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NEUVIEME ENSEIGNEMENT
Nous avons vu, lors de notre dernière rencontre, trois des quatre notes de l’Eglise. Les notes
de l’Eglise sont des caractéristiques spécifiques de l’Eglise que nous confessons dans le
symbole dit de Nicée-Constantinople : je crois en l’Eglise une, sainte, catholique et
apostolique. Les notes de l’Eglise sont donc son unité, sa sainteté, sa catholicité et son
apostolicité. Elles indiquent la nature authentique de l’Eglise fondée par le Christ. Ces
caractéristiques ne sont donc pas des qualités que l’Eglise se serait progressivement acquises
au fil des siècles ; elles sont entièrement présentes depuis ses origines. C’est ainsi qu’elle a été
voulue et créée par Dieu ; c’est ainsi que l’Esprit Saint la garde en vie et la manifeste au
monde.
La « note » que nous n’avons pas encore clairement exposée est celle de l’unité. L’Eglise est
une. C’est sans doute la note qui est la moins facilement comprise aujourd’hui. L’Eglise est
une, indivise, indivisible et unique. Les apôtres et leurs successeurs ont fondé des églises (au
pluriel, et avec un « e » en minuscule), qui sont autant de réalisations de l’unique Eglise (au
singulier, et avec un « E » en majuscule) fondée par le Christ. Chacune des églises dites
locales ou particulières, et qu’on désigne souvent par l’expression un peu administrative de
diocèse, contient toute la richesse du mystère de l’unique Eglise, en raison de la présence et
du ministère de son évêque, ministère auquel cet évêque a été appelé et consacré par le pape,
l’évêque de Rome, et qu’il exerce en communion avec lui, et par lui, avec tous les évêques de
la catholicité. Cette communion apostolique est d’ailleurs signifiée dans la liturgie
d’ordination d’un évêque : si un seul évêque peut ordonner un nombre indéfini de prêtres et
de diacres, pour ordonner un seul évêque il faut au moins trois évêques. Le prêtre et le diacre
sont rattachés à leur seul évêque, l’évêque est rattaché non pas au seul pape, mais au collège
épiscopal autour du pape. Du point de vue de son ordination est un évêque comme les autres
(c’est pourquoi il paraît plus convenable qu’il porte la mitre plutôt que la tiare), même si du
point de vue de la juridiction il a une autorité plus large.
Le pape est le premier ministre ou le premier serviteur de l’unité de l’Eglise : unité de foi et
d’enseignement, unité dans l’ordre de la pratique des sacrements, unité dans la discipline de la
vie évangélique (qu’on peut aussi appeler la discipline des mœurs). Cela ne s’oppose pas à
des diversités légitimes à d’autres niveaux : diversité d’organisations locales, diversité de
charismes dans la vie consacrée, diversité de rites liturgiques.
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Dans l’unité de l’Eglise, les mêmes sacrements sont célébrés dans des formes liturgiques
diverses, appelées « rites particulières ». Dans notre diocèse, comme dans la plupart des
diocèses de l’Europe de l’ouest, nous sommes catholiques dits de rite latin même si la
liturgie est célébrée dans la langue locale. En allant vers l’est de l’Europe ou vers le Moyen-
Orient, on trouvera des catholiques de rite orthodoxe, byzantin, arménien, melkite, chaldéen
etc. Ils célèbrent les mêmes sacrements dans la même communion de foi de l’Eglise une.
En 2000, le cardinal Ratzinger s’est attiré quelques foudres pour avoir qualifié les
communautés protestantes, dans une déclaration de la congrégation pour la doctrine de la foi,
qu’il présidait alors, non pas comme des « Eglises », mais comme des « communautés
ecclésiales ». Théologiquement, il avait tous les arguments de son côté ; diplomatiquement,
c’était peut-être autre chose. Je ne pense pas qu’il faille à tout prix éviter de parler d’« églises
protestantes » (c’est le nom qu’ils ont donné à leurs communautés, et cela peut se respecter),
tout en comprenant que ce nom d’église n’a pas tout à fait le me sens de part et d’autre.
D’ailleurs, aucune communauté protestante ne semble revendiquer le nom de « l’Eglise » au
sens exclusif, comme le fait l’Eglise catholique romaine, que cela plaise ou non. Les
différentes églises protestantes -dans le pays où j’ai grandi, il en en avait une bonne
cinquantaine d’officielles à l’époque- doivent se considérer comme des églises parmi d’autres.
Les séparations étaient fréquentes, au point que les gens disaient : « un protestant, une église ;
deux protestants, un schisme ». Bien sûr, les protestants de l’époque n’étaient pas dupes ; eux,
ils disaient : « deux catholiques, deux papes ». Ce n’est guère plus glorieux, et les caricatures
disent toujours quelque chose de vrai. Mais au moins, l’unité de l’Eglise n’est pas
compromise malgré le grand nombre de papes !
L’Eglise catholique revendique le nom d’Eglise à un titre exclusif. Cela peut choquer certains,
mais avec le dernier enseignement en tête, j’espère que cela ne vous choque pas. Si l’Eglise
catholique romaine revendique le nom d’Eglise à un titre exclusif, c’est par respect de ses
propres origines, de sa propre nature de mystère du Christ et de sa propre mission. N’oublions
jamais que la tête de l’Eglise, c’est le Christ, et non le pape. L’évêque de Rome est le chef
visible et temporel de l’Eglise, Jésus en est « l’évêque invisible », selon la très belle
expression de saint Ignace d’Antioche [env. 35-env. 107].
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Rappelons-nous l’une des phrases capitales du Concile Vatican II : L’unique Eglise du Christ
(…), c’est dans l’Eglise catholique qu’elle se trouve, gouvernée par le successeur de Pierre et
les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de
sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures, éléments qui, appartenant
proprement par le don de Dieu à l’Eglise du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité
catholique [Lumen gentium, §8].
Le verbe qu’a emplo le Concile pour dire le rapport entre « l’unique Eglise du Christ » et
« l’Eglise catholique », le verbe « se trouver dans », a fait couler des tonnes d’encre. Le latin
dit « subsistit in » ; on pourrait traduire « subsiste (ou existe) dans », ou encore « demeure
dans ». Certains y ont vu l’identification pure et simple de l’unique Eglise du Christ à l’Eglise
catholique, alors que le verbe employé, et par conséquent l’intention des res conciliaires,
paraît plus nuancé. D’autres auraient justement voulu voir affirmer sans ambiguïté cette
identification pure et simple. Le Concile, en disant « se trouver dans » plutôt que « est
strictement et formellement identique à », a laissé un peu de « jeu », comme pour dire que
l’Eglise catholique, comme constituée et organisée en ce monde, disons l’Eglise visible, est
d’un côté une manifestation intégrale du mystère de l’Eglise, et que, de l’autre, ce mystère la
« déborde ». Ce qu’on voit de l’Eglise catholique vivant dans la fidélité au Christ, est
authentiquement le plein mystère de l’Eglise -on ne se trompe pas ; mais ce mystère (comme
tout mystère) est plus riche que ce qu’on en voit et ce qu’on peut en dire.
Une autre phrase de la même Constitution Lumen gentium est tout aussi capitale : L’Eglise
est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de
l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain [Lumen gentium, §1].
Remarquons dans cette seule phrase deux expressions qui sont très proches mais différentes
tout de même : union et unité. L’Eglise est le signe et le moyen de (un) l’union intime avec
Dieu, et (deux) de l’unité de tout le genre humain. Ici, pareillement, le Concile est
extrêmement précis dans son choix des mots. Il y a une union avec Dieu, et non une unité
avec Dieu, que l’Eglise réalise et manifeste (sacramentellement, ajouterait le théologien). Et il
y a une unide tout le genre humain, et non pas une union, que l’Eglise pareillement réalise
et manifeste. Et les deux vont ensemble.
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Nous avons vu précédemment comment l’union de l’humanité avec Dieu se réalise
fondamentalement dans le mystère de l’Incarnation, ou, pour le dire plus simplement, dans la
personne de Jésus. Dans l’Incarnation, union de Dieu et de l’homme en Jésus, toute l’histoire
se noue et se dénoue. C’est là que le salut, la réconciliation et la paix se concrétisent. Tout ce
qui a précédé a été disposé par Dieu pour préparer ce « moment », et tout ce qui a suivi, y
compris ce que nous vivons actuellement et que nous vivrons demain, en est le déploiement.
Dans la croissance de l’Eglise, le Christ continue de venir et de pénétrer l’humanité. Encore
une fois, la foi n’est pas une nostalgie ; elle ne se rattache pas à des événements passés, mais à
Dieu, qui se révèle et se donne en Jésus, vraiment Dieu et vraiment homme, le même hier,
aujourd’hui et à tout jamais [He 13, 8]. Et pareillement, comme la foi n’est pas une nostalgie,
la croissance de l’Eglise n’est pas une question de statistiques. L’Eglise prolonge et répand le
mystère du Christ ; déjà que nous ne pouvons pas enchaîner un mystère dans des définitions,
ne rêvons pas que les sondages le feront.
L’Eglise prolonge et répand le mystère du Christ sacramentellement, à la manière d’un
sacrement. Qu’est-ce qu’on entend par cela ? Le principe de tout ce qu’on appelle
« sacramentel » est, encore une fois, le mystère de l’Incarnation. Le Christ est le sacrement de
Dieu : c’est Jésus qui, jusque dans les moindres aspects de sa vie, dit qui est Dieu et donne ce
que Dieu est seul à pouvoir donner. Cela passe donc par son apparence humaine. Jésus n’est
pas homme en apparence seulement, il l’est réellement, mais comme il l’est réellement, il a
une apparence humaine. Plusieurs hérésies ont nié la réalité humaine de Jésus, pour lui
reconnaître seulement une apparence humaine : Dieu non pas homme, mais seulement déguisé
en homme. Ce n’est pas la foi de l’Eglise. Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme, et
comme il est vraiment homme, il a une apparence vraiment humaine. Une apparence, donc,
que nous sommes en mesure de comprendre, de reconnaître et d’interpréter. En Jésus,
l’humain est devenu apte à dire Dieu et à donner ce qui vient de Dieu. Autrement dit, Dieu se
donne à travers des réalités sensibles. Non pas par n’importe quelle réalité sensible, mais par
des réalités sensibles choisis par le Christ et donné à son Eglise, pour qu’elle les donne à son
tour, et en son nom à lui.
Rien ne permet de dire que les apparences de Jésus étaient particulièrement spectaculaires.
Les évangiles ne nous ont pas laissé de détails, et c’est sans doute à dessein. Saint Thomas
d’Aquin dit quelque part que Jésus était d’une parfaite beauté mais ce doit être cette beauté
qui vient de la bonté plus que des exercices de musculation ou des heures passées au cabinet
de l’esthéticienne.
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Ce n’est pas un blasphème que de penser que Jésus avait une apparence tout à fait ordinaire.
Les détails sur ses mensurations, sa pointure, son groupe sanguin ou la couleur de ses yeux ne
nous auraient strictement rien appris. Ce qui nous apprend des choses, ce sont les témoignages
des évangélistes notamment. Ils nous transmettent les paroles et les gestes de Jésus, et non pas
la façon dont il taillait sa barbe. Les paroles et les gestes de Jésus nous disent comment est
Dieu. Tout ce que Jésus a fait et dit exprime et signifie la réponse à la question du petit
garçon. Une humanité ordinaire en elle-même, mais toute remplie de Dieu, au point de lui
appartenir en propre. Instrument de la toute-puissance divine. Imaginons un bout de crayon
dans les mains de Michel-Ange ; c’est l’exemple que prenait le cardinal Journet [1891-
1975] pour expliquer comment un objet d’apparence et de réalité très simple peut servir à
réaliser quelque chose d’extraordinaire. Sauf que Michel-Ange et son crayon font deux, alors
que le Christ et son humanité font unité. Le Christ est donc « sacrement » à un titre particulier
et fondamental. Les autres alités appelées sacramentelles (comme les sept sacrements que
nous connaissons) sont des instruments dits séparés, comme le crayon de Michel-Ange :
quelque chose dont Dieu se sert, mais qui ne fait partie de lui réellement (comme l’humanité
du Christ), mais par mode de signification seulement.
Les sacrements sont des signes tellement forts, qu’ils réalisent ce qu’ils signifient. Des signes
sacrés, parce que institués par Jésus Christ, mais en même temps simples et, par définition,
sensibles. Ceux qui ont reçu le baptême par immersion à l’âge adulte sont bien placés pour
dire que le sacrement est un signe sensible. Sensible grâce à une eau plate, et sacramentel
grâce à l’institution divine et à la foi de l’Eglise. Vous trouverez quelque chose de semblable
dans les six autres sacrements. Réalité simple et sensible : l’onction d’huile sur le front, le
pain et le vin offerts, des mains mises en silence sur la tête d’un malade ou à d’un homme
appelé à un ministère, une parole de pardon ou d’engagement dans l’amour et la fidélité.
Autant d’actes de l’Eglise qui sont en même temps, et même premièrement, des actes du
Christ en personne. Ce qui était visible en lui est passé dans les sacrements de l’Eglise. Jésus
est l’auteur des sacrements, et leur véritable ministre. Et tout comme leur auteur, les
sacrements n’ont pas d’apparence spectaculaire. Signifiants, oui, et même au plus haut point ;
spectaculaires, non. La liturgie dont le sacrement est entouré peut être plus ou moins
spectaculaire. Le rituel est de l’ordre de la convenance ; il convient que la célébration d’un
sacrement soit introduite par la méditation de la Parole de Dieu, qu’elle soit habillée de
louange et d’action de grâces sous forme liturgique.
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