Une étoile qui se balade dans l’immense ciel au-dessus de vastes déserts sillonnés par des caravanes, des mages mystérieux venus de l’Orient lointain, avec leurs montures chargées de fabuleux trésors, des savants gardiens et interprètes d’antiques prophéties, un tyran ombrageux et cruel dans une ville enfiévrée et bruissante de rumeurs contradictoires, et une jeune mère, avec son époux et un enfant, couché dans une mangeoire d’un abri de fortune. Le récit de Matthieu ne manque pas d’allure, de multiples imaginaires sont convoqués et convergent vers la scène centrale, la plus simple, la plus humaine des scènes, une maternité pauvre mais infiniment heureuse, celle-là même que nous avions laissée à Noël avec les anges et les bergers. Tout converge aujourd’hui vers la crèche de Bethléem, l’Orient fabuleux, les nations lointaines déjà entraperçues par Isaïe et le psalmiste avec leurs cortèges de chameaux richement harnachés, les intrigues politiques d’un monde qui n’en finit pas de vieillir, les errements de religieux qui ne parviennent pas à dépasser la lettre des Ecritures. Tout converge vers ce havre de paix et de tendresse. Une jeune mère, son enfant, un homme juste et peut-être un vieil âne et un bon bœuf comme compagnons de tendresse. Oui Dieu a planté sa tente parmi nous, il a éclairé le monde du sourire d’un enfant, il est venu humble, absolument désarmé, aussi désarmé et offert qu’il finira, trente ans plus tard tout près de là à Jérusalem : Ecce Homo, voici l’homme, condamné par un autre Hérode. Voici l’homme, celui dont 40 jours après sa naissance, le vieillard Syméon dira qu’il provoquera la chute et le relèvement d’un grand nombre. Déjà tout petit, tout enfant, le Verbe dans le monde révèle ce qui est au fond des cœurs des humains: il révèle Joseph le Juste qui accompagnera fidèlement cet enfant mystérieux et sa mère, il révèle le cœur simple et joyeux des bergers, ces pauvres qui ont cru au message des anges, -qui croirait aujourd’hui au message d’une troupe d’ange ?-, il révèle le cœur tordu, rongé de peur et de jalousie d’Hérode, il révèle le cœur sec des sages de Jérusalem, qui savent mais n’aiment pas, ou pas assez, il révèle le cœur des mages qui, au signal d’une étoile, -n’est-il pas normal que le cosmos fête lui aussi la naissance de celui en qui il fut créé-, se mettent en route, venus de leur Orient lointain. On les dit persans, venus des confins des actuels Iran et Afghanistan. Et savants, les plus savants de leur temps, des spécialistes des étoiles, et riches, immensément riches, des sortes de maharadjah des temps antiques. Et païens, bien sûr. Eh bien, bien que païens, bien que lourds de leur savoir, bien que gorgés de richesse, ils ont le cœur assez léger pour se mettre en route à la vue du scintillement d’une étoile, et ils filent vers l’Ouest, traversent des fleuves, des déserts, franchissent des cols pour arriver jusqu’à cette étonnante Jérusalem, une ville où règne un tyran qui a reconstruit un très grand Temple. Une ville dont, peut-être, ils savent qu’elle attend depuis des siècles la venue d’un Enfant Roi, d’un Prince de la Paix, d’un Conseiller merveilleux. Peut-être le savent-ils, peut-être en ont-ils entendu parler par les descendants de ces déportés, exilés il y a très très longtemps en Babylonie et qui ont prospéré à la cour des anciens Shah de Perse qui aimaient les avoir comme conseillers. Peut-être se sont-ils souvenus du jeune Daniel, un jeune déporté juif, dont l’intelligence des mystères continuait à susciter, plusieurs centaines d’années plus tard, l’admiration de l’Orient. Peut-être mais ils se sont mis en route, comme il y a très très longtemps, le vieil Abraham, et ils ont vu celui dont déjà la foi d’Abraham portait mystérieusement la promesse. Ils ont vu, ils ont adoré le Verbe, ils ont vu Celui qui plus tard se révélera Chemin, Vérité et Vie. Le chemin que tant de sagesses d’un Orient plus lointain encore ont foulé, c’est Lui ; la Vérité que ces rationalistes de grecs cherchent brillamment depuis plus de six siècles, c’est Lui; la Vie qui bouillonne de toutes parts, chez les peuples dynamiques du nord, ou du sud au pays de la reine de Saba, c’est Lui, il en est le principe et la source. L’ont-ils su ? C’est leur secret mais ce que nous savons c’est qu’ils éprouvèrent une très grande joie. Eh bien cette joie, frères et sœurs, elle nous est promise, elle nous est accessible à nous aujourd’hui si, comme les mages, nous nous mettons en route, vers l’Enfant de Bethléem. Nous avons le choix, ou bien, comme Hérode, nous nous laissons terroriser par nos peurs, ou bien comme les scribes de Jérusalem, nous nous laissons encorseter par nos certitudes, y compris les meilleures, ou bien comme les mages, nous nous laissons toucher par une petite étoile, par les multiples étoiles qui continuent à scintiller dans la nuit de notre vieux monde. Cette fête de l’Epiphanie est certes la fête de l’universalité de la promesse du salut, comme Paul l’a découvert émerveillé, mais elle est pour nous, vieux croyants, l’occasion de nous laisser toucher par les étoiles d’humanité, de bonté, de générosité qui continuent de réchauffer les froides nuits de notre monde qui n’en finit pas de vieillir et de nous mettre en route, sans peut-être bien savoir où nous allons. Non, nous savons où nous allons, contrairement aux mages, si nous nous remettons en route, si nous tendons la main à nos frères et sœurs en humanité, nous savons exactement qui nous rencontrerons, à coup sûr. Celui qui, un jour, dira : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Et qui nous attend pour peu que nous osions la rencontre. Amen !