Généralement, on dit qu'il existe un contexte prédisposant et qu'un TCA va apparaître lorsque le patient va être
confronté à un facteur déclenchant qui va alors cristalliser une problématique, une angoisse à la recherche
d'une représentation psychique, à travers des symptômes. La dynamique de l'anorexique est la maîtrise (dont
celle du corps et de l'alimentation), afin de juguler l'angoisse originelle qui va permettre à travers le symptôme
alimentaire d'apaiser l'anxiété, la dépression et les troubles de la personnalité. L'anorexique par cette maîtrise
va régresser à un stade prépubère afin de se réapproprier son corps et de structurer une entité psychique
identitaire. Le corps érogène de l'adolescence va être remplacer par un corps machine dont on contrôle les
entrées et les sorties. Elle va avoir ainsi une identité avec une affirmation de soi négative par une conduite
destructrice qui aura tendance, comme chez les toxicomanes, à auto-entretenir et à s'autorenforcer.
Les troubles du comportement alimentaire sont des maladies culturellement liées (Swarz, 1985); c'est-
à-dire, au sujet de l'anorexie mentale et la boulimie, présentes uniquement dans la société occidentale. Il serait
complexe d'en expliquer les raisons. Mais certaines d'entre elles sont liées à la représentation mythique que
l'on se fait, dans notre culture, du monde, de la vie et de notre ailleurs et comment elle s’exprime dans la
pression sociale.
Ce long préambule est une étape nécessaire afin de comprendre pourquoi la question de la danse et
des TCA se pose. Étant donné que les TCA sont liés à notre culture, on va évoqué dans cet article uniquement
la danse en occident.
La danse est un art particulier dans le sens qu'il reproduit la problématique d'être, associée aux
concepts de limite et de l'ailleurs. La danse permet à travers le corps que j'ai de nous parler du corps que je
suis et, en conséquence, de notre existence. Tout au long de notre vie, chacun d'entre nous est à la recherche de
lui-même. La danse possède cette faculté de nous parler, avec notre corps terrestre (ou organique), de notre
corps inconscient donc inconnu. C'est un peu ce que dit le chorégraphe Jean Gaudin dans l'ouvrage "Danse et
Pensée": "la danse permet de découvrir l'ordre caché du corps et de le "décacher". De la même manière que
les nouveau-nés jouent avec leurs doigts comme s'ils les comptaient et les remettaient en ordre. Au cours du
temps, nous perdons l'ordre du corps et par la danse, on tente de le retrouver. La danse est un moyen de
connaissance de nous-même". L'ordre caché est notre existence, le jeu corporel de la danse permet de tester
les limites de notre enveloppe corporelle et de notre psychisme, et de dire ainsi au danseur qui il est.
Explorer qui l'on est et se définir plus précisément à travers l'art de la danse est possible si l'on
possède, au préalable, une entité psychique source d'une énergie qui va transparaitre dans le mouvement. La
danse a besoin d'être alimentée par cette angoisse originelle à l'origine de notre existence psychique. Elle doit
être une nécessité qui s'impose d'elle-même par le mouvement. Martha Graham dans sa biographie exprime
bien cet impérieux besoin de faire s'écouler cette énergie vitale dans le geste.
Par contre, certaines personnes, confrontées à un vide originel, peuvent avoir l'illusion d'exister à
travers la danse. En effet, l'enseignement de la danse par l'apprentissage mécanique de gestes répétés, peut
donner une fausse identité et de fausses limites à travers le mouvement. Certaines élèves se perdent ainsi dans
la répétition, au-delà de l'ennui, de ces gestes, à la recherche d'une existence factice permettant de structurer
leur vide, leur non -existence et ainsi leur procurer une fausse identité. De manière plus pernicieuse, la danse
procure un ailleurs psychique tout aussi factice à travers cette illusion de la représentation de la danseuse
comme un ange pur sans pulsion et à l'extrême de l'étoile. Cette image de la sylphide permet alors si facilement
de rompre avec le corps organique lié à la mère afin d'exister ailleurs et de couper les attaches terrestres, mais
pour se retrouver alors sans vie. Mais il s'agit d'une voie sans issue non salutaire car elle échappe à la fusion
maternelle pour la fusion avec le corps de danse, et, toujours, sans identité. On retrouve ainsi ce jeu de la mort
pour vivre de l'ordalie. Sans existence psychique, ces personnes, en tentant de danser, font de leur corps non
pas un corps-pensée (Badiou, 1992) comme dans la danse de Nietzsche, mais un corps-machine. Elles ne
dansent pas, elles font seulement une gymnastique parfois dansante. Elles existent alors symptômatiquement à
travers le corps machine prépubère de la pseudodanseuse et à travers l'anorexie mentale. Ces deux moyens
d'existence s'auto-entretiennent et s'autorenforcent à l'origine d'une toxicomamanie à la danse. Ces personnes
vont ainsi se perdre dans la danse sans jamais devenir des danseuses.
Les danseuses anorexiques sont apparement des élèves que l'on rencontre dans les écoles ou dans les
conservatoires avec leurs symptômes sans pouvoir accéder au statut de danseuse comme dans nos trois cas
cliniques. Il existe très peu d'études épidémiologiques concernant les TCA au sein de la population des
danseurs. Toutes sont anglo-saxonnes et concernent essentiellement des élèves en formation. En france, ces
études sont encore impossibles du fait des résistances des différents responsables d'école de danse ou de
compagnie de danse. Ce sujet reste encore tabou dans ce milieu. Les outils (type questionnaire) sont par
ailleurs mal adaptés aux particularités des danseuses. Seul des entretiens avec des explorations psychologiques