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Eventration
par Marc Leclerc du Sablon*
*
Chirurgien, patricien hospitalier, M.S.F.
Il y a éventration lorsque les viscères de l'abdomen (grêle, côlon, épiploon),
recouverts par le péritoine, font saillie à travers une déhiscence du plan musculoaponévrotique de la paroi abdominale et sont palpés directement sous le revêtement
cutané.
Ceci élimine du sujet les hernies, qui apparaissent au niveau des points de faiblesse
de la paroi abdominale (hernie de l'aine) et les éviscérations postopératoires ou posttraumatiques, ou les viscères s'extériorisent à travers une brèche de toute la paroi,
de façon généralement brutale.
Le terme d'éventration recouvre en fait deux affections différentes :

Les éventrations spontanées, qui sont en réalité un diastasis (écartement)
anormal des muscles grands droits de l'abdomen, et que l'on rencontre surtout
chez les femmes multipares.

Les éventrations postopératoires «incisionnal hemia » des anglophones ou
cicatricielles, consécutives soit à une plaie de l'abdomen, plus souvent, à une
laparotomie.
Anatomie pathologique
Rappel anatomique
Le schéma n° 1 rappelle les différents plans qui constituent la paroi abdominale. Le
plan musculaire, formé par les muscles grands droits, grands obliques, petits
obliques et transverses, et leurs aponévroses, en sont les éléments les plus solides.
La ligne blanche est un raphé tendineux très résistant situé sur la ligne médiane
xypho-pubienne, entre les muscles grands droits. Elle est aussi le siège de la plupart
des éventrations postopératoires.
Anatomiquement une éventration est formée par (schémas n° 2 et 3) :
- un revêtement cutané avec une cicatrice souvent élargie et amincie, une peau en
mauvais état, fragile, parfois ulcérée ou surinfectée ;
- un plan musculo-aponévrotique soit très aminci, soit plus souvent, inexistant,
formant le ou les orifices herniaires;
- un feuillet péritonéal, le sac hemiaire, souvent complexe avec plusieurs poches;
- les viscères faisant hernie, épiploon et intestin.
Selon leur siège, on distingue les éventrations latérales, moins fréquentes et moins
graves que les éventrations médianes.
Evolution
Une éventration peut survenir des mois ou des années après une intervention. Au
début elle est souvent petite, discrète, et l'on serait tenté de la négliger et de rassurer
le patient; mais dès ce stade, elle est susceptible de se compliquer d'étranglement.
Par ailleurs, une fois installée, elle a tendance à s'aggraver sous l'effet de la pression
abdominale, et aussi de la traction des muscles latéraux. Elle augmente lentement
de volume et devient irréductible car il se crée des adhérences (sac-paroi, sacviscères, viscères entre-eux,) et les complications par étranglement sont fréquentes.
De plus, lorsque son volume devient très important, les viscères herniés perdent leur
place dans l'enceinte abdominale et le traitement s'en trouvera compliqué.
Enfin, dans ces éventrations volumineuses et anciennes, les plans musculoaponévrotiques sont distendus, affaiblis, rétractés dans les flancs, et la réparation
pariétale devra se faire à l'aide de matériel prothétique (mersilène).
Causes des éventrations
De nombreux facteurs peuvent, seuls ou en association, favoriser l'apparition d'une
éventration après une laparatomie.
Age : la guérison des plaies est plus lente et les tissus cicatrisés moins solides chez
les personnes âgées.
Obésité : chez les patients obèses, la pression intra-abdominale serait plus forte, les
aponévroses moins solides, la réparation plus délicate et les hématomes plus
fréquents.
Les tares associées: les maladies chroniques et débilitantes telles que cirrhose et
cancers, ainsi que tous les états de dénutrition, freinent les processus de guérison et
de cicatrisation.
De même que les états infectieux prolongés (fistules qui
s'accompagnent d'un catabolisme important.
Le type d'incision utilisé : les incisions médianes sont plus susceptibles de se
compliquer d'éventration que les incisions transversales ou obliques.
Les laparotomies itératives, les orifices de drainages multiples, les emplacements
de colostomies.
Les plaies par balles et par armes blanches en raison des dégats musculaires et de
l'infection associée.
Les complications pariétales postopératoires (abcès ou hématomes) et les
complications pulmonaires, avec encombrement et efforts de toux. D'où l'importance
de la prévention par la kinésithérapie pré et postopératoire, notamment chez le
bronchitique ou l'insuffisant respiratoire.
Utilisation de fils non résorbables mal tolérés.
Clinique
a. La petite éventration
La douleur au niveau de la cicatrice est le principal symptôme. La palpation permet
de repérer une petite tuméfaction sous-cutanée sensible, qui augmente à l'effort et à
la toux. Par une pression douce on peut refouler cette petite masse dans l'abdomen
et palper les berges de l'orifice d'éventration.
b. L'éventration volumineuse
Elle ne pose pas de problème diagnostique.
Il existe une importante voussure déformant la paroi abdominale, au niveau de la
cicatrice de la laparotomie. Cette tuméfaction est irrégulière, arrondie, polylobée,
donnant parfois l'impression de plusieurs hernies de taille variable juxtaposées,
comme étalées sous la peau. La palpation permet de réduire partiellement cette
hernie et de palper les contours tranchants des berges musculo-aponévrotiques, d'en
mesurer la taille et d'en apprécier la solidité.
Ces volumineuses éventrations s'accompagnent de troubles fonctionnels multiples :
Troubles digestifs surtout: douleurs, gène post-prandiale, météorisme, troubles du
transit, constipation.
Troubles respiratoires, dypnée, dus au mauvais jeu respiratoire des muscles de la
paroi abdominale.
c. Complications
L'étranglement représente le principal danger. Très souvent c'est un fragment
d'épiploon qui est incarcéré. La tuméfaction devient alors exquisément douloureuse
et irréductible. Lorsqu'il s'agit d'un étranglement du grêle ou du côlon, les signes
cliniques sont ceux d'une occlusion mécanique avec vomissements et arrêt du
transit, nécessitant une intervention en urgence.
Le diagnostic de ces étranglements est souvent difficile chez ce patient habitué aux
phénomènes d'engouement douloureux et chez qui l'éventration est depuis
longtemps irréductible.
Les complications cutanées, ulcérations et surinfections, sont provoquées par la
compression et la macération au niveau des plis.
Traitement
a. Bilan préopératoire
Antécédents chirurgicaux : nature, date, protocoles des opérations chirurgicales
subies. Éventuelles complications postopératoires.
Terrain :
 Age, poids, tares associées, en particulier insuffisance respiratoire, qui va
nécessiter une kinésithérapie pré-opératoire (apprendre à respirer, à tousser et
cracher, arrêt du tabac) ou un amaigrissement chez l'obèse.
 État de la peau qui peut aussi nécessiter un traitement: assèchement des lésions
suintantes et surinfectées (éosine aqueuse, bétadine diluée, mitosyl), traitement
d'une mycose des plis.
 Bilan des troubles du transit (parasitoses, radiographies par lavement baryté pour
dépister une tumeur).
b. Méthodes
Le traitement sera presque toujours chirurgical et doit être aussi précoce que
possible dès que le diagnostic a été fait.
Les méthodes non chirurgicales, comme la contention par bandage élastique ne sont
que palliatives, temporaires et réservées aux patients présentant une contreindication chirurgicale absolue. En effet elles ne préviennent pas vraiment du risque
d'étranglement.
1. Les petites éventrations
Elles peuvent être traitées par une intervention chirurgicale simple qui comprend les
temps suivants (figure 4) :
reprise de l'ancienne incision,
- dissection du sac herniaire,
- réduction du contenu du sac et libération d'éventuelles adhérences,
- réparation pariétale minutieuse plan par plan au fil à résorption lente (vicryl), ou
non résorbable.
2. Les volumineuses éventrations
La préparation préopératoire : Lorsque le volume de la hernie est tel que l'on craint
des difficultés de réintégration (impossibilité mécanique, gêne respiratoire), il faut
réaliser une série de pneumopéritoines préopératoires de façon à augmenter
l'espace intrapéritonéal et à élever le diaphragme (un à deux litres d'air stérilisé à la
flamme, tous les deux jours, introduits par une aiguille de Palmer au niveau de la
fosse iliaque gauche).
La préparation par kinésithérapie respiratoire est ici
particulièrement nécessaire.
L'anesthésie: Si possible, en fonction du siège de l'éventration, on fera une
anesthésie locorégionale (rachianesthésie ou péridurale) qui donne un bon
relâchement musculaire, et est très sûre. Si l'on a recours à l'anesthésie générale, il
faut prévoir une intubation trachéale avec un bon relâchement musculaire.
Technique chirurgicale : L'ancienne cicatrice et les tissus sous-jacents sont
réséqués. Le sac péritonéal est disséqué minutieusement des plans aponévrotiques
et musculaires. Ce temps peut être très long si l'éventration est complexe et faite de
multiples sacs herniaires qui doivent tous être enlevés. Le sac est ensuite ouvert et
les adhérences intrapéritonéales sont libérées minutieusement et complètement et
les viscères sont replacés dans la cavité abdominale.
Les berges musculo-aponévrotiques sont parfaitement repérées et disséquées de
façon à présenter de chaque côté des tissus sains et solides. L'hémostase doit être
méticuleuse pour éviter les hématomes postopératoires. Le sac péritonéal est
réséqué en gardant suffisamment de tissu pour la fermeture. Lorsque l'éventration
n'est pas trop importante, il est possible de suturer les berges aponévrotiques soit
bord à bord, soit en «paletot» pour renforcer le plan aponévrotique superficiel.
Si les plans musculo-aponévrotiques paraissent trop faibles ou s'ils ne peuvent être
rapprochés sans tension, il faut utiliser une prothèse de tissu synthétique (mersilène).
Ce mince filet de dacron, très résistant et très bien toléré, est placé entre le plan
péritonéal et le plan aponévrotique. Ces «plaques» de mersilène (ou autre) ne
doivent être utilisées que lorsque toutes les conditions d'asepsie sont réunies (pas
d'abcès de paroi). Leur utilisation nécessite une bonne expérience de cette chirurgie
(figure 5).
L'intervention se termine le plus souvent par un drainage aspiratif (drain de Redon).
3. Les suites opératoires
Dans les suites, il faut encourager le lever précoce le lendemain de l'opération, la
kinésithérapie respiratoire. De strictes précautions d'asepsie sont nécessaires au
niveau des drains et des pansements, surtout si une prothèse a été posée. Les
drains sont retirés dès qu'ils ne donnent plus. Un traitement antibiotique bref est
entrepris au début de l'intervention et pour 24 ou 48 heures.
Conclusions
L'éventration représente une complication fréquente de la chirurgie abdominale et de
la traumatologie abdominale. C'est une affection invalidante et dangereuse dont le
traitement est chirurgical. La réussite de celui-ci repose sur :
- une intervention précoce,
- une préparation méticuleuse,
- un geste chirurgical complet utilisant si nécessaire une prothèse synthétique.
Développement et Santé, n°88, août 1990
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