FICHE 2 : L’innovation au secours de la croissance
Le creusement du déficit commercial français apparaît comme le révélateur du défaut de
compétitivité des entreprises françaises. Pris en tenaille entre la production à bas coûts des
pays émergents et la haute technologie américaine et japonaise, les produits français se
cantonnent pour l’essentiel sur le marché peu porteur des produits de gamme moyenne. Face à
la rapide remontée en gamme de pays comme la Chine, le risque est grand de voir ces parts de
marc se réduire encore. Encourager l’innovation apparaît alors comme l’unique porte de
secours pour atteindre la frontière technologique et se mettre au niveau de ceux qui la
repoussent constamment. C’est le sens des politiques menées en France et en Europe depuis
quelques années.
I Historique
Les 23 et 24 mars 2000, le Conseil européen extraordinaire de Lisbonne fixe les lignes
directrices pour construire l’Europe de l’innovation et de la connaissance.
Le 12 juillet 2005, le CIADT labellise 67 projets de pôles de compétitivité parmi les 105
projets déposés.
Les 13 et 14 mars 2008, le Conseil Européen lance le nouveau cycle de la stratégie de
Lisbonne renouvelée pour la période 2008-2010. Il affirme notamment la nécessité de
soutenir l’innovation, de consolider le marché européen du capital-risque, et de mettre en
place une « cinquième liberté » consistant à améliorer la mobilité des chercheurs et des
étudiants.
II Connaissances de base
1 : Synthèse
Parfois abusivement confondus dans le langage courant, les termes d’invention et
d’innovation désignent pourtant des phénomènes de nature bien différente. L’invention
comme la découverte désignent le caractère original d’un acte de l’esprit, la production de
connaissances ou d’idées techniques nouvelles. L’innovation est strictement du domaine
économique, elle doit être créatrice de valeur et réellement exploitée. Or de nombreuses
découvertes scientifiques n’ont pas vocation à être appliquées à l’économie ou restent à l’état
de potentialités jamais réalisées. L’invention n’est pas la seule source de l’innovation. La
transposition d’une innovation d’un domaine à un autre, l’imitation, l’apprentissage par la
pratique et les perfectionnements qu’ils suscitent, sont autant de processus qui conduisent à de
nouvelles innovations sans que de nouvelles connaissances soient apparues. On peut ainsi
définir l’innovation comme l’application industrielle ou commerciale d’une invention,
d’une idée nouvelle.
Ce n’est donc pas le degré de la nouveauté qui distingue l’innovation de l’invention.
L’innovation peut d’ailleurs être qualifiée de radicale lorsqu’elle modifie en profondeur
les modes de production ou de consommation. Certaines provoquent des ruptures
économiques majeures. La machine à vapeur a marqué la première révolution industrielle,
l’électricité la deuxième révolution industrielle, le microprocesseur apparaît comme
l’innovation emblématique de la révolution actuelle. D’autres ont un impact également
durable sur les modes de vie (électroménager, téléphone portable) et les modes de production
(organisation scientifique du travail, robotisation). Cependant, les innovations les plus
courantes demeurent limitées dans leur ampleur. Les innovations incrémentales suscitent
des évolutions continuelles par l’adjonction d’une caractéristique nouvelle à un produit
ou un service déjà existant.
L’innovation ne se borne pas à sa face visible pour le consommateur, l’apparition d’un
nouveau produit. En amont des innovations de produit, les entreprises réalisent des
innovations de procédé qui permettent d’accroître la qualité de la production et la
productivité. Elles peuvent consister en l’emploi d’une nouvelle technique (découpe au laser
par exemple) ou en la mise en place d’une nouvelle organisation du travail (toyotisme par
exemple). Enfin, les relations interentreprises et les formes de marché qu’elles génèrent,
sont également sources d’innovations dites organisationnelles. Les transformations
actuelles des entreprises autour du modèle de l’entreprise en réseau donnent une illustration
de l’importance des processus à l’œuvre dans ce domaine
1
.
L’innovation ne se limite donc pas à un aspect technique comme l’avait noté, dès 1912,
l’économiste J. A. Schumpeter
2
en distinguant 5 types d’innovation : la fabrication d’un
bien nouveau, l’introduction d’une méthode de production nouvelle, la réalisation d’une
nouvelle organisation, l’ouverture d’un débouché nouveau, la conquête d’une nouvelle source
de matières premières. La recherche actuelle d’une source d’énergie alternative au pétrole,
montre s’il en était besoin, l’actualité de la typologie schumpetérienne pour penser les
relations entre l’innovation et la croissance.
2 : L’innovation, facteur de croissance
L’analyse Schumpetérienne
Pour J.A. Schumpeter, l’innovation est au cœur de l’explication de la croissance. Elle
constitue la clef de la rupture avec l’état stationnaire caractérisé par un équilibre général
walrasien
3
. Cette rupture peut uniquement avoir lieu lorsque des agents économiques brisent
les routines existantes pour mettre en place des combinaisons nouvelles. Ces
« entrepreneurs » prennent des risques, innovent, dans l’espoir d’obtenir une rente de
monopole, un profit supérieur au simple revenu lié à l’apport du capital. Mais pour
Schumpeter, ces nouvelles combinaisons n’apparaissent pas de manière totalement aléatoire.
Elles surgissent par « grappes d’innovations ». La réussite d’un entrepreneur rend plus facile
l’apparition d’autres entrepreneurs. Elle permet la diffusion de la connaissance, suscite
l’imitation, et donc est porteuse d’externalités
4
positives.
1
Voir la fiche 13 de cet ouvrage : « L’entreprise en réseau : un nouveau modèle ? ».
2
Schumpeter J.A., Théorie de l’évolution économique, 1912.
3
L. Walras avait montré qu’en situation de concurrence parfaite, il existe un système de prix qui permet un
équilibre simultané entre l’offre et la demande sur l’ensemble des marchés.
4
Il y a externalité (ou effet externe) lorsque les coûts et les avantages liés à une transaction ne sont pas
pleinement reflétés dans les prix de marché. Lorsque l’action d’un agent économique procure un avantage à un
autre agent non-impliqué dans l’action, on parle d’externalité positive. S’il s’agit d’un désavantage, l’externalité
est dite négative.
Dans Business Cycles en 1939, Schumpeter montre que ces « grappes d’innovations » sont à
l’origine des cycles longs dits de Kondratieff
5
. Une phase d’expansion de 20 à 30 ans est
liée à la diffusion des innovations, à l’augmentation des profits qui permet la hausse des
investissements. La disparition des rentes sous l’effet de l’imitation et de la saturation des
marchés engendre une phase de récession d’une durée équivalente. La faillite d’entreprises
laisse alors l’occasion à de nouveaux entrepreneurs de faire émerger de nouvelles innovations,
accélérant ainsi l’obsolescence des anciennes industries. Un nouveau cycle débute au travers
de ce processus de « destruction créatrice ».
L’analyse néoclassique
La théorie néoclassique a longtemps négligé l’explication du progrès technique. Le
modèle néoclassique de la croissance, développé par R.M. Solow en 1957, développe une
fonction de production agrégée qui lie l’évolution de la production à celle des facteurs travail
et capital. Pour assurer l’existence d’un équilibre, les hypothèses posées postulent que le
rendement des facteurs de production est décroissant. Cela revient notamment à supposer que
plus l’accumulation du capital est importante, moins un accroissement supplémentaire aura
d’effet sur l’augmentation de la production. A terme, la croissance de la production ne peut
donc pas être plus élevée que la croissance de la population. La production par tête est stable
sur le long terme. R.M. Solow reconnaît bien évidemment que cette conclusion ne correspond
pas à la réalité observée. L’augmentation de la production par tête provient donc d’un élément
extérieur au modèle : le progrès technique. Celui-ci intervient de manière neutre, il est
assimilé à un facteur exogène qui permet de rendre la main d’œuvre plus efficace.
Les hypothèses de ce modèle ont été utilisées pour des travaux visant à mesurer le progrès
technique. En détaillant la contribution quantitative (nombre d’emplois, durée du travail,
volume du capital, durée d’utilisation du capital) et qualitative (qualité de la main-d’œuvre,
âge du capital) des facteurs de production à la croissance, ils montrent qu’une fraction de
l’augmentation du PIB reste inexpliquée. Ce « résidu », qui mesure l’amélioration de la
productivité globale des facteurs de production
6
, est assimilé au progrès des connaissances.
Les théories de la croissance endogène
Les théories de la croissance endogène lèvent l’hypothèse de rendement décroissant du
capital. Si la productivité marginale du capital est constante, la croissance est auto-entretenue
sur le long terme. Mais il faut alors expliquer pourquoi le progrès technique permet a
minima de conserver l’efficacité du capital. Dans le premier modèle de croissance
endogène établi par P. Romer en 1986, c’est l’accumulation des connaissances dans les
équipements productifs qui est à la base de la croissance économique. L’investissement
d’une entreprise génère des effets externes positifs sur les autres entreprises. Les nouvelles
connaissances sont en effet partiellement diffusées et elles amènent une augmentation de la
productivité au travers d’apprentissages par la pratique.
Le capital humain peut constituer un facteur explicatif équivalent comme l’a montré
R.E. Lucas en 1988. Les efforts de formation réalisés par les individus sont assimilés à une
forme d’investissement. Ils leurs permettent d’accroître leur efficacité productive. Mais au-
5
Du nom de l’économiste soviétique qui les avait mis en évidence à partir de l’évolution des prix de gros au
Royaume-Uni.
6
La productivité globale des facteurs rapporte le volume de la production à l’ensemble des dépenses relatives
aux facteurs de production (travail, consommations intermédiaires, consommation de capital fixe).
delà des effets individuels, cet investissement dans le capital humain bénéficie à l’ensemble
de la société. Il est porteur d’externalités positives puisqu’il favorise les échanges
d’information entre individus et qu’il a des répercussions bénéfiques sur le travail collectif.
Dans ces modèles théoriques, c’est avant tout la spécificité de la connaissance qui est
mise en évidence. En premier lieu, le savoir est cumulatif. Plus le stock de connaissances
est important, plus la probabilité qu’il s’accroisse est forte. En second lieu, la connaissance a
les caractéristiques d’un bien public. La non-rivalité des connaissances est à l’origine des
effets externes. Une nouvelle connaissance peut être utilisée simultanément par de nombreux
utilisateurs sans que son utilité en soit diminuée, contrairement à un bien privé. Il est
également difficile pour une entreprise ou un chercheur d’empêcher des concurrents de
s’approprier les connaissances qu’il a produites, même si les brevets permettent de rétablir
une possibilité d’exclusion. Ce sont ces propriétés qui donnent aux innovations leur rôle
premier dans la croissance. […]
Ces théories ont eu pour effet de relégitimer l’intervention publique dans le domaine de
la recherche et l’innovation. Comme le bénéfice social de la recherche est supérieur au
bénéfice privé que l’on peut en retirer, l’intervention de l’Etat est nécessaire. Il doit
notamment financer la recherche fondamentale qui nère des externalités importantes mais
dont les résultats sont trop incertains pour être totalement financés par les entreprises. Le
financement de la formation relève en partie de la même logique. Il lui faut également mettre
en place les mécanismes qui permettent aux entreprises de bénéficier du fruit de leurs
innovations. Enfin, comme les théories prévoient que la croissance d’équilibre ne sera pas
optimale du fait du manque de coordination des agents privés, l’Etat peut intervenir pour créer
des institutions qui ont pour but d’améliorer cette coordination.
III Bilan de l’actualité
1 : Construire l’économie de la connaissance européenne
A la fin des années 90, le retard en termes de recherche et d’innovation apparaît comme
le premier facteur pour expliquer le déficit de croissance accumulé par les pays de
l’Union Européenne par rapport aux Etats-Unis. Que l’on évalue la production de
connaissance par ses inputs (part du PIB consacrée aux dépenses de recherche-
développement) ou par ses outputs (nombre de publications scientifiques, nombre de brevets
déposés), le déficit semble alors se creuser. En 2000, les 27 pays qui composent aujourd’hui
l’Union Européenne consacrent en moyenne 1,86% de leur PIB aux dépenses de R&D
7
, les
Etats-Unis 2,73% et le Japon 3,04%.
Pour combler ce retard, la réunion extraordinaire du conseil européen à Lisbonne en
mars 2000 pose comme objectif stratégique, à l’horizon 2010, la réalisation d’une
économie fondée sur la connaissance. L’objectif est ambitieux puisqu’il s’agit pour l’Union
Européenne de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus
dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une
7
«La recherche et le développement expérimental (R & D) englobent les travaux de création entrepris de façon
systématique en vue d'accroître la somme des connaissances, y compris la connaissance de l'homme, de la
culture et de la société, ainsi que l'utilisation de cette somme de connaissances pour de nouvelles applications »
selon le Manuel de Frascati qui sert de base à l’élaboration des statistiques européennes.
amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »
8
.
Parmi les axes forts des conclusions, on trouve notamment la constitution d’une économie
numérique et d’une société de l’information accessible à tous, la création d’un espace
européen de la recherche et de l’innovation, l’instauration d’un climat favorable à la création
et au développement de PME novatrices. Les pays s’engagent à accroître leurs dépenses en
R&D afin d’atteindre un minimum de 3% du PIB, dont les deux tiers financées par les
entreprises.
Le rapport réalisé en 2004 par l’ancien premier ministre néerlandais Wim Kok pour
évaluer la réalisation des objectifs à mi-parcours a souligné la lenteur des progrès
réalisés. Il a donné lieu en 2005 à un recentrage autour de huit actions essentielles, l’une
d’elles portant sur l’aide à la connaissance et à l’innovation. Les rapports d’étapes annuels
présentés depuis montrent la réalisation progressive des actions européennes, mais notent les
retards pris par certains pays dans l’application de leurs plans d’action nationaux. Sur le plan
de la recherche, les statistiques montrent d’ores et déjà que l’objectif sera difficile à atteindre :
les dépenses de R&D de l’UE à 27 n’atteignent que 1,84% du PIB en 2006 et seuls deux pays
dépassent l’objectif de 3% (Suède et Finlande).
2 : La transformation de la stratégie de soutien à l’innovation en France
Le tableau de bord européen de l’innovation, réalisé pour le suivi des performances
d’innovation des pays de l’Union Européenne, classe la France dans les pays
« suiveurs », au-dessus de la moyenne européenne, mais derrière le groupe des pays les plus
performants de l’Union Européenne (Suisse, Finlande, Suède, Danemark, l’Allemagne et le
Royaume-Uni). Plus spécifiquement, la France se situe au-dessus de la moyenne européenne
sur la plupart des indicateurs favorables à l’émergence de l’innovation (nombre de diplômés
en science et technologie par exemple) et à la création de connaissances (dépenses publiques
en R&D notamment). Pourtant, l’appropriation des innovations (ratio du nombre de
brevets aux dépenses en R&D) et leur valorisation par la mise sur le marché de
nouveaux produits sont en retrait.
9
La faible part de la recherche financée par les
entreprises, qui représente seulement 52 % du total de la R&D en 2004, est souvent avancée
comme un élément d’explication de ces défauts.
Ce constat, déjà ancien, a conduit à une modification importante de la politique
française en matière de soutien à la recherche et à l’innovation. Celle-ci était
historiquement concentrée sur un nombre limi de secteurs et d’entreprises (aéronautique,
nucléaire, transport, télécommunications, armement et domaine spatial) considérés comme
stratégiques par l’Etat. Cette politique a permis de développer des entreprises leaders au
niveau mondial, mais elle a eu peu d’impacts positifs sur le reste de l’économie.
La politique française a été réorientée depuis le début des années 2000 autour de trois
nouveaux objectifs :
- L’effort de recherche privé est davantage stimulé, notamment par des dispositifs
fiscaux.
8
Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000.
9
Voir le tableau dans la section « principaux chiffres » de cette fiche.
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