Lucien JUVENTY Souvenirs et Lettres 1914 – 1918 (2ème partie) NOTES et COMMENTAIRES Jacques JUVENTY 1988 2 NOTES ET COMMENTAIRES Ces notes sont nées de curiosités tardives que mon père ne pouvait plus satisfaire – j’avais onze ans quand il mourut en 1936. Elles n’ont pour ambition que de proposer : - Quelques notices biographiques empruntées, pour ce qui regarde les militants socialistes et syndicalistes, à l’irremplaçable « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier », dirigé par Jean Maitron, mention particulière devant être faite de Madeleine Rebérioux pour les très intéressantes recherches touchant la période 1871/1914 et notamment, le département de l’Yonne. - Un petit dossier sur la presse de l’époque, volontairement limité aux journaux cités dans le texte et établi à partir, principalement de renseignements puisés dans ‘Histoire générale de la presse française » publiée sous la direction de Claude Bellanger. - Un aide-mémoire visant à restituer au texte l’intelligibilité qu’un recul de soixante-dix ans a pu gommer et, dans la mesure du possible, rendre à la vie quotidienne l’aspect buissonneux que la perspective atténue. - Enfin divers documents : articles de la presse socialiste du temps, nationale et surtout régionale, comptes rendus de manifestations, faits divers, controverses, retenus en fonction de leur relation directe avec le texte. 3 NOTICES BIOGRAPHIQUES - BARRES Maurice 4 - BRIZON Pierre 4 - CAMELINAT Zéphirin 6 - COMPERE-MOREL Adéodat 7 - COUTE Gaston 9 - CRUCY François, pseudonyme de ROUSSELOT Maurice 9 - DAUDET Léon 10 - DUPORC François 12 - FROMENT Luc, pseudonyme de LECLERCQ Lucien 13 - GERARD Georges 14 - GUESDE Jules 15 - HERVE Gustave 18 - HINGLAIS Louis 20 - JAURES Jean 22 - JOBERT Léopold 25 - JOUHAUX Léon 26 - JUVENTY Gaston, frère de JUVENTY Lucien 28 - LEGROS Gaston 29 - LEVY Gaston 30 - LIEBKNECHT Karl 30 - MALVY Jean 32 - MARY-GUERDER Charles 33 - SEMBAT Marcel et Georgette 34 - VIVIANI René 36 4 BARRES Maurice (1862 – 1923) Originaire des Vosges, Maurice Barrès arrive à Paris en 1883. Il y atteint très tôt une notoriété durable avec trois œuvres souvent évoquées comme représentatives du « culte du moi ». Elu député boulangiste en 1889 il s’oriente vers un nationalisme de la revanche, xénophobe et antisémite, qui ne fait que s’affirmer au temps de l’Affaire Dreyfus. En 1897 il entame une nouvelle trilogie : « Le roman de l’énergie nationale », « L’appel au soldat », « Leurs figures » et, parallèlement, participe à la fondation de la Ligue de la patrie française. Député de Paris en 1906 il devient, à la mort de Paul Déroulède en février 1914, président de la Ligue des patriotes. Tout au long de la guerre Barrès se fait une gloire et un devoir de remplir le « Ministère de la parole ». Ses articles quotidiens de « L’Echo de Paris », rassemblés dans les quatorze volumes des « Chroniques de la grande guerre », ont été pour Jean Guéhenno : « [un] des plus éclatants témoignages de la confusion mentale dans laquelle un peuple doit vivre pour subir et faire la guerre. Entre tout les bavardages des écrivains et des journalistes ces articles […] composent un exceptionnel document. [on] pourrait dresser un répertoire de tous les paralogismes par lesquels tant de souffrances ont pu devenir motifs d’exaltation et la plus grande misère du monde, la nourriture de l’opinion et la matière d’une vanité dérisoire. » Cependant chez Barrès aussi la lassitude et le doute s’insinuent ; si ses articles n’en donnent aucun écho, dans ses « Cahiers » il laisse paraître comme un dégoût croissant pour cette tache de journaliste et parfois des interrogation sur sa légitimité. Cf. « Histoire générale de la presse française » (page 426) *** * BRIZON Pierre (1878 – 1923) D’une famille modeste du Bourbonnais, Brizon parvient, après des études primaires et primaires supérieures, à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud où son adhésion en 1898 au groupe des étudiants collectivistes donne le premier repère de son entrée dans le mouvement socialiste. Les sanctions administratives émaillent sa carrière de professeur, en conséquence très itinérante. C’est ainsi qu’en 1905, enseignant à l’Ecole nationale professionnelle de Voiron, il représente le département de l’Isère au congrès d’unité de Paris. Emile Guillaumin, cultivateur-écrivain à Ygrande (village voisin de Moulins) se souvient, trentedeux ans plus tard, du nouveau député que viennent de choisir, en avril 1910, les électeurs d’une circonscription majoritairement rurale : « Brizon était un homme d’une assez belle prestance, très brun de poil, peau hâlée, sourire énigmatique, voix de nez caverneuse plutôt désagréable. Point timide, la 5 parole abondante, il se laissait tout de suite aller à son tempérament d’orateur de réunion publique, utilisant les gros effets faciles ». En mai 1914, toujours dans cette deuxième circonscription de l’Allier, la profession de foi de Brizon ne permet aucune ambiguïté racoleuse : « Mon programme ? Et d’abord, à bas les trois ans ! A bas le militarisme qui nous écrase ! A bas le Maroc ! A bas les conquêtes coloniales par le fer, le feu, par le sang ». Ses électeurs nullement effrayés par son radicalisme lui renouvellent leur confiance. La guerre de 14/18 révèle en Brizon un des premiers et très rares opposants à la politique d’Union sacrée. Retenons quelques dates caractéristiques : - Début novembre 1915 il adhère au Comité pour la reprise des relations internationales, au côté des pèlerins de Zimmerwald : Bourderon et Merrheim (voir Aide-mémoire n°30) - Le 28 janvier 1916 il interpelle le gouvernement sur les mesures nécessaires pour conduire la guerre à sa fin « la plus rapide et la meilleure possible » - Le 21 novembre 1916 il dénonce à la Chambre les responsabilités de la Russie dans le déclenchement du conflit et pousse l’incongruité, en ce lieu et à cette heure, jusqu’à s’écrier : « A bas la guerre ! ». Exclamation vaine sans doute mais notable pour son caractère unique. - Le 11 décembre 1916, l’exclusion temporaire de l’Assemblée stigmatise sa prétention de chiffrer publiquement les pertes humaines et matérielles de la guerre. - Le 25 octobre 1917 il demande l’étude immédiate de toute proposition de paix. Son activité parlementaire se double d’un militantisme actif. Du 24 au 30 avril 1916 il participe avec Alexandre Blanc et Raffin-Dugens (également enseignants et également parlementaires) à la seconde conférence socialiste internationale de Kienthal (Suisse). Sans souscrire à la condamnation du principe de défense nationale, préconisée par Lénine, Brizon s’attache à défendre l’idée de la paix immédiate assurant liberté et indépendance des peuples. De retour en France Brizon, épaulé par ses deux compagnons de Kienthal va, au cours de la séance houleuse du 24 juin 1916, refuser le vote des crédits de guerre, saluant à l’occasion l’action parallèle des minoritaires allemands groupés autour de Liebknecht. Au président qui constate que dans la Chambre française il n’y a que trois socialistes pour approuver de pareilles paroles, Brizon rétorque : « Il y a beaucoup de soldats qui pensent comme nous ». Il participe aussi à la rédaction du « Populaire », organe des minoritaires, avant de pouvoir créer son propre hebdomadaire, « la Vague » dont le 1er numéro paraît le 5 janvier 1918. Il parvient, avec l’aide de Marcelle Capy qu’il va épouser, à maintenir le combat socialiste et féministe de sa feuille jusqu’en 1923. En désaccord avec sa fédération de l’Allier, en majorité hostile à l’adhésion à la Troisième Internationale, Brizon est battu aux législatives de 1919 et n’est pas mandaté pour participer au congrès de Tours de 1920. Il adhère au Parti Communiste et en est exclus en 1922 peu de temps avant sa mort. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » Article de J. Raymond « Histoire de l’arrière » de Ch. Fraval Jideher éditeur – 1930 6 CAMELINAT Zéphirin (1840 – 1932) Enfant d’une famille de vignerons implantée depuis de nombreuses générations sur les coteaux de l’Yonne, à Mailly-la-ville, Camélinat est contraint à quitter l’exploitation paternelle, la gelée ayant détruit la vigne ; il a dix-sept ans. A Paris où il s’expatrie il parfait un apprentissage de monteur en bronze-ciseleur par des cours aux Arts et Métiers. Ensuite, pendant cinq ans, il travaille pour Charles Garnier (on peut apprécier ses réalisations : palmes et aigles de bronze qui décorent les colonnes de marbre entourant le buste de l’architecte de l’Opéra). Son activité politique, peut-être encouragée par Proudhon qu’il rencontre peu après son arrivée à Paris, se manifeste par sa participation au « manifeste des soixante » en faveur des candidatures ouvrières ; il y est affirmé : « …le droit politique implique un droit social égal. La bourgeoisie, notre aînée en émancipation, dut en 1789 absorber la noblesse et détruire d’injustes privilèges. Il s’agit pour nous non de détruire les droits des classes moyennes mais de conquérir la même liberté d’action. » Suite à ce manifeste de février 1864 il compte parmi les premiers adhérents de la 1ère Internationale et dès septembre 1866 il est l’un des douze délégués de Paris au premier congrès de l’Association internationale des travailleurs à Genève. Il devient un des membres de la commission administrative de l’Internationale. Pendant la Commune il est nommé directeur de la Monnaie. Il assure la frappe d’une nouvelle pièce de cinq francs qui porte en exergue : Travail, Garantie nationale. Il organise le transfert de 30000 pièces à la mairie du 11ème arrondissement pour les distribuer aux combattants fédérés. Il participe à l’ultime résistance aux versaillais, au cours de laquelle il voit mourir le délégué à la guerre Delescluze et échappe au massacre final, caché chez des amis. En septembre 1871 il réussit à gagner l’Angleterre où il exerce son métier d’ouvrier en bronze jusqu’à l’amnistie de 1880 qui lui permet de rejoindre la France. Dans son élection comme député socialiste indépendant, en octobre 1885, Engels décèle un événement important : « la constitution d’un parti ouvrier à la Chambre française par Basly et Camélinat ». Dès 1890, soucieux de l’unité du mouvement ouvrier, il écrit : « Il est temps que les socialistes, dans l’intérêt général, fassent taire leurs dissensions pour faire corps contre l’ennemi commun qui ne puise sa force que dans leurs divisions ». Quatorze ans plus tard, l’unité socialiste enfin réalisée, Camélinat devient membre de la commission administrative et trésorier du Parti socialiste S.F.I.O. Il assure ces fonctions jusqu’en octobre 1918, date à laquelle ses positions d’ancien communard patriote, jusqu’alors compatibles avec la politique « défense nationale » de la majorité socialiste, suscitent des réserve chez les opposants devenus à leur tour, du fait de la prolongation de la guerre, majoritaires. Lors du congrès de Tours, en décembre 1920, Camélinat opte cependant pour l’adhésion à la 3ème internationale. Détenteur des actions de « l’Humanité » il les partage en fonction des voix recueillies par les « réformistes » et les « révolutionnaires ». Il remet ses propres actions et celles de ses enfants au Parti Communiste naissant. 7 Sa mort en mars 1932, concomitante à celle de Briand – enterré en grandes pompes – est l’occasion pour le Parti Communiste d’affirmer son identité, sur le thème : « A eux Briand, le renégat ! A nous Camélinat, le communard ! » Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » *** * COMPERE-MOREL Adéodat (1872 – 1941) Fils d’un jardinier de Breteuil-sur-Noye (Oise), Compère quitte l’école à treize ans, devient à son tour horticulteur et gardera de son activité et de son milieu d’origine un intérêt durable pour les problèmes agraires et ruraux. Acquis de bonne heure aux idées socialistes il milite dès l’age de dix-huit ans et marque son action d’une empreinte très personnelle. Sa vie intime porte également le cachet de ses convictions : ainsi en 1893 il épouse une couturière, Marguerite Morel, le couple adopte le double patronyme, Compère-Morel, attitude peu fréquente à l’époque. Conseiller municipal de sa commune natale, en 1902, puis maire en 1904, Compère-Morel s’attache à résoudre des problèmes précis : créations de cantines scolaires, de coopératives de consommation, organisation d’œuvres scolaires et postscolaires, aise à la naissance dans les familles ouvrières, etc. Il commente ces réalisations avec clarté : « Nous n’avons pas rapproché d’une minute l’heure de la libération prolétarienne … nous ne prétendons nullement avoir fait du socialisme … Mais en améliorant quelque peu la situation matérielle des salariés … en donnant à leurs enfants une nourriture substantielle et solide en même temps que nous leur permettions de suivre les cours des écoles avec plus d’assiduité et plus de profit, nous développions leur puissance de combativité (Humanité 4/5/12). Son attitude face au problème religieux le différencie de nombreux socialistes du temps : en 1909, polémiquant au sujet de l’adhésion d’un prêtre au Parti socialiste, il écrit : « il y a des révoltés dans le clergé. A ces révoltés nous devons ouvrir nos rangs sans nous soucier de leurs costumes … De quel droit refuserions-nous les appuis qui peuvent nous venir du clergé comme ils sont allés au Tiers en 1789 ». Paysan capable de parler aux paysans, Compère-Morel est présenté par la fédération du Gard aux élections législatives partielles d’avril 1909 ; élu au deuxième tour il sera constamment réélu jusqu’en 1932. Durant toute sa vie parlementaire il siège à la commission de l’agriculture de la Chambre. Après avoir fait adopter, au congrès de Brest de mars 1913, la motion condamnant la loi militaire des trois ans, il lutte à l’Assemblée contre l’allongement du service qu’il juge sans corrélation avec une amélioration de la défense. A la veille de la guerre, au congrès de Paris du 14 au 16 juillet 1914, il s’oppose à Jaurès qui préconise la grève générale ouvrière, simultanément et internationalement organisée, pour imposer le 8 recours à l’arbitrage ; en rejetant la grève générale Compère-Morel la considère comme prétexte à des lois d’exception contre les travailleurs et comme susceptible d’entraîner « la défaite du pays dont le prolétariat sera le mieux organisé et le plu fidèle aux décisions de l’Internationale, au bénéfice du pays le moins socialiste ». Dès l’assassinat de Jaurès il est chargé, avec Renaudel et Sembat d’assurer la direction de « l’Humanité ». Pendant toute la durée de la guerre il soutient la politique de défense nationale alors même qu’il fait preuve de circonspection devant la participation ministérielle du Parti socialiste. En octobre 1917, au congrès de Bordeaux, il s’oppose aux minoritaires pacifistes et repousse toute idée de « paix de compromis ». Au congrès de Tours, en décembre 1920, il défend le maintien de l’unité du parti et, après l’éclatement, demeure attaché à la S.F.I.O., du moins jusqu’en 1933, date à laquelle son option pour une alliance avec les radicaux marque la rupture et sa dissidence au côté des néo-socialistes. De son œuvre écrite, très importante, détachons pour mémoire « L’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière », en douze volumes, dont il assura la direction (Paris 1912 – 1921). Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (article de J. Raymond) *** * COUTE Gaston (1880 – 1911) Né à Beaugency, dans le Loiret, le jeune Couté passe sa prime enfance à Meung-sur-Loing où son père s’est établi meunier en 1882. Après quelques années passées au lycée d’Orléans il commence à écrire, collabore au « Républicain du Loiret » puis, en 1898, monte à Paris tenter sa chance de poète lyrique. Dans les cabarets artistiques, nombreux au début du siècle : à l’Ane rouge, aux Funambules, au Grillon, à l’Alouette, aux Noctambules, il venait, dit Henri Poulaille « en insolent, dire des vérités à des braves gens qui payaient pour s’arracher à leurs affaires, à leurs ennuis. Il ne les apostrophait pas en argot – comme Rictus – mais en patois de chez lui. Pourtant les termes de terroir ne masquait pas ce qu’il venait leur dire. Et pour une jolie chanson comme « Le patois de chez nous » ou « Au beau cœur de mai », d’une beauté aussi grande qu’un lied de Schubert ou qu’Hugo Wolf, que de terribles mises en face avec eux-mêmes ne leur imposait-il pas. Quel camouflet aux hypocrites, aux lâches, aux veules que « Les gourgandines », « Mossieu Umbu », « L’idylle des grands gas comme il faut et des jeunesses bien sages », que de mépris éclatait en ces pages d’une sobriété de facture et d’une précision de dessin sans égal ». 9 Dans la dernière année de sa courte vie Couté collabore à « La guerre sociale » de Gustave Hervé. Si l’antimilitarisme et l’anticléricalisme de Couté lui attirent des sympathies de la gauche de son temps il sombre ensuite dans un oubli quasi total. Ce ne fut que dans les années soixante-dix que de jeunes interprètes : Bernard Meulien, Gérard Pieron, sensible au charme, plus essentiel me semble-t-il, de sa sensualité chaleureuse, le tirèrent de son long purgatoire. L’œuvre abondante de Couté a été réunie dans les cinq volumes : « Le vent du ch’min ». Cf. « Nouvel age littéraire » Henri Poulaille Librairie Valois 1930 « Gaston Couté » Louis Lanoizelée Paris 1960 *** * ROUSSELOT Maurice, François, Marie dit CRUCY François Né le 4 avril 1875 à Nantes (Loire-Inférieure), fils d’un banquier, François Rousselot dit Crucy, journaliste, débuta à « L’Aurore » à la fin du siècle aux côtés de Clemenceau. Il était journaliste à « L’Humanité », au printemps 1919. Il participa comme journaliste au congrès de Tours et en fit un compte rendu dans l’hebdomadaire « Floréal ». Il passa ensuite à « L’œuvre » et au « Petit Parisien ». Il collaborait aussi à divers journaux, dont « L’Ecole libératrice », périodique du syndicat des instituteurs. Il y assurait notamment des comptes rendus de livre n 1936-1937. Il écrivait aussi dans « Le Populaire », la revue « Europe ». Il publia plusieurs ouvrages dont « Brantôme » en 1934. Non-électeur à Saint-Raphaël (Var), François Crucy qui possédait une villa à Boulouris, militait à la section S.F.I.O. Sa position entre la majorité fédérale qui suivait Renaudel et ses amis de la minorité était peu conciliatrice. Lors du congrès fédéral en juin 1933, il proposa une motion qui demandait une sanction contre les indisciplinés. Il fut délégué au congrès national de Paris en juillet 1933. Après la scission, il participa au congrès de la fédération socialiste S.F.I.O. le 3 décembre 1933 et fut désigné à la commission de la propagande. Membre du comité fédéral, le 14 janvier 1934 ; il fût charger d’animer la commission d’études pour la création d’un organe fédéral. Dans les meetings communs avec le Parti communiste de l’été 1934, il représenta souvent ses camarades. Parallèlement, Crucy participa aux travaux du groupe « Révolution constructive ». Sous le premier gouvernement Blum, il devint chef du service de l’information de la présidence du Conseil. Revenu à Saint-Raphaël, il fut candidat aux élections municipales complémentaires, le 20 mars 1938, sur la liste socialiste d’intérêt local. Au début de 1940, il publia avec Dunois un organe bimensuel, « La guerre et la paix » qui eut neuf numéros. A la libération, Crucy siégea à la délégation municipale de la ville à partir du 31 août 1944. Après avoir été à la tête de l’agence France-Presse d’avril à décembre 1945, il devint en 1945-1946, 10 rédacteur en chef du quotidien varois fondé par le parti socialiste S.F.I.O. « République ». Marié à Saint-Raphaël en 1942, il se remaria à Cannes (Alpes-Maritimes) en mai 1948. François Crucy mourut le 26 juillet 1958 à Nice. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (article de J. Girault) *** * DAUDET Léon (1867 – 1942) « Né à Paris, au Marais, trois ans avant la chute du second Empire, j’avais dix ans en 1877, l’attention éveillée et je me rappelle fort bien des dispositions d’esprit et des propos des milieux fondateurs et dirigeants du nouveau régime, parmi lesquels je devais passer ma jeunesse et la première partie de mon âge mûr, jusqu’à l’Affaire Dreyfus et à la « Patrie Française » où j’embrassais la cause nationaliste. En 1903, mon mariage avec ma jeune cousine, royaliste et catholique, la fréquentation de Charles Mauras et d’Henri Vaugeois, m’amenèrent au nationalisme intégral, à la cause du Roi. A partir de là, par la plume et par la parole, je combattis le parlementarisme au milieu de quatorze duels et quelque six cent procès, au Forum comme à la Chambre, où je fus député et où je siégeai assidûment et sans interruption quatre ans et demi. Mon attitude et mes campagnes me valurent alors la perte de mon fils Philippe, assassiné à l’age de quatorze ans et demi par la police politique dont je ne cesserai de dénoncer les méfaits et les crimes, cinq mois de prison – dont je ne fis, grâce aux Camelots du Roi, que treize jours – et deux ans et demi d’exil ». Voici, brossé à larges touches, l’autobiographie du personnage, tirée de la déclaration liminaire de son « Panorama de la troisième République ». Bernanos, au détour d’une page des « Grands cimetières sous la lune », nous gratifie de ce portrait éclair : « On ne saurait faire le compte de ses injustices, du moins les porte-t-il sur sa figure. Elles s’y inscrivent ainsi que les cicatrices au torse d’un vieux gladiateur. Certes quiconque a aimé le visage humain ne peut regarder sans frémir cette face terrible dont l’énorme sensualité dévorerait jusqu’aux larmes ». Un texte suffira à faire goûter le talent de polémiste de Daudet et à révéler les ahurissants enchaînements de ses démonstrations. Le 16 mars 1914, Henriette Caillaux, femme du ministre des Finances, assassine Gaston Calmette directeur du « Figaro », auteur d’une campagne de presse accusant le ministre se s’enrichir malhonnêtement. Commentaire de Daudet : « Le bras de Madame Caillaux tenait le browning meurtrier ; mais la volonté de Caillaux pressa la détente. L’effet produit par ce crime fut formidable, tant par la froide sauvagerie avec laquelle il fut accompli, que par la pression des amis et créatures de Caillaux pour le présenter ainsi qu’une belle et juste action, amplement motivé par la campagne de Calmette. Caillaux était l’espoir de l’Allemagne. Il était, vu ses prétendues capacités financières (fort exagérées), le truchement entre la haute banque juive allemande et le 11 personnel républicain. D’où sa rapide fortune. Impulsif, dominateur, privé de scrupules et de bon sens, il se croyait le maître de la situation ; d’immenses paris étaient engagés sur son succès, qui signifiait, avec la victoire allemande, l’asservissement de la France à l’Allemagne. Sur l’échiquier de la trahison il était une pièce de première importance, irremplaçable, que la ploutocratie démocratie entendait maintenir à tout prix. Mais l’esprit national, flairant le gouffre, se rebiffa avec une violence dont nous devions retrouver encore le contrecoup dans l’éblouissante victoire de la Marne. De sorte qu’il n’est pas exagéré de dire que le sacrifice de Gaston Calmette a été pour quelque chose dans le salut du pays … ». Pendant toute la guerre, le couple Caillaux-Malvy demeure la cible privilégiée de Daudet ; les procès de l’automne 1917 (voir Aide-mémoire n°42) lui apportent une pâture de choix. Ses dépositions devant la Haute Cour vont contribuer à l’arrestation et à l’incarcération de Caillaux et au bannissement de Malvy (voir notice biographique). L’exploitation de compromissions multiples qui entachent la vie politique des deux hommes, l’optique particulière de Daudet qui ne fait pas le partage entre l’intérêt porté aux tentatives de paix négociée et la trahison ont pour Clemenceau toutes les séductions. Les ex-ennemis se rapprochent. Aux yeux de Daudet le « Tigre » n’a plus l’air d’ « une tête de mort sculptée dans un calcul biliaire », il est soudain devenu le vendéen « ouvert au sens de l’intersigne, du présage, des forces obscurs », le prédestiné incompris et Déroulède, même Déroulède, « en attaquant Clemenceau pour des raisons, à distance parfaitement injustes et même ridicules, ne se doutait pas que celui qu’il outrageait à tort … rendrait à la France l’Alsace-Lorraine et effacerait le traité de Francfort ». Seule la passion nationaliste habilite à réaliser ces merveilleuses voltiges. Cf. « Souvenirs politiques » Léon Daudet Ed. Albatros – Paris 1974 *** * DUPORC François (1858 – 1931) François Duporc, né de père inconnu, vint s’installer à Sens dans des conditions que nous ignorons et devint typographe. Marié à dix-huit ans, père de famille à vingt, on le trouve dès 1889/1892 en train d’organiser à Sens des syndicats de typographes, d’ouvriers en chaussures, de travailleurs du bâtiment, et un groupe socialiste allemaniste. Il s’acquit ainsi quelques solides amiriés et une réputation méritée de militantisme dans une classe ouvrière peu nombreuse et de structure artisanale : délégué au 6ème congrès national de la fédération française des Travailleurs du Livre qui se tint à Paris les 27/30 juillet 1892, il fut la même année candidat au conseil municipal sur la liste radicale-socialiste de Lucien Cornet et il obtint 385 voix. En 1896, il fut encore battu mais avec 926 voix, il avait presque triplé son audience. 12 Fervent allemaniste il avait, outre son caractère bourru, les traits essentiels du militant de ce courant original dans le mouvement ouvrier français. Passionné par le syndicalisme, confiant sans optimisme excessif dans l’éducation ouvrière, antimilitariste et hostile au milieu parlementaire jugé corrupteur, il fut ardemment attaché à l’autonomie des groupes et hostile à toute « doctrine », marxisme compris. Mais son tempérament autoritaire, son dévouement sans limite à l’œuvre commune qui devint « sa » chose, nuancent un type quasi classique : il fut « le patron », « le vieux serpent allemaniste », le travailleur qui mourra d’avoir perdu la direction de « son » journal. En décembre 1894, il joua un grand rôle dans l’orientation que prit le premier congrès des groupes socialistes et ouvriers de l’Yonne qui se tint à Tonnerre. Le congrès le désigna pour devenir l’administrateur gérant de « La Réforme sociale », après la démission de Picourt qui refusa de combattre les tendances socialistes modérées. Le journal disparut bientôt. En 1899, la fédération des travailleurs de l’Yonne, créée en 1897, songea à se donner un organe à elle. Duporc en fut élu à l’avance administrateur gérant au congrès fédéral qui eut lieu le 24 septembre 1899, deux mois avant qu’il fut délégué au congrès de Japy pour y représenter divers groupes socialistes et syndicalistes de l’Yonne. « Le Travailleur socialiste de l’Yonne » parut à partir du 30 mars 1900. Cet hebdomadaire allait créer un lien fraternel entre des hommes et des groupes dispersés dans un département assez vaste où les communications n’étaient pas toujours faciles. Duporc lui consacra sa vie. Il touchait pour ce faire 600 F. par an de la fédération. A partir de janvier 1902 ce salaire de permanent tombera à 300.F. Il faisait presque tout et exerça une censure, souvent discutée, mais dont il entendit conserver le contrôle, sur les articles qu’il recevait. L’effort énorme entrepris à partir d’août 1906 pour en faire un quotidien échoua, mais l’argent rassemblé permit d’acheter une imprimerie aménagée en coopérative ouvrière, où « Le Travailleur » s’installa et où Duporc travaillera, jusqu’en 1914, quatorze à seize heures par jour. Il dut ralentir ses activités syndicales. En 1911 cependant, il était encore président de la fédération des syndicats ouvriers de Sens. Son influence locale demeura telle qu’aucune présence ouvrière ne fut possible aux élections municipales sans son nom. Candidat en 1900 il obtint 783 voix. En mai 1908, pour la première fois, les socialistes présentèrent une liste indépendante : elle fut écrasée, mais avec 380 voix c’est encore Duporc qui arriva en tête et quoiqu’en 1912 aucun socialiste ne fut candidat, son nom sorti tout de même 67 fois des urnes. « Plus hervéiste qu’Herve », signataire en février 1906 de l’affiche antimilitariste, dépourvu de tout antécédent judiciaire – ce que regrettait fort le sous-préfet – Duporc resta fidèle à l’aspect révolutionnaire de la tradition allemaniste jusqu’après la guerre. Il opta en 1920 pour la Troisième Internationale et, au premier congrès fédéral qui suivit Tours, le 21 juin 1921, il fut élu directeur technique de l’imprimerie fédérale. Un conflit éclata bientôt : le 21 août, il fut exclus du conseil d’administration de la coopérative imprimerie ; il quitta alors semble-t-il, le P.C.F. en cours d’organisation et finira sa vie, douloureusement, prote dans l’imprimerie du journal de droite, « La Tribune de l’Yonne », fondé par son propre gendre, Camille Lancelin. Cf. Article de Madeleine Rebérioux « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » 13 FROMENT Luc, pseudonyme de LECLERC Lucien (1889 - ) Les parents, petits vignerons du Tonnerrois, placent leur fils, après études primaires améliorées d’un an d’école supérieure, comme commis chez le receveur des Contributions Indirectes de Tonnerre. La passion de lecture que l’enfant s’y découvre l’amène à entrer en apprentissage à « L’Avenir du Tonnerrois » - journal centre-droit – comme typographe. Les législatives de 1906 lui sont l’occasion d’adhérer à la fédération de l’Yonne de la S.F.I.O. Il y mène concurremment la reconstitution des jeunesses socialistes, la relance du « Pioupiou de l’Yonne » et une collaboration au « Travailleur socialiste de l’Yonne ». Malgré une atteinte sérieuse de tuberculose il développe une ardente campagne antimilitariste, inspirée de Gustave Hervé, par des causeries, des écrits et même une activité théâtrale, en collaboration avec trois troupes d’amateurs du département. Il est l’auteur de « L’Enfant », pièce à thème social jouée en 1907 par « L’Emancipatrice de Béru » (petit village du Tonnerrois). Maintenant connu sous le pseudonyme de Luc Froment – tiré du roman de Zola « Travail » - il est de 1908 à 1911 représentant de sa région au comité fédéral de l’Yonne. En 1912 le « benjamin » accède au secrétariat fédéral, en remplacement d’Hinglais (voir notice biographique) démissionnaire, et assiste à ce titre aux conseils nationaux du parti jusqu’à la guerre, y manifestant une attitude conciliatrice entre tendances. Non mobilisé en août 1914 en raison de son état de santé, son évolution politique apparaît désormais le terne reflet de celle d’Hervé. En octobre 1914 il publie à Sens un éphémère « Réveil socialiste de l’Yonne » de couleur très « Union Sacrée ». Versé dans l’auxiliaire par le conseil de réforme, il assure à la fois son service d’infirmier à Sens puis à Orléans et la poursuite de ses études jusqu’au brevet supérieur. Il demeure secrétaire de la fédération socialiste de l’Yonne, du moins jusqu’en novembre 1917, date à laquelle, sous la pression des minoritaires (voir Document M), il présente sa démission. Il poursuit néanmoins sa collaboration à la rédaction du « Travailleur », dans le plus pur style « jusqu’auboutiste ». Le 27 février 1918, dans un article intitulé « Moins que jamais » il confirme sa décision d’abandonner le secrétariat fédéral tout en revendiquant, cependant, « la liberté d’exposer ici mes opinions personnelles ». Après guerre, instituteur à Arcueil et à Paris, il poursuit des études d’histoire et obtient plusieurs certificats de licence. Enfin de 1921 à 1934, redevenu Lucien Leclerc, il joue un rôle important dans la rédaction de « La Tribune de l’Yonne », quotidien de droite lancé par son cousin, ancien typo, Camille Lancelin, aidé de Pierre Etienne Flandrin et du préfet du département. Pour mémoire signalons qu’en 1946, il publia avec G.E. Dulac uneapologie de son ancien maître : « La vérité sur Gustave Hervé ». Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (Article de Madeleine Rebérioux) *** 14 GERARD Georges (1883 – 1944) Georges Gérard fut en 1899 un des fondateurs de la première organisation de Jeunesses socialistes qui se constitua dans l’Yonne, lança le premier « Pioupiou », contribua ardemment à la vie de la fédération socialiste, organisa les premières tournées de conférences d’Hervé. Faisant en juilletaoût 1907 son autocritique dans « Le Travailleur socialiste de l’Yonne », il s’accusa d’avoir ensuite, au contact des Jeunes Gardes belges, cultivé des tendances favorables à l’anarchie et au mépris des anciens : en 1906 il multiplia les attaques contre les candidats socialistes aux élections législatives. Aussi était-il, pendant l’été 1907, lorsque le problème se posa de leur reconstitution, partisan de la réorganisation des Jeunesses socialistes de l’Yonne, mais sur d’autres bases. Installé à Toucy où le groupe subissait fortement l’influence du vieux Verluisant (E. Marcoux), il préconisait une organisation plus solide, sur une base au moins cantonale, et une attention plus vigilante portée aux questions financières. C’est dans ces conditions qu’au congrès du 27 octobre 1907 qui recréa, pour un an, la Fédération des Jeunesses, il en devint trésorier. Ses qualités d’organisateur et ses opinions qui s’étaient modérées assez sensiblement l’amenèrent à préconiser en 1908 la disparition dans le Parti de tout ce qu’il appelait les « canards de division » : « l’Action directe », « La Guerre sociale », « Le Prolétaire ». Il y avait là quelque audace, puisque « La Guerre sociale » était le journal d’Hervé fort aimé dans la fédération. Pourtant les propositions de Gérard, soutenues par une activité locale efficace, allaient dans le sens du courant. En 1911, il entra au comité fédéral pour y représenter les groupes de la deuxième circonscription d’Auxerre et, en janvier 1912, la fédération le désigna comme son représentant au conseil national de la S.F.I.O. Il allait pouvoir se mêler de plus près encore aux instances nationales de la vie politique : en mars 1913, il quittait l’Yonne pour la région parisienne. Devenu maire en 1919 du Kremlin-Bicêtre, conseiller général de 1931 à 1935, il fut accusé de collaboration avec les nazis pendant la deuxième guerre mondiale et exécuté à la libération. Cf. Article de Madeleine Rebérioux « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » *** * GUESDE Jules (1845 – 1922) Guesde garde toute sa vie la marque de l’éducation austère que lui a donné son père, fondateur d’un établissement d’enseignement secondaire. Après le baccalauréat et deux ans passés au ministère de l’Intérieur comme expéditionnaire, il s’introduit peu à peu dans la presse d’opposition de l’Empire finissant. Sans avoir participé à la Commune mais pour l’avoir défendue de sa plume il est condamné à cinq ans de prison et s’enfuit à Genève ; il y rencontre des exilés de tous horizons : 15 internationalistes, collectivistes, communistes, libertaires. Le 12 novembre 1871 il représente la section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste, qu’il a contribué à fonder, au congrès de Sonvilliers, dans le Jura bernois : pour but, la réorganisation de l’Internationale. Il proteste contre l’autoritarisme du Conseil général de Londres et de Karl Marx. Après un périple par Rome, Milan, la Suisse de nouveau, il revient en France, collabore aux « Droits de l’Homme », au « Radical ». Il rencontre Paul Lafargue ; les deux hommes vont en 1880 à Londres demander à Marx de cautionner le programme du Parti ouvrier. Commence une longue période au cours de laquelle Guesde va parcourir la France diffusant le marxisme et organisant le Parti Ouvrier Français – en 1911 un historien du socialisme mettait à son actif plus de 2000 conférences – le tout coupé de maladies, de condamnations, d’emprisonnements à Sainte Pélagie. En 1889 il représente le P.O.F. au congrès international de Paris qui accouche de la 2ème internationale (voir Aide-mémoire n°5) … Faut-il souscrire à la formule « Guesde éducateur et organisateur du prolétariat » placé sous le buste du prophète barbu par Georgette Sembat (voir notice biographique). La principale réserve qui peut être émise tient à sa sous-estimation du syndicalisme qu’il ne tolère qu’en annexe du Parti. Le prêche de Guesde est souvent demeuré sans écho, son influence perdure néanmoins dans la région Nord-Pas-de-Calais et dans les départements tels que l’Allier, l’Aube et la Marne. En 1893, dans la circonscription de Roubaix-Watrelos, il devance ses deux adversaires : un homme d’affaires, républicain opportuniste et un ouvrier chrétien traditionaliste. Son activité parlementaire est émaillée de propositions de lois : sur le recrutement des inspecteurs du travail, sur le droit de grève, sur la limitation du temps de travail. Il restera député de Roubaix jusqu’à sa mort mis à part son échec aux législatives de 1898 où le patronat du Nord avait réagi vigoureusement à la première percée du socialisme. Les fréquentes oppositions que la conjoncture politique provoqua entre Guesde et Jaurès demeurent intéressantes à plus d’un titre : elles aident à la connaissance des courants qui animaient le mouvement socialiste, à la compréhension des mentalités des militants. Ainsi, allié à Jaurès pour demander la révision du procès de Dreyfus, Guesde, qui a clairement combattu l’antisémitisme dans son manifeste électoral de 1898, s’en sépare profondément quand il signe avec Lafargue une adresse aux travailleurs affirmant qu’ »ils n’ont rien à faire dans cette bataille (l’Affaire Dreyfus) qui n’est pas la leur … que le Parti ne saurait sans duperie et sans trahison suspendre sa propre guerre ». Le désaccord dans l’analyse des rapports entre socialisme et état républicain est également patent dans ce texte de Guesde, peu antérieur au congrès d’unité de 1905 « La république est pour nous, comme pour Marx, le terrain idéal de la révolution parce qu’elle met en présence les classes dans leur antagonisme collectif et direct sans que leur lutte puisse être faussée par des calculs ou des manœuvres dynastiques. Et cette supériorité du régime républicain disparaîtrait si, comme le voudrait Jaurès, du fait même de ce régime existant, le prolétariat devait abandonner sa propre bataille, renoncer à faire sa République à lui pour s’immoler dans la défense de la République de ses maîtres ; ainsi entendue et pratiquée la République deviendrait le pire des gouvernements ». L’intransigeance de Guesde le conduit parfois au total isolement : le 31 mars 1910, seul député socialiste il vote contre la loi des retraites ouvrières et paysannes, y voyant un vol législatif 16 doublant le vol patronal et dénonçant dans la participation de l’Etat et du patronat le camouflage d’un prélèvement réellement subi par le prolétaire à la fois contribuable et salarié ; pour concrétiser sa position il propose peu après de substituer au prélèvement salarial le produit d’un impôt appliqué aux 257 000 familles propriétaires de la moitié de la fortune française. Son jugement concernant la grève générale : « Actuellement (1892), alors que sans effort, sans risque d’aucune sorte, il serait loisible à la classe ouvrière de voter pour elle-même, pour ses propres candidats … une minorité seulement a répondu à l’appel du socialisme. Qu’on juge, après cela, du temps qu’il faudrait pour que, au prix de son pain et du pain des siens… non seulement la majorité mais l’unanimité des salariés fut amenée à faire le vide autour des chantiers abandonnés ». En juillet 1914, au dernier congrès socialiste précédent la guerre, Guesde, fidèle à ses positions, prévoit l’échec de la grève générale face à la menace de conflit. En dépit de cette clairvoyante appréciation, la pensée et l’action de Guesde dans la lutte contre la guerre restent très en retrait de celles de Jaurès. D’abord il pense que « l’ère des grandes guerres européennes est close », que « les bourgeois ont trop peur d’une défaite qui se traduirait en révolution » ; ensuite sa dénonciation des dangers d’une grève générale, pour proche qu’elle soit de celle de la social-démocratie allemande, n’a pas la justification de la menace de l’autocratie tsariste fait régner aux frontières des empires centraux. Si l’attitude de Guesde au début de la guerre ne se distingue en rien de celle de l’ensemble des élus socialistes – le 27 août 1914 il accepte, en compagnie de Sembat, de parfaire l’image de l’Union sacrée en devenant ministre d’Etat – sa rigidité de doctrinaire et peut-être l’âge lui occultent les mutations qui bouleversent le mouvement socialiste. Il lutte contre la montée des « minoritaires », salue avec joie le renversement du tsarisme mais ne comprend pas cette révolution bolchevique qui prive les Alliés du concours militaire de l’armée russe. En1920, sa conviction de pouvoir réunir, à l’instigation de la S.F.I.O. et pour une conférence préparatoire, le Parti communiste russe, le Labour Party, le Parti ouvrier belge … donne la mesure de son incompréhension du nouveau paysage politique. Après le congrès de Tours, auquel il ne participe pas, il demeure fidèle à la « vieille maison ». Le 30 juillet 1922, le prestige de son nom regroupe au Père-Lachaise, le temps de ses obsèques, les membres d’une famille éclatée. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (Article de J. Raymond) *** * HERVE Gustave (1871 – 1944) Le sort gratifie le futur « général » de l’antimilitarisme d’un père sergent-fourier et d’un opiniâtreté qu’explique peut-être son origine brestoise. Remarqué dès l’école primaire, l’allocation d’une bourse 17 lui permet des études secondaires. Pion dans divers lycées, il prépare l’agrégation d’histoire et l’obtient en 1897. Professeur à Rodez puis à Alençon – villes peu réceptives aux écrits et aux discours antimilitaristes en ces années d’Affaire Dreyfus – Hervé arrive au lycée de Sens en 1899 et rencontre dans cette région un mouvement socialiste déjà solidement implanté. Hervé anime la campagne de refus de participation des élus socialistes au gouvernement. Pour ce faire il navigue du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (d’obédience allémaniste) au Parti socialiste français (né en 1901, qui se veut, avec Jaurès, « organisme de transformation sociale et de défense républicaine ») puis au Parti socialiste de France (créé en 1902, « parti de révolution et par conséquent d’opposition à l’Etat bourgeois », avec à sa tête Guesde). Délégué de l’Yonne au congrès de Paris d’avril 1905 et signataire de la charte du parti unifié, Hervé est élu à la première Commission Administrative Permanente (C.A.P.) de la S.F.I.O., où il siège jusqu’en 1911 puis pendant plus d’un an au début de la guerre. Porté par un mouvement antimilitariste latent il réussit, par son activité et par ses écrits dans le « Pioupiou de l’Yonne » et dans le « Travailleur socialiste de l’Yonne », à donner à ses thèses un rayonnement jusque là inconnu. Dans une motion qu’il fait adopter au congrès fédéral d’Auxerre (1905), puis qu’il défend lors des congrès nationaux de Limoges (1906) et de Nancy (1907), il résume sa position : « le devoir des socialistes de tous les pays est de ne se battre que pour instituer le régime collectiviste …Le congrès invite tous les citoyens à répondre à toute déclaration de guerre par la grève générale et l’insurrection ». En 1901 Hervé est révoqué à la suite de la publication du « Drapeau de Wagram », article dans lequel il avait donné libre cours à sa verve provocatrice : « Tant qu’il y aura des casernes, pour l’édification et la moralisation des soldats de notre démocratie, pour déshonorer à leurs yeux le militarisme et les guerres de conquête, je voudrais qu’on rassemblât, dans la cour principale du quartier, toutes les ordures et tout le fumier de la caserne et que, solennellement, en présence de toutes les troupes en tenue n°1, au son de la musique militaire, le colonel en grand plumet, vint y planter le drapeau du régiment ». Il entame alors des études de droit, obtient en 1905 son grade de licencié, s’inscrit au barreau de Paris et s’en voit aussitôt radié sur intervention de l’Ordre des avocats. En 1906, il lance « La Guerre sociale », journal de militant, vif, intéressant, souvent bien informé, qui atteint un tirage de 60 000 exemplaires vers 1910. Entre ses condamnation, ses séjours e prison, il stigmatise « le brigandage marocain » de la France, déclenche une manifestation houleuse lors de l’exécution du révolutionnaire espagnol Ferrer, exalte l’action directe, fouaille le groupe parlementaire, regrettant qu’ « on ne sente pas dans son action gronder les colères populaires ». En 1910 il prépare, à la fois dans « La Guerre sociale » et dans sa fédération de l’Yonne, la constitution d’un parti révolutionnaire et la sortie de la S.F.I.O. … sans emporter l’adhésion des militants. Sorti de prison en juillet 1912, un nouveau personnage se révèle. Aux propos cinglants sur les turpitudes du parlementarisme succèdent des interrogations désabusées : « Avec nos grands mots d’action directe ne sommes-nous pas, au point de vue révolutionnaire, petits garçons à côté des votards socialistes allemands ». Il ne s’arrête pas là ; début 1914, il préconise un rapprochement avec 18 le Parti radical-socialiste, recommande la participation ministérielle, repousse en juillet 1914 l’idée de grève générale contre la guerre. Son ralliement à l’Union sacrée ne le distingue en rien de l’ensemble de la direction du Parti socialiste, sa singularité est dans la fougue apportée à soutenir la politique de guerre, à dénoncer la « trahison » des minoritaires ayant participé aux rencontre de Zimmerwald et de Kienthal, à appuyer le ministère de Clemenceau. A dater du 1er janvier 1916 « La Guerre sociale » a adopté un titre plus conforme à son contenu : « La Victoire ». Son nationalisme, d’autant plus ardent qu’il est de fraîche date, provoque quelques remous dans le Parti socialiste : les fédérations de la Seine et de la Dordogne réclament au Conseil national, réuni le 9 avril1916, de contrôler l’action d’Hervé, quelques jours plus tôt la C.A.P., préoccupée de ses appels à la constitution d’une organisation dissidente lui en avait demandé explication, enfin, selon l’ « encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière » (dirigée par Compère-Morel), la fédération de l’Yonne procède à son exclusion du Parti lors de son 9ème congrès à Sens, le 22 octobre 1916. Assez curieusement ce rejet semble être resté confidentiel : en effet, à partir de juillet 1917 une polémique oppose le secrétaire fédéral de l’Yonne, Luc Froment, à divers groupes socialistes du département qui exigent l’inscription à l’ordre du jour du prochain congrès de l’exclusion d’Hervé (voir Document M). Quoiqu’il en soit, la dérive d’Hervé l’amène, la guerre achevée, à recommander une politique de châtiment à l’égard de l’Allemagne, à prôner pour la France une république autoritaire dégagée du parlementarisme (« C’est Pétain qu’il nous faut » paraît en 1935), à créer de fantomatiques partis de type « socialiste-national », puis à sombrer dans l’oubli. Pour la petite histoire signalons que le 17 juin 1940 reparaît le premier journal « occupé » : c’est « La Victoire » d’Hervé. Bien que l’inopportunité du titre ne joue là aucun rôle, la feuille ne connaît qu’une vie éphémère. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (J. Raymond et M. Rebérioux) *** * HINGLAIS Louis dit Hermann (1870 – 1948) Le père de Louis Hinglais, Ulysse, né à Bitche, et sa mère , Marguerite Denois de Fontchevreuil, une créole des Antilles françaises, étaient installés à Vendôme (lui était censeur au lycée) au moment de sa naissance. Toute la famille parti alors pour l’Algérie et Ulysse Hinglais devint proviseur du lycée de Constantine. C’est là que son fils fit ses études secondaires. Il revint ensuite en France, échoua à Polytechnique et se lia d’amitié, à Saint-Brieuc où il était répétiteur, avec Gustave Hervé. Son service militaire ne lui permit pas de dépasser le grade de caporal, encore fut-il cassé en raison de son excessive indépendance d’esprit. Il décida ensuite de poursuivre à Angers des études 19 de pharmacie au cours desquelles il se maria. Titulaire de son diplôme, il exerça quelques temps une gérance à Versailles, puis vint s’installer en 1903 à Sens, dans l’Yonne, sans doute sur la suggestion de Gustave Hervé. Il n’y était pas inconnu : « Le Travailleur socialiste de l’Yonne » publiait depuis août 1902 des articles signés de son nom sur la nécessité de municipaliser les services médicaux et pharmaceutiques. Sa vie professionnelle et militante s’épanouit alors. Faut-il penser, comme l’écrit à plusieurs reprises le sous préfet de Sens en 1908 et en 1910, qu’il avait de lourds antécédents « relevant de la Sûreté générale bien plus que de la politique » ? (Arch. Dép. Yonne III M 1/303). En tout cas son succès à Sens fut rapide. La « Pharmacie nouvelle » de la Grande-Rue qu’il fonda était très bien achalandée et, dès 1908, lui rapportait 12 000 à 15 000 F. par an. Il vendait diverses spécialités à plus bas prix que ses concurrents, fabriquait sous le nom de « réparateur Hinglais », une version bourguignonne de la Jouvence de l’Abbé Soury et trouvait rentable la grosse publicité qu’il faisait non seulement dans le « Travailleur socialiste », mais dans « L’Yonne » journal radical publié à Auxerre. Peut-être avait-il déjà auparavant adhéré au mouvement socialiste, mais nous n’en avons pas la preuve. A partir de septembre 1903, en tout cas, tout en participant à la vie de la fédération socialiste révolutionnaire autonome de l’Yonne, il fut un des rares anarchistes fiché du département, constamment surveillé par les Renseignements généraux qu’alertait peut-être particulièrement, il est vrai, un métier propice à la fabrication d’explosifs. « La plus belle barbe de la fédération », comme le nommait en 1903 son ami Gustave Hervé, était certainement encore plus proche des anarchistes que l’homme du « drapeau dans le fumier ». Extrêmement méfiant à l’égard des partis organisés, il s’opposa en 1904 à l’adhésion de la fédération au P.S. de France préconisé par Gustave Hervé. Il nourrissait en même temps à l’égard de Jaurès une haine opiniâtre qui éclatera lors de la controverse qui opposa Hervé à Jaurès lorsque celui-ci accepta en octobre 1905 de remplacer celui-là à la « Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur » : l’agressivité d’Hinglais était telle que la fédération dut finalement, en 1907, lui demander de cesser cette campagne. Après l’unité, sans jouer de rôle officiel dans la fédération, il continua à collaborer au « Travailleur socialiste », le plus souvent sous le pseudonyme de Hermann, inspiré des origines de la famille paternelle. Antipatriote, insurrectionnel, il fut naturellement parmi les signataires de l’affiche antimilitariste de février 1906. Il s’abstint jusqu’en 1908 de se faire inscrire sur les listes électorales. A partir de 1908, ses opinions évoluèrent : il se fit inscrire comme électeur à Sens, préconisa aux élections municipales la représentation proportionnelle qui conduisit les socialistes sénonais à la défaite et en tira des conclusions peu militantes : « Le peuple est assoiffé de servitude … Je me demande si ce n’est pas dix-huit années de propagande, d’efforts et de sacrifices perdus. Peut-on tirer malgré elle une collectivité d’une situation où elle se complait ? » (Travailleur socialiste, 9 mai 1908). Publiquement sollicité par les socialistes de l’Avalonnais d’être leur candidat aux élections législatives de 1910, pressenti également à Sens, il refusa, mais écrivit à Isidore Bonin le 12 janvier 1910 qu’il était à présent partisan de l’action parlementaire, mais peu soucieux de se faire « critiquer » dans l’Yonne pour ses origines bourgeoises. En 1911 il participa assez activement à la vie de la fédération, devint même pour quelques mois secrétaire fédéral et fut délégué au congrès national de SaintQuentin. 20 L’année 1912 le vit s’écarter définitivement du Parti, mais sans en faire une « question de doctrine », comme il l’écrivit dans une lettre ouverte publiée dans « L’Yonne » : il y expliquait que, s-il ne s’était pas présenté aux élections municipales de Sens, c’est que des « raisons personnelles » l’avaient amener à démissionner en janvier du groupe socialiste de la ville. Son évolution fut dès lors en avance sur celle de G. Hervé. En avril 1914 il fit encore savoir qu’il votait pour le candidat de la fédération de Sens, Jobert. Mais après la déclaration de guerre, il rompit complètement avec la Parti en invoquant la trahison des socialistes allemands. En 1922, il quitta Sens pour Epernay (Marne) où il continua ses activités professionnelles jusqu’en 1936. Il était devenu un lecteur assidu et enthousiaste de « L’Action française ». Il se retira à la fin de sa vie en Bretagne, près de Saint-Brieuc, Où G. Hervé continua à venir le voir. Cf. Article de Madeleine Rebérioux « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » *** Précisions sur l’attitude d’Hinglais durant la guerre de 1914 – 1918 : Sa rupture avec le Parti socialiste ne prive pas Hinglais de la tribune du « Travailleur » pour exprimer ses nouvelles convictions. Ainsi dans le numéro du 30 juin 1917, une troisième lettre ouverte au député Jobert, suite d’une longue polémique, permet d’apprécier ses positions du moment et ses orientations. Après avoir rappelé les impératifs majeurs : « la nécessité de l’Union sacrée devant le monde … les poilus ne doivent pas avoir l’écho de divisions internes … après trois ans d’épreuves il ne faut pas que le bateau sombre » ; une phrase, fort révélatrice, précise : « Nos députés devraient comprendre qu’élus en temps de paix internationale, mais d’hostilités intérieures entre partis politique qui se haïssaient et se déchiraient ils ne représentent pas l’opinion publique actuelle de la France et cette conviction devrait les rendre plus modestes, moins agités à la chambre, plus attentionnés aux intérêts généraux du pays, plus conscients du rôle qu’ils auraient à jouer, rôle utile et fécond entre tous : celui de remonter le moral des populations quand il fléchit et par elle (sic) des combattants ». Suit l’ordre de ne pas laisser s’infiltrer des bruits suspects, tels : Poincaré a provoqué la guerre, le peuple allemand est innocent des crimes de sa caste militaire, un parti peut aller à Stockholm s’entretenir avec des pacifistes « ennemis », notre victoire est impossible, la guerre pourrait être arrêtée immédiatement par une négociation. La lettre s’achève sur une injonction donnée à Jobert d’avoir à « parcourir sa circonscription pour soutenir le moral … dénoncer les crimes allemands … demander l’expiation du peuple allemand tout entier … proclamer qu’ils (les socialistes) se sont trompés en croyant que le peuple allemand ne voulait pas la guerre ». *** * 21 JAURES Jean (1859 – 1914) Né à Castres d’une famille appartenant à la bourgeoisie urbaine, d’une famille où les carrières militaires sont nombreuses, Jaurès présente dès l’enfance des qualités intellectuelles alliées à la générosité et à l’enthousiasme. Entré en 1878 à l’Ecole normale supérieure – il y gardera toute sa vie des attaches profondes – il est reçu en 1881 à l’agrégation de philosophie, troisième, derrière Bergson. Professeur au lycée d’Albi depuis 1881, Jaurès, qui pour l’heure a une position de républicain ferryste, va entamer une exceptionnelle évolution politique avec sa participation et son succès aux législatives de 1885. Plus tard, se souvenant du jeune député fort de sa culture, de son éloquence et de sa conviction républicains, il écrira : « Dans les esprits ainsi préparés, les informations les plus subtiles parfois et les plus profondes se juxtaposent aux plus singulières ignorances ». Ce qui va lentement l’amener au socialisme c’est sa répugnance à l’égard du modèle de réussite sociale que propose la bourgeoisie : le goût de l’argent et du pouvoir y prime le plus souvent l’imagination politique et l’efficacité réformatrice. Très attaché aux droits individuels proclamés par la révolution française mais sensible aux restrictions qu’y apporte la compétition effrénée du capitalisme, il apprécie en Marx, qu’il cite à dater de 1890, un très grand critique des « sophismes du libéralisme » tout en refusant sa critique de l philosophie : pour Jaurès « les évènements découlent des idées, l’histoire découle de la philosophie ». Plus que la connaissance des classiques du socialisme, qu’il s’agisse de Louis Blanc, de Proudhon, de Lassale, de Malon, plus que l’intérêt qu’il porte au développement de la social-démocratie allemande, c’est la découverte de la classe ouvrière et de ses luttes qui déterminera son cheminement. S’il considère d’abord comme une « revendication de justice » sa participation à la défense des mineurs, des verriers, des employés des tramways, c’est avec la grande grève des mineurs de Carmaux, d’août à novembre 1892 – le marquis de Solages tout à la fois maître de la mine et député de la circonscription n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres du cumul des pouvoirs politique et social – que s’imposent à lui et la reconnaissance du conflit de classes et la nécessité d’une organisation propre au prolétariat. La période 1893 – 1897, pour Jaurès qui n’est inscrit à aucun parti, est marquée par des collaborations avec les milieux étudiants (de « L’Ere nouvelle » et de « Jeunesse socialiste »), avec les milieux paysans (en 1897 à la Chambre interpellant Méline sur son programme agricole, il analyse les rapports de classes de la société rurale et en dégage la nécessité de l’union active du prolétariat et de la « démocratie rurale »), avec le prolétariat combatif (la grève des verriers de Carmaux en 1895, suivie de la création de la Verrerie ouvrière d’Albi en 1896, lui sont occasions de découvrir les rouages des répressions policière, judiciaire, politique et économique, et sujet de réflexion sur les liaisons des actions syndicale et politique, sur les nécessités et les limites du réformisme). Sa participation aux travaux de l’Internationale, lors du congrès de Londres de 1896, nous montre un Jaurès soucieux de convaincre les militants obnubilés par la lutte syndicale de la nécessité d’une activité parlementaire complémentaire. Sa découverte des liens entre forces répressives de l’Etat et du patronat (expérience de Carmaux), Son éviction du « Matin » (n’a-t-il pas dénoncé les dangers de la diplomatie secrète et de la 22 soumission de la France aux intérêts russes),son inquiétude devant les manifestations de haine qui accompagnent le déroulement de l’Affaire Dreyfus (il évolue d’une abstention à la Guesde à la participation active pour la révision du procès), enfin son échec aux législatives de 1898 devant le marquis de Solages, l’amène à la double conviction qu’il faut réaliser l’unité du mouvement socialiste et pénétrer profondément dans l’appareil d’Etat pour compléter de victoires sociales les acquits juridiques de la révolution. C’est d’ailleurs l’époque où, profitant de son éviction du parlement, il participe à la rédaction de « L’Histoire socialiste » dont il assurera jusqu’en 1903l’elaboration des volumes consacrés à la révolution de 1789. Réélu en 1902, il devient une des figures marquantes de la politique combiste. L’intérêt apporté aux épisodes de la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’éloigne pas Jaurès des luttes ouvrières : aide aux mineurs de Carmaux en octobre 1902, participation à la commission d’enquête constituée à la suite de la grève des ouvriers du textile de la vallée de la Lys. Privé depuis décembre 1903 d’un organe de propagande – il abandonne à cette date toute participation à la rédaction de « La Petite République » dont la gestion commerciale lui paraît suspecte – il prépare avec l’aide de Herr, Lévy-Bruhl, Blum, le lancement d’un nouveau quotidien : le premier numéro de « L’Humanité » paraît le 18 avril 1904 (voir le dossier Presse). Au cours de cette même période la préoccupation unitaire, qui fermente dans les multiples rameaux du mouvement socialiste, va s’exprimer avec vigueur au congrès international d’Amsterdam, en août 1904 : Jaurès s’oppose dans une controverse ardente à Bebel et à Guesde, il s’attache notamment à montrer l’importance décisive d’un syndicalisme autonome. Bien que sa tactique n’ait pas été retenue, Jaurès, tout comme Vaillant et Guesde, approuve l’appel à l’unité : elle sera enfin réalisée le 24 avril 1905 au congrès du Globe. Dès 1905 Jaurès propose au bureau de l’Internationale l’étude des mesures que chaque parti et l’Internationale elle-même doivent appliquer pour empêcher la guerre. Au congrès de la S.F.I.O., en novembre 1906, il soutient la motion de Vaillant qui, répondant à la même inquiétude, préconise l’emploi de tous moyens, jusqu’à la grève générale et à l’insurrection. L’année suivante, à Stuttgart (voir aide-mémoire n°6), Jaurès recommande cette solution ; s’il ne parvient pas à convaincre la délégation allemande, il réussit à cibler sur sa personne la vindicte de la droite, des modérés et de la quasi totalité des radicaux. Cette préoccupation de la défense de la paix qui ne va plus quitter Jaurès s’inscrit dans une volonté générale d’animer et d’organiser les forces populaires : il ouvre dans les colonnes de « L’Humanité » une tribune libre à la C.G.T., il tend à son renforcement par l’adhésion de grandes fédérations comme celle des mineurs, il contribue au regroupement des coopératives. Son influence grandissant, il préside de nombreux congrès fédéraux, même dans des départements où dominent guesdistes et blanquistes ; il devient le porte-parole du groupe parlementaire dans d’importantes commissions : armée, suffrage universel, budget ; il participe en outre à l’activité de nombreux organismes, tel ce comité pour le suffrage des femmes. L’universalisme de la pensée de Jaurès n’est pas que le produit d’une démarche intellectuelle mais aussi celui de multiples échanges nés à l’occasion : d’une tournée de conférences en Amérique latine en 1911, de la participation aux réunions du bureau socialiste international, de rencontres parisiennes avec la communauté des exilés russes. C’est lui qui conduit la manifestation parisienne au 23 lendemain de l’assassinat de Ferrer en 1909, c’est lui qui intervient en faveur de Savarkhar (Inde), c’est lui qui entretient des relations avec les leaders Jeunes Turcs, c’est encore lui qui, tant à la Chambre que dans ses articles de « L’Humanité », interroge sur la conscience nationale des peuples colonisés et sur le respect de leur indépendance ; il votera contre le protectorat français au Maroc. En novembre 1910 Jaurès dépose à la Chambre un commentaire à un projet de loi. Ce texte publié sous le titre « L’Armée nouvelle » est le fruit de ses réflexions depuis le congrès d’Amsterdam, de ses relations avec le capitaine Gérard (chroniqueur à « L’Humanité » de 1907 à 1909) et de ses travaux à la commission de l’armée. L’importance accordée aux réserves – en totale opposition aux thèses de l’Etat-major - à l’intégration des masses à la défense nationale et à une politique étrangère résolument pacifique, caractérise l’ouvrage. « …l’inquiétude qui commence à s’emparer de lui devant la folie du monde, devant le refus qu’oppose la bourgeoisie française aux changements nécessaires et l’impuissance d’un prolétariat insuffisamment organisé en France, insuffisamment révolutionnaire en Allemagne … » (Madeleine Rebérioux) vont être les obsessions de ses dernières années. L’année 1913 a amené un nouveau ministère Briand et Poincaré à la présidence. Le briandisme, que Jaurès n’a cessé de dénoncer depuis 1909, se révèle comme un mouvement de droite, bienveillant aux imprudences nationalistes. Pendant quatre mois Jaurès va lutter contre le projet de la loi de trois ans (voir Aide-mémoire n°1) présenté le 6 mars par Briand à la Chambre. Il parvient à décider Jouhaux à participer au grand meeting du Pré Saint Gervais, le 25 mai. En dépit des accusations guedistes de vouloir reconstituer le Bloc des gauche Jaurès suit avec sympathie l’évolution d’une partie des radicaux qui prennent en octobre un nouveau président : Caillaux est hostile à la loi de trois ans. La première moitié des années 1914 est marquée par des victoires socialistes : les élections législatives de mai, au cours desquelles les désistements avec les radicaux ont été déterminés par une commune opposition aux trois ans et par un accord de principe sur l’établissement d’un impôt sur le revenu, donnent à la S.F.I.O. une trentaine de sièges supplémentaires ; une conférence parlementaire franco-allemande réussit à se tenir à Berne fin mai ; le congrès national de Paris des 14/16 juillet adopte le mot d’ordre de « grève générale simultanément et internationalement organisée » contre la guerre. Mais tous ces signes encourageants ne peuvent compenser l’abdication du recours à l’intelligence que Jaurès constate chez tant de gens, d’amis parfois : la frénésie nationaliste n’a-t-elle pas conduit Péguy à le menacer de la guillotine ? Le soir de l’ultimatum autrichien à la Serbie, le 25 juillet, il dénonce la responsabilité de tous les gouvernements et de tous les peuples prêts à s’engager dans le massacre. Les 29 et 30, à la réunion du Bureau socialiste international convoqué d’urgence à Bruxelles, il lutte pour susciter la résistance à la guerre qui vient, il lutte contre la résignation à l’inévitable ; son discours : « Attila trébuche » le dit assez. De retour à Paris, le soir même, il convainc une délégation du bureau confédéral de la C.G.T. de retarder jusqu’au 9 août une manifestation : Ce jour doit s’ouvrir à Paris le 10ème congrès de l’Internationale, la conjonction des deux forces est prometteuse. Le 31 juillet, à l’annonce de la mobilisation autrichienne, il demande à être reçu d’urgence par le Président du Conseil ; faute de l’être il avertit le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Abel Ferry : « Vous 24 êtes victimes d’Isvolsky (ambassadeur de Russie à Paris) et d’une intrigue russe, nous allons vous dénoncer ministres à la tête légère, dussions-nous être fusillés ». De retour à « L’Humanité » il annonce qu’il va écrire l’article décisif. Le coup de feu de Villain ne lui en laisse pas le temps …la figure de Jaurès se fige en statue qui marque l’aube de notre siècle, l’entrée dans l’ère des grands massacres. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (Article de Madeleine Rebérioux) *** * JOBERT Léopold dit Trébo (1869 – 1942) Né à Paroy (Yonne), petit village de la vallée d’Othe, de parents ouvriers agricoles. Après l’école primaire il entre en apprentissage à la très cléricale imprimerie Duchemin à Sens. Il rencontre des camarades typographes de la région, tel François Duporc qui devit constituer le premier noyau socialiste. Il suit le cours du soir à l’école de la rue Thénard et étudie la musique à « L’Harmonie ». A la suite d’un conflit avec son patron il retourne à la terre et connaît l’état d’extrême pauvreté et de dépendance qui était la règle pour les ouvriers agricoles. Bûcheron, il publie en 1894 dans « Le Mandat impératif » à Auxerre, une série d’articles : « Les bûcherons de la forêt d’Othe » (le début de la décennie 1890/1900 est marquée par le déferlement de grèves dans les régions forestière voisines de la Nièvre et du Cher). Emigré à Paris, il trouve un emploi à la Cie Parisienne du Gaz. Partagé entre un antiparlementarisme profond et une sorte de vénération portée au socialisme, il mène de 1905 – date à laquelle il adhère à la S.F.I.O. – à 1914 son activité de socialiste et de syndicaliste à la fois à Paris et dans l’Yonne. Il collabore au « Travailleur socialiste de l’Yonne » dès 1905 et à « La Guerre sociale » d’Hervé à partir de 1907. Il est candidat unifié en 1906 dans la circonscription de Joigny, candidat socialiste-révolutionnaire à Sens en 1909. Désigné comme candidat de l’arrondissement de Sens pour les législatives d’avril 1914 il organise une prospection systématique des campagnes y tenant réunions les samedis et dimanches libres que lui laisse son emploi. Le programme présenté porte notamment sur : la réduction des dépenses militaires, le retour au service de deux ans, le rapprochement franco-allemand avec règlement de la question d’Alsace-Lorraine, la suppression du Sénat, la défense de l’école laïque et l’institution d’un impôt sur la fortune. Il ramasse plus de voix que son adversaire Javal, radical de droite, très fortuné, ce qui lui vaut cette exclamation de Jaurès : « Ah ! Jobert, combien j’ai été heureux de votre élection ; c’est bien le paysan qui a battu le châtelain ». Toujours méfiant à l’égard de la majorité du groupe parlementaire il participe néanmoins, la guerre venue, à l’unanimité au sein de l’Union sacrée. Mais en 1915 il s’oppose avec quinze collègues 25 à l’entrée du socialiste Albert Thomas au gouvernement ; en décembre 1916 il signe une circulaire de la minorité socialiste refusant de « laisser prolonger en guerre de conquête la guerre de défense nationale ». A partir de 1917 il change mystérieusement de camp, condamne, au côté de Compère-Morel, l’adhésion à l’appel des socialistes scandinaves et russes pour la réunion de la conférence internationale de Stockholm. Il s’éloigne du groupe socialiste, prône la guerre à outrance et une paix de châtiments. Après la guerre, au cours d’expériences diverses il s’enfonce peu à peu dans les marécages politiques qu’il avait tant dénoncés. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (Article de J. Raymond et M. Rebérioux) *** * JOUHAUX Léon (1879 – 1954) Les années de formation de Jouhaux présentent des caractères commun à bien des biographies de sa génération : tradition familiale, soif de connaissances, fascination de la lecture. Derrière lui, un grand-père fusillé au lendemain des journées de juin 1848, un père tambour sous la Commune échappé de justesse à la répression des versaillais ; devant lui, la perspective, ouverte par ses instituteurs, de la préparation des « Arts et Métiers » et l’attrait, plus immédiat, de la bibliothèque du groupe libertaire d’Aubervilliers. L’épidémie de cholérine de 1892, atteint son père , cause la mort de son beau-frère : son salaire devient indispensable à la survie de la famille. Il doit quitter l’école Colbert comme il devra, en 1893, abandonner l’école Diderot, après avoir passé, avec succès, l »examen d’entrée. A seize ans il participe à la grève de la Manufacture d’allumettes où il a été embauché depuis peu : l’objet en est l’emploi du phosphore blanc, cause d’une maladie professionnelle grave. En 1905, après divers incidents qui provoquent son licenciement de la Manufacture et le contraignent à exercer divers métiers – il met à profit cette situation pour créer un syndicat d’ouvriers non qualifiés – il entre au Comité national de la C.G.T. au titre de représentant de la Bourse du travail d’Angers (ce, en raison des relations privilégiées existant entre les ouvriers des manufactures d’allumettes de Trélazé et d’Aubervilliers). Peu après, sa réintégration à la Manufacture d’Aubervilliers lui permet d’y assurer également la représentation de la fédération des allumettiers. La C.G.T., créée en 1895, est encore le lieu d’affrontement entre « révolutionnaires » et « réformistes », d’opposition entre des conceptions syndicales accordant la primauté à l’activité, soit des Bourses du travail, soit des fédérations de métiers. Favorable aux thèmes des « révolutionnaires », à savoir : action directe, antimilitarisme, méfiance à l’égard de l’action parlementaire, Jouhaux manifeste néanmoins une réserve qui lui vaut, sans doute, d’être élu 26 secrétaire de la C.G.T. en juillet 1909. De cette date à 1914, les positions de Jouhaux peuvent paraître ambiguës : il préconise une solide organisation syndicale, insiste sur l’action économique, s’oppose en 1913 au déclenchement d’une grève générale contre la « loi de trois ans », se refuse à inféoder le mouvement syndical tout parti politique ; des voyages en Allemagne et en Angleterre l’amènent à « relativiser » l’influence du syndicalisme français. A la veille de la guerre, devant le risque d’application du « carnet B » (voir Aide-mémoire n°13), la plupart des membres du Comité confédéral envisagent de chercher refuge soit chez des amis inconnus de la police, soit même à l’étranger. Après un manifeste confédéral d’une grande prudence, le 29 juillet 1914 – Jouhaux en a la paternité – le Comité confédéral à l’unanimité se prononce, le 1er août, contre la grève générale en cas de guerre, prônée cependant par tous les congrès de la C.G.T. Le même jour, le ministre de l’intérieur, Malvy, prend contact avec Jouhaux et, contre l’assurance que les syndicalistes ne s’opposeront pas à la mobilisation, s’engage à faire libérer les quelques militants incarcérés sur ordre de préfets trop zélés. Le 4 août, aux obsèques de Jaurès, Jouhaux déclare : « Au nom de ceux qui vont partir et dont je suis, je crie devant ce cercueil que ce n’est pas la haine du peuple allemand qui nous poussera sur les champs de bataille, c’est la haine de l’impérialisme allemand ». Dès le lendemain, Jouhaux bénéficie d’un sursis d’appel sur intervention probable d’Albert Thomas ; bientôt, en relation étroite avec celui-ci, il consacre articles et campagnes de revendications aux problèmes liés à la mobilisation industrielle. L’affaiblissement du mouvement syndical, les conditions de guerre, rendent difficile la réunion de congrès. La C.G.T. tient des conférences nationales à Paris en août 1915 et décembre 1916, à Clermont-Ferrand en 1917, où Jouhaux se heurte à une vigoureuse minorité, hostile à son orientation réformiste. En juillet 1918, pour éviter l’éclatement qu’annonçait la tenue d’un congrès « minoritaire » au printemps, Jouhaux réunit un congrès confédéral à Paris les affrontements préludent à la scission de 1922 et à la création de la C.G.T.U. Jouhaux, par sa participation à toutes les conférences ouvrières interalliées tenues en Angleterre au cours de la guerre, par ses tentatives de rapprochement entre mouvements syndicaux américains et européens, par ses propositions d’assortir les traités de paix de clauses « ouvrières », acquiert une réputation internationale qui va lui permettre, après guerre, de trouver dans le Bureau International du Travail une seconde maison. Sans aborder la phase postérieure à 1918, ici hors sujet, empruntons à son biographe B. Georges cette appréciation : « juillet 1909-août 1954 … les deux guerres mondiales, la grande crise économique, trois scissions et deux réunifications syndicales : aucun chef syndicaliste français ou étranger n’a connu une carrière comparable à celle de Jouhaux qu’il s’agisse de la durée et surtout de l’importance des responsabilités assurées. Témoin, acteur, symbole ou cible de toute une époque de l’histoire de son pays et du mouvement ouvrier, il incarne le syndicalisme français de la première moitié du XXème siècle avec ses forces et ses faiblesses ». Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (Article de B. Georges) 27 JUVENTY Gaston (1881 – 1914) Né douze ans avant mon père, Gaston Juventy a dû, si j’accorde foi aux échos de conversations familiales saisies dans l’enfance, être un aîné bienveillant : il s’efforça d’atténuer le désaccord entre son jeune frère et leur père et de remédier à l’isolement intellectuel et affectif dont souffrait son cadet. Il lui faisait parvenir journaux et revues et dut, pour une bonne part, contribuer à orienter ses premières curiosités politiques. J’imagine sans effort le bon élève qu’il fut de cette première génération formée par l’école laïque ; l’idéologie républicaine vient à point combler le vide laissé par la déchristianisation, déjà profonde à cette époque aux confins du Loiret et de l’Yonne. Au lendemain du certificat d’études les travaux de la terre, chez ses parents puis en louage, n’éteignent pas l’intérêt qu’il prend à la lecture. Divers recoupements me permettent d’avancer qu’il fut dès avant 1908 – année où, ayant trouvé un emploi au métro, il vient s’installer à Paris, avenue Tailhade dans le 20 ème – en relation avec les groupes socialistes de sa région. De sa vie à Paris, de son activité militante jusqu’au jour d’octobre 1914 où il fut tué par un éclat d’obus près de Varennes en Argonne, je n’ai pu recueillir que deux épaves : - un petit organe de défense républicaine et laïque, « Sens républicain », avait été lancé à l’occasion des élections municipales de mai 1935 ; mon père y participait par de courts billets, série d’esquisses railleuses sur le cheminement insolite de certains ex-socialistes. D’un de ces « Destins hors-série » je détache cette phrase : « Avant la guerre mon frère, qui fréquentait les milieux socialistes et syndicalistes, me parlait d’un militant d’extrême gauche plein d’avenir, Pierre Laval ». - une photo de groupe, une soixantaine d’hommes et de femmes devant les plis d’un drapeau rouge. Derrière, un gros poteau sur lequel on parvient à lire, à la loupe : Les Grandes Ventes. Au dos de la photo : Mon vieux Lucien, je t’envoie un souvenir d’une promenade en forêt de Chantilly avec le groupe des originaires du Puy-de-Dôme du Parti socialiste S.F.I.O. Je sui dans le bas, avec l’Humanité à la main, à côté de la sœur du camarade Bimbard dont je t’ai déjà parlé. C’est tout ! *** * LEGROS Gaston ( ? - ?) A été délégué par lé fédération du Loiret au congrès national du Parti socialiste tenu à Brest en mars 1913. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » 28 LEVY Gaston (1882 – 1944) Bien que né à Nancy, Gaston Lévy eut une enfance parisienne. Ecolier puis étudiant au collège Rollin jusqu’à l’âge de seize ans, il devint employé de commerce, puis de banque. Fondateur du syndicat des travailleurs de la banque, il fut son délégué au comité confédéral de la C.G.T. Du 16 au 23 septembre 1912, il représenta au Havre les employés de la région parisienne, au XVIII ème congrès national corporatif (12° de la C.G.T.). G. Lévy, qui était membre du Parti socialiste, intervint sur les rapports Parti-Syndicats et déclara : « Notre résolution … sera, je l’espère, la continuation de celle d’Amiens, et nous permettra de mener l’action que nous voulons mener sans vouloir être ni des suspects ni des gens qui veulent englober les autres ». Ce qu’il faut, c’est « maintenir l’autonomie de deux forces en présence » (cf. compte rendu, pp. 134-135). Ainsi que son frère Paul, Gaston Lévy appartint également vers 1907, au chantier du XIII° arr. de la Chevalerie du Travail française. Entré dans le mouvement socialiste en 1899, délégué de l’Ain au congrès de Lyon (1901), Gaston Lévy fut au P.S.F. et après 1905 à la S.F.I.O. un militant actif de la fédération de la Seine qu’il représenta à maints congrès nationaux : Châlons-sur-saône (1905), Nancy (1907), Toulouse (1908), Nîmes (février 1910), Paris (juillet 1910), Saint-Quentin ( 1911), Lyon (1912), Brest (1913) et Amiens (1914). Mais son action débordait la capitale et il lui arriva de porter aussi les mandats des fédérations provinciales comme le Loiret et la Meurthe-et-Moselle à Amiens. En considération de cette activité et de ses qualités oratoires, le Parti socialiste fit de Gaston Lévy son délégué permanent à la propagande en 1912. Deux années plus tard, il était secrétaire de la fédération socialiste de la seine. En 1923, il appartenait au conseil d’administration et de direction du Populaire. Mais son activité alla également à la coopération à laquelle il s’était toujours intéressé, participant, dès avant 1914, aux délibérations de la bourse des coopératives socialistes. La biographie de G. Lévy sera reprise et complétée (période 1914-1939). En attendant cette précisons que G. Lévy a été assassiné le 24 juilet 1944 par la Milice et la Gestapo à Guerry près de Bourges. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » *** * LIEBKNECHT Karl (1871 – 1919) En janvier 1912 les élections au Reichstag ont été un énorme succès socialiste : 4 250 000 voix, près de 35% des suffrages, 110 élus. A la veille de la guerre le parti compte plus de 1 000 000 d’adhérents. Cette façade prospère couvre bien des ambiguïtés inquiétantes. Sur le terrain des relations internationales, le seul qui nous intéresse ici, les divisions latentes sont profondes. Le congrès international de Stuttgart (1907), le premier qui se tienne en Allemagne, centre ses travaux sur les 29 problèmes de défense nationale et sur l’attitude à observer en cas de conflit, mais accouche d’une motion finale nègre-blanc. Il faudra toute la conviction de Rosa Luxembourg et du délégué russe, Lénine, pour que soit ajouté ce passage : « Si la guerre éclatait tout de même, le devoir consistera à utiliser la crise économique et politique créée par la guerre pour réveiller le peuple et pour accélérer ainsi la suppression de la domination capitaliste. » Cet additif ne souleva aucune passion. Jusqu’à la guerre la majorité social-démocrate allemande reste fidèle à la notion de défense nationale qui lui paraît justifiée par la menace de l’autocratie tsariste. La minorité révolutionnaire, où se détachent les figures de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, dénonce les dangers grandissants du militarisme et de l’impérialisme. La connaissance superficielle des questions relevant de l’évolution du monde capitaliste et l’absence de projets politiques précis amèneront la social-démocratie allemande, à l’égal des autres partis socialistes européens, à rejoindre, la guerre venue, le « burgfrieden », reflet quasi parfait de l’ « Union sacrée » française. Liebknecht, le 4 août 1914, lors de la consultation qui précède le vote des crédits militaires, préconise le refus du groupe socialiste, puis, conscient de la faiblesse numérique de sa tendance et du risque d’éclatement du parti, en une période de nationalisme exacerbé, il finit par voter les crédits. Devant la prolongation de la guerre et l’agitation pangermaniste il s’opposera, seul, à une seconde demande de crédits en décembre 1914. Un an plus tard, les opposants sont déjà vingt. Dès lors le processus de scission est engagé : l’extrême gauche forme le groupe Spartacus en janvier 1916 ; en janvier 1917 les parlementaires exclus du parti en raison de leur refus de voter les crédits militaires fondent avec leurs partisans, à Gotha, le Parti socialiste-démocrate indépendant. Tous les partis socialistes des pays belligérants connaissent des déchirements analogues. Les conférences internationales de Zimmerwald, en septembre 1915 (voir Aide-mémoire n° 30) et Kienthal, en avril 1916, auxquelles participent les opposants appartenant aussi bien aux pays de l’Entente qu’au puissances centrales, vont permettre la confrontation des diverses tendances en voie d’élaboration. Les débats portent notamment sur le programme « de rupture radicale avec sociaux-chauvins et sociaux-pacifistes et d’action révolutionnaire violente en temps de guerre » préconisé par Lénine. Quand, au début de novembre 1918, les ordres suicidaires donnés à la flotte déclenchent une mutinerie, bientôt soulèvement du pays tout entier, puis abdication de Guillaume II et la proclamation de la république, « la droite de l’ancienne social-démocratie aborde aux rives du pouvoir et la gauche aux tremplins de la révolution, dans les pires conditions imaginables ». Les anciens maîtres de l’Empire vont abandonner aux « majoritaires » sociaux-démocrates la responsabilité des décisions les plus impopulaires : l’acceptation des traités de paix, la répression du mouvement révolutionnaire. Plus tard ils sauront développer la légende du »coup de poignard dans le dos ». Les « majoritaires », par aveuglement et attrait pour les solutions d’ordre et de force, vont faire appel à des volontaires d’origine bourgeoise, réactionnaires et nationalistes, pour grossir les restes de l’ancienne armée et écraser le nouveau soulèvement du 10 janvier 1919, tenté par les « spartakistes » sur le modèle de l’ « octobre » russe. 30 L’assassinat bestial de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg au cours de la répression ouvrit dans la gauche un abîme de haine. La social-démocratie au pouvoir ne retrouva jamais la large adhésion populaire de janvier 1912. Cf. « Histoire de la social-démocratie allemande » Joseph Rovan. Ed. Seuil. Paris 1978 *** * MALVY Jean (1875 – 1949) C’est des rangs du Parti radical-socialiste qu’est issu Malvy quand il entre à la Chambre, en 1906. Après une phase préparatoire en qualité de sous-secrétaire d’Etat il devient, en 1913, ministre du Commerce du cabinet Doumergue, puis le 13 juin 1914, reçoit le portefeuille de l’intérieur dans le cabinet Viviani ; il le conserve jusqu’au 31 août 1917. Au lendemain de l’assassinat de Jaurès il obtient de Léon Jouhaux, secrétaire de la C.G.T., la promesse que les organisations syndicales ne feront pas obstacle aux opérations de la mobilisation générale, et ce, contre l’engagement de faire libérer les militants incarcérés, victimes de l’ardeur intempestive de préfets pressés d’appliquer le « carnet B » (voir Aide-mémoire n°13). En mai-juin 1917 l’Etat-major ne veut voir à l’origine des mutineries de soldats, non les vains massacres de l’offensive Nivelle, mais que le travail de désagrégation du moral des troupes mené par des organisations pacifistes occultes, tolérées par les pouvoirs publics. En ces circonstances, Malvy a le double tort : de soutenir Nivelle lors du conseil des ministres du 10 mai 1917 qui décide de la démission du général pour le remplacer par Pétain et, surtout, d’avoir prêté une oreille favorable au projet, sans lendemain, d’envoi de délégués socialiste à la conférence de Stockholm (voir Aidemémoire n°46). Pendant l’été 1917 Clemenceau mène une vigoureuse attaque contre les forces pacifistes, qu’elles soient bourgeoises, avec Caillaux, ou ouvrières. Il n’avait pas pardonné l’abandon de l’application du « carnet B » par Malvy, en 1914 ; l’affaire du « Bonnet rouge » (voir Aide-mémoire n°42) va lui fournir l’occasion de l’éliminer. Au cours de l’enquête qui suit l’arrestation d’Almereyda il est établi que le directeur du « Bonnet rouge » avait reçu quelques subsides provenant des fonds secrets du ministère de l’intérieur. Malvy n’a pour défense qu’une vérité mauvaise à dire : l’infiltration dans les milieux de gauche est un très vieux moyen gouvernemental de contrôle. Contraint à démissionner, le 31 août 1917, par une campagne de presse où se déchaîne l’ »Action française », qui l’accuse d’intelligence avec l’ennemi, il est acquitté de ce chef d’accusation par le Sénat réuni en Haute Cour, en août 1918 mais condamné à cinq ans de bannissement pour forfaiture. Il passe ce temps en Espagne. Après la loi d’amnistie du 1er janvier 1925 Malvy reprend sa carrière politique ; dès 1924, il avait été réélu dans le Lot. 31 Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » *** * MARY-GUERDER Charles (1881 - ?) En attendant la publication des prochains tomes du « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier », où figurera une notice concernant Mary-Guerder, je ne peux qu’indiquer les bribes recueillies à l’occasion d’un survol rapide des numéros du « Travailleur socialiste de l’Yonne » de 1917-1918. Mary-Guerder semble être arrivé depuis peu dans le département, où il anime le groupe socialiste d’Auxerre. Un des cinq présents au comité fédéral de l’Yonne, réuni le 30 septembre 1917, il y défend les thèses des minoritaires. Fin 1917 / début 1918, il débat pour obtenir une rupture nette du Parti socialiste avec Gustave Hervé, la réunion d’un congrès fédéral où s’expriment avec clarté les trois tendances qui divisent alors le Parti socialiste. Dans le numéro du 9 mars 1918 du « Travailleur socialiste de l’Yonne », sous le titre « Simple réponse », Mary-Guerder, après une assez longue introduction sur le thème « nous n’avons jamais été antipatriotes », où il se démarque des positions d’Hervé, tant d’avant guerre que de sa conversion à l’hyper nationalisme, il aborde le problème plus concret du vote prochain des crédits militaires : « Les un disent que le refus doit être subordonné à la réponse du gouvernement sur la demande de passeports pour une conférence internationale tenue à Stockholm, à Berne ou ailleurs et les autres – dont Lux et moi – estiment que les députés socialistes doivent s’abstenir de voter les crédits tant que le gouvernement n’aura pas fait connaître ses buts réels de guerre, son désir de travailler à l’établissement d’une paix basée sur les principes du Président Wilson, tant qu’il n’aura pas renoncé à soutenir une certaine politique impérialiste et abandonné sa méfiance à l’égard de la classe ouvrière ». *** Ajout après publication du tome du « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » Né le 12 juin 1881 à Ivry-sur-Seine (Seine), fils d’un boulonnier, était le frère d’Adrien Guerder (voir ce nom), conseiller municipal d’Ivry de 1908 à 1919. Publiciste, rédacteur en chef de « La voix des communistes » et membre de nombreuses sociétés locales, il fut secrétaire du député Jules Coutant (voir ce nom) dont il suivit l’évolution politique. Il s’installa dans l’Yonne peu avant la première guerre mondiale et devint rédacteur en chef au « Travailleur socialiste ». Il contribua à la réorganisation du groupe socialiste d’Auxerre à une époque où la plupart des anciens militants se trouvaient mobilisés. Le comité fédéral du 25 février 1917 le 32 délégua au conseil national de la S.F.I.O. où il représenta la tendance minoritaire ; il était accompagné d’un majoritaire : Luc Froment. Il fut également délégué au congrès national de Bordeaux des 6 au 10 octobre 1917. Mary-Guerder quitta l’Yonne en 1920 pour s’installer dans sa commune natale. On le retrouve en 1929, chargé de la rédaction et du secrétariat du « Pays d’Ivry », journal qui s’opposait à la municipalité communiste et en 1941, présenté par le président de la délégation spéciale d’Ivry, H. Jacquelin (voir ce nom), pour siéger au conseil municipal. Mary-Guerder s’était marié en 1906 et en 1927 à Ivry. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (article de Claude Pennetier et de Michèle Rault) *** * SEMBAT Marcel (1862 – 1922) L’adhésion de Sembat au mouvement socialiste, après des études qu’il mène jusqu’au doctorat de droit, relève d’une conversion intellectuelle assez particulière : la lecture de philosophes anglais tels Carlyle et Spencer, et la rencontre de Durkheim et de Lévy-Bruhl, semblent avoir exercé une influence déterminante. Ses engagements ne se limitent pas au socialisme, il rejoint le Grand Orient de France et milite à la Ligue des droits de l’homme. Son activité parlementaire débute avec son élection, en 1893, sous l’étiquette de socialiste indépendant et se poursuivra jusqu’à sa mort. Dans le groupe parlementaire socialiste toutes les tendances se côtoyaient, celles du Parti ouvrier, du Parti socialiste révolutionnaire, de l’Alliance communiste révolutionnaire et des Indépendants. Influencé par Vaillant, Sembat adhère en 1895 au comité révolutionnaire central, qui allait devenir le P.S.R., sans rien perdre de son ouverture d’esprit, au point même de pouvoir, au congrès de Paris de 1899, représenter la première circonscription du 18° arrondissement, au nom, tout à la fois, des Indépendants, de la fédération des travailleurs socialistes et du Parti socialiste révolutionnaire. Cette attitude le conduit à être l’homme de la conciliation et de l’unité au congrès de fusion de la salle du Globe, en avril 1905. Collaborateur régulier de L’Humanité depuis 1906, polémiste ardent, spécialiste des problèmes internationaux, Marcel Sembat défend les positions du Parti dans sa lutte contre la guerre, tant au congrès de Bâle en 1912 qu’u cours des débats parlementaires intéressant la loi rétablissant le service militaire de trois ans. Mais son goût du paradoxe l’amène à publier, cette même année 1913, un livre au titre accrocheur : « Faites un roi, sinon faites la paix. », dans lequel, ayant montré qu’on ne peut « jamais tirer de la République les qualités qu’exige une politique de guerre », il propose au lecteur l’alternative : « la guerre, mais le roi, ou … la République, mais la paix ». L’argumentation sinon fausse, du moins aventureuse, fut exploitée à ses fins propres par l’Action Française. 33 La guerre venue, Marcel Sembat soutient dans le Parti socialiste la politique de défense nationale et, dans le cabinet d’Union sacrée de Viviani, détient le portefeuille des Travaux publics (tâche pour laquelle il choisit comme chef de cabinet : Léon Blum) ; il est maintenu à ce poste jusqu’au 12 décembre 1916. Délégué au congrès de Tours, en décembre 1920, Sembat, tout en comprenant l’enthousiasme suscité par la révolution russe, y développe l’idée que la crise que traverse la France est de type anglais et que les méthodes du mouvement ouvrier anglais sont plus appropriées que celles préconisées par Moscou. Après la scission, il poursuit sa vie politique à la S.F.I.O. et participe notamment à la direction du « Populaire ». Il meurt subitement le 5 septembre 1922, à Chamonix, où son état de santé l’avait contraint à venir se reposer. *** SEMBAT Georgette, née Hervieu, peintre et sculpteur, connue sous le pseudonyme de Georgette Agutte (le buste de Jules Guesde qu’on lui doit s’élève sur une place de Roubaix), participa à la vie militante de son mari. Ne pouvant supporter sa disparition, elle se suicida. La plupart de ses œuvres ont été léguées au musée de Grenoble. Cf. « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (article de J. Raymond) *** * VIVIANI René (1863 – 1925) Après les crises du boulangisme et de Panama, les législatives de 1893 présentent des transferts complexes de suffrages : une partie de l’électorat conservateur vote pour les républicains, les républicains modérés passent à un radicalisme assagi, des révisionnistes de 1889 et des radicaux optent pour les socialistes. A cette occasion René Viviani, avocat au barreau de Paris, est élu député du 5ème arrondissement. Il apparaît bientôt avec Millerand et Jaurès, comme une des personnalités marquantes de la cinquantaine d’élus socialistes. Au temps de « l’Affaire », Viviani, comme de nombreux socialistes, ne rejoint que tardivement le camp dreyfusard : il faut la révélation du faux colonel Henry, en août 1898. Si la poussée nationaliste à Paris, qui accompagne le succès du bloc républicain aux élections de mai 1902, lui fait perdre son mandat, son activité politique de cette période concourt, dans la mouvance de Jaurès, à la fondation de l’ « Humanité » en 1904 et en avril 1905 à la constitution du Parti socialiste S.F.I.O. 34 La consolidation de la majorité radicale et la progression des socialistes aux législatives de 1906 provoque un changement de ministère. Clemenceau, nouveau Président du Conseil, fait appel à Viviani qu’il considère « comme une espèce de Millerand, avec l’idéal en plus » pour occuper un ministère nouvellement créé, celui du Travail et de la prévoyance sociale. Après 1909, c’en est fait de la relative stabilité ministérielle qu’a connue la république radicale depuis dix ans : « Briand, puis encore Briand, Monis, puis Caillaux – pas pour longtemps - , Poincaré – signe des temps - , puis Briand encore et à nouveau Briand, Barthou, Doumergue, Ribot – pour trois jours - , enfin Viviani et voici la guerre ». Viviani, qui dès 1906 quitte discrètement la commission administrative permanente de la S.F.I.O., concrétise l’Union sacrée, après les premiers revers militaires, en accueillant dans son cabinet deux socialistes : Guesde et Sembat. « Cette Union sacrée était déjà en germe depuis qu’au lendemain des élections de mai 1914 Poincaré avait fait appel à Viviani : ce n’était pas Mauras qui était Président de la République mais un avocat d’affaires, républicain au sens traditionnel du mot, c’est à dire laïque et dreyfusard, devenu ou redevenu un nationaliste modéré ; et ce n’était pas Jaurès qui était premier ministre mais un ancien socialiste, somme toute « acceptable ». » Après la démission de son ministère, le 29 octobre 1915, Viviani obtient le maroquin de la Justice dans le cabinet Briand et le conserve jusqu’en mars 1917. Son activité politique se borne ensuite à présider la délégation française aux Etats-Unis, de l’été 1917 : Joffre y réclame à Wilson, des hommes et Viviani, des sous. En 1921 il accompagne Briand à la conférence navale de Washington. Cf. notamment « La République radicale 1898-1914 » de Madeleine Rebérioux – Seuil 1975 – à qui sont empruntées les citations. *** * 35 LA PRESSE - Aperçus sur la presse du temps 39 - Tirage des journaux parisiens (novembre 1910 et novembre 1912) 42 - Tirage des journaux parisiens (novembre 1917) 43 - ACTION FRANCAISE (L’) 45 - CANARD ENCHAINE (Le) 46 - CROIX (La) 47 - ECHO DE PARIS (L’) 49 - ECLAIR (L’) 50 - GUERRE SOCIALE (La) 51 - HUMANITE (L’) 52 - JOURNAL (Le) 54 - MATIN (Le) 55 - PETIT JOURNAL (Le) dans le texte par dérision « Le Petit Idiot » 57 - PIOUPIOU DE L’YONNE (Le) 59 - TRAVAILLEUR SOCIALISTE DE L’YONNE (Le) 60 - L’information, qu’est-ce que c’est ? 61 36 APERÇUS SUR LA PRESSE DU TEMPS La première guerre mondiale s’inscrit dans l’âge d’or de la presse française, ouvert par la loi de juillet 1881. La nouvelle législation, aboutissement de revendications et de luttes sans cesse recommencées depuis le 18ème siècle, supprime les entraves administratives à la publication et à la diffusion. Une conjoncture favorable lui a amené tant le soutien des milieux monarchistes, prêts à user de la loi républicaine pour recouvrer une majorité perdue, que celui du mouvement socialiste, impatient de développer une propagande propre à reconstituer les forces brisées et débandées au lendemain de la Commune – notons que la loi d’amnistie n’est l’aînée de la loi de liberté de la presse que d’un an. Cette période est marquée par la diffusion de techniques spécifiques : composition mécanique avec la linotype, impression rapide et continue avec la rotative, techniques contemporaines de mutations d’effet plus général : substitution progressive de l’énergie électrique à la force motrice produite par la vapeur, relève du télégraphe par le téléphone. A la simple feuille va succéder le journal de quatre, six puis huit pages. Pour améliorer, ou parfois seulement maintenir, sa rentabilité, la presse doit élargir considérablement son audience, accroître ses annonces, jouer de formes nouvelles de publicité. Bref, de 1871 à 1914, le tirage des quotidiens de Paris est multiplié par cinq, celui de province par treize. L’efficacité de la presse, son pouvoir sur l’opinion, s’aiguisent à l’occasion du boulangisme, des scandales de Panama et, plus, de l’Affaire Dreyfus. Depuis le début du siècle la presse dite d’information tend à se développer au dommage de la presse politique. A une clientèle majoritairement constituée de chefs de famille soucieux de trouver dans leur journal, nouvelles, opinions, arguments politiques, s’agglomère une masse de lecteurs beaucoup plus large, avide de reportages, de feuilletons, d’anecdotes, de faits divers, sensible à l’illustration. Si le supplément hebdomadaire du « Petit Journal », illustré sur ses deux couvertures, a connu dès la fin du 19ème siècle un succès considérable, il faut attendre 1910 pour que l’illustration photographique, avec l’ »Excelsior », prenne une place prépondérante. L’abondance et la variété des quotidiens (voir le tableau des journaux parisiens en 1910 et 1912) peuvent nous surprendre mais ne sauraient nous voiler la concentration, déjà très forte, de la grande presse : le tirage des quatre grands, à savoir le « Petit Parisien », le « Journal », le « Petit Journal » et le « Matin », dépasse 70% de l’ensemble. Des liens croissants se développent entre grande presse, milieux financiers, personnel gouvernemental : l’affaire de Panama est particulièrement révélatrice de cette élaboration de rapports nouveaux. Au cours des années qui précédent la guerre les grands emprunts étrangers – les emprunts russes demeurent exemplaires – sont l’occasion d’une circulation accélérée entre ces trois pôles : pouvoir, finance, presse. Les milieux d’affaires, sans négliger la presse financière spécialisée, cherchent à travers les articles politiques, et plus encore au moyen d’informations d’apparence neutre, à atteindre le large public de la grande presse. Dans une intervention à la Chambre, le 6 avril 1911, Jaurès révèle qu’ « il s’est organisé un trust des bulletins financiers ; c’est une organisation unique, centrale, qui, à la même heure, sur toutes les affaires qui se produisent, donne exactement la même 37 note » et poursuit « vous voyez d’ici l’influence formidable qu’exerce nécessairement sur l’opinion une presse, qui, par tous ses organes, de tous les partis, donne, à la même heure, le même son de cloche, discrédite ou exalte les même entreprises et pousse toute l’opinion comme un troupeau dans le même chemin ! ». Des relations privilégiées vont s’établir au cours de la même période entre cette grande presse et les membres d’un organisme, lui aussi de type nouveau, « l’Alliance républicaine démocratique », constituée en 1901, à la fonction fort bien analysée par Madeleine Rebérioux : « Rien d’un parti, d’un regroupement plutôt qu’un groupement, très lâche, à peine un cadre, une alliance d’hommes politiques privés de toute assise politiquement structurée mais sensible à l’opinion de leurs électeurs, fort riche souvent et liés aux « grands intérêts » … Parmi ses membres les plus notoires : Barthou et Poincaré, Rouvier et Etienne, H. Chéron et J. Siegfried, deux ministres aussi : J. Caillaux et J. Dupuis. » (la présentation de quelques journaux fera apparaître certains de ces personnages). La discrimination entre public populaire acheteur d’un « petit » quotidien (44cm x 30cm) du type « Petit Parisien », à un sous, et élite pouvant se permettre le « grand » (43cm x 60cm), à dix ou quinze centimes, tend à s’estomper à partir de 1894. Le format n’est plus attaché à une catégorie sociale de lecteurs ; les quotidiens qui visent une clientèle importante doivent, le plus souvent, s’aligner sur le prix de vente de cinq centimes. Le nombre grandissant des lecteurs conduit les directeurs de presse à élaborer des modèles culturels de masse. Au-delà des variantes propres à chaque journal s’imposent des dominantes : un goût archaïsant très lié aux valeurs de la terre – c’est l’heure de gloire des Barrès, Bordeaux, Bazin et de leurs innombrables plagiaires -, une louange constante du travail, unique source de prospérité, souvent curieusement couplée au respect des hiérarchies naturelles, enfin une exaltation du nationalisme qui atteindra aux premières années de la guerre, un niveau de délire assez exceptionnel. Il convient sur ce dernier point de faire le départ très net entre propagande et opinion publique, ce a quoi se sont notamment employés des intervenants au colloque international de Rome, en février 1981, sur le thème « Opinion publique et politique extérieure en Europe, 1915-1946 », qui remirent en cause l’image traditionnelle de l’Union sacrée dont l’unanimité, si elle exista jamais, relevait plus du modèle proposé par la presse que d’une réalité quotidiennement vécue. Comme en bien d’autres domaines, la guerre de 1914 provoque de brutales ruptures. Certaines sont temporaires : réduction de la pagination – avec leurs deux pages les journaux d’août 1914 ressemblent à leurs aînés de 1870/1880 – difficulté de distribution liées aux priorités militaires, effondrement de la publicité financière, réduite aux emprunts de guerre, disparition de nombreux titres : L’Aurore, Le Gil Blas, La Petite République, Comoedia …, uniformisation du contenu. D’autres ruptures moins visibles seront beaucoup plus durables : intervention de l’Etat, mainmise des messageries Hachette sur la distribution, resserrement des accords entre les « cinq grands », couplages publicitaires, renforcement relatif de la presse de province. Au début de la guerre la surenchère nationaliste est le trait commun : L’Humanité, La Guerre sociale, La Bataille syndicaliste rivalisent de zèle, L’Action Française s’engage à ne pas attaquer le régime républicain. Cependant, les mois, les années passent, la lassitude risque de fêler la belle façade unitaire ; la censure en maintiendra l’apparence trompeuse. Elle s’exerce sur les dépêches 38 télégraphiques dès le 30 juillet 1914, puis le 3 août, un bureau de la presse est créé au ministère de la Guerre, chargé du filtrage des informations militaires : mouvement des unités, importance des effectifs, quantification des pertes. Les opérations militaires, le déroulement des combats, leurs résultats ne sont connus que par le communiqué. Au total, la censure française apparaît aux historiens d’aujourd’hui plus sévère que ne furent l’anglaise, l’américaine et même l’allemande, du moins en ce qui touche aux deux dernières années de guerre. S’il est difficile d’évaluer son efficacité sur le plan militaire et diplomatique, il ressort à l’évidence qu’elle occulta l’ampleur des pertes humaines … c’est peut-être à ce niveau que son rôle a été le plus important. L’influence de la censure sur le terrain politique semble plus floue : le soutien apporté par la presse aux successives équipes ministérielle n’est pas sans faille. Si Le Petit Parisien se contente de nuancer ses sympathies, avec toutefois un net engouement clémentiste, au Matin les hargnes de Bunau-Varilla incitent les rédacteurs à faire disparaître de ses colonnes les noms détestés de J. Caillaux, de Tardieu ou de Clemenceau. L’antiparlementarisme de la presse de droite et du centre est pourtant tempéré par l’existence de la censure. Dans ce paysage morne, quelques touches de couleur : à l’échec du premier lancement du Canard Enchaîné, en 1915, succède la réussite du second, moins d’un an plus tard – les mentalités évoluent vite en ces temps douloureux – ; encore un an plus tard, déçus d’un stage en Union sacrée, une brochette d’universitaires de renom n’hésite pas, à l’occasion du lancement du Pays, à croiser le fer avec L’Action Française et autre Victoire pour défendre la notion de paix négociée. A gauche, après les dernières vaguelettes pacifistes qui viennent mourir dans les numéros des 31 juillet et 1er août 1914 de L’Humanité – on y dénombre encore les manifestations hostiles à la guerre -, c’est le ralliement annoncé par Vaillant : « En présence de l’agression les socialistes rempliront tout leur devoir » et le 4 août le vote unanime des crédits de guerre. Le phénomène de « domination » et d’ « entraînement » est de telle ampleur que les initiatives de Zimmerwald en 1915, de Kienthal en 1916, ne transparaîtront dans la presse socialiste qu’au travers de condamnations, voire d’insultes, à l’égard des « pèlerins » français. Les premières oppositions au jusqu’auboutisme régnant sont le fait des organes syndicaux – dès 1915 des hommes comme Monatte, Merheim, Rosmer, oeuvrent à La Vie Ouvrière pour la reprise des relations internationales – ou de journaux locaux (Le Populaire du Centre, L’Eclaireur de l’Ain). 1917, avec ses grèves, ses mutineries de soldats, le rejet de toute participation socialiste au cabinet Clemenceau, les révolutions russes, est l’année des mutations mais leurs effets n’en seront évidents qu’en 1918. Dès janvier, Brizon, avec La Vague, dans un style direct et sans ambiguïté, appelle au refus de toute collaboration de classes, au rejet des budgets par les parlementaires socialistes, au renforcement de la pression pacifiste sur les gouvernements ; à partir de juin 1918 les thèses des minoritaires ne peuvent plus être ignorées des colonnes de L’Humanité. En fait, de façon embryonnaire, existent déjà dans la presse de 1918 les courants qui vont animer l’opinion publique de l’après guerre ; dans le domaine socialiste le processus d’éclatement est déjà en marche … le 25 décembre 1920 le congrès de Tours sera plus l’occasion d’un constat que d’une surprise. 39 Au curieux avide de recherches plus pointues je dois signaler que « Les études sur la vie des journaux pendant la Grande guerre sont rares. Si l’on excepte les quelques titres qui eurent maille à partir avec la justice … les sources disponibles ignorent le plus souvent cette période comme si le fait d’avoir survécu à la tourmente était en soi, pour les journaux, un exploit en quoi se résumait l’essentiel de leur existence. Peut-être aussi le monde du journalisme a-t-il, inconsciemment, cherché à oublier ces années difficiles qui lui laissaient un mauvais souvenir ! ». (Histoire générale de la presse française, Tome 3, page 428) 40 41 ACTION FRANÇAISE (L’) Produit de l’Affaire Dreyfus, le mouvement d’Action française naît à la suite du suicide du colonel Henry. La revue de l’Action française, bimensuelle, annoncée dès le 19 décembre 1898 par l’Eclair, ne lance son premier numéro que le 10 juillet 1899. Le but des initiateurs de l’entreprise, Henri Vaugeois et Maurice Pujo : lutter contre la Revue Blanche (1899-1903) des dreyfusards. Dès le début, la participation de Charles Maurras, alors rédacteur à la Gazette de France, amène l’Action française au royalisme. Le mouvement, soucieux de disposer d’un quotidien, tente d’acheter les organes monarchistes du temps : La Gazette de France, puis Le Soleil, enfin La Libre Parole de Drumont ; le tout en vain. Ce n’est que le 21 mars 1908 qu’est lancée L’Action Française quotidienne. La création des « Camelots du roi », en novembre 1908, contribue au développement de la diffusion ; le tirage se stabilise d’abord à 15 000 pour atteindre le double à la veille de la guerre. Le journal préconise la restauration de la monarchie héréditaire, traditionnelle, antiparlementaire, décentralisée. La défense de ce programme est l’occasion d’un combat contre les idées libérales et démocratiques et, plus souvent, contre les hommes qui les portent. La nécessité du catholicisme est démontrée par des raisons … toute laïques. Les théories du nationalisme intégral, sous couvert de salut public, ont fonction d’introduction auprès des lecteurs imprégnés de l’esprit de revanche. Le reproche d’indifférence à l’information a fait dire à Léon Daudet, animateur de la revue puis du quotidien dès 1904 : « Notre journal était jugé trop doctrinaire et ne sacrifiant pas assez aux exigences de l’actualité. C’est que nous avions résolu de nous adresser surtout aux élites, dans tous les milieux, de procéder à une sorte de décrassement des meilleurs, amollis et comme détrempés par les absurdes principes de 1789, puis par le romantisme et le napoléonisme. » (Bréviaire du journalisme). Maurras rédige l’éditorial et la revue de presse, Jacques Bainville la chronique parlementaire et la politique extérieure, Georges Valois la rubrique sociale. Parmi les autres rédacteurs : Jules Lemaître, Léon de Montesquiou, Pierre Lassure et bien sûr Léon Daudet. Et c’est une suite de campagnes dans lesquelles le style violent, provocateur, le goût du scandale et de l’agitation tiennent les militants en haleine : aux manifestations en faveur de Jeanne d’Arc lors du lancement du journal succèdent les attaques contre l’université en 1908-1909 – contestation des conférences de François Thalamas à la Sorbonne – puis contre les espions juifs-allemands en 1910-1912, attaque dont les saccages des magasins Maggi-Kub, en août 1914 ne seront que récurrence, enfin contre le parlementarisme, la cible idéale étant Jaurès, porteur de toutes les idéologies détestées. L’assassinat du leader socialiste s’inscrit dans la logique du déchaînement de haine produit et entretenu par les articles de L’Action Française ou de L’Echo de Paris. L’Action Française n’échappe pas à la médiocrité qui marque l’ensemble de la presse des premières années de la guerre : ne s’est-elle pas engagée à renoncer à toute attaque du régime républicain au nom de l’Union sacrée ? Si l’on tient les injures à l’égard d’Henri Barbusse pour exercice d’entretien – le Goncourt de 1916 vient de lui être décerné pour « Le Feu » - il faut attendre 42 la crise de 1917 pour que L’Action Française recouvre sa dynamique. Dès 1912 Léon Daudet avait établi des contacts avec la Sûreté nationale et le2ème Bureau, il en recevait de nombreux renseignements. Ainsi alimentée, la campagne d’agitation débute par une dénonciation des traîtres pacifistes du Bonnet Rouge (voir Aide-mémoire n°42) pour s’attaquer bientôt aux morceaux de choix : Caillaux et Malvy. L’affaire culmine le 1er octobre 1917, avec la lecture, faite par le Président du Conseil Painlevé à la Chambre, d’une longue lettre de Léon Daudet fustigeant Malvy et ses « trahisons ». La perquisition du 27 octobre 1917, menée dans les locaux de L’Action Française sur ordre d’un gouvernement aux jours comptés, dans le but d’un impossible rééquilibrage, va fournir l’occasion d’un grand tapage journalistique, le ridicule « complot des panoplies » - le cabinet Painlevé est renversé le 13 novembre. La fin de la guerre voit le ralliement du journal au cabinet Clemenceau, ralliement que le « Tigre » aurait apprécié plus discret et que Maurras n’accepte que du bout des dents. L’attitude d’extrême réserve à l’égard des initiatives de paix de Benoît XV – le Vatican espère encore sauver l’empire austro-hongrois – devait valoir à L’Action Française bien des déconvenues ultérieures. Au lendemain de la guerre, L’Action Française réussit à placer quelques-uns des siens sur les listes du Bloc national, notamment Daudet. Pour ne point trop dépasser notre cadre chronologique, nous renoncerons à L’Action Française de l’entre-deux guerre pour placer le point final en 1926 : les autorités vaticanes alertées par les milieux démocrates-chrétiens (cible privilégiée des rédacteurs de L’A.F.) dénoncent les erreurs des doctrines de Maurras puis, devant son intransigeance, interdisent formellement aux catholiques tant l’adhésion au mouvement que la lecture de sa presse. *** * CANARD ENCHAINE (Le) Le 74ème régiment d’infanterie donne ce titre à une éphémère feuille de tranchée ; L’Homme Libre de Clemenceau, trop critique à l’égard du gouvernement de Bordeaux, censuré puis suspendu, mute en Homme Enchaîné le 29 septembre 1914 … l’idée du titre est dans l’air du temps. Pendant l’été 1915 Maurice Maréchal, jeune journaliste du Matin – sans doute le meilleur observatoire pour recenser les mille et une ficelles du bourrage de crâne – réunit des confrères : Rodolphe Bringer, La Fouchardière, Victor Snell, Lucien Laforge, le dessinateur H.P. Gassier et … le 10 septembre 1915, paraît le n° 1 du Canard. L’objectif et le ton sont donnés d’entrée de jeu : « Chacun sait que la presse française, sans exception, ne communique à ses lecteurs depuis le début de la guerre que des nouvelles implacablement vraies. Eh bien, le public en a assez. Le public veut des nouvelles fausses … pour changer. Il en aura ». L’oreille du lecteur, si je puis dire, n’est pas faite à cet air nouveau ; Le Canard, après cinq numéros, referme ses ailes … jusqu’au 5 juillet 1916. Cette fois l’envol est bon, jusqu’à nos jours, interrompu seulement par le sabordage de 1940-1944. 43 La modestie de son origine – un capital de 10 000 francs, des bureaux réduits à l’appartement du directeur, une distribution aux dépositaires parisiens assurée, dit la petite histoire, par Madame Maréchal … à bicyclette – n’entrave pas la très rapide montée des tirages. Ce succès permet de respecter les exigences de départ : échapper aux commandites, refuser toute publicité. En 1917, Le Canard lance un plébiscite national pour la désignation du grand chef de la tribu des bourreurs de crânes ; le dépouillement du 20 juin 1917 donne Gustave Hervé vainqueur avec 5653 voix, l’emportant d’une courte tête sur Maurice Barrès qui n’en compte que 5402. Les autres tête de turc du Canard : le lieutenant-colonel Rousset, chroniqueur militaire au Petit Parisien et le général Cherfils à L’Echo de Paris. Le 11 novembre 1918 Le Canard titre sobrement : Ouf ! Parfois censuré, il n’est jamais interdit, pas même suspendu. Ses attaques menées contre le chauvinisme mensonger qui, surtout à partir de 1917, écœure soldats et civils, son refus du jusqu’auboutisme … tout idéologique, l’expliquent sans doute. Le Canard est « déchaîné » du 13 octobre 1919 – fin de la censure – au 6 mai 1920 mais, déjà trop marqué, reprend son premier qualificatif. *** La première mention dans une lettre du 12 août 1916 : « …je reçois toujours bien Le Canard Enchaîné » prouve la très rapide introduction de l’hebdomadaire sur le front, mais à quel nombre d’exemplaires ? *** * CROIX (La) Au lendemain de la guerre de 1870 et de la Commune un des objectifs des « Comités catholique » est de créer un journal populaire à un sous. La tentative de la France Nouvelle, journal catholique, ultra mondain et monarchiste, est abandonnée en 1883 sans avoir pu dépasser un tirage de quinze mille exemplaires. En1873, le Pèlerin est la première réalisation de « La Bonne Presse », organisme créé par les Augustins de l’Assomption et animé par les P.P. Bailly et Picard. La réussite de ce magazine populaire dont les tirages vont progresser de 15.000 en 1878 à 250.000 en 1913 va donner les moyens financiers qu’exigent d’abord le lancement, en 1883, d’un quotidien, La Croix, suivi bientôt de la publication de Croix de province, le plus souvent hebdomadaires. Le réseau de diffusion qu’ouvre l’organisation ecclésiale permet de résister à l’écrasement des « quatre grands » et le tirage moyen va atteindre rapidement 170.000 exemplaires. Le développement de La Croix s’inscrit dans un contexte marqué par l’effondrement des partis monarchistes, le lent progrès des idées libérales dans la conscience religieuse, l’intérêt particulier 44 qu’un pape comme Léon XIII porte à la presse et, bien sûr, par la violence croissante de la lutte anticléricale. Le père Lecanuet dans « L’église de France sous la 3ème république » juge qu’ »Il est désolant que l’église n’ait point compris, ou ait compris si tard, l’importance considérable de la presse à notre époque. Mieux eut valu fonder des journaux que bâtir des cathédrale et des couvents. ». Jusqu’aux dernières années du 19ème siècle La Croix se signale par son conservatisme – tonalité dominante – son soutien du boulangisme, son engagement dans la lutte antidreyfusarde assorti d’un antisémitisme agressif. En 1898 les réseaux de diffuseurs de la Bonne Presse sont massivement utilisés pour constituer les comités de pression « Justice, Egalité » en vue des élections législatives ; La Croix développe une campagne où la polémique anti-laïque se mêle à la démagogie sociale (le juif y est tout à la fois déicide et, par sa puissance financière, destructeur de la société traditionnelle). L’échec de cette campagne décide Waldeck-Rousseau à prendre des dispositions contre ces moines ligueurs : l’Assomption est interdite. Sur intervention de Léon XIII le père Bailly et son équipe quittent La Croix qui est reprise par un grand patron filateur de Lille, Féron-Vrau. La Bonne Presse compte maintenant 400 employés, des milliers de propagandistes bénévoles ; le mode de distribution a maîtrisé les « bouillons » mieux qu’aucun autre journal n’a su le faire. De 1900 à 1908 le soutien de l’action d’Albert de Mun peut caractériser la phase libérale de La Croix ; pour préciser sa position disons qu’elle est attaquée à droite par l’Action Française, à gauche par le Sillon. La séparation de l’Eglise et de l’Etat, voté le 3 juillet 1905, sa condamnation par Pie X, arrivé au trône pontifical deux ans plus tôt, les échecs de l’Action libérale populaire lors des consultations électorales, autant de facteurs qui conduisent à l’abandon de la politique de ralliement au régime. Conséquemment l’influence que Féron-Vrau exerce sur l’orientation de La Croix s’amenuise jusqu’en 1914. Pendant la guerre, La Croix, restée le seul quotidien catholique, est dirigée par les P.P. Bertoye, Ambroise Jacquot et par Jean Guiraud. Les tirages fléchissent. Le contenu politique est terne. Seul fait saillant, des articles, manifestement inspirés par le Vatican, attirent l’attention de la censure, fort sourcilleuse envers tout ce qui ressemble à des manifestations de pacifisme : le Pape cherche à organiser un mouvement d’opinion européen en faveur d’une paix susceptible de sauver l’Autriche-Hongrie. Après la guerre La Croix soutient le Bloc national en 1919 comme en 1924 ; ses positions sont devenues fort proches de celles de l’Action Française. Sa clientèle s’est modifiée : moins populaire, moins rurale qu’avant 1914. Ses tirages vont croître jusqu’en 1926 : 177.000 exemplaires, pour régresser lentement jusqu’en 1939 à 140.000 environ. Nous l’abandonnerons à son apogée, en 1926 : l’Action Française vient d’être frappée d’interdit par le Pape et, après intervention du nonce, Monseigneur Maglione, La Croix s’ouvre à l’esprit de Genève et atténue sa collusion avec la droite. *** * 45 ECHO DE PARIS (L’) L’objectif de Valentin Simond lorsqu’il fonde L’Echo de Paris, quotidien de six pages, à dix centimes, est de privilégier les domaines de l’art et de la littérature et de concurrencer le Gil Blas que la collaboration d’écrivains tels Catulle Mendès et Guy de Maupassant à orienté vers la grivoiserie, les contes lestes et les potins mondains. De 1884 à 1897, date de reprise en main du journal par Henry Simond, fils du fondateur, L’Echo de Paris plafonne à 30.000 exemplaires et tente diverses formules : devenu journal du soir à cinq centimes en mars 1885, il redevient quotidien du matin à dix centimes en 1888 puis, privé d’une partie de sa rédaction passée au Journal en 1892, revient en 1896 à la formule à cinq centimes. C’est dans l’effervescence de l’Affaire Dreyfus que s’accomplit la mutation de L’Echo de Paris : devenu l’organe officieux de la Ligue de la Patrie Française il apparaît dans l’éventail de la presse française à l’aube du 20ème siècle comme le journal de la droite nationaliste et catholique ; les liens étroits noués avec l’Etat-major lui gagnent la clientèle de l’armée. Le succès du billet quotidien de Franc-Nohain, la collaboration de Barrès, de Paul Bourget, de Jules Lemaître, d’Albert le Mun assurent une croissance constante des tirages jusqu’en 1916. Dès 1906, avec ses 105.000 exemplaires, il suscite l’intérêt de Raffalovitch, intermédiaire auprès de la presse française pour le placement des emprunts russes, qui juge qu’ »il importe d’avoir à sa disposition quelques organes respectés comme Le Journal des Débats, comme Le Temps, ou à grand tirage conne Le Petit Parisien, Le Journal, peut-être L’Echo de Paris … ». Le 8 décembre 1912l’ambassadeur de Russie à Paris a supprimé le « peut-être » : « Je m’efforce tous les jours d’influencer les journaux les plus importants, Le Temps, Les Débats, L’Echo de Paris … » rapporterat-il à son gouvernement. Inutile de préciser l’intérêt financier de cet octroi d’ « influence ». Avant la guerre L’Echo de Paris atteint des tirages considérables : plus de 500.000 en 1916. L’Etat-major lui souffle ses chroniques militaires via le général Cherfils ; Barrès avec son article quotidien file les futurs quatorze volumes de « L’âme française et la guerre » ; Albert de Mun a la révélation de l’Union sacrée : « Pas une clameur contraire, pas un cri, pas une protestation ne vient troubler la grandeur de cette magnifique envolée vers le devoir et le sacrifice. Et il faut rendre hommage à ceux que j’ai le plus combattu, aux socialistes épris de leur illusion pacifiste qui, malgré l’horrible, odieux et absurde attentat dont un halluciné a frappé leur chef, donnent cependant l’exemple de l’obéissance à la voix nationale. » (article du 2 août 1914). Le 16 juin 1915 la chronique de Barrès revendique pour la France la rive gauche du Rhin ; la diffusion en est exceptionnelle et assurée par les autorités allemandes ravies de pouvoir divulguer une pareille affirmation de l’impérialisme français. Le 17 août 1917 Pertinax fustige l’appel à la paix, bien vague, de Benoît XV : « Le Pape a gravement manqué à la justice. ». Après guerre L’Echo de Paris, en dépit d’une rédaction de qualité, va lentement décliner jusqu’au 26 mars 1938, date de son rachat par Léon Bailby et de l’absorption de son titre par Le Jour. Assez curieusement cette perte d’influence est peut-être due à la division qui s’est peu à peu manifestée au sein de l’équipe rédactionnelle : Pertinax qui dirige la politique étrangère et de Kérillis, un des leaders les plus influents en matière de politique intérieure, tout en conservant leur pugnacité à 46 l’égard du socialisme, marquent leur réticence au soutien apporté par leur journal aux régimes fascistes italien, allemand, plus tard espagnol (article d’Henri Bordeaux et de Louis Madelin, favorables à la cause italienne en Ethiopie ; souscription ouverte par L’Echo de Paris en 1937 pour offrir une épée d’honneur à Franco). Pertinax jugera, en 1943, que « De 1935 à 1938 L’Echo de Paris a failli dans la tâche dont il s’était magnifiquement acquitté depuis 1905 : pour sa part il a dévoyé les conservateurs français. » (Les Fossoyeurs, livre écrit en exil) *** * ECLAIR (L’) En décembre 1888, un ancien journaliste du Matin, Dechêneau, commandité par Charles Cazet, agent de change, lance un quotidien riche d’informations financières et très marqué d’antisémitisme : Le Peuple. Devenu L’Eclair à dater du 15 mars 1889, son attrait réside dans la variété de ses collaborateurs : Camille Pelletan, Séverine, Emile Bergerat, J. de Bonnefoy, dans sa chronique des « hommes du jour », qui présente les biographies illustrées des célébrités du moment et, enfin, dans des prouesses journalistiques : relation de la fuite de Palewski, anarchiste meurtrier d’un général russe, qui vaut au journaliste-accompagnateur une condamnation à quinze mois de prison ; publication du premier entretien accordé par un pape à un journaliste – en l’occurrence Léon XIII utilise la presse pour inciter les milieux catholiques au ralliement à l’état républicain. Au temps de « l’Affaire » L’Eclair se range dans le camp des antidreyfusards les plus violents : les plumes les plus acérées sont celles d’Humbert, de Quesnay, de Beaurepaire et de Judet. Quand en 1904 le journal passe aux mains de ce dernier L’Eclair est un journal d’extrême droite et son tirage de l’ordre de 60.000 exemplaires ; très proche de la Ligue de la Patrie Française, il se singularise pourtant par une grande hostilité à l’Angleterre, une sympathie envers l’Autriche-Hongrie et un désir d’entente avec l’Allemagne. Cette orientation explique les liens que Judet noue avec le Vatican au cours de la guerre : le 29 juin 1917, il est reçu par Benoît XV … les tentatives de paix des empires centraux demeurent sans suite. L’Eclair, en cette année 1917, est loin des tirages de l’avant guerre (103.000 en 1910) et, en décembre, Judet vend le journal à Wertheimer, un avocat d’affaires, avant de passer en Suisse. Accusé de trahison après la guerre, il est condamné par contumace, puis en 1923, acquitté. L’ouverture ultérieure d’archives allemandes a permis d’établir les rapports de Judet et de l’ambassadeur d’Allemagne à Berne de juin 1915 à mars 1916 ; ses complaisances lui avaient apporté une rétribution de 2.250.000 francs. A la fin de 1925, quand L’Eclair fusionne avec L’Avenir, il n’est plus qu’un journal fantôme sans lecteurs. *** 47 GUERRE SOCIALE (La) Gustave Hervé (voir notice biographique) a déjà accumulé nombre de poursuites et de condamnations, notamment pour ses articles du Pioupiou de l’Yonne, quand il lance, le 19 décembre 1906, La Guerre Sociale. Cet hebdomadaire se situe en marge de la S.F.I.O.. D’un ton vif, souvent bien informé, il devient vite pour l’extrême gauche socialiste l’organe du mouvement antimilitariste qui se développe jusqu’à la guerre de 1914. Ses principaux collaborateurs sont Victor Méric – lui même créateur des Hommes du Jour (1908-1940) – Almereyda du Bonnet Rouge, Eugène Merle – futur initiateur du Merle Blanc, ersatz de Canard Enchaîné, (1919-1927). Son tirage est de l’ordre de 60.000 exemplaires, en 1910. Le virage – en épingle à cheveux – d’Hervé, dès avant la guerre, son ralliement tapageur à l’Union sacrée (voir document F) rendent difficile le maintien du titre. Insensible aux nuances, Hervé débaptise son journal : le 1er janvier 1916 sort La Victoire, titre plus conforme au contenu, remarquable par la violence et la persistance de ses appels à la répression de toutes formes de pacifisme. De si bonnes dispositions en font un soutien obligé du ministère Clemenceau ; néanmoins le tirage de fin 1916 (environ 80.000) ne sera jamais plus retrouvé. *** * HUMANITE (L’) La création de L’Humanité – le premier numéro sort le 18 avril 1904 – est antérieure d’un an au congrès de Paris (salle du Globe) qui réalise la première unité du mouvement socialiste. La tentative est audacieuse : l’historien Claude Willard, dans une étude spécifique de la presse guesdiste, a établi que de 1890 à 1905 sur les 130 feuilles parues on ne compte que 3 quotidiens. A la difficulté de résister à la concurrence des « quatre grands » s’ajoute l’épineux problème des abonnements : la clientèle populaire ne pratique que l’achat quotidien, privant ainsi du seul remède aux « bouillons ». « ‘Humanité n’existe point encore – écrit Jaurès dans le premier éditorial – ou elle existe à peine. A l’intérieur de chaque nation elle est compromise et comme brisée par l’antagonisme de classe, par l’inévitable lutte de l’oligarchie capitaliste et du prolétariat. Seul le socialisme, en absorbant toutes les classes dans la propriété commune des moyens de travail, résoudra cet antagonisme et fera de chaque nation enfin réconciliée avec elle même une parcelle d’humanité … ». Outre Jaurès, la première équipe rédactionnelle comprend : Rouanet, Viviani, Briand, Jean Longuet, Allemane, Albert Thomas, auxquels viendront s’adjoindre, après le congrès d’unité de 1905, Jules Guesde, Paul Lafargue, Edouard Vaillant. Les autres collaborations ne sont pas moins prestigieuses : Lucien Herr, bibliothécaire de l’Ecole Normale, Charles Andler, germaniste, Daniel Halévy, Léon Blum, Octave Mirbeau, Tristan Bernard, Gustave Lanson, Georges Lecomte, Abel 48 Hermant, Jules Renard, Henry de Jouvenel, Anatole France. Devant cette avalanche un critique narquois s’exclama : « Ce n’est pas L’Humanité mais les humanités ». Pour faire bonne mesure, Francis de Hault de Préssensé, principal chroniqueur de politique étrangère au Temps, abandonne son journal en 1905 et opte pour L’Humanité. L’Humanité n’est pas un journal populaire ; très doctrinal, il est d’un style et d’un niveau qui le distingue de la presse du temps. Pierre Albert, un des meilleurs historiens de la presse, estime que « L’Humanité ne fut jamais un journal de masse mais qu’elle servit sans doute plus utilement la cause du socialisme en cherchant avant tout à former et informer les militants que si elle avait tenté d’accroître son audience nationale aux dimensions de l’électorat de son parti. ». En dépit de ses qualités, ou mieux à cause d’elles, dès 1906 L’Humanité connaît une très grave crise : les ventes ne dépassent pas 30.000 exemplaires, les bouillons minent en permanence la trésorerie. Jules Renard, le 10 janvier 1906, note dans son « journal » : « L’Humanité c’est la fin, on lui a coupé l’électricité. Trois hommes font le journal. A la nuit tombante ils attendent qu’on apporte les bougies. ». Le représentant du gouvernement tsariste, Raffalovitch, que nous avons vus « arroser » journaliste et journaux accueillant la publicité directe et surtout indirecte des emprunts russes (voir L’Echo de Paris), propose un soutien financier de 200.000 francs, « c’est à dire le salut certain et définitif – écrit Jaurès – mais à condition que nous cessions toute campagne contre les finances russes et contre les nouveaux emprunts prévus. Il vaut mieux que nous disparaissions si la vie est à ce prix ». Une nouvelle société, au capital de 200.000 francs, est constituée en 1907 ; parmi les souscripteurs, des coopératives, des syndicats, des fédérations départementales du Parti socialiste, des partis frères – la riche social-démocratie allemande apporte 25.000 francs. Les ventes augmentent : 56.000 en 1908, 65.000 en 1914, pour un tirage de 85 à 90.000 exemplaires. Cette progression semble parallèle à celle des inscrits à la S.F.I.O. 535.000 en 1905, 72.000 en 1914) phénomène encourageant pour les militants et inquiétant en ce qu’il révèle l’indifférence des milieux populaires extérieurs au parti. La progression de la diffusion du journal manque être fatale à sa trésorerie : le développement de la vente au numéro, surtout en province, fait proliférer les bouillons. Les dix ans de vie de L’Humanité d’avant 1914 ont été ponctués de campagnes souvent passionnées : campagnes contre la politique marocaine de la France, contre la loi militaire des trois ans, campagne de dénonciation de la collusion de la presse avec les milieux d’affaires (placement des emprunts russes, bulgares, ottomans, etc.), campagne pour la journée de huit heures, pour l’établissement de l’impôt sur le revenu … Après ces intéressantes interventions, politiques et sociales, la médiocrité de L’Humanité aux heures de l’Union sacrée est d’autant plus accablante : les éditoriaux de Renaudel sont transposables dans la presse de droite. En février 1916, L’Humanité participe au Groupement des intérêts économiques de la presse, plus tard relayé par la Commission interministérielle de la presse ; on y discute de la réduction de la pagination, de la répartition du papier devenu rare et cher … Le 1 er juin 1917 L’Humanité est contrainte de passer de 5 à 10 centimes, obligation qu’un décret du 11 août de la même année étend à toute la presse. Mais la baisse de tirage amorcée dès 1915 n’a pas que cette 49 cause. Les tendances pacifistes qui se développent au cours de la guerre – dès fin 1914 dans la Vie Ouvrière de Monatte et Rosmer, dans le supplément hebdomadaire au Populaire du Centre en mai 1916, qui deviendra en juillet 1917 sous la direction de Jean Longuet Le Populaire de Paris, en janvier 1917 avec le lancement du Journal du Peuple, favorable aux bolcheviks dès novembre, en janvier avec La Vague de Brizon – lui portent de tels coups qu’au moment où s’affirme la victoire des minoritaires au Conseil national de juillet 1918 son tirage n’est plus que de 30.000. Le 8 octobre 1918 Marcel Cachin remplace à la tête de L’Humanité un Renaudel très dévalué. Le congrès de Tours, qui au lendemain de la guerre constate l’éclatement du Parti socialiste, pose bien évidemment le problème du rattachement de L’Humanité à l’une ou l’autre branche du mouvement ouvrier. Le 21 janvier 1921, l’assemblée générale de la Société nouvelle de L’Humanité décide que le journal suivra la majorité ; voici comment : des 8.000 actions initiales de 1907, 2.400 avaient été annulées et 1.500 (environ) appartenant aux héritiers de Jaurès ne furent pas présentées. Les 4.091 actions restantes, partie entre les mains de Camélinat, trésorier, et pour le reliquat à la disposition de Philippe Landrieu, administrateur du journal (il s’agissait des 1.120 actions souscrites avant la guerre par les partis socialistes allemands, autrichien et tchèque), furent réparties par le premier au prorata des votes obtenus par chacune des deux tendances et par le second aux seuls partisans de l’adhésion à la Troisième Internationale. Ainsi attribuée L’Humanité allait le 8 avril 1921 porter le sous-titre « journal communiste » et le 8 février 1923 celui d’ »organe central du Parti communiste ». Mais ceci est une autre histoire … Curieusement Le Populaire de Paris, quotidien d’opposition à la ligne « défense nationale d’abord » de L’Humanité, allait, par un cheminement inverse, revenir à la « vieille maison ». *** * JOURNAL (Le) Le 28 septembre 1892 les murs de Paris se couvrent d’affiches : Fernand Xau, ancien impresario de la tournée du cirque Buffalo Bill en France, annonce la sortie du premier numéro du Journal. Il entend, selon Arthur Meyer, témoin du temps (« Ce que mes yeux ont vu »), « lancer un journal littéraire d’un sou et mettre à la portée des petits commerçants, des ouvriers, des instituteurs, des employés, un peu de littérature … la table d’hôte à prix réduit. ». L’offre de conditions avantageuses lui permet d’obtenir la collaboration des célébrités littéraires de l’époque : Catulle Mendès, Gyp, Lucien Descaves, Barrès, Mirbeau, Coppée, Zola, Léon Daudet, Jules Renard, Paul Bourget, Jean Richepin, Alphonse Allais, Tristan Bernard, Georges Courteline … sans compter le dessinateur Forain. Malgré le succès rapide du Journal – le demi-million d’exemplaires est atteint au début du siècle – Xau doit avoir recours à l’apport financier des frères Letellier, entrepreneurs de travaux publics. A sa mort, en 1899, la famille Letellier détient la majorité du capital de la société anonyme constituée lors de l’association ; en 1912, au terme d’une série d’augmentations, le capital initialement 50 de 400.000 francs, atteint 6 millions, répartis entre trois porteurs : Eugène Letellier et ses deux fils. L’administration de l’entreprise assurée par l’aîné, Henri, la direction politique est confiée à Gabriel Hanotaux, historien et ministre des affaires étrangères de 1894 à 1898. José Maria de Hérédia, directeur littéraire jusqu’à sa mort en 1905, est remplacé par son gendre Henri de Régnier, puis de 1919 à 1940 par Lucien Descaves. Le Journal, moins orienté que Le Matin – il a durant l’Affaire ouvert ses colonnes à des écrivains dreyfusards tel Mirbeau – adopte, avec la nomination de Charles Humbert à la direction politique, en 1911, une ligne résolument droitière, nationaliste et militariste. Secrétaire de Bunau-Varilla (directeur du Matin), Humbert, élu député de Verdun en 1906, rompt avec son patron ; s’ensuit une série de procès contre le Matin qui l’avait accusé de malversations. Spécialiste des problèmes militaires au Parlement, il publie en 1907 une brochure qui fait grand bruit, « Sommes-nous défendus ? » ; il y réclame notamment un accroissement de l’artillerie ; en juillet 1914 il présente au Sénat un rapport alarmant sur l’insuffisance du matériel de guerre ; en septembre 1914 il est envoyé en mission pour l’achat de fournitures militaires aux Etats-Unis – compte tenu des relations d’Humbert avec les milieux de la grande industrie, le slogan répétitif du Journal : « Des canons, des munitions ! » sera converti par un journaliste malveillant en : « Des canons, des commissions ! ». Le Matin ayant en 1910 organisé un circuit de l’Est en aéroplane, Le Journal surenchérit et lance un grand circuit publicitaire et aérien par les capitales européennes, … la vague nationaliste saura interdire l’étape de Berlin. Peu avant la guerre, soit pour des difficultés financières, soit pour incompatibilité d’humeur avec Humbert, Letellier décide de vendre Le Journal. Après diverses tractations, Pierre Lenoir, courtier de publicité se porte acquéreur ; les dix millions nécessaires transitent par la Suisse, en provenance d’un industriel allemand, Schoeller, et sur intervention de Radowitz, diplomate de la Wilhemstrasse. Le contrat, signé le 7 juin 1915, est aussitôt mis en cause par Humbert qui exige que lui soit garantie statutairement la direction politique et cédées 1.100 des 2.000 actions du Journal moyennant 5.500.000 francs. Le 30 janvier 1916 Humbert signe avec Bolo Pacha, affairiste marseillais aux relations politiques nombreuses, un contrat assurant le financement de sa participation. Cette fois la transaction a lieu aux Etats-Unis où Bolo, par l’intermédiaire du financier allemand Pavenstadt, obtient dix milions de l’ambassadeur d’Allemagne von Bernstorff. L’entrée de l’Amérique dans la guerre en 1917 permet d’apporter les preuves de l’origine allemande des capitaux. Bolo, arrêté en septembre 1917, condamné en février 1918, est exécuté en avril. Charles Humbert, arrêté à son tour, sera acquitté en 1919. Le Journal a perdu la moitié de ses lecteurs. Repris par Letellier le quotidien poursuivra néanmoins sa carrière jusqu’à la débâcle de 1940. *** * 51 MATIN (Le) Journal quotidien fondé en 1884 à Paris par Alfred Edwards. Il adopte le type des journaux anglais, privilégie les informations rapides et les reportages. Il a pour principaux rédacteurs des écrivains ou journalistes d’opinions très diverses. En 1895, compromis dans le scandale de Panama, Edwards vend Le Matin à Poidatz, banquier et courtier de publicité financière du Petit Journal et du Figaro. Bunau-Varilla, grâce à une fortune née des opérations du canal de Panama devient, par le rachat des actions de Poidatz en 1905, le maître incontesté du Matin jusqu’à la disparition de ce dernier, le 17 août 1944. L’homme, bien connu de Jean Giraudoux, est peint sous les traits du sénateur Bolny dans « Simon le pathétique ». La puissance du journal, les tirages atteints (rarement moins de un million d’exemplaires de 1913 à 1919, avec des sommets de 1.600.000 en 1916/17), valent à Bunau-Varilla les égards d’hommes politiques, notamment de Raymond Poincaré, devenu dès 1913 collaborateur du Matin et animateur principal de la campagne revancharde. Au lendemain de l’élection de Poincaré à la présidence de la République, Le Matin commente : « Il semble que la démocratie, si souvent oublieuse, vient tout à coup de se découvrir une mémoire, qu’avec la mémoire s’éveille en elle le sens des horizons, le goût de la supériorité, la fierté de ses chefs élus, la vue du lendemain, tout ce qui compose à un peuple sa dignité, tout ce qui lui garantit une longue et éclatante destinée. ». Le Matin élabore une image de journal averti, objectif, honnête, au service de l’intérêt général, image véhiculée par le slogan « Le Matin voit tout, sait tout, dit tout. ». Cette façade puritaine, particulièrement appréciée de la petite bourgeoisie, ne peut cacher les liens étroits du journal avec le monde des affaires financières et du pouvoir politique. « L’histoire générale de la presse », à laquelle de nombreux éléments de cette note sont empruntés, apprécie les liens, comme suit : « Les affaires financières et diplomatiques furent pour lui une source de revenus importants et il reçu sa bonne part de la manne des emprunts russes ou turcs … La sympathie évidente du Matin pour les Etats-Unis était liée au rôle joué par Philippe Bunau-Varilla (frère de Maurice, directeur du journal) dans la signature du traité qui leur donnait le canal de Panama … Le Matin était un des plus fidèles soutien de la politique russe en 1914 ; Caillaux … se montra dans ses « Mémoires », très sévère … pour le soutien intéressé qu’il donna, par les articles de Stéphane Lauzanne en janvier 1914 puis en juin et juillet, à Isvolsky et à la politique de fermeté du gouvernement tsariste. ». Si le succès particulier du Matin pendant la guerre de 1914-1918 tient à son soutien inconditionnel des options de l’Etat-major, à son nationalisme exacerbé, au caractère venimeux de sa lutte contre les « défaitistes », à son agressivité antiparlementaire, il faut également signaler qu’il sut profiter de la crise de son principal concurrent, Le Journal, lors de l’arrestation de son directeur en janvier 1918, récupérant une bonne part de ses lecteurs. *** 52 Le correspondant de guerre, type de journaliste peu prisé de l’Etat-major français, contrairement au britannique, va gagner quelque notoriété avec le reportage, publié dans Le Matin de septembre 1914, sur le bombardement de Reims ; Albert Londres, lassé du journalisme parlementaire où l’a cantonné Bunau-Varilla, pénêtre dans la ville sous le feu de l’artillerie allemande et donne une relation de l’événement très différente des compositions littéraires jusqu’alors utilisées pour rendre compte des combats. *** *** * PETIT JOURNAL (Le) (Dans les souvenirs, par dérision : le PETIT IDIOT) Lancé en 1863 ce journal a connu un succès exceptionnel. Initialement classé dans la catégorie des « petits » (journaux de format 44 x 30, vendus un sou et destinés à un public populaire), il se libèrera peu à peu de certaines contraintes du genre ; dès 1886, il met à profit la suppression de 53 l’impôt sur le papier pour passer à cinq colonnes puis, après 1894, les progrès techniques aidant, peut offrir à sa clientèle une surface de lecture égale à celle des grands formats. Installé 59/61 rue Lafayette, après une brève étape rue de Richelieu, Marinoni organise l’imprimerie du Petit Journal en apportant tout son soin à la salle des machines qui sera, à l’apogée du quotidien, une des plus visitée du monde : dès 1909-1910 l’équipement des rotatives est remarquable. Cette technicité de pointe assortie d’une exceptionnelle organisation de la diffusion en province permet une progression rapide du tirage : 350.000 dès 1873, dont 200.000 en province, 580.000 en 1880 et sortie du premier numéro en couleurs. En 1884 un supplément hebdomadaire, toujours à cinq centimes, avec deux pages totalement illustrées à partir de 1889, va connaître un grand succès, notamment dans les milieux ruraux. Souvent imité le style du Petit Journal vise à la familiarité de la conversation avec le lecteur. L’appel à son émotion, à son indignation, son enthousiasme et son sens de la justice est aussi constant que discrètement directif. Politiquement Le Petit Journal se veut défenseur d’une république très idéalisée, modèle de modération, mère réconciliatrice. Socialement conservateur, un court extrait de la chronique quotidienne de Thomas Grimm suffira à donner le ton : « Quant aux entreprises de l’Internationale, je crois très fortement qu’on s’en exagère l’importance, le travailleur français n’est pas cosmopolite. Il sait qu’avec de la persévérance et de l’économie, de l’assiduité, il peut arriver, du bienêtre que lui donne son travail, au patronat, à la fortune. » (9 mars 1873). Les romans-feuilletons d’auteurs aussi prestigieux que Xavier de Montépin, Emile de Richebourg, Pierre Zaconne ou Jules Verne sont garants d’une lecture famille ; la distribution gratuite du premier chapitre l’assurance d’une publicité rentable. Pour Le Petit Journal : (les petits journaux) « sont des vulgarisateurs, des initiateurs. Ils causent exposent et se gardent bien de pontifier. » Je ne sais si cette rengaine des années 18801900, rapportée par André Salmon dans ses « Souvenirs sans fin », nous restitue bien l’envers de la médaille, l’opinion du lecteur : Moi je n’aime pas les grands journaux Qui parl’t de politique Qu’est-ce que ça m’fout qu’les Esquimaux Aient ravagé l’Afrique C’qui m’faut à moi c’est L’Petit Journal La gazett’, la croix d’ma mère Tant plus qu’y a d’noyés dans l’canal Tant plus qu’c’est mon affaire. Jusqu’en 1890 Le Petit Journal garde une place unique dans la presse mondiale, son tirage atteint le million. Puis, l’administration un peu relâchée de Marinoni, sa trop longue expectative avant de se séparer d’Ernest Judet (voir L’Eclair) lancé dans le combat antidreyfusard, la concurrence du Petit Parisien font peu à peu décliner Le Petit Journal. A la veille de la guerre il demeure néanmoins avec ses 20.000 points de vente et son tirage de l’ordre de 800.000 exemplaires en bonne place dans le peloton de tête. Il se taille une large part de la manne que banques et gouvernements étrangers versent aux entreprises de presse accueillantes à la 54 publicité financière, de préférence inavouée, souterraine, insidieuse : les emprunts ottomans de 1913 en fournissent un bon exemple. La guerre, l’uniformité de l’information et la chape de conformisme qu’elle entraîne ne sont pas pour modifier le ton général du Petit Journal. Durant la fuite du gouvernement, de septembre à décembre 1914, deux éditions paraissent simultanément à Bordeaux et à Paris. Les difficultés du temps lui font accepter le couplage publicitaire et la coopération dans la diffusion avec les autres « grands » (Matin, Journal, Petit Parisien). En 1917, son tirage tombé à 500.000, il se résigne comme ses rivaux à confier l’exclusivité de sa distribution à Hachette. Dernier événement marquant, Stephen Pichon qui a remplacé à la tête du Petit Journal Charles Prevet mort en 1914, est appelé à participer au cabinet Clemenceau en qualité de ministre des Affaires étrangères … ce qui dispense de fournir plus de précision sur l’orientation du journal. Le déclin du Petit Journal se poursuit tout au long de l’entre-deux guerres : s’il tire encore à 400.000 en 1919, les efforts de redressement tentés par Loucheur de 1919 à 1931, ensuite par Patenôtre, ne parviennent à le sauver de la concurrence des journaux régionaux et, à la veille de la seconde guerre mondiale, il en est à 178.000. Ultime avatar, le 14 juillet 1937, Le Petit Journal devenu l’organe du P.S.F. (Parti Social Français) du colonel de La Roque, porte en manchette trois mots promis à la postérité : « Travail, Famille, Patrie. ». *** * PIOUPIOU DE L’YONNE (Le) La création du Pioupiou de l’Yonne a souvent été attribuée à Gustave Hervé. En fait, organe des conscrits du département, il exprime, dès avant la collaboration d’Hervé, les idées du courant antimilitariste qui parcourt ay début du siècle cette région à dominante rurale. Le compte-rendu d’un débat au cours duquel Jaurès et Hervé s’affrontèrent (L’Humanité du 29 mai 1905) nous en apporte la preuve ; Hervé rappelle que l’antimilitarisme n’a pas surgi « du cerveau d’un intellectuel aimant jongler avec les idées abstraites … (que) ce n’est pas une doctrine de son cru. ». Il poursuit « Je l’ai vu jaillir, avant de me rallier à cette idée, du cerveau d’un grand nombre de militants socialistes de l’Yonne… ». Devenu l’organe des Jeunesses socialistes de l’Yonne il se développe sous l’impulsion que le jeune Luc Froment (voir notice biographique) sait donner à la fédération à l’occasion des élections législatives de 1906. De parution irrégulière – le n°6 est daté du 1er avril 1904, le n°9 bis du 1er octobre 1905 – le Pioupiou, initialement imprimé à Auxerre, est confié à l’Imprimerie coopérative ouvrière de Sens, installée 42 rue Thénard, qu’anime inlassablement François Duporc (voir notice biographique). Si le titre, par lui-même ambigu, ne dit que la clientèle visée, les deux citations mises en exergue affirment en revanche l’orientation idéologique du journal : 55 - La paix est le temps où les fils enterrent leurs pères ; la guerre, où les pères enterrent leurs fils. Hérodote - Le métier militaire étant l’art d’avancer sur des cadavres, Il faut bien faire des cadavres afin d’obtenir de l’avancement. Henri Rochefort Une telle inclination, le ton souvent provocateur des articles, ne pouvaient qu’attrer les foudres judiciaires en ces temps de nationalisme ascendant. Au printemps 1901, la justice qui visait l’anonyme « Sans Patrie », signataire du trop célèbre « Drapeau de Wagram » (voir notice biographique de Gustave Hervé), s’intéresse une première fois au Pioupiou sur plainte du ministre de la Guerre, le général André. Le contenu du n° 13, de fin 1910, entraîne la poursuite de Luc Froment et de Laculle, garçon meunier. Le 17 février 1911 – grâce à un jury traditionnellement libéral (appréciation de Madeleine Rebérioux) les coïnculpés sont acquittés. Cinq numéros paraissent encore, le dernier d’octobre 1913, peu de temps après la promulgation de la loi militaire des trois ans ; il est lui aussi l’objet de poursuites bientôt abandonnées (voir document A). *** * TRAVAILLEUR SOCIALISTE DE L’YONNE (Le) Le 1er avril 1900 paraît le premier numéro du Travailleur, réalisation du souhait, déjà ancien, des militants socialistes et syndicalistes de l’Yonne. En effet des groupes disséminés sur toute l’étendue du département, le plus souvent d’obédience allemaniste (*), d’abord ralliés à la Fédération de l’Est du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, s’étaient depuis 1897 rassemblés en une fédération des travailleurs de l’Yonne. Cette nouvelle instance, consciente de la nécessité de disposer d’un organe de presse, avait même au cours de sa réunion du 24 septembre 1899 élu par avance un administrateur-gérant du futur journal, en la personne de François Duporc (voir notice biographique). La vie du Travailleur est désormais très liée à celle de Duporc ; il y joue les « Maître Jacques », tour à tour rédacteur, typo, correcteur, imprimeur, censeur parfois, réparateur, diffuseur … En 1906 la tentative de passer à une parution quotidienne échoue mais l’argent collecté à cette fin permet l’acquisition d’une imprimerie située à Sens, 52 rue Thénard, gérée en coopérative ouvrière. Voici 1914, Le Travailleur tire à 3.400 ; du 3 août au 26 septembre il parait même quotidiennement, ensuite les mercredis et samedis .. du moins quand les aléas de la guerre le permettent. Dans le numéro du 7 février 1917 voisinent l’annonce de la rupture des relations de l’Amérique avec l’Allemagne, un appel à la section d’Auxerre aux kienthalistes et un encadré : « Par 56 suite du manque de charbon la ville de Sens peut se voir au premier jour privée de gaz. Si cette éventualité venait à se produire – notre moteur étant actionné par le gaz – nous vous prions de nous excuser et de ne pas être surpris si Le Travailleur ne vous parvenait pas pendant quelques numéros. ». En bref Le Travailleur n’échappe pas à la médiocrité et au conformisme ambiant. Trait particulier ? : les balbutiements des militants y sont délibérément dénigrés, ridiculisés par Luc Froment (voir notice biographique), à la fois secrétaire fédéral et principal rédacteur. Si les attaques des « minoritaires », notamment d’Auxerre, entraînent finalement la démission de Froment de son poste de secrétaire elles ne mettent pas fin à sa collaboration au Travailleur où il exprime bien plus le jusqu’auboutisme d’un disciple inconditionnel de Gustave Hervé (celui de La Victoire) que les tiraillements d’un Parti socialiste en voie d’éclatement. En 1920, après le congrès de Tours, Le Travailleur devient un organe de la section française de l’Internationale communiste. *** (*) ALLEMANE :né en 1843, typographe, participe à la Commune, déporté en Nouvelle-Calédonie, rentre en France après l’amnistie. Député de Paris. Une des têtes de la Fédération des travailleurs socialistes (1882-1890) de laquelle se dégagera le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire. Ses traits les plus caractéristiques sont un antimilitarisme et un antiparlementarisme vigoureux. *** * L’INFORMATION QU’EST-CE QUE C’EST ? Au terme de ce rapide survol de la presse française, ce média encore dominant à l’époque qui nous intéresse, la réflexion … ou la rêverie du lecteur pourra se développer à partir du tableau cicontre, emprunté à l’ouvrage de Jacques Kayser « De Kronstadt à Khrouchtchev – voyages francorusses 1891-1960 » (collection Kiosque – Armand Colin 1962). Il se rapporte au contenu de la première page des principaux journaux français pendant la semaine précédant l’éclatement de la première guerre mondiale. Le voyage dont il est question est bien entendu celui de Poincaré en Russie, le procès de Madame Caillaux celui de la femme du ministre des Finances qui, le 16 mars 1914, a abattu d’un coup de pistolet Gaston Calmette, directeur du Figaro et animateur de la campagne visant à contraindre Caillaux à la démission. 57 58 AIDE-MEMOIRE 1. loi militaire de trois ans 60 2. nos camarades allemands 61 3. « Cœur de française » 61 4. mon papier a été poursuivi 62 5. l’Internationale ouvrière 63 6. Stuttgart 63 7. Bâle 65 8. notre force grandissante 66 9. le guêpier marocain 66 10. les appétits sordides 67 11. avec l’élection de Poincaré 68 12. Sarajevo 68 13. carnet B 69 14. n’a-t-il pas demandé à s’engager ? 70 15. Mulhouse 71 16. prise de Liège et d’Anvers 71 17. Bordeaux 72 18. une masse d’active 72 19. « Je les grignote » 73 20. la bataille de la Marne 76 21. il y a une telle pénurie 76 22. notre instruction militaire 77 23. une hécatombe monstre 77 24. la tenue militaire 78 25. aux Hurlus 79 26. Vimy 80 27. l’attitude de l’Italie et de la Roumanie 81 28. battus dans les Balkans 81 29. la première fois que je suis venu au feu 82 30. les Zimmerwaldiens 83 31. l’article « Ayons confiance » 83 32. je l’ai trouvé à Arracourt 84 59 33. on parle beaucoup de la Somme 84 34. l’offensive russe 85 35. Verdun 85 36. la note de Briand 86 37. de la ville de R … 87 38. une émission de gaz 87 39. la crise ministérielle en France 88 40. Moronvilliers comme objectif 88 41. une compagnie a refusé 89 42. ces scandales Almereyda, Bolo, Caillaux, Humbert 92 43. Michaëlis 93 44. région des Chambrettes, Bois Le Chaume 93 45. victoire à l’italienne 94 46. Stockholm 94 47. le dernier discours de Lloyd George 95 48. une telle couche de neige 96 49. offensive diplomatique de Wilson 96 50. les maximalistes 97 51. Paris a encore écopé 98 52. choc sur le front anglais 98 53. Clemenceau et Poincaré 99 54. remplacés par les américains 100 55. l’offensive déclenchée le 18 100 56. le fameux Scheidemann 101 57. Souvenirs de l’armistice 102 58. Liste des ministères de 1913 à 1918 102 59. Liste des congrès socialistes nationaux (1905 à 1920) 103 60. Liste des congrès socialistes internationaux ( 1904 à 1920) 104 61. Itinéraire du 20ème R.I. au cours de la guerre 1914/18 106 60 LA LOI MILITAIRE DE TROIS ANS En réponse à l’augmentation des effectifs militaires allemands en temps de paix – elle même motivée par la constitution de la Ligue balkanique (Serbie, Bulgarie, Grèce) à l’instigation de la Russie – Joffre propose, le 4 mars 1913, au Conseil supérieur de la guerre, de porter le service militaire à trois ans afin de disposer de trois classes d’âge sous les drapeaux. La loi, votée à la Chambre par 358 voix contre 204 (les socialistes avec Jaurès et la majorité des radicaux derrière Caillaux), au Sénat par 244 voix contre 36, est promulguée le 8 août 1913. Le conflit suscité tant au Parlement que dans la presse met en relief deux conceptions : - Les milieux militaires craignent une attaque brusquée des forces allemandes à laquelle il convient de riposter par une stratégie d’offensive à outrance menée avec les seules unités d’active. Dans son intervention, lors des discussions de la loi, Joffre avait déclaré : « La cohésion restera d’autant mieux assurée dans l’unité mobilisée que le nombre des réservistes qui sera incorporé sera moins élevé ». Le désir d’affirmer la capacité offensive de l’armée française aux yeux de l’allié russe semble, aussi, avoir été d’importance. - L’opposition centre son argumentation sur la notion de « nation armée » : la défense nationale dépend de la formation des troupes de réserve, indispensable complément aux unités d’active, de l’accroissement et du perfectionnement du matériel de guerre. L’idée de nation armée avait été développée et illustrée par Jaurès dans « L’Armée Nouvelle », ouvrage paru en 1910. L’application de la loi de trois ans provoqua des manifestations d’hostilité dans de nombreuses casernes. Par mesure d’apaisement le service des soldats précédemment libérables ne fut pas prolongé mais, à la fin de 1913, deux classes (1912 et 1913) furent appelées à la fois. Si cette dernière mesure permit à ‘armée française de disposer à l’ouverture des hostilités de 200.000 recrues instruites supplémentaires, le début des opérations militaires révéla néanmoins le caractère périmé des conceptions de l’Etat-major. « Il faut l’avouer, l’emploi que les Allemands ont fait en août 1914 de leur corps d’armée de réserve a été une surprise pour nous » dira Joffre dans ses « Mémoires ». Cf. « L’offensive à outrance et l’attaque brusquée. Problèmes militaires de la loi de trois ans » Gerd Krumeich Colloque international d’histoire militaire et d’études de la défense nationale. (Montpellier 1981) *** * 61 NOS CAMARADES ALLEMANDS La notice biographique de Karl Liebknecht fournit une esquisse de la politique de la socialdémocratie allemande et des conflits qui la déchirent au temps de la première guerre mondiale. *** * CŒUR DE FRANCAISE Pièce à thème patriotique d’Arthur Bernède, écrite en 1912. Son succès fut tel que le réalisateur Pouctal en tira un film : « Chantecoq ». Le même Pouctal tourna en 1915 quatre films dont les titres seuls annoncent la couleur : « L’Infirmière », « Dette de haine », « La fille du boche » et « Alsace ». *** * 62 MON PAPIER A ETE POURSUIVI Infra, deux tableaux donnent une idée des fluctuations des délits de presse et aussi de celles de la répression. *** * 63 L’INTERNATIONALE OUVRIERE L’échec de la Commune marque la dislocation puis la disparition de la 1ère Internationale, fondée en 1864, à Londres. Il faut attendre 1889 pour que se reconstitue, au congrès de Paris, une Internationale ouvrière ou Iième Internationale. Sa volonté de s’opposer à la guerre s’étant révélée vaine, une fracture, grandissante à mesure que s’allonge la première guerre mondiale, déchire tous les partis socialistes nationaux. Les bolcheviks russes créent, dès mars 1919, une IIième Internationale ou Internationale communiste. En 1923 se reconstitue, au congrès de Hambourg, la IIème Internationale (Internationale socialiste et ouvrière) à laquelle viennent se ralier les minoritaires de Tours, le quart environ de l’effectif de l’ancien parti. *** * STUGGART Tenu après le premier affrontement des impérialismes français et allemands au Maroc, en 1905 – affrontement heureusement réduit lors de la conférence d’Algésiras de 1906 – le congrès socialiste international de Stuttgart réunit 884 délégués don 78 représentants de la France. Les débats qui se déroulent du 18 au 24 août 1907 permettent de constater combien l’accord sur la nécessité de sauvegarder la paix peut recouvrir de points de vue divers, voire opposés, sitôt que sont abordés les moyens d’y parvenir. La position de Rosa Luxembourg et de Lénine tire sa clarté de sa radicalité : l’état de crise provoqu00é par la guerre doit être mis à profit pour renverser la domination capitaliste. Parmi les français : - Vaillant préconise d’utiliser la grève générale, l’insurrection même, pour prévenir la guerre. - Gustave Hervé, avec son sens aigu de la provocation, admoneste les délégués allemands : « J’admire votre science, votre organisation, vos grands militants. Mais vous n’êtes qu’une admirable machine à voter et à cotiser. Vous n’avez aucune conception révolutionnaire. Vous pouvez aller très loin dans les nuages de la pensée mais devant un gouvernement vous reculez, vous cherchez des faux-fuyants ». - Jaurès, profondément patriote, cherche une organisation démocratique susceptible d’assurer la défense nationale (ses études réunies dans « L’Armée nouvelle » ne paraîtront qu’en 1910. Les allemands, représentés notamment par Bebel, Haase et Volmar, très conscients de constituer l’organisation majeure de la social-démocratie européenne, tant au plan des études théoriques qu’à celui des effectifs, répugnent à adopter des mots d’ordre « insurrectionnels » face à la 64 menace de guerre ; pour la majorité d’entre eux affaiblir l’Allemagne, menacée par l’autocratisme russe, n’est pas sevir le socialisme. De telle divergences empêchent l’élaboration d’une stratégie cohérente de lutte contre la guerre. Cf. « Histoire de la IIème Internationale » Minkoff – reprint Genève 1985 *** (additif) Une schématisation excessive des positions diverses adoptées par les principaux participants au congrès et le souci de marquer a distance entre Hervé et Jaurès m’ont conduit à gauchir l’attitude de ce dernier. La publication récente d’extraits des souvenirs de Gustav Mayer me fourni l’occasion de réparer cette faute. « Dans ma rétrospective du congrès, dans la Frankfurter Zeitung, j’essayai d’expliquer la virulence avec laquelle Jaurès voulut obliger l’Internationale à la grève générale en cas de danger de guerre par sa volonté de ne pas se faire éclipser par l’antimilitarisme révolutionnaire d’Hervé après l’effondrement du bloc des gauches dans ce parti social-démocrate maintenant unifié. Mais aujourd’hui je pense que ce n’était qu’une raison mineure de son comportement. A Stuttgart, il s’agissait essentiellement pour Jaurès de faire comprendre à la social-démocratie allemande le sérieux de la situation internationale et de la convaincre qu’un véritable danger de guerre pouvait à chaque moment renaître. Il était véritablement effrayé par ce qu’il appelait l’optimisme affiché par Bebel, qui attribuait l’accroissement des voix social-démocrates à presque toutes les élections du Reichstag une influence pacifique ». Après avoir montré combien l’analyse de l’influence des masses sur le cours de l’histoire se réduit chez Bebel à une naïve confiance en « l’évolution », Gustav Mayer poursuit : « Jaurès avait au moins aussi minutieusement étudié Marx que Bebel ; néanmoins il ne déduisait jamais de la conception économique de l’histoire des conclusions fatalistes. Tout au contraire. Il insista toujours le plus fermement possible sur le fait que la participation active des travailleurs jouait selon Marx un rôle indispensable et même révolutionnaire dans l’évolution de l’histoire. Voilà pourquoi Jaurès insista si passionnément à Stuttgart sur la nécessité des actions préparées et coordonnées, de l’intervention parlementaire jusqu’à la grève générale et à l’insurrection ». 65 Cf. GUSTAV MAYER, « Erinnerugen » Vom Journalisten zum Historiker der Deutschen arbeiterbe wegung, Europa Verlag, Zürich-Wien, 1949. Extraits publiés dans le n° 114, juillet-septembre 1989 du bulletin de la Société d’études jaurèsiennes, dans la traduction d’Antje Vöge. *** * BALE Le congrès socialiste international de Bâle, réuni le 24 novembre 1912, avec ses 555 délégués, a été l’ultime et peut-être la plus remarquable manifestation contre la guerre, menée par la IIème Internationale. A cette date le conflit balkanique qui oppose la Russie à ‘Autriche, sans compter les pays de moindre importance liés par les combinaisons diplomatiques, bat son plein. Le défilé dans les rues de la vieille cité, les 10.000 auditeurs entassés dans la cathédrale protestante que les autorités de la ville ont mis à la disposition des congressistes, les cloches à toute volée lorsque Jaurès monte à la tribune, le prologue impromptu du tribun : « Je pense à la devise de que Schiller inscrivit en tête de son magnifique poème « Le chant de la cloche » Vivos voco : j’appelle les vivants pour qu’ils se défendent contre le monstre qui paraît à l’horizon, Mortuos plango : je pleure sur les morts innombrables couchés là-bas vers l’orient et dont la puanteur arrive jusqu’à nous comme un remord, Fulgura frango : je briserai les foudres de la guerre qui menace dans les nuées. », autant de souvenirs fervents qui sont demeurés dans bien des têtes. Ainsi Roger Martin du Gard, dans « Les Thibault », conduira son personnage Jacques, après qu’il ai décidé de lutter jusqu’au bout contre la guerre, à Genève puis à Bâle où il séjourne du 5 au 8 août 1914. Il vient d’apprendre que les sociauxdémocrates allemands ont tous voté les crédits militaires ; désemparé, il erre dans Bâle, 1912 !… L’église semble fermée. Son grès rouge a le ton d’une ancienne poterie : on dirait une vieille châsse en terre cuite, monumentale et inutile, abandonnée au soleil ». Cependant, pas plus qu’à Stuttgart, les délégations nationales ne parviennent à élaborer un modèle d’action contre la guerre. La motion votée à l’unanimité agite une menace bien dérisoire : « Que les gouvernements sachent bien que dans l’état actuel de l’Europe et dans la disposition d’esprit de la classe ouvrière, ils ne pourraient, sans péril pour eux-même, déchaîner la guerre ! » *** * 66 NOTRE FORCE GRANDISSANTE Dans les premiers jours de novembre 1912, le Bureau socialiste international demande à chacune de ses sections de tenir chez elles, à date fixe et la même pour toutes, le dimanche 17 novembre, des meetings de protestation contre la guerre où figureront, à côté d’orateurs nationaux, des orateurs délégués par les autres classes ouvrières organisées d’Europe. Répondant à cet appel, le Parti socialiste de France délègue à Berlin Jaurès, à Londres Jean Longuet et Rognon, à Milan Compère-Morel, à Rome Gustave Hervé, à Strasbourg Marcel Cachin, pour y porter la parole en son nom. Il organise d’autre part une vingtaine de meetings dans les centres industriels les plus importants, notamment à Marseille, Lyon, Bordeaux, Lille, Toulouse, Nantes, Rouen et un meeting central à Paris. A ce meeting, Scheidemann vint de Berlin pour représenter l’Allemagne, Mac-Donald de Londres pour l’Angleterre, Pernorstorfer de Vienne pour l’Autriche, Vandervelde de Bruxelles pour représenter avec la Belgique le Bureau socialiste international. La Russie enfin était présente en la personne de Roubanocitch. Quatre jours après la grande manifestation centrale du Pré Saint Gervais se tint à Paris le congrès national extraordinaire contre la guerre, préparatoire au congrès international de Bâle. *** * LE GUEPIER MAROCAIN De 1904 à 1914 la guerre menace l’Europe en permanence. Es crises qui émaillent cette période mettent en relief les antagonismes qui opposent l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche, la France et la Russie. Buts de cette compétition : la conquête de colonies, l’établissement de zones d’influence, l’ouverture de marchés et la conclusion d’alliances avantageuses. Chronologiquement les chocs les plus sérieux entre impérialismes se présentent comme suit : - 1905 : Crise de Tanger, au cours de laquelle s’opposent les appétits français et allemands au Maroc, très provisoirement modérés par la conférence d’Algésiras, 1906. - 1907 : Accord anglo-russe et formation de la triple entente (Angleterre, France, Russie). - 1908 : Crise balkanique, née de la concession accordée par la Turquie à l’Autriche d’un chemin de fer de jonction entre Bosnie et Macédoine. Cet accès provoque la révolution turque et l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche. - 1911 : Seconde crise marocaine qui aboutit à l’acceptation par l’Allemagne du protectorat français au Maroc contre compensations territoriales au Congo. A la suite, l’Italie déclenche la guerre contre la Turquie pour satisfaire, à son tour, ses visées sur la Tripolitaine (1911-1912). - 1912-1913 : L’engrenage des coalitions et des guerres balkaniques contre la Turquie conduit l’Allemagne à douter de la solidité de l’alliance de l’Angleterre et de la Russie, et incite l’Autriche à chercher l’occasion d’écraser la Serbie. 67 - 1914 : L’attentat de Sarajevo, simple détonateur, déclenche le conflit austro-serbe le 28 juillet, la mobilisation en Russie le 30, la mobilisation en France et en Allemagne le 1 er août … la guerre européenne puis la conflagration mondiale. *** * LES APPETITS SORDIDES Faute de pouvoir, dans le cadre des présentes notes, aborder le problème des stratégies commerciales des groupes industriels français et allemands – et leurs incidences litiques – nous ne retiendrons que quelques exemples où sont impliqués les firmes citées dans le texte : - Schneider profita de l’accroissement de l’exportation de capitaux qui caractérise le capitalisme français dès la fin du 19ème siècle. En effet la Russie, alliée privilégiée, draina en quinze ans plus du quart des capitaux exportés par la France, soit douze milliards de francs environ. Une part importante fut consacrée aux investissements en métallurgie lourde puis, devant la montée des menaces de conflit, en matériel de guerre ou en usines de fabrication d’armement. Ainsi Schneider, qui de 1885 à 1914 avait déjà exporté la moitié des 45.000 canons de 75 produits, s’introduisit dans les usines Poutiloff (le gouvernement tsariste exigeant que les fabrications se fassent en Russie) et installa le chantier maritime de Reval dans le golfe de Finlande (aujourd’hui Tallin) et une usine de canons. L’importance des opérations avec la Russie ne doit pas faire oublier les marchés de Schneider avec la Roumanie, le Mexique, la Serbie … et aussi avec la Bulgarie et la Turquie. « Ce qui fit la fortune de la maison Schneider, ce fut une idée qui peut être qualifiée commercialement de géniale, à savoir : faire payer par principe les fournitures des états étrangers – parfois peu solvables – par les rentiers français » ironisait « Le Crapouillot » en octobre 1933 (Les marchands de canons). - En 1910 une interpellation à la Chambre était l’occasion de révéler les principaux membres de la société de « L’Ouenza » (minerai de fer), dans le département de Constantine : Schneider et Cie France), Eugène Schneider (France), Gelsenkirchen (Allemagne), Krupp (Allemagne), John Cockerill (Belgique), Châtillon-Commentry (France), Guest Keen and C° (Angleterre), etc. - Au sein de l’ »Union marocaine des mines », dont le siège était à Paris dans l’immeuble du « Comité des houillères de France » se retrouvaient : Schneider, Krupp, Thyssen et les fameux frères Manesmann, représentant les intérêts allemands au Maroc. - Au consel d’administration de la « Société d’études du Haut-Guir » voisinaient Eugène Schneider et G. Friedlighauss, un allemand agent de Krupp et de Thyssen. - En 1901 les plus grandes firmes d’armement telles Armstrong, Vickers-Maxim, Cammel, J. Brown pour l’Angleterre, Krupp, Dilligen pour l’Allemagne, Schneider-Creusot, Châtillon-Commentry pour la France, Terni pour l’Italie et Bethlehem Steel pour les U.S.A., s’étaient groupées au sein de la « Harwey United Steel C°. *** 68 AVEC L’ELECTION DE POINCARE Quand Poincaré est appelé à la présidence du Conseil par le Président Fallières, le 12 janvier 1912, le principal litige franco-allemand a été réglé depuis le 4 novembre 1911 par le troc Maroc contre Congo. En 1912 et 1913 la crise se situe dans les Balkans, l’antagonisme majeur intéresse maintenant le couple Russie-Autriche-Hongrie. Au moment où Poincaré accède à la présidence de la République, le 17 janvier 1913, la prudence exige une vigilance extrême au niveau des alliances. Pour aider à la réflexion sur l’attitude et la responsabilité de Poincaré, deux extraits de « La République radicale – 1898-1914 » de Madeleine Rebérioux, permettront d’établir une intéressante comparaison : - « Pendant la crise balkanique de 1909 Stéphan Pichon (ministre des Affaires Etrangères du cabinet Clemenceau) avertit, en février, le gouvernement russe que la France ne soutiendra pas militairement ses positions face à ‘Autriche-Hongrie car « les intérêts vitaux de la Russie » ne sont pas en jeu. L’empire des tsars dont le relèvement économique commence à peine – en particulier grâce à l’emprunt français de 1909 – ne peut passer outre ». - « …au cours du voyage officiel qu’il entreprend en Russie avec Viviani, le 15 juillet 1914, Poincaré ne semble pas avoir prodigué des conseils de prudence à la grande alliée. Le renforcement des liens militaires, diplomatiques et surtout financiers entre Paris et Saint-Pétersbourg eut pourtant conféré grand poids à toute incitation en ce sens. Poincaré est-il allé jusqu’à donner au tsar des assurances formelles ? A tout le moins – outre la recherche d’une solution favorable à une série de questions auxquelles les hommes d’affaires français attachaient la plus grande importance – son principal souci, en cette période où mûrissaient les décisions, a-t-il été la consolidation de l’alliance au prix d’un soutien résolu donné à l’alliée ? D’autant plus résolu peut-être qu’il fallait effacer le mécontentement né récemment en Russie de la mainmise des firmes françaises. Le 23 juillet lorsque est connu l’ultimatum autrichien à la Serbie, encouragé par Guillaume II et que les risques de guerre, brusquement, surgissent aux yeux de tous, le gouvernement français promet à la Russie d’exécuter les « obligations de l’alliance », c’est à dire d’intervenir par les armes au cas où l’Allemagne soutiendrait l’Autriche-Hongrie. Le 29 juillet, le chef de l’Etat et le président du Conseil rentrent à Paris, il est de toute façon bien tard pour que la France puisse prendre une quelconque initiative ». *** * SARAJEVO Le 28 juin 1914 un étudiant bosniaque abat l’archiduc héritier d’Autriche, François-Ferdinand, et sa femme. Cet attentat exacerbe les tensions entre l’Autriche-Hongrie, soucieuse de sauvegarder la cohésion de son empire aux nationalités multiples (allemands, magyars, ukrainiens, tchèques, 69 polonais, slovaques, serbo-croates, slovènes, roumains, italiens) et la Russie qui s’affirme la naturelle protectrice des slaves de toute l’Europe balkanique. Le gouvernement autrichien croit venu le moment propice de mater cette Serbie source des revendications nationales des slaves de l’empire. Après un ultimatum remis à Belgrade le 23 juillet les relations diplomatiques sont rompues le 25 et le 28 l’Autriche déclare la guerre à la Serbie. « Avec l’assassinat lointain d’un archiduc mal connu les français entrent dans la carrière. Mais pendant près d’un mois nul ne s’en doute » (adeleine Rebérioux dans « La République radicale »). *** * LE CARNET B Lors de la mobilisation générale le 1er août 1914, le ministère de l’Intérieur se préoccupait vivement du danger que pourraient présenter l’action des organisations ouvrières : leurs manifestations ne pouvaient que favoriser l’Allemagne. A l’égard des socialistes, dont les dirigeants les plus en vue jouissaient, en tant que parlementaires, d’une immunité bien gênante, l’action répressive était fort délicate. Avec les responsables de la C.G.T., dont les réactions antimilitaristes et anti-nationalistes étaient bien plus marquées, on pouvait agir avec moins de ménagements. On avait donc préparé, sur rapport des préfets, une liste de ceux qu’il conviendrait d’arrêter dès la mobilisation ; c’était là le fameux carnet B dans lequel tous se savaient inscrits. Au soir du 29 juillet 1914, la plupart des membres du comité confédéral, dont « L’Intransigeant » annonçait déjà la prochaine arrestation, s’en furent se réfugier chez des amis sûrs et ignorés de la police, cependant que Jouhaux parlait d’aller « acheter quatre sous de tabac à Bruxelles ». Ce même jour, l’Etat-major, qui ne doutait plus de l’imminence de la mobilisation, demandait l’application immédiate des mesures prévues. Au Conseil des ministres Messimy (radical) soutenait ce point de vue que combattait Malvy ; les renseignements que ce dernier recevait des informateurs que son ministère avait su introduire jusque dans les instances dirigeantes du mouvement ouvrier, aussi bien que les propos de nombreux parlementaires socialistes avec lesquels il entretenait d’excellents rapports, lui permettaient en effet d’estimer inutile et même dangereux de laisser libre cours, en un pareil moment, à des rancunes que les partisans de la manière forte ne celaient même pas. Malvy l’avait emporté au moment où l’on annonçait aux ministres consternés l’assassinat de Jaurès et où le préfet de police, affolé, prédisait pour le lendemain la descente imminente des faubourgs sur Paris et la révolution. Extrait de « La fin d’un monde – 1914/1929 » De Philippe Bernard Editions du Seuil – 1975 *** 70 N’A-T-IL PAS DEMANDE A S’ENGAGER ? Un certain nombre de personnalités parisiennes, représentatives à des titres divers, crurent nécessaire de suivre le mouvement : Aux obsèques de Jaurès, le citoyen Léon Jouhaux, secrétaire de la C.G.T., s’écriait dans un beau mouvement oratoire : « Les camarades sont partis at je pars demain pour porter la liberté au monde, comme l’ont fait nos pères ! ». L’apôtre de l’antimilitarisme – jadis défendu par le jeune avocat Aristide Briand dans l’affaire du « Pioupiou de l’Yonne » - qui s’écriait en 1907 : « La Patrie ne vaut pas la peine que nous nous fassions trouer la peau pour elle ! », Gustave Hervé demandait à s’engager par une lettre qui fut publiée dans tous les journaux le 2 août : « Gustave Hervé demande à partir. A Monsieur le Ministre de la Guerre, Quand j’avais vingt ans je me suis fait réformer parce que j’étais soutien de famille, en arguant de ma myopie. Malgré ma myopie et mes quarante-trois ans je suis parfaitement capable de faire campagne. Comme dans la guerre qui va éclater la France me semble avoir fait l’impossible pour écarter la catastrophe, je vous prie de m’incorporer par faveur spéciale dans le premier régiment d’infanterie qui partira pour la frontière … » Le président de la Ligue des Patriotes, Maurice Barrès, ne pouvait faire moins que le directeur de « La Guerre Sociale ». Dans « L’Illustration » du 8 août, Monsieur Henri Lavedan racontait en termes émus le geste sublime de son confrère académicien : « C’est à ce moment et comme je débouchais sur la place de la Concorde que j’aperçus Barrès à quelques pas, au coin de la rue Royale. Je pris la main qu’il me tendait. Je m’écriai d’une voix étranglée : « Ah ! mon ami ! que vous dire ? Il n’y a rien à dire, me répondit-il. Que pourrions-nous dire ? C’est l’heure. Voilà. J’ai confiance ». Et avec un accent de simplicité charmante, jeune, et un gentil mouvement de menton relevé comme s’il s’agissait d’un coup de tête qu’il fallait lui pardonner, il me déclara : « Je m’engage ». Jamais d’ailleurs, ni Hervé, encore qu’il se déclara parfaitement capable de faire campagne, ni Jouhaux, ni Barrès, qu’on surnomma « le littérateur du territoire », ne portèrent les armes contre l’Allemagne … Extrait de l’ « Histoire de la guerre» De Jean Galtier-Boissière « Le Crapouillot » août 1932 *** * 71 MULHOUSE Dès le 2 août 1914, le 7ème corps avait été appelé à se préparer à une opération en Haute Alsace afin d’y retenir les forces allemandes aussi nombreuses que possible, de couper les ponts sur le Rhin et de soutenir le flanc des troupes opérant en Lorraine. Bien que médiocrement menées par le général Bonneau les forces françaises occupaient sans grandes difficultés Mulhouse dans la soirée du 7 août. La presse célébra l’événement. Les gros titres furent de règle, ainsi que les formules enflammées. Albert de Mun, dans L’Echo de Paris du 9 août, donne le ton : « Mulhouse est pris. Après quarante-quatre ans de deuil et d’attente douloureuse, voici donc que se lève pour nos frères de là-bas l’aurore de la délivrance … Quand le drapeau tricolore va entrer dans Mulhouse fier et claquant au vent, imaginez-vous le transport … ». A l’autre bout de l’éventail politique, L’Humanité n’est pas en reste : « Cette nouvelle aura un immense retentissement dans les cœurs de tous nos soldats, dans les cœurs de tous les français ». Mulhouse était d’ailleurs reperdue dès la nuit du 9 août, au moment où l’on célébrait sa conquête. Occupée quelques jours plus tard, la ville devait encore être abandonnée, et le 2 au matin, le drapeau tricolore avait disparu de l’hôtel de ville pour de longues années. Extrait de « La bataille de la Marne ou la fin des illusions » De Jean-Jacques Becker L’Histoire n°6 - 1978 *** * PRISE DE LIEGE ET D’ANVERS En dix jours (6 au 16 août 1914) les troupes allemandes s’emparent de la place forte de Liège. L’armée belge poursuit sa retraite et se réfugie dans le camp retranché d’Anvers. Les allemands en entament le siège le 30 septembre et la ville succombe le 9 octobre. Pendant cette première période de la guerre les armées françaises, même dans les secteurs où leur supériorité numérique est évidente – les Ardennes par exemple – sont décimées par la force de feu allemande. Plus au nord, en dépit des appels répétés du général Laurezac, l’envoi de renforts est beaucoup trop tardif. Seule la retraite permet de sauver une partie des effectifs de la destruction dont les menacent les divisions de Bülow. *** * 72 BORDEAUX Sur injonction de l‘Etat-major, le gouvernement abandonne Paris et se replie à Bordeaux à dater du 2 septembre 1914. Après la bataille de la Marne (4 au 10 septembre), après les combats d’octobre et de novembre, souvent évoqués sous le titre général de « La course à la mer », le front se stabilise et le gouvernement revient à Paris le 8 décembre. Le 22 décembre les Chambres, convoquées en réunion extraordinaire, reprennent une activité interrompue depuis le 4 août. Ce hiatus de trois mois a révélé avec une particulière acuité la dichotomie créée par la guerre : front et arrière. Tandis que les combattants commencent à découvrir l’inadéquation de leur lutte aux conditions nouvelles de la guerre et, bien souvent, leur situation de sacrifiés aux improvisations hasardeuses de l’Etat-major, le Paris de la finance, des fournisseurs de guerre, des chargés de missions, du spectacle, vit dans l’excitation ces vacances bordelaises. Clemenceau, d’abord dans »L’Homme libre », puis pour cause de censure et de suspension du journal, dans « L’Homme enchaîné », a été un des observateurs les plus acerbes de cette séquence. La prépondérance du Grand Quartier Général, bien saisie dans la formule de « Gouvernement de Chantilly » (où Joffre s’installe le 28 novembre 1914), s’est trouvée affirmée par cette vacance de l’autorité civile. *** * UNE MASSE D’ACTIVE La stratégie militaire française subit une modification avec l’accession au ministère de la Guerre du radical-socialiste Massimy et la nomination de Joffre comme chef d’Etat-major, en 1911. Jusqu’à cette date la conception dite « défensive-offensive » avait prévalu, caractérisée par l’importance accordée à une armée de seconde ligne étoffée doublant une ligne d’avant-garde destinée à sonder les intentions de l’adversaire. En 1910, le général Michel, préoccupé de l’éventualité d’une large attaque allemande à laquelle n’échapperait pas la Belgique, avait préconisé l’utilisation des réserves en première ligne pour garnir la totalité de la frontière, de Lille aux Vosges, et l’adjonction, en cas de mobilisation, d’un régiment de réserve à chaque régiment d’active. En 1911 triomphe la doctrine de « l’offensive à tout prix » : elle a son origine dans les « Sept études militaires » (1889-1891) du capitaine Gilbert, dans les ouvrages de Foch, professeur à l’Ecole de guerre : « Des principes de la guerre » (1903), « La conduite de la guerre » (1904) et dans « Dressage de l’infanterie en vue du combat offensif » (1906) dû au lieutenant-colonel de Grandmaison. Ce dernier emporte l’adhésion des jeunes officiers d’état-major lors de deux conférences tenues au début de 1911. Jean-Baptiste Duroselle en résume le contenu : « …la sûreté de l’offensive consiste à soumettre l’ennemi à notre volonté, à lui imposer la défense et non pas à surveiller ses actes pour agir en conséquence … l’économie des forces nous ordonne d’employer à la 73 fois toutes nos ressources à la seule tâche nécessaire sans les gaspiller en détachements inutiles qui se feront battre en détail ou en réserves lointaines qui arriveront trop tard ». Joffre, dès sa promotion en juillet 1911, substitue à la directive d’étalement des unités le long de la frontière nord la concentration des troupes en Lorraine. C’est sur les bases d’une offensive partant de cette zone qu’il élabore le fameux plan XVII qui entre en vigueur dans les premiers mois de 1914. Deux extraits des discussions parlementaires sur la loi de trois ans permettent d’apprécier les théories en présence : - Intervention à la Chambre du général Messiny (ministre de la guerre), le 12 juin 1913 : « Vouloir dans cette fournaise où le cœur, la cohésion, l’entraînement des régiments seront les facteurs prépondérants et décisifs, jeter dès le début des régiments de réserve, masses amorphes, encore sans âme et sans consistance, ce serait un crime contre la patrie ». - Jean Jaurès le 18 juin 1913 : « Si je disais toute ma pensée, je dirais que, probablement, l’Etat-major allemand sourit avec une joie profonde de la naïveté avec laquelle nous donnons à l’hypothèse d’une attaque brusquée avec un petit nombre d’hommes une place de premier plan alors que nous paraissons méconnaître la masse profonde qu’elle mobiliserait dès la première heure …Si vous ne voulez pas être débordés, ce n’est pas seulement nos effectifs de casernes, ce n’est pas seulement votre armée de première ligne et vos quatre classes les plus jeunes de réserve, c’est la totalité de la force virile de ce pays qu’il faut mettre en mouvement ». Si l’expérience de la mobilisation et des premiers mois de guerre révèle la fragilité de toute construction théorique, elle pulvérise les plans XVI rectifié et XVII de l’Etat-major ; - l’attaque brusquée ne s’est pas produite, - la Belgique est envahie, - l’utilisation immédiate des réserves a été un élément si déterminant de la stratégie allemande que Joffre dans ses « Mémoires » avouera : « l’emploi que les allemands ont fait en août 1914 de leur corps d’armée de réserve a été une surprise pour nous », - à la « passe d’armes brutale entre deux armées de professionnels » (la formule est de J.J. Becker) s’est substitué un conflit généralisé de 52 mois dans lequel la France perdit en moins de cinq mois de combat 300.000 tués et 600.000 blessés, prisonniers et disparus. Rappelons qu’en août 1914 la France dispose de 45 divisions d’active (800.000 hommes), de 621.000 jeunes réservistes, de 25 divisions de réserve (655.000 hommes) et de 12 divisions territoriales (184.000 hommes). *** * JE LES GRIGNOTE Cette réponse de Joffre à une question portant sur son programme militaire a laissé admirateurs et critiques du généralissime assez pantois. Laissons de côté toute analyse 74 psychologique du personnage au bénéfice d’une interrogation sur l’aveuglement persistant, notamment à l’Etat-major, en ce qui concerne les pertes humaines et leurs conséquences. Quelques données faciliteront la réflexion : - en 1914 la population française atteint à peine la moitié de celle de l’Allemagne ; - en dépit de ce désavantage démographique, la France lève en 1914 un nombre de divisions qui n’est inférieur que de 20% à celui de l’adversaire, les recrutements n’en seront que plus difficile ultérieurement ; - à la fin de 1914, au moment où le front se fige, l’expérience de la guerre offensive se solde par une mise hors combat de 900.000 hommes environ (750.000 chez l’adversaire) ; - en 1916 l’hémorragie de Verdun est également plus forte côté français : 270.000 tués contre 230.000. Ces quelques données posent question. Si Joffre disposait de solides soutiens politiques, de Poincaré à Jules Guesde en passant par Viviani et Millerand, les adversaires ne manquaient pas non plus, parmi lesquels Clemenceau. La première attaque contre Joffre, menée début 1915 au moyen de deux mémoires anonymes adressés à divers parlementaires - mémoires provenant incontestablement de l’Etat-major de la 3ème armée commandée par le général Sarrail assure J.B. Duroselle dans « La France et les français, 1914-1920 » - vise le pouvoir absolu que s’est arrogé le généralissime dans les mutations au Hautcommandement, la conduite des opérations, la conception même de la guerre d’offensive dans laquelle le français est « grignoté » plus vite que l’allemand. Mais il faut la réunion des comités secrets concernant Verdun, du 16 au 22 juin 1916 à la Chambre et du 9 juillet au Sénat, pour que « l’imprévoyance et la passivité » du Haut-commandement soient mises en cause. L’intervention d’André Maginot mérite d’être citée : « Nous nous sommes tus par discipline. Mais il faut dire la vérité. Les pertes de l’ennemi ne sont pas le double des nôtres ; elles sont moins fortes. Pourquoi , Parce que nos tranchées sont moins bien défendues que celles des allemands, parce que notre matériel est inférieur au leur, parce qu’au lieu de pratiquer une guerre d’usure, nous avons fait une guerre ininterrompue d’offensives partielles qui ne se sont traduites par aucun résultat appréciable, mais au contraire, par des pertes meurtrières ». Pourtant ce n’est qu’en décembre 1916 que la direction du front nord-est échappe à Joffre pour échoir à Nivelle, qu’à sa nomination de conseiller technique à la guerre Joffre répond par la démission, bref, que « pour résoudre la question du Haut-commandement, on va le faire monter dans l’Olympe ! » (l’image est de Renaudel). En effet le 27 décembre le gouvernement élève Joffre à la dignité de maréchal de France. *** Complément Paris, le 21 janvier 1915, 21 heures. 75 Sur le boulevard de Clichy, les chansonniers, armés de leurs seuls couplets, viennent courageusement à la rescousse de l’armée française. Ce soir, sur les planches, Léon Delfort, le célèbre comique troupier, vêtu d’un uniforme de Pioupiou, le képi rejeté fièrement vers l’arrière, interprète devant un public hilare la dernière œuvre de M.Georges Oury : Nous avons en France Un brav’ général Qui pour la vaillance N’a pas son égal. C’est l’général Joffre Qui command’ en chef Quand l’Prussien s’approche Il dit d’un ton bref : J’les grignote, j’les grignote Je les chasse de leurs terriers J’les grignote, saperlotte J’leur donn’ pas le temps d’boulotter. On peut le constater, à l’arrière le moral est bon. Même si la tactique du généralissime qui plaît tant au public parisien permet aux troupes françaises d’aligner deux fois plus de pertes que l’ennemi. Tiré de : « Le Pantalon », récit d’Alain Scoff J.C. Lattès, Paris 1982, page 62. *** * 76 LA BATAILLE DE LA MARNE *** * IL Y A UNE TELLE PENURIE L’insuffisance des dispositifs d’accueil des soldats appelés par la mobilisation du 1 er août 1914 est assez bien rendue par cette phrase du général Percin : « En août 1914, 1.200.000 réservistes ou territoriaux encombraient nos dépôts, sans armes, sans vêtements, sans gradés pour les encadrer, sans officiers pour les commander ». Extrait de : « Le massacre de notre infanterie» Général Percin – Albin Michel 1921 Louis Barthas, un simple soldat, mobilisé à Narbonne, s’interroge lui aussi : « Pourquoi appeler la même semaine, le même jour dix fois plus de soldats qu’il n’en fallait et arrêter ainsi la vie sociale si brusquement ? N’eût-il pas été plus simple, plus sensé d’appeler chaque classe au fur et à mesure des besoins ? Mais non, le militarisme méfiant s’était jeté sur le peuple comme sur une proie, il l’avait attiré à lui pour le tenir sous le carcan de la discipline ; qui sait si ce peuple pourtant si docile ne se serait pas ressaisi, le premier moment de stupeur passé ? C’est pourquoi on avait encaserné de 77 suite tout le monde, depuis le conscrit imberbe jusqu’aux vieux pépères de la R.A.T. au risque de ne pouvoir caser, nourrir, habiller toute cette vile canaille. On nous fit endosser de vieux effets rapiécés, crasseux, déguenillés, mis hors service. Ah ! nous étions luisants ! Pour la nourriture c’était pire : n’ayant rien ou presque rien à manger, on vida nos porte-monnaie dans les poches des hôteliers, gargotiers et autres traitants ». Extrait de : « Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier» Librairie Maspéro – Paris 1978 *** * NOTRE INSTRUCTION MILITAIRE L’argument : « On ne peut faire un bon soldat en deux ans » avait souvent été avancé lors des discussions de la loi de trois ans. - La classe 1914 fut envoyée au front après trois mois d’instruction ; - La classe 1915 après quatre mois ; - Les classes 1916 et 1917 au bout de six mois. *** * UNE HECATOMBE MONSTRE Selon les informations présentées à la Chambre en 1919 par le député conservateur Louis Martin, les pertes en tués et disparus au cours des mois d’août et septembre 1914 étaient de 313.000 hommes. Dans le même temps le nombre des évacués s’élevait à 300.000 hommes environ. *** Sans viser à l’exactitude, impossible en ce domaine, des évaluations récentes fournissent les données suivantes : - Pertes françaises par année de guerre : 1914 301.000 1915 349.000 1916 252.000 1917 164.000 1918 235.000 Total 1.301.000 78 - Tableau comparatif des pertes par pays (1914 – 1918) Pays Pertes militaires Rapport aux Rapport aux Taux natalité 1906 mobilisés habitants à 1910 15,40% 3,00% 3,16% Allemagne 2.040.000 Russie 1.800.000 France 1.300.000 Autriche-Hongrie 1.100.000 1,90% Royaume Uni 700.000 1,60% U.S.A. 114.000 0,11% Italie 450.000 1,60% - 1,10% 16,80% 3,40% Pertes françaises par grande bataille : - Batailles des frontières et de la Marne (1914) 250.000 - Artois et Champagne (1915) 232.000 - Verdun 221.000 - Somme (juillet-octobre 1916) 104.000 - Offensive Aisne et Champagne (avril-juillet 1917) 78.000 - Offensive allemande (printemps 1918) 107.000 - Offensive française (juillet-novembre 1918) 131.000 - 2,02% Les classes d’âge qui participèrent aux quatre années de guerre subirent des pertes de l’ordre du quart de leurs effectifs. - Au 1er avril 1919 on dénombrait 300.000 mutilés et 2.000.000 d’invalides d’au moins 10%. Cf. « L’Histoire» n° 76 – Mourir à Verdun *** * LA TENUE MILITAIRE L’uniforme français au début de la guerre est peu différent de celui de 1870 : képi bleu et rouge, tunique bleue, pantalon garance. 79 En raison de son anachronisme, une proposition d’équipement de teinte plus neutre et plus conforme aux exigences de la guerre moderne est soumise à la Chambre peu avant la guerre et abandonnée sur intervention d’un parlementaire attentif à la perpétuation de ce symbole de la tradition militaire : le pantalon rouge. Après l’adaptation évoquée dans le texte : manchon sur le képi et salopette, en avril 1915 l’uniforme bleu horizon détrône enfin l’ancienne tenue. A la même époque l’intendance équipe le combattant du casque Adrian. En novembre 1914, un projet de casque, élaboré par un officier du cabinet militaire de Poincaré, Pénelon, avait été accueilli par cette saillie de Joffre : « Mon ami, nous n’aurons pas besoin de les fabriquer, nous tordrons les boches avant deux mois ». *** * LES HURLUS Au milieu de février 1915 les français exécutèrent une grande attaque enChampagne, à l’ouest de l’Argonne. Appuyant son aile droite à l’Aisne, l’attaque proprement dite fut eécutée sur un front de vingt kilomètres. La bataille dura un peu plus d‘un mois. L’attaque fut exécutée suivant le schéma employé pour la percée : feu roulant, puis débouché soudain de plusieurs lignes de tirailleurs à très courte distance l’une de l’autre, suivies à quelques centaines de mètres par des colonnes de compagnies et de bataillon. Es pertes françaises se seraient élevées à 45.000 hommes, celles des allemands à 33.000. En outre les français perdirent 2.800 prisonniers, les allemands 2.300. Le plan de Joffre n’avait pas réussi. Le front allemand avait prouvé sa puissance. D’après « La guerre mondiale 1914-1918» Colonel G. Schnitler – Payot 1928 *** Le 20ème R.I. qui tient depuis le 9 mars 1915 les positions nord de Perthes est relevé le 14 mars par le 103ème. En raison de l’importance des pertes le régiment est dirigé le 15 mars sur Bussy le château où affluent les renforts, parmi lesquels se trouve mon père. E régiment remonte en ligne du 20 au 26, puis reste en réserve jusqu’au 1er avril, près de Somme-Suippes. A cette date, par Auve, Saint-Mard, Noirlieu, Pretz-en-Argonne, il gagne en six étapes Heippes et Rambluzin où il demeure en réserve, prêt à intervenir aux Eparges (Verdun). Cf. « Historique du 20ème R.I » 80 VIMY Les alliés passèrent à l’attaque à l’ouest de Lille, entre la Scarpe au sud et la Lys au nord. Une percée dans cette région aurait permis aux troupes de l’Entente non seulement de reprendre Lille mais encore de pousser vers la Belgique par la vallée de l’Escaut. Les chances paraissaient d’autant plus grandes à cette époque que des forces allemandes importantes étaient mobilisées sur le front russe. Ce fut la bataille d’Artois. La préparation d’artillerie commença dans les premiers jours de mai 1915 et alla en augmentant sans cesse d’intensité jusqu’au dimanche 9 mai où elle se transforma en un feu roulant d’une puissance jusqu’alors inconnue. Vers onze heures les mines des assaillants sautèrent en de nombreux points et l’infanterie se porta à l’attaque décisive des positions allemandes. La destruction des tranchées allemandes permit une avancée à La Chapelle de Lorette au nord d’Arras. Foch décida de poursuivre son attaque le lendemain et d’obtenir la percée. Il était trop tard, les allemands avaient reçu des renforts. Les combats durèrent jusqu’à l’été. Bien que refoulés en quelques endroits les allemands conservèrent leurs positions sans avoir à retirer la moindre troupe du front oriental. « La guerre mondiale 1914-1918 » Colonel Schnitler – op. Cit. *** Comprise dans l’offensive générale de la 10ème Armée, au nord d’Arras, la 66ème brigade est placée en avant de la ligne Ecurie-Roclincourt et a pour objectif deux lignes de tranchées à cheval sur la route de Lille, puis la crête du Thélus. Les deux régiments de la brigade doivent s’engager dans l’ordre : 11ème R.I. puis 20ème R.I. En passant à Anzin-Saint-Aubin les hommes ont déposé les havresacs ; ils gardent en sautoir la couverture roulée dans la toile de tente. La première ligne allemande est si proche que la préparation d’artillerie ne peut viser que la seconde ligne. Le 9 mai à 10 heures l’attaque est déclenchée ; le 11ème R.I. n’a fait que quelques mètres quand une mine, qui devait selon le plan d’opération faire sauter la tranchée allemande, ouvre un énorme cratère sous le bataillon de tête, qui disparaît, englouti. L’attaque est reprise à16 heures, sans succès. Le soir même le 20ème R.I. relève le 11ème, en première ligne. Les difficultés d’attaque de la crête du Thélus, formidablement organisée, sont telles que le 20ème est chargé du 10 au 13 mai d’appuyer de ses feux les opérations à droite et à gauche ; durant ces quatre jours il subit les tirs d’écrasement des allemands, par obus de 210. Le 15 mai à 17 heures une nouvelle attaque est tentée ; le barrage d’artillerie des allemands est d’une violence inouïe sur le premier bataillon. Les soldats sont fauchés par les mitrailleuses dès qu’ils montent aux échelles de franchissement de la tranchée. L’attaque ne peut déboucher. 81 Un deuxième assaut à 19 heures15 se déroule de la même façon. Une attaque, prévue de nuit, est finalement annulée. Les opérations offensives sont arrêtées le 16 mai. Le 20ème R.I. vient de perdre 250 hommes. « Historique du 20ème R.I.» *** * L’ATTITUDE DE L’ITALIE ET DE LA ROUMANIE (lettre du 16 février 1915) L’Italie, restée neutre depuis le début de la guerre, a pour visée les terres « irrédentes » : le Trentin et Trieste, qui appartiennent à l’Autriche. L’espoir déçu d’obtenir satisfaction en échange d’un engagement au côté des puissances centrales l’incite à tenter sa chance auprès de l’Entente. Les pourparlers avec les Alliés débutèrent le 4 mars 1915. Dans un mémorandum remis à la France et à la Russie, l’Italie demande pour prix de son intervention, otre les territoires précités, une partie de la Dalmatie et de l’Albanie. Le 26 avril la signature du traité de Londres engage l’Italie dans la guerre au côté des Alliés contre la promesse, faite par la France, l’Angleterre et la Russie, d’obtenir les futures annexions territoriales. *** La Roumanie, impliquée dans les guerres balkaniques de 1913, reste, elle aussi, neutre au début du conflit. Le 10 septembre 1915, devant l’imminence d’une opération austro-allemande contre la Serbie, elle déclare qu’elle demeurera neutre. Les succès de l’offensive russe, menée par le général Broussilov en Galicie, en mai 1916, emporte la décision de la Roumanie : le 17 août elle signe à Bucarest un traité d’alliance avec l’Entente. Mais dès le mois de décembre 1916 Falkenhayn, qui vient d’être relevé de Verdun pour être muté sur le front oriental, déclenche une offensive foudroyante et conquiert une large part du territoire roumain. *** * BATTUS DANS LES BALKANS Le 25 avril 1915 es corps de débarquement français et anglais (gros de 30.000 hommes) avaient pris pied sur les deux rives de l’entrée des Dardanelles. Le « but était de s’emparer de ce détroit ottoman puis du Bosphore et ainsi de rétablir avec la Russie des communications qui, vu la 82 suprématie allemande dans la Baltique, ne pouvaient plus se faire que par Arkhangelsk et par Vladivostok » (J.B. Duroselle « La France et les français 1914-1920 » page 110). L’opération s’enlisa dans une guerre de position. Le 11 octobre 1915 la Serbie est envahie par la Bulgarie, entrée en guerre au côté des empires centraux. La Grèce, devant intervenir aux termes d’un traité d’alliance suggère à l’Entente de transférer à Salonique une part des troupes alliées, immobilisées aux Dardanelles. Le 18 l’Entente déclare la guerre à la Bulgarie ; entre temps des contingents français arrivent devant Salonique, sans pour autant décider la Grèce à rallier le camp de l’Entente. Ces opérations militaires ont pour contexte des tentatives diplomatiques incohérentes, doublés de conflits entre états-majors anglais et français. Début décembre 1915 les Alliés échouent contre les bulgares. En janvier 1916, les navires alliés transportent à Corfou les troupes serbes qui ont pu échapper à ‘extermination et atteindre l’Adriatique par les montagnes d’Albanie. Les derniers soldats britanniques évacuent les Dardanelles. Au plan intérieur, le discrédit du ministre des Affaires étrangères, Delcassé, considéré responsable de l’entrée en guerre de la Bulgarie, conduisit Viviani à présenter la démission de son cabinet le 29 octobre 1915. *** * LA PREMIERE FOIS QUE JE SUIS VENU AU FEU Le 18 avril 1916 le 20ème R.I. quitte la Lorraine (voir Aide-mémoire n°32) pour rejoindre, par chemin de fer, le front de Champagne. Le 23 avril il débarque au sud de Châlons-sur-Marne, à Coolus, et cantonne à Nuisement-sur-Coole (7 kilomètres plus au sud). En vue de la relève de la 123ème D.I., qui tient le secteur entre la Butte d Mesnil et Maisons de Champagne, il est acheminé le 30 avril, par camions, jusqu’à Hans (18 kilomètres à l’est de Suippes). Arès des arrêts au camp des Boyaux, au camp des Pins, au camp du Marson, le 20ème R.I. prend possession, le 14 mai, des quartiers A et B du sous-secteur du Bois allongé et du quartier C du sous-secteur des Walkyries, sur la face est du saillant allemand de la Butte du Mesnil. Deux attaques allemandes, les 15 mai et 22 juin, suivies de coups de main en riposte, marquent cet engagement en Champagne. Le régiment est relevé le 2 juillet et par Auve, Poix, Marson, rejoint Versigneul-sur-Marne et Saint-Germain-la-Ville où il est is au repos – depuis le début de la campagne il n’a jamais eu un repos supérieur à huit jours. Le 11 juillet, par Coupéville et Possesse il rejoint Charmont où il cantonne jusqu’au 17 juillet. Ensuite, transporté en camion de Vaubécourt au circuit de Nixeville, le régiment bivouaque au Bois-laVille en vue de son prochain engagement dans le secteur de Verdun. Cf. « Historique du 20ème R.I.» *** 83 LES ZIMMERWALDIENS La conférence internationale tenue du 5 au 8 septembre 1915 à Zimmerwald, en Suisse, est la première tentative de liaison entre les militants appartenant aux deux camps belligérants. Onze pays sont représentés. Parmi les trente-huit participants, deux français : Bourderon et Merrheim, deux allemands du groupe d’opposition de Liebknecht (voir notice biographique) : Hoffmann et Ledebour, et pour la Russie : Lénine et Trotski. Si l’accord s’établit sur la condamnation de la guerre, sur la dénonciation nécessaire de son origine impérialiste, les divergences se manifestent quant aux stratégies de la classe ouvrière pour parvenir à la paix. Les participants se refusent à la rupture avec la ii ème Internationale et avec les « sociaux-patriotes » que préconise Lénine. L’écho de Zimmerwald demeura confidentiel. L’Union sacrée persista, la participation socialiste aussi : Jules Guesde, Marcel Sembat et Albert Thomas restèrent dans le cabinet Briand. La tête de file de la minorité syndicaliste de l’Union des Métaux, Merrheim, concluait « La masse n’a pas répondu à ‘appel de Zimmerwald. Elle était trop écrasée par le poids des mensonges de toute la presse ». *** * L’ARTICLE « AYONS CONFIANCE » Ce long article paru dans « Le Travailleur » du 19 avril 1916, sans contenu précis et de forme très répétitive, dénonce « ce défaut dont en France nous sommes tous un peu affligés [qui] consiste à voir chez soi tout en mal et à doter son voisin, voire son ennemi, de toutes les qualités, de toutes les perfections, de toutes les félicités ». Pourquoi a-t-il retenu l’attention de mon père ? Pourquoi l’a-t-il lu à de nombreux camarades soldats ? Sans doute y ont-ils décelé l’abandon – très relatif pour le lecteur d’aujourd’hui – du verbiage manichéen qui a submergé toute la presse depuis 1914 ; la faille entre le discours et la réalité quotidienne est devenu gouffre, les mots ont perdu sens. La timide reconnaissance que « des fautes énormes ont été commises par tout le monde », que « nous pourchassons nos profiteurs comme nous pouvons », que « nos gouvernants ne sont peut-être pas des génies », que « nos chefs militaires ne sont point, probablement, des types dans le genre de Napoléon » et qu’enfin « le malaise économique, en France, est indéniable », est accueillie comme un souffle d’air frais. L’article conclut sur un vœu pieux : « Cessons de nous calomnier. Sans imiter certains journaux qui trompent la masse, lui dorent la pilule et ne se soucient point de la démoralisation qui s’ensuit, regardons la vérité en face, courageusement : dénonçons nos imperfections, signalons les abus, étalons nos insuffisances et nos lacunes ; mais que ce soit pour les réparer d’urgence. L’effort 84 merveilleux et fécond réalisé par nous depuis deux ans de guerre doit nous animer, nous donner la pleine conviction que nous sommes capables, pour la victoire des armées et pour la victoire économique, pour le relèvement de notre pays, des plus grandes choses. Cessons les récriminations, dissipons les méfiances ayons confiance ! ». *** * JE L’AI TROUVE A ARRACOURT Après son évacuation du front d’Artois, le 21 mai 1915, et son hospitalisation dans différents établissements du sud-ouest, mon père rejoint, le 25 février 1916, le 20èmeR.I.,qui occupe le secteur d’Arras, Ronville, Saint-Sauveur. Relevé par les anglais le 1er mars 1916, le régiment est transporté à Neuves-Maisons, Chaligny, en Lorraine. Il gagne le 12 mars la zone de Champenoux, Erbeviller-surAmeluze pour y participer à des travaux d’organisation défensive. Le 6 avril il relève des unités de la 6ème Division de cavalerie dans le secteur d’Einville-au-Jard ; la première ligne occupe le centre de la résistance d’Arracourt. Relevé le 18 avril, le 20ème R.I. est mis au repos à Bayon sur la rive droite de la Moselle d’où il est transféré, par chemin de fer, à Coolus au sud de Châlons-sur-Marne et vient cantonner à Nuisement (voir Aide-mémoire n° 29). *** * ON PARLE BEAUCOUP DE LA SOMME La bataille de la Somme, longue et confuse, se déroule de début juillet à mi-novembre 1916 dans le but non plus de détruire les armées des empires centraux par des offensives simultanées sur les fronts ouest et est, comme il avait été prévu en février, mais pour dégager Verdun. Menée en direction de Péronne par les divisions françaises, et de Bapaume par les britanniques, la « Somme » apparaît – principalement dans la mémoire anglaise – comme le prototype de la guerre d’usure et de matériel … sans résultat (une avancée de cinq à douze kilomètres dans le meilleur des cas). Au cours de cette bataille des tanks ont été utilisés pour la première fois, par les anglais. Côté français, renforcement de l’artillerie lourde, dont la fabrication a été entreprise depuis fin 1914, et suprématie aérienne. *** * 85 L’OFFENSIVE RUSSE Initialement cette offensive devait s’inscrire dans une opération générale des Alliés, décidée en février 1916, mais bouleversée par l’attaque allemande sur Verdun déclenchée le 21 février. Quatre armées commandées par le général Broussilov attaquent le 4 juin 1916 sur un front de 150 kilomètres. Les positions austro-hongroises sont enfoncées sur 100 kilomètres de profondeur. Début juillet une contre-attaque allemande est brisée. Le 28 juillet une seconde offensive russe oblige les austro-hongrois à une nouvelle retraite. Faute d’aviation et en raison de l’insuffisance des préparations d’artillerie ces succès ne peuvent être exploités et Broussilov arrête l’offensive au milieu d’août. Les empires centraux ont perdu la Bukovine, une partie de la Galicie et 378.000 prisonniers. *** * VERDUN Le 16 décembre 1915, Gallieni – sur information d’un parlementaire mobilisé, le lieutenantcolonel Driant – averti Joffre des « défectuosités » de la défense dans les secteurs de Toul et de Verdun. Début février 1916, le 2ème bureau signale une attaque en préparation, renseignements confirmés le 13 par des déserteurs. Joffre ne voit dans tout ceci qu’entreprises de démoralisation de l’armée et de sape de la discipline. La bataille débute le 21 février par un formidable bombardement ; l’avance allemande va se poursuivre jusqu’au 12 juillet. La Meuse est franchie, les forts de Douaumont et de Vaux conquis. Après une phase de stabilisation les offensives menées par Mangin, en octobre puis en décembre 96 permettent la reprise des forts et d’une partie du terrain perdu. La bataille a duré 302 jours. « Il y eut à Verdun près de 500.000 morts, disparus et prisonniers dont un cinquième, déchiqueté par les tirs, enseveli dans la boue, a disparu et repose, anonyme, dans le sol criblé de trous, irrécupérable, de ce coin maudit » (J.B. Duroselle). Les troupes françaises commandées par le général Pétai depuis le 26 février furent ravitaillées par une chaîne ininterrompue de camions (Voie sacrée). « A la mi-juillet l’artillerie lourde – au-dessus du 75 – avait tiré 10 millions d’obus et l’artillerie allemande 21 millions » (J.J. Becker). Enfin, pour redescendre des chiffres aux hommes, cette appréciation de J. Meyer « Vie et mort du soldat de Verdun », Actes du colloque international sur la bataille de Verdun (juin 1975) : « la bataille de Verdun fut une guerre d’hommes abandonnés. Quelques hommes autour d’un chef, oficier subalterne, sous-officier, voire simple soldat que les circonstances avaient révélé capable de commander. C’était parfois un homme réduit à se commander lui-même ». *** 86 Le 20ème R.I. intervient à de nombreuses reprises dans la région de Verdun. Venant de Champagne, il arrive le 20 juillet 1916 à la caserne d’Anthouard à Verdun où l’équipement des soldats est réduit au strict nécessaire : quatre jours de vivres, grenades, artifices, signaux. Du 22 juillet au 8 août 1916 le régiment va occuper le secteur au sud de Douaumont et à l’ouest de Fleury et de Thiaumont. Mon père appartient au 2 ème bataillon qui a le privilège de ne participer à aucune attaque et de n’en subir aucune ; il perd néanmoins pendant ces dix-huit jours 210 hommes sur 750. L’ »Historique du 20ème R.I. » donne pour l’ensemble des trois bataillons et pour la même période des pertes globales de 1.124 hommes sur 2.250, soit 50%. Après un repos d’une semaine à Naut-le-Grand et Naut-le-Petit le régiment relève le 40ème R.I., dans le secteur de la Côte du Poivre, où il demeure 97 jours, du 19 août au 23 novembre, sans repos. A la suite d’une permission le 24 novembre et vraisemblablement une seconde fin décembre, mon père rejoint le 20ème R.I., dans son nouveau secteur en forêt d’Apremont, à l’extrême pointe de la hernie de Saint-Mihiel. Les lignes adverses sont très proches les unes des autres, très sinueuses, et les coups de main fréquents. Le régiment est relevé le 4 mars 1917 et, par Liouville, Nonçois, Bar-leDuc, Robert-Espagne, Heiltz-le-Naurupt, Outre-Pont, Saint-Lumier-en-Champagne, parvient à SaintAmand où il demeure jusqu’au 18 mars. *** * LA NOTE DE BRIAND Faute de pouvoir relater par le menu l’activité diplomatique de la période fin1916-début 1917, efforçons-nous d’en dégager le schéma. Une situation politique inextricable (lassitude des masses, fissure des unanimités parlementaires, fragilité), une situation militaire sans issue (la guerre d’usure a épuisé tous les belligérants, l’unité de commandement interallié n’a trouvé de solution ni à Paris ni à Berlin), vont permettre une intervention diplomatique extérieure aux pays belligérants, celle des Etats-Unis. Wilson, guidé par son envoyé spécial en Europe, E.M. House, pense pouvoir appliquer une politique de médiation forcée. Début 1916, House au cours d’entretiens à Londres, Paris puis Berlin, dévelop0pe son plan de conférence internationale de la paix, avec en contrepoint la menace d’une intervention militaire. La méfiance et l’indécision, tant de Grey en Angleterre que de Briand en France, font échouer la tentative. Le 12 décembre 1916 l’Allemagne, espérant prendre l’Amérique de vitesse, propose l’ouverture de discussions avec les pays ennemis. Six jours plus tard Wilson adresse aux belligérants une note leur demandant de préciser leurs buts de guerre. Le 29 décembre les allemands rejettent la note américaine, ce qui détermine les Alliés à adresser le 12 janvier 1917 une réponse vague, où sont évoqués : la libération des minorités 87 nationales, l’autonomie de la Pologne, la restitution de l’Alsace-Lorraine et, après la guerre, la création d’une société des nations. Le 22 janvier 1917, au moment même où Wilson préconise au Congrès une « paix sans victoire », garantissant la liberté des mers et le désarmement contrôlé, les espoirs de médiation sont brisés, Hindenbourg ayant enlevé, dès le 9 janvier et malgré l’opposition du chancelier BethmannHollweg, la décision d’entreprendre une guerre sous-marine à outrance. Les relations diplomatiques des Etats-Unis avec l’Allemagne sont rompues dès le 3 février 1917 et le 6 avril, après le torpillage de navires américains, la guerre déclarée. *** * DE LA VILLE DE R… Il s’agit, bien évidemment de Reims. Les … ne sont que le témoignage d’une obéissance sans conviction aux consignes de secret militaire. Le contrôle postal a été institué par Joffre dès le 4 janvier 1915. A partir de 1916 le personnel chargé de ce travail (employés, universitaires, membres des professions libérales) fut considérablement augmenté. A l’objectif initial de non divulgation des lieux de combat et des mouvements de troupes se substitua un sondage sur le moral des soldats, portant sur au moins 500 lettres par régiments et par mois, soit 180.000 lettres par semaine. *** * UNE EMISSION DE GAZ Les gaz asphyxiants ont été utilisés pour la première fois, par les allemands et près de Langemarck, au nord-est d’Ypres, le 22 avril 1915. Les gaz employés sont, dans une première phase, diffusés à ‘aide de tuyaux dégageant à proximité des tranchées ennemies un produit à base de chlore ; ensuite l’ »ypérite » (de la ville d’Ypres), soit du sulfure d’éthyle dichloré, est véhiculé par obus. Son odeur le fit désigner par les fantassins français « gaz moutarde ». Avec un décalage dans le temps, dû au retard technologique en matière d’industrie chimique, est fabriqué, côté français, la « vincennite » (du fort de Vincennes où sont installés les ateliers) constitués d’acide cyanhydrique liquéfié. La protection d’abord mal assurée par des baillons imbibés d’huile de ricin et de ricinate ou d’hyposulfite de soude, est peu à peu améliorée avec le masque M de courte efficacité, puis le masque ARS comportant une cartouche filtrante, copie du modèle allemand. 88 Ces renseignements, empruntés à J.J. Becker, n’évoquent pas le mouchoir imbibé d’urine noué à la hâte devant le nez et la bouche, dont j’ai le souvenir d’avoir entendu parler mon père. *** * LA CRISE MINISTERIELLE EN FRANCE Briand, après avoir « lâché » Joffre en décembre 1916 (voir Aide-mémoire n°19), cherche un remplaçant susceptible d’agréer aux parlementaires. Nivelle avait su reprendre en octobre et décembre 1916 Douaumont et Vaux, avec des pertes modérées. Sa notoriété soudaine, son protestantisme – apprécié des milieux laïques -, sa parfaite connaissance de l’anglais – promesse d’amélioration des relations avec notre alliée – joints à l’intelligence et au brio qu’il apporte à présenter son plan militaire, en font rapidement l’homme du moment. Si son plan, basé sur des offensives simultanées de tous les alliés, innovait peu par rapport à celui de Joffre, le rapport des forces en présence (sur le front occidental 180 divisions alliées contre 152, et sur l’ensemble des fronts 503 contre 342) semblait conforter ses certitudes. Cependant, avant même le déclenchement de l’offensive, plusieurs évènements viennent troubler « l’optimisme » régnant : - Du 8 au 17 mars 1917éclate la première révolution russe, le tsar abdique ; - Du 15 au 19 mars les allemands, conscients de leur infériorité numérique réduisent leur front de 70 kilomètres par un repli entre Arras et Soissons ; - Enfin des différents multiples se manifestent : critiques à l’égard du plan militaire, notamment de Pétain, hostilité du ministre de la Guerre aux comités secrets (Lyautey finit par donner sa démission). Briand cherche à sauver son ministère en faisant appel à Painlevé pour remplacer Lyautey à la Guerre. Refus. Les passions latentes se déchaînent contre Briand qui doit lui aussi présenter s démission, le 17 mars. Il est remplacé par Ribot, droite modérée. Du nouveau ministère, accepté par Poincaré le 19 mars, émergent Painlevé et Albert Thomas. Quant à l’offensive, elle n’aura lieu que le 16 avril 1917. *** * MORONVILIERS COMME OBJECTIF Cette attaque s’inscrit dans l’offensive Nivelle (voir Aide-mémoire n°39), déclenchée le 16 avril 1917 à 6 heures du matin. 89 La percée devait avoir lieu au niveau du Chemin des Dames. Les fantassins, après avoir traversé l’Aisne devaient faire une avancée de dix kilomètres pour se retrouver le soir dans la vallée de l’Ailette, en direction de Laon. En fin de journée 500 mètres ont été gagnés au prix de pertes très importantes. Nivelle conscient de son échec, décide néanmoins, en contradiction avec son engagement antérieur d’arrêter l’offensive après 48 heures en cas d’insuccès, de poursuivre sur le Chemin des Dames jusqu’au 9 mai. La maigre « victoire de Craonne » ne sauve pas Nivelle : le 15 mai Pétain est nommé à sa place commandant en chef des armées du nord-est. Les pertes comparées, pour la période du 1 er avril au 9 mai : 271.000 pour la France contre 163.000 pour l’Allemagne. Indépendamment de ces données, inconnues à l’époque, la désillusion est si grande que la crise de lassitude et de désespoir, déjà sensible dès la fin de 1916, va déboucher, d’avril à juillet 1917, sur les mutineries du front et sur les mouvements revendicatifs de l’arrière. *** * UNE COMPAGNIE A REFUSE Les mutineries, pudiquement baptisées « crises d’indiscipline » par les autorités militaires, débutent le 17 avril 197 à Auberive et Mourmelon (voir Aide-mémoire n° 41 bis) pour atteindre leur paroxysme en mai et juin 1917. L’ampleur du phénomène, bien connu après les enquêtes de la fin des années soixante, est considérable : les 250 cas de mutinerie recensés affectent 68 divisions d’infanterie. La carte (voir Aide-mémoire n° 41 ter) délimite les zones atteintes par la crise et précise leur intensité ; il faut ajouter que l’épicentre demeure le front de l’Aisne. Le plus souvent le mouvement se borne au refus de monter en ligne. On relève quelques rares cas de violence : les 1er et 2 juin des fantassins du 23ème R.I. à Ville-en-Tardenois, bientôt soutenus par ceux du 133ème R.I. lapident le général Bulot aux cris « Assassin ! Buveur de sang ! A mort ! Vive la révolution ! » et défilent au chant de l’Internationale (c’est la mutinerie la plus massive 2.000 hommes). L’objectif des mutins : suspendre les offensives infructueuses et sanglantes et accélérer le rythme des permissions. On estime à 30 ou 40.000 le nombre des mutins, dont un dixième passe en conseil de guerre. Les 3.427 condamnations prononcées se répartissent en 1.492 peines légères, 1.381 graves, 55 condamnations à mort, dont 49 exécutées. Cf. « 1917, les mutineries de l’armée française.» de Guy Pédroncini – Julliard 1968 « 1917, l’année terrible » de J.J. Becker – L’Histoire n° 61 *** 90 Le 20ème R.I., arrivé à Saint-Amand (voir Aide-mémoire n° 35), occupe le 20 mars 1917 le secteur de Prosnes qu’il est chargé d’aménager en vue d’une opération offensive. Une longue préparation d’artillerie (du 10 au 16 avril) précède l’offensive du 17 qui débute à 4 h 45 (la lettre du 29 avril dit 5 h, mon père appartenant à la deuxième vague). Jusqu’au 21 les attaques se poursuivent particulièrement sanglantes. L’absence d’opération le 21 ne met évidemment pas les hommes à l’abri de l’artillerie et des engins de tranchées Dans la nuit du 21 au 22 le régiment relève le 11 ème R.I., relevé à son tour par le 207ème dans la nuit du 25 au 26, le 20ème R.I., après trois jours de repos à Mourmelon, remonte en ligne sous un bombardement très dense d’obus asphyxiants. Le 30 avril une dernière attaque est menée, sans résultat. Le régiment est relevé dans la nuit du 1 er au 2 mai. En quinze jours le régiment a perdu 787 hommes. Si « L’Historique du 20ème R.I. » donne la citation du régiment à l’ordre de l’Armée (10 456 D), il ne souffle mot des « incidents graves » survenus le 29 avril. C’est dans le tome 5, vol. 2, page 192, des « Armées françaises dans la Grande Guerre » qu’est signalé le premier incident sérieux dans un bataillon qui a pris part à l’attaque des monts de Champagne. Le rapport Pétain : « La crise morale et militaire de 1917 » page 63 précise qu’il s’agit du 20ème R.I. de la 33ème D.I. Cette mutinerie de Mourmelon-le-Grand a entraîné la mise en jugement de six hommes sous l’inculpation d’abandon de poste et de refus d’obéissance devant l’ennemi et de neuf autres sous le premier chef d’inculpation seulement. Le Conseil de guerre prononça six condamnations à mort dont aucune ne fut exécutée. *** * 91 *** 92 CES SCANDALES, ALMEREYDA, BOLO, CAILLAUX, HUMBERT L’amalgame qui est fait ici apparaît, avec le recul, comme un témoignage de l’influence de la presse qui insinue dans tous les esprits la confusion : pacifisme = trahison. Par bonheur la suite de la lettre montre que la marée d’information douteuses n’a pas noyé la vigilance critique. Il est vrai que, seule la publication d’archives, notamment allemandes, autour des années soixante a permis le nécessaire partage. ALMEREYDA, de son vrai nom Vigo, après avoir oscillé entre anarchisme et socialisme – il est du côté d’Hervé au temps de l’antimilitarisme – crée en 1914 « Le Bonnet rouge » où sont défendues certaines idées de Caillaux. Au début de la guerre il participe aux tractations entre le mouvement syndical et le ministère de l’Intérieur (voir notices biographiques Malvy et Jouhaux et Aide-mémoire n° 13). En 1917 des parlementaires socialistes et même radicaux-socialistes, croyant la paix accessible avant une victoire de plus en plus hypothétique, collaborent au « Bonnet rouge ». En mai 1917 la police établit qu’Almereyda reçoit des fonds d’un banquier allemand. Il est arrêté le 7 août et trouvé mort quatre jours plus tard dans sa cellule. Cette affaire trouble permet à Clemenceau d’orchestrer une campagne « tous azimuts » contre une vague de pacifisme protéiforme, visant particulièrement les personnalités susceptibles de devenir des rassembleurs, à savoir Caillaux et Malvy. BOLO PACHA, aventurier vivant de ses relations, devait son titre au Khédive d’Egypte Abbas Hilmi qui, avant 1914, l’avait nommé pacha. Le faste de son train de vie pendant la guerre provoque une enquête de police et la révélation, par le gouvernement américain, qu’une somme de 1.683.000 $ a été portée au crédit de Bolo dans une banque américaine, suite à un dépôt de la Deutsche Bank. Bolo est arrêté le 29 septembre 1917 et, à l’issue de son procès, condamné à mort en février 1918. HUMBERT (voir Presse « Le Journal ») arrêté le 13 novembre 1917 a reçu en 1915, de Bolo, les fonds nécessaires à une participation majoritaire au capital du quotidien « Le Journal ». Les petites annonces du Journal ont été largement employées par les agents de l’espionnage allemand. Cependant Humbert, sénateur de la Meuse, membre de l’Alliance démocratique, est acquitté par le Conseil de guerre. CAILLAUX avait su, dès avant 1914, s’attirer de solides et durables antipathies, tant par sa suffisance cassante que par ses propositions à contre-courant, de négociations avec l’Allemagne lors de la crise marocaine de 1911 (voir Aide-mémoire n° 9), ou de création d’un impôt sur le revenu au cours des discussions budgétaires de 1913. Depuis peu Caillaux a évolué vers le radicalisme ; il en devient le leader en 1913. Madeleine Rebérioux en souligne l’importance : « Avec Caillaux c’est un nouveau secteur des milieux d’affaires qui accède à la direction du parti … La banque pacifiste est au pouvoir ». Mais à la veille de la guerre Caillaux doit abandonner tout espoir d’une participation au gouvernement : sa femme a tué le directeur du « Figaro » pour mettre fin à une campagne calomnieuse menée contre son mari. En 1917, à l’heure où les perspectives de victoire s’obscurcissent, de nombreux secteurs de l’opinion, étrangers au socialisme, voient en Caillaux l’homme d’une politique de négociation. Au Parlement se constitue une minorité, principalement radicale, qui lui est favorable. Les imprudences 93 de Caillaux : correspondances et relations avec des diplomates, des financiers, d’états neutres ou même ennemis, contacts avec Almereyda et Bolo, permettent à Clemenceau de conclre au complot pacifiste et d’en dénoncer le chef. Caillaux arrêté en janvier 1918, traduit en Haute Cour en 1919, ne fut libéré qu’en 1920. L’année 1917, l’année trouble, a été ponctuée par le renversement de trois ministères : le cabinet Briand dure trois mois, le cabinet Ribot un peu plus de cinq, le cabinet Painlevé deux. La crise prend fin avec le retour à l’Union sacrée, la marginalisation de l’extrême gauche … et la formation du ministère Clemenceau le 16 novembre. *** * MICHAELIS Ministre du ravitaillement du gouvernement allemand, Michaëlis Georges accède le 14 juillet 1917 à la Chancellerie d’Empire, en remplacement de Bethmann-Hollweg. C’est l’instrument d’Hindenburg et de Ludendorf. Il ne conserve ce poste que trois mois, remplacé à son tour par Hertling appartenant à l’aile droite du « Zentrum » et partisan de la recherche d’une « juste paix ». Cet éphémère chancelier provoque des remous dans la presse française lorsqu’il déclare être renseigné des délibérations des comités parlementaires secrets par un témoin oculaire et auriculaire. Le 20 septembre 1917 le gouvernement demande la levée de l’immunité parlementaire du député radical-socialiste des Côtes du Nord, Turmel ; une importante somme en francs suisses a été découverte dans son vestiaire. Au cours des débats le député socialiste Jobert (voir notice biographique), suspectant une provocation policière, prend la défense de Turmel. Arrêté le 7 octobre, Turmel meurt à la prison de Fresnes. Après guerre, des documents allemands permirent d’établir que Turmel avait bien été un agent stipendié de l’Allemagne. *** * REGION DES CHAMBRETTES, BOIS LE CHAUME Après l’offensive infructueuse sur Moronvilliers (voir Aide-mémoire n° 41), le 20ème R.I. est mis au repos du 7 au 17 mai 1917 à Saint-Jean-devant-Possesse puis, par Nançois-le-Grand, Chonville, Lérouville, Pont-sur-Meuse, gagne Boncourt-sur-Meuse d’où il relève, dans la zone « Tête de vache », qu’il a tenu pendant l’hiver précédent, le 246ème R.I. Alternant dix jours de tranchées et cinq jours de repos à Boncourt, le régiment garde ce secteur du 22 mai au 2 novembre ; le 3 il se déplace 94 légèrement sur sa droite pour occuper l’ouest de la plaine de Woëvre dans le secteur des étangs. Relevé le 5 novembre il part au repos à Tannois par Culey et Longeville. Le 10 décembre il s’embarque à Nançois-sur-Ornain et Tronville-en-Barrois pour être déposé à Dugny-sur-Meuse. Après avoir cantonné au faubourg Pavé de Verdun et à la caserne Miribel il gagne dans la nuit du 18 au 19 décembre le secteur Herbebois, en avant de la ferme des Chambrettes et de la cote 353. L’occupation de cette zone est rendu particulièrement difficile en raison de la destruction des organisations défensives depuis la contre-offensive française d’août 1917, et aussi de l’hiver très rigoureux. Les relèves et le ravitaillement ne s’effectuent qu’au prix d’énorme risques : les pistes battues par les mitrailleuses, soumises aux rafales d’obus explosifs ou toxiques, sont coupés de cratères où une main courante de fortune empêche l’enlisement fatal. Aux pertes par le feu s’ajoutent les pertes par le froid ; les unités fondent rapidement. Le régiment occupe ensuite, plus à l’est, le secteur de Chaume où il repousse le 26 une très violente opération menée par deux bataillons de la Garde. Enfin relevé dans la nuit du 21 au 22 janvier 1917, le 20 ème est mis au repos à Bassu et Bassuet après voir été transporté par chemin de fer jusqu’à Blesmes.0 Du 4 février à la fin de ce mois le régiment est employé à des travaux d’organisation de positions de défense autour de Verdun. Cette tâche achevée il occupe la partie des Hauts de Meuse située au nord des Eparges où le 13 mars la 2ème D.I. américaine est amenée en renfort. *** * VICTOIRE A L’ITALIENNE Le contexte permet de penser qu’il est fait ici référence à Caporetto où le 20 octobre 1917 une attaque surprise des austro-allemands réussit à percer le front et entraîna l’invasion du territoire vénitien jusqu’à la Piave. La défaite des troupes italiennes, bien que totale ne conduisit pas à une paix séparée et les pauvres fantassins italiens durent poursuivre le combat jusqu’à l’effondrement de l’Autriche-Hongrie, fin octobre 1918. *** * STOCKHOLM La première révolution russe de mars 1917 a été saluée par toutes les tendances du Parti socialiste. Souvent dans une incompréhension totale, témoin cet article du 21 mars paru dans « Le Travailleur socialiste de l(Yonne » sous le titre « Vive la Russie » dans lequel on peut lire : « Nous 95 allons assister à une renaissance, à une métamorphose complète de la vieille Russie … Il est évident que son action dans la guerre va se trouver fortifiée ». Le 27 mars 1917 le soviet de Petrograd lance un appel à tous les peuples en faveur d’une paix sans annexion ni indemnité, mot d’ordre repris par le gouvernement provisoire de Kerenski soucieux de capter le succès des arguments bolcheviks. Une délégation de la S.F.I.O., composée de trois majoritaires : Moutet, Cachin, Lafont, constate dès son arrivée à Petrograd, le 13 avril, l’état de désagrégation de l’armée russe et conclue à la nécessité de hâter la paix. Sous la pression des évènements : grèves à l’arrière et mutineries sur le front, le Conseil national de la S.F.I.O., réuni le 28 mai, décide à l’unanimité l’envoi d’une délégation à la conférence internationale socialiste de Stockholm, suscitée par les hollando-scandinaves. Cependant le Parti socialiste se résigne mollement au refus du gouvernement de délivrer les passeports nécessaires. La conférence de Stockholm réunit cependant vingt-cinq partis. Les divisions que vont révéler les débats sont très semblables à celles qui vont, à échéance, faire éclater le Parti socialiste français : - Le parti belge défend les thèses « majoritaires » et conclue à la responsabilité de l’Allemagne ; - La plupart des partis des pays neutres, proches des « minoritaires », prônent la recherche d’une paix sans annexion et sans indemnité ; - Les Zimmerwaldiens s’opposent aux autres courants par leur refus du projet de société des nations. Jusqu’au traité de Brest-Litovsk, signé le 3 mars 1918, l’espoir persiste d’une véritable conférence internationale capable de dire l’immense désir de paix existant dans les deux camps. *** * LE DERNIER DISCOURS DE LLOYD GEORGE S’agit-il de l’intervention du 5 janvier 1918 de Lloyd George au congrès des Trade-Unions ? Pour la première fois y est clairement mentionné que les buts de guerre de l’Angleterre comportent la restitution à la France des provinces perdues en 1870. Dans l’affirmative ce discours a peut-être été lu par mon père comme annonciateur du commandement unique, réalisé seulement le 26 mars 1918. Les divergences d’appréciation touchant aux secteurs d’intervention avaient tant de fois compromis les résultats des opérations militaires, les anglais privilégiant les manœuvres visant à protéger les ports du nord, les français celles intéressant la zone est du territoire. *** * 96 UNE TELLE COUCHE DE NEIGE L’exceptionnelle rigueur des hivers 1916/1917 et 1917/1918 a déposé dans la mémoire des contemporains des souvenirs qui transparaissent dans de nombreux récits. Deux témoignages : - Celui de Bastien Feice « C’est à la fin de l’attaque (offensive du 15 décembre 1916) que commença notre véritable calvaire. La neige qui tombait depuis deux jours s’arrêta pour faire place à un froid des plus rigoureux. Le thermomètre était descendu à –20°. Ceux d’entre nous que les obus et les balles avaient épargnés n’étaient plus à l’aube que des formes, des silhouettes glacées, boueuses et presque sans vie. Tous ou presque tous nous avions les membres gelés, les uns les mains, les autres les pieds, sans compter ceux, nombreux, ayant les deux jambes gelées. Personnellement j’eus les pieds gelés au premier degré. Pour atteindre le poste de secours distant de 1.500 mètres il me fallut près de quatre heures. Cf. - « Verdun » de J.H. Lefebvre – Durassié 1960 Celui de mon père dans sa lettre du 11 janvier 1918, confirmé par l’ »Historique du 20ème R.I. » qui signale les pertes cumulées du feu et de la glace. *** * OFFENSIVE DIPLOMATIQUE DE WILSON Le 8 janvier 1918, dans son message au Congrès, Wilson déclare : « Les puissances centrales ont dressé une esquisse de leurs conditions de paix et les représentants russes ont exposé leurs principes, lors des pourparlers de Brest-Litovsk … Dans le courant de la semaine dernière Monsieur Lloyd George, avec une franchise et dans un esprit également admirables, a parlé au nom du peuple et du gouvernement de la Grande Bretagne … Aucun homme d’état ayant la moindre notion de sa responsabilité ne devrait se permettre de prolonger, ne fut-ce qu’un instant, ce tragique et effroyable gaspillage de sang et de richesse, à moins d’être sûr, de cette assurance qui dépasse une foi hasardée, que les buts de ces sacrifices suprêmes font partie intégrante de la vie même de la société, et que le peuple pour lequel il parle les juge légitimes et impérieux comme il le fait luimême ». Le message s’achève par l’énumération des fameux « quatorze points » qui allaient faire couler beaucoup d’encre jusqu’à la signature des traités de paix de 1919. 97 1. Rejet de la diplomatie secrète. Les traités et les accords internationaux seront connus de tous. 2. Liberté de navigation sur les mers et les océans. 3. Abaissement des barrières douanières. 4. Réduction des armements. 5. Règlement juste des questions coloniales. 6. Russie : après le départ des troupes étrangères le peuple russe décidera librement de son sort. 7. Restauration pleine et entière de l’indépendance de la Belgique. 8. Retour le l’Alsace-Lorraine à la France. 9. Italie : le tracé des frontière reposera sur le principe des nationalités. 10. Les peuples de l’Autriche-Hongrie devraient jouir de l’autonomie. 11. Problèmes balkaniques : restauration de l’indépendance de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro. 12. Empire Ottoman : indépendance pour les régions turques, indépendance pour les peuples non turcs. 13. Pologne : un état indépendant rassemblant les populations polonaises. 14. Création d’une société des nations. *** * LES MAXIMALISTES Le 30 juillet 1903 le 2ème congrès du parti ouvrier social-démocrate russe, réuni à Bruxelles, eut pour tâche principale de choisir entre deux conceptions du parti. Celle soutenue par Martov, inspirée des statuts du Parti social-démocrate allemand, visait à obtenir un parti nombreux même si l’on devait se montrer très accueillant et ne pas exiger de chaque adhérent qu’il appartienne effectivement à une organisation du parti. Celle de Lénine que Jean Bruhat résume ainsi : « le parti doit être formé de deux éléments essentiels, un groupe restreint de révolutionnaires professionnels, et autour, travaillant sous leur direction (mais avec un échange dans les deux sens d’informations et de suggestions), un réseau d’organisations du parti avec de nombreux adhérents. Ce réseau ne pourra agir que si, lui aussi, loin d’être isolé, il peut s’appuyer sur la confiance des ouvriers ». La motion de Martov obtient 28 voix, celle de Lénine 23. « Ce premier vote, poursuit Bruhat, ne règle pas tout. Reste à élire la direction du parti et surtout (c’est le plus important) la rédaction de « L’Iskra » pour laquelle Lénine propose le triumvirat Plekhanov, Martov, Lénine ». Malgré Martov cette solution est adoptée. Les partisans de Lénine ont la majorité ils deviennent les bolcheviks du mot russe bolchintsvo qui veut dire tout simplement majorité. Longtemps les membres des majorité et minorité du Parti ouvrier social-démocrate russe furent évoqués en France au moyen de traductions approximatives de maximalistes et minimalistes. 98 Puis l’action déterminante des majoritaires dans le déroulement de la révolution d’octobre, et peut-être la qualité sonore du mot, fit que bolchevik supplanta la désignation antérieure. Cf. « Lénine » de Jean Bruhat – Club français du livre « Un pas en avant, deux pas en arrière » (La crise dans notre parti) de Lénine *** * PARIS A ENCORE ECOPE Au début de l’année 1918 la situation de la France est angoissante. Le dégagement d’unités allemandes du front est à la suite de l’effondrement roumain puis du traité de Brest-Litovsk (15 décembre 1917) a inversé le rapport des effectifs des belligérants face à 192 divisions allemandes les Alliés n’en peuvent plus dresser que 172. L’arrivée massive des troupes américaines n’est encore qu’un espoir … qui se matérialisera en juillet 1918. Le commandement allemand conscient tout à la fois de sa supériorité et du caractère provisoire de celle-ci entreprend, le 21 mars 1918, la première des cinq offensives de printemps qui furent si près de leur amener la victoire. Pour parfaire ses opérations et agir sur le moral de l’arrière il soumet Paris à des raids aériens et à un bombardement d’un type nouveau. « Le 23 mars, un nouveau canon de 210 à portée inconnue jusqu’alors, la « Bertha » (surnom donné par les parisiens ; Bertha était la fille aînée de Krupp), se mit à tirer de la forêt de Saint-Gobain vers Paris, de quart d’heure en quart d’heure et fit quelques victimes. Le 29 – Vendredi Saint – un projectile tombera sur l’église de Saint-Gervais et tuera 75 personnes » (J.B. Duroselle). Les percées allemandes du printemps 1918 incitent les populations au repli : un million de parisiens quittent la capitale, la plupart refluant dans la vallée de la Loire. *** * CHOC SUR LE FRONT ANGLAIS La première des cinq offensives allemandes du printemps 198 est déclenchée le 21 mars sur un front de 80 kilomètres d’Arras à la Fère. Au nord la 3 ème armée britannique tient à peu près, au sud la 5ème est enfoncée. Pétain, soucieux d’une attaque sur le front de Champagne, est contraint à envoyer le général Fayolle commandant un groupe d’armées de réserve tenter une coordination des forces britannique et française entre la Fère et Péronne. Les allemands foncent déjà en direction d’Amiens. 99 L’urgence aidant, le commandement unique des opérations du front de l’ouest fut enfin accepté lors d’une réunion des chefs de gouvernement et des états-majors anglais et français (26 mars) et confié à Foch. L’appréciation de Weygand : « Nous avions tous l’impression que la France venait d’obtenir un résultat qui valait presque une victoire sur les allemands » donne une idée des relations antérieures. Mais les allemands atteignent la région de Villiers-Bretonneux, à 60 kilomètres de leur ligne de départ. Le 9 avril, une seconde attaque, dans les Flandres, réussit une percée d’une quinzaine de kilomètres en direction d’Hazebrouk. Foch, absorbé par la préparation d’une offensive dans la région de Montdidier et dans les Flandres, est totalement submergé par la troisième offensive du 27 mai, au Chemin des Dames – reflet quasi parfait et victorieux de la tentative de Nivelle d’avril 1917. Fin mai les allemands ont passé la Marne, ils sont à 60 kilomètres de Paris. Les deux dernières offensives menées respectivement les 9 juin et 15 juillet, d’une part en direction de Compiègne, d’autre part à l‘est de Reims sont rapidement endiguées. Au plan du matériel humain la note de ce printemps est lourde, particulièrement pour les britanniques dont les pertes sont de l’ordre de 300.000 hommes. *** * CLEMENCEAU ET POINCARE De ces deux hommes, de ces deux personnalités, trop connus pour entrer dans notre modeste cadre, nous ne retiendrons que deux déclarations datées des retrouvailles des frères ennemis. Le 18 octobre 1917, un mois avant de l’appeler à constituer un nouveau cabinet (en remplacement du ministère Painlevé), Poincaré déclare : « Clemenceau me paraît, en ce moment, désigné par l’opinion publique parce qu’il veut aller jusqu’au bout dans la guerre et dans les affaires judiciaires et que je n’ai pas le droit, dans ces conditions, de l’écarter à cause seulement de son attitude envers moi ». Le 20 novembre, réponse du berger à la bergère, Clemenceau dans sa déclaration ministérielle affirme : « Plus de campagnes pacifistes, plus de menées allemandes. Ni trahison, ni demi-trahison : la guerre ! Rien que la guerre. Nos armées ne seront pas prises entre deux feux. La justice passe. Le pays connaîtra qu’il est défendu ». *** * 100 REMPLACES PAR LES AMERICAINS Si les Etats-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne le 6 avril 1917, le débarquement de la première division américaine à Saint-Nazaire n’a lieu que le 28 juin de la même année. L’afflux des troupes américaines dans les secteurs de combat demande néanmoins encore près d’un an : il y aura environ un million d’américains en France en juillet 1918 et le double à la date de l’armistice. Entre temps la crise des effectifs conduit les autorités alliées à solliciter de Wilson l’acheminement prioritaire de fantassins, à proposer l’envoi d’instructeurs militaires en Amérique et l’emploi immédiat des unités débarquées à combler les vides. La première demande ne soulève pas d’objection mais les autres s’opposent aux conceptions américaines de ne combattre qu’avec une armée indépendante possédant son commandement propre. Néanmoins lorsque l’offensive allemande de mars 1918 amène les Alliés à accepter le commandement unique, le général en chf américain, Pershing, s’y soumet de bonne grâce. *** Le 20ème R.I. pour sa part reçoit le 13 mars 1918 le renfort d’unités de la 2 ème D.I. américaine (voir Aide-mémoire n° 44). Fin mars il va pousser plus au nord, dans le secteur d’HaudiomontRonvaux-Watronville. Fin avril il permute avec le 6ème régiment de marche américain pour reprendre ses anciennes positions de Mont et de la côte des Hures d’ou la vue s’étend jusqu’aux hautsfourneaux de Briey (voir document J). Relevé du 5au 7 mai par le 9ème R.I. américain et après quelques jours passés à Ranzières le régiment remonte par étapes (Nubécourt, Bulainville, Evres), et ce pour la cinquième fois, à Verdun. Il y est maintenu dans le secteur des Fosses-de-Chambrettes jusqu’au 3 juin, date à laquelle la menace allemande sur l’Oise va contraindre à dégarnir le front de Verdun. Cantonné à Charmont et Nettancourt, le régiment s’embarque en gare de Sommeilles le 9 juin pour débarquer le 11 à Verberie et Longueil-Sainte-Marie. Le 20ème R.I. va demeurer en réserve sur la position Fayel-La Bruyère-Le Meux jusqu’au 17 juin 1918. *** * L’OFFENSIVE DECLENCHEE LE 18 Il s’agit de l’ultime contre-offensive menée par les Allés, qui va se poursuivre jusqu’à l’armistice. Elle intervient, sans solution de continuité avec la dernière des cinq attaques allemandes menés de mars à juillet 1918. Le front a été enfoncé profondément entre Arras et Reims, sans pour autant permettre une victoire décisive. 101 Côté français, les effectifs baissent depuis avril ; les jeunes nés en 1899 ont déjà été utilisés. Le mécontentement latent d’une population lasse et sans perspective fait hésiter les autorités à procéder à ‘appel de la classe suivante. Cependant l’espoir de l’état-major allemand de maintenir, par une guerre défensive, les positions récemment acquises s’évanouit dès les premiers jours de la contre-offensive alliée du 18 juillet : menacées d’encerclement des troupes allemandes sont contraintes au repli. Elles parviennent à fixer le front le long de la Vesle, entre Soissons et Reims, le 2 août. L’apport de 20 divisions américaines et l’obligation faite aux allemands de dissoudre 10 divisions en août, puis 12 autres en septembre, afin de reconstituer les unités décimées lors des attaques de printemps, font basculer en faveur de l’Entente le rapport des effectifs. L’action engagée le 8 août dans le secteur de Montdidier, sur un front de 50 kilomètres – au cours de laquelle s’affirme l’efficacité des nombreux chars dans la destruction des nids de mitrailleuses – oblige Ludendorff à un nouveau repli sur la ligne Siegfried (Saint-Quentin-La Fère). Du 25 au 28 septembre de grandes attaques se développent en Champagne Argonne, en direction de Mézières, au nord de l’Oise contre la ligne Siegfried et en Flandres avec Bruges pour but. A l’heure où l’armée allemande ploie pour la première fois sur le front de l’ouest, l’effondrement de la Bulgarie ouvre la frontière méridionale de l’empire austro-hongrois à l’armée interalliée formée de contingents français, anglais, serbes, italiens, grecs. Le haut commandement allemand conscient depuis le 8 août de l’irrémédiable défaite militaire contraint le gouvernement à adresser une demande de négociation au président Wilson, le 4 octobre. L’état matériel et moral de la population, qui ne peut plus supporter aucun nouvel effort, amène le gouvernement allemand à accepter les conditions américaines d’armistice, fort proches d’une capitulation. La commission d’armistice se présenta le 7 novembre devant les lignes françaises à hauteur de La Capelle (voir Aide-mémoire n° 57). *** * LE FAMEUX SCHEIDEMANN Scheidemann est ici épinglé comme prototype du social-démocrate allemand nationaliste, exact reflet du « majoritaire » français d’Union sacrée. Ancien ouvrier d’imprimerie puis militant et journaliste, Scheidemann est élu député du Reichstag en 1903 et atteint la vice-présidence de cette assemblée en 1911. En 1914 son ralliement au nationalisme belliciste est bien rendu par le mot d’Heilmann (autre député social-démocrate) : « Nous passons à Hindenburg ». Devant la commission des finances, au Reichstag en 1916, il déclare : « Il va de soi que tous les moyens nous agréent, même les plus cruels pourvu qu’ils produisent leur effet : s’ils abrègent la guerre et mènent à la victoire ». Cependant en octobre 1917 il s’unit au député catholique Erzberger pour préconiser une paix sans annexion. Après l’effondrement 102 de l’empire et la proclamation de la république, le 9 novembre 1918, il participe au gouvernement provisoire. Il forme ensuite le premier cabinet de la république de Weimar et, quelques mois plus tard, présente la démission de son gouvernement pour ne pas accepter les conditions du traité de Versailles. *** * SOUVENIRS DE L’ARMISTICE J.B. Duroselle donne les informations suivantes sur l’arrivée des plénipotentiaires allemands : « Foch avait envoyé, dans la nuit du 6 au 7 novembre, le télégramme suivant : « Si les plénipotentiaires allemands désirent rencontrer le maréchal Foch pour lui demander un armistice, ils se présenteront aux avants-postes français par la route Chimay-Fourmies-La Capelle-Guise. Des ordres seront donnés pour les recevoir et les conduire au lieu fixé pour la rencontre ». Les plénipotentiaires allemands quittèrent Spa le 7 novembre, dans cinq autos, ralentis dans leur course par les troupes allemandes qui refluaient. A 21 h 20, ils franchirent les lignes avec un drapeau blanc énorme hissé sur la première auto. Le capitaine Thuillier, du 171 ème R.I., commandant le bataillon qui tenait la première ligne, les accueillit. Après vérification des papiers, ils furent conduits, au sn d’un clairon français, à La Capelle. A La Capelle, où les français n’étaient entrés que l’après-midi même, ls délégués allemands furent reçus par e commandant Bourbon Busset qui les amena près SaintQuentin au Q.G. du général Debeney. Enfin on les embarqua dans un train spécial – celui de Napoléon III – en gare de Tergnier et ils arrivèrent le 8 à 7 heures du matin dans la forêt de Compiègne, près de Rethondes ». La lecture de ce texte permet de comprendre que les officiers allemands évoqués dans les souvenirs de mon père sont les parlementaires envoyés vers les lignes françaises quelques heures avant les plénipotentiaires pour obtenir le cessez-le-feu nécessaire. *** * LISTE DES MINISTERES de 1913 à 1920 Ministère POINCARE 14 janvier 1912 au 10 janvier 1913 Ministère BRIAND 21 janvier 1913 au 18 mars 1913 Ministère BARTHOU 21 mars 1913 au 3 décembre 1913 Ministère DOUMERGUE 8 décembre 1913 au 2 juin 1914 103 Ministère RIBOT 9 juin 1914 au 12 juin 1914 Ministère VIVIANI 13 juin 1914 au 29 octobre 1915 Ministère BRIAND 29 octobre 1915 au 12 décembre 1916 Ministère BRIAND 12 décembre 1916 au 17 mars 1917 Ministère RIBOT 19 mars 1917 au 8 septembre 1917 Ministère PAINLEVE 12 septembre 1917 au 13 novembre 1917 Ministère CLEMENCEAU 16 novembre 1917 au 18 janvier 1920 *** * LISTE DES CONGRES SOCIALISTES NATIONAUX de 1905 à 1920 (avec mention des délégués de l’Yonne) Congrès Salle du Globe d’unité Paris 2ème Congrès Châlons-sur- 23 au 25 avril 1905 Hervé, Meunier, Richard 29 octobre au 1er novembre 1905 Saône 3ème Bernard, Garnier, Goignoux, Boyer, Camélinat, Hervé, Lorris Limoges 1er 4ème congrès Nancy 11 au 14 août 1907 Camélinat, Hervé, Perceau 5ème congrès Toulouse 15 au 18 octobre 1908 Camélinat, Jobert 6ème congrès Saint Etienne 11 au 14 avril 1909 Camélinat, Hervé Nîmes 6 au 9 février 1910 Camélinat, Hervé Paris 15 et 16 juillet 1910 Boullé, Camélinat Saint Quentin 16 au 19 avril 1911 Camélinat, Froment 9ème congrès Lyon 18 au 21 février 1912 Boullé, Camélinat, Perceau 10ème congrès Brest 23 au 25 mars 1913 Camélinat, Hervé 11ème Amiens 25 au 28 janvier 1914 Camélinat, Hervé, Roldés 12ème congrès Paris 25 au 29 décembre 1915 13ème congrès Paris 26 au 28 décembre 1916 14ème Bordeaux 6 au 9 septembre 1917 15ème congrès Paris 6 au 10 octobre 1918 16ème congrès Paris 20 au 22 avril 1919 17ème congrès Strasbourg 25 au 29 février 1920 David, Pinon 18ème congrès Tours 25 au 30 décembre 1920 Denjean, Dufour, Guiader congrès 7ème congrès 8ème congrès congrès congrès au 4 novembre 1906 *** * Camélinat, Hervé 104 LISTE DES CONGRES SOCIALISTES INTERNATIONAUX (1904–1920) - 17 au 24 août 1904 – 6ème Congrès – Amsterdam - 18 au 24 août 1907 – 7ème Congrès – Stuttgart (884 délégués) - 28 août au 3 septembre 1910 – 8ème Congrès – Copenhague (896 délégués) - 24 novembre 1912 – (555 délégués) 9ème Congrès – Bâle - Les 13 et 14 décembre 1913 le Bureau Socialiste International (B.S.I.) réuni à Londres décide la tenue du prochain congrès à Vienne en août 1914. - Le 29 juillet 1914 le B.S.I. réuni à Bruxelles à la suite de l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie (23/7/14) décide de convoquer le congrès à Paris. - Le 1er août 1914 Camille Huysmans, secrétaire du B.S.I., rédige une dernière circulaire : « A la suite des derniers évènements le congrès de Paris est ajourné à une date indéterminée ». - Durant toute la guerre les partis socialistes ou sociaux-démocrates des pays belligérants refusent de se rencontrer. - Le 27 septembre 1914, 8 délégués suisses et 11 italiens (l’Italie est encore neutre), réunis à Lugano, dénoncent le caractère capitaliste de la guerre, appellent les socialistes des pays neutres à peser sur leurs gouvernements pour obtenir une solution du conflit par arbitrage. - Les 17 et 18 janvier 1915 – conférence de Copenhague – des délégations scandinave et hollandaise reprennent les propositions de Lugano et condamnent l’invasion de la Belgique. - 25 au 27 mars 1915 – conférence des femmes socialistes à Berne – délégations allemande, anglaise, russe, suisse, polonaise, italienne, plus une française (Louise Saumonneau). - 5 au 8 septembre 1915 – conférence de Zimmerwald (Suisse) réunie en dépit du veto du B.S.I., 38 représentants de 11 nations dont 2 allemands et 2 français à titre personnel. - 24 au 30 avril 1916 – conférence de Kienthal (Suisse) – convoquée à l’initiative de la Commission Internationale Socialiste (C.S.I.) – 44 représentants – la proposition des bolcheviks de constituer une nouvelle Internationale obtient 19 voix. - Le 15 mai 1917 – conférence de Stockholm, à l’instigation des hollandais qui mandatent Huysmans, du B.S.I. Le soviet de Petrograd (dominé alors par les mencheviks et les socialistesrévolutionnaires) appelle également à une conférence à la même date. Simultanément la C.S.I. des zimmerwaldiens transfère son siège à Stockholm. En dépit de l’espoir qui anime à ce moment diverses tendances du mouvement socialiste rien ne sortira de Stockholm. Le Parti ouvrier belge refusera d’y participer, les français et les anglais n’obtiennent pas de visas, le Comité hollandoscandinave reçoit à titre consultatif 25 délégations, en juillet les russes se joindront aux hollandoscandinaves. Seul le Comité zimmerwaldien tient une conférence, squelettique, dont français, anglais et belges sont absents. *** Parallèlement aux conférences évoquées ci-dessus les partis socialistes de chacun des deux camps belligérants tiennent des conférences internationales séparées : 105 - Le 14 février 1915 – conférence des partis socialistes des pays alliés à Londres. - Les 12 et 13 avril 1915 – conférence des sociaux-démocrates des empires centraux à Vienne. - Le 1er mai 1915 – déclaration du B.S.I. : « la 2ème Internationale n’est pas morte, le Comité exécutif fut et doit rester le trait d’union entre les différents partis et non être leur juge ». - En juillet 1916 – conférence des partis socialistes des pays neutres à La Haye – propose la réunion du B.S.I. mais les socialistes des pays alliés refusent à y rencontrer leurs homologues des puissances centrales. - Le 8 août 1917 – conférence socialiste des pays alliés à Londres – accepte le principe d’une rencontre internationale globale – proteste contre le refus de délivrance de visas aux délégués. - Du 20 au 24 février 1918 – dernière conférence des pays alliés au Central Hall de Westminster – demande la constitution d’une société des nations et d’une haute cour internationale – parmi les propositions de restructuration de l’Europe, exigence de la restitution de l’Alsace-Lorraine à la France avant tout recours au plébiscite pour l’autodétermination de ces régions. *** Après la guerre : - En février 1919 – le B.S.I. réunit à Berne un certain nombre de partis socialistes. Les bolcheviks refusent l’invitation. Les suisses, italiens, serbes, roumains, belges et américains sont absents pour des raisons diverses. Désaccord sur l’attitude à adopter à l’égard de la révolution russe. En décembre 1919 les sociaux-démocrates indépendants d’Allemagne se retirent de la 2ème Internationale, le Parti socialiste français fait de même en février 1920. - Le 2 mars 1919 – 1er congrès du Komintern, dans un contexte de guerre civile. Des 54 délégués (représentant 35 organisations) 5 seulement viennent de l’étranger. - Du 19 juillet au 7 août 1920 – 2ème congrès du Komintern 217 délégués de 41 pays – adoption des 21 conditions d’adhésion à l’Internationale communiste *** * 106 ITINERAIRE DU 20ème R.I. au cours de la guerre 1914 - 1918 22 au 25/08/14 Combat d’Ochamps et retraite de Belgique 27/08/14 Combat sur la Meuse : Mouzon 28/08/14 Combat sur la Meuse : Raucourt 29/08 au 13/09/14 Retraite et bataille de la Marne 14 au 26/09/14 Combat des Hurlus et du Mesnil 26/09 au 20/12/14 Période de stabilisation du front de Champagne (Le 12/3/15, mon père qui avait été incorporé au 37ème R.I., est désigné pour reconstituer le 20ème R.I. Il appartiendra à ce régiment jusqu’à la fin de la guerre) 20/12/14 au 30/03/15 Offensive de Champagne : Perthes 01/04 au 08/05/15 Mouvement de Somme-Suippes à Rambluzin (sud de Verdun R.G.) puis à Rozières (près de Bar-le-Duc) puis transfert en Artois 09/05 au 16/05/15 Offensive d’Artois : Ecurie, Roclincourt 21/05 au 24/09/15 Secteur d’Arras : Achicourt, Saint-Sauveur 26/09/15 Offensive d’Artois 26/09/15 au 01/03/16 Occupation du secteur d’Arras, Ronville, Sain-Sauveur Mars-avril 1916 Lorraine : Champenoux, Arracourt 14/05 au 02/07/16 Champagne : Butte du Mesnil 02/07 au 20/07/16 Mouvement de Champagne à Verdun 21/07 au 08/08/16 Verdun : Thiaumont 49/08 au 23/11/16 Verdun : Côte du Poivre 01/12/16 au 04/03/17 Forêt d’Apremont 20/03 au 02/05/17 Champagne secteur de Prosnes, offensive de Moronvilliers 22/05 au 15/11/17 Forêt d’Apremont 18/12/17 au 22/01/18 Verdun : Les Chambrettes 04/02 au 11/05/18 Verdun : Hauts de Meuse 21/05 au 03/06/18 Verdun : Les Chambrettes 19/06 au 18/07/18 Forêt de Villers-Cotterêts 18 au 31/07/18 Offensive de l’Ourq (4ème armée) 27/08 au 28/09/18 Attaque de l‘Ailette, Coucy, Forêt de Saint-Gobain 17/10 au 10/11/18 Opérations sur l’Oise, Mont d’Origny, Guise, poursuite en Belgique Cf. « Historique du 20ème R.I. » Librairie Chapelot 107 DOCUMENTS A. fraternisez avec l’ennemi 108 « Aux camarades conscrits » de L. Juventy (Pioupiou octobre 1913) B. Pré Saint Gervais (Humanité 18/11/12) 110 C. Pavillons-sous-Bois (Travailleur 16/07/14) 110 D. la moindre étincelle (Humanité 01/08/14) 111 E. l’affiche de Viviani 112 (Manifeste du gouvernement au lendemain de l’assassinat de Jaurès) F. ces cabrioles 112 « Vive Jaurès » de G. Hervé (Guerre sociale 01/08/14) G. huit jours de prison (Travailleur 31/12/14) 114 H. le congrès socialiste (Travailleur 05/01/16) 114 I. 115 un article découpé « Démasquons la manœuvre » (Petit Limousin 24/12/15) J. il est surprenant que celles-ci ne soit pas bombardées 117 (E. Flandin à la Chambre 31/01/19) K. au sujet de la réponse de Wilson au Pape 119 « Lettre du front » de L. Juventy (Travailleur 08/09/17) L. les articles aigres-doux 121 « Fausses notes » de Luc Froment (Travailleur 14/09/18) M. les minoritaires (divers extraits du Travailleur mai 17 / mars 18) 122 108 FRATERNISEZ AVEC L’ENNEMI Cet extrait, non conforme au texte édité, doit provenir d’un brouillon préparatoire. L’article paru dans le n° 18 (octobre 1913) du « Pioupiou de l’Yonne », se présente comme suit : Aux Camarades conscrits ! Malgré la vibrante protestation socialiste, malgré les manifestations populaires, malgré les pétitions, meetings … nous voici revenus au service de trois ans. Parce qu’il a plu à ces Messieurs de la finance de revenir à ce service suranné, tout s’est plié devant eux. Tous, députés, sénateurs, généraux, officiers – exception faite des élus socialistes, de quelques radicaux et de rare généraux et officiers républicains – tous ont donné de la voix pour l’œuvre de réaction et de folie guerrière. Toute la grande presse a marché, depuis l’infâme « Matin » qui s’imprimait il y a quelques années aux frais de la ville de Paris, à l’insu des contribuables, jusqu’à l’infect « Petit Journal » du Prévet de l’affaire Rochette, depuis « La Croix » jusqu’à « L’Action », tous catholiques et libres-penseurs, gouvernementaux, royalistes et bonapartistes. Elle a appris au populo, cette bonne presse, que l’Allemagne voulait la guerre, elle lui a ingurgité de bon gré ou de force que les trois ans étaient nécessaires pour sauver le pays, elle a opéré la conspiration du silence autour des démentis fournis par les officiers vraiment républicains. Populo, ignorant et gobeur, a avalé candidement les pires bourdes. Et maintenant, les fournisseurs de l’armée peuvent se réjouir de leur œuvre. Encore un milliard qui, chaque année, tombera dans leur escarcelle. Populo en aura pour son argent. Parallèlement à la danse des milliards, préparons-nous aux explosions de cuirassés, aux obus qui partiront tout seuls, aux casernes construites en hâte, humides, froides … et mortelles Ah ! les Schneider de France et les Krupp d’Allemagne doivent bien rire de notre bêtise. Leur système, qui consiste à présenter à chaque peuple le spectre du peuple voisin plein de convoitises, bouillant d’idées belliqueuses, se préparant à une agression, leur réserve encore de belles pêches en eau trouble. Quand donc les peuples ouvriront enfin les yeux et cloueront au mur ces sinistres gredins ? Mais l’œuvre de réaction ne s’arrêtera pas à cette maudite loi de trois ans. Il faut plus aux bandits qui nous gouvernent. Ils veulent la guerre … Il y a quelques mois seulement, cette chose aurait paru monstrueuse et criminelle, mais elle aussi fait son chemin. Tout est mis en œuvre pour la provoquer. Il y a quelques mois, il n’existait que quelques nationalistes, véritables fous furieux, qui parlaient ouvertement de revanche. Puis à la faveur du vent de réaction, pour chauffer l’opinion, des pièces idiotes comme « Servir » ou « Cœur de française » furent lancées au théâtre. On y montrait le français superbe, généreux, intelligent, et le teuton stupide, brute épaisse et alcoolique. Un peuple sain se serait emparé des auteurs et, après les avoir douchés consciencieusement, les auraient enfermés au cabanon, dans l’impossibilité de nuire. Hélas ! nous n’en sommes pas là. Ce sont ceux qui veulent la paix et qui prêchent la fraternité qui sont poursuivis et emprisonnés. Pour préparer cette guerre, pour faire des soldats de véritables brutes n’ayant qu’un but, tuer des allemands, on les éduque en conséquence. Au 147 ème, à Sedan, les officiers font distribuer à tous les soldats une chanson idiote et provocatrice intitulée « La revanche » : Attaquons, chassons l’allemand, 109 La France entière nous regarde, etc., etc. Dans un autre endroit, on fait tirer les soldats sur des silhouettes représentant des soldats allemands. Et si une guerre éclate quelque jour, qu’on ne nous dise pas que c’est la faute à ‘Allemagne… Camarade conscrit qui lira ces lignes, dans l’inexpérience et l’ardeur de tes vingt ans, tu te désintéresses trop souvent de ces questions. Dans les heures troubles où nous vivons, ton indifférence est une faute bien lourde. Dans quelques semaines ou dans quelques jours, selon que tu appartiennes à la classe 1913 ou 1912, il te faudra quitter des êtres chers pour aller perdre deux ou trois années de ta jeunesse à la caserne. Il va falloir te résigner à voir se disperser les migres économies que tu auras pu réaliser. Au lieu d’être un soutien pour tes parents, maintenant que tu es fort et vigoureux, tu vas à nouveau devenir une charge comme au temps de ton enfance. Mais à côté de ces inconvénients immédiats, il en est d’autres qui, pour être moins apparents, n’en sont que plus graves. Sous l’influence de la folie guerrière la caserne est pour toi un danger. Jusqu’à ce jour tu as vécu au milieu des tiens, loin de toutes les haines et de toutes les intrigues. Dans l’atmosphère pourrie où tu vas passer deux ou trois ans, on tâchera d’étouffer tous les sentiments nobles qui sont en toi. On s’efforcera de faire de toi une brute ayant la phobie de l’allemand, une brute qui demain puisse se transformer en assassin. On ne visera pas à faire de toi un être bon et généreux mais une machine à obéir et une machine à tuer… Camarade conscrit, ne te laisse pas déprimer, résiste à l’emprise abrutissante. Reste noble et digne. Subis en patience le joug qu’on t’imposera mais ne descend pas jusqu’à la lâcheté ni jusqu’au crime. Et si demain une guerre éclatait, ne vas pas commettre la folie d’égorger d’autres jeunes gens comme toi. Rappelle-toi que cette monstruosité qu’est la guerre n’est devenue possible que par les criminelles provocations des gouvernants et que ceux-là seuls sont les vrais ennemis. On ne manquerait de te dire, en pareille circonstance, que la guerre a été voulue et préparée par le voisin. De même, on apprendra aux habitants de ce pays que ce n’est pas nous, français qui en sommes responsables. Ne te laisse pas prendre à ces pièges grossiers. On te demandera d’aller mourir bêtement sur le champ de bataille pour savoir quels sont les capitalistes qui triompheront sur tel ou tel marché ou si les territoires volé aux indigènes appartiendra aux uns ou aux autres. Souviens-toi que ta vie – qui est ce que tu possèdes de plus précieux – n’appartient pas à ces criminels gredins. Et si l’on t’oblige à en faire le sacrifice, que ce ne soit pas comme un mouton que l’on mène à l’abattoir mais comme un révolté qui ne veut pas être le jouet de louches intrigues. Plus que jamais, agis en pareil cas selon ta conscience et non selon l’ordre qui te sera donné. A la déclaration de guerre, réponds par l’insurrection ! Lucien Floréal * Conscrit de la classe 1913 * pseudonyme de Lucien Juventy *** * 110 PRE SAINT-GERVAIS Extraits du compte-rendu de la manifestation du 17 novembre 1912 parus dans « L’Humanité » du 18 novembre. … il y avait une tiédeur de printemps sous le grand ciel pâle dont la mélancolie semblait s’harmoniser aux sentiments graves d’une foule de plus de cent mille personnes dont la présence sur la butte du Chapeau-Rouge – la Butte sacrée – a signifié que le prolétariat parisien a la guerre en horreur. … A deux heures, plusieurs milliers de personnes, parmi lesquelles il y a des femmes en grand nombre, sont rassemblées sur l’ample vallonnement vert, autour des tribunes improvisées et bordées d’andrinople rouge… Les organisateurs avaient senti le besoin d’installer quatre autres tribunes sur le terrain plus vaste encore de la zone militaire voisine – un terrain raviné, creusé de tranchées, plus inégal et plus boueux, où manœuvre les soldats. Ils supposaient que le terrain privé de la Butte du Chapeau-Rouge ne pourrait contenir les foules accourues à l’appel du Parti et de « L’Humanité ». Leurs prévisions étaient justes … A droite, au loin, du côté de Belleville, on perçoit de longues files noires qui arrivent vers nous, sans interruption. Ce sont des manifestants. Ils descendent par la grande rue du Pré Saint Gervais. Ils remplissent l’avenue du Centenaire de leurs flots ininterrompus… A gauche, du côté de la porte Chaumont, le coup d’œil est le même… Il est près de trois heures. « L’Harmonie socialiste du XIIème » et la musique de la « Bellevilloise » viennent d’arriver. Elles jouent l’ »Internationale »…Sur d’autres points, dans l’attente des discours, des milliers d’autres voix chantent l’ « Hymne du 17ème » et le « Drapeau Rouge »… Les premières paroles des orateurs vibrent dans l’air calme et s’épandent au loin… *** * PAVILLONS-SOUS-BOIS Compte-rendu de la fête du 13 juillet 1914 paru dans « Le Travailleur socialiste de l’Yonne » du 16 juillet 1914 : LA FETE DES CENT ELUS Dimanche, le Parti socialiste avait organisé une grande fête-manifestation à Pavillons-sousBois, près de Paris, pour célébrer les récents succès électoraux socialistes. Des tribunes avaient été disposées d’où les députés haranguaient la foule qui était venue nombreuse. Un concours de pêche réunit un nombre respectable de concurrents. 111 Enfin sur un théâtre de verdure, devant 1.800 spectateurs, la Compagnie du théâtre de Shakespeare donna « L’Amour à Bergame », trois actes en vers de Monsieur Camille de Ste Croix. Malheureusement un orage éclata qui gâta quelque peu la fin de la fête. Néanmoins cette manifestation a prouvé, une fois de plus, la grandeur, la puissance et les progrès du Parti socialiste. *** * LA MOINDRE ETINCELLE Répercussions de l’assassinat de Jaurès. Information tirées de la rubrique « Dernière heure » de « L’Humanité » du 1er août 1914 : DEVANT L’HUMANITE Plus de cinq mille personnes vinrent en apprenant l’horrible assassinat, manifester devant « L’Humanité ». Des cris de « Vive Jaurès » retentirent, coupés de cris « Assassins ». La douleur de cette foule est impossible à décrire. Il y a là des jeunes filles qui pleurent, des ouvriers encore en vêtements de travail, et tous réclament le châtiment de l’assassin. On se rend compte que les manifestations les plus redoutables vont avoir lieu. Il faut que Lauche paraisse à la fenêtre pour prêcher le calme, contenir le flot, apaiser la douleur. Citoyens, dit-il, il nous est impossible de vous décrire notre chagrin…Attendez. Conservez votre calme, votre sang-froid. Jaurès est assassiné par un individu qui s’est arrangé pour cacher son identité. Attendez dimanche. Nous vous convoquerons mais je vous supplie retirez-vous. Alors l’Internationale retentit, puissant, et le peuple s’en va comme à regret. *** LA REPERCUSSION DANS LES QUARTIERS OUVRIERS La lugubre nouvelle s’est rapidement répandue dans les quartiers ouvriers où elle a produit une émotion intense et une effervescence très vive. C’est à dix heures qu’elle a été connue à Belleville. Presque aussitôt la foule s’est amassée dans les grandes rues du quartier pour commenter le lâche assassinat. Les paroles d’exécration et de colère courraient dans les groupes. La place Gambetta était noire de monde. Des travailleurs de ce quartier, comme poussés par un sentiment instinctif, désireux de connaître les détails du crime, sont descendus en masse vers la place de la République. Et ils seraient sans nul doute allés plus loin, si de grandes forces de police rapidement mobilisées n’étaient accourues pour les contenir. La place n’a été déblayée qu’après des charges violentes. Des arrestations ont été opérées. 112 L’AFFICHE DE VIVIANI Manifeste du gouvernement au lendemain de l’assassinat de Jaurès. REPUBLIQUE FRANCAISE Citoyens, Un abominable attentat vient d’être commis. Monsieur JAURES, le grand orateur qui illustrait la tribune française, a été lâchement assassiné. Je me découvre personnellement et au nom de mes collègues devant la tombe si tôt ouverte au républicain socialiste qui a lutté pour de si noble causes et qui, en ces jours difficiles, a, dans l’intérêt de la paix, soutenu de son autorité l’action patriotique du gouvernement. Dans les graves circonstances que la patrie traverse, le Gouvernement compte sur le patriotisme de la classe ouvrière, de toute la population pour observer le calme et ne pas ajouter aux émotions publiques par une agitation qui jetterait la capitale dans le désordre. L’assassin est arrêté. Il sera châtié. Que tous aient confiance dans la loi et que nous donnions, en ces graves périls, l’exemple du sang-froid et de l’union. Pour le Conseil des Ministres Le Président du Conseil René Viviani *** * CES CABRIOLES Article de Gustave Hervé dans « La Guerre sociale » du 1er août 1914 : Soyez contents, vipères qui, depuis des années, siffliez aux oreilles de tous les imbéciles que cet homme était vendu à l’Allemagne ! Mais vous, les patriotes intelligents, pleurez ! La France a perdu le meilleur et le plus grand de ses enfants. Mais vous, les mères de France, pleures : vos fils ont perdu celui qui, depuis dix ans à la tête de notre Parti, a le plus lutté pour leur éviter l’horreur de la boucherie qui nous menace. Nous, mes pauvres amis socialistes, ne pleurez pas : l’heure n’est pas aux gémissements. Ne pleurez pas ! Et surtout étouffez pour le moment vos cris de rage et vos rugissements de colère. Oui, vous aviez raison, mes amis, quand vous suiviez la voiture funèbre qui portait son cadavre encore chaud, de crier haletants : « Vive Jaurès ! Vive Jaurès ! » Il vit. Mort, il est plus vivant que jamais. 113 Prêtez l’oreille. Il vous parle. Vous l’entendez ? Vous reconnaissez sa voix, vous qui l’avez entendu tant de fois dans vos meetings ? Vous reconnaissez son enseignement, vous qui savez bien comment il savait concilier dans son cerveau puissant ce que nous devons à la paix et à l’humanité, et ce que nous devons à la patrie ! Ecoutez ! Ecoutez ! Reconnaissez sa voix : « Mes amis, mes enfants, la patrie est en danger. Ils m’ont assassiné ! En voulant me venger, n’assassinez pas la patrie ! *** * 114 HUIT JOURS DE PRISON Article du « Travailleur socialiste de l’Yonne » du 31/12/1914. *** * LE CONGRES SOCIALISTE Il s’agit du 12ème congrès national, tenu à Paris du 25 au 29 décembre 1915. Le « Travailleur » du 5 janvier 1916 en donne un compte-rendu succinct, accompagné du long manifeste de clôture. Un extrait de chacun suffira à donner une idée du pathos – local et national – employé à noyer les balbutiements d’une opposition. 115 - La motion qui est sortie des laborieuses discussions de notre Congrès, répond parfaitement aux espoirs que j’exprimais dans le dernier « Travailleur ». En premier lieu, elle contient cette affirmation essentielle et primordiale, répétée, d’ailleurs, par tous les orateurs du Congrès, que nos efforts doivent être tendus vers l’œuvre de défense nationale. Ensuite, elle écarte absolument toute tentative semblable à celle de Zimmerwald. Elle déclare que nous voulons une paix, mais une paix victorieuse, une paix qui abatte le militarisme prussien, qui restaure la Serbie, la Belgique, qui restitue l’Alsace-Lorraine, qui assure et fasse respecter le Droit des Peuples, qui institue une procédure d’arbitrage afin d’écarter pour l’avenir tous motifs de conflits. Enfin, elle met à la reprise future des relations avec les socialistes allemands des conditions compatibles avec le respect de notre idéal, la dignité de notre Parti, et qui, acceptées et mises en œuvre, révolutionneraient complètement les masses allemandes. Signé : C. Réal - Extrait du manifeste : Comment l’Internationale prétendrait-elle à être gardienne de la paix dans l’avenir, si, n’ayant pu arrêter à temps le fléau, elle ne portait pas, du moins, le jugement inflexible qu’on doit à la vérité ; si elle ne proclamait pas que doivent être condamnés les gouvernements coupables de s’être refusés aux médiations et arbitrages et d’avoir, par là même, précipité d’abord, rendu inévitable ensuite la catastrophe. Le Parti socialiste français ajoute qu’il ne pourrait accepter que cette reprise pût être interprétée comme un signe de défaillance nationale, comme une raison de faiblesse pour la France, et il répudie toute propagande qui prendrait un tel sens. … En conformité avec ces principes, le Congrès, en plein accord avec ses organismes centraux, donne mandat à ses élus de continuer à assurer, par le vote des crédits, les moyens de la victoire, à participer par ses trois délégués à l’œuvre de la défense nationale … *** * UN ARTICLE DECOUPE Il s’agit d’un article tiré du journal fédéral de la Haute-Vienne, « Le Petit Limousin », du 24 décembre 1915. DEMASQUONS LA MANŒUVRE Aussi habitués que nous puissions être aux incartades, aux outrages et aux menaces de pitre de M. Gustave Hervé, il ne nous plait pas de laisser passer sans réplique son article de mercredi. Le titre seul en dit long sur les intentions et le but du bonhomme : « Les funérailles de l’unité socialiste ! » 116 Vraiment ? Rien que cela ? Et à propos de quoi ? Simplement parce que nombreux sont en France les hommes qui pensent ce que depuis des mois et des mois nous exprimons ici avec mesure, en puisant nos inspirations dans notre conscience de socialistes, fidèles à leur passé, à leur idéal, et de patriotes passionnés autant que clairvoyants. Le piège est grossier. Hervé se mêlant d’exclure quelqu’un du socialisme français ? Allons donc ! Il est temps, pour un grand Parti qui se respecte, de démasquer résolument cet individu malpropre, qui a toutes les apparences de l’agent provocateur. Ce qu’il n’a pas pu réussir pendant la paix, il veut le tenter à la faveur de la guerre. Pendant la Paix, il essaya d’entraîner les éléments jeunes et révolutionnaires de chez nous, par une démagogie malsaine, dans une voie où le socialisme se serait perdu et déshonoré. C’est lui qui voulait nous faire accepter cette folie et cette trahison d’organiser la grève générale et l’insurrection le jour de la déclaration de guerre. Il ne dût son maintien dans le Parti qu’en se faisant opportunément emprisonner. Mais s’il n’avait pas obtenu l’anéantissement de notre organisation, il avait du moins semé sur la route des militants des difficultés et des méfiances dont tous ceux qui se sont livrés à la propagande, au cours de ces dernières années, ont pu apprécier les effets. Nous ne savons pas jusqu’à quel point ses déclarations malfaisantes n’ont pas laissé croire à l’étranger que notre France serait à l’heure des périls suprêmes en proie à la discorde et à la guerre civile et si, par là, le parti belliqueux d’Allemagne n’a pas été encouragé dans sa politique et dans ses espoirs. Voilà l’homme. Et maintenant que, en pleine guerre, au moment où le Parti socialiste international après avoir, avant l’orage, été la seule promesse d’une possibilité de paix, doit représenter selon la pensée que Jaurès exprimait à Lyon le 25 juillet 1914, la seule promesse d’un rétablissement de la paix, non seulement Hervé déclare morte l’Internationale mais le voici qui à la veille du Congrès national veut briser et dissocier notre Parti. Pour le compte de qui travaille-t-il ? Pour quelle besogne louche ? Pour quels obscurs desseins ? Que d’autres soient ses dupes ou ses complices ! Que d’autres, par peur des attaques et des sarcasmes de ce fantoche que les coups de gueule, le culot et les outrances ont mis en relief, baissent pavillon devant une manœuvre qui pue la basse police ! Nous ne nous laisserons ici ni intimider ni arrêter. Et nous espérons que notre Parti mettra rapidement un terme à ce scandale et à ce péril. Arrière les socialistes de Zimmerwald ? Non ! Non ! Arrière les socialistes qui ne peuvent se résoudre à oublier et à renier leurs glorieux efforts, leur actions fécondes, leurs belles et nobles doctrines, tout un passé de luttes que les tragédies du présent grandissent et justifient avec une éclatante clarté ? Non, non et non ! Mais arrière, hors de nos rangs, hors de notre fraternel foyer, celui qui veut nous armer les uns contre les autres et nous diviser à la minute où notre France, pour l’humanité, pour le socialisme, espoir du monde, nous avons le plus besoin d’être unis et solidaires. Nous avons jusqu’ici donné l’exemple. 117 Séparés de certains de nos camarades par des divergences profondes sur la tactique à suivre, avant et depuis le Conseil national de juillet, nous avons apporté dans nos débats et nos controverses une extrême modération et une grande cordialité. Nous nous efforçons de comprendre les raisons des autres, nous les discutons de bonne foi, et nous gardons pour ceux qui ne partagent pas notre point de vue et avec lesquels nous avons si souvent bataillé, des sentiments de camaraderie et souvent de déférence. Ceux qui savent que nous n’avons pas toujours été payés de retour et trouvé la tolérance – et une excessive loyauté – chez quelques-uns, nous concèderons que nous avons quelque mérite à cette attitude. C’est dans cet esprit que nous étions et que nous restons. Il ne faut pas que l’unité de la classe ouvrière et du socialisme de France, à la veille peut-être d’évènements où un rôle immense, une mission sublime l’appellent à un destin troublant, soit mise en péril et bafouée par un être malfaisant et suspect. Limoges le 24 décembre 1915 *** Pour situer les secteurs géographiques où se manifeste une opposition aux thèmes de l’Union sacrée au sein du Parti socialiste, empruntons à J.B.Duroselle : « Du côté socialiste, l’initiative appartient dès le printemps 1915 à la Fédération de la Haute-Vienne. Le but est de reconstituer l’internationalisme et d’accueillir « toute proposition de paix, d’où qu’elle vienne ». Il faut s’abstenir de toute attitude chauvine et accepter l’idée que, dans le déclenchement de la guerre, les responsabilités ne sont pas uniquement allemandes, mais partagées. Lorsque se réunissent, le 14 juillet 1915, les 300 délégués du Conseil national socialiste, pour la première fois apparaît une « minorité » groupant les fédérations de la Haute-Vienne, de l’Isère et du Rhône, et dont Jean Longuet prend la tête. Les « minoritaires » s’abstiennent dans le vote d’une motion patriotique présentée par la fédération de la Seine ». « La France et les français – 1914/1920 » page 127 *** * IL EST SURPRENANT QUE CELLES-CI NE SOIENT PAS BOMBARDEES La surprise éprouvée à traverser une zone hautement industrialisée, proche du front et semblant avoir bénéficié d’une étrange immunité (il s’agit de la périphérie du plateau de Haye, à l’ouest de Nancy, avec ses villes minières et sidérurgiques de Pont Saint-Vincent, Messein, NeuvesMaisons), est à rapprocher de l’incompréhension de nombreux combattants de Verdun devant les fumées paisibles du bassin de Briey qu’ils contemplaient depuis les côtes de Meuse. 118 Dans le premier cas l’artillerie et l’aviation allemandes restent muettes, dans le second les sœurs françaises retourne la politesse. Après guerre, le problème fut discuté à la Chambre. Parmi de nombreuses interventions retenons celle d’Ernest Flandin lors de la séance du 31 janvier 1919 : « Voici, Messieurs, en quelles circonstances je suis intervenu dans la question du bombardement du bassin minier de Briey. Le groupe d’artillerie dont je faisais partie est arrivé à Verdun au début de la bataille et n’a quitté le secteur que huit mois après, lorsque la bataille fut terminée. Au cours de cette période il nous était arrivé très souvent entre camarades, de nous demander pourquoi notre aviation qui était si active et si nombreuse pendant la bataille de Verdun n’avait pas été chargée d’intervenir et de bombarder les mines et les établissements dont nous voyions, par temps clair, les immenses fumées qui couvraient l’horizon dans la direction du nord-est de Conflans. Nous en avions parlé souvent lorsqu’au mois de décembre 1916 les articles de mon ami M. Engerand parvinrent jusqu’à nous. Notre attention fut attirée par l’extraordinaire importance qu’avait pour les allemands l’extraction du minerai dans le bassin de Briey. Il me sembla dès lors que j’avais le devoir d’agir. Je me rendis donc le 23 décembre 1916 au quartier général de Souilly, auprès du général Guillaumat, qui était mon chef et qui commandait la deuxième armée. Il me fit l’honneur de me recevoir : je lui exposais quelle était l’importance de la question et je lui demandais s’il ne serait pas possible de faire intervenir l’aviation de la 2 ème armée. Enfin je remis entre ses mains une carte détaillée du bassin de Briey sur laquelle étaient indiqués d’une façon très nette les principaux établissements en pleine activité. Je lui précisais, en outre, la source et l’origine très sérieuse de cette carte afin d’enlever toute hésitation dans son esprit. Quelques jours après, nous apprenions qu’une opération de bombardement sur Joeuf avait été faite de nuit par une escadrille de la 2ème armée. Mes camarades et moi nous nous réjouissions grandement à la pensée que le vœux que nous faisions depuis si longtemps de voir bombarder ces établissements dont les fumées insolentes nous énervaient (Applaudissement) avait été réalisé et nous étions heureux de pouvoir en féliciter le chef de la 2 ème armée. Mais quelques jours après, nous constatâmes qu’aucun bombardement par la 2ème armée n’avait suivi le premier. Les semaines passèrent et dès qu’il me fut possible de retourner à l’Etat-major de Souilly je m’y rendis pour m’informer des raisons de l’arrêt subit des opérations. Le chef d’Etat-major voulut bien me faire connaître que, peu après le bombardement de Joeuf, le général Guillaumat avait reçu l’ordre de cesser les opérations pour les deux motifs suivants : d’abord parce que Joeuf n’était pas, paraît-il, dans le secteur de la 2ème armée (Rires à l’extrême gauche), ensuite parce que le Grand Quartier Général se réservait seul de donner des ordres de ce genre aux escadrilles de bombardement (Mouvements divers). Je fus profondément étonné et attristé, d’autant que j’avais su par mes camarades de l’aviation, qui avaient bombardé Joeuf, que l’opération s’était faite avec une facilité relative, sans pertes et avec efficacité. Dans ces conditions, je résolus de venir à Paris, dès qu’il me serait possible et de porter la question devant le ministre de la Guerre. Ce ne fut qu’au mois de février 1917 que je pus exécuter ce voyage. Mon premier soin fut de demander audience au général Lyautey… 119 M. le général Lyautey approuva ma démarche et me dit qu’il allait immédiatement rechercher d’où émanait l’ordre reçu par le général Guillaumat et les motifs qui l’avaient dicté… Il résulte à mon sens de cet exposé que le G.Q.G. a compris tardivement l’immense intérêt qu’il y avait à troubler l’exploitation paisible des mines du bassin lorrain. Pendant 27 mois les allemands ont pu, sans être gênés extraire des millions de tonnes de minerai de fer pour leurs usines de guerre. Cette constatation est d’autant plus attristante que les allemands ont reconnu eux-même que si leur production minière avait été troublée la guerre était pour eux quasiment perdue… *** * AU SUJET DE LA REPONSE DE WILSON AU PAPE L’article signalé dans la lettre du 17septembre 1917 a été publié dans le « Travailleur » du 8 septembre : LETTRE DU FRONT Depuis trois ans que dure la guerre, beaucoup de militants qui avaient espéré un avenir meilleur, se sont abstenus, après la ruine de leurs illusions, de toute propagande. Entraînés malgré eux dans le tourbillon sanglant, ils ont marché comme les autres, mais sans partager les passions générales. Ils sont restés étrangers moralement au drame immense dont ils étaient les acteurs. Malgré la gravité de la situation, la raison de repousser l’agression allemande ne pouvait les aveugler sur les bas appétits d’une poignée de gens, aussi puissants que sans scrupules, prêts à exploiter la guerre et la victoire à leur profit. ‘ai partagé ces craintes, de combattre non pour une cause mais pour des intérêts. Je comprenais seulement la victoire servant à ériger un monde, sinon meilleur, du moins vivant à peu près d’accord, dans une paix établie sur des bases équitables. Oui je désespérais… et pourtant, je sens revenir la confiance. J’ai confiance en un homme de génie, un de ces esprits supérieurs qui sont capable de diriger le monde. Cet homme, vous le connaissez, c’est… Wilson. Déjà l’an dernier, quand le Président de la République des Etats-Unis avait adressé aux belligérants un appel pour une paix durable dont il traçait les bases, j’avais espéré… Cet homme, ce génie, ce bon génie, montrait aux peuples ennemis le moyen de vivre en paix, par le respect mutuel de leur droit. Son impartialité fut mal récompensée. Comment faire entendre raison à des fous furieux, animés de passions malsaines. On se souvient de l’accueil très réservé et de la fin de non recevoir qui furent faits à son appel, que venait faire cet importun qui ne se filiait à aucune aspiration des belligérants ? Pour nous, français, est-ce que cet homme ne semblait pas faire le jeu de l’Allemagne ? (Si l’Amérique ne nous eût fourni des munitions, il est probable qu’on l’eût accusé d’être à la solde des boches). Pour l’Allemagne n’était-il pas complice des Alliés ? Après cet insuccès, qu’allait faire Wilson, allait-il laisser les vilains peuples du vieux monde s’entr’égorger jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus d’épuisement, et laisser conclure une paix de 120 conciliation qui laisserait les questions en suspend, paix qui serait une épée de Damoclès suspendue sur le monde ? Ou bien laisserait-il se conclure une paix victorieuse selon la vieille formule, et qui serait la consécration des droits des plus forts ? Non, cette pensée ne lui vient pas, il juge égoïste de rester neutre et de profiter de la mêlée générale pour établir la suprématie économique de son pays. Wilson va se faire défenseur du vrai droit, de la vraie justice, qui sont menacés par la victoire de l’un ou l’autre parti. Il va se ranger aux côtés des Alliés – avec lesquels il pourra s’entendre à cause de leur esprit plus démocratique et dont la cause est infiniment plus propre – pour donner le coup décisif. J’ai douté un moment que Wilson belligérant ait gardé la pureté de conception de Wilson neutre. En lisant le document qu’il vient d’adresser au pape, document qui s’adresse plutôt aux peuples des empires centraux et aux Alliés, j’ai senti se dissiper mes doutes. Le jour où l’on signera la paix, Wilson sera là, j’en ai la conviction, pour faire taire les appétits monstrueux ; c’est lui qui dictera aux empires centraux et à ses alliés les conditions de la paix future, de la paix basée sur le droit international. Maintenant, j’ai confiance, les sacrifices inouïs qui ont été consentis, tout le sang répandu, toutes les souffrances atroces endurées depuis trois ans ne seront pas inutiles, grâce au grand magicien qui s’est promis d’en faire sortir un monde nouveau. Déjà j’aperçois dans le lointain, l’avenir resplendissant se dessiner au milieu des nuées d’orage, parmi les éclairs et la foudre… Aussi, je voudrais m’adresser à tous mes camarades de misère, à tout ceux que trois ans de souffrances indescriptibles ont exaspérés, à ceux qui ont été tristement déçus par la conduite de certains militants, à ceux qui n’ont pas eu plus de confiance dans la paix des Alliés que dans la paix allemande pour inaugurer une ère nouvelle de paix et de travail. Je voudrais apprendre à ces camarades à s’élever au-dessus des laideurs, des saletés qu’ils ont vu autour d’eux et dont ils ont souffert bien souvent et leur montrer cet avenir auquel ils ne croyaient plus. Je voudrais encore m’adresser à ces humbles travailleurs de la ville ou des champs écœurés par les profits immenses réalisés par de bon patriotes professionnels, loin du front, loin des obus et des balles. Courage et confiance, plus que jamais, pour que ces gens qui se font une idée spéciale de la guerre, trouvent à qui parler au jour du règlement de compte. Courage et confiance pour que notre victoire ne se transforme pas en une ignoble curée. Que le jour de cette victoire, tous les hommes de cœur soient debout derrière Wilson, pour faire pression sur nos dirigeants et l’aider à établir les bases de la paix du monde. Là seulement est le salut et ceux qui seront encore vivants doivent cet hommage à ceux qui sont morts. Lucien Floréal * * Pseudonyme de Lucien Juventy *** * 121 LES ARTICLES AIGRE-DOUX J’ai retenu, à titre d’exemple, celui paru dans le « Travailleur » du 14 septembre 1918 : FAUSSES NOTES Nos camarades minoritaires prétendent qu’ils sont tous d’accord pour vouloir la Paix du Droit, la paix Wilson. Quand on leur dit que leur attitude nous mènerait à la Paix à tout prix, à quelque honteux Brest-Litovsk (sic), ils ne manquent jamais de se récrier. Et pourtant.. Pourtant, il y a une contradiction essentielle, fondamentale, entre l’attitude et les déclarations du Président Wilson et celle de nos minoritaires… Monsieur Wilson, lui, a compris parfaitement qu’il ne suffisait point d’affirmer et de proclamer des principes, si justes et si grands qu’ils soient, mais qu’il importait aussi de les faire accepter et respecter. Nos minoritaires qui se brouillent souvent aussi bien avec la logique qu’avec les principes, acceptent ou disent accepter la Paix Wilson, sans accepter les moyens employés et recommandés par Monsieur Wilson lui-même pour la faire aboutir. Si bien qu’en affaiblissant l’effort considérable de toutes les démocraties pour arriver à la réalisation souhaitée, ils travaillent en réalité contre cet idéal de Paix. Est-ce aveuglement de leur part ou bien le courage leur manque-t-il pour dire nettement leur façon de penser ? Je ne sais. En tout cas, il m’apparaît que la majorité « minoritaire », si je puis dire, est assez hétéroclite. Si, parmi elle, beaucoup affichent encore les principes wilsonniens, d’autres, par contre, les abandonnent carrément pour prôner la Paix tout court, la Paix à tout prix par conséquent. Je viens de lire, justement, dans « Le Droit des Peuples », une revue de la presse minoritaire qui, à cet égard, est assez suggestive. Jugez-en. Souvarine, dans « Le Populaire », écrit : « La Société des Nations, si elle était réalisable et réalisée ne présenterait aucun progrès sur la société actuelle ». Ainsi nos idées sur le Droit, l’organisation de la Paix future, l’arbitrage, tout ça, c’est de la blague ! Même note du minoritaire D.R. qui, parlant des évènements russes, nous décoche ce trait : Messieurs les prophètes de la Société des Nations, Messieurs les apôtres du principe des nationalités à votre guerre du droit ! Soyez satisfaits ! Société des Nations ! Peuh ! Qu’est-ce que cela ? Pure idéologie bourgeoise sans doute. Amédée Dunois, lui, va plus loin. Il en vient à déplorer l’intervention des Etats-Unis parce qu’elle aura prolongé la durée de l’abominable cataclysme. On s’accorde à dire justement le contraire ; mais croyez bien que c’est une erreur. Au fait, peut-être Amédée Dunois aurait-il été satisfait si les nations démocratiques avaient été piétinée et si l’Allemagne, malgré ses crimes contre le droit des gens était arrivée à nous imposer sa paix de domination. Mais écoutez encore. 122 Cette fois c’est le citoyen Chastanet qui parle : « Nous voulons la paix. Est-ce la paix borgne, la paix de compromis ou la paix juste, durable, démocratique, etc. etc. Car là-dessus s’ouvrent des discussions interminables – elles durent depuis quatre ans – des discussions futiles, déprimantes. Comme si le mot de paix ne se suffisait pas à lui même. La paix, elle ne pourra être que juste, honorable, sacrée, démocratique et tout ce que vous voudrez. C’est comme le soleil. Y a-t-il un soleil impur, aveugle, inhumain ? Y a-t-il un mauvais soleil ? Tiens ! voilà un langage qui ne nous est pas complètement inconnu, nous l’avons, je crois, entendu il y a peu de temps. Mais avec moins de netteté. Tirons l’échelle aux principes ! Ainsi donc, quand les minoritaires nous montrent, derrière eux, des bataillons imposants, acclamant la même conception, ils nous bourrent le crâne avec une maestria sans pareille. La vérité, c’est que la majorité « minoritaire » est inexistante. Il y a dans cette majorité occasionnelle des gens qui sont pour la paix immédiate, pour la paix à tout prix, et d’autres qui se prétendent attachés à la Paix Wilson. Si les uns et les autres sont sincères, il faut convenir que leur union est aussi bizare que le serait celle du jour et de la nuit. Aussi nous voudrions bien tout de même – nous autres qui sommes pour la clarté – qu’on dissipe les équivoques. Oui ou non camarades minoritaires, êtes-vous pour la Paix Wilson ? Oui ou non rejetez-vous toute paix honteuse, toute paix blanche ? Si oui, allez-vous désavouer et rejeter ceux, nombreux, qui, dans le touchant concert que vous prétendez nous faire entendre, ne cessent de multiplier les fausses notes et d’offenser nos oreilles attentives. Une bonne fois pour toutes, camarades, accordez vos violons et videz le fond de votre sac. Luc Froment *** * LES MINORITAIRES Je me suis borné à guetter l’apparition des « minoritaires » dans les colonnes du « Travailleur socialiste de l’Yonne » au long de la période mai 1917 / mars 1918. Leur existence ne transparaît d’abord que dans de courtes informations intéressant la vie interne des groupes socialistes du département – groupes assez squelettiques en ces mois – puis, au travers des propos indignés du secrétaire de la fédération (Luc Froment) qui ne vise qu’à pourfendre ces traîtres, ces irresponsables, enfin, dans des déclarations qui se réclament de l’opinion des combatants. Voici le résultat de quelques coups de sonde : En préliminaire 123 - 30/05/17 Publication du « questionnaire de Stockholm » : il s’agit d’une grille proposée aux divers partis socialistes nationaux pour déterminer leur position de principe et leurs projets pratiques à l’égard des conditions de paix et sur le point de la réunion d’une conférence internationale globale. - 30/06/17 Publication de la lettre adressée par les ministres socialistes (Vanderwelde, Thomas et Henderson) au soviet de Petrograd pour décliner l’offre de participation à une conférence internationale. Ensuite - 07/07/17 Sous le titre « Une indécence », Luc Froment écrit : « J’ai failli tomber à la renverse en lisant, moi, secrétaire de la fédération, jeudi dans les journaux de Paris, la dépêche suivante, d’une certaine Agence Radio : Auxerre le 4 juillet, les socialistes de l’Auxerrois qui avaient soutenu Monsieur Gustave Hervé, ancien rédacteur du « Pioupiou » alors qu’il était l’objet de multiples attaques au sein du Parti socialiste, ont décidé, au cours d’une réunion qu’ils ont tenu à Auxerre, de demander lors du prochain congrès de la fédération de l’Yonne, l’exclusion de leur ancien chef ». - 25/07/17 Sous le titre « Deux mots aussi : au sujet de l’ordre du jour du groupe d’Auxerre », le trésorier de la fédération Tartois, s’exprime ainsi : « Bravo camarades, vous n’avez plus voulu avoir rien de commun avec notre comique, Hervé ». Puis, après avoir jugé incompatible le soutien apporté par Luc Froment à Hervé et l’opinion de la majorité des socialistes de l’Yonne, il termine : « Cependant je crois qu’il ne serait pas très adroit d’en appeler dès le premier congrès à statuer sur son compte (d’Hervé)… Il faudrait attendre le retour des poilus ». - 15/09/17 Sous le titre « A propos de congrès », Luc Froment : « ces perspectives de congrès ne devraient pas prêter à certains jeux de coterie qui, pourtant, ne sont pas de mise à l’heure actuelle. On me dit qu’à l’instigation du citoyen Millerat qui est, comme l’on sait, fort populaire dans la fédération et particulièrement dans le Jovinien, le citoyen Verfeuil, kienthaliste, va battre les buissons de notre fédération pour en faire sortir une majorité ». - 29/09/17 A la rubrique « Référendum sur le congrès » : « Le groupe dAuxerre est en majorité pour la réunion extraordinaire de la fédération. Au nom des quinze mobilisés je vous renouvelle leur inspiration : 1. Vote énergique en faveur de Stockholm et de la tendance minoritaire kienthaliste ; 2. Pour le cas Hervé, mettre ce dernier en accusation, etc. ; 3. Agiter la question des fiches dont les militants mobilisés de la fédération sont l’objet ; 4. Vote contre toute participation ministérielle à moins que le cabinet ne se trouve en majorité socialiste. - 10/10/17Sous le titre « Réflexion de poilus » : « Eh bien moi qui vit avec les poilus depuis 39 mois je dis ceci, c’est que, si nous étions là, il y aurait 15% de majoritaires jusqu’auboutistes, un point c’est tout ». Signé : Geai Dur - 27/10/17 Dans l’article « Un peu de logique », Tartois, suite à la relation émue de l’attentat de Lecoin contre Gustave Hervé, parue le 24 octobre, écrit : « Quand on sait les divergences d’opinion qui se sont manifestées au sein de la fédération au sujet d’Hervé on est en droit d’exiger qu’il n’y paraisse au journal aucun article engageant la fédération par des marques de considération et d’amitié dont l’authenticité est actuellement problématique ». 124 - 30/10/17 Dans le compte-rendu de la réunion du Comité fédéral : « Millerat, des originaires de l’Yonne, et Lux, du groupe de Joigny, font entendre le son par lettre de cloche minoritaire ». - 24/11/17 Le groupe socialiste d’Auxerre demande la convocation, pour janvier 1918, d’un congrès fédéral à Laroche auquel seraient invités des représentants des trois tendances du Parti. - 28/11/17 Publication de la lettre de Luc Froment à Tartois dans laquelle il présente sa démission du poste de secrétaire fédéral. - 05/12/17 Relation de l’enquête menée après l’inculpation, pour propagande pacifiste, de Madame Dufour, institutrice à Joigny. Le « Travailleur » assure l’accusée de sa sympathie. Cette affaire fait suite à l’arrestation, sur dénonciation du « Matin », de Mademoiselle Hélène Brion, secrétaire de la fédération des syndicats d’instituteurs. - 19/01/18 Entrefilet « Aux camarades auxerrois » : « Il me vient de différentes sources que certains mobilisés de l’arrondissement d’Auxerre seraient désireux de prendre leur carte mais ne savent pas à qui s’adresser pour l’obtenir ; un avis répété plusieurs fois dans le « Travailleur », contenant tous renseignements et formalités à ce sujet, ne serait pas inutile. Avis à qui de droit. D’autres part, les membres mobilisés de la section recevant le « Travailleur » s’étonnent de voir la prose de Luc Froment rester sans réponse. La section d’Auxerre compte assez de camarades capable de répondre à la thèse jusqu’auboutiste et l’on s’étonne, au front, de leur silence. Allons camarades auxerrois, un bon mouvement ! » Non signé - 02/02/18 Sous le titre « Réunion socialiste à Auxerre » : « La réunion organisée par le groupe socialiste d’Auxerre en vue de discuter des diverses tendances actuellement en présence à eu lieu dimanche 27 janvier dans la grande salle du passage Soufflot… Ch. Mary Guerder ouvre le feu de la discussion… Il croit, la victoire militaire étant devenue impossible et la diplomatie secrète incapable et impuissante, qu’il appartient maintenant aux peuples et rien qu’aux peuples qui y sont les seuls intéressés, de faire la paix raisonnable que préconisent le Président Wilson, Lord Landsdowne et d’autres personnalités éminentes et non suspectes, la paix qui empêchera toute velléité de revanche à un peuple et conséquemment le retour de toute guerre, la paix que réclament le Droit et l’Humanité et qui permettra l’établissement de la Société des Nations ». - 09/02/18 Un entrefilet « Hervé et nous » : « Dans un récent article de « La Victoire » Hervé dit, pour ceux qui comprennent : « les socialistes français sont des bolcheviks qui conduisent à l’abîme la république comme le font pour la Russie les maximalistes ». Que le citoyen Hervé me permette, tout obscur et humble militant que je suis, comme bon nombre de mas camarades mobilisés, la faute en est à lui. Parfaitement, je suis un de vos élèves, Hervé ; c’est à la Cour d’Assises de l’Yonne que j’ai pris mes premières leçons, lorsque vous figuriez comme accusé… Faites de nouveaux adeptes si vous le pouvez, quant à moi je reste ce que j’étais, un hervéiste vieux style ». Signé : un mobilisé auxerrois - 27/02/18 Sous le titre « Moins que jamais », Luc Froment refuse de reprendre le secrétariat de la fédération et refuse également de transmettre à Hervé la décision du Comité fédéral de proséder à son exclusion. Il termine ainsi son article : « Je ne demande qu’une chose : qu’om me laisse la paix et la liberté d’exposer ici mes opinions personnelles ». - 23/03/18 Annonce de la nomination de Jean Lux au secrétariat de la fédération en remplacement de Luc Froment. 125 Ces quelques extraits du « Travailleur » montrent qu’en dépit des efforts de Luc Froment, émule constant et inconditionnel de Gustave Hervé, les « minoritaires » font peu à peu surface au cours de cette difficile période. Si leur désir de paix ne parvient pas à s’exprimer dans une action organisée, en revanche, ce dot ils ne veulent plus est affirmé : l’Union sacrée, la participation ou le soutien au gouvernement et surtout la compromission avec le jusqu’auboutisme. Ces refus se concrétisent dans la dénonciation et le rejet d’Hervé. Combat bien limité sans doue mais annonciateur des regroupements politiques de l’immédiat après-guerre. 126 BIBLIOGRAPHIE GENERALE SUCCINTE - REBERIOUX Madeleine : « La république radicale. 1898-1914 » Seuil 1975 - RENOUVIN Pierre : « La première guerre mondiale » P.U.F. 1965 “La crise européenne et la première guerre mondiale” P.U.F. 1969 - DUROSELLE Jean-Baptiste : « La France et les français. 1914.1920 » Ed. Richelieu 1972 - BECKER Jean-Jacques : « Comment les français sont entrés dans la guerre » Fondation Nle des Sc. Polit. 1977 « La première guerre mondiale » MA 1985 - KRIEGEL et BECKER : « 1914. La guerre et le mouvement ouvrier français » A. Colin 1964 - MIQUEL Pierre : « La grande guerre » Fayard 1983 - FERRO Marc : « La grande guerre. 1914-1918 » Gallimard 1969 - LOUIS Paul : « Histoire du socialisme en France. 1789-1945 » Marcel Rivière 1946