idéologiques mises en jeu dans le processus social-historique où mots, expressions et propositions
sont produits (c’est-à-dire reproduits). On pourrait résumer cette thèse en disant : les mots,
expressions, propositions changent de sens selon les positions tenues par ceux qui les emploient,
ce qui signifie qu’ils prennent leur sens en référence à ces positions, c’est-à-dire en référence aux
formations idéologiques dans lesquelles ces positions s’inscrivent. Nous appellerons dès lors
formation discursive ce qui, dans une position idéologique donnée, c’est-à-dire à partir d’une
position donnée dans une conjoncture donnée déterminée par l’état de la lutte des classes,
détermine “ce qui peut et doit être dit” (articulé sous la forme d’une harangue, d’un sermon, d’un
pamphlet, d’un exposé, d’un programme, etc.) »
Dans « l’ordre des choses » actuel, on ne voit plus l’ordonnancement de la réalité en fonction
de « l’état de la lutte des classes », mais il n’en reste pas moins que des positions existent, que
l'espace d'énonciation n'est pas un simple support contingent, un univers extérieur au discours.
Il suppose la présence d'un groupe, d'une communauté spécifique, car « s'il y a des choses qui
sont dites – et celles-là seulement –, il ne faut pas en demander la raison immédiate aux
choses qui s'y trouvent dites ou aux hommes qui les ont dites, mais au système de la
discursivité, aux possibilités et aux impossibilités énonciatives qu'il ménage. »
Ce qui m’intéresse dans cette notion qui a, depuis lors, été utilisée, principalement, pour les
corpus visant à mettre au jour des positionnements idéologiques
, c’est qu’elle permet de
poser une cohérence dans la dispersion des discours tenus par une communauté (politique,
institutionnelle) particulière. Elle s’articule, d’ailleurs logiquement, avec celle de
« communautés discursives ».
Ainsi, les recherches de Jean-Claude Beacco et de Sophie Moirand
ou de Dominique
Maingueneau ont mis en évidence le caractère crucial des « communautés discursives »
qui
sont censées être de simples médiateurs, mais, en réalité, structurent en profondeur le discours
qu'elles sont supposées faire passer. Il n’y a pas à penser qu’il existe une dissociation entre le
dire et le faire : « on admettra plutôt qu'il n'existe pas de rapport d'extériorité entre le
Pêcheux, M., 1990, L’inquiétude du discours, (textes réunis par D. Maldidier), Paris, Ed. des cendres, p. 225.
M. Foucault, 1969, op.cit, p. 170.
Elle vient d’être revisitée par Jacques Guillaumou dans la revue en ligne Marges linguistiques. Dans le numéro
de mai 2005 de la revue consacré à l’analyse du discours, dans un article intitulé « Où va l’analyse du discours ?
Autour de la notion de formation discursive » cet auteur prend ses distances par rapport sens classique de la
notion de formation discursive. Partant d’une enquête sur les acteurs du champ de l’exclusion qui a débouché sur
« la visibilité d’un espace de réciprocité » entre les individus exclus et les chercheurs, il pose la question d’une
possible conservation de cette notion au sein d’un tel espace de co-partage. Pour lui, il faut plutôt penser que « la
notion de formation discursive renverrait à la nécessaire médiation de l’ordre du discours entre la réalité et la
pensée : un ordre du discours qui marque aussi fortement sa présence au sein du lien entre la réalité et l’esprit. »
(2005, p. 109).
Beacco, J.C., Moirand, S., 1995, « Autour des discours de transmission de connaissances », D. Maingueneau
dir., « Les analyses du discours en France », Langages, 117, Paris, Larousse, p. 32-53.
Maingueneau, D., 1987, Nouvelles tendances en analyse du discours, Paris, Hachette.