Thème 4 – Nouveaux horizons géographiques et culturels

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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
Thème 4 – Nouveaux horizons géographiques et culturels des Européens à
l’époque moderne
Question obligatoire – l’élargissement du Monde (XVe-XVIe siècles)
Programme
Horaires – 5 à 6 heures (entre 1H30 et 2H pour chacun des trois items)
Mise au point scientifique
Avec ce « nouveau » thème d’histoire moderne, c’est une conception récente de la période
charnière des XVe-XVIe siècles qui est ici envisagée : est donc proscrit l’usage, si habituel, de
« Grandes Découvertes », au profit d’un « élargissement du Monde », moins européo-centré et qui
fait donc la part belle aux « autres » civilisations, ici ottomane, précolombienne(s), chinoise. Ce
changement de vocabulaire et d’orientation historiographique n’est certes pas neuf : dès la fin des
années 1960, Pierre Chaunu tentait d’imposer une « pensée globale »1, qui s’est progressivement
connectée à la « World History », une histoire forcément plus globale, décentrée de l’Europe et
défendue par des historiens de tous horizons (notamment anglo-saxons) à partir des années 1980.
Au Moyen-âge, les terres et les peuples connus par les Européens se limitaient à l’Eurasie,
en incluant la frange septentrionale de l’Afrique jusqu’au Sahara. Mais l’Inde, la Chine, l’ExtrêmeOrient sont pour les Occidentaux des mondes lointains, sans parler des terres sibériennes ou
himalayennes qui sont totalement inconnues. Pourtant, aux XVe et XVIe siècles, le monde connu
par les Européens s’étend progressivement à toute la planète et à une grande partie des terres
peuplées – l’œkoumène : à l’exception du cœur de l’Afrique et de l’Océanie, le monde des
Européens correspond donc, pour la première fois, à la surface de la Terre, entraînant une
interconnexion globale de multiples peuples. Ici, le programme invite donc à s’interroger sur les
évolutions multiples qui ont conduit à une première forme de mondialisation, largement dominée
par l’Europe, par la mise en relation culturelle, commerciale, humaine entre les différentes
civilisations d’au moins quatre continents (même l’Afrique, qui n’est essentiellement connue des
autres civilisations que par une « conquêtes de plages » 2 , est intégrée au système pendant la
période envisagée, avec la mise en place de la traite au XVe siècle et du commerce triangulaire dès
1513, avec l’arrivée des premiers Noirs à Cuba).
L’idée centrale est donc ici de comprendre les conditions qui ont permis aux Européens
du Moyen-âge de mettre en place une domination, surtout économique, sur la majeure partie des
terres connues, puis de voir les formes prises par cette domination. Celle-ci n’est cependant pas
1
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P. Chaunu, L’Expansion européenne du XIIIe au XVe siècle, PUF, 1969
Yann Potin, « Afrique : le continent contourné », L’Histoire n°355, juillet-août 2010, p. 54-58
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totale sur toutes les autres civilisations, et des apports, culturels notamment, des autres peuples
(même ceux qui apparaissent comme vaincus par les Européens, voire décimés, tels les peuples
méso-américains – Mayas et Aztèques mexica), transforment profondément les élites
européennes, entraînant l’apparition d’une modernité multiforme en Europe. C’est donc bien,
plus qu’une question d’histoire moderne – ou médiévale d’ailleurs, une question qui propose un
travail sur le passage entre deux temps historiques.
Etude obligatoire – De Constantinople à Istanbul : un lieu de contacts entre différentes cultures
et religions (chrétienne, musulmane, juive)
Carte générale : http://www.planet-turquie-guide.com/carte-ottoman.gif
Au début du XVe siècle, Constantinople reste la capitale de l’Empire byzantin, mais un
Empire byzantin réduit à sa principale cité, des territoires limitrophes et quelques enclaves
grecques. Depuis les années 1350, l’Empire romain d’Orient s’est en effet dramatiquement réduit
avec la conquête de toute l’Anatolie occidentale, des Dardanelles, puis des Balkans par un beylicat
musulman, de langue et d’origine turques, les Osmanlis (« compagnons d’Osman ») qui a donné,
pour les Européens, le nom d’Ottoman. La prise de Constantinople, le 29 mai 1453, par le sultan
Mehmet II (le Conquérant), si elle symbolise la fin de l’Empire romain pluriséculaire, n’est en fait
que l’aboutissement d’un processus de domination des Turcs sur une région du Monde s’étendant
de l’embouchure du Danube à l’Asie centrale. Un nouvel Empire, ottoman, prend la place des
Byzantins et, dès la fin du XVe siècle, se présente comme une puissance incontestable pour les
Européens, un ennemi « infidèle » à abattre, d’autant que son expansion leur paraît dangereuse.
Pourtant, le monde ottoman est aussi une interface entre de multiples groupes humains,
notamment aux niveaux religieux et commercial, qui tente de concurrencer les Européens dans ce
dernier domaine.
Les origines de l’Empire ottoman
Les Ottomans sont d’abord d’origine turque. Les premières mentions du peuple turc
apparaissent aux alentours du VIe siècle dans des annales chinoises et byzantines et désignent un
peuple, issu de l’Empire hun du Ve siècle, contrôlant la majeure partie de l’Asie centrale. Ces Gök
Türk (« Turcs bleus » ou « Turcs célestes ») se sont alors ainsi nommés d’après le terme qui, dans
leur langue, désigne le peuple, « Tu Kiu ». En fait formé par un ensemble de populations
disparates, le peuple turc possède quelques grandes caractéristiques culturelles : usage des
dialectes turcs, polythéisme chamanique, persistance du nomadisme ; malgré cela, une grande
variété culturelle peut aussi apparaître : ainsi, les Khazars, installés au nord de la Caspienne, sont
dirigés par des élites judaïsées, tandis que les Ouïgours, installés dans la vallée de l’Orkhon, en
Mongolie actuelle, ont fondé pendant près d’un siècle à partir de 762 un royaume chrétien,
manichéen. Une longue tradition de tolérance et de syncrétisme culturel apparaît donc au sein du
monde turc.
La majeure partie des Turcs s’islamise dès le début du VIIIe siècle3 et surtout à partir des
e
IX et Xe siècles, selon deux grands processus distincts. D’abord, les chefs des tribus turques
d’Asie centrale, réunis dans une vaste coalition (les Qara Khan, ou « Seigneurs Noirs »), se
convertissent collectivement à l’Islam en 920. Parallèlement, les califes abbassides font venir en
Arabie des esclaves turcs à usage militaire, les Mamelouks, qui épousent eux aussi l’Islam : caste
militaire et pouvoirs politiques convertis, les populations suivent. C’est entre le IXe et le XIe
siècles que les Turcs s’imposent au sein du monde musulman et plus particulièrement les
Mamelouks. En effet, ces derniers gravissent progressivement les échelons militaires, puis
administratifs, du califat abbasside, s’imposant à des positions de pouvoir : au XIe siècle, la
3
Quand les Arabes prennent Samarkand, alors capitale de la Sogdiane iranienne alliée des Turcs, en 712.
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plupart des seigneurs musulmans sont Turcs. En 1055, Tughrul Beg, descendant d’un dénommé
Seldjuk Ibn Durak, prend Bagdad : c’est le début de la dynastie des Turcs Seldjoukides et du
sultanat des Grands Seldjoukides. Le sultanat s’étend rapidement vers l’Ouest, au détriment des
musulmans non Turcs, puis, après 1071 et la bataille de Manzikert où le basileus Romain IV
Diogène est capturé par Alp Arslan, successeur de Tughrul Beg, sur toute l’Anatolie byzantine
(les Turcs atteignent Nicée4, aux portes de Constantinople, en 1078). Théoriquement unifié, le
sultanat seldjoukide se fragmente en fait régionalement dès la mort d’Alp Arslan : ainsi, est fondé
en Anatolie le sultanat de Roum5 qui est le plus important de ces « royaumes » semi-indépendants,
mais qui est comme les autres conquis par les Mongols6 au XIIIe siècle (les troupes du sultan de
Roum sont écrasées à la bataille de Köse Dag en 1243).
C’est pourtant dans l’Anatolie mongole, où les Turcs ne contrôlent plus le pouvoir
politique, que naît l’aventure ottomane. Osman, chef de guerre turc d’Anatolie occidentale, crée
en 1299 un beylicat sous contrôle (nominal) mongol, celui d’Osmanlis, aux alentours de Nicée.
Rapidement, Osman étend son territoire au détriment de Byzance : en 1301, il bat l’armée
byzantine à Baphaion, puis son successeur Orhan prend Nicée et Nicomédie dans les années
1330, avant de franchir la péninsule de Gallipoli (1354) et de commencer la conquête de la partie
européenne (les Balkans – Bulgarie, Thrace, Macédoine et sud de la Serbie) de l’Empire byzantin.
A la fin du XIVe siècle, l’Empire romain d’Orient n’est donc plus qu’un Etat « croupion », dont il
ne reste quasiment que Constantinople. Les Ottomans décident alors d’envahir la ville pour
contrôler le Bosphore, clé maritime et commerciale, mais leurs projets sont retardés par un autre
chef de guerre musulman et turco-mongol, Tamerlan, qui bat le sultan ottoman Bayezid Ier à la
bataille d’Ankara en 1402. Les forces ottomanes doivent alors se reconstruire, et deux tentatives
pour prendre Constantinople échouent en 1410 puis 1422, même si l’expansion continue vers les
Carpates et l’Europe centrale.
La prise de Constantinople et la constitution d’un Empire multiethnique
C’est dans ce contexte de forte pression musulmane que les derniers basileus ont tenté de
réagir par une alliance avec l’occident chrétien : l’empereur Jean VIII Paléologue (1390-1448)
décida ainsi de signer avec le Pape un accord sur l’union des Eglises catholique et orthodoxe en
1439 à Florence, en échange d’une aide militaire soutenue par la papauté contre les Ottomans –
autant dire une nouvelle croisade. L’accord est en fait rejeté par la population de Constantinople
et le clergé orthodoxe, tandis que les forces occidentales promises pour desserrer l’étau ottoman
n’arrivent pas. Parallèlement, un jeune sultan ottoman arrive au pouvoir en 1451, Mehmet II7, qui
décide dès son avènement de prendre la ville, pour éviter une alliance chrétienne qui aurait pu
être réellement dangereuse. Il décide donc de lancer rapidement les préparatifs en 1452 :
renouvellement d’une alliance avec Venise (pour éviter une contre-attaque maritime,
notamment8), construction d’un château-fort sur la côte européenne du Bosphore et de grands
canons pour pilonner la ville.
Le siège de Constantinople commence le 5 avril 1453. Pendant 55 jours, les défenseurs de
la ville, probablement près de 7 000 hommes en armes (dont 3000 Italiens9), qui avaient refusé de
capituler, tentent de protéger une population réduite (entre 37 000 et 42 000 personnes au total),
Actuellement Iznik.
Terme désignant les Byzantins pour les Musulmans.
6 Ce sont bien sûr les hordes de Gengis Khan, qui s’imposent de Delhi à Ankara.
7 Il règne jusqu’en 1481.
8 Voir à ce propos l’intéressant article de Stéphane Yerasimos, « Pourquoi les Turcs ont pris Constantinople », Les
collections de l’Histoire n°45, octobre-décembre 2009, p. 14-19, où l’auteur montre comment les Ottomans comptent sur
la complexité du système républicain vénitien pour l’empêcher d’agir, alors que Venise était la seule véritable force
maritime crainte par les Ottomans.
9 Essentiellement des hommes en armes vénitiens et génois qui protégeaient les intérêts commerciaux – les
marchands et leurs comptoirs – des deux républiques italiennes rivales.
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face à une armée ottomane forte de près de 160 000 soldats. Finalement, les canons ottomans
réussissent à ouvrir une brèche dans les murailles de la ville et l’assaut final est lancé le 29 mai au
matin. Très rapidement, les Byzantins sont débordés, la cité est pillée, 2 000 à 3 000 défenseurs
sont massacrés et le reste de la population est faite prisonnière10. Dans l’après-midi, Mehmet II
entre dans la ville et se dirige vers Sainte-Sophie, qui, transformée en mosquée, accueille les
premières prières dès le 1er juin : l’Islam a vaincu les Infidèles.
La plupart des prisonniers de guerre sont ensuite dispersés à travers l’Empire ottoman, à
l’exception notable de la part du sultan11, installée près de la Corne d’or. Rapidement, Mehmet II
doit donc repeupler la ville, vidée de des habitants. Il fait le choix de créer une société
pluriethnique et multiculturelle pour ce qui devient la capitale d’un Empire ottoman
correspondant aux limites de l’Empire byzantin avant l’arrivée des Turcs en Anatolie et Manzikert.
Ainsi, un dénombrement de la population effectuée en 1477 12 montre que 42% des 60 000
habitants d’Istanbul 13 ne sont ni Turcs, ni musulmans 14 et on y trouve de fortes minorités
grecques, arméniennes, juives. Les minorités peuvent être importantes (par exemple les minorités
chrétiennes dans le quartier de Galata, au nord de la Corne d’Or, qui était une colonie génoise
jusqu’à la prise de la ville) et sont globalement intégrées. Mehmet II donne d’ailleurs des gages
importants à ces minorités : ainsi, dès janvier 1454, il intronise Genadios15 patriarche, permettant
aux orthodoxes de pratiquer leur religion dans la ville – et dans son Empire. Globalement, vers
1500, la partie européenne de l’Empire comptait plus de 77% de foyers chrétiens, l’Anatolie près
de 10%.16 De la même façon, beaucoup de Juifs chassés d’Espagne (ou des autres Etats chrétiens)
par les Rois Catholiques après la chute de Grenade en 1492 s’installent à Istanbul 17. Il faut dire
que le statut des Juifs et des chrétiens est plutôt bon dans l’Empire ottoman : ils jouissent alors de
la dhimma (« protection » ou « sauvegarde »), codifiée au XIIe siècle. En échange de réels droits
religieux, les minorités des « gens du livre » non-musulmans, doivent payer un simple impôt, la
dziya (capitation). Chaque communauté peut aussi régler ses conflits de manière interne, sans
avoir recours à la justice musulmane. Loin d’un repli des Ottomans sur eux-mêmes, la prise de
Constantinople s’inscrit donc dans une dynamique ancienne des peuples turcs où la tolérance est
de rigueur.
Le rayonnement militaire, culturel, religieux d’Istanbul et de l’Empire
Au début des années 1470, Mehmet II fait construire à Istanbul une résidence impériale,
le Nouveau Palais (Yeni Saray), l’actuel Topkapi. Dans ses jardins, le sultan décide la construction
de trois kiosques, le premier à la mode grecque, le deuxième à la mode turque, le troisième à la
mode persane, symbolisant l’empire multiethnique qu’il est en train de fonder, un empire où
règne une paix intérieure grâce à une administration qui s’appuie sur tous les peuples le
composant. Les membres de la haute administration, appelés koul, sont des esclaves ou
apparentés, bien souvent d’origine chrétienne, qui, adolescents, sont turquisés et islamisés : sur les
Le dernier basileus, Constantin XI Paléologue, meurt parmi les défenseurs, anonymement.
Soit 1/5e tout de même, c'est-à-dire près de 10 000 personnes.
12 Tous les chiffres par feux sont donnés par Bernard Lewis, Istanbul et la civilisation ottomane, JC Lattès, 1990, p. 113
13 En réalité, la ville est encore longtemps appelée Constantinople, notamment par les Ottomans eux-mêmes. Le
terme d’Istanbul ne s’impose véritablement qu’au XVIII e siècle, mais est ici utilisé pour montrer la rupture politique
– le passage d’une domination grecque à une domination turque.
14 Les Arabes sont alors une « minorité » importante : la ville compte ainsi de nombreux Chiites…
15 Genadios était le chef de file des orthodoxes anti-unionistes, qui avaient combattus l’accord sur l’Union des Eglises
de 1439.
16 Robert Mantran, « L’âge d’or de l’Empire ottoman », Les Collections de l’Histoire n°45, 2009, p. 25
17 Le sultan Bayezid II (1481-1512), fils et successeur du Conquérant, proclame à cette occasion des édits de
tolérance envers les Juifs.
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35 grands vizirs18 recensés entre 1453 et 1600, on trouve deux Italiens d’origine et au moins 19
d’entre eux proviennent de familles non-musulmanes. De plus, aucune persécution religieuse
n’apparaît envers les Juifs ou les chrétiens, tant qu’ils participent à la vie de l’Empire et sont
fidèles au sultan. Cette « pax ottomanica » permet aux sultans des XVe et XVIe siècles d’étendre
leur domination au-delà des limites de l’ancien Empire byzantin, puisque les successeurs de
Mehmet II conquièrent d’une part l’Anatolie orientale, l’Arabie et l’Egypte (sous Selim Ier – 15121520 – qui s’empare notamment du puissant sultanat Mamelouk du Caire en 1517, devenant ainsi
le protecteur des lieux saints – Médine, la Mecque, Jérusalem), d’autre part l’Europe centrale et
l’Afrique du Nord sous Soliman (le Magnifique, 1520-1566), lorsque les Ottomans envahissent
une bonne partie du Maghreb – Maroc et Tunisie19 exceptés – au détriment des Ibériques, puis le
sud du domaine des Habsbourg (sud de la Croatie, Hongrie, Transylvanie). Le coup d’arrêt de
l’expansion européenne est donné en 1529, quand les Ottomans échouent devant Vienne. Malgré
tout, l’Empire Ottoman apparaît pendant tout le XVIe siècle comme la puissance militaire
majeure d’Europe : terrestre, d’une part, s’appuyant sur une infanterie et une cavalerie d’élite
formée, comme les koul, d’esclaves, les janissaires, mais aussi sur une flotte puissante qui contrôle
l’ensemble de la Méditerranée orientale20 , pratiquant des razzias sur l’Italie du Sud ou les côtes
ibériques, notamment grâce à des corsaires inféodés21, rendant ainsi la navigation peu sûre pour
les navires occidentaux. Même si une véritable défaite apparaît à Lépante, en 157122, le XVIe siècle
apparaît bien comme celui de la domination militaire ottomane en Europe.
Dans ce cadre, la capitale de l’Empire, Istanbul, apparaît comme une métropole majeure,
qui accueille une population croissante : sous Soliman (1520-1566), la ville compte près d’un
demi-million d’habitants23. Elle est aussi un centre religieux et culturel majeur, que les sultans
ottomans embellissent progressivement. Ainsi, Sainte-Sophie, dont l’architecture orthodoxe est
conservée, connaît des transformations et agrandissements pour en faire une mosquée : Mehmet
II y ajoute un minaret et consolide le mur sud grâce à des contreforts, Selim II (1566-1574) y
ajoute deux minarets et Murad III (1574-1595) restaure l’ensemble et termine les quatre minarets
d’angle toujours visibles. Parallèlement, les mosaïques anthropomorphiques byzantines à
l’intérieur de l’édifice sont recouvertes de badigeon pour laisser place à des représentations
géométriques ou à motif floral propres à l’art musulman24. D’autres mosquées sont construites
dans la ville, dont la plus importante, entre 1462-70, où elle fut fondée, et sa destruction par un
tremblement de terre en 1766, est celle de Mehmet II lui-même. Située sur l’une des collines de la
ville au cœur d’un vaste ensemble universitaire25, cette mosquée est alors à la fois un lieu de prière
majeur, créée pour concurrencer Sainte-Sophie et prouver la foi du Conquérant, mais aussi le lieu
d’enseignement central de l’Empire dans les domaines traditionnels du savoir musulman,
Le grand vizir est le principal conseiller du sultan, une sorte de premier ministre de l’Empire. Certains sont très
influents : par exemple, Mehmet Sokollu règne de fait à l’époque de Selim II (1566-1574), le sultan étant peu
intéressé par le pouvoir.
19 La Tunisie est tout de même conquise en 1574, peu après Lépante.
20 Mais la flotte ottomane ne réussit pas à s’implanter durablement dans le bassin occidental, échouant à prendre
Malte après un siège de plus de trois mois en 1565.
21 Le plus célèbre est bien entendu Khayreddine Barberousse.
22 La bataille, qui se déroule, près des côtes grecques, voit la victoire navale de la Sainte Ligue – essentiellement des
Vénitiens et des Espagnols – et a un retentissement énorme en Occident : pour la première fois, la flotte ottomane
est arrêtée en Méditerranée. Malgré la mort de près de 30 000 hommes, la défaite n’apparaît pas aussi clairement aux
Ottomans, qui continuent leur expansion en Afrique du Nord.
23 Entre 400 000 et 600 000 habitants, selon les auteurs et la datation envisagée.
24 Mehmet II avait originellement décidé de conserver les mosaïques, qui furent seulement recouvertes d’un voile.
C’est sous Soliman que les travaux de recouvrement commencèrent, mais ils furent progressifs : au XVIIe siècle, des
vestiges étaient encore visibles. Finalement, les sultans du XIX e siècle acceptèrent une restauration partielle des
mosaïques byzantines par des artisans italiens, ce qui explique que beaucoup sont aujourd’hui visibles. Le bâtiment
témoigne donc bien à la fois de la position centrale d’Istanbul, à la croisée de plusieurs civilisations, mais aussi de
l’ouverture et de la tolérance culturelle des sultans ottomans.
25 Appelé Sahn-i Seman, « la Cour des Huit », à cause de son plan particulier.
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médecine, droit, théologie. Sous Soliman est également construite la mosquée Sülemaniye 26 ,
entourée d’un vaste complexe comprenant là aussi des écoles de théologie, mais aussi un
hammam, un hospice, des magasins… Les mosquées sont donc bien, pour les Ottomans, non
seulement des lieux de prière, mais surtout des centres de sociabilité majeurs, témoignant du
rayonnement culturel de la ville la plus importante du monde musulman aux XVe et XVIe siècles.
Enfin, Istanbul est aussi une interface commerciale majeure. A l’époque byzantine, les
Italiens, Vénitiens et Génois notamment, s’étaient installés dans la ville afin de contrôler une
partie du commerce entre l’Asie centrale et l’Occident – épice, soie et soieries, alun d’Asie
mineure, coton syrien… Dès 1454, Mehmet II renoue avec les anciens accords entre Italiens et
Byzantins, permettant aux Vénitiens, notamment, de conserver leurs positions dans la ville. La
position commerciale d’Istanbul se renforce encore à partir des conquêtes de Selim Ier, puisque le
contrôle politique sur la Syrie, la Palestine, l’Egypte permet en fait un contrôle commercial du
passage entre océan Indien et Méditerranée, donc de denrées très consommées et par les
Ottomans et par les Occidentaux (notamment les tissus et épices indiens et la porcelaine chinoise
venus par la mer Rouge ou le golfe Persique). Malgré les conflits militaires, la coopération
commerciale entre l’Occident et les Ottomans n’est, en fait, jamais remise en cause sur le long
terme jusqu’à la fin du XVIe siècle.
L’Empire ottoman, de 1453 à Lépante, est donc un acteur majeur de la scène européenne,
ce qui peut se résumer par l’expression de « siècle turc » utilisée par l’historiographie actuelle27.
Carrefour entre l’Europe et l’Asie, l’Empire est donc également un espace largement ouvert sur le
Monde : la flotte ottomane, basée à Gallipoli, navigue dans l’océan Indien dès le début du XVI e
siècle (1538) et est en contact avec de nombreux sultanats indépendants, d’Aden au Gujarat.
L’intérêt pour le reste du Monde est d’ailleurs patent comme le montre la « carte de Piri Reis »28,
retrouvée en 1929 lors de la restauration du Topkapi. Ce fragment d’une carte manifestement
plus importante est réalisé en 1513 sur une peau de gazelle par Piri ibn Haji Mehmed (v.14701533), amiral de la marine ottomane et neveu du capitaine de marine Kemal Reis. On y voit des
représentations des côtes occidentales de la péninsule ibérique, de l’Afrique et des côtes du
Nouveau Monde29, réalisées grâce à de nombreuses cartes, portulans italiens, cartes arabes de
l’Inde et une carte prise – en même temps qu’un esclave ayant participé aux expéditions de
Colomb – sur un navire espagnol naviguant en Méditerranée. Cependant, cet intérêt de certains
lettrés pour le Monde ne détourne pas l’entreprise ottomane, globalement tournée vers l’Europe,
vers d’autres horizons, asiatiques ou, surtout, américains. Alors que les Occidentaux s’emparent
au XVIe siècle de nouvelles routes commerciales – et de nouveaux biens – grâce à leurs voyages
d’explorations, au XVIIe siècle, l’Empire ottoman commence un long déclin, dû non seulement
aux effets économiques de cette première mondialisation dominée par les catholiques, mais aussi
à des difficultés internes multiples et à la pression expansionniste de ses puissants voisins
autrichien et russe.
Une étude au choix # 1 – Un navigateur européen et ses voyages de découvertes ou un grand port
européen
A partir de 1453, la prise de Constantinople et la montée en puissance ottomane
entraînent de multiples interrogations en Occident : comment arrêter l’Infidèle qui vient de
mettre à bas un Empire pluriséculaire, héritier de la puissance romaine de l’Antiquité, et qui, de
La mosquée Sülemaniye est construite par l’architecte le plus renommé de l’Empire ottoman, Sinan.
Julien Loiseau, « De l’Asie centrale à l’Egypte : le siècle turc », in P. Boucheron (dir.), Le Monde au XVe siècle, Fayard,
2010, p.33-51
28 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/70/Piri_reis_world_map_01.jpg
29 Piri Reis y a inscrit un long texte expliquant que ce dernier a été découvert « par un Génois infidèle, du nom de
Kolombo ».
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surcroît, se positionne comme maître de la route des épices et de la soie, denrées vitales pour
l’Europe ? C’est ce questionnement qui, parmi d’autres « facteurs », incite les Européens –
Ibériques en tête – à préparer des voyages d’exploration pour trouver les nouvelles routes des
Indes et qui entraînent, de fait, un élargissement du Monde connu pour eux. Au-delà des
aventures individuelles, ce sont les conditions et répercussions de ces « découvertes » qui
entraînent d’abord l’Europe vers la modernité : la découverte de terres et d’une altérité inconnues
est un véritable choc culturel pour les élites qui sont vite informées par le biais des imprimés –
même si l’immense masse des populations est en fait coupée du processus. Parallèlement, les
voyages de découvertes entraînent aussi une première forme de mondialisation : la présence de
navires portugais dans l’océan Indien, le début de la traite à partir des grands ports ibériques –
puis français, plus globalement le basculement commercial de la mer Méditerranée à l’océan
Atlantique et la découverte de nouvelles richesses, favorisent un essor économique de l’Europe
occidentale et une mise en relation de tous les continents – Océanie exceptée. Le symbole de ce
basculement est l’essor économique de plusieurs ports européens (Séville, Lisbonne, Anvers) ou
le repositionnement des ports italiens (Venise en particulier), qui profitent globalement de ces
nouveaux produits et des nouvelles voies maritimes.
Les conditions technologiques, économiques, politiques et culturelles des voyages de découverte européens
Dès la fin du XIVe siècle, mais surtout au XVe siècle, l’Europe cumule un ensemble
d’atouts qui expliquent que des navigateurs ont pu, à ce moment-là, se lancer dans les voyages de
découverte. Le premier atout, peut-être le plus ambigu aussi, est la fragmentation politique de
l’Europe occidentale dans le dernier siècle du Moyen-âge. En effet, cette division en de nombreux
royaumes et principautés, presque tous largement expansionnistes et aussi inquiets de la puissance
de leurs voisins que de celle des Ottomans, entraîne une émulation militaire importante : il faut
avoir la meilleure armée, pour se protéger et pour s’étendre. De fait, si la modernisation des
troupes terrestres est un aspect non négligeable de la Renaissance, c’est aussi la modernisation de
la marine qui rend possible les voyages de découvertes. Ainsi, de nombreuses innovations 30 ,
empruntant à la fois aux techniques nordique et méditerranéenne, sont utilisées dès les années
1440-1450 par les Ibériques pour alléger les navires, augmentant leur rapidité et leur capacité à
porter une artillerie importante, de façon à pouvoir gagner les batailles navales : ces améliorations
manifestes favorisent aussi, incidemment, les longs voyages.
Politiquement, ensuite, de nombreux choix ont favorisé les aventures outre-marines. La
première nation à réellement31 développer les voyages d’exploration est le Portugal, à la fin du
XIVe siècle. Cette aventure correspond en fait à un véritable choix dynastique des Aviz, qui
prennent le pouvoir en 1385 après la bataille d’Aljubarrota face à la Castille 32 : seigneurs d’un
territoire réduit, faiblement peuplé (moins d’un million d’habitants vers 1470), qui plus est situé
en finistère de l’Europe, ils décident de se tourner vers l’océan. Dès les premières années du XVe
siècle, Jean Ier lance des explorations vers les côtes africaines, notamment sous l’impulsion de son
troisième fils Henri le Navigateur33, conquérant Ceuta en 1415, Madère (1418-1419), les Açores
Les techniques sont multiples. On peut principalement retenir une première évolution concernant le gréement, qui
conjugue les voiles carrées d’Europe septentrionale (permettant de virer facilement et de profiter de tous les types de
vents, mais devant être bien placées face au vent pour être efficaces) avec les voiles triangulaires des nefs
méditerranéennes (qui permet de naviguer contre le vent et de tirer des bordées), d’où la multiplication des mâts. Il
faut y ajouter des évolutions concernant le gouvernail (avec la découverte de l’étambot) et un allègement des coques,
montées « à carvel », c'est-à-dire en assemblant les planches bord à bord et en calfatant les interstices. Au final, les
nouvelles techniques font apparaître des caravelles et des galions, beaucoup plus adaptés aux voyages
transocéaniques que leurs prédécesseurs.
31 Les Espagnols explorent, conquièrent et colonisent les Canaries dès 1341, éradiquant au passage des populations
locales, les Guanches, mais l’aventure paraît plus ponctuelle et partiellement liée à la Reconquista.
32 Cette date est d’ailleurs considérée comme la réelle naissance de la nation portugaise, qui s’émancipe pleinement de
la tutelle plus ou moins prégnante des autres royaumes ibériques.
33 Il ne régna jamais.
30
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
(1427-1450) puis prenant le contrôle progressif de la côte africaine jusqu’à ce que le navigateur
Eanes ouvre la voie du golfe de Guinée34 en 1434 et Bartolomeu Dias celle de l’océan Indien en
passant le cap de Bonne-Espérance en 1488. L’aventure portugaise se teinte alors d’un réel
mysticisme chrétien : dans le royaume des Aviz, la croyance en la fondation d’un « cinquième
empire » catholique au profit des Portugais, prétendument annoncé dans le Livre de Daniel,
devient courante, tandis que les navigateurs ouvrent de longues routes maritimes et que des
souverains païens se convertissent sous l’impulsion portugaise 35. Pour les Espagnols, le choix
politico-religieux est aussi évident : si Isabelle de Castille accepte de confier à Colomb une
exploration vers l’ouest en 1492, c’est parce qu’il promet d’évangéliser la Chine, une façon
d’exporter la Reconquista outre-mer après la chute du Royaume de Grenade le 1er janvier. Enfin, si
François Ier envoie Giovanni da Verrazano puis Jacques Cartier explorer les latitudes
septentrionales du Nouveau Monde, si l’Angleterre finance l’expédition de Jean Cabot vers Terreneuve (1497), puis le tour du Monde de Francis Drake (1577-1580), c’est aussi pour ne pas être
totalement dépassées par les couronnes ibériques et pouvoir contester le traité de Tordesillas,
séparant en 1494, sous l’égide de la papauté, le monde connu entre Portugal et Espagne.
Enfin, les facteurs culturels (religieux et scientifiques) et économiques, intrinsèquement
liés, expliquent aussi le lancement des grands voyages d’exploration. D’abord, la disparition de
Byzance et la menace que fait peser l’Empire ottoman sur le monde catholique après 1453
poussent les Occidentaux vers l’océan pour plusieurs raisons. La première est profondément
religieuse : face à la puissance musulmane, les Occidentaux rêvent de trouver le mythique
« Royaume du Prêtre Jean », un royaume chrétien attesté dans de nombreux contes à travers tout
le Moyen-âge, quelque part vers l’Ethiopie ou l’Inde et où serait conservé le Saint Graal, qui
permettrait, par une alliance militaire, de renverser définitivement les Infidèles. La deuxième est
économique : vers 1453, les Ottomans contrôlent nettement les circuits commerciaux venus
d’Orient et les Occidentaux dépendent donc de la puissance musulmane pour de nombreux
produits, à commencer par les épices, très consommées par les élites européennes. Enfin, la
troisième est scientifique, même s’il ne faut pas la surestimer : avec la chute de Byzance, quelques
savants grecs36 se réfugient en Occident et surtout, de nombreux manuscrits sont mis en vente
après le pillage de la ville, manuscrits qui sont rachetés par des élites européennes et où se
retrouve une partie d’un savoir antique qui avait été conservé par Byzance, mais pas par
l’Occident 37 . Ensuite, c’est l’état des connaissances scientifiques globales, notamment
cartographiques, qui permet aux Occidentaux d’envisager l’aventure océane. En effet, si pour
l’immense masse des populations la Terre est alors probablement plate, pour les lettrés, un
consensus semble être apparu dès le XIVe siècle sur sa sphéricité38, avec par exemple l’ouvrage du
cardinal Pierre d’Ailly, grand maître en théologie de l’Université de Paris, Imago Mundi (rédigé en
1410) et qui décrit un monde totalement sphérique. De fait, des planisphères et globes sont
même réalisés avant les « Grandes Découvertes », par exemple accompagnant les premières
Il est le premier à passer le cap Bojador, au sud du Maroc actuel, alors réputé infranchissable.
Par exemple le roi du Mani-Kongo (autour de l’actuel fleuve Congo), Nzinga-Nkuwu, qui se convertit en 1491
sous le patronyme de Jean Ier.
36 L’exemple type en est le cardinal Bessarion qui s’installe en Italie après la chute de Constantinople et fait don, en
1468, de son importante bibliothèque à Venise. Cependant, des savants grecs s’étaient installés en Occident dès la fin
du XIVe siècle, par exemple Emmanuel Chrysoloras à Florence.
37 Ce point, très connu, est aujourd’hui en partie relativisé : en fait, le savoir grec était déjà partiellement connu en
Occident depuis le XIVe siècle, par exemple la Géographie de Ptolémée faisait déjà clairement autorité en ce qui
concerne l’Etat du Monde et les œuvres complètes de Platon étaient arrivées à Florence dès 1430 via des traductions.
Cependant, au XVe siècle, la multiplication des rencontres entre catholiques et Byzantins en vue du projet unioniste,
permet aux Occidentaux, Italiens surtout, de rentrer en contact avec de nombreux textes antiques (en grec), soit
inconnus, soit plus complets ou sans erreurs de traduction par rapport aux version latines.
38 Les débats sur la forme de la Terre sont vifs entre érudits au XIII e siècle, mais l’idée de la sphéricité progresse,
comme le montre l’ouvrage du théologien parisien de la Sorbonne, Jean de Sacrobosco, De Sphaera Mundi, rédigé vers
1230, très utilisé par les universitaires de la fin du Moyen-âge (jusqu’à la révolution copernicienne) et premier traité
d’astronomie imprimé, à Ferrare en 1472.
34
35
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
éditions imprimées de la Géographie de Ptolémée, en 1482 à Ulm. Dans ce cadre, il est concevable
pour les esprits contemporains d’imaginer une route maritime circumterrestre, qui permettrait,
d’Europe occidentale, d’atteindre l’Asie.
Les principaux navigateurs européens et leurs voyages de découvertes
Parmi tous les navigateurs, le plus célèbre reste aujourd’hui celui qui a fait découvrir aux
Européens tout un continent, Christophe Colomb, né en 1451 (ou 1447) à Gènes, dans l’arrièrepays ligure, d’une famille de tisserands. Il a vraisemblablement commencé à naviguer très jeune
(peut-être dès 10 ans), ce qui n’a rien d’étonnant pour un citoyen de l’une des cinq grandes
puissances maritimes de la Méditerranée occidentale de l’époque, et dans une lettre qu’il écrit à
Ferdinand d’Aragon, il se vante même d’une expérience de corsaire39. Quoi qu’il en soit, il se rend
au Portugal, à Lisbonne, en 1476, pour y retrouver son frère Barthélemy, cartographe, et s’y marie.
Après plusieurs voyages maritimes avec les Portugais le long des côtes africaines, où il rencontre
des populations très mal connues des Européens40, il met en place son projet d’exploration, dont
le but est de contourner le blocage commercial des Ottomans et d’évangéliser les Chinois, qu’il
présente au roi Jean II en 1484 : l’idée est de rejoindre les Indes non pas en contournant l’Afrique
(ce que tentent alors de faire les Portugais), mais en naviguant vers l’ouest. Cette idée est nourrie
de réflexions et de lectures qui font de Colomb un réel savant : il connaissait le Livre des merveilles
du monde de Jean de Mandeville41, l’Imago Mundi, probablement le Devisement du Monde de Marco
Polo. C’est dans l’Imago Mundi que Colomb puise d’ailleurs sa « lumineuse erreur »42, qui le pousse
à minimiser largement la distance entre les Canaries et Cipangu et Cathay (le Japon et la Chine)43,
tout en maximisant la taille de l’Asie. Au final, il pense que par l’Ouest, Cipangu se trouve à 4 400
km des Canaries, soit trois à quatre semaines de voyage seulement 44 . Les savants portugais,
conscients des erreurs (ils connaissaient la valeur réelle de la circonférence de la Terre grâce à
Aristote et Eratosthène), en informent Jean II, qui refuse de financer Colomb. Il quitte alors le
Portugal et fait la même proposition à Ferdinand de Castille et Isabelle d’Aragon, qui après un
premier refus en 1486-1490, acceptent finalement de lui confier une expédition en 149245.
Le 3 août 1492, Colomb quitte le petit port andalou de Palos à la tête d’une caraque 46
amirale, la Santa Maria et deux caravelles, la Pinta et la Niña, en direction des Canaries, puis se
lance plein ouest à partir du 6 septembre. Ce n’est que dans la nuit du 11 au 12 octobre, alors que
Le contenu de la lettre, où Colomb évoque sa participation, au nom de René d’Anjou, à l’abordage d’une frégate
espagnole nommée la Fernandina, est parfois considéré comme un pieux mensonge de Colomb pour trouver un
emploi auprès des Rois Catholiques.
40 Il participe notamment en 1482 à la fondation du fort de São Jorge da Mina, dans le Golfe de Guinée (Ghana
actuel), où les Portugais commencent deux décennies plus tard à pratiquer la traite.
41 Jean de Mandeville, chevalier anglais, relate dans ce livre les voyages qu’il aurait effectué au Proche-Orient, en Asie
centrale et jusqu’en Chine, de 1322 à 1356. La réalité du récit, qui reprend par ailleurs diverses sources d’explorateurs,
n’a jamais été prouvée.
42 L’expression est de Michel Balard.
43 Colomb reprend mal les calculs de la circonférence terrestre d’un savant arabe du IX e siècle, Al-Farghani, cités
dans l’Imago Mundi, qui calcule 56 milles pour chacun des 360 degrés de la planète. Mais au lieu de faire le calcul avec
le mille arabe de 2 164 m (pour une circonférence totale de 44 000 km, proche de la réalité de 40 000 km), Colomb
calcule avec le mille romain (1 480 m) : le pourtour du globe n’est plus que de 30 000 km !
44 Ses erreurs sont confortées par de nombreuses autres lectures : Colomb a ainsi connaissance d’une lettre d’un
savant florentin, Paolo Toscanelli, qui estime lui aussi, en 1474, que la distance entre le Japon et les Canaries est
faible. Une carte intéressante est disponible sur le site du département de géographie de l’Université de Rouen :
http://www.georouen.org/IMG/jpg/2JB-_Erreur_Colomb.jpg
45 Colomb obtient, dans les Capitulations de Santa Fe signées le 17 avril 1492, d’importantes garanties :
anoblissement, titres d’amiral de la mer océane, de gouverneur et vice-roi des terres découvertes, plus 10% des
richesses engrangées, le tout à titre héréditaire ; en contrepartie, il doit se financer sans apport royal.
46 Inventées par les Vénitiens et Génois dans le dernier tiers du siècle, les caraques sont beaucoup plus importantes
(1000 tonnes) que les caravelles.
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les équipages commençaient à douter de Colomb, qu’une terre apparaît : l’île de Guanahani47,
dans les Bahamas. Ce n’est clairement pas le Japon : les premiers « Indiens » rencontrés, des
Tainos du groupe linguistique arawak, étonnent les Européens48, et vice-versa (l’arrivée inopinée
de blancs barbus dans de grands bateaux n’est pas anodine pour les Tainos). Ces natifs sont
pacifiques et ce sont d’autres Tainos que Colomb rencontre lors de son premier voyage, où il
découvre aussi Cuba et Hispaniola (Haïti). En janvier 1493, rentré en Europe, il organise un défilé
triomphal, de Séville à Barcelone et « présente » perroquets, or, produits des îles et quelques
Indiens, qu’il veut baptiser et initier à l’Espagnol pour en faire des interprètes, aux Souverains
catholiques. Il réalise ensuite trois autres voyages49, entre 1493 et 1503, où, outre d’autres Tainos,
il rencontre des Caribas (les Indiens Caraïbes), anthropophages50 et, dès la deuxième expédition,
les violences entre Européens et natifs se multiplient51. Globalement, s’il rencontre de nouveaux
Hommes 52 et de nouvelles terres, Colomb ramène peu de richesses. Pourtant, son expédition
lance les bases de la conquête des Amériques par l’Occident. Non seulement la question religieuse
est au centre de toute la réflexion de Colomb 53 , qui a pour but premier l’évangélisation des
populations rencontrées (et, en ce sens, il est bien un homme du Moyen-âge), mais il pose aussi
les bases de l’exploitation coloniale des peuples Amérindiens : lors de son deuxième voyage,
Colomb découvre que, sur Hispaniola, les premiers colons qu’il avait laissé précédemment
mettent en esclavage les Tainos et leur imposent un tribut en or et coton. Mais lors de son
troisième voyage, en 1498, le système du tribut est transformé, ce que Colomb ne peut
qu’accepter. Pour que l’exploitation des populations locales soit plus systématique et lucrative, les
colons ont décidé de les regrouper sur des terres, où ils doivent un travail forcé aux Européens
« en échange » de l’évangélisation : c’est le début du système de l’encomienda, qui, accepté de fait
par les Souverains espagnols en 1503, se diffuse par la suite dans toutes les colonies espagnoles
d’Amérique. Lorsque Colomb meurt en 1506, malade et persuadé d’avoir découvert une nouvelle
route vers l’Asie, ses voyages d’exploration, diffusés rapidement par l’imprimerie à toutes les
élites, ont bien jeté les bases de la modernité en Europe.
Colomb n’est cependant pas le seul navigateur à avoir ouvert de nouveaux espaces aux
Européens. Vasco de Gama, d’abord, est né vers 1469 à Sines, sur la côte sud-ouest du Portugal,
d’une famille de chevaliers. Peu de choses sont connues de sa formation, mais les historiens
portugais pensent qu’il reçoit une éducation incluant la navigation, les mathématiques et
De son nom local. Colomb la baptise San Salvador.
Pour Colomb et ses hommes, tout est « différent » chez les Tainos : l’apparence physique (couleur de peau brune,
cheveux épais, tête larges), le langage, les coutumes (ils sont nus, mais ornés de peintures, certains ont des morceaux
d’or dans le nez et ils possèdent une réelle liberté sexuelle, incomprise par les Occidentaux).
49 Pour une carte de référence très simple : http://www.memo.fr/Media/Christophe-Colomb.jpg
50 Ainsi, le docteur Diego Alvarez Chanca, qui accompagne Colomb lors de son deuxième voyage en 1493, décrit le
mode de vie des Caraïbes dans ces termes : « Les femmes [Tainos, capturées par les anthropophages et libérées par
les explorateurs] nous disaient que les Caraïbes étaient d’une cruauté qui parait incroyable, qu’ils mangent les enfants
qu’ils ont d’elles et qu’ils élèvent seulement ceux que leurs donnent les femmes de leurs îles. Les hommes qu’ils
peuvent saisir vivants, ils les emmènent chez eux pour les livrer à la boucherie, et ceux qu’ils n’ont que morts, ils les
mangent sur-le-champ. », cité in Michel Lequenne, Christophe Colomb, Amiral de la mer océane, Découvertes Gallimard,
1991, p.83
51 Tensions des explorateurs qui tentent de s’emparer des femmes indigènes, mise en esclavage des peuples les plus
pacifiques, destruction des anthropophages, résistance globale des indigènes sont autant de violences qui apparaissent
dès les premiers mois de la rencontre.
52 Entraînant d’importants débats théologiques en Occident, le plus célèbre, la Controverse de Valladolid, ayant lieu
en 1550 à la demande de Charles Quint entre Sepulveda, persuadé qu’il faut éradiquer les Amérindiens, dont
l’absence d’âme est visible par leurs actes affreux de sacrifices humains et cannibalisme, et Las Casas, qui s’oppose à
la mise en esclavage et au massacres de ces peuples, mettant en avant leur humanité.
53 Lors du troisième voyage, alors que Colomb longe les côtes de l’actuel Venezuela, il arrive dans un golfe où
s’écoule de l’eau douce (provenant en fait du delta de l’Orénoque) et il rencontre à plusieurs escales des Natifs, blancs,
accueillants. Pour lui, des Hommes blancs, heureux, aux latitudes de l’Afrique, et la présence probable d’un grand
fleuve ne peut que signifier la proximité du Paradis terrestre. Il ajoute que si ce n’est pas le Paradis terrestre, c’est
qu’il y a, en fait, une terre inconnue de tous. On sent à la fois l’homme médiéval et l’homme moderne dans cette
réflexion : c’est la seule fois où Colomb exprime des doutes sur sa découverte, par une nouvelle voie, de l’Asie.
47
48
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l’astronomie, à Evora probablement 54 . En 1496, le roi Manuel Ier le Fortuné (1495-1521) lui
confie la tâche de prolonger les voyages de Bartolomeu Dias jusqu’en Inde, ce qui semble
possible d’après des explorations terrestres, lancées par son prédécesseur Jean II, via Alexandrie,
Aden, Ormuz puis l’Inde. Parti avec quatre caravelles en juillet 1497 de Lisbonne55, il passe le Cap
de Bonne-Espérance en décembre, entrant pour la première fois dans des eaux inconnues des
Européens, l’océan Indien. Longeant la côte orientale de l’Afrique contrôlée par des princes
musulmans, il entre en contact avec le sultan du Mozambique, appareille à Mombasa, puis à
Malindi (Mélinde)56, avant d’arriver, le 20 mai 1498, près de Calicut, au port indien de Pantalayini
dans le Kerala (Sud de l’Inde). La rencontre avec les autorités locales (le dirigeant est un samorin,
« maître de la mer », hindou) est alors marquée par les contradictions de Gama : se présentant
comme un ambassadeur de l’une des plus riches nations de la Terre, il explique venir non pas
pour commercer, mais pour trouver des Chrétiens, mais n’est capable que d’offrir des pacotilles
au samorin. Il repart dans une ambiance délétère, après avoir capturé quelques Indiens pour les
ramener au Portugal, preuve de son succès : il a ouvert une nouvelle voie océane et, comme
Colomb, a découvert des terres et des Hommes inconnus des Européens57. Lors de ses voyages
suivants, en 1502-1503, puis en 1524, il appareille avec des flottes beaucoup plus importantes
pour conquérir de nombreux ports indiens et de la côte africaine orientale et se démarque par une
assez grande violence (il ordonne de nombreux pillages et actes de pirateries, notamment à
l’encontre des Musulmans), tandis que d’autres Portugais, dont Francisco de Almeida (v. 14501510) et Afonso de Albuquerque (1462-1515)58, conquièrent des comptoirs dans toute l’Inde et
s’insèrent dans les circuits commerciaux préexistants de l’océan Indien59. L’aventure de Gama
possède donc en partie les mêmes ingrédients que celle de Colomb : à partir de connaissances
médiévales, l’exploration entraîne la rencontre de peuples, pour certains asservis, et de terres
inconnus du Portugal, permettant à ce dernier de réellement devenir un Etat moderne. Après le
voyage de Vasco de Gama, les explorations se multiplient. Le Portugais Fernand de Magellan (v.
1480-1521), en voulant, au nom de Charles Quint, ouvrir à son tour une voie de passage entre
l’Atlantique et les Moluques, en Indonésie actuelle, découvre ainsi l’océan Pacifique en novembre
1520, mais meurt dans une île des Philippines, laissant l’un de ses capitaines, Juan Sebastián
Elcano (v. 1486-1526) terminer la première circumnavigation du monde 60 . Là aussi, les
explorateurs « découvrent » de nouvelles terres et de nouveaux peuples (par exemple les habitants
de quelques îles de Micronésie) et en évangélisent certains (par exemple les habitants de l’île de
Cebu, aux Philippines, en 1521)61. D’autres voyages d’exploration, anglais et français notamment,
permettent par la suite d’autres découvertes de ce type, notamment en Amérique du Nord62.
Dans tous les cas, ses premiers voyages, vers 1492, sont ceux d’un corsaire appointé par la couronne portugaise,
quand il participe à la capture de plusieurs bateaux français sur les côtes de l’Algarve.
55 Voir carte : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Vasco_de_Gama_map-fr.svg
56 Ces deux villes kenyanes ont connu des destins assez différents : l’accueil des Européens à Mombasa fut assez frais,
les Portugais pillent la ville en 1502 ; en revanche, les dirigeants de Malindi, en guerre avec Mombasa, ont bien
accueilli Gama : il y établissent un comptoir commercial en 1499, qui devient l’une des étapes obligées de cette
nouvelle route des Indes.
57 En fait, ces découvertes se limitent aux espaces de la côte africaine : quelques Européens (et de très nombreux
marchands musulmans) commerçaient déjà en Inde quand il aborde au Kerala, comme le montre très bien Sanjay
Subrahmanyam, « Comment les Indiens ont découvert Vasco de Gama », L’Histoire n°355, juillet-août 2010, p. 70-76
58 Il prend notamment Goa en 1510, dont il fait le pivot de l’empire portugais des Indes, puis Malacca (au sud de la
péninsule malaise) en 1511, ce qui lui ouvre la route commerciale de la Chine. Enfin, il installe un fort sur le détroit
d’Ormuz (entre le golfe persique et la mer d’Oman), limitant les contacts maritimes des Musulmans avec l’Inde.
59 http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Comptoirsinde.png
60 http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Magellan_Elcano_Circumnavigation-fr.svg
61 Tout ce qu’il faut savoir sur le voyage de Magellan est expliqué par Carmen Bernand, « Le tour du monde en 1124
jours », L’Histoire n°355, juillet-août 2010, p. 78-81
62 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/cartotheque/grandes-decouvertes-premier-partage-du-monde-au-xviesiecle.shtml
54
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
La place des grands ports européens dans l’élargissement du Monde
D’un point de vue européen, ces « Grandes Découvertes » entraînent des évolutions
économiques majeures, qui peuvent être perceptibles dans l’évolution des circuits économiques
au long cours au XVIe siècle. En effet, au XVe siècle, deux grands systèmes commerciaux
maritimes, coupés l’un de l’autre, apparaissent à l’échelle mondiale : d’une part le système
méditerranéen, dominé par les puissances italiennes, notamment Venise, d’autre part un système
centré autour de l’océan Indien qui connaît d’importantes évolutions au cours du siècle. En effet,
dans un premier temps dominé par des réseaux marchands arabes et chinois, le commerce dans
l’océan Indien passe dans les années 1430 sous domination indienne (notamment de marchands
provenant du Gujarat, sur la côte nord-ouest de l’Inde actuelle), avant que les Portugais n’y
fassent irruption à partir de 1498. Ces deux réseaux maritimes sont seulement complétés par une
route terrestre les reliant par Beyrouth ou Alexandrie, dans une moindre mesure Constantinople,
et l’Asie centrale, donc contrôlée essentiellement par le monde musulman (d’abord surtout le
sultanat mamelouk, puis les Ottomans à partir de la prise du Caire en 1517). Ces routes
commerciales sont réellement interconnectées, comme le montre la présence dans le Kerala de
marchands italiens, tels le Vénitien Bonajuto d’Albano63. Quoi qu’il en soit, ce système tripartite
est profondément remis en cause au XVIe siècle, avec, d’abord, l’arrivée des Portugais dans
l’océan Indien. En effet, la nouvelle route découverte par Vasco de Gama entre l’Europe et l’Inde
via le Cap de Bonne-Espérance et les comptoirs fortifiés de la côte orientale de l’Afrique (et le
détroit d’Ormuz), entraîne un déclin de la route terrestre traditionnelle 64 . Les Portugais
réussissent d’ailleurs à s’insérer rapidement dans les circuits commerciaux préexistant dans l’océan
Indien, en imposant, dès les années 1510, à tous les navires – musulmans compris – d’acheter des
sauf-conduits (cartaz), pour éviter les représailles portugaises : apparaît bien ici un contrôle du
trafic maritime par les Lusitaniens. D’autre part, l’ouverture du commerce vers l’Amérique à
partir du début du XVIe siècle entraîne un basculement commercial, progressif, vers l’Atlantique.
Ce commerce est alors totalement contrôlé par les Européens – Ibériques et quelques Italiens – et
est clairement relié au système eurasiatique : ainsi des épices indiennes voyagent jusqu’à
Hispaniola vers 1550. Le XVIe siècle est donc celui de la présence croissante des navires
européens sur toutes les mers du globe, entraînant une première forme de mondialisation à leur
profit, même si la domination économique européenne est loin d’être totale, notamment en Asie.
De fait, ces évolutions des circuits marchands traditionnels entraînent un essor des grands
ports européens et, en premier lieu, celui des ports ibériques. Séville, tout d’abord, poumon
économique de la Castille, connaît son apogée au XVIe siècle. La ville, fondée sur un site ancien,
occupé depuis l’Antiquité, au bord du Guadalquivir (qui est navigable jusqu’à l’océan), devient
musulmane de 712 à 1248, période pendant laquelle différentes dynasties construisent
d’importantes structures : un port et des chantiers navals fonctionnels (bien que la ville soit située
à 84 km de l’océan Atlantique), une muraille de près de 6 km jalonnée de près de 200 tours et la
palais de l’Alcazar (reconstruit en style mudéjar après le tremblement de terre de 1356), qui reste,
après la Reconquista, une résidence royale pour les souverains espagnols. Dès le XIVe siècle, la ville,
protégée des excursions des corsaires méditerranéens par son site et ses fortifications, devient un
port de commerce important, en contact avec l’Italie, l’Afrique du Nord et l’Europe de l’Ouest.
Mais c’est au début du XVIe siècle, en 1503, que le destin de la cité bascule : pour organiser les
relations commerciales entre l’Espagne et ses colonies du Nouveau Monde, les Rois catholiques y
fondent La Casa de Contratacion (« maison de Commerce »). Cette institution, rapidement installée
dans l’Alcazar, gère d’abord tout le trafic entre les Amériques et l’Espagne, récupérant l’or (5 000
kilos entre 1503 et 1510, plus de 42 000 entre 1551 et 1560 près de 10 000 en moyenne par
décennie jusqu’en 1640), l’argent (1 000 tonnes dans les années 1550, 2 000 dans la décennie
Sanjay Subrahmanyam, « Comment les Indiens ont découvert Vasco de Gama », L’Histoire n°355, juillet-août 2010,
p. 70-76
64 Elle connaît une baisse importante du trafic entre 1500 et 1540.
63
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
1570), le bois et les autres richesses des Amériques : 1/5e est directement destiné aux Rois
Catholiques. Elle possède aussi un rôle de formation (avec une école de navigation) et de justice
(elle instruit les procès nés de litiges commerciaux). L’activité du port est donc intense, ce que
prouve l’augmentation du nombre de navires au départ de Séville pour les Amériques tout au
long du XVIe siècle : 289 entre 1506 et 1515, 648 entre 1526 et 1535. Du reste, les activités de la
ville, traditionnelles65 ou liées à la conquête de l’Amérique, se développent : construction navale,
poudrerie par exemple. En conséquence, Séville devient une métropole cosmopolite dont la
population augmente rapidement : de 40 000 habitants à la fin du XVe siècle, elle passe à 130 000
à la fin du XVIe. Les marchands, espagnols et étrangers (Italiens, musulmans, notamment),
côtoient les candidats à l’aventure outremer, d’autant que les fortunes peuvent être rapidement
faites : par exemple, le Juif converti Juan de Cordoba, orfèvre, connaît un enrichissement
spectaculaire en participant au commerce américain dès 1502, puis en finançant la campagne
mexicaine de Cortès à partir de 1519. Malgré tous ses atouts, la gloire de Séville ne dure pas : dès
le début du XVIIe siècle, elle est supplantée par sa proche voisine, Cadix, notamment à cause de
l’envasement du Guadalquivir et du manque de modernisation des infrastructures portuaires.
D’autres ports européens contestent et complètent cependant la puissance de Séville.
Lisbonne, tout d’abord, capitale des Aviz, est aussi le centre de l’Empire colonial maritime du
Portugal. La ville, grâce à son port, connaît un âge d’or entre les années 1460 et 1560 66 .
L’enrichissement de Lisbonne se traduit, de fait, par une forte augmentation des activités locales
et donc de la population (de 60 000 habitants vers 1415, la population passe à 100 000 en 1550).
Son système commercial fonctionne autour de la Casa da India, créée en 1503 et héritière d’une
Casa da Guiné e Mina créée par Henri le Navigateur à Lagos, dont le but est de s’assurer du
monopole royal sur les richesses venues des côtes africaines (sucre, or et esclaves), du Brésil67
(sucre et bois brasil) et, bien sûr, de l’océan Indien (épices et textiles). Lisbonne est alors l’un des
trois lieux de ce que Claude Markovits et Sunjay Subrahmanyam appellent le « commerce
triangulaire » 68 entre le Portugal, l’Inde et l’Afrique orientale : grâce à l’argent portugais, les
commerçants lusitaniens achètent des tissus du Gujarat, qu’ils échangent contre de l’or dans leurs
comptoirs africains, or qui leur permet de se procurer par la suite les épices dans tout l’océan
Indien (notamment dans les Moluques). Ces richesses sont ensuite échangées, à partir de
Lisbonne, contre d’autres produits européens et irriguent tous les circuits commerciaux d’Europe
occidentale et centrale. Dans ce cadre, l’un des principaux centre de redistribution en Europe
septentrionale est Anvers, où est installée, à partir de 1508, la Feitoria de Flandres, une succursale
(en fait surtout un entrepôt) de la Casa da India. La ville, rattachée au duché bourguignon depuis
1408, profite de sa position, entre le Saint-Empire, la ligue hanséatique, les Flandres et
l’Angleterre, pour développer, au XVe siècle, un commerce basé sur les draperies anglaises,
favorisé par un fort protectionnisme flamand sur les draps vendues à Bruges. L’arrivée des
Portugais permet à la ville de devenir une plaque tournante des transferts commerciaux, les
marchands allemands, notamment, échangeant les draps anglais contre les épices portugaises.
L’arrivée de grandes familles bancaires et marchandes, les Fugger 69 par exemple, permet un
enrichissement rapide de la ville jusqu’au années 1550, quand ses trois partenaires commerciaux
principaux (Angleterre, haute Allemagne, Portugal) connaissent conjointement des difficultés.
Enfin, les ports italiens connaissent aussi une évolution forte entre le XVe et le XVIe siècle,
comme le montre bien le cas vénitien. Jusqu’en 1453, Venise est le grand port marchand de la
Méditerranée et, grâce à des accords commerciaux multiples, notamment avec Byzance et les
Textile (soie), savonnerie, céramique.
Vers cette date, le retour de la peste et une forte intolérance religieuse amoindrissent le rayonnement économique
de la ville.
67 Découvert « par hasard », même si le hasard est ici contesté, par Pedro Alvarez Cabral en 1500.
68 Claude Markovits et Sunjay Subrahmanyam, « Navigation, exploration, colonisation », in Patrick Boucheron (dir.),
Histoire du Monde au XVe siècle, Fayard, 2010, p. 603-618
69 Jacob Fugger (1459-1525), le plus célèbre banquier de cette dynastie d’Augsbourg, installe un comptoir permanent
à Anvers vers 1500.
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
Mamelouks du Caire (des comptoirs vénitiens existent alors au Caire et à Beyrouth, entre autres),
elle possède un quasi monopole sur le commerce des épices d’Orient en Europe. Mais, malgré la
persistance d’accords, la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 (contre lesquels
Venise s’empare de Chypre de 1489 à 1571), la découverte du cap de Bonne-Espérance et de la
voie maritime vers les Indes par les Portugais, puis la chute des Mamelouks en 1517, portent un
coup d’arrêt à ce monopole. Cependant, Venise reste, au XVIe siècle, un grand port commercial :
d’abord, en réorientant son commerce vers d’autres secteurs (textile, spéculation financière
produits de luxe, verrerie), d’autre part en gardant en partie la mainmise sur la route des épices,
puisque les marchands vénitiens s’insèrent dans les circuits commerciaux maritimes des Portugais.
Ils s’installent également dans les grands ports ibériques, tels Séville, et conservent leurs liens avec
le Saint-Empire (là aussi, symbolisés par la présence à Venise de Jacob Fugger). La Sérénissime,
ne perd donc que partiellement son rayonnement : la fin de l’édification du palais des Doges et de
la place Saint-Marc en est le symbole.
Ainsi, l’élargissement du monde pour les Européens est un phénomène aux origines
pleinement médiévales : c’est avec les constructions mentales du Moyen-âge qu’un explorateur
comme Colomb ou comme Gama se lance à la découverte de routes maritimes inconnues des
Européens. Pourtant, ses conséquences humaines, scientifiques, psychologiques, économiques,
font bien entrer l’Europe dans une forme de modernité, avec une accélération des échanges et le
décentrement des routes commerciales traditionnelles depuis l’Antiquité. L’intégration globale de
différentes parties du Monde, bien que timide, permet tout de même de parler d’une première
forme de mondialisation au profit de l’Europe.
Une étude au choix # 2 – Une cité précolombienne confrontée à la conquête et à la colonisation
européenne ou Pékin : une cité interdite ?
Grâce aux voyages de découvertes, l’horizon des Européens connaît donc, aux XV e et
XVIe siècles, un élargissement sans précédent dans trois domaines : géographique, commercial et
humain. La question de l’altérité apparaît effectivement comme centrale, puisque ce sont de
« nouvelles » civilisations, ou des civilisations fort mal connues par les Européens qui sont
« découvertes ». C’est, on l’a vu, en Amérique que la rencontre est psychologiquement la plus
violente : ce phénomène s’amplifie au fur et à mesure de la rencontre de peuples dont la culture
est totalement étrangère aux Européens. Entre les explorateurs dévorés par les Caribas ou les
Tupi brésiliens, les sacrifices humains massifs et sanglants des Aztèques et les momies incas
parées d’or, c’est un nouvel univers, « isolé de Dieu », qui s’offre aux chrétiens abordant les
rivages du continent nommé d’après Amerigo Vespucci. Les exactions contre les natifs au nom
de la foi sont donc nombreuses, mais cachent souvent un désir de richesses et de pouvoir au nom
des lointains souverains européens. Que ce soit dans la vallée de Mexico-Tenochtitlán ou sur les
pentes de Cuzco, les Européens s’imposent, non par leur supériorité numérique, mais grâce à des
conditions multiples – divisions politiques locales, cultures traditionnellement superstitieuses,
supériorité technologique patente des Européens et, évidemment, une « mondialisation
microbienne » qui décime des centaines de milliers d’Amérindiens. Pourtant, malgré l’encomienda,
malgré le choc microbien, malgré l’évangélisation forcée, une partie des traditions de ces peuples
perdure bien après la conquête. Parallèlement, de l’autre côté du Monde, les Européens peuvent
découvrir une civilisation alors à la fois connue et méconnue, celle de la Chine des Ming. Mais,
malgré la possibilité d’aller, par voie maritime, jusqu’en Chine, et malgré l’intérêt des Européens
pour l’Empire du Milieu, celui-ci leur reste au départ fermé : c’est en fait une civilisation en repli
défensif que les Européens découvrent. Le symbole de ce repli, outre la Grande Muraille alors
édifiée au Nord pour contrer les invasions mongoles, est bien la Cité Interdite, localisée au centre
de la capitale des Ming, Pékin, que les Européens ne peuvent approcher. Pourtant, la Chine reste
paradoxalement une grande puissance commerciale qui rayonne dans toute l’Asie du Sud et du
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
Sud-Est et, à la fin du XVIe siècle, elle participe aux échanges mondiaux, mais sans connaître un
contrôle européen comme les Amériques.
Aztèques mexica et Incas : des civilisations amérindiennes abouties ?
Cartes générales :
- Aztèques : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Aztec_Empire_1519_map-fr.svg
- Incas : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Inca_Empire_South_America.png
Vers 1430, le continent américain est un « monde plein », peuplée de 50 à 100 millions
d’habitants, mais coupé du reste du Monde. Il connaît à cette date deux « révolutions » politiques
concomitantes : la formation, dans deux espaces bien délimités, Méso-Amérique et Cordillère des
Andes, de deux Empires importants, mexica et inca. Les Aztèques, tout d’abord, ne sont au début
du XVe siècle qu’un peuple nahua (dont la langue est donc le nahuatl) parmi d’autres de la vallée
de Mexico, sur le plateau central du Mexique. Leurs légendes évoquent une migration forcée, à
cause de la pauvreté, depuis la cité mythique d’Aztlán, quelque part au Nord de la MésoAmérique 70 : leur dieu Huitzilopochtli 71 les aurait guidé jusqu’aux rives du lac Tezcoco 72 , où
vivent d’autres Nahuas. Mal accueillis, les Aztèques s’installent dans des îles marécageuses du
Sud-Ouest du lac et fondent, probablement vers 1325, leur cité, Tenochtitlán73. Ils doivent alors
payer un tribut aux Tépanèques (eux aussi des Nahuas) qui vivent dans la cité d’Azcapotzalco et
dominent le lac et la vallée. Mais la soumission aux Tépanèques ne plaît guère aux Aztèques : en
1424, ils écrasent les Tépanèques, réduisent en cendres Azcapotzalco et fondent en 1428, avec
deux autres cités voisines, Tezcoco et Tlacopan, la Triple Alliance qui contrôle alors toute la
vallée. Les Aztèques eux-mêmes dominent l’alliance et connaissent une mutation importante. En
effet, le principal acteur de la conquête des Tépanèques, Tlacaelel74, conseiller du roi Itzcoatl,
décide non seulement de détruire les codex et peintures racontant l’histoire des Tépanèques, mais
aussi celle des Aztèques ! Pour lui, son peuple ne peut avoir une origine d’errants indigents, il
réécrit donc son histoire : les Aztèques deviennent des Mexica, profondément ancrés dans la
vallée donc, et de ce fait héritiers d’une brillante civilisation qui les y a précédés du Xe au XIIIe
siècle, les Toltèques. Ils fondent alors un Empire qui s’étend progressivement dans toute la MésoAmérique au cours du XVe siècle. De la même façon, et à la même époque, une petite société
agraire s’impose en Amérique du Sud : les Incas, installés autour de Cuzco, dans la vallée du
Vilcanota. Dans la première moitié du XVe siècle75, le sinchi (« chef de guerre ») Inca, Viracocha
Inca, étend sa domination sur les terres proches du lac Titicaca, mais se heurte à un peuple voisin,
de langue quechua comme les Incas, la confédération chanca. Vers 1438, les Chancas assiègent
Cuzco et l’un des fils de Viracocha Inca, Tupac Yupanqui, organise la défense de la cité et
Les spécialistes la placent vers la Californie actuelle.
Dieu majeur des Aztèques, on ne le retrouve pas chez les autres Nahuas. Il représente le Soleil et la guerre. De
nombreuses représentations le dépeignent avec des plumes de colibri sur la jambe gauche, le colibri symbolisant les
guerriers morts accompagnant la course du soleil.
Pour une de ses représentations : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Huitzilopochtli_telleriano.jpg
72 Ce lac, d’une superficie proche de 80 000 hectares est aujourd’hui asséché : Mexico est construite dessus ! Pour
l’époque aztèque, une carte disponible à : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Valley_of_Mexico_c.1519-fr.svg
73 La légende est célèbre : les Aztèques attendaient un signent de Huitzilopochtli pour savoir où fonder leur cité, qui
devait se manifester par un aigle se posant sur un cactus.
74 Cet homme est très important dans l’histoire aztèque : d’une part, il est le demi-frère du successeur d’Itzcoatl,
Moctezuma l’ancien, « Celui qui brille avec l’éclat du jade » ; d’autre part, sa renommée est telle que les chroniqueurs
espagnols qui compilent quelques données sur les Aztèques après la conquête au XVI e siècle ont conservé sa date de
naissance : l’an 10 Lapin (soit 1398).
75 Contrairement à ce qui peut être fait pour les Aztèques, pour lesquels existent une tradition écrite, les Incas avaient
une tradition essentiellement orale : les quellcas, des broderies figurées, auraient peut-être été une forme d’écriture,
mais dont les clés sont aujourd’hui perdues. Il est donc difficile de dater avec précision les événements précédant la
conquête espagnole.
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
repousse les envahisseurs, puis détruit leur armée à Xaquixaguana. Tupac Yupanqui prend alors le
pouvoir au détriment de son père, prend le nom de Pachacuti (« Celui qui bouleverse le monde »)
et lance des réformes qui fondent l’Empire inca, qui ne cesse de s’étendre jusqu’à la conquête
espagnole en 1532. Dans les deux cas, des empires expansionnistes apparaissent donc, ce qui
s’explique par les cultures spécifiques à ces deux civilisations.
Les Aztèques mexica, tout d’abord, possèdent des croyances clairement universalistes. A
partir des réformes de Tlacaelel, les Aztèques se présentent comme les gardiens de l’ordre
cosmique, donc de leurs dieux. Ceux-ci, Huitzilopochtli principalement, sont considérés comme
mortels et doivent donc recevoir des offrandes pour survivre : ce sont bien sûr les sacrifices
humains qui ont ce rôle76. Les Aztèques, par ce biais, se présentent comme des successeurs des
peuples, nahuas ou non, qui les ont précédé dans la région, au moins depuis les Olmèques
(v.1200 av. J.-C. - v.500 av. J.-C.). En revanche, les sacrifices humains aztèques sont beaucoup
plus fréquents (lors de chaque fête religieuse, tous les 20 jours) et massifs que ceux de leurs
prédécesseurs : ainsi, lorsque le tlatoani (« le grand orateur », c'est-à-dire l’empereur) Ahuitzotl
arrive au pouvoir en 1486 et qu’il inaugure le Grand Temple de Tenochtitlán, au centre de la cité,
les sources évoquent plusieurs dizaines de milliers de victimes77. Les sacrifices humains sont donc
un élément central, et même constitutif, de la civilisation aztèque. A partir de là, il faut trouver
des victimes : or, il paraît impossible de les prendre au sein de la population mexica elle-même, ce
qui ne pourrait que créer des dissensions sociales fortes. De ce fait, les victimes sont récupérées
de deux façons. D’abord, avec les autres peuples nahuas non-conquis, en particulier ceux de la
cité de Tlaxcala dans la vallée de Puebla, les Aztèques pratiquent la xochiyaoyotl (« guerre fleurie ») :
cette « guerre-jeu », très ritualisée, se résume à des corps-à-corps où chaque guerrier tente
d’attraper son ennemi par la longue natte qu’il porte, pour le ramener, vivant, afin d’être sacrifié.
Ensuite, avec les peuples qui ne parlent pas le nahuatl, les popoloca (« ceux qui bredouillent »), c’est
lors de la conquête qu’un contingent humain est prélevé, afin de servir de victimes. Or, les
conquêtes se multiplient au XVe siècle78, car les prêtres de la Triple Alliance réclament toujours
plus de victimes. Parallèlement, les Aztèques, en échange d’une « pax mexicana », imposent un
tribut aux peuples conquis, composé de milliers de tonnes d’aliments, plumes, objets précieux ou
animaux rares, tribut qui est en partie utilisé pour faire vivre la population de Tenochtitlán
(composée en grande partie de guerriers, administrateurs, marchands79 et prêtres), en partie pour
le faste des cérémonies religieuses sacrificielles, en partie pour la prise en charge des territoires
conquis eux-mêmes et l’expansion de la capitale mexica. En effet, Tenochtitlán, qui est à la fois le
centre religieux, foyer de l’ordre cosmique, et le centre politique de l’Empire, connaît une
Le sacrifice est fortement ritualisé : après avoir été drogué, le supplicié est conduit sur la plate-forme supérieure
d’un temple. Tandis qu’il est maintenu par quatre officiants, le prêtre incise son torse avec un couteau de silex, puis
arrache le cœur palpitant avant de sectionner l’aorte et la veine cave. Le cœur extrait est alors placé dans un
réceptacle cérémoniel pour être offert à Huitzilipochtli, tandis que le sang ruisselle sur le temple en offrande à Tlaloc,
dieu de la pluie. Enfin, le corps exsangue est jeté au bas des marches pour être récupéré par celui qui l’a capturé.
Celui-ci décapite alors la tête du sacrifié, embrochée sur une longue perche horizontale et placée sur un monument
spécifique, le tzompantli, afin d’être « partagée » par la communauté, puis offre les quatre membres (sauf la cuisse
gauche, mets royal) à ses proches, qui doivent les consommer bouillis et sans piments. L’étude des vestiges
archéologiques de Tenochtitlán permet de reconstituer toutes les étapes de ce terrible rituel.
77 Le chiffre donné par les sources postérieures à la conquête, soit 80 400 victimes, semble cependant exagéré.
78 Certaines régions se soulèvent parfois, ce qui force les Aztèques à les reconquérir… et à prélever à nouveau des
victimes sacrificielles ! La « fragilité » de la domination semble donc partiellement voulue, mais vient aussi du fait que
les Aztèques n’imposent rien d’autre que le tribut aux peuples conquis – tribut qui peut paraître lourd parfois, en
particulier économiquement parlant. Ainsi, les structures politiques, religieuses, linguistiques de tous les peuples
conquis perdurent, même si des cultes à Huitzilopochtli peuvent apparaître localement. L’Empire est donc
multiethnique et, d’un certain point de vue, « tolérant ». Les élites des peuples nouvellement conquis étaient tout de
même invitées à venir voir les sacrifiés à Tenochtitlán, parfois donc des membres de leurs propres familles, ce qui
n’incitait pas particulièrement à la révolte.
79 Ceux-ci forment un groupe particulier, les pochteca, qui font du commerce de biens précieux (jade, or, plume), mais
qui font aussi office d’espions : obligés de passer dans des zones hors de contrôle de la Triple Alliance, ils
rapportaient leurs observations à l’empereur.
76
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
expansion, géographique et humaine importante : les richesses créées par les conquêtes attirent
des habitants, ce qui demande une augmentation du tribut et donc encore plus de conquêtes.
Ainsi, en 1500, alors qu’Ahuitzotl détourne vers le lac des sources d’eaux douces pour assurer
l’approvisionnement de la capitale et des terres arables alentour, une partie de la ville est détruite
par des inondations. Une nouvelle Tenochtitlán, organisée selon l’ordre du monde aztèque, est
alors construite80. D’abord, le site insulaire de la cité est relié à la terre ferme par trois grandes
chaussées et entouré des aqueducs et digues qui protègent la ville et l’alimentent en eau. Les
quartiers extérieurs (dont les maisons sont faites de roseaux enduits de boue, ouverts sur des
jardins flottants) font progressivement place à des habitations en briques séchées plus vastes et
hautes, puis à de superbes palais pour les nobles, au fur et à mesure qu’on approche du centre.
Enfin, de larges axes convergent vers le grand site cérémoniel central, constitué d’une douzaine
de temples, dont le Grand Temple, dédié à Huitzilopochtli et à Tlaloc (composé de deux platesformes). Tenochtitlán possède donc un ordre urbain qui reflète l’emboîtement concentrique entre
les dieux, l’empereur et son peuple : avec ses 300 000 habitants vers 1519, elle est le symbole de la
puissance de l’Empire. Au final, celui-ci se retrouve donc dans une situation où l’expansion
territoriale est totalement vitale pour protéger et faire survivre non seulement les dieux, mais aussi
les Hommes, ce qui explique son extension rapide : vers 1519, au moment de l’arrivée des
Espagnols, l’Empire aztèque s’étend sur 200 000 km2 et compte une population d’au moins 3
millions d’habitants.
L’expansion de l’Empire inca est aussi due au fonctionnement politique et social
spécifique de ce peuple. En effet, à partir de l’avènement de l’Inca Tupac Yupanqui au milieu du
XVe siècle, une réorganisation politique et sociale a lieu, prélude à l’expansion. La société inca
reste centrée sur sa cellule de base, l’ayllu, groupe de parenté qui possède collectivement des terres,
mais l’Inca les redistribue, favorisant ceux qui l’ont aidé à vaincre les ennemis chancas, entraînant
un régime de privilèges fonciers creusant les écarts sociaux. De plus, un système d’héritage
particulier est mis en place pour la noblesse81 : quand un empereur meurt, son successeur82 ne
reçoit aucun bien matériel, mais seulement les droits de percevoir le tribut sur les provinces de
l’empire, de gouverner et de faire la guerre. En revanche, la momie de l’empereur défunt reste
propriétaire de ses biens, fonciers notamment, administrés par ses autres descendants mâles,
regroupés dans le panaqa. Le nouvel empereur doit donc conquérir de nouveaux territoires pour
augmenter ses ressources et construire, par exemple, son propre palais. De fait, à partir de Cuzco,
l’Empire se développe progressivement vers les quatre points cardinaux, s’étendant du Sud de
l’actuelle Colombie au Nord de l’Argentine, de la côte Pacifique à l’Amazonie. Quatre routes
principales partent de Cuzco, d’où son nom d’Empire « des Quatre Quartiers ». La route est
d’ailleurs le symbole de l’intégration des nouvelles provinces : chaque empereur conquiert
symboliquement ses nouvelles régions en parcourant une nouvelle route, ouverte pour lui et qu’il
parcourt régulièrement, sur une chaise couverte, nettoyée devant lui. Le système routier, qui
permet le désenclavement de Cuzco et de l’Empire, est donc exceptionnellement dense (6 000
kilomètres pour le route de l’Inca, 30 000 pour le réseau secondaire pavé) et bien entretenu83 :
lorsque Pizarro arrive dans l’Empire en 1532, il est impressionné par l’emboîtement des pavages,
les milliers de marches qui permettent de franchir les pentes trop fortes, les ponts suspendus audessus des gorges, les paniers suspendus actionnés depuis les rives des rivières… La route a
Deux cartes : une qui semble attribuée à Cortès lui-même (http://www.plu.edu/~treichdj/cortezaztecs/home.html) et un plan moderne (http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tenochtitlan-Tacubaya.png),
mais dont les sources ne sont pas totalement vérifiables.
81 Les rangs sociaux supérieurs se distinguent visuellement des masses populaires : ils sont en effet les seuls à avoir le
droit de porter les riches cumbi, des habits tissés à partir de la laine de vigogne, tandis que le peuple porte des ahuasca,
en laine de lama ou d’alpaca.
82 L’Inca doit choisir l’un de ses fils, mais pas forcément l’aîné.
83 Ce réseau est notamment parcouru par les chasquis, des messagers qui assurent des liaisons intérieures rapides, entre
des provinces parfois éloignées de centaines de kilomètres. Ils peuvent se reposer dans les tambos, sortes d’auberges
rondes.
80
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également un rôle beaucoup plus concret, car elle permet la collecte du tribut, en échange, là aussi,
d’une protection militaire : chaque village 84 doit ainsi fournir des denrées à Cuzco, les plus
importantes étant les réserves alimentaires (notamment la pomme de terre, mais aussi le maïs),
l’or et les camélidés. Il semble que le tribut passe aussi par le « don » d’enfants, qui sont
ponctuellement sacrifiés par enfouissement ou précipités dans les gorges des Andes85. Enfin, les
Incas intègrent, beaucoup plus que les Aztèques, les provinces conquises, en imposant non
seulement l’usage du quechua, mais aussi un culte solaire, centré autour de Viracocha, divinité
tutélaire des Incas et dont le représentant sur terre est l’Inca. Le lieu de culte principal de
l’Empire, le Temple du Soleil à Cuzco, symbolise la puissance religieuse de l’Inca : tous les
temples des autres provinces, comme ceux de Machu Picchu86, sont orientés vers lui, le long de
42 lignes invisibles appelées ceques, qui prouvent également la grande connaissance astronomique
des Incas. En ce sens, Cuzco est véritablement le centre de l’Empire, fort de plusieurs millions
(peut-être 15) d’habitants.
La prise des Empires mexica et inca et ses conséquences
Dans les années 1510, les empires mexica et inca sont donc extrêmement étendus et
peuplés. Pourtant, en quelques années, ils tombent tous deux aux mains des conquistadores
espagnols. Les Aztèques sont les premiers envahis, par la troupe d’Hernán Cortès (1485-1547),
qui arrive à partir de 1519 en Méso-Amérique. Cortès, qui est arrivé à Hispaniola une dizaine
d’années auparavant, a en effet entendu les récits de plusieurs explorateurs espagnols qui avaient
navigués jusqu’aux côtes du Yucatan, en pays maya87, parlant d’un puissant empire, très riche,
plus loin vers l’ouest. C’est donc à Chalchiuhcueyecan 88 , près de laquelle il fonde Veracruz,
première ville de Nouvelle-Espagne, que Cortès aborde le 21 avril 1519 avec une dizaine de
caravelles. Il entend alors parler de la ville dont les habitants sont sujets, Tenochtitlán, où règne le
puissant empereur Moctezuma II, mais aussi du tribut que ses sujets doivent payer (de l’or,
surtout) et des sacrifices humains 89 . Cortès décide alors de marcher vers les hautes terres
mexicaines90 et atteint l’ennemi héréditaire de Tenochtitlán, Tlaxcala. Après avoir fait preuve de
sa supériorité militaire aux Tlaxcaltèques (qui croient au départ que les Espagnols sont des alliés
de Moctezuma), Cortès s’allie à ces derniers contre la Triple Alliance. Continuant vers le lac
Tezcoco, les Espagnols rencontrent de nouveaux alliés, les Tépanèques, qui se souviennent avoir
été écrasés un siècle plus tôt par les Aztèques : l’une des premières forces des Espagnols, qui ne
comptent que 500 soldats, quelques armes à feux 91, chiens et chevaux (animaux inconnus en
Amérique et qui sèment quelques temps la panique chez les Amérindiens) est donc l’alliance avec
des peuples soumis ou non aux Aztèques, mais qui dans tous les cas cherchent leur perte. Le 8
Les habitants de chaque village doivent porter des habits spécifiques de façon à ce que les Incas les reconnaissent,
ce qui prouve encore une fois l’importance du tissu dans la société inca.
85 Contrairement à ce qui se passe pour les Aztèques, ces sacrifices semblent plutôt liés à des calamités naturelles ou a
des problèmes ponctuels : ainsi, quand les Espagnols arrivent au Pérou, ils apportent avec eux la variole, qui décime
une partie de la population. En 1532, l’Inca Atahualpa demande donc des sacrifices d’enfants pour se protéger de la
maladie. Les sacrifices d’animaux sont, eux, beaucoup plus fréquents.
86 Le site, centre religieux, est situé à 130 km de Cuzco. La photo suivante permet de travailler sur les caractéristiques
du site (2400 m d’altitude), la route et notamment les marches et les terrasses, l’habitat, le temple :
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/13/Before_Machu_Picchu.jpg
87 Les cités mayas du Yucatan sont alors divisées et leur puissance s’est amoindrie depuis leur apogée entre les VI e et
IXe siècles. Au début du XVIe siècle, leur éloignement de la vallée de Mexico et les jungles profondes qui les
protègent font qu’ils sont toujours indépendants des Mexica, avec qui ils entretiennent cependant des relations
commerciales.
88 La ville, peuplée de Mayas, fait partie intégrante de l’Empire aztèque.
89 Les Espagnols ont donc exploré la côte depuis 1517 et intriguent les Aztèques. Il semble donc que Moctezuma II
attend leur retour : quand Cortès aborde, il lui fait offrir des plumes, de l’or… et des sacrifices humains !
90 La route de Cortès : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c4/Ruta_de_Cort%C3%A9s.svg
91 La supériorité technique des Espagnols est cependant flagrante : les Aztèques, qui ne connaissent ni la roue ni le
fer, se battent avec des armes de bois, d’os ou de pierre.
84
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novembre, Cortès rencontre enfin Moctezuma à Ixtapalapa, dans la vallée de Mexico : la
rencontre entre les deux hommes est bonne et les Espagnols sont logés somptueusement. Mais
une semaine plus tard, Cortès capture Moctezuma (qui semble bien traité cependant) et, pendant
5 mois, il consolide son pouvoir à Tenochtitlán en essayant de se fondre dans le moule
amérindien. Mais un autre Espagnol, Narváez, débarque à Veracruz pour contester la conquête
de Cortès. Ce dernier part alors se débarrasser de son rival et laisse 80 hommes dans la capitale
mexica, avec à leur tête Pedro de Alvarado. Quand Cortès revient à Tenochtitlán le 24 juin, il
trouve une situation désastreuse : les Aztèques ont commencé à se révolter après qu’Alvarado a
massacré plusieurs d’entre eux alors qu’ils se rassemblaient pour fêter Huitzilopochtli. Retranché
dans son palais, Cortès assiste à la mort de Moctezuma (on ne sait qui le tue) et un jeune prince
aztèque, Cuauhtémoc, prend la tête de la révolte. Le 30 juin, par une nuit pluvieuse, les Espagnols
réussissent à s’échapper de leur palais encerclé par les Mexica, mais la moitié des hommes de
Cortès meurent : c’est la Noche Triste. Une armée aztèque tente alors de les arrêter, mais les
survivants réussissent à regagner Tlaxcala, d’où ils se portent à la tête d’une vaste coalition antiaztèque. Tenochtitlán est alors assiégée : au bout de trois mois, le 13 août 1521, la ville tombe et
est quasiment détruite. Cuauhtémoc, qui gouverne un temps sous contrôle espagnol, est pendu
pour trahison en 1524 : c’est la fin de l’Empire mexica.
L’Empire inca est lui conquis plus tardivement et plus progressivement par les Espagnols.
La découverte des Incas par les Espagnols commence d’abord avec l’expédition de Vasco Núñez
de Balboa (1475-1519), qui s’installe dans l’actuel Panama en 1510. Un chef indien local, excédé
par les abus des Espagnols, les incite alors à chercher au Sud un royaume qui regorgerait d’or. En
1522, un autre explorateur, Pascual de Andagoya, qui entame une expédition vers le Sud, entend à
son tour parler de ce lieu empli de richesses, « Biru » 92 . Ces récits entraînent alors deux
conquistadores, Francisco Pizarro (1476-1541) et Diego de Almagro (v. 1480-1538) à tenter
l’aventure à partir de Panama, qui commence par une première expédition sans succès en 1524.
La deuxième, en 1526-1527, leur permet d’atteindre Túmbes, un port inca (à la frontière des
actuels Pérou et Equateur), où les Espagnols, bien reçus par les habitants93, rentrent en contact
avec un administrateur local, un Orejón (« grosses oreilles », à cause des lourds ornements qui
déforment ses lobes), dont il apprennent le nom du souverain local, l’Inca Huayna Capac. Trop
peu nombreux pour envisager une conquête, les Espagnols repartent vers Panama, emmenant
avec eux trois jeunes garçons à qui ils veulent apprendre l’Espagnol. Mais face à l’hostilité du
gouverneur espagnol de Panama, qui ne veut donner plus de moyens à l’expédition, Pizarro
repart en Espagne où il rencontre Charles Quint lui-même. Ce dernier lui octroie, par l’accord de
Tolède (juin 1529), de nouveaux moyens et c’est avec une troupe plus importante (180 hommes)
que Pizarro revient à Túmbes en 1532. Le port est alors dévasté : Pizarro apprend que
l’Empereur Huayna Capac est mort94, et que deux de ses fils, Guascar et Atahualpa, se battent
pour sa succession. Les Espagnols prennent alors la route de Cajamarca, sur les hauts plateaux du
Pérou, où ils ont appris que résidait Atahualpa et ils découvrent alors avec étonnement la route
inca. En chemin, ils croisent des populations qui supportent mal le tribut, notamment en enfants,
que leur impose les Incas : Pizarro comprend que la révolte gronde. Finalement, Pizarro
rencontre Atahualpa à Cajamarca : la première entrevue est très froide. Le lendemain, la deuxième
rencontre dégénère quand l’Inca jette à terre une Bible qui lui a été présentée par le prêtre
dominicain, Vincente de Valverde, qui accompagne Pizarro. Les Espagnols et les Incas tirent tous
leurs armes (il semble que chacun des deux groupes voulait capturer l’autre lors de cette entrevue),
ce qui finit par une mêlée générale : de nombreux incas gisent, morts, et Atahualpa est fait
prisonnier. Il propose aux Espagnols alors de remplir une pièce de sa demeure de richesses
Ce qui a donné notre Pérou.
Les Incas et Espagnols échangent des cadeaux, les échanges sont festifs. Surtout, les Incas sont très impressionnés
par l’armure de Pizarro, qui luit au soleil et par son arquebuse, qui claque comme la foudre, vénérée par les peuples
de la Cordillère.
94 De la variole, apportée par les Espagnols, qui était inconnue aux Amériques.
92
93
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
contre sa vie : très vite, le tribut arrive à Cajamarca et les Conquistadores s’enrichissent95. Mais de
Quito proviennent de mauvaises nouvelles pour les Espagnols : des généraux fidèles à Atahualpa
auraient assassiné l’autre Inca, Guascar, et marcheraient sur Cajamarca pour libérer Atahualpa.
Pizarro fait alors décapiter Atahualpa pour trahison, juste après que ce dernier se soit converti au
catholicisme. Les Espagnols entrent alors dans Cuzco et saccagent le Temple du Soleil, mettant
fin à l’empire inca.
Dans les deux cas, les Espagnols doivent d’abord concrètement prendre le contrôle des
territoires conquis et faire face à des résistances. Au Mexique, quelques révoltes locales éclatent
après 1521, où se crée un « parti anti-espagnol », mais leurs leaders sont assassinés, comme par
exemple à Texcoco en 1539 : désorganisé, le mouvement se tarit rapidement, d’autant que Cortès
s’appuie sur les noblesses locales pour gouverner à partir de la nouvelle capitale de la NouvelleEspagne, Mexico, qu’il construit sur les ruines de Tenochtitlán. Dans les Andes, la résistance est
beaucoup plus importante, d’une part à cause de luttes internes entre les Espagnols (qui
entraînent l’assassinat de Pizarro en 1541), mais aussi à cause de révoltes indigènes dirigées par
des membres de la famille d’Atahualpa : ainsi, en 1536, les Espagnols sont assiégés à Lima et
Cuzco par des natifs dirigés par un des frères d’Atahualpa, Manco Capac. Celui-ci finit par être
exécuté, mais la résistance continue avec ses fils jusqu’à ce que le dernier d’entre eux, Tupac
Amaru, soit décapité en 1572. Le contrôle passe aussi par l’imposition de l’espagnol face aux
langues locales, notamment pour l’acculturation des élites : ainsi, des nobles nahuas reçoivent-ils
une culture européenne (avec apprentissage de l’alphabet européen, dans une société où l’écriture
était pictographique) dès le milieu du XVIe siècle, certains d’entre eux apprenant même le latin et
recevant une instruction supérieure au collège de Santa Cruz, à Tlatelolco. De plus, les Espagnols
se lancent dans l’évangélisation forcée des populations. Au Mexique, ils s’appuient d’abord, grâce
à un petit groupe de Franciscains arrivé dès 1525, sur la conversion des élites, notamment à
Tlaxcala et Texcoco, même si des interdits spécifiques les touchent, l’abolition de
l’anthropophagie rituelle et de la polygamie particulièrement. Dans la population, les baptêmes
sont consignés par centaines de milliers et les prêtres réorganisent progressivement la vie sociale :
les fêtes païennes sont remplacées par des fêtes chrétiennes, par exemple. Les prêtres païens sont
alors pourchassés, les temples mis à bas, les « idoles » détruites, les codex pictographiques brûlés
dans de grands autodafés. Les mêmes formes d’évangélisation forcée se retrouvent dans les
Andes, où les anciennes traditions religieuses sont subitement effacées : ainsi, vers le milieu du
XVIe siècle, le juriste Polo de Ondegardo recherche les endroits où sont conservées les momies
incas pour les détruire. Des formes de syncrétisme (mesuré tout de même) apparaissent
néanmoins dans les deux espaces : ainsi, vers 1530, une petite chapelle est installée, au Nord de
Mexico, sur le site d’un ancien temple dédié à une déesse mère tellurique nahua. L’installation
d’une image de la Vierge vers 1550 est vécue par les populations locales comme une apparition
divine, entraînant l’apparition du culte marial de la Vierge de Guadalupe, encore vivace
aujourd’hui : la Vierge est venue gommer le passé païen du Mexique. De même, dans les
représentations christiques du XVIe siècle, on retrouve dans les églises mexicaines une inspiration
aztèque dans la manière de peindre le sang du Sacrifié (dans les scènes de crucifixion, par
exemple). Dans l’ancien Empire inca, les rituels solaires se superposent à la religion chrétienne : le
Christ remplace Viracocha comme divinité solaire, tandis que Saint-Jacques, grâce à ses symboles
picturaux, devient l’équivalent hispanique de la Foudre vénérée dans la région. Sur le site du
temple du Soleil de Cuzco a été aussi construite l’église Saint-Domingue, ce qui montre une
réutilisation des anciens lieux de culte par les Catholiques. Parallèlement, l’évangélisation forcée
est liée à autre processus imposé par les Espagnols, celui de l’encomienda. En échange de leur
protection et de l’éducation religieuse, les Espagnols imposent aux Amérindiens un travail forcé
et un tribut. A la tête de chaque communauté se place un encomendero, qui jouit d’une terre (ou
plutôt d’une zone sur laquelle il fait travailler les Indigènes) concédée par le souverain espagnol,
mais qu’il ne possède pas. Les abus de ces encomenderos sont fréquents, participant à la chute
95
Il y aurait eu plus de 5 000 kilos d’or et 11 000 d’argent dans la rançon d’Atahualpa.
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
démographique du XVIe siècle en Amérique. Celle-ci est effroyable : on estime aujourd’hui que
plus de 80% de la population amérindienne est alors décimée96. En plus du travail forcé et des
guerres, cette chute démographique majeure est due à une véritable mondialisation des maladies
qui touche surtout les Amérindiens (mais pas seulement : ainsi, la syphilis est ramenée du
Nouveau Monde en Europe par les Conquistadores) : la variole, notamment, fait des ravages97.
Ce « choc microbien », associé à l’évangélisation et à l’imposition brutale de la société espagnole,
entraîne, de fait, un véritable bouleversement social et culturel des peuples du « Nouveau
Monde », même si des traditions restent localement vivaces : dans les Andes, on parle toujours
quechua aujourd’hui et des sacrifices d’enfants ont été ponctuellement attestés jusqu’à la fin du
XIXe siècle.
Pékin et la Chine des Ming, un monde fermé aux Européens ?
Carte générale : http://www.memo.fr/Media/Carte_Chine_Ming.gif
Au début du XVe siècle, la Chine connaît une période florissante. Depuis 1368, elle est
passée sous le contrôle de la dynastie Ming (« Lumière ») et les réformes apportées par le premier
empereur de la lignée, Hongwu (« vaste armée » 98 - 1368-1398) ont permis un important
développement économique et culturel de l’Empire du Milieu. Avec près de 70 millions
d’habitants vers 1400 99 et une armée forte de près d’un millions de soldats, une civilisation
techniquement avancée (qui connaît l’imprimerie à caractères mobiles depuis le XIIe siècle, le
papier-monnaie, la poudre et qui peut construire des navires d’au moins 60 mètres de long) et une
culture extrêmement développée (symbolisée par le système d’accès aux magistratures,
méritocratique, avec concours basés sur les connaissances littéraires et philosophiques des
candidats), la Chine possède d’importants atouts. De plus, son économie, ruinée au milieu du
XIVe siècle, est rénovée par le premier Ming. Dans un esprit néo-confucianiste qui sied aux
seigneurs du temps, l’enrichissement par le commerce est perçu comme impur et il décide donc
de baser l’économie sur l’agriculture100. Les relations commerciales sont alors entièrement fondées
sur le tribut que les peuples étrangers doivent à l’Empire du Milieu et sont précisément codifiées :
en échange d’un « tribut » apporté par les « vassaux », les Chinois offrent des présents (soie,
laques, épices, porcelaines,…). En réalité, le tribut chinois est perçu par les autres peuples (par les
Mongols par exemple, qui fournissent – doivent un « tribut » – en chevaux) comme de réels
échanges commerciaux, d’autant qu’il est complété par des échanges entre marchands privés lors
des ambassades officielles et dans les zones frontalières terrestres. Enfin, le début du XVe siècle
est marqué par une « renaissance » artistique en Chine, avec notamment un développement de
l’industrie de la porcelaine et le développement d’un art des « récits figuratifs » de cour, dont l’une
des figures proéminentes est Xie Huan (v. 1370-v. 1450), qui, dans des encres colorées sur soie,
présente des événements et des portraits de dignitaires importants101. Pour toutes ces raisons, les
élites chinoises se pensent vraiment au milieu « de tout ce qui est sous le Ciel » : la Chine, base de
toute civilisation, se trouve au centre d’un Monde composé de carrés concentriques, étanches, qui
La population totale du Mexique actuel (comprenant, outre l’Empire aztèque, les provinces Chichimèques du Nord
et le Yucatan maya), qui aurait avoisiné les 20 millions vers 1519, aurait chuté à 1,6 million un siècle plus tard.
97 Au Mexique, une première vague épidémique en 1520-1521 ravage Tenochtitlán, éradiquant entre 10 et 50% de la
population ; deux autres épidémies de variole en 1545-1548 et de typhus en 1576-1581 touchent par la suite la vallée
de Mexico.
98 En Chine, chaque empereur est associé à une « ère » qui correspond à la durée de son règne et qu’il nomme à son
accession au pouvoir. Pour les Ming, les empereurs ont fini par être connus par leurs noms d’ère.
99 La population s’accroît à environ 85 millions d’habitants vers 1500 et à près de 200 millions vers 1600, pour un
espace qui ne correspond que partiellement à la RPC actuelle.
100 Sous les dynasties Song et Yuan qui précèdent les Ming, la gestion des terres était féodalisée. Hongwu confisque
alors les grands domaines, les divise et les loue ou les vend, tout en interdisant l’esclavage privé : dès les années 1430,
la majeure partie de la population rurale est de ce fait formée de petits propriétaires indépendants.
101 Un exemple, utilisable en cours : http://www.metmuseum.org/toah/works-of-art/1989.141.3
96
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sont habités par des peuples de plus en plus barbares au fur et à mesure qu’on s’éloigne de ce
centre. Le symbole de cette puissance chinoise est la capitale des Ming à partir de 1421, sous le
règne de l’empereur Yongle [Young-lo] (1402-1424), Pékin 102 . La ville, qui compte près de
700 000 habitants à cette date, connaît une politique de grands travaux voulue par l’empereur à
partir de 1403, quand une partie de l’administration y est transférée depuis Nankin. Deux
chantiers majeurs symbolisent la « renaissance » de Pékin : le premier est la réfection du Grand
Canal103, axe de transit majeur entre le Nord et le Sud de la Chine, qui permet d’alimenter la
capitale en main-d’œuvre et produits divers ; le second est la construction de la Cité Interdite, qui
devient le palais impérial des Ming à partir de 1421104. Espace imposant de 72 hectares au centre
de Pékin, construit sur des bases astronomiques et religieuses, il devient le centre politique de la
Chine impériale jusqu’au début du XXe siècle. Pékin connaît alors une vague d’immigration sans
précédent : plus de 2 millions de Chinois se déplacent vers la capitale et sa région à partir de 1403.
Elle devient le pôle commercial majeur du monde chinois, drainant les marchandises de l’intérieur
et celles venues de l’extérieur via le Grand Canal. Vers 1450, elle est la ville la plus peuplée de la
planète et une véritable métropole représentant le pouvoir d’un Empire qui possède donc tous les
atouts pour partir à la conquête du Monde avant l’Europe elle-même.
Cependant, l’époque des Ming est marquée par un recentrement global de la Chine sur ellemême, qui a plusieurs origines et prend plusieurs formes. D’abord, c’est un choix politique qui
conditionne ce « repli » : dès Hongwu, une forme d’isolationnisme est mise en place, qui dure au
moins jusqu’à l’avènement de l’empereur Wangli en 1573, le souverain souhaitant à la fois
garantir la sécurité de son territoire et exercer un monopole sur le commerce international,
notamment maritime. Le premier point est lié à la pression que les Mongols exercent sur les
frontières septentrionales de l’Empire : pour se protéger des raids mongols, les empereurs Ming
développent par exemple une vaste série de murailles fortifiées au Nord de leur territoire, qui est
aujourd’hui la partie la mieux conservée de la Grande Muraille105. Le choix de Pékin comme
capitale est aussi une façon de recentrer le pays sur les événements de la frontière septentrionale,
comme le prouvent les douves et murailles massives qui protègent la ville. Plusieurs campagnes
militaires sont donc menées contre les Mongols au début du XVe siècle (cinq par Yongle à partir
de 1410, par exemple), puis les Ming entrent dans une phase essentiellement défensive. Cette
politique n’est que partiellement couronnée de succès, car si les Mongols restent globalement
circonscrits par la défense chinoise, ils posent d’importants problèmes à deux reprises : d’abord
en 1449, quand le jeune empereur Yingzong est capturé par le Mongol Esen ; puis en 1550,
quand les hordes mongoles entament une série de raids qui arrivent jusqu’aux portes de Pékin. Le
second point expliquant le repli chinois voulu par l’empereur, exercer un monopole d’Etat sur le
commerce chinois, est plus idéologique et lié à l’aversion que les confucianistes, très présents
dans l’administration impériale, éprouvent pour le commerce. Ainsi, dès 1372, Hongwu limite
drastiquement le commerce maritime privé par toute une série de proclamations, reprises par
quasiment tous ses successeurs jusqu’en 1567, qui prévoient même la peine de mort pour les
contrevenants. Au XVIe siècle, un essai décrit les conditions dans lesquelles les navires étrangers
peuvent aborder sur les côtes du Fujian (Sud-Est) : les navires sont encadrés par la flotte chinoise
dès leur arrivée, les documents officiels sont contrôlés, les marchandises mises sous scellé et les
marchands envoyés à Pékin en tant que « délégation », avant de pouvoir enfin revendre leurs
Pékin était déjà la capitale chinoise sous la dynastie mongole précédente des Yuan, fondée par Kubilai Khan, mais,
comme il est de tradition chez les Chinois lors d’un changement dynastique, Hongwu fait transférer l’administration
dans une autre ville, Nankin, au début de son règne. Yongle, quatrième fils d’Hongwu, décide dès sa prise de pouvoir
en 1403, de re-transférer le pouvoir à Pékin, où il a passé sa jeunesse (il est né en 1360).
103 Première voie d’eau artificielle construite au Monde, les premiers tronçons sont creusés au Ve siècle avant notre
ère et sont progressivement complétés jusqu’à permettre la jonction Pékin-Hangzhou. Pour une carte de référence :
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/cb/Modern_Course_of_Grand_Canal_of_China.png
104 Sa construction s’étale sur 14 ans à partir de 1407 et nécessite près de 200 000 ouvriers.
105 Les premières fortifications datent du deuxième millénaire avant notre ère, mais elles ne constituent jamais un
ensemble unifié.
102
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biens à leur port d’attache106. Là aussi, le choix de Pékin comme capitale est symbolique : la ville,
de part sa position au Nord des côtes chinoises, est beaucoup moins ouverte aux influences
extérieures que Nankin, à 1000 kilomètres au Sud. De fait, les Européens, notamment les
Portugais qui contrôlent Malacca et le détroit éponyme à partir de 1511, ont bien du mal à entrer
en contact avec la Chine. Une première ambassade portugaise, envoyée entre 1517 et 1521 et
conduite par Tomé Pires, se solde par un échec flagrant : l’Empereur refuse de rencontrer les
« barbares » et une partie des Portugais sont tués avant que les autres ne réussissent à prendre la
fuite. L’épisode entraîne une persécution de tous les Européens qui tentent d’approcher la Chine
pendant les trois décennies suivantes.
Pourtant, pendant au moins deux temps des XV e et XVIe siècles, la Chine connaît une
ouverture aux influences étrangères plus importante, dans les années 1400-1430 sous l’empereur
Yongle et chez les Ming du dernier tiers du XVIe siècle. D’abord, l’empereur Yongle est à
l’origine des six expéditions maritimes au long cours de l’amiral, eunuque et musulman, Zheng
He, entre 1405 et 1422. Chaque expédition dure environ 18 mois et comprend une flotte
composée de dizaines de baochuan (bateaux-trésors)107 qui, selon les sources chinoises, peuvent
atteindre 138 mètres de long (en fait, les dernières estimations arrivent à une soixantaine de
mètres, ce qui est tout de même le double des caravelles de Colomb). Le but des voyages reste
incertain, mais les deux origines les plus probables sont politiques : la première, donnée par les
Chinois eux-mêmes, explique que Yongle aurait ainsi voulu retrouver son neveu Jianwen, qu’il a
écarté du pouvoir à l’issue d’une guerre civile sanglante en 1402 et qui a alors disparu ; la seconde
met en avant des raisons liées à une volonté de commercer, d’explorer et d’imposer un tribut aux
nations voisines de la Chine. Dans tous les cas, les expéditions maritimes de Zheng He, connues
par plusieurs récits de voyage, le conduisent dans 37 pays ou contrées différents, en Asie du Sud
et du Sud-Est et jusqu’en Afrique. Des stèles témoignent du passage de la flotte, comme celle de
Ceylan, érigée en 1409, sur laquelle on peut lire des invocations à Bouddha (en chinois), Vishnou
(en tamoul) et Allah (en persan) les remerciant d’avoir protégé la flotte. Lors de ces voyages,
Zheng He est aussi ambassadeur : il offre aux souverains locaux des cadeaux impressionnants
(soies, porcelaines,…) destinées à montrer la puissance chinoise à ses hôtes et, en échange,
ramène à l’empereur une multitude de produits « exotiques ». Enfin, la flotte a aussi un rôle
scientifique : Zheng He se renseigne sur les populations et les terres qu’il rencontre et
cartographie les rivages. Au final, ces voyages ont entraîné une interconnexion des cultures : la
porcelaine chinoise de l’époque est ainsi influencée par une réelle mode arabo-persane et une
girafe est même offerte à Yongle en 1414, par le souverain du Bengale qui l’avait reçu d’envoyés
musulmans d’Afrique ! Une septième expédition est lancée par le petit-fils de Yongle, Xuande
(1425-1435) en 1431-1433, mais la mort de Zheng He (1433) et celle de l’empereur en 1435
donne un coup d’arrêt aux voyages : dans un mouvement de repli général et de pression mongole,
l’empereur Zhengtong (1435-1449) interdit par décret en 1436 la construction des navires de
haute mer. La puissance chinoise a donc eu les moyens de se lancer dans des voyages
d’exploration semblables aux Européens, mais ne l’a pas voulu. Les relations de la Chine se sont à
partir de là recentrées sur son monde proche : Mongolie, Corée, Japon, Ryûkyû, Asie du Sud-Est.
Pourtant, à la fin du XVIe siècle, l’isolement de la Chine disparaît à nouveau partiellement, avec
l’installation des Portugais à Macao en 1557 : ceux-ci obtiennent enfin le droit de commercer
directement avec la Chine. Contre les produits chinois hautement convoités en Europe, les
Portugais échangent l’or et l’argent venus des Amériques, des richesses motrices pour le
développement du marché intérieur chinois et qui permettent en partie de régler une importante
crise financière, due à l’explosion des dépenses militaires (consolidation de la Grande Muraille et
Paolo Calanca, « Le système chinois », L’Histoire n°355, juillet-août 2010, p. 36-41
Les sources chinoises avancent des chiffres importants : 62 bateaux et 27 800 marins, marchands, ambassadeurs,
artisans, médecins,… pour la première expédition de 1405-1407.
106
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guerre contre le Japon en Corée108), au début du règne de l’empereur Wanli (1573-1620). C’est
aussi en 1583 qu’une mission jésuite s’installe en Chine. La fin du XVIe siècle est donc bien le
début, pour l’Empire du Milieu, de l’intégration à une première mondialisation, même si la
résistance économique et culturelle chinoise à l’Europe est encore extrêmement forte.
« Des épisodes symbolisent le destin contrasté de ces découvertes [la Chine et l’Amérique
par les Européens] : quand les Chinois découvrent des canons portugais, il s’empressent de les
copier pour les retourner contre l’envahisseur européen ; lorsque les Aztèques s’emparent d’une
bombarde espagnole, faute de savoir s’en servir, ils la jettent au fond du lac de Mexico en
offrande aux forces divines ». Ces quelques mots de Serge Gruzinski 109 résument bien la
rencontre entre les Européens et des civilisations qui leur sont très éloignées. Si les formes prises
par ces rencontres et leurs incidences sont fort différentes, elles ont tout de même pour cadre le
même temps historique (le XVIe siècle) et une conséquence commune : l’intégration de vastes
territoires du monde, très peuplés, à une première mondialisation, encore timide, mais qui permet
des contacts réels entre la grande majorité des peuples de la Terre, du moins les élites et les
marchands. En ce sens, des liens se créent entre tous les espaces, l’Europe servant parfois de
passerelle. Ainsi, à la fin du XVIe siècle, l’empereur Wanli développe de nouvelles cultures dans
tout l’Empire chinois : maïs, tabac, patate douce…
Le Japon tente alors de fermer les ports coréens au commerce chinois pour tenter de devenir un rival économique
fort de l’Empire du Milieu dans la région. Cette guerre suit des tensions importantes entre les deux pays, le Japon
encourageant les actes de piraterie sur les côtes chinoises, ce qui entraîne d’ailleurs la levée des interdictions chinoises
sur la construction de navires importants.
109 Serge Grunzinski, « Mondialisation : le grand bond en avant », L’Histoire n°355, juillet-août 2010, p. 104-107
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Sur le passage de Constantinople à Istanbul et l’Empire ottoman
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D. Eliseeff, Histoire de la Chine, Editions du Rocher, 1997
J. Gernet, Le Monde chinois, « Agora », Pocket, 2005
E. L. Dreyer, Zheng He. China and the Oceans in the early Ming Dynasty, 1405-1433, Pearson Longman,
2007
S. Naquin, Peking: Temples and city life, 1400-1900, University of California Press, 2000
 Article :
L. Gabbiani, « Pékin, naissance d’une capitale », L’Histoire n°300, juillet-août 2010, p. 52-53
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Histoire – programmes de la classe de Seconde générale et technologique – 2010
Sitographie

La lettre journal de Diego Alvarez Chanca, médecin de la deuxième expédition de Colomb est
disponible en intégralité :
 en anglais :
http://content.wisconsinhistory.org/cdm4/document.php?CISOROOT=/aj&
CISOPTR=4408
 en espagnol :
http://www.fortunecity.com/victorian/churchmews/1216/Chanca.html

Quelques réflexions cartographiques sur le site de l’Université de géographie de Rouen :
http://www.georouen.org/spip.php?article414

De nombreux objets d’arts pour les Aztèques, Inca, Ming, avec des explications précises
permettant une utilisation en cours, mais en anglais, sur le site du MET de New-York :
http://www.metmuseum.org/toah/intro/atr/08sm.htm

La carte de Waldseemüller extraite du Cosmographiae Introductio de 1507 est libre de droit et
d’excellente qualité ici :
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c0/Waldseemuller_map_2.jpg
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