bergeronnette grise, rouge-gorge, et une centaine d'autres passereaux
européens feront l'affaire, pour peu que leur nid soit beau et leurs oeufs pas
encore couvés.
Comme toutes les escroqueries, celle-ci se prépare avec soin. Dès le début
du mois de mai, la femelle se poste à couvert. Silencieuse et patiente, elle
observe les oiseaux qui l'entourent, jusqu'à ce qu'elle repère le nid sur lequel
elle jettera son dévolu. Elle attendra encore que sa construction soit achevée,
et que son occupante y ait pondu ses propres oeufs. Après quoi elle
commettra son forfait. L'après-midi, de préférence, elle abordera le nid
momentanément déserté. Un oeuf, prélevé au bec (elle l'avalera plus tard),
sera remplacé par celui qu'elle pondra à la sauvette, comme une voleuse.
Ainsi prospère l'espèce, une seule femelle déposant en moyenne, au cours
du printemps, une dizaine d'oeufs dans autant de nids différents.
Sa tâche maternelle s'arrête-t-elle là ? Continue-t-elle, comme l'avancent
certains, à surveiller les nids dans lesquels elle a pondu ? Si tel est le cas, ses
rejetons n'en sauront rien. Et aucun d'entre eux ne se gênera, s'il parvient à
être couvé par sa mère adoptive, pour occuper à son tour le terrain qu'il
estime lui être dû.
« Le passereau nourrit le coucou si longtemps, / Qu'il eut enfin tête croquée
par son enfant »
, disait le Fou dans
Le Roi Lear
. Shakespeare exagérait, et
avec lui la légende selon laquelle le petit coucou devenu grand dévore ses
parents adoptifs. Mais il fait mieux, ou pis ; en tout cas plus extraordinaire : à
peine éclos, encore aveugle et nu, pesant tout au plus quelques grammes, le
voilà qui charge sur son dos, un à un, les oeufs ou les poussins qui l'entourent
et les projette dehors ! Cet effort prodigieux, inscrit dans le programme
biologique de l'espèce, portera ses fruits : une fois sa descendance légitime
éjectée à l'extérieur du nid, le couple parental ne lui accordera plus un
regard... Ainsi est-ce sans partage que le jeune coucou exercera sa tyrannie
sur ceux qui le gaveront jusqu'à son émancipation, soit pendant environ cinq
semaines.