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Troubles du comportement alimentaire et danse
À propos de trois cas cliniques
SEZNEC, J-C.
Service de psychiatrie, Hôpital Bicêtre
78 rue du général Leclerc
94275 Le Kremlin Bicêtre cedex
Téléphone: 01.45.21.22.78
email: jcseznec@magic.fr
Mots clefs: Danse, Trouble du comportement alimentaire.
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Résumé:
Seznec, J-C.: Danse et troubles du comportement alimentaire (TCA): à propos de trois cas cliniques.
Peu d'études existent sur la prévalence des troubles du comportement alimentaire chez les danseuses. Dans les
cas recensés, la plus part du temps soit les troubles suspects disparaissent dans l'année, soit il s'agit de jeunes
filles qui ne passent pas les différents examens d'entrée dans les écoles professionnelles. Pour Marie, 12 ans, la
danse a été probablement un facteur déclenchant de l'anorexie mais il existait par ailleurs de nombreux
facteurs prédisposants notamment familiaux. Quant à Valérie, 25 ans, l'anorexie mentale s'est déclenchée à
l'arrêt de la danse; malgré de nombreux facteurs familiaux prédisposants, on peut se demander si la danse n'a
pas été un élément de "protection". Les liens entre danse et TCA sont complexes et leurs études passionnelles.
Il semble que la prévalence de l'anorexie chez les danseuses professionnelles soit inférieure à la population
générale mais elles présentent plus d'états "anorectiques" ou de compulsions alimentaires; alors que la majorité
des cas de danseuses anorexiques sont des personnes qui n'ont pas les capacités physiques, techniques ou
psychologiques à l'être, la danse ne faisant que cristalliser une problématique familiale.
Mots Clés: Danse, troubles du comportement alimentaire.
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Introduction
L’une des questions centrales à laquelle nous sommes tous, un jour, au cours de notre vie, confrontée,
est celle de l'existence. Tout individu doit un jour résoudre la problématique d'être. En effet, à partir d'un corps
organique appartenant pendant neuf mois et demi à la mère, le nouveau- va devoir s’individualiser, se
différencier physiquement et psychiquement. Ce processus maturatif suit un long parcours décrit par Freud.
Pour mettre en place ce processus de différenciation, Freud a eu besoin de faire l'hypothèse de l'existence de
l'inconscient, ce qui lui a permit de mettre en place la mythologie analytique utilisée comme modèle par les
psychanalystes.
À quoi correspond le fait d'être? C'est en sorte pouvoir se référer par rapport à un autre (externe ou
interne à l'individu) et de pouvoir ainsi entretenir avec lui une relation d'objet. Alors, afin d’être soi et pas un
autre, il est nécessaire de définir ses propres limites. Si certaines d'entre elles paraissent plutôt évidentes, les
limites physiques (l'enveloppe corporelle) ou relationnelle (tout le monde ne discute pas avec la même distance
interpersonnelle physique ou psychique, chacun met en place sa distance). D'autres limites le sont moins, les
limites psychiques. Cette différenciation est une étape très complexe. En effet l’absence de définition de soi
entraîne la non-existence par un processus de fusion, et, le détachement total, l'inexistence par anéantissement;
on ne peut se définir que par rapport à un autre. On se sort de cette problématique psychotique grâce à
l'inconscient. L’inconscient permet de mettre en place une dualité, notre structure névrotique, entre le corps
que j'ai, que je perçois et que vous percevez, et le corps que je suis, avec cette autre psychique qu'est
l'inconscient. Toute cette organisation est propre à chacun en fonction du parcours maturatif vécu au cours de
l'enfance et de la façon dont on a testé notre existence réelle. En résumé, on peut dire que pour être, on a
besoin d'un ailleurs et des limites par rapport à celui-ci.
Le premier organisateur de ce processus de maturation est l'alimentation. En effet à la naissance, on
n'est pas. On ne possède pas une conscience en tant que moi; notre corps "appartient" alors à notre mère. Mais
par l'intermédiaire du besoin de s'alimenter, le temps qui sépare la sensation de faim de celui du rassasiement,
est la source d'une angoisse. Celle-ci est le support vital à l'instauration d'un espace qui se trouve à l'origine de
notre existence psychique. La façon dont la mère, par une palette plus ou moins variée, répond au besoin de
faim du bébé, définit les bases et les couleurs de notre personnalité. Une réponse immédiate et uniquement
alimentaire peut entraîner la non-existence par fusion. Une absence de réponse ou une réponse trop tardive
peut engendrer une angoisse intolérable et anéantissante, le temps mort de Winnicott à l’origine d’un vide. Le
comportement alimentaire se trouve être ainsi un problème d'affect et non pas un problème de mécanique
nutritionnelle. Les problèmes alimentaires que l'on peut rencontrer en dehors de toute maladie psychiatrique,
sont liés à des difficultés à contrôler nos affects et à une manifestation de nos émotions à travers l'impulsivité
liée à une conduite addictive.
Les troubles du comportement alimentaire sont directement issus de cette problématique d'être autour
du pole organisateur joué par l'alimentation. En simplifiant, on peut dire que pour l'anorexique, au moment du
stade oral, une réponse alimentaire inadaptée, source d'un traumatisme à l'origine d'une angoisse traumatisante
(un temps mort), n'a pas permis le véritable processus d'individualisation. Cette angoisse refoulée pendant le
stade de latence va se réveiller à l'adolescence à travers des symptômes alimentaires. En effet l'anorexique va
se trouver confrontée à son corps qui ne s'est pas différencié de celui de la mère. Afin d'exister, elle va entrer
dans une conduite ordalique (Bruch, 1971, 1975).
L'ordalie est une conduite moyenâgeuse qui consiste en cas d'accusation et de menace de sentence de
mort, à prouver son innocence, et ainsi de pouvoir vivre, en tentant le jugement de Dieu. Celui-ci pouvait par
exemple consister à plonger sa main dans une huile bouillante et de la ressortir intacte sans brûlure. Dans le
cas des TCA, l'anorexique va elle-aussi tenter ce jugement de Dieu en risquant la mort afin de vivre. Elle va
risquer de liquider par la faim, ce corps appartenant à sa mère, afin d'exister. Elle a la folie de croire qu’en se
différenciant de son corps maternel, elle va se donner une existence psychique à la place de ce vide originel.
En fait, bien souvent, le contexte lié à une situation d'anorexie est plus complexe. Il peut s'agir de
l'aboutissement d'une dynamique familiale avec une mère qui n'a pas résolu ses problèmes avec sa propre mère
et qui les répète à travers sa relation avec sa fille, que cela soit au stade oral ou à l'adolescence. À coté de cette
situation touchant trois générations, on note parfois un père peu présent affectivement dans la famille. Ceci est
à l'origine d'une situation duelle mère-fille.
On dit que l'anorexie mentale est une maladie de système. C'est-à-dire un processus qui touche un
système familial où la patiente n'est qu'un symptôme d'un dysfonctionnement de l’organisation familiale.
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Généralement, on dit qu'il existe un contexte prédisposant et qu'un TCA va apparaître lorsque le patient va être
confronté à un facteur déclenchant qui va alors cristalliser une problématique, une angoisse à la recherche
d'une représentation psychique, à travers des symptômes. La dynamique de l'anorexique est la maîtrise (dont
celle du corps et de l'alimentation), afin de juguler l'angoisse originelle qui va permettre à travers le symptôme
alimentaire d'apaiser l'anxiété, la dépression et les troubles de la personnalité. L'anorexique par cette maîtrise
va régresser à un stade prépubère afin de se réapproprier son corps et de structurer une entité psychique
identitaire. Le corps érogène de l'adolescence va être remplacer par un corps machine dont on contrôle les
entrées et les sorties. Elle va avoir ainsi une identité avec une affirmation de soi négative par une conduite
destructrice qui aura tendance, comme chez les toxicomanes, à auto-entretenir et à s'autorenforcer.
Les troubles du comportement alimentaire sont des maladies culturellement liées (Swarz, 1985); c'est-
à-dire, au sujet de l'anorexie mentale et la boulimie, présentes uniquement dans la société occidentale. Il serait
complexe d'en expliquer les raisons. Mais certaines d'entre elles sont liées à la représentation mythique que
l'on se fait, dans notre culture, du monde, de la vie et de notre ailleurs et comment elle s’exprime dans la
pression sociale.
Ce long préambule est une étape nécessaire afin de comprendre pourquoi la question de la danse et
des TCA se pose. Étant donné que les TCA sont liés à notre culture, on va évoqué dans cet article uniquement
la danse en occident.
La danse est un art particulier dans le sens qu'il reproduit la problématique d'être, associée aux
concepts de limite et de l'ailleurs. La danse permet à travers le corps que j'ai de nous parler du corps que je
suis et, en conséquence, de notre existence. Tout au long de notre vie, chacun d'entre nous est à la recherche de
lui-même. La danse possède cette faculté de nous parler, avec notre corps terrestre (ou organique), de notre
corps inconscient donc inconnu. C'est un peu ce que dit le chorégraphe Jean Gaudin dans l'ouvrage "Danse et
Pensée": "la danse permet de découvrir l'ordre caché du corps et de le "décacher". De la même manière que
les nouveau-nés jouent avec leurs doigts comme s'ils les comptaient et les remettaient en ordre. Au cours du
temps, nous perdons l'ordre du corps et par la danse, on tente de le retrouver. La danse est un moyen de
connaissance de nous-même". L'ordre caché est notre existence, le jeu corporel de la danse permet de tester
les limites de notre enveloppe corporelle et de notre psychisme, et de dire ainsi au danseur qui il est.
Explorer qui l'on est et se définir plus précisément à travers l'art de la danse est possible si l'on
possède, au préalable, une entité psychique source d'une énergie qui va transparaitre dans le mouvement. La
danse a besoin d'être alimentée par cette angoisse originelle à l'origine de notre existence psychique. Elle doit
être une nécessité qui s'impose d'elle-même par le mouvement. Martha Graham dans sa biographie exprime
bien cet impérieux besoin de faire s'écouler cette énergie vitale dans le geste.
Par contre, certaines personnes, confrontées à un vide originel, peuvent avoir l'illusion d'exister à
travers la danse. En effet, l'enseignement de la danse par l'apprentissage mécanique de gestes répétés, peut
donner une fausse identité et de fausses limites à travers le mouvement. Certaines élèves se perdent ainsi dans
la répétition, au-delà de l'ennui, de ces gestes, à la recherche d'une existence factice permettant de structurer
leur vide, leur non -existence et ainsi leur procurer une fausse identité. De manière plus pernicieuse, la danse
procure un ailleurs psychique tout aussi factice à travers cette illusion de la représentation de la danseuse
comme un ange pur sans pulsion et à l'extrême de l'étoile. Cette image de la sylphide permet alors si facilement
de rompre avec le corps organique lié à la mère afin d'exister ailleurs et de couper les attaches terrestres, mais
pour se retrouver alors sans vie. Mais il s'agit d'une voie sans issue non salutaire car elle échappe à la fusion
maternelle pour la fusion avec le corps de danse, et, toujours, sans identité. On retrouve ainsi ce jeu de la mort
pour vivre de l'ordalie. Sans existence psychique, ces personnes, en tentant de danser, font de leur corps non
pas un corps-pensée (Badiou, 1992) comme dans la danse de Nietzsche, mais un corps-machine. Elles ne
dansent pas, elles font seulement une gymnastique parfois dansante. Elles existent alors symptômatiquement à
travers le corps machine prépubère de la pseudodanseuse et à travers l'anorexie mentale. Ces deux moyens
d'existence s'auto-entretiennent et s'autorenforcent à l'origine d'une toxicomamanie à la danse. Ces personnes
vont ainsi se perdre dans la danse sans jamais devenir des danseuses.
Les danseuses anorexiques sont apparement des élèves que l'on rencontre dans les écoles ou dans les
conservatoires avec leurs symptômes sans pouvoir accéder au statut de danseuse comme dans nos trois cas
cliniques. Il existe très peu d'études épidémiologiques concernant les TCA au sein de la population des
danseurs. Toutes sont anglo-saxonnes et concernent essentiellement des élèves en formation. En france, ces
études sont encore impossibles du fait des résistances des différents responsables d'école de danse ou de
compagnie de danse. Ce sujet reste encore tabou dans ce milieu. Les outils (type questionnaire) sont par
ailleurs mal adaptés aux particularités des danseuses. Seul des entretiens avec des explorations psychologiques
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sérieuses peuvent contribuer à mieux cerner le problème. Mais certaines instances de la danse française
préfèrent se cacher derrière l'aspect mécanique du corps que d'aprocher une dimension plus large concernant le
corps, la danse et l'alimentation. Dans les études anglo-saxonnes, la plupart des cas suspects d'anorexie
mentale ne sont pas confirmés après un an de suivi, ce qui reflète la difficulté de diagnostique face aux
spécificités de cette pratique (Druss et Silverman, 1979; Garner et garfinkel, 1980; Calabrese et al, 1983;
Skmukler, 1985). Ceux qui le sont concernent en grande majorité des élèves qui souhaitent entrer dans des
écoles de formation professionnelle en danse et qui échouent aux différents concours d'entrée (Calabrese et al,
1983). Ceci semble confirmer l'hypothèse énoncée précédemment.
Il est en fait très difficile d'être une danseuse, car en plus d'exister tout simplement dans la vie, il va
falloir qu'elle existe en dépassant la rigueur d'une technique de danse. Elle va devoir affirmer ses différences à
l'intérieur de son identité de danseuse. Elle va devoir surmonter la craintre de voir disparaitre ses particularités
au contact d'autres particularités. Car toute réunion dans un groupe, en l'occurence dans celui du corps de
ballet, peut-être une menace de dissolution, une menace de disparition de l'alétérité dans la mêmeté, alors que
le même authentique est toujours le corrélatif de l'autre. En fait le risque d'éffritement des différences prend sa
source dans la faiblesse de nos singularités, contraintes de se cacher frileusement à moins qu'elles n'adoptent
des formes rigides (totalitaires). Certaines véritables danseuses au contact des divers stress de leur vie
professionnelle rigoureuse au sein d'une compagnie, peuvent être confrontée à un effritement de cette identité
et à une menace de dissolution par absorbtion dans le corps de danse. Ces moments de crises s'expriment,
semble-t-il, par une régression qui se symptomatise par des déviances alimentaires passagères: des
compulsions alimentaires, des états anorectiques (période de réstriction). Ils ont d'autant tendance à s'exprimer
sur ce mode que le comportement alimentaire de la danseuse est fragilisé par son mode de vie (Seznec, 1996).
Mais en aucun cas, il semble que l'on soit, dans l'ensemble, en contact d'une véritable pathologie mentale.
D'ailleurs, ces symptômes disparaissent bien souvent rapidement du fait des capacités de bonne gestion du
corps des danseuses (Seznec, 1996).
Cette approche des faits demande à être confirmer par de véritables études épidémiologiques. Ceci
sera possible lorsqu'il existera une meilleure compréhension et une meilleure collaboration entre la danse et la
médecine.
Malgré tout, il est important pour tous de comprendre la puissance des forces psychiques qui sont mis
en jeu par la pratique de la danse afin de permettre l'épanouissement de ceux qui ont les capacités d'être des
danseurs et de ne pas promouvoir ou entretenir des pathologies mentales chez d'autres. La danse ne semble pas
à l'origine de TCA car leurs origines sont bien plus complexes que la simple pratique d'une activité, mais elle
peut en être un facteur déclenchant. Il est à mon avis, de la responsabilité des formateurs, de bien percevoir les
aboutissant de cet art sur leurs différents élèves. La question est d'autant plus importante dans le cas d'écoles
qui utilisent dans leur mode de sélection des critères physiques très stricts qui risquent de gommer les
singularités d'une identité fragile afin qu'elle puisse entrer dans le moule de l'école. Il me semble qu'en danse,
au sein de classes vouées à l'élite, comme dans d'autres activités physiques de haut niveau, il doit exister un
accompagnement psychologique de qualité afin de prévenir toute situation de crise et permettre
l'épanouissement des danseurs.
Les troubles du comportement alimentaire:
Les troubles du comportement alimentaire sont nombreux. Gaillac dans le livre sur les conduites
alimentaires dirigé par Samuel-Lajeunesse décrit les formes cliniques suivantes:
- Anorexie restrictive pure
- Anorexie avec comme mécanisme de contrôle du poids prévalent:
- Vomissements
- Diurétiques
- Hyperactivité physique
- Laxatifs
- prises d'amphétamines, d'hormones thyroïdiennes ou d'anorexigènes
- Boulimie avec comme mécanisme de contrôle du poids prévalent:
- Vomissements
- Diurétiques
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