans. Il n’est pas nécessaire
ici de reprendre la chronologie des batailles telle qu’elle est exposée dans les ouvrages consacrés
spécifiquement à la guerre de Cent ans ( cf. notamment Philippe Contamine), en revanche il est utile de
comprendre la grille d’analyse politique des transformations de la guerre proposée par Peter Lewis.
L’historien observe une forme de diffusion de la guerre dans la société par la multiplication des conflits :
« Chaque période majeur du conflit général s’accompagne d’une épidémie de conflits locaux mineurs,
chacun étant susceptible de créer d’innombrables difficultés aux habitants, du seul fait, en partie au
moins de la nature même de la guerre à la fin du Moyen-âge.»
L’intérêt privé des armées prime souvent sur l’intérêt général qui commence tout juste à émerger :
- Ainsi Edouard III s’est-il engagé à Brétigny à évacuer des forteresses : mais les Français doivent
payer 20000 écus d’or pour 5 d’entres elles tenues en Normandie par Henri de Lancastre. Son
représentant affirme que le traité entre rois ne peut prévaloir sur les intérêts en cause : le
Parlement de Paris accepte l’argument. « Le droit du militaire sur ce qu’il a pris est justifié par la loi
des armes. »
- Les routiers accordent leur fidélité aux seuls capitaines qui les ont recrutés et non aux Français ou
aux Anglais. Après le traité de Calais en 1360, ou d’Arras en 1435, ils continuent à vivre sur le
pays.
- Au XIVème siècle, certains comme Arnaud de Cervole l’archiprêtre dominent de vastes régions à
partir de châteaux qu’ils ont conquis, échappant à toute autre autorité ou justice.
Peter Lewis montre que la fin du Moyen-âge est une période de diffusion de la guerre, et plus largement
de la violence à tous les niveaux de la société. Les formes d’affrontements sont multiples :
- Guerres civiles entre Armagnacs et Bourguignons comme la Praguerie en 1440 ou la guerre du Bien
public.
- Guerre entre nobles comme la grande querelle des maisons d’Armagnac et de Foix
- Les clercs en quête de bénéfices s’affrontent en utilisant l’artillerie.
- « dans les querelles de taverne, les couteaux sortent facilement. » p.80.
L’économie de guerre
Peter Lewis estime que c’est une véritable « épidémie guerrière » qui s’étend dans le royaume de
France. Il souligne néanmoins la difficulté d’évaluer avec précision les dommages démographiques
directement liés à la guerre.
L’auteur estime que les effets de la guerre sur la commerce sont souvent limités car les souverains
manquent souvent de moyens lorsqu’ils souhaitent mettre en œuvre des politiques d’entrave à la
circulation : Louis XI parvient à un certain succès dans son embargo alimentaire contre Charles le
Téméraire, mais il échoue totalement à lui couper les crédits de la banque des Médicis. Les principaux
effets de la guerre sur le commerce sont indirects et sont liés à la piraterie et au brigandage. Le fardeau le
plus lourd lié à la guerre est celui de l’impôt (abordé dans le chapitre 2)
Le sentiment « national »
L’idée de la naissance d’un sentiment national dans la France de la fin du Moyen-âge est souvent
alimentée par la figure de Jeanne d’Arc. « Dans quelle mesure la guerre contribue-t-elle à une prise de
conscience dans la société française de la fin du Moyen-âge ? »
Les victoires de Charles VII et son couronnement à Reims donnent une certaine réalité à la souveraineté du
roi de France sur l’ensemble du royaume. Il est néanmoins difficile pour l’historien d’évaluer la fidélité des
Français à leur roi. Ainsi Froissart assure qu’en 1399 les villes de Gascogne jugent leur liberté mieux
garantie par les Anglais et craignent le pouvoir du roi de France. Néanmoins, selon Peter Lewis, on trouve
dans les autres régions de nombreuses preuves de « la résistance patriotique des Français à l’occupant
anglais » : Sir John Fastolf constate que les Français préfèrent Charles VII à Henri VI.
Plusieurs auteurs peuvent être rattachés à une « littérature patriotique française » :
- Jean de Montreuil souligne l’orgueil et la méchanceté des Anglais vers 1411.
- Noël de Fribois les regarde avec « abomination et haine » écrit-il en 1459.
- Christine de Pisan saisit les conséquences morales de la mission de Jeanne d’Arc et met en avant la
main de Dieu qui arrête les Anglais.
Peter Lewis met en avant les motivations politiques des auteurs : leur production littéraire répond à un
besoin d’exaltation du combat de la monarchie française contre les Anglais ; aussi qualifie-t-il ces
auteurs de « propagandistes du camp des Valois. » Ces auteurs s’emparent également du thème du roi
très-chrétien, des symboles de la fleur de lys et de l’oriflamme. Ils s’efforcent de convaincre les sujets de
la droiture morale des Valois. A l’inverse, ils passent au crible l’histoire des Plantagenets afin de
démontrer qu’ils ne sont pas très-chrétiens.
Cette propagande prend son essor à partir du traité de Calais en 1360. Nicole Oresme est
particulièrement actif au service du roi Charles V : par ses commentaires sur la Politique d’Aristote, il est
aussi possible qu’il ait collaboré au Songe du Verger dont plusieurs chapitres critiquent les prétentions
anglaises.
Le rapport des Français à la présence anglaise est très divers selon les circonstances et les milieux
sociaux : les habitants de Bordeaux, de Rouen, certains seigneurs gascons, les ambassadeurs des Etats de
Normandie, certains Parisiens ou habitants de l’ouest, soutiennent ouvertement les Anglais pour une
raison ou pour une autre. Les attitudes peuvent varier selon les circonstances : ainsi Jean Marcel,
marchand et changeur de monnaie à Rouen, prête successivement aux Anglais puis aux Français. Les
familles nobles sont partagées en Normandie et à la frontière franco-bourguignonne. Certaines n’hésitent
pas à partager leurs fidélités pour préserver le plus possible leurs intérêts :
- Jean de Roffignac reste fidèle à Charles VII et conserve sa propriété de famille en Limousin ; il
envoie son fils Guiot prêter serment à Henri VI pour préserver la propriété de famille en Nivernais.
Le cas de la Normandie conquise par les Anglais est particulièrement intéressant. L’université de Caen doit
son existence aux Anglais et les états de Normandie retrouvent leur liberté sous les Anglais. On peut se
référer au témoignage de Thomas Basin sur cette région gouvernée par Bedford : la région est pillée par les
Anglais, par ceux qui « prétendent » combattre les Anglais, et par les « brigands » qui vivent dans les forêts
par haine des Anglais, par appât du gain ou pour échapper à la justice. En 1434, les Anglais arment les
paysans normands contre tous les pillards qu’ils soient brigands, Français ou Anglais ; tandis que les
brigands s’efforcent de pousser les paysans à la révolte contre les Anglais. En 1435, le rejet du traité
d’Arras par les Anglais provoque une recrudescence d’hostilité contre eux. Dans le même temps les
troupes françaises progressent dans le pays de Caux : les armées des deux camps se livrent à de nombreux
ravages. Dans ces conditions, si la fidélité à la France l’emporte vers 1449-1450 c’est avant tout parce
que les Valois apparaissent comme les mieux à même de ramener la tranquillité ; rien ne dit qu’il n’en
aurait pas été autrement si Bedford avait su maintenir la paix puisque, selon Thomas Basin, les paysans
semblent finalement exécrer autant les Valois que les Plantagenets.
Les fidélités politiques varient fortement selon les circonstances : les nobles cherchent à préserver leurs
possessions, les marchands à accroître leurs biens, et les paysans tentent de sauver leur vie et leurs
terres du fléau de la guerre. La fidélité au roi de France est ébranlée dan bien des régions :
- Evêque de Beauvais en 1440, Jean Juvénal des Ursins avertit Charles VII que les bienfaits du
gouvernement anglais pourraient pousser les sujets vers l’Angleterre
- Thomas Basin estime que la Gascogne est fort attachée aux Anglais. Toutefois, la reconquête de la
Gascogne n’est pas suivie d’une forte répression des « traîtres » et le gouvernement mise sur
l’oubli.
Finalement c’est avant tout, selon Peter Lewis, la victoire définitive qui a justifié aux yeux des Français le
« sentiment national » longtemps proclamé par les propagandistes des Valois, qu’ils ont aussi contribué
à construire.
Chapitre II : Rois, courtisans, conseillers et officiers royaux
La légitimité
La victoire est la meilleure des sources de légitimité politique : « dans l’euphorie de la victoire, les
Français non engagés peuvent accepter avec enthousiasme la justification historique de la résistance des
Valois aux Plantagenets. »
L’auteur souligne néanmoins que la fin de la Guerre de Cent ans ne marque pas pour autant la fin des
inquiétudes de la monarchie : ainsi en avril 1478, Louis XI, négociant avec les Anglais, peut envoyer
Guillaume Cousinot, comme son père avait envoyé Jean Juvénal des Ursins, au Trésor des chartes et à la
Chambre des Comptes pour « dresser beaux, notables, grans et emples mémoires instructions pour bien
fonder nos drois » et contredire les prétentions anglaises à la couronne de France, à la Normandie et à la
Guyenne. Le problème majeur des rois de France tout au long du XIVe et du XVe siècle est celui de
l’affirmation de leur légitimité face aux prétentions anglaises.
Les auteurs partisans des Valois s’efforcent en permanence de justifier cette légitimité. Ils sont parfois en
difficulté, comme lors de la capture de Jean II en 1356 : un auteur choisit de distinguer les deux corps du
roi, le privé et le public, pour minorer l’impact de sa capture.1 référence au livre de Kantorowicz
Résistance et obéissance
Les théories sur le pouvoir de droit divin du roi ont des conséquences et des usages politiques variés : Jean
de Terre-Vermeille se sert de la théorie du corps mystique, au milieu de la guerre civile « pour prêcher aux
membres du corps politique un degré d’obéissance, presque digne de Hobbes, à la volonté unique de la
tête : la rébellion est contre-nature. »
La question de la résistance à un tyran est aussi abordée par les théologiens. Pour Gerson, la résistance est
légitime face à un authentique tyran, même s’il faut prendre garde que les conséquences de la résistance à
la tyrannie ne soient pas pires que ses causes (sermon Vivat rex, 1408). Certains auteurs prennent parti
pour le tyrannicide comme Jean Petit qui justifie le meurtre de Louis d’Orléans par Jean Sans Peur ; Thomas
Basin justifie la guerre du Bien public par la révolte contre le tyran, ce qui s’explique aisément par sa haine
de Louis XI. Au contraire, Jean Juvénal des Ursins la condamne cette guerre comme une révolte prohibée
contre un souverain légitime.
« La tyrannie » : l’armée et le fisc
Dans la pratique, Charles VII et Louis XI ont une armée permanente. En principe, depuis 1439, seul le roi
a le droit de lever des troupes. Les guerres privées sont interdites pour la première fois par saint Louis au
milieu du XIIIe siècle, sans qu’il soit obéi. Philippe IV et ses successeurs cherchent des compromis : ainsi
Charles V reconnaît le droit de guerre privée aux nobles si l’un et l’autre sont d’accord pour se battre ;
lorsqu’elles sont interdites pendant la guerre de Cent ans c’est avant tout pour que les nobles participent
d’abord aux combats contre les Anglais.
A la fin des années 1430, les compagnies privées deviennent un danger pour la sécurité du royaume :
plusieurs auteurs s’en émeuvent comme Nicolas de Clamanges en 1408, les réformateurs de 1413, Jean
Juvénal des Ursins en 1433-1440.
Avec la création des compagnies d’ordonnance en 1445 puis des francs-archers, de nombreux auteurs
reconnaissent que l’armée est désormais plus disciplinée : ainsi Jean Juvénal des Ursins en qui reconnaît
que les pillages et que le roi fait respecter ses ordres par les troupes, Mathieu d’Escouchy, Jacques du
Clercq et Georges Chastelain partagent cet avis.
Mais ils sont aussi nombreux à trouver l’armée coûteuse et encombrante : le même Jean Juvénal pense
dans les années 1450 qu’elle devrait être abolie, comme Thomas Basin en 1461. L’armée est en effet très
coûteuse : onze jours avant sa mort, Louis XI approuve le paiement des compagnies de gens d’armes pour
l’année du 1er janvier au 31 décembre 1482 pour plus de 735 000 livres tournois.
Cette armée permanente contribue grandement à la mise en place progressive d’un impôt permanent :
- L’impôt devient significatif à partir du règne de Philippe IV : les nobles en sont exemptés avec pour
justification leur service militaire personnel. Le centième rapporte 350 000 livres parisis en 1295,
700 000 livres tournois en 1304.
- En 1341, la gabelle, impôt sur le sel, est instaurée.
- La rançon de Jean II le Bon en 1356 impose un fardeau considérable aux finances du royaume.
- Un impôt « pour la deffence dudit royaume » est levé à partir de 1363. 2 types d’impôt sont alors
en vigueur : les fouages directs institués en 1363, et les aides indirectes sur les biens de
consommation comme la gabelle.
- En 1380, Charles V abolit les fouages sur son lit de mort, et le gouvernement de son fils abolit les
autres impôts.
1
Cf l’ouvrage d’Ernst Kantorowicz, Les Deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen-Age, 1989 (1957).
-
En 1382, le gouvernement tente de rétablir les aides et la gabelle ce qui entraîne des émeutes : leur
répression après la victoire de Roosebecke permet de les rétablir
- 1384 : tailles indirectes exceptionnelles
- 1413 : la moitié des impôts sont consacrés à la guerre.
- 1418 : abolition des aydes par Jean sans Peur, le dauphin Charles ne peut que l’imiter sur ses terres.
- Mais l’impôt continue sous diverses formes dans les années 1420.
- « A partir de 1439, l’impôt est, de facto, permanent en France, de même que l’armée est, de
facto, permanente, bien que son incidence et sa forme varient bien entendu selon les époques et
les lieux. Et, de même que le roi réclame le monopole de la levée des armées, il réclame celui de
lever les impôts. »
Combien rapporte l’impôt ?
Aides et gabelles vers 1390 : 2 millions de livres tournois ; Tailles de 1384 à 1412 : entre 300 000 et 1
million de livres tournois par an. S’y ajoutent les aides locales et la dîme de l’Eglise.
Un des rares budgets du XVe qui soient parvenus aux historiens révèle le poids de la guerre sur les
finances :
- En février 1470, les financiers de Louis XI estiment son revenu net à un peu plus d’1,8 million de
livres.
- Dépenses militaires pour les gens d’armes et l’artillerie : 907 000 livres ; garnisons : 17 000 ;
capitaines-généraux des francs-archers : 3000 ; capitaines de l’arrière-ban : 6000 ; recruteurs :
1000.
- Le reste correspond aux dépenses pour les maisons, les fonctionnaires civils, les pensions des
princes du sang, les pensions des membres de l’ordre de Saint-Michel et des courtisans, d’autres
pensions et dons divers.
- Il y a un déficit de 147 000 livres tournois.
La guerre pèse sur les finances parce qu’il faut payer la troupe et ses capitaines, mais aussi parce qu’il
faut acheter le soutien à la cause des Valois par des pensions, des privilèges, des dons: l’impôt devient
une nécessité pour la financer. Par ailleurs, le fait de lever l’impôt permet au roi d’affermir son pouvoir
sur le royaume- dans certaines limites néanmoins, notamment parce que les nobles en sont exemptés.
De plus, l’emprise réelle des souverains sur le territoire se heurtent souvent à une multitude de rivalitésen particulier entre les officiers royaux- à l’enchevêtrement de structures locales inefficaces :
L’administration médiévale est parfois inextricable ou corrompue.
Chapitre III : Nobles, peuple gras, menu peuple, gens d’Eglise.
Les mentalités médiévales sont acquises à l’idée d’un ordre divin de la société : la place de chacun est non
seulement naturelle, mais surtout voulue par Dieu. Cela ne signifie pas pour autant que les conflits entre
groupes sociaux n’existent pas : les rivalités entre haute noblesse et petite noblesse, les jacqueries, sont
autant d’expressions de l’existence d’antagonismes sociaux bien réels.
La noblesse est indissociablement attachée à la pratique des armes. Selon Peter Lewis, le concept de
dérogeance fiscale apparaît dans le dernier quart du XIVème siècle : il vient de l’immunité générale dont
bénéficiaient les nobles qui « fréquentaient les armes », ou s’ils ne le pouvaient du fait de l’âge ou de
l’infirmité, vivaient au moins noblement. Une certaine surveillance s’exerce sur les nobles ou prétendus
nobles qui ne vivraient pas noblement et s’observe dans les textes du Parlement de Paris et de la Chambre
des Comptes. Ainsi Charles VI déclare en 1393 « Ce n’est pas office de Noble que d’estre Tavernier »
lorsqu’il tente de fixer les conditions auxquelles un noble peut vendre le vin issu de ses vignes.
Certaines familles bourgeoises parviennent à l’anoblissement, à l’exemple de celle du chroniqueur Jean
Juvénal des Ursins, fils de Pierre Jouvenel. Ce dernier est un marchand de draps de Troyes qui acquiert de
nombreuses terres : achats qui culminent avec la baronnie de Trainel. Malgré les vicissitudes de la famille
et des terres pendant la guerre civile et l’occupation anglaise, trois des seize enfants réussissent
remarquablement dans le droit et le service. Jean Juvénal des Ursins fut évêque de Beauvais, évêque de
Laon puis archevêque de Reims et dans ses traités « le censeur des mœurs de son temps. » Son frère
Guillaume, soldat et juriste, devint chancelier de France ; Jacques fut évêque de Poitiers et patriarche
titulaire d’Antioche.
Les nobles
La noblesse a une conscience aigüe d’elle-même et de sa place dans la société : elle est attachée à son
honneur et aux lois de la guerre. Les nobles sont aussi dans une lutte permanente pour leur statut au sein
de leur ordre, qui détermine leur niveau de pourvoir et d’indépendance : ainsi des ducs de Bretagne qui
cherchent à s’inscrire dans une tradition royale à partir de 1417 ; en 1446, Charles VII conteste le titre « par
la grâce de Dieu » à Philippe le Bon : la défense du statut n’est pas seulement une question de prestige
mais aussi de pouvoir.
Au sein de la noblesse de France il existe une hiérarchie très forte : les princes de sang royal sont suivis
par des grands d’importance locale, puis par hommes moins notables mais qui peuvent être courtisés par
les grands dans leurs querelles…
Le pouvoir et l’administration des nobles
L’auteur remarque que les droits judiciaires et fiscaux des grands sont très étendus, beaucoup plus que
ceux des nobles en Angleterre par exemple. Ainsi l’administration des grands princes s’étend
considérablement à partir du XIVème siècle.
Peter Lewis décrit ainsi l’administration de Jean duc de Berry, troisième fils du roi de France Jean II :
comme le roi le duc de Berry a son procureur général, son maître des requêtes, ses réformateurs
généraux (plénipotentiaires immédiats du duc qui surveillent les fonctionnaires), et de nombreux autres
agents à son service.
Ainsi, le duc Jean de Berry est à la tête d’une « pyramide administrative qui constitue son pouvoir
territorial au sens le plus concret du mot. »
L’apanage du duc de Berry comprend aussi une organisation militaire : la plus grande partie de ses forces
est encore assurée par le ban et l’arrière-ban. L’auteur considère que le soutien féodal reste important
pour les grands seigneurs à la fin du Moyen-âge : les ducs de Bourgogne lui accordent une grande
importance jusqu’à la création des compagnies d’ordonnance en 1471. Toutefois, cette forme de
mobilisation est dépendante des nécessités des récoltes et le recours aux compagnies soldées s’impose
pour les campagnes longues de la guerre de Cent ans : Jean de Berry en lève 8 pour défendre le Poitou en
1412.
La clientèle
L’historien anglais souligne que la question de la puissance militaire est indissociable de celle de l’influence
politique en général : « la question plus vaste des anciens vassaux féodaux et la nouvelle clientèle non
féodale pose celle de l’appui militaire. »
Pour compter sur l’influence politique et l’appui militaire de leurs vassaux, les nobles recourent à diverses
méthodes : le moyen le plus spectaculaire est celui de l’ordre de chevalerie : le Porc-épic de Louis
d’Orléans, l’Hermine de Bretagne et la Toison d’or de Bourgogne…
L’auteur constate un passage progressif du contrat féodal de service à vie au contrat non-féodal. Ainsi, les
administrations du comte de Foix, du duc d’Orléans et du duc de Bourgogne s’éloignent de la forme
« féodale » vers la fin du XIVème siècle.
La nouvelle forme de contrat est particulièrement observable dans le Sud-ouest : de nombreux contrats
d’alliance des règnes de Jean Ier et Gaston IV, comtes de Foix, ont été retrouvés : leurs partisans sont
recrutés des deux côtés, « anglais », et « français » de l’incertaine frontière des souverainetés, ils
comprennent notamment des nobles locaux importants comme Jean comte d’Astarac et des officiers
royaux des deux camps. Ces alliés locaux permettent aux comtes de Foix d’accroître leur puissance
militaire et d’étendre leur puissance politique aux Landes et au Bordelais, en Quercy et en Périgord, dans la
plaine du Languedoc et jusqu’en Espagne.
Les fortunes de la guerre
- Les richesses sont convoitées par l’ennemi : les nobles s’efforcent parfois de mettre leurs trésors à
l’abri : ainsi, en 1427, devant l’avance anglaise, Charles d’Orléans fait transporter les livres, les
tableaux et les tapisseries de son château de Blois dans celui de Saumur, et de là, à La Rochelle.
- Le plus grand risque pour un seigneur est d’être capturé lui-même : le paiement d’une rançon
peut avoir des conséquences désastreuses pour un lignage. Il est possible de se faire aider par son
roi, son seigneur, son chef : Jean de Rodemack fait appel à René d’Anjou qui a pourtant sa propre
rançon à payer : il lui promet 10 000 florins et lui en donnera finalement 6000.
- Certains voient leurs terres ravagées par la guerre. C’est le cas de la famille d’Albret dans le Sudouest, qui voit aussi son patrimoine ruiné par les confiscations anglaises et françaises.
- A l’inverse, les services de guerre rendus à la monarchie peuvent être une source de revenus :
Mathieu de Foix, comte de Comminges, se voit attribué une pension pour ses mérites militaires
sous le règne de Charles VII. Ce dernier développe les dons aux grands, en particulier pour des
raisons militaires.
Les grands et le roi
A la fin du Moyen-âge, les grands sont par rapport au roi « dans un état de rébellion endémique. Les
princes complotent et conspirent, seuls ou en groupes, et leurs ligues peuvent compter des membres
d’autres classes de la société. Les ligues les plus puissantes constituent, dans la France de la fin du Moyenâge, la seule « opposition » effective à la couronne. »
L’argument généralement avancé pour justifier la rébellion est celui de la réforme du royaume : ainsi lors
de la guerre du Bien public en 1465, les chefs de la rébellion s’affirment comme les défenseurs de la
justice face aux exactions du roi et de ses procureurs contre le peuple et l’Eglise. Jean sans Peur usera
des même arguments face à Louis d’Orléans.
Au contraire, pour Louis XI la raison de cette rébellion tient à la recherche de profits privés de la part des
seigneurs, qui veulent obtenir des pensions royales de manière excessive. De fait, le roi est contraint
d’augmenter les bénéfices des nobles pour faire cesser leur révolte et les dissuader : ainsi, Gaston IV de
Foix voit sa pension augmentée de 4000 livres et reçoit un don de 10 000 écus en avril et en mai 1465,
pour le convaincre de ne pas se révolter.
Toutefois, l’auteur signale qu’on ne peut tenir la volonté de réforme exclusivement pour le masque des
intérêts privés des seigneurs. Lorsque René d’Anjou au milieu du XVème siècle fait part à Charles VII des
misères de son peuple, il semble s’en soucier réellement. Lorsque la ligue du Bien public triomphe
partiellement, elle constitue un comité de réforme de trente-six membres, parmi lesquels Jean Juvénal des
Ursins, authentique réformateur pourtant hostile à la rébellion. Louis XI lui-même comprend que son
gouvernement a pu léser ceux qui se révoltent contre lui.
«Le Bien public, comme la Praguerie, comme la guerre des Armagnacs et des Bourguignons, est
essentiellement une révolte des grands : c’est sans doute la manifestation la plus extrême de la
désaffection des princes de sang, en France, qui, en tout cas, influence plus leur politique que l’amour de
leur pays ou du roi leur cousin. »
Peter Lewis relate la lutte bien connue des ducs de Bourgogne Philippe le Bon et Charles le Téméraire
contre le roi de France, mais mentionne aussi « à l’Ouest, un autre rêve de royaume antique » qui pousser
les ducs de Bretagne à affirmer leur indépendance à l’égard de l’Angleterre comme de la France : dans les
années 1460, les ducs de Bretagne entendent limiter la souveraineté du roi de France sur leurs terres, ils
se placent sous l’obédience des papes, contrairement à la volonté du roi. Le duc de Bretagne François II fut
l’un des fondateurs de la ligue du bien public en 1465, il refuse à Louis XI l’ordre de Saint-Michel en 1470.
En 1471, il est l’un des fondateurs de la coalition soutenue par Edouard IV, roi d’Angleterre. Mais la
coalition s’effondre et François II ne soutient pas l’Angleterre dans son expédition de 1475. Le duché de
Bretagne ne sera intégré au royaume de France qu’avec le mariage de la fille de François II, Anne, avec le
fils de Louis XI, Charles VIII.
D’autres grands ont des ambitions considérables, en particulier dans le Sud-ouest :
- Jean IV d’Armagnac défend dans les années 1440 son titre « par la grâce de Dieu, affirmant que la
terre d’Armagnac est plus ancienne que le royaume de France.
Comme longtemps les ducs de Bretagne, Jean IV tente de tenir la balance égale entre la France et
l’Angleterre. Une brève tentative d’indépendance de l’Armagnac échoue en 1443.
Jean V d’Armagnac reprend les hostilités avec la couronne en participant à la ligue du Bien public.
Condamné par Louis XI en 1470 pour complot avec l’Angleterre, il se tourne vers Charles de France
et François II de Bretagne, il est assassiné en 1473.
- A la même époque, Gaston IV de Foix se revendique également comte de Foix « par la grâce de
Dieu » et frappe une monnaie appelée «morlans » qu’il met en circulation dans le royaume, ce
qui était interdit depuis les ordonnances monétaires de Saint-Louis en 1260-62.
A la fin du Moyen-âge, chaque prince pose au roi de France un problème particulier, qui peut être réglé
par la contrainte, la menace, ou par l’argent ou la douceur. Ils peuvent former des alliances contre le roi
ou avec le roi selon leurs intérêts du moment, et peuvent contribuer à la précarité du trône lorsqu’ils s
lient avec l’Angleterre.
Le peuple
La révolte urbaine
Le monde urbain a sa propre hiérarchie, sa propre vie politique et ses réseaux de privilèges particuliers. Les
officiers du roi, agents du pouvoir fiscal sont souvent les premières cibles des révoltes. Certaines
corporations, comme celle des bouchers, sont jugées particulièrement redoutables et promptes à se
soulever.
Parmi les révoltes les plus importantes de la fin du Moyen-âge, l’historien cite Montpelier en 1379, la
révolte des Cabochiens à Paris en 1413 (inspirée par les Bourguignons), la Rebeyne de Lyon en 1436,
Bourges en 1474.Dans ces colères contre l’impôt et les officiers royaux, la monarchie voit souvent la main
des Bourguignons ou les intérêts de notables. Les causes sont multiples et à nuancer selon chaque
situation locale.
La répression est en général terrible : plusieurs années après la révolte de la Rebeyne, les têtes de ses
chefs ornent encore les ponts sur la Saône. De ce fait, les oligarchies locales se prêtent de moins en moins
aux révoltes : le gouvernement et ses officiers ont une autorité croissante sur les villes. La négociation avec
la royauté concernant les exemptions d’impôts et autres privilèges n’en est pas moins permanente.
Mais dans l’ensemble les villes restent fidèles à la monarchie française malgré des exceptions : Bordeaux se
rallie aux Anglais en 1452, Amiens rejoint la Bourgogne. Lors de l’occupation de la Bourgogne par Louis XI,
le menu peuples de nombreuses villes de Bourgogne soutient Marie de Bourgogne après la mort de son
père.
La révolte rurale
Dans les communautés rurales souvent victimes des ravages de la guerre, « l’insurrection paysanne est
endémique. » Parmi l’ensemble des révoltes, seule la Jacquerie qui éclate le 28 mai 1358 au Nord et à
l’Est de Paris semble pouvoir être considérée comme « une protestation sociale cohérente. »Le groupe le
plus organisé est celui de la région de Compiègne, son capitaine est un paysan de Mello : Guillaume Carle
en contact avec Etienne Marcel, le chef des Parisiens qui résistent au régent. Son groupe est anéanti par
Charles le Mauvais, roi de Navarre, le 9 juin à Mello. Les Parisiens sont eux massacrés devant le Marché,
faubourg fortifié de Meaux, par Gaston III Fébus, comte de Foix, et le captal de Buch.
Une autre insurrection importante a lieu au sud-ouest d’Amiens : ils sont massacrés par des hommes
d’armes normands et picards.
Les paysans n’ont pas les moyens militaires de résister à une petite compagnie de soldats entraînés.
Le principal motif de la révolte est la haine de la noblesse qui a failli à sa mission de défense du
royaume : défaite à Poitiers en 1356, la noblesse est accusée d’avoir failli au roi Jean II le Bon, fait
prisonnier par les Anglais. C’est ce qu’affirme François de Monte-Belluna. L’hostilité envers la noblesse
peut aussi surgir lors d’altercations entres individus : en 1382, un maréchal-ferrant de Signy-L’abbaye, près
de Charleville-Mézières insulte le noble Jacquemin Aubry : ce dernier le gifle, le maréchal-ferrant le
poursuit alors avec une barre de fer, le noble finit par le tuer. Ces manifestations de colère individuelle
envers la noblesse sont bien plus courantes que les révoltes organisées.
La réaction des nobles, la Contre-Jacquerie est souvent sans-pitié. Selon Peter Lewis, ces révoltes et leurs
répressions révèlent « une crise morale, aigüe, de la souveraineté », ainsi lorsqu’en 1422, Humbert de
Grolée, bailli de Mâcon interroge le « principal capitaine » des Jacques, il explique « qu’ils avaient
l’intention de détruire toute la noblesse, puis tous les prêtres sauf un par paroisse, puis tous les bourgeois,
marchands, hommes de loi, et autres notables des villes. »
L’hostilité envers le clergé, souvent perçu comme soumis à la noblesse, se manifeste également. Les
protestations sociales sont particulièrement vives là où règne le désordre militaire. Les chroniqueurs
comme Jean Juvénal des Ursins et Christine de Pizan montrent une certaine compassion pour les
souffrances du peuple mais soulignent l’inanité des révoltes.
Chapitre IV Les institutions représentatives
Après la mort de Philippe le Bel, le pays est gagné par un mouvement d’insurrection contre l’impôt de
guerre. Des ligues se forment parfois, comme à Dijon en novembre 1314, où se réunissent cent dix nobles
conduits par Jean de Chalon, comte d’Auxerre, dix-huit abbayes, onze chapitres, des députés de onze villes
de Bourgogne. Un mouvement pour les chartes se produit dans plusieurs régions en 1314-1316 : la
Bourgogne, la Picardie, la Champagne, les basses-marches de l’Ouest, du Berry, de Nevers, l’Auvergne, la
Normandie et le Languedoc obtiennent des chartes.
Les commissaires royaux qui parcourent les baillages et les sénéchaussées pour lever l’impôt accordent
en retour des exemptions et des privilèges. En 1345, leur tournée se heurte à de nombreuses
résistances, en particulier dans les régions du Languedoc. En 1346, aux états de Languedoïl à Paris,
chaque province vote séparément. Chaque subside est soumis à l’approbation d’une assemblée des états
locaux. Le gouvernement s’efforce d’obtenir des financements des états pour survenir aux besoins
militaires, mais avec de grandes difficultés.
Les assemblées se déroulent parfois sous la pression populaire : après la suppression des fouages par
Charles V et sa mort en 1380, une réunion des états du Languedoïl impose, avec l’appui de la populace
parisienne, une ordonnance abolissant tous les impôts. La couronne reprend progressivement le
contrôle des impôts à l’aide des assemblées locales en 1382.
Les assemblées se succèdent avec des fortunes diverses dans les années 1420 et 1430. La monarchie est
dans un rapport de force permanent avec les assemblées des états afin d’obtenir des subsides lui
permettant de financer la guerre. Il faut également composer avec de nombreuses assemblées régionales
(Bretagne, Béarn, Dauphiné), dont l’étendue des pouvoirs est très variable selon les territoires concernées
mais qui concerne d’abord la fiscalité, et non la politique et la justice. Le pouvoir des assemblées dépend
des circonstances politiques, et en particulier de la force présente de la monarchie : si le roi est fort, il est
moins dépendant des assemblées, c’est la tendance à l’issue de la Guerre de Cent ans.
Conclusion
« La crise »
La monarchie française de la fin du Moyen-âge est fragile à bien des égards : le titre royal est contesté par
le roi d’Angleterre ; par comparaison avec ce dernier, elle rencontre de grandes difficultés à lever l’impôt ;
et se heurte à la puissance de plusieurs princes.
Ce constat conduit Peter Lewis à affirmer que l’unité du roi de France sous l’égide de la dynastie des
Valois est un mythe, une création de juristes et de propagandistes, que seule la fortune des armes de la
monarchie viendra confirmer, en particulier lorsque Louis XI triomphe de ses ennemis. Mais cette
victoire est loin de résoudre toutes les tensions qui traversent le royaume liées aux multiples pensions et
avantages des grands, au poids financier de l’armée permanente et aux difficultés de la levée de l’impôt,
aux rouages complexes et parfois inefficaces de l’administration, aux rébellions endémiques des
campagnes et des villes. Les effets de la crise d’autorité continuent à se faire sentir après la fin de la Guerre
de Cent ans.
L’ « absolutisme »
S’il y a tyrannie dans la France des Valois, c’est « la tyrannie de l’inefficacité royale » que décrivent des
hommes comme Jean Juvénal des Ursins. Néanmoins, malgré la grave crise de légitimité que traverse la
monarchie, ses mythes finissent par triompher grâce à la victoire militaire : Peter Lewis considère qu’on
peut parler de monarchie absolue en ce sens, au sens de « la victoire de l’idée monarchique des Valois sur
les théories opposées. Cette affirmation est néanmoins très discutable car l’expression de monarchie
absolue n’est généralement employée en France qu’à partir du règne de Louis XIV, prudence donc. Mais il
s’attache à souligner que cette victoire n’avait rien d’acquise et que le processus qui y mène fut semé
d’embûches même si ses conséquences marquent d’une empreinte décisive la suite de l’histoire de
France. A cet égard, il nous semble qu’un des intérêts majeurs que présente encore aujourd’hui l’approche
de Peter Lewis et de s’affranchir du récit parfois téléologique de la construction de l’Etat en France, en
montrant la complexité des pouvoirs présents sur le royaume ; en décrivant la guerre de Cent ans non
comme une guerre entre le France et l’Angleterre, mais comme une guerre civile au sein du royaume de
France, à l’issue incertaine, malgré l’éclat et le retentissement politique de la victoire des Valois.
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