RÉSUMÉ DESTINE AUX DECIDEURS PUBLICS (POLICY BRIEF) Mohamed NEFFATI, Mongi SGHAIER et Yadh LABBENE Mars 2016 1 1- CADRE GENERAL Cette étude rentre dans le cadre du projet MENA-DELP. Son objectif est de contribuer à promouvoir l’intégration des approches de gestion durable des écosystèmes forestiers en zones arides et désertiques au niveau des politiques, stratégies et projets de développement aux différentes échelles (locale, nationale et régionale), et ce plus particulièrement au niveau des pays de la région MENA. Il s’agira en particulier de favoriser l’adoption d’approches et de modes de gestion qui permettent d’améliorer la résilience de ces espaces et leurs populations face au changement climatique, tout en améliorant leur potentiel de séquestration de carbone. Elle est structurée autour de 4 composantes : a. Analyse de la vulnérabilité des écosystèmes forestiers en zones arides et désertiques de la région MENA b. Analyse de la vulnérabilité des moyens de subsistance (Livelihoods) c. Estimation du potentiel de séquestration de carbone d. Proposition d’approches de gestion favorisant la résilience des écosystèmes Le changement climatique: le défi du 21ème siècle Le changement climatique (CC) attendu aura, selon la communauté scientifique internationale, des impacts importants sur l’ensemble des activités socio-économiques et les écosystèmes. Des sécheresses plus récurrentes, des inondations plus désastreuses, des maladies nouvelles et/ou émergentes, des pénuries alimentaires plus fréquentes de par le monde, tels sont les risques auxquels fait référence le 5ème Rapport d’évaluation du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'évolution du Climat (GIEC, 2014). Le GIEC mentionne également des perspectives sombres avec des risques «élevés à très élevés» en cas de hausse moyenne des températures de 4° C par rapport à la période préindustrielle. Ceci se traduirait par une extinction substantielle de certaines espèces ainsi qu’un risque important en termes de sécurité alimentaire. En fait, les risques sont déjà «considérables» pour un réchauffement de 2 °C. En effet, une telle augmentation pourrait entraîner une perte entre 0,2 et 2 % des revenus annuels mondiaux. Les impératifs de développement et les exigences de lutte contre le CC sont plus que jamais liés. Il constitue également une contrainte supplémentaire à la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement. Comment répondre aux contraintes d’un mode de vie sobre en carbone sans pour autant compromettre les aspirations des peuples à un droit légitime au développement ? Indéniablement, tout ceci fait du CC le principal défi du 21ème siècle. A la COP 21 à Paris (décembre 2015), l’humanité a été au rendez-vous pour sceller l’adoption d’un accord pour un nouveau régime climatique post-2012. L’Accord de Paris, adopté par consensus par l’ensemble des 195 parties, est un accord historique qui permettra de faire face au CC et d’atténuer ses impacts dangereux et irréversibles. L’Accord englobe tous les éléments pour faire avancer l’action climatique, il couvre tous les domaines primordiaux : Atténuation - réduire les émissions suffisamment vite pour atteindre l’objectif de température 2 Un système de transparence et de bilan mondial - comptabilité de l’action climatique Adaptation - renforcer la capacité des pays à faire face aux impacts climatiques Pertes et dommages - renforcer la capacité à se remettre des impacts climatiques Soutien - dont les financements pour que les nations construisent des avenirs propres et résilients 2-VULNERABILITE DES ECOSYSTEMES FORESTIERS EN ZONES ARIDES ET DESERTIQUES DE LA REGION MENA Les écosystèmes forestiers des zones arides et désertiques, qui couvrent plus de 80% de la superficie totale des pays de la région MENA et qui offrent des biens et des services d’une importance considérable pour les populations locales, sont les plus menacés par les CC. Les plantes les plus prisées sont celles qui seront les plus vulnérables. Toutefois, la grande diversité floristique des écosystèmes arides témoigne de possibilités d’adaptation très importantes de la végétation à des conditions de milieu très diversifiées et très variables. La compréhension de la dynamique de la végétation est un préalable essentiel pour prévoir les réponses d’un système écologique à la perturbation et pour faire la part des tendances structurelles et conjoncturelles. L’analyse synthétique des approches de la vulnérabilité au CC des écosystèmes arides montre qu’en dépit de la sévérité des conditions climatiques, ces écosystèmes restent caractérisés par des capacités adaptatives et productives assez élevées si cette sévérité est compensée par une meilleure gestion et un écosystème plus sain, plus équilibré et plus efficace. La complexité des réactions des différents systèmes écologiques arides de la région MENA qui est imposée par les différents cribles environnementaux et écologiques qui impactent la répartition des espèces montre qu’une évaluation régionale de la vulnérabilité devrait être basée sur des évaluations locales et nationales. Un cadre participatif d’analyse de la vulnérabilité et de la capacité d’adaptation au CC permettant de relier les connaissances communautaires aux informations scientifiques disponibles en matière de CC s’avère également nécessaire. 3- VULNERABILITE DES MOYENS DE SUBSISTANCE DES ECOSYSTEMES FORESTIERS EN ZONES ARIDES ET DESERTIQUES DE LA REGION MENA L'application de l'approche Sustainable Livelihood Analysis (SLA) dans la région du MENA présente nombreux avantages dont notamment son utilisation pour l'aide à la décision, l'orientation de politiques et la mobilisation des acteurs locaux pour analyser la vulnérabilité et identifier les mesures d'adaptation au CC (http://practicalaction.org/livelihoods-4, Carney, 1998; Carney, 2002; Samsudin et al, 2013). L'analyse de la vulnérabilité des moyens d'existence (Livelihoods) des populations en zones arides et désertiques de la région MENA a révélé les faits suivants: une vulnérabilité apparente des moyens d'existence (Livelihoods) des populations en zones arides et désertiques de la région MENA ; 3 une diversité de situations et un différentiel de vulnérabilité entre les pays de la région du MENA. La vulnérabilité des moyens d'existence est moins prononcée en Jordanie contre un niveau plus marqué au Maroc et en Egypte ; une capacité d'adaptation relativement convenable mais demeure insuffisante au vu du niveau accru de sensibilité et d'exposition de la région MENA au CC ; un manque à gagner est constaté au niveau de l'adaptation, ce qui justifie amplement les stratégies de renforcement des capacités d'adaptation au niveau aussi bien des pays que de la région MENA ; une plus grande vulnérabilité des ruraux que les urbains qui dépendent moins des ressources naturelles et des écosystèmes environnants ; une tendance générale à l'extension des capitaux, financier, social, physique et humain au détriment du capital naturel qui subi une pression et une dégradation soutenues ; la diversification des activités génératrices de revenus et le développement de la pluriactivité dans les régions arides du MENA semblent accroitre la capacité autonome des populations notamment rurales ; les conséquences les plus graves du CC concerneront en effet la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des populations vivant de l'agriculture. 4- UNE SYNERGIE ATTENUATION-ADAPTATION Afin de faire face au CC, réduire ses effets néfastes et améliorer la résilience des écosystèmes, il y a lieu d’adopter une synergie atténuation-adaptation à travers deux approches complémentaires : Une approche préventive visant à limiter les impacts potentiels du CC à travers l’atténuation des émissions de CO2 Une approche curative visant à s’adapter aux impacts déjà observés ou attendus du CC à travers les mesures politiques, des plans d'action et des stratégies d'intervention. 5- UN POTENTIEL PROMETTEUR DE SEQUESTRATION DU CARBONE ENCORE INEXPLOITE Une gestion plus rationnelle des écosystèmes forestiers des zones arides et une allocation plus efficiente de leurs ressources contribueraient à la restauration du puits de carbone du sol tout en améliorant les moyens d'existence des populations. Les mesures techniques de gestion de ces écosystèmes doivent être conçues dans le cadre d’une approche multifonctionnelle, globale et intégrée impliquant les usagers à toutes les phases de préparation et de mise en place des programmes d’action. 4 Une première évaluation exploratoire du potentiel de séquestration du carbone par des pratiques de gestion durable des écosystèmes forestiers, en utilisant le logiciel EX-ACT développé par la FAO, a permis de mettre en exergue quelques ordres de grandeurs pour ce potentiel. Les principaux résultats figurent dans le graphique qui suit : Ces calculs prospectifs montrent qu’il y a réellement un potentiel de séquestration du carbone à travers une meilleure gestion des écosystèmes forestiers de la région MENA. Ce potentiel pourrait se situer aux environs de 15 % des engagements des pays au titre de leurs INDCs alors qu’actuellement il ne représente que quelques pourcents. 6- ENTREVOIR LA SEQUESTRATION DU CARBONE COMME UN COBENEFICE : DEFIS & CONTRAINTES Le potentiel de séquestration du carbone par les biomes naturels de la région MENA (steppes, parcours, etc.) ne peut pas se substituer à celui des forets classiques dans les zones humides en revanche, il peut le compléter. A l’inverse des projets REDD+ ou l’atténuation des émissions de GES est l’objectif même du projet, pour ces projets de gestion durable des écosystèmes forestiers dans la région MENA, la séquestration du carbone devrait être considéré comme étant un co-bénéfice. Contraintes au niveau du montage financier: la valeur du crédit carbone fixée par les systèmes d'échange des marchés est très volatile, elle varie entre 1 et 38 $ US par tonne de Carbone (FAO, 2011). De plus, la perspective d’une « taxe carbone » appliquée aux émissions 5 agricoles et à ceux des changements d’affectation des terres et de la foresterie (CATF), ne semble pas d’actualité. L’accord de Paris sur le climat (Décembre 2015) serait de nature à dynamiser le marché du carbone sans pour autant apporter des incitations particulières dans ce sens. Au niveau technique : Selon une étude de la FAO, la mise en place d’un système MRV (Measuring, Reporting and Verification) représenterait aux environs de 20 % du cout global du projet. De plus, un système MRV pour la mesure, le reporting et le suivi des changements d’affectation des sols nécessite des capacités techniques et un savoir faire développés notamment pour l’utilisation des données satellitaires Des avantages environnementaux difficilement quantifiables: La séquestration du carbone améliore systématiquement la qualité et la fertilité des sols néanmoins, les bénéficiaires ne perçoivent pas à sa juste valeur cet élément. De même, la séquestration du carbone dans les parcours, surtout les plus dégradés d’entre eux, permet de faire face au processus de désertification à travers le renforcement du rôle de la matière organique accrue dans la stabilité structurale et l’enrichissement de la couverture de surface du sol pour prévenir l’érosion et augmenter la conservation de l’eau. Par ailleurs, dans l’état actuel des connaissances, on estime qu’une augmentation de la séquestration du carbone favorise une augmentation de la biodiversité opérationnelle et un fonctionnement biologique du sol plus efficace. Au niveau de la mise en œuvre : Plusieurs défis d’ordre organisationnel et social seront probablement beaucoup plus difficiles à surmonter. Un projet pilote de démonstration dans la région MENA permettrait certainement de : confirmer, mieux quantifier et valoriser ce potentiel ; asseoir les bases techniques et institutionnelles notamment celles relatives au montage financier ; baliser la route pour surmonter les aspects organisationnels et sociaux. 7- CONCLUSIONS & ORIENTATIONS MAJEURS Le double défi de la dégradation de l’environnement et du CC auquel fait face la région MENA nécessite des actions urgentes et intégrées. Ces défis sont au cœur du développement local et l’adoption d’une approche de synergie atténuation-adaptation est susceptible d’apporter une plus-value aux bénéficiaires, dans la mesure où: d’une part, elle permet aux acteurs locaux de s’adapter aux effets néfastes du CC à travers une gestion durable des écosystèmes forestiers de la région MENA, et d’autre part, de contribuer aux efforts mondiaux d’atténuation des émissions de GES à travers la valorisation du potentiel de séquestration du carbone des biomes naturels de la région MENA (steppes, parcours etc.) Plusieurs techniques de restauration/réhabilitation et de gestion, favorisant la résilience de ces 6 écosystèmes et leur capacité de séquestration de carbone (SC) peuvent, en effet, être préconisées. Il s’agit de l’ensemble des bonnes pratiques de restauration /réhabilitation des parcours associées aux travaux de CES, à la valorisation des eaux non conventionnelles et aux pratiques de gestion rationnelles et au choix des espèces aux usages multiples les plus résistantes avec une localisation optimale dans l’espace (prenant en considération les potentialités édaphiques des milieux d’intervention) et dans le temps (en vue de saisir les événements météorologiques favorables). La mise en avant de la réaffectation de certains écosystèmes est une autre alternative prometteuse pour faire face aux effets néfastes du CC. Une telle démarche permettrait, en effet, l’extension de plantes plus résistantes avec un grand potentiel de séquestration de carbone et pouvant être valorisées à plusieurs fins (aromatique, médicinales,…). Les milieux très aridifiés peuvent être consacrés à l’élevage d’espèces animales plus rustiques comme le dromadaire ou carrément convertis en grands parcs pour des espèces de la faune sauvage (antilopes, autruches, outarde …) qui sont mieux adaptées à de telles conditions que les animaux domestiques. Une approche régionale serait de nature à valoriser ce potentiel de séquestration du carbone par les écosystèmes forestiers en zone semi-arides à aride de la région MENA. Elle permettra de baliser le chemin à travers : une évaluation plus précise de ce potentiel sur la base d’une meilleure définition des activités proposées notamment en ce qui concerne les données de terrain ; asseoir les bases techniques pour mettre en place un système MRV dans le cadre d’une approche nationale visant à intégrer le secteur des changements d’affectation des sols et la foresterie dans la stratégie nationale d’atténuation des émissions de GES ; assurer un montage financier viable où les bénéficiaires sur le terrain (paysans démunis, éleveurs et autres,) seront rémunérés en fonction de leurs efforts ; identifier les aspects d’ordre institutionnel, organisationnels et social susceptibles d’entraver la mise en œuvre sur terrain d’un tel projet et leurs trouver des sols. 8- SLOGANS ET MESSAGES CLES Oui, nous pouvons atteindre le renforcement de capacités des pays de la région MENA moyennant des approches innovantes et synergiques d'atténuation et d'adaptation au CC des écosystèmes et des moyens de subsistance des populations des zones arides et désertiques Oui, nous pouvons concilier entre amélioration de la résilience de ces espaces et leurs populations face au changement climatique et augmenter leur potentiel de séquestration de carbone. La vulnérabilité aux CC des moyens de subsistance des populations locales et des écosystèmes des zones arides, fait des mesures d'adaptation des pays de la région MENA une nécessité et non pas une option pour la région. 7 L’Adaptation Fondée sur les Ecosystèmes (AFE) constitue un moyen efficace et rentable pour ajuster les systèmes humains et naturels afin que les communautés soient plus résilientes et puissent faire face aux effets néfastes de la variabilité climatique. La mise en œuvre de stratégies appropriées d’adaptation à court, moyen et long termes devient une nécessité impérieuse. Laquelle nécessité impose aux pays du MENA d’agir et de mobiliser les fonds suffisants pour plaider en faveur de l’action. L’intégration de l’adaptation dans les projets de développement et l’adoption d’une approche multifonctionnelle et régionale constituent des préalables à la réussite de ces stratégies. Au plan politique et institutionnel, il devient impératif de faire l'effort au niveau des pays de la région MENA pour intégrer les mesures prévues dans les stratégies nationales d'atténuation et d'adaptation au CC dans les plans nationaux de développement et d'offrir le soutien politique et institutionnel pour l'adaptation. L’intégration de l’adaptation dans les projets de développement et l’adoption d’une approche multifonctionnelle et régionale constituent des préalables à la réussite de ces stratégies. 8